ECHOES - DiARTgonale special edition #2

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Stepfaan Dheedene

Reconstruction, une invitation à l’erreur

Ce texte décrit les événements qui ont précédé la prise d’une photographie. C’était en 2002, au début du mois de septembre. A l’époque, j’habitais au Cameroun depuis plus d’un an. Kim, ma copine, séjournait comme chercheuse à Njombé. Nous avions fait le trajet ensemble jusqu'à Douala, parce que je devais y prendre un avion pour rentrer en Begique monter ma première exposition solo. Cette exposition était prévue au Netwerk Center for Contemporary Art d’Aalst qui m’avait donné la possibilité d’inviter un autre artiste à présenter une installation vidéo, parallèlement à ma propre exposition. J’avais décidé d’inviter le camerounais Goddy Leye, alors en résidence à la Rijksakademie d’Amsterdam. J’avais réservé mon vol avec Brussels Airlines qui, à l’époque, était encore une toute jeune compagnie aérienne, utilisant le réseau de feue la Sabena. Il y avait, comme d’habitude, foule à l’aéroport. J’étais à l’heure, comme l’étaient mes compagnons de voyage. Je dis au revoir à Kim et me mis dans la queue pour procéder à l'enregistrement. Il y avait trois bureaux encore inoccupés, destinés à l’accueil du nombre important de passagers qui devaient embarquer sur ce vol. Les files de passagers ne cessaient de croître, et l’enregistrement allait commencer de façon imminente. Nombreux étaient ceux au comble de l'excitation car c’était là le dernier obstacle avant le grand voyage. D’immenses monticules de bagages s’amoncelaient dans le hall et la pensée de l’air conditionné qui nous attendait dans l’avion rendait la chaleur étouffante encore plus insupportable. Je ne reconnaissais personne parmi mes compagnons de voyage qui s’éventaient avec leurs passeports et leurs billets d’avion. Comme l’heure du départ se rapprochait et que les comptoirs d’enregistrements restaient vides, l’agitation se fit sentir de plus en plus et les trois files se changèrent bientôt en un fouillis de personnes et bagages. Nous attendions à tout moment l’annonce d’un retard. Le vol était en provenance de Kinshasa et apparemment, l’appareil n’avait pas encore fait escale.

A l’heure initialement prévue pour le départ, une solution sembla être à portée de main. Une jeune femme en uniforme Brussels Airlines vint se placer derrière l’un des comptoirs pour prononcer le nom de quelques passagers qui furent invités à se rendre au bureau de la compagnie aérienne. Je reconnus mon nom et me rendis comme demandé, non sans émoi, auprès d'eux. D’emblée et avec assurance, on s’adressa à moi en néerlandais, ma langue maternelle : « M. Dheedene, le vol que vous avez réservé pour Bruxelles a été surbooké à Kinshasa suite à une erreur du système informatique. L’avion va atterrir à Douala sous peu et nous voudrions vous offrir, ainsi qu’à quelques autres passagers, la possibilité de voyager dans les quelques sièges encore libres en classe business. » Je fus surpris d’avoir été choisi avec quelques autres Européens de sexe masculin. J’hésitai un peu mais finis par décliner la proposition. Mes compagnons de fortune saisirent, eux, l’aubaine et furent discrètement dirigés vers la zone de transit. Je demandai à être ramené auprès des passagers qui attendaient, lesquels furent aussitôt après informés de la surréservation du vol. En compensation, Brussels Airlines nous offrit une nuitée au grand Hotel Arcade Tropical ainsi qu’une indemnité de 10 000 CFA pour nos dépenses. On nous informa également que nous pourrions embarquer sur un autre vol le lendemain. Après de longues procédures administratives, une navette nous conduisit à l’hôtel. On m'attribua une chambre au 4e étage, avec vue sur l’Avenue du Général De Gaulle. Juste en-dessous de ma fenêtre, je pouvais voir le toit d’une station-service. L’enseigne Texaco était tombée sur le toit et s’était disloquée. Elle formait le mot « exact ». Je scrutais le toit à la recherche de la lettre « o »... en vain. Cette vision était à la fois unique et effrayante. Je pris une photo avec mon appareil. Celle-ci servit de point de départ à une sculpture.

Stefaan Dheedene, 2013

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