La Decroissance - Nicholas Georgescu-Roegen -- Clan9 --

Page 139

Nicholas Georgescu-Roegen, La décroissance (1979), 2e édition, 1995 139

noménale entre la matière et l'énergie, il n'y aurait aucune raison de distinguer les systèmes clos et les systèmes ouverts 1. L'observation que l'énergie pure peut se transformer en masse n'apporte rien au dogme énergétique. Certes, un photon peut donner naissance à des particules ayant une masse. Mais ces particules paissent toujours en paires parfaitement symétriques et antagonistes : chaque paire consiste en une particule de matière (comme celle qui nous entoure) et une particule du même type d'antimatière. Les deux se détruisent réciproquement immédiatement après leur émergence. En outre, pour que des photons donnent naissance sur une grande échelle aux paires de protons et d'antiprotons, il faut une température supérieure à celle qui existe aujourd'hui dans les plus chaudes étoiles (Weinberg, 1978). Dans une telle circonstance tout se réduit au plasma où les objets matériels ne peuvent pas exister; il n'y a donc pas moyen d'obtenir du travail mécanique non plus. Imaginons-nous maintenant qu'un collier se casse et que ses perles se répandent par terre dans une chambre. On pourra certainement les ramasser toutes dans un laps de temps relativement court si on est suffisamment patient. Mais si le collier se casse quelque part dans Paris au cours d'une visite de la ville, la même opération avoisine l'impossible. Non seulement cela prendrait un temps quasi infini, mais en plus, d'autres objets sans nombre devraient être utilisés à cet effet et ceux-ci s'useront à leur tour et, par conséquent, devront être reconstitués si l'on veut que le recyclage soit complet. Nous nous trouvons ainsi en face d'une régression sans fin de même nature que celle qui dans la thermodynamique traditionnelle est opposée à la réversibilité totale d'un système d'énergie réel. A ce propos, on doit observer que l'infinité du temps est étroitement associée à la fondation de cette thermodynamique où l'on suppose que tous les mouvements se font avec une vitesse infiniment lente afin que tous les effets de la friction soient éliminés. Un mouvement donné, aussi petit soit-il, prend donc un temps infini. Le seul but des dernières remarques est d'élucider un aspect important du problème. Comme on le sait parfaitement de nos jours, nous n'avons pas le droit d'extrapoler du macrocosme au microcosme, ni dans le sens inverse. Il peut y avoir d'autres moyens de reconstituer un objet usé que celui considéré dans la fable du collier cassé. En effet on trouve un tel moyen dans la littérature traditionnelle: c'est, la boîte dé réaction conçue par J.H. Van't Hoff (le premier Prix Nobel en chimie).

1

Il existe une asymétrie même entre la masse et l'énergie, car s'il n'y avait aucune différence entre ces deux concepts, il n'y aurait aucune raison pour les distinguer dans le vocabulaire scientifique. Avec un choix convenable d'unités, l'équivalence d'Einstein pourrait s'écrire E = m. Pourtant, il serait absurde d'en conclure l'identité de l'énergie et de la masse.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.