Extrait Les roses au naturel - Éditions Ulmer

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Eléonore Cruse LES

ROSES

AU NATUREL Secrets d’une rosiériste passionnée


SOMMAIRE Chapitre 1

LE CHEMINEMENT  9 Chapitre 2

DE FIL EN AIGUILLON  39 Chapitre 3

HISTOIRE DE LA ROSE CULTIVÉE  53 Chapitre 4

NAISSANCE DE LA ROSERAIE DE BERTY  59 Chapitre 5

LETTRE OUVERTE À MES VISITEURS  77 PÉPINIÈRE ET JARDIN  92 MES CONSEILS POUR DES ROSIERS EN FORME  102 LA TAILLE  118 Chapitre 6

LA ROSERAIE DES POMMIERS  127 Chapitre 7

DONNANT DONNANT  137 CÉLÈBRES OU INCONNUES, MES COUPS DE CŒUR  143 J’ai de mes ancêtres…  188 Adresses utiles / Quelques titres  191




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Chapitre 1

LE CHEMINEMENT

LIBRE ENFANCE Mes parents m’ont donné l’opportunité d’être scolarisée au cours privé Hattemer ( Jean d’Ormesson racontait l’avoir fréquenté aussi !). Les enfants ne passaient que 2 heures par jour à l’école primaire, de 9 h à 11 h le matin, excepté le vendredi après-midi où l’on avait un contrôle continu des connaissances. J’avais mes après-midi libres à part 1 h 30 de devoirs ! Je suis arrivée au lycée public avec un bon niveau, ayant été initiée pendant un an au latin et à l’anglais. Loisirs préférés : le patin à roulettes entre les colonnes du Musée d’Art moderne, la peinture et l’écriture de poèmes illustrés de fleurs imaginaires. Le week-end, je le passais près de Vernon dans une ancienne ferme avec mes parents. Le grand plaisir de mon père était le jardinage, il y faisait pousser des roses et plantait des arbres. Dans un fond de vallée traversé par le Rû, un sacré petit ruisseau !

‘Adélaïde d’Orléans’, un plant de chaque côté de l’arceau pour une bonne symétrie.

LE VÉLO DE NONO Il fallait monter la côte - il y en a parfois en Normandie. Sur mon petit vélo rouge bordeaux, très lourd, un Peugeot, je pédalais debout, les bras tendus pour aller chercher le lait à la demande de ma mère. Je me déhanchais d’un côté puis de l’autre en me servant de mon poids pour avancer. Le pot à lait en fer-blanc de 2 l bringuebalait contre le guidon et on entendait le cliquetis de la gourmette qui retenait le couvercle. Cela me semblait loin : j’avais 8 ans et cela ne faisait que monter pour aller à la ferme chez Rançonnet. Pour finir, on prenait un petit chemin creux non goudronné à flanc de coteau et de part et d’autre, les talus un peu ombragés étaient couverts d’herbe tendre et de fleurettes. Un peu plus loin, on apercevait en contrebas la source de Saint Adjutor, patron de Blaru et de Vernon (Eure) et son vieux lavoir aménagé.


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L E S ROSE S AU N AT U R E L - Le cheminement

Rue de la Garrigue, on longeait une propriété ceinte de murs. Pour voir ce qu’il y avait derrière, je collais mon œil contre le portillon de bois sur lequel était fixée une vraie patte de biche qui me dégoûtait un peu. Mais les fentes lumineuses étaient si minces que le mystère restait entier : j’ai toujours imaginé que le jardin caché devait être charmant. Je devinais des bulbes, des perce-neige et des jonquilles, des effluves d’humus et de seringat me prenaient au ventre lorsque je passais au printemps. Arrivée à la ferme, tout me semblait géant : le portail, les piles en silex qui le tenaient, la cour pavée, l’étable tiède et la grange à foin, les vaches noires et blanches (Pie noir ?) qui fumaient, alignées pour la traite, les bidons en fer-blanc, les louches et je rentrais là, mon seau à la main tâchant de ne pas me faire remarquer, de ne pas gêner. La fermière habillée en noir et chaussée de sabots était toute petite et ridée, les joues rouges comme des pommes. On m’avait dit qu’elle était belge et qu’elle avait fui l’occupation allemande. Elle me témoignait toujours beaucoup d’affection sans jamais m’accaparer. Pas de bisou, quelques mots prononcés avec un accent belge et normand à la fois ; je la trouvais formidable parce qu’elle était d’aplomb. Elle me tendait le panier à œufs, sachant que c’était ma joie d’aller fouiller dans la grange tout en haut sur le foin que le soleil chauffait entre les tuiles. Là-haut perchée, je faisais durer le plaisir, je me glissais dans la paille parfumée comme les poules dans leur nid et y restais silencieuse le plus longtemps possible sans attirer l’attention. Je nageais dans le bonheur, les bruits de l’étable arrivaient étouffés, je caressais les œufs abricot à l’ovale parfait. J’étais seule, isolée de ma famille, dans un lieu où j’étais accueillie et où on ne me posait pas de question. Les vaches étaient traites à la main et la fermière me proposait de goûter le lait tiède directement à la louche. Je m’efforçais de rester derrière les vaches pour qu’elles s’habituent à ma présence, mais j’en avais un peu peur, d’autant qu’elles balançaient leur queue violemment pour chasser les mouches. Je restais là, à observer, personne ne faisait spécialement attention à moi. J’étais un peu comme un chat entre les pattes de colosses qui me déversaient leur souffle chaud. Une fois, il y eut dans la cour le plus bel animal que j’ai pu voir de ma vie d’enfant. C’était un trait percheron, qui mesurait près de 2 mètres au garrot. Il était gris pommelé avec une crinière blanche, avait de longs fanons qui descendaient sur les sabots. Très impressionnée, je me suis tenue à distance de l’animal mythique. Il semblait immortel.


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Je n’étais pas obligée de dire au revoir. À chaque fois qu’il fallait du lait et des œufs, j’enfourchais ma bicyclette mais il s’écoulait parfois plusieurs semaines avant que l’occasion ne se représente. Alors la Mère Rançonnet s’est une fois exclamée en me revoyant : « C’est-y qu’la Nono, elle avait grandi ! Quand elle était vnue toute petite, fsait pas encore du vé-lo ! »

CHARLOTTE Tous les enfants font comme moi des rencontres déterminantes qui influent sur leur destin. Dans le monde de mon enfance, Charlotte Woop a tenu un rôle majeur : ce qu’elle m’a enseigné a beaucoup compté dans mon vécu à Berty. C’était à Blaru, à 300 mètres de notre Petite Maison adorée de l’Eure. Et ce qui m’attirait chez Charlotte, c’était sa relation, tout à fait originale à l’époque, avec les animaux. Quand ils sont arrivés à Blaru, Charlotte et Woop, son mari, ont fait l’acquisition d’un troupeau de brebis ; ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle s’est spécialisée dans l’élevage et le dressage des chevaux. Je n’ai pas connu l’époque des brebis, mais elle m’a raconté tant de choses intéressantes que j’ai tout enregistré. Sa connaissance des animaux m’émerveillait. Toutes les remarques qu’elle me faisait à leur sujet étaient d’une telle justesse qu’elles avaient pour moi valeur d’enseignement. Elle me faisait réfléchir sur les lois de la nature tout en m’apprenant beaucoup sur la nature humaine et la psychologie animale. Je l’accompagnais à l’écurie pour donner du foin et de l’avoine à ses grands chevaux. Je ne parlais pas beaucoup, mais je buvais ses paroles. Je ne crois pas qu’elle ait réalisé à quel point elle avait nourri mon enfance d’images fortes et de préceptes. Elle m’expliquait l’intelligence des bêtes à leur façon de faire, leurs priorités, leurs habitudes ; elle me décodait leur mode d’expression et leurs pensées. Car il n’était pas question de croire une seconde que les animaux n’aient pas d’âme. Elle avait dressé son cheval préféré à la voix et lui faisait faire de la haute école ; je la vois encore, assise toute petite sur son dos, chuchoter à l’oreille de Mektoub de bien vouloir faire le « pas espagnol » ou « des appuyés » ou se cabrer… C’était toute sa joie et aussi la mienne. Grâce à elle, lorsque j’eus mes premières chèvres, je sus d’instinct comment m’en occuper.


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ALBERTINE Il y avait au village de Blaru une mère de famille, Albertine, qui est venue pendant des années travailler au service de mes parents. Avec elle, nous avions des fous rires, je me sentais bien, la vie était juste limpide. Aussi j’étais souvent fourrée à la cuisine, je l’aidais à éplucher les légumes ; c’était une façon de rester à ses côtés. Elle évoquait son enfance, parlait de tout et de rien avec naturel et bon sens, le sourire aux lèvres : en fait, j’ai appris auprès d’elle comment aborder les épreuves de la vie car elle en avait vécu beaucoup sans cesser de profiter de chaque instant. Le rosier ‘Albertine’ ? Forcément l’une de mes variétés préférées. CHEZ PIERRE ET FRANÇOISE S. À 18 ans, je mène une vie passionnante à Paris, à faire de la danse et du théâtre. J’intègre une petite troupe de théâtre expérimental dans laquelle je rencontre Michel. Nous sommes cinq, nous louons une salle pour répéter, nous sommes portés par notre créativité. Nous commençons à jouer notre spectacle. Les improvisations surtout me passionnaient. Cela faisait travailler mon imagination, me libérait, le quotidien prenait de l’allure. C’était l’époque de la plage sous les pavés… Un an plus tard, lassés par la vie citadine et happés par un besoin d’aventure, nous partons pour le continent africain en 2 CV. Un voyage de 6 mois, un peu périlleux, à travers le Maroc, la Mauritanie alors en conflit avec le Sahara espagnol, puis le Sénégal et la Gambie. Nous sommes particulièrement émerveillés par le désert et ses prairies magiques après la pluie, les nomades que nous croisons et leurs troupeaux. Des visions qui nous submergent, qui font de chacun de nous quelqu’un d’autre. Au retour, nous voici en Provence, puis nous traversons la Crau. C’est l’hiver, des milliers de brebis paissent. Nous nous interrogeons sur nos vies… Retourner vivre à la capitale nous paraît impossible. Nous nous mettons d’accord sur un projet : nous faire bergers. Deux choix possibles : intégrer une école spécialisée ou apprendre auprès d’éleveurs. Adultes, nous sentant trop indépendants pour reprendre des études, nous choisissons de nous présenter comme stagiaires bénévoles. Une petite annonce gratuite dans la revue de la Haute Vienne de L’Alliance pastorale et nous voilà embauchés quelques semaines plus tard dans l’Allier,


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chez Pierre et Françoise ! Mon premier travail sérieux, à part les vendanges du raisin de table aux Baux-de-Provence l’été précédent. C’est chez eux que j’ai fait connaissance avec le métier d’éleveur. Lorsque nous sommes arrivés, je cherchais les brebis, pensant les trouver dans une bergerie. Mais il n’y avait personne, du moins je le croyais, je n’entendais rien. Puis Pierre nous a emmenés les voir. Elles passaient jour et nuit dehors. C’était des brebis « de plein air ». Il faut dire que dans cette région de l’Allier, il faisait -10° C au moins chaque nuit. J’avais du mal à imaginer qu’on puisse les laisser dehors. Lorsque nous les avons vues, j’ai compris : de belles bêtes, larges et hautes sur pattes, dotées d’une toison magnifique, immaculée, épaisse d’une vingtaine de centimètres, toute démêlée et régulièrement ondulée de vaguelettes d’une grande douceur. Elles étaient de race limousine. On ne pouvait pas s’approcher d’elles car elles étaient sauvages, élevées en semi-liberté dans des parcs de plusieurs hectares. Février, mars, étaient les mois marqués par l’agnelage : tous les jours, il y avait de nouvelles naissances et nous devions compter chaque matin les agneaux nouveau-nés dans les prés gelés, menacés par les prédateurs. Là, j’ai beaucoup appris. Les brebis étaient saines mais sur le nombre (près de mille !), nous avons pu observer les pathologies les plus courantes. Nous partagions le repas de midi avec la famille, parfois aussi celui du soir et je donnais un coup de main pour les enfants, les doucher par exemple avant le dîner. Ils en avaient neuf et attendaient le dixième ! Nous discutions beaucoup de problèmes de société ; nous n’étions pas toujours d’accord mais nous étions dans une ambiance de partage, nous ne recevions pas de salaire, nous nous sentions libres de dire les choses chacun comme nous les voyions. Ils étaient croyants et c’était le fil conducteur de leur vie, leur soutien. Nous y avons passé 2 mois qui ont été décisifs pour moi car j’ai appris ce qu’il me fallait savoir pour commencer mon nouveau métier. Plus tard, ils m’ont fourni la laine de leur brebis, je la filais ; je n’en ai jamais retrouvée d’aussi belle. Elle était si blanche et si propre que mes teintures végétales y pénétraient durablement ; j’obtenais ce qu’on appelle le grand teint. Nous nous sommes quittés assez émus avant de commencer un autre stage dans les mêmes conditions (le vivre et le couvert sans rémunération), chez un éleveur de chèvres dans les Cévennes qui animait une petite troupe de théâtre au village.


La Roseraie de Berty : une quête du beau, dont la rose est devenue l’emblème Dans le sillage des années 1968, Eléonore Cruse a effectué un retour à la terre au fond d’une petite vallée ardéchoise sauvage, d’abord en élevant des chèvres, puis à partir des années 1980, s’étant découvert une passion pour les roses, en y créant une pépinière et une roseraie à nulle autre pareille : la Roseraie de Berty. Privilégiant les roses anciennes et botaniques, la Roseraie de Berty est devenue au fil des années l’un des exemples les plus réussis et les plus admirés d’une utilisation naturelle des rosiers dans les jardins. Elle a obtenu le label Jardin remarquable. Dans ce livre autobiographique, Eléonore Cruse nous livre toute une vie d’expérience et d’apprentissage qui comblera les amoureux des roses anciennes et des jardins sauvages. Elle clôt le livre en nous présentant ses 100 roses préférées, ses coups de cœurs qui l’ont émue et accompagnée sans faillir durant toutes ces années.

ISBN  : 978-2-84138-905-6

,!7IC8E1-dijafg! PRIX TTC FRANCE :

25 €


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