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La gestion des terres excavées

Qu’il s’agisse de construction, de rénovation ou encore de travaux d’infrastructure, nos entrepreneurs sont quotidiennement concernés par les terres excavées sur chantier. Leur bonne gestion est essentielle pour garantir le respect des normes environnementales et la sécurité des sites. En effet, les travaux de construction génèrent des tonnes et des tonnes de terres qui doivent être traitées ou encore déplacées dans des conditions strictes. Cela représente souvent un défi logistique et économique pour nos entreprises. Selon les régions, différentes législations existent pour encadrer ce transport de terres. Ce dossier vous les explique. Vous pourrez également y lire comment certains de nos affiliés gèrent cette thématique dans leur travail quotidien.

Walterre et Grondbank au cœur du suivi et de la traçabilité des terres

La gestion du suivi et de la traçabilité des terres excavées est confiée à l’asbl Walterre en Wallonie. En Flandre, c’est l’asbl Grondbank qui s’en occupe. Dans le cadre de ce dossier, nous avons réuni Isabelle Laurent, la directrice générale de Walterre et Andy Heurckmans, le directeur général de la Grondbank pour nous expliquer les enjeux liés à cette thématique. Entretien.

Pouvez-vous tout d’abord nous présenter vos organismes respectifs ?

Isabelle Laurent : L’asbl Walterre, reconnue par le Gouvernement wallon le 18 mars 2019, est un organisme impartial chargé de contrôler la correcte application de l’Arrêté du Gouvernement wallon (AGW) du 5 juillet 2018 sur la gestion et la traçabilité des terres excavées. Au-delà de la promotion de l’économie circulaire et de la préservation de notre environnement, l’objectif de cet AGW était d’offrir aux acteurs concernés un encadrement juridique adéquat pour la gestion de ces terres.

Nos principales missions sont fixées dans cet AGW : la certification du contrôle de la qualité des terres, la traçabilité des terres, l’accompagnement et la formation et l’organisation de sessions d’information à destination des utilisateurs, dont des entrepreneurs.

L’asbl joue un rôle essentiel et constitue le point de rencontre entre les citoyens, les entreprises, les administrations, les pouvoirs locaux, et tous les autres acteurs en lien avec le sujet. Nous mettons à disposition une plateforme en ligne ainsi que les ressources relatives à l’AGW Terres pour faciliter la gestion complète des opérations relatives aux terres excavées.

Les derniers chiffres disponibles remontent à 2023. Cette année-là, 7,9 millions de m³ de terres ont été certifiés et 5,3 millions ont été transportés dont 3,6 millions ont été évacués vers des sites récepteurs.

Nous n’effectuons pas de contrôle, mais nous certifions les contrôles de qualité de terres effectués par des bureaux d’études, des experts sol, mandatés par les maîtres d’ouvrage.
Isabelle Laurent, la directrice générale de Walterre.

Andy Heurckmans : Grondbank, c’est l’organisation de gestion des terres pour le suivi et la traçabilité des mouvements de terre en Région flamande. De plus, nous sommes aussi responsables du suivi d’environ 270 centres de stockage intermédiaires et de centres de traitement des terres et de traitement des boues. Et ce, afin de traiter les terres et les boues de dragage et de les renvoyer ensuite sur le marché. Grondbank soutient la réutilisation écologiquement responsable des matériaux des terres. Nous jouons donc un rôle crucial dans l’économie circulaire, et plus précisément sur la réintroduction des matériaux de terres excavées ou draguées.

Nous constituons le maillon entre toutes les parties prenantes (entreprises de dragage, entrepreneurs, bureaux d'études…) concernées par les travaux de construction, d’infrastructure et de dragage. Nous représentons également le secteur. Les organes de gestion sont composés d’une représentation d’Embuild, d’ORI (l’organisation des bureaux de conseils et d'ingénierie) et de Vlawebo (les constructeurs de voiries flamands). Grâce à cette large représentation, nous restons attentifs au secteur. En ce moment, nous traçons entre 15 et 20 millions de m³ de terres (dont les boues de dragage) et nous comptons entre-temps 25 collaborateurs. Environ 3.200 entreprises sont affiliées chez nous (dont 1.400 entrepreneurs et 1.400 transporteurs). Nous livrons de 5.000 à 6.000 déclarations de conformité et environ 9.000 autorisations de terrassement par an.

L’idée originale, lors de la création de Grondbank, était que nous jouions également un rôle dans l'adéquation entre l'offre et la demande de terres. Grâce à nos données, nous avons une vue d'ensemble sur l'offre et la demande, mais réunir les parties qui ont trop de terrain et celles qui en ont besoin est en grande partie une affaire commerciale, et nous ne voyons pas de rôle actif pour nous dans ce domaine.

Grâce à notre système de traçabilité, les entreprises savent sur quels sols elles travaillent. Avant, elles ne le savaient pas. Ce système leur évite donc de prendre le risque de polluer.
Andy Heurckmans, le directeur général de la Grondbank.
Quelle est la plus-value de Walterre et Grondbank ?

I.L. : L’asbl donne la garantie que la bonne terre a été valorisée au bon endroit. C’est une sécurité juridique qui n’existait pas avant l’entrée en vigueur de l’AGW. Cette sécurité devenait indispensable.

A.H. : Le fonctionnement de Grondbank est fixé par le Décret sur les sols flamands, dont la première version a été publiée en 1995. L’asbl Grondbank a été fondée peu après (en 1996), et en 2002, le Gouvernement flamand l’a officiellement reconnue « organisation de gestion des sols ».

À sa création, Grondbank avait pour objectif principal d'éviter la poursuite de la pollution des sols. Le gouvernement voulait parvenir à un « standstill » dans ce domaine.

La création de Grondbank devait dès lors proposer une solution à la problématique de la responsabilité. Le principe de base est celui du « pollueur-payeur ». Quid si le propriétaire se plaint de la pollution provoquée par les terres transportées ? Les entreprises de terrassement se trouvent dans une position très vulnérable car ce sont elles qui, en fin de compte, ont apporté les terres. Grâce à notre système de traçabilité, les entreprises savent sur quels sols elles travaillent. Avant, elles ne le savaient pas. Ce système leur évite donc de prendre le risque de polluer.

Enfin, l'élaboration d'un système de traçabilité est également liée au fait qu'à l'époque, il subsistait encore une certaine méfiance quand on recevait des terres. Notre système a permis de garantir la transparence et donc de rétablir la confiance dans l'industrie du terrassement.

Comment fonctionne le contrôle de qualité ?

A.H. : Le processus commence par la préparation d'un rapport technique par un expert en assainissement des sols. Le contrôle de ce rapport par Grondbank donne ensuite lieu à une déclaration de conformité. Ensuite, au fur et à mesure de l'avancement des travaux, l'entrepreneur demandera à Grondbank des permis de terrassement : sa question sera de savoir s'il est autorisé à transporter des matériaux de sols d'une certaine qualité vers une certaine destination. En effet, les matériaux de sols fournis doivent être compatibles avec l'utilisation prévue à cet endroit. Et dès que le volume final de matériaux de sols pour un projet est connu, Grondbank émet un rapport de gestion du sol destiné au propriétaire du sol, ainsi qu’au maître d’ouvrage et à l’entrepreneur, que l’entrepreneur doit remettre.

Le suivi est administratif (avec le rapport technique, le permis de terrassement et le rapport de gestion des sols) mais s'accompagne en même temps d'un suivi efficace sur le terrain, avec des inspections des centres de traitement des terres, des centres de traitement des boues, du traitement des terres, ainsi que des chantiers.

I.L. : Je précise, et c’est important, que nous n’effectuons pas de contrôle, mais nous certifions les contrôles de qualité de terres effectués par des bureaux d’études, des experts sol, mandatés par les maîtres d’ouvrage. Ces bureaux nous envoient le rapport de qualité des terres (RQT). Une fois ce rapport certifié, Walterre délivre un certificat de contrôle de la qualité des terres (CCQT) aux maîtres d’ouvrage. C’est le maître d’ouvrage qui est responsable de cette première partie.

Dans la seconde partie, une fois en possession du CCQT via le maître d’ouvrage, l’entrepreneur gère la traçabilité des terres excavées et doit, lui-même, trouver un site récepteur. Il doit pour cela introduire sur la plateforme une notification de mouvement de terre (NMT) et suite à cette notification, il reçoit un document de transport (DT) de la part de nos services. En fin de processus, la personne responsable du déplacement des terres doit notifier le volume réellement déplacé via une notification de réception (NR). Une fois ce volume également notifié par les sites de valorisation, un accusé de réception (AR) est délivré par l’asbl Walterre.

Que faites-vous pour réduire les formalités et la surcharge administrative ? Quel est le rôle de la numérisation dans cet objectif ?

I.L. : Nous sommes limités dans nos actions, car la plupart des exigences au niveau des documents viennent de la législation. Pour une modification éventuelle de cette réglementation, nous dépendons de l’administration. Malgré ce contexte, nous travaillons afin de rendre plus opérationnel l’espace utilisateur sur notre plateforme. Nous sommes conscients que nous devons rendre l’outil informatique plus « user riendly ». Nous avons également le projet de revoir le module de notification de réception.

A.H. : Au départ, nos caves et nos greniers étaient remplis de dossiers, mais aujourd'hui, les flux administratifs sont entièrement numérisés. Les demandes, comme les envois de documents, passent par le biais d'une plateforme numérique créée sur mesure pour Grondbank. D'autres étapes numériques nous permettront de rendre notre système encore plus concluant et de contrôler un plus grand nombre de données.

Le bon de réception existe encore en général sur papier, mais ce document sera, lui aussi, progressivement numérisé. En attendant, les grandes entreprises de transport le font déjà. Un autre problème est que ces entreprises travaillent avec des systèmes numériques différents. Il est nécessaire de mettre en place un système plus standardisé dans ce domaine, qui soutient l’échange des données.

La construction entame une numérisation extrêmement rapide. L'échange de données entre Grondbank et les entreprises de construction augmentera en conséquence. Celles-ci sont d'ores et déjà intéressées par la collecte de données auprès de Grondbank. Pour cet échange, nous utiliserons des API (ou « application programming interfaces », interfaces de programmation d'applications). Ces API nous permettent, par exemple, de faire figurer toutes les données nécessaires sur le bon de réception numérique.

Dans quelle mesure Walterre et Grondbank collaborent-elles ?

A.H. : Lors de la création de Walterre, Grondbank a aidé à mettre en place la plateforme numérique de Walterre et, aujourd'hui encore, Grondbank et Walterre échangent régulièrement leur savoir-faire. En fin de compte, Grondbank et Walterre travaillent selon un système et une plateforme ayant le même ADN. Mais les normes concernant la réutilisation diffèrent selon la région, car celles-ci sont fixées par les autorités régionales. Mais il y a une bonne collaboration entre nous.

I.L. : Pour créer notre plateforme, nous sommes partis de celle qui existait déjà du côté de la Grondbank. Les deux législations sur lesquelles nous nous basons dans notre travail quotidien sont complètement différentes, ce qui entraînera toujours des différences dans notre gestion respective. Mais cela ne nous empêche pas de nous rencontrer régulièrement pour le développement de l’outil informatique qui peut intéresser les deux organismes.

Comment Walterre et Grondbank traitentelles la question des PFAS et des autres polluants ?

I.L. : Nous dépendons de la position de l’administration sur le sujet des PFAS, nous ne faisons qu’appliquer les instructions administratives. Ici aussi, il existe une différence entre les deux Régions. En effet, on traite les PFAS différemment en Flandre et en Wallonie. En Région flamande, ils font analyser tous les sites. En Région wallonne, uniquement les parcelles où il y a eu une activité à risques dans le passé. Dans tous les cas, la dépollution des sites est toujours de la responsabilité du maître d’ouvrage. Selon une étude européenne, gérer la problématique des PFAS coûterait 2.000 milliards en Europe.

Pour les autres polluants, on va sûrement encore en découvrir d’autres. Cependant, seules des études scientifiques peuvent mettre en exergue des conséquences éventuelles sur la santé.

A.H. : Heureusement, lorsque le problème des PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) a éclaté, nous disposions déjà d'un système de traçabilité entièrement numérisé et bien organisé. Nous avions donc une base solide sur laquelle nous appuyer. En quelques mois, nous avons pu adapter notre système et intégrer les paramètres PFAS. Cela dit, nous attendons toujours avec impatience un cadre normatif officiel pour les PFAS. Il nous apporterait clarté et stabilité. Il n’y aurait donc plus place à l’interprétation. Les entrepreneurs y sont également favorables.

Notre expérience avec les PFAS a montré que notre système de suivi est très souple. Ainsi, nous pourrons en profiter au cas où il faudrait analyser d’autres substances préoccupantes. Il est positif que même le gouvernement flamand ne veuille plus être pris par surprise. Il se penche actuellement sur les « contaminants émergents ».

Comment envisagez-vous l’évolution de votre organisation ?

I.L. : À terme, je pense que nous ne pourrons plus parler de terres sans parler des déchets de construction. Les deux sont très liés et le tout forme une globalité. Les recherches et les processus opérationnels récemment développés au sein des installations autorisées démontrent des processus de recyclage de plus en plus pointus tant en ce qui concerne les terres, que les terres en mélanges, que les déchets de construction. Il faudra dès lors s’orienter vers une approche intégrale de la traçabilité.

Actuellement, en Wallonie, ces matières sont trop scindées et gérées par deux administrations différentes. Aussi, en Région wallonne, la terre est un déchet, ce n’est pas le cas en Flandre. Ensemble, nous devons trouver des pistes pour valoriser et recycler ces déchets afin de promouvoir encore davantage l’économie circulaire.

En ce qui concerne l’extension de nos activités, on parle des boues de dragage, comme les traite la Grondbank. Mais pour l’instant, ce n’est pas, à ma connaissance, la priorité du Gouvernement wallon.

A.H. : Grondbank a accumulé plus de 20 ans d'expérience en matière de contamination (chimique) du sol. Mais le sol a aussi une grande valeur biologique et l'attention qu'on lui porte est de plus en plus grande. Cet objectif va au-delà de la prévention des nouvelles pollutions. Il s'agit ensuite d'utiliser les matériaux du sol de manière optimale afin de remplir au mieux les services écosystémiques de la destination (logement, loisirs, aménagement de parcs, etc.). Cette évolution découle notamment du processus de dragage, de la biodiversité ainsi que de la capacité de captage du carbone du sol, etc.

Avec l’augmentation de larges périodes de précipitations et d’humidité, la capacité d'infiltration et de captation du sol fait l'objet d'une attention croissante. Ensuite, les entrepreneurs doivent veiller à ne pas compacter le sol avec leurs engins de chantier au point que l'infiltration ne soit plus possible, que les installations d’infiltration ne puissent plus fonctionner correctement et que les entrepreneurs durables ne puissent plus planter de végétation biodiversifiée. Un sol sain et non compacté a également une plus grande capacité à stocker le CO2 . L'attention portée à l'entretien des sols va donc augmenter et Grondbank espère jouer un rôle dans ce domaine grâce à son expertise des sols.

L’ARRÊTÉ « BRUDALEX 3.0 » ENTRERA EN VIGUEUR LE 1ER AOÛT 2025 À BRUXELLES

En Région bruxelloise, la gestion des terres excavées est actuellement régulée par le « Code de bonnes pratiques relatif à l’utilisation de terres de déblai et de granulats dans ou sur le sol », synthétisant les exigences applicables de la réglementation sur le permis d’environnement, les déchets et les sols. Ce code, n’offrant pas toutes les garanties de traçabilité et toute la sécurité juridique souhaitée, est amené en 2025 à être remplacé par un nouvel arrêté dit « Brudalex 3.0 », qui régulera la gestion des terres excavées et granulats recyclés. Ce texte visera notamment à instaurer la traçabilité des terres via l’introduction d’organismes de gestion. Le suivi des terres excavées devra être rapporté à l’organisme de gestion à chaque étape depuis leur caractérisation technique, en passant par leur autorisation de transport jusqu’à leur utilisation dans ou sur le sol afin que celles-ci puissent obtenir la sortie du statut de déchet.

L’arrêté Brudalex 3.0 instaure le cadre normatif des terres en s’alignant sur les normes déjà en vigueur dans le code de bonne pratique actuel. La traçabilité des terres s’aligne globalement sur le système en cours en Flandre. Ceci permettra de faciliter la réutilisation des terres et leur circulation entre Régions, simplifiant ainsi l’utilisation de ces terres.

En plus de la gestion des terres excavées, Brudalex 3.0 introduira un nouveau cadre réglementaire concernant la production, la traçabilité et l’utilisation des granulats recyclés afin d’encourager la circularité de ces matériaux.

L’arrêté Brudalex 3.0 a été publié ce 13 février 2025, avec une entrée en vigueur progressive commençant le premier jour du sixième mois suivant sa publication, c’est-à-dire dès le 1er août 2025. Les premiers organismes de gestion obtiendront leur enregistrement dans les 13 mois suivant l’entrée en vigueur, c’est-à-dire le 1er septembre 2026 au plus tard. Et finalement, la procédure de traçabilité entrera pleinement en vigueur dans les 2 ans et demi suivant la publication de l’arrêté, c’est-à-dire le 13 août 2027.

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