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Le plaidoyer parmi les enseignants est essentiel pour engendrer un environnement sûr pour l’apprentissage de tous et toutes

Tshwanelo Mmutlana

NAPTOSA

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(Organisation nationale professionnelle des enseignant.es d’Afrique du Sud)

« Comment se fait-il que la VGMS n’ait pas encore été arrêtée, jugée, déclarée coupable et emprisonnée pour ses crimes contre l’humanité ? » Je me le demande. « Comment est-il possible que la VGMS puisse être présente au point d’empoisonner la vie de tant de personnes, de jeunes et, plus particulièrement, de jeunes enfants ? » On laisse ce ver se nourrir pour grandir et faire des établissements scolaires des lieux d’apprentissage et d’enseignement dangereux.

La VGMS était un gladiateur qui avait remporté beaucoup de victoires et était avide d’en remporter d’autres. Il s’agissait clairement d’une question de vie ou de mort. Existait-il des guerriers intrépides, des âmes courageuses connaissant ce fléau pour défier ce Goliath ? L’histoire de David et Goliath n’a-t-elle donc inspiré personne pour prendre position et broyer la tête de ce ver géant ?

Être appelée à devenir une agente de changement en matière de VGMS n’était pas quelque chose que j’avais sollicité. En tant qu’employée locale du syndicat, je n’avais pas d’autre choix que de devenir la championne de l’initiative sur la VGMS au sein de notre syndicat. Ma tâche consistait à coordonner les activités du syndicat et à préparer les comptes rendus. J’étais loin de me douter que, moi aussi, je serais personnellement touchée par cette initiative.

Ma première activité a consisté à organiser un atelier national « Hearing our Stories » (« Entendre nos histoires ») pour un groupe spécifique de membres du syndicat, plus particulièrement de jeunes dirigeants. Bon nombre, y compris moimême, étaient curieux de savoir en quoi consistait cet atelier. À la fin de la séance, je me suis aperçue combien il était important d’entendre les récits des membres du syndicat. De toute évidence, il y avait beaucoup d’histoires sur la VGMS et, dans de nombreux cas, pas de mesure ni de recours possibles pour les victimes.

Nous n’avons pas reçu d’ordre du jour spécial à suivre mais nous avons été mandatés pour élaborer un programme visant à éliminer la VGMS. Je me suis rapidement rendu compte que l’approche centrée sur le partage des histoires était la meilleure.

Tout d’abord, il faut identifier un problème spécifique avant d’essayer de le résoudre. Effectivement, la recherche existe, mais l’histoire a démontré que les victimes et les auteurs d’exactions doivent disposer d’une plateforme où prendre la parole. En me déplaçant d’une province à une autre, en participant à une rencontre ou une autre, j’ai entendu beaucoup d’histoires de VGMS.

Tous les récits sur la VGMS que j’ai entendus étaient aussi importants et douloureux les uns que les autres. Mais une jeune adolescente, Siba, venue du petit village de Kamanyazane dans la province de Mpumalanga, a raconté une histoire que je n’oublierai jamais.

L’organisation de cet atelier « Hearing our Stories » (« Entendre nos histoires ») a été motivée avant tout par un article que j’avais lu en ligne concernant le taux élevé de grossesses d’adolescentes dans cette province.

Cela s’est passé un matin comme tous les autres. Je ne peux dire s’il faisait chaud ou froid, ni ce que j’avais pris au petit-déjeuner. Tout ce dont je me souviens est que j’étais en train de fouiller dans des coupures de journaux lorsque mon regard s’est porté sur un gros titre choquant au sujet des grossesses d’adolescentes dans la province de Mpumalanga. En une année, quelques 5 000 jeunes adolescentes avaient donné naissance à des enfants. Cet article indiquait que le pourcentage avait augmenté de 87 % en une seule année.

J’ai donc appelé une collègue à Mpumalanga pour lui parler de cette information bouleversante. J’étais très perturbée par la lecture de cet article et me demandais s’il était possible de bénéficier d’un enseignement et d’un apprentissage de qualité dans ces conditions. Dans quelle mesure la VGMS contribuait-elle au

taux élevé de grossesses chez les adolescentes ? Que deviendraient plus tard ces mères adolescentes et leurs enfants ? Comment peut-on assurer l’avenir de ces fillettes si l’on laisse ces actes se produire ? J’ai tout de suite compris qu’il incombait aux communautés touchées par ce fléau de changer le cours des choses.

L’atelier où Siba a raconté les VGMS qu’elle avait subies a eu lieu le 16 juin. Vous voyez, le 16 juin est la fête de la jeunesse, on célèbre ce jour tous les ans. Cependant, à mesure que j’écoutais Siba raconter son histoire, je me suis aperçue qu’elle n’avait vraiment pas grand-chose à fêter. Il était évident, en regardant les larmes couler le long de ses joues, que Siba portait toujours le deuil du décès inopiné de sa meilleure amie, Nandi.

Je me rappelle très bien avoir vu Siba respirer profondément, soupirer fortement et demeurer silencieuse comme si elle cherchait à se ressaisir avant d’entamer le récit de son histoire. Son lourd soupir a été suivi d’un silence assourdissant. Dans la salle se trouvaient des adolescents et des adolescentes camarades de classe, parents, membres de l’organe dirigeant d’établissements scolaires, un représentant du ministère de l’Éducation et des professeurs. Siba a secoué la tête comme pour dire, j’ai changé d’avis, je ne veux plus parler, je n’en ai pas la force, cela vous est égal, ce que j’ai à dire ne changera rien. Je me suis penchée et l’ai regardée dans les yeux. Mon regard lui disait qu’elle se trouvait dans un endroit où elle pouvait parler en toute sécurité. J’espérais que ma supplication tacite lui donnerait le courage de prendre la parole.

Siba nous a alors raconté comment, adolescente, son amie Nandi et son enfant à naître avaient été battus à mort dans les toilettes de l’école. Nandi a été frappée à mort par les copains de son petit ami parce qu’elle refusait de mettre un terme à sa grossesse. Sa courte vie a pris fin dans l’institution qui était supposée lui procurer un avenir. Ses camarades d’école ont été responsables de sa disparition. Son lâche de petit ami avait demandé à ses copains de le tirer de cette situation. On pense que c’est le fœtus qui était la cible et je suppose que Nandi n’a été qu’un dégât collatéral. On l’a enterrée et la vie a continué à l’école comme d’habitude. Les assassins pouvaient sans complexe arpenter à leur guise les couloirs de l’école. L’absence de conséquence ne faisait que nourrir le ver géant qui terrorisait Siba. Sa meilleure amie avait disparu et tout le monde s’en moquait.

Siba s’est arrêtée au milieu de son histoire et sanglotait amèrement. Dans la salle, tout le monde était immobile, comme pétrifié par sa douleur et le récit

entendu. Je me suis approchée rapidement de Siba et l’ai prise dans mes bras. J’ai demandé aux membres de la communauté présents de la prendre dans leurs bras, je savais qu’elle avait besoin de leur soutien plus que du mien. J’allais partir, mais il fallait que la vie continue pour eux et qu’il fallait trouver un moyen de rendre une justice bien méritée à sa meilleure amie et à son enfant.

Cette communauté traversait une grave crise. J’ai quitté Kamanyazane dans l’espoir d’avoir inspiré cette communauté et de l’avoir suffisamment secouée pour qu’elle se mobilise contre la VGMS. Pour qu’elle remue ciel et terre jusqu’à ce que justice soit rendue à Nandi et que les couloirs et les toilettes soient sûrs pour tous les élèves. Il était clair que les élèves, les enseignants, les enseignantes, les parents, les directions des établissements et les services de l’éducation de la communauté de Kamanyazane avaient besoin de tous s’unir pour trouver les solutions au problème des taux élevés de grossesses chez les adolescentes et de la violence à l’école. Il fallait que la communauté de Kamanyazane trouve des espaces sûrs pour apporter un soutien social aux jeunes parents adolescents lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés.

Mon parcours d’agente du changement en matière de VGMS s’est poursuivi. Notre équipe tirait parti de tous les rassemblements de professeurs pour aborder la VGMS. Nous avons utilisé la presse écrite et la radio pour toucher les membres du syndicat et la communauté. Les enseignants et les enseignantes respectables ne consentaient plus à supporter la dégradation de notre noble profession.

Le plaidoyer parmi les enseignants restitue sa dignité à la profession enseignante et engendre un environnement sûr pour l’apprentissage de tous et toutes. Mon parcours d’agente du changement m’a fait retourner dans ma communauté dans la province du Nord-Ouest, où j’avais passé mon adolescence et fait mes études. Après mon exposé, certains de mes anciens enseignants qui se trouvaient dans la salle sont venus m’accueillir. Je me suis alors rendu compte que le destin m’avait fait rencontrer dans mon ancienne école des professeurs qui pourraient peutêtre devenir militant.es de la cause anti-VGMS.

Voir ces anciens professeurs a suscité en moi des sentiments mitigés à l’égard de ma scolarité. Si j’avais été enchantée de devenir lycéenne, je n’avais pas prévu que je serais confrontée au monstrueux ver de la VGMS. À cette époque, dans mon école et dans la communauté, il était normal que les professeurs aient des relations sexuelles avec des élèves. Certaines de ces relations s’étaient d’ailleurs terminées en mariage. Jeune fille, je n’avais jamais pu prendre mon courage à deux mains pour dénoncer ce qui me semblait fondamentalement mal.

Dans le dortoir du foyer, j’entendais beaucoup parler de jeunes filles dont les premières relations sexuelles avaient eu lieu avec un enseignant. Je savais que c’était mal. Je ne me sentais pas en sécurité et je respectais moins mes professeurs. Je leur faisais moins confiance. Ces auteurs de crimes de VGMS se trouvaient en situation de pouvoir. Ils abusaient sexuellement de jeunes filles et violaient la confiance que les parents leur accordaient. Personne ne condamnait les relations sexuelles entre enseignants et élèves ni ne tenait pour responsables les auteurs de ces crimes. Si je parlais pour condamner ces actes, personne ne m’écouterait. Le manque d’action de la part de ceux qui avaient le pouvoir ne faisait pas que normaliser la VGMS mais étouffait aussi la voix des militants et de ceux qui étaient convaincus qu’il était nécessaire de lutter contre la VGMS.

Je savais qu’il n’était plus possible de garder le silence et que j’avais désormais une occasion de prendre la parole contre ces pratiques. Depuis l’estrade, je voyais des âmes opprimées qui connaissaient mon opinion selon laquelle la VGMS était un acte immoral, et la partageaient. Libérées des chaînes de l’obscurantisme, elles pouvaient maintenant se joindre à moi pour la condamner. Ces réunions étaient devenues des espaces de déclenchement du changement. Des agents du changement contre le fléau de la VGMS étaient nés. La condamnation au silence à perpétuité avait enfin été levée.

Mes dirigeants syndicaux ont rejoint l’équipe de plaidoyer contre la VGMS. J’avais espéré que si les leaders syndicaux dénonçaient la VGMS, cela dissuaderait les enseignants coupables de ces actes de continuer à abuser des élèves. J’ai été comblée par l’appui que nous avons reçu de la part des dirigeants syndicaux. Ils étaient devenus des porte-paroles de l’initiative contre la VGMS.

Et cette initiative m’avait aidée à retrouver à nouveau ma voix. Cet espace d’apprentissage m’avait aidée, ainsi qu’à d’autres collègues, à rejeter les actes qui visent à déshumaniser autrui. J’espère que, à mesure que je continue à faire du plaidoyer contre la VGMS, je déclencherai parmi beaucoup d’autres militants et militantes l’envie de trouver leur voix. Je suis convaincue que quand les voix des militants et des militantes seront vraiment unies, le cercle vicieux de la VGMS sera brisé et nous en serons libérés.

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