Extrait De la nature à l'œuvre - Éditions ulmer

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De la nature à l’œuvre Virginie Luc


sommaire introduction

couverture

Jim Denevan

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Lac Baikal, Sibérie, 2010. © Peter Hinson page 2

Jim Denevan

Fujiko Nakaya

Danae Stratou

Bob Verschueren

page 10

page 68

page 124

Patrick Dougherty

David Nash

Strijdom van der Merwe

page 16

page 76

page 130

Chris Drury

Nils-Udo

Bob Verschueren

page 22

page 84

page 138

Jean-Paul Ganem

Henrique Oliveira

Bill Viola

page 30

page 92

page 144

Yann Kersalé

Klaus Pinter

Motoi Yamamoto

© 2014 Les Éditions Ulmer 8, rue Blanche 75009 Paris Tél. : 01 48 05 03 03 Fax : 01 48 05 02 04 www.editions-ulmer.fr

page 36

page 98

page 150

Jaehyo Lee

Nikolay Polissky

artistes

page 44

page 104

page 158

Maquette et réalisation : Guillaume Duprat et Bénédicte Dumont Impression : Printer, Trento ISBN : 978-2-84138-726-7 N° d’édition : 726-01

Beili Liu

Arne Quinze

crédits

page 52

page 112

page 160

François Méchain

Doug et Mike Starn

Dépôt légal : octobre 2014 Printed in Italy

page 60

page 116

Wind painting III/14, 2014. Oostende, Belgique. Terre d’ombre naturelle. © Bob Verschueren

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introduction De l’œuvre à la nature Nées du lieu, ces œuvres créent le lieu, qu’elles nous invitent à regarder sous un autre angle. « La nature aime à se cacher », selon l’aphorisme d’Héraclite. Ces œuvres dévoilent l’espace extérieur comme l’espace intérieur. Elles établissent une communication intime, un lien poétique et sensible entre la nature et l'homme, lui font goûter des sensations oubliées de l'enfance ou d'une origine très ancienne. Ainsi, dessinant un labyrinthe de sel, Motoi Yamamoto dit suivre une trace de sa mémoire et, parfois, « toucher un souvenir précieux ». Ces œuvres sont à éprouver, qui requièrent tous nos sens : la vue, l’odorat, le toucher, l’ouïe. Il faut entreprendre l’ascension des Big Bambú des frères Starn, déambuler le long des méandres de sable de Denevan sur les plages de Santa Cruz, traverser les brouillards de Nakaya, pour goûter le vent et l’océan, l’ombre et la lumière, la chaleur et l’humide, les parfums et essences, autant d’éléments que d’éveils, jusqu’à ce que les intempéries et l’érosion naturelle aient, tôt ou tard, raison de l’œuvre. Dans cet intervalle, de spectateurs nous devenons acteurs, renouant un dialogue immémorial : « La nature n’est pas extérieure à nous. Nous sommes la nature », dit Chris Drury, en se souvenant de Paul Klee. Leurs œuvres s’invitent à ciel ouvert ou à l’intérieur des églises, châteaux et musées… Toutes appartiennent au grand cycle de la vie : elles naissent, vivent, meurent. On ne peut pas les posséder. Ce sont des expériences sensibles. Comme l’amour ou le temps, on ne peut que les traverser. Certaines sont sauvées de l’oubli par des traces photographiques, filmiques, sonores. Le reste est dans la mémoire. Éphémère, l’œuvre n'existe que quelques secondes, quelques jours, ou le temps d’une vie — à l’instar de l’œuvre de David Nash, Ash Dome, un cercle de hêtres plantés en terre celtique. La nature, source de vie, est source de mort. « C’est précisément cette échéance qui dicte l’urgence à vivre, à créer », dit Bob Verschueren, qui invite le vent à peindre des étendues immaculées. De même, l’aspect éphémère des œuvres influe sur le regard du spectateur. L’émerveillement vient de la fugacité des choses et des êtres… Un jour ou une vie, ces œuvres ne sont pas conçues pour durer éternellement. Et c’est là leur magie. Et notre chance. Elles sont le miroir tendu de notre propre fugacité. Un instant seulement et la vague ou le vent aura effacé toute trace… « Un bref instant d’éternité », qui nous rend aussi forts que fragiles, en nous donnant à saisir l’impermanence de toute chose. « L’art rompt avec sa tentation d’éternité, pour redevenir ce qu’il était à l’origine, une manière d’exorciser rituellement l’angoisse humaine », écrit le curator Jean-Marc Barrosso. L’éphémère est la preuve du temps. L’éternité, elle, n’existe pas. Telle est, ici, la poésie à l’œuvre. Ce que nous offrent ces artistes éclaireurs, c’est une invitation à habiter le monde en poète, pour y déceler, par chance, quelques-unes de nos raisons de vivre et de mourir. Un autre voyage se dessine, dont les œuvres sont autant de détours. Un voyage au loin qui est toujours voyage au plus près de soi, c’est-àdire de ce que l’on tient pour vrai. « Le monde s’ouvre à nous par des matins immenses », écrivait Benjamin Fondane. Les œuvres réunies dans ces pages sont autant de levers de jour.

De la nature à l’œuvre Une poignée d’artistes ont élu la nature comme terrain de jeu, d’art et de vie. Non pas pour la soumettre ou la dominer, mais pour, un temps, la faire leur, et nous l’offrir en partage. Spirales de sable, protubérances végétales, constellations de pierres, mandalas de sel, sculptures de brume, radeaux de brindilles… Immenses ou infimes, des œuvres naissent, qui se déroulent dans l’espace et dans le temps. Elles sollicitent tous nos sens : elles sont à vivre. « Indissociablement liés, l’art est nature, la nature est œuvre d’art », dit David Nash. Et l’artiste est celui qui intervient, qui « vient entre ». Par son regard, sa pensée, son geste, il prend part. À mains nues ou aidé d’outils, seul ou en équipe, il puise dans la nature la matière de son œuvre. À l’écoute du génie du lieu, de sa géographie, de son histoire, l’artiste utilise les éléments naturels trouvés sur place : terre, sable, vent, rivière, neige, pierre, bois, feuille… Support et matériau de l’œuvre, la nature est en outre l’inspiratrice. « La nature me souffle mes œuvres. Le matériau lui-même dicte mon geste, sa texture décide de la forme », dit le sculpteur coréen Jaehyo Lee. « Je ne recherche pas la beauté. C’est elle qui s’installe en moi. C’est une beauté tout à la fois belle, laide, cruelle », confie l’Allemand Nils-Udo. Ces œuvres — que l’on dit « environnementales » — sont caractérisées par l’humilité des matériaux et des formes, élémentaires. À la différence des artistes américains du Land Art qui, à la fin des années 60, n’hésitaient pas à soulever et déplacer terre et ciel pour produire des œuvres monumentales (« Earthworks »), les « artistes de la nature » cultivent l’intervention discrète, éphémère, dans le respect souverain de l’environnement. Inspirés de l’Arte Povera et de ses matériaux « pauvres », ils explorent la nature de façon presque initiatique avec, le plus souvent, peu de moyens matériels. L’humilité (du latin humus, terre) est à l’œuvre ici, ce qui n’empêche en rien l’épreuve de l’espace. Ainsi les temples de branches et de feuilles de Polissky dressés contre la toile du ciel, les vastes dessins de sable aux dimensions du désert de Danae Stratou, les vortex de glace de Chris Drury dans l’Antarctique, les sphères massives en rondeaux de bois de Lee, les labyrinthes de sel de Yamamoto, ou les peintures du vent de Bob Verschueren… Certains n’excluent pas la science pour servir la nature, à l’instar de l’œuvre hautement technologique de Fujiko Nakaya. La démarche de ces artistes est sous-tendue par une dimension écologique, voire politique, devant la menace que font peser les hommes sur l’environnement. La pièce de Beili Liu, intitulée Thirst (Soif) met en scène un arbre mort, victime des grandes sécheresses au Texas. L’œuvre civilisatrice de Jean-Paul Ganem panse les cicatrices des friches abandonnées en semant des parterres végétaux. De même Nikolay Polissky, qui conçoit son art comme « une pratique collective, une expérience de la liberté et une forme d’utopie sociale ». Plus que jamais, au seuil d’un âge obscur où la nature est en passe d’être condamné par la folie des États et du progrès, ces magiciens de la nature éclairent ce qu’il reste de l’homme.

Virginie Luc

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Jim Denevan, Vancouver, Colombie britannique, 2010. © Peter Hinson


Titre Ĺ“uvre, Date

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Jim Denevan États-Unis

Jim est né le 27 juin 1961 à Santa Cruz, en Californie. Sa fascination pour les grandes étendues vient de l’enfance. « La plage est ma page blanche, sur laquelle je dessine comme je respire. C’est aussi mon refuge », dit Jim, surfeur émérite, issu d’une fratrie de neuf enfants, élevés par sa seule mère, professeur de mathématiques. Il a ainsi tracé plusieurs centaines de dessins sur le sable des plages de Californie, sur les lacs asséchés du Nevada ou dans les glaces du lac Baïkal, en Sibérie. Seul, le plus souvent. Des heures, parfois des jours, à inscrire des figures géométriques « presque parfaites » – la spirale du chiffre d’or, des cercles suivant la séquence de Fibonacci… Des œuvres gigantesques, balayées par les marées, les vents ou la neige, en quelques minutes. « Je n’assiste pas toujours à leur disparition. Ou seulement en partie. Je n’éprouve alors aucun regret. J’aime assez ce moment, quand la vague vient gommer le dessin. Il y a en moi un reste d’enfance qui ne me lâche pas. J’éprouve toujours le même émerveillement devant le spectacle de la nature. Elle est une œuvre en soi et un vivier d’œuvres possibles. »

Depuis quelques années, les médias et galeries le convoitent. Il s’en étonne et s’en méfie. Quelques-uns de ses dessins ont été photographiés. Mais jamais pour être vendus. « Ce qui m’importe, c’est l’acte en lui-même. Pour mon seul plaisir. Pour ma santé aussi. Je marche de longues heures en silence. C’est un travail très physique. Très solitaire. La plage boit mon inquiétude ». « Mes dessins naissent d’une attraction comme celle de l’océan et de la lune », dit Jim qui aime à vivre le temps « comme un présent continu », plus influencé par les philosophies orientales que par les théoriciens du Land Art. Dans ses dessins éphémères, ce qui se donne à vivre, c’est « une expérience de l’espace, du lieu, du temps et du mouvement », résume Jim, maître de l’impermanence.

« J’éprouve toujours le même émerveillement devant le spectacle de la nature. Elle est une œuvre en soi et un vivier d’œuvres possibles. »

Half Moon Bay, Californie, 2009. © Jim Denevan

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Patrick Dougherty États-Unis

Les architectures végétales du sculpteur, né en 1945 à Oklahoma City, sont autant de formes oniriques, à la fois aériennes et enracinées au cœur de la nature. Fidèle compagne depuis l’enfance, c’est la forêt qui a défini son projet de vie et de création. « J’ai grandi dans les forêts de Caroline du Nord. J’aimais par-dessus tout les paysages d’hiver, quand les branches nues découvrent leurs formes fantastiques », dit Patrick Dougherty, qui a lui-même construit sa maison de Chapel Hill. Après une carrière dans l’administration hospitalière, il reprend des études et obtient son diplôme universitaire en histoire de l’art et sculpture. Dès 1982, il entreprend l’élaboration de ses sculptures tressées dans des branches de saule, érable, ou autres bois souples. Quel que soit le pays (en Australie, en Europe, en Asie ou aux États-Unis), quel que soit le commanditaire (publique ou privé) et l’emplacement de l’œuvre (en intérieur ou à ciel ouvert), le processus de création est toujours le même. Après s’être imprégné de la géographie et de l’histoire du lieu, après avoir réalisé une série de croquis préparatoires, le sculpteur constitue une équipe de bénévoles sur place et, ensemble, pendant trois semaines en moyenne, ils collectent les plants et branchages, et façonnent la sculpture. « Le temps de l’édification de l’œuvre est un temps rapide, dense, collectif. L’énergie déployée est inscrite dans le tissu même de la sculpture. Parfois, lorsque je répète le même mouvement, encore et encore, jour après jour, je suis surpris par un sentiment de sérénité et de liberté.

Dans ces moments-là, resurgit en moi non seulement le plaisir de l’enfance mais aussi la présence très ancienne de la forêt. Il me semble alors que je fais partie d’une conversation qui existe depuis longtemps », sourit Patrick Dougherty. « Une œuvre d’art n’est pas nécessairement faite pour durer. Je crois que la sculpture, comme une bonne terre arable, a sa propre saison. Les oiseaux y font leurs nids, le vent sa chanson, et le passant, en déambulant dans le corps de la sculpture, restaure le lien avec la nature. Un moment, il s’éloigne de la géométrie de l’habitat de la ville pour goûter des sensations oubliées. Notre défi contemporain est de savoir comment se reconnecter et vivre en harmonie avec la nature. J’espère, par mon travail, contribuer à cette réconciliation ».

« Notre défi contemporain est de réconcilier l’homme et la nature »

Standby, 2000.

Just Around the Corner, 2003.

Gaules d'érable (5,5 m).

Feuillus mélangés (30,5 x 4,5 x 5,5 m).

Raleigh-Durham International Airport, Raleigh, USA.

New Harmony Gallery, New Harmony, USA.

© Jerry Blow

© Dole Dean

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Jaehyo Lee Corée

Né en 1965, Lee a grandi dans l’usine de briques de son père. « La cour était mon terrain de jeu. Les outils et les matériaux naturels, mes premiers jouets », se souvient le plasticien, nourri des maîtres du Land Art, diplômé en arts plastiques de l’université Hongik et lauréat du prix international de la sculpture en paysage forestier en 2002. À Yang Pyung où il vit, dans la province de Geonggi, au sud de Séoul, la forêt et la rivière Han ne sont jamais très loin. La nature est sa plus fidèle complice. « J’éprouve un immense respect pour la nature. C’est elle qui me souffle mes œuvres. Je ramasse les rondins de bois dans les forêts, les pierres viennent du lit de la rivière. Choisir les uns ou les autres détermine déjà l’œuvre à venir », explique Lee. L’énergie de la nature, l’épure de ses lignes, l’humilité de ses éléments, décident des formes. « Je ne sais pas vraiment qui, du matériau ou de l’artiste, commande l’autre ! C’est comme si ma main suivait la pensée de la matière… Le bois possède ses caractéristiques propres. Je ne travaille pas contre lui, mais avec lui. C’est le matériau lui-même qui dicte mon geste, sa texture qui décide de la forme. On ne peut pas l’imposer de l’extérieur. » Et la forme parfaite, récurrente dans le travail de Lee, est la sphère « qui se cherche dans la plupart de mes œuvres », dit-il. Le plus souvent, Lee façonne ses œuvres dans son atelier, même s’il préfère les voir exposées en plein air.

« La plupart sont en bois, un matériau vivant, sensible au climat. Comme pour les hommes, le temps patine l’œuvre. C’est important. » Il faudrait pouvoir les toucher, éprouver la caresse du bois poli, tellement poli qu’il est aussi lisse qu’une soie. Les sentir aussi, humer les veines du bois, le métal des pierres. « Certaines de mes œuvres sont utilisées comme des sièges ou des sofas. Je ne fais pas de pièces de design à proprement parler. Mais pourquoi pas ? La frontière est parfois incertaine entre le design et l’art. Le plus important, c’est de vivre l’œuvre. » Jaehyo Lee n’est pas seulement un créateur. Il est un intercesseur, capable de révéler, au travers de ses œuvres patiemment élaborées, la nature intime de la matière, son essence quasi spirituelle.

« J’éprouve un immense respect pour la nature. C’est elle qui dicte mon geste, qui me souffle mes œuvres » 0121-1110=106102, 2006. Stone. (250 x 120 x 220 cm). © Jaehyo Lee

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0121-1110=1120210, 2012. Wood (oak tree). (750 x 350 x 150 cm), Studio. © Jaehyo Lee

0121-1110=102101, 2002. Wood (larch tree). (350 x 350 x 350 cm), Island. © Jaehyo Lee

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David Nash Royaume-Uni

Indissociablement liés, l’art est nature, la nature est œuvre d’art. Et l’artiste, celui qui intervient, qui « vient entre », et prend part. David Nash utilise les forces de la nature pour façonner une œuvre d’une même intensité, hors du temps des hommes. Ses matériaux de prédilection sont le bois — façonné par la main de l’artiste ou par les éléments naturels, aux extrémités parfois carbonisées —, les arbres et l’espace qui les entoure, ainsi que la terre et le feu, coulés dans le bronze. Né le 14 novembre 1945 à Esher dans le comté de Surrey au Royaume-Uni, diplômé de la prestigieuse Chelsea School of Art, David Nash, dès 1970, s’écarte des milieux arty londoniens et retourne dans sa terre natale, à Blaenau Ffestiniog, dans le Pays de Galles, où il vit depuis. Son retrait, dicté par des raisons économiques, est aussi un acte politique. À l’écart des institutions muséales et marchandes, David Nash conduit sa vie et son œuvre en faveur des correspondances entre l’homme et la nature, et à la faveur du temps. Ce dernier est le premier matériau de son œuvre. C’est un temps long, celui qui transforme l’arbuste en arbre. Le temps d’une vie et plus encore. C’est ainsi que, depuis plus de quarante ans, au fond du val, derrière sa maison atelier, aménagée dans une chapelle, David Nash entretient et élague sa première sculpture à ciel ouvert : Ash Dome, un cercle « celtique » de vingtdeux frênes plantés en février 1977 et contraints durant leur croissance afin d’unir leurs frondaisons en une vaste coupole. Splendide réalisation toujours à l’œuvre, toujours en devenir… De même, l’immense bloc de bois, Boulder, une demi-tonne de matière brute que le sculpteur offre à la rivière en 1978 et dont il suit patiemment le voyage, au gré des crues de la rivière et des intempéries, jusqu’en juin 2003. À cette date, l’œuvre disparaît dans l’océan. De la nature à l’œuvre. De l’œuvre à la nature. Entre les deux, se tient David Nash, complice ébloui du temps, de la durée, de l’espace.

« L’art est nature, la nature est œuvre d’art ».

Ash Dome, 22 frênes plantés en 1977, photographiés en 2009. Ash Dome, pastel et fusain sur papier, 2000.

Vallée de Flestiniog, Pays de Galles.

© Jonty Wilde, courtesy David Nash

© Jonty Wilde, courtesy David Nash

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Doug et Mike Starn États-Unis

Un immense jeu de mikado ? Une jungle de bambou ? Les installations des frères Starn suscitent un émerveillement qu’on croyait propre à l’enfance. Les Rolling Stones, Richard Serra et Robert Rauschenberg. La famille et l’inséparable double, le frère jumeau. Autant de sources d’inspiration qui nourrissent l’œuvre de Mike et Doug Starn. Troublante ressemblance entre les frères, nés dans le New Jersey en 1961. Visage teenager, regard noisette et cheveux longs, il n’est jusqu’au timbre de voix qui ne soit identique. Troublante complicité aussi, dans la vie comme dans la création. « Nous n’avons pas de rôles préétablis. Nos créations naissent d’un dialogue ininterrompu depuis l’enfance », dit Doug. « Comment les choses prennent corps ? Comment l’énergie circule et transforme nos vies ? Comment recréer la dynamique du vivant, toujours en expansion ? Depuis le départ, nous savions précisément ce que nous cherchions, d’abord au travers de la photographie, puis des installations : rendre compte de l’interdépendance qui régit l’univers : aussi bien à l’échelle des atomes, des végétaux que des êtres humains ». Ainsi la première nébuleuse de bambous — 15 m de haut et 25 de large — installée en 2009 dans leur atelier (une ancienne fonderie de 2800 m2 à Beacon, au nord de New York) : deux mille cannes enchevêtrées, nouées à l’aide de cordes, et, aujourd’hui encore « en expansion ». C’est la « souche mère ». Le point de départ d’une œuvre prolifique, qui n’en finit pas de s’étendre et de muter.

D’autres Big Bambú, « issus d’une greffe de l’œuvre initiale », ont fait irruption sur le toit du Metropolitan de New York en 2010, face au grand canal à Venise en 2011, à Rome en 2012. Sans parler du vaisseau volant dressé audessus de la forêt de l’île Japonaise de Teshima (2013) ou de l’installation 5,000 Arms to Hold You, au Israel Museum de Jérusalem (2014). Comme ses créateurs, l’installation est à chaque fois identique et différente. Chacune relève de la géographie singulière des lieux, mais aussi de l’intuition des grimpeurs qui, sous la direction des jumeaux, assemblent les cannes entre elles. « C’est une aventure profondément humaine et fraternelle », dit Mike. À son tour, le spectateur est invité à « vivre l’installation », à goûter le bruit du vent au faîte des bambous, les incidences de la lumière, les jeux des nœuds… « L’ascension est un voyage en soi », sourit Doug. « Big Bambú est un monde en devenir, une manière de penser l’impermanence et d’expérimenter une forme de liberté. »

« Big Bambú est un monde en devenir, une manière de penser l’impermanence et d’expérimenter une forme de liberté »

Big Bambú : You Can’t, You Don’t and You Won’t Stop, 2010. Black Pulse 7, lambda, 2001.

The Metropolitan Museum of Art, New York, états-Unis.

© Studio Starn

© Studio Starn

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