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Villes vivantes bis : les raisons d’un thème

Pour sa 17e session, le concours Europan reconduit le thème précédent des Villes vivantes ; pourriez-vous revenir sur ce choix et peut-être nous indiquer ce qu’est une ville vivante, selon vous ?

Alain Maugard En effet, c’est important de dire pourquoi nous avons jugé bon de faire deux sessions sur le thème Villes vivantes. La première chose à dire aux candidats est qu’Europan insiste sur ce thème parce que nous pensons qu’il est d’une très grande actualité. Pour le dire de façon très simple, on a pensé au thème Villes vivantes avant la période du Covid, et il se trouve qu’en pleine session E16, avant même les résultats, il y a eu l’épidémie et les confinements, lesquels n’ont fait qu’étayer la pertinence du thème retenu. À ce moment, un vivant singulier, le virus, nous a contraints à modifier nos modes de vie ainsi que notre rapport à l’urbain. Dans une ville qui a gardé la même morphologie, le métabolisme a changé. C’est la définition même de l’idée selon laquelle «je peux vivre dans la même ville en l’utilisant autrement.» On pense d’autres usages, une autre organisation. C’est une démonstration en vraie grandeur de cette notion de métabolisme.

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Cela fait partie intégrante du travail de l’architecte et de l’urbaniste. Faire vivre différemment en période de crise, ou pour s’adapter aux nouveaux enjeux sociétaux. Le métabolisme ne se substitue pas à la morphologie, mais il la complète.

Nous avons aujourd’hui des exemples de terrasses étendues, ou de pistes cyclables créées durant les confinements. Beaucoup sont restées. On a vécu autrement et on s’aperçoit, lorsque l’épidémie est retombée, que certains aménagements sont finalement plus agréables pour les habitants et devraient être permanents.

Le métabolisme, c’est aussi la question de la transformation du stock existant. Pour raisonner numériquement, dans le secteur du logement dans lequel le flux de neuf n’atteint pas un pour cent du stock, il est nécessaire de transformer l’existant pour apporter de la qualité de vie. En France, un jeune de 20 ans occupe 20 mètres carrés en moyenne. À 60 ans, la même personne, 60 mètres carrés. Ça n’a quand même aucun sens. Est-ce qu’il faut construire quelque chose de plus pour trouver une solution de 30 mètres carrés, bien faite, pour la personne âgée ? Ou bien on la trouve dans une autre organisation du stock ? On peut dès lors imaginer plein de scénarios en suivant ce raisonnement. Ces questions se posent aussi à l’échelle de l’urbanisme, où la ville est aussi dominée par le déjà-là.

Est-ce que le thème Villes vivantes n’interroge pas aussi notre rapport à la biodiversité dans nos aménagements urbains ?

AM Bien entendu, d’autant que l’épidémie a aussi été le moment d’une prise de conscience de l’absence, ou de l’insuffisance de nature en ville. Lorsqu’on ne peut que se déplacer sur des courtes distances, le manque de nature proche devient insupportable. On ne peut pas continuer sans la présence de la nature, il faut qu’elle soit forte dans la ville. Il y a aujourd’hui un désir qui est moteur pour l’architecture et l’urbanisme. Ce n’est pas une mode, c’est une réalité dont on prend conscience à la suite d’une crise sanitaire qui a ouvert nos horizons. Donc je défends fortement ces deux idées : le métabolisme et la forte présence de la nature en ville. C’est-à-dire qu’on ne peut pas penser à l’intensité urbaine si on n’a pas dedans, en son cœur, une intensité végétale et biodiversitaire. Les événements nous ont amenés à vouloir continuer cette exploration du thème que l’on est loin d’avoir épuisé.

Il y aurait donc une continuité dans ces deux sessions d’Europan ? L’une s’appuierait sur l’autre pour l’enrichir en quelque sorte ?

AM Cette continuité remonte bien plus loin, elle est inscrite dans l’ADN d’Europan qui, avec son conseil scientifique, élabore les thèmes des sessions les uns à partir des autres depuis plus de 30 ans. Cela se voit très nettement avec la série des Villes adaptables, productives, puis vivantes.

Villes adaptables (E12, E13), était le grand moment du processus : un travail sur le métabolisme et sur la souplesse plutôt que la conception de projets rigides que l’on déroule sans se soucier du temps et du contexte. Les Villes productives (E14, E15) sont arrivées après. Le thème venait du constat que les villes n’avaient plus d’autonomie, ni alimentaire, ni sur les matériaux, ni sur l’eau, etc. Le vivant, lui, arrive en général à une autonomie globale au sein de son environnement. Il se maintient dans le temps, s’auto-organise. Donc quand on y regarde bien, l’apport du vivant vient comme un enchaînement cohérent avec cette idée de force productive.

Ne peut-on pas toutefois identifier une démarche commune, une spécificité du concours Europan ?

AM Europan, c’est de l’innovation, mais par des projets qui se mettent en œuvre, et qui sont d’une certaine façon expérimentaux. Ce n’est pas un discours théorique sur la ville, et encore moins prescriptif. On pourrait dire que c’est de la créativité expérimentale, de la recherche-action. C’est la grande différence par rapport à d’autres recherches théoriques. Europan se demande : comment agir ? que faire ? que tenter ?

Ici la comparaison avec le vivant est assez intéressante. Il y a des mutations dans le vivant qu’on peut assimiler à ces expérimentations urbaines. C’est l’idée de Darwin, non pas au sens compétitif « que le meilleur gagne », mais au sens où l’on fera des tentatives qui seront adaptées au milieu, et d’autres qui le seront moins. Cela veut dire que Europan est un accélérateur de mutations. Moi je prétends que Europan, pour la ville vivante, c’est du darwinisme accéléré… c’est une formule évidemment.

Le temps n’est-il pas un facteur décisif à ce titre ? Il faut du temps pour qu’un quartier se construise, pour qu’il soit approprié par des usagers.

AM C’est exact. Mais vous pouvez voir dans les réponses des équipes que, de plus en plus, les projets se montent par phases. On fait une première intervention. On voit si ça marche. Si ça marche, on continue. Si ça ne marche pas, on change notre fusil d’épaule. La possibilité d’erreur est admise dans le projet lui-même.

Et les collectivités ont justement besoin de ce fonctionnement ! Nous leur disons : vous ne prenez pas tant de risques que ça, puisque c’est progressif. Vous nous donnez votre intention, il y a un projet, mais la façon dont il est conduit permet de faire des allers-retours. Et cela redonne une place à ce qui a pu s’appeler l’urbanisme transitoire, ou tactique… On est en train de mener des mutations, dans le temps et l’espace. On explore l’idée que l’urbanisme n’est pas que l’espace et ses trois dimensions, c’est aussi une question de temps.

Pendant longtemps, le phasage, c’était la construction du premier tiers du terrain, puis du deuxième tiers, et on finissait par le troisième tiers. Or, il vaut mieux engager un mouvement de transformation de la ville sans viser tout de suite l’objectif de la transformation finale. La première phase veut peut-être remettre des arbres, traiter le mobilier urbain pour requalifier le quartier. Et puis il y a une valeur immobilière qui naît. Dès qu’il y a de la valeur immobilière, il est possible de commencer à faire tel ou tel type de bâtiment…

Qu’est-ce que cela signifie pour les candidats qui répondent au concours ?

AM En général, on confie à Europan des questions difficiles, sur des sites qui n’ont pas d’orientations urbaines claires, parce que si c’était un endroit classique où le programme était connu et les procédures classiques adaptées, il n’y aurait pas besoin d’un concours comme Europan. Si la ville n’a pas trop d’idées préconçues, elle est ouverte à des propositions très innovantes qui bousculent les idées plus qu’ailleurs. C’est le seul concours où l’on peut gagner en disant que la question était mal posée, voilà comment il fallait la poser, et voilà ma réponse à une question mieux posée.

Dans E16, les équipes ont montré une tendance générale à élargir le site de réflexion, à aller chercher des territoires au-delà de périmètres rouges, afin de clarifier leurs intentions sur le site de projet. Les candidats ont redécouvert les forces vives de la ville, ancrées sur son territoire, avec des racines, si je puis dire, qui iraient plus loin. On dit aux équipes E17, servezvous de toutes les couches de l’histoire, la commande doit aussi être enrichie par le vivant.

Pour comprendre cet élargissement de l’étude, l’idée de système est pour moi déterminante, c’est-à-dire qu’il faut une vision globale. Ce n’est pas un problème partiel qu’on leur demande de régler. Ils doivent plonger la commande dans des espaces plus larges. On a besoin de gérer les effets d’interrelations. Si par exemple, on transforme, comme on le verra, un ancien hôpital, cela va créer une onde de choc sur le quartier, puis sur la ville. Il faut regarder cette onde de choc sur l’ensemble, et s’il le faut, aller engager des traitements ponctuels dans cet écosystème altéré.

L’étude peut aussi s’élargir par l’interdisciplinarité. Et là, il y a quelque chose qui est apparu et qui me paraît capital, c’est le tripode : architecte, urbaniste, paysagiste. Ce ne sont plus trois disciplines qui s’additionnent, et dans lesquelles chacun se limite à son titre. Il faut qu’elles forment un système. C’est l’idée d’osmose entre ces métiers, il demeure une porosité. Bien entendu d’autres disciplines sont bienvenues pour éclairer le thème des Villes vivantes comme l’écologie, les sciences naturelles et humaines.

Nous disons aux candidats d’E17 : ne vous enfermez pas dans une seule problématique. On attend de vous que vous trouviez une solution équilibrée sur le territoire.

Cela ne pousse-t-il pas à des réponses toujours plus générales, toujours plus larges ?

AM Ce n’est pas tout à fait ça. Il faut ajouter l’idée de complémentarité et de la spatialisation architecturale. On ne peut pas tout traiter dans un concours avec ses délais courts, et ses trois planches de rendu. Ce n’est pas contradictoire avec la vision globale. Il est intéressant de voir des projets qui ont une vision de l’écosystème mais qui l’abordent par un biais qui pourra être complémentaire avec d’autres projets.

Et puis, cela fait sens au niveau des trois projets sélectionnés pour les suites du concours. Le jury s’intéresse aussi à la complémentarité. Par exemple, les trois équipes de Quimper se sont mises d’accord pour travailler ensemble après le concours sous l’impulsion de la collectivité territoriale.

De plus, cette capacité à faire, attendue des candidats, ne doit pas être qu’une réponse urbanistique, ou de métabolisme générique. On attend aussi des candidats un projet d’architecture. Il est important de rappeler le sous-titre du thème qui invite à ré-imaginer des architectures en prenant soin des milieux habités. L’architecture s’entend en un sens très large et ne se borne pas seulement à de la construction neuve, il peut être question d’espaces extérieurs, d’espaces publics, de transformations du patrimoine bâti.