Extrait Le cours du paysage - Éditions Ulmer

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1.33a, 1.33b Bãgh-e Fin, avant et après. Chah Abbas construisit le jardin paradisiaque du Bãgh-e Fin, dans le paysage désolé et aride des monts Karkas en limite du Grand désert de Sel, connu également sous le nom de Dasht-e Kavir. Pour irriguer le jardin, le sous-sol est strié de lignes de qanats qui acheminent l’eau depuis les montagnes. 1.34 Vue aérienne du jardin de Bãgh-e Fin. L’ancien jardin clos et la fontaine de Suleyman sont encore intacts sur cette vue aérienne (prise dans les années 1970). Les différents quadrants d’irrigation, implantés dans chaque quart du jardin, sont également visibles. La plupart des jardins alentour ont désormais disparu à la faveur du mitage urbain et d’aires de stationnement.

1.34

Quatre canaux disposés en croix convergent vers le centre du jardin agrémenté d’un élégant pavillon. Ce pavillon central se trouve au croisement des canaux. L’espace couvert bénéficie ainsi de la fraîcheur fournie par un bassin qui accueillait le lit du souverain durant les nuits chaudes d’été. De jour, on y profite de l’ombre de nombreux platanes d’Orient et de cyprès plantés en rangs serrés [1.41].

géométrique et topographique propre à la culture persane. Il incarne le microcosme symbolique des quatre fleuves de la vie, comme sur ce tapis persan de Kerman datant du XVIIe siècle [1.39], dont la conception est à la pointe d’une pensée mathématique et proportionnelle. Le Bãgh-e Fin transpose donc l’art du projet paysager vers le champ de l’arithmétique pure et d’une mathématique de l’eau [1.47].

L’essence de ce jardin repose sur l’art de guider et de distribuer l’eau. Même s’il n’y a que quelques mètres de dénivelé sur l’ensemble de la longueur du jardin, la pente a été minutieusement calculée et suffit à engendrer des bruissements et gargouillements d’eau lorsque celle-ci parcourt les rigoles et les canaux [1.40]. L’eau poursuit ensuite son cours au-delà des murs fortifiés et longe la route de Kashan avec ses jardins aux mille nuances de vert, avant de se perdre et s’évaporer dans les étendues salées du désert [1.38]. On prétend que l’eau était jadis si abondante qu’elle alimentait de nombreux moulins, irriguait les champs du souverain et subvenait toute l’année aux besoins en eau de la population entière de Kashan16. Le Bãgh-e Fin, avec ses proportions équilibrées, en fait l’un des plus beaux exemples de jardins clos au monde aujourd’hui. Il représente l’archétype de l’hortus conclusus (le jardin clos) – une adaptation de la nature qui inspirera par la suite de nombreux jardins de Rome à la Renaissance, suivit par les Alun-Alun de Java, les palais Moghols d’Inde et les jardins à la française. La précision avec laquelle le jardin est dessiné et se déploie représente une maîtrise de la composition

Dans les cultures monothéistes du judaïsme, de l’Islam et du christianisme, « le paradis » est un jardin dont l’espace paisible et harmonieux reflète la gloire des cieux. Sans ses murs, ses adductions d’eau artificielles et son entretien quotidien, le Bãgh-e Fin n’existerait pas et ne saurait résister à la rudesse de la poussière d’un désert torride balayé par les vents. C’est un concept puissant, où une nature soigneusement agencée et protégée par d’épais murs de pisé dispense une sensation atemporelle [1.46]. Le Bãgh-e Fin est l’un des exemples les plus remarquables de paysage construit, un archétype de jardin clos qui existe sur son site d’origine depuis la première civilisation.

L es racines

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