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PRÉAMBULE

C’est le début du livre !

Je dois bûcher sur mon texte. Première page, feuille sans tache, pistache. Feuille blanche, feuille d’arbre, n’oublie pas, un peu de son essence subtile. Tu t’égares… Continue, ne perds pas le fil !

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J’ai déjà écrit le mot « bois » en lettres majuscules, c’est un bon début. Mais voilà, maintenant je sèche, je me fais des nœuds… Je m’interroge, je tergiverse. Que pourrais-je bien débiter sur le sujet sans t’ennuyer, l’ami ?

Je vais m’y atteler sans langue de bois et pour commencer, je crois que je devrais plutôt écrire « les bois » tant la profondeur de ce mot est insondable ! Le monde végétal est tellement vaste que les humains, qui rangent tout dans des cases, en ont fait un règne à part, moins bruyant que le leur…

Ça ne parle pas, un arbre, ça bruisse, ça crisse, ça craque. Écoute la forêt… N’oublie pas que l’origine du bois commence toujours par l’arbre, sujet bien vivant, debout dans la forêt silencieuse. Sujet, ou rejet de souche parfois, dernier rejeton d’un arbre généalogique millénaire.

Et puis, vient l’irrémédiable tempête dans la vie de l’arbre, grand chambardement, jour d’éclaircie qui couche la grume au sol, les oiseaux ayant précipitamment quitté le houppier. Il sait, ou peut-être non, qu’une nouvelle vie commence pour lui, qu’il va voyager loin de sa forêt natale pour devenir planche ou poutre dans l’atelier d’un charpentier, buffet d’un ébéniste, épinette d’un luthier, fusaïole d’un tourneur ou encore ronde-bosse d’un sculpteur, manche de pioche, tavaillon, éclisse d’un vannier, feuille de papier d’un poète, minuscule cure-dent, allumette… Connais-tu son nom de naissance ? Hêtre ou merisier, acacia ou mélèze, chêne, érable, frêne, peuplier ou pin ? Tant d’essences, de rugosité, de fibres, de résines, de senteurs, de chaleur à venir…

De quels bois parle ton livre au juste ? Échalas, volige, bardeau ?

Tu chauffes…

Bâton, piquet, cagette ?

Tu brûles…

Oublie la cagette. Le mot qui colle juste, c’est la bûche ! Même s’il y a bûche et bûche, car jamais aucune n’est identique à une autre. Regarde-les bien, chacune est unique et le dessin révélé par la lame est son sceau, son estampille, sa marque sans pareille, comme les empreintes de tes pouces. Vois la veinure délicate, l’image blanche, brune, ocre ou rosée, tantôt médaillon porte-bonheur en fer à cheval ou cœur brisé, tantôt chapeau de gendarme, symbole mystérieux, visage ou labyrinthe. Si elle n’est pas piquée des vers, cette bûche au cœur vigoureux, alors… fichtre, je ne la mettrai pas au feu ! Elle sera l’heureuse élue qui trouvera bientôt sa place auprès d’autres dans le mur cordé sans cordes. Tant de bûches charmantes que c’est un vrai dilemme. Et crois-moi, que je m’efforcerai devant certaines de fermer les yeux, sinon, l’hiver prochain je devrai me contenter de maigres flambées et empiler les pull-overs en laine épaisse !

Comme moi, la plupart des boiscordistes sont piqués, passionnés, un peu fêlés en apparence. Car comme tu sais, quand on aime, on ne compte pas. En plus des bois, nous aimons récolter de belles pierres, des silex, des tuiles et des briques anciennes, sans parler des bouteilles colorées, en prévision des créations à venir.

Tous ces trésors me font penser aux enfants qui s’émerveillent d’un rien, s’inventent des châteaux avec quelques brindilles, une poignée de cailloux, un bouquet de plumes et des glands.

Tu as raison… et n’oublions pas qu’un gland est un concentré de vitalité, il est un roi de la forêt en devenir. Aujourd’hui, il tient dans la poche, mais dans quelques années, il sera peut-être beaucoup plus grand et robuste que toi et moi, si toutefois un sanglier ne passe pas par là…

Tu sais, parfois, je ressemble un peu à un arbre, immobile et serein, lorsqu’à la fin de la journée, j’ôte mes gants et que je reste planté là, figé, à contempler ce bout de mur, étonné et ravi que ce soit ma propre création. Je m’émerveille devant l’harmonie des bûches qui dansent, celle des couleurs et des dessins. Et comme ton chêne qui a grandi à partir du gland, je crois bien que, moi aussi, j’ai grandi grâce à cette cabane que je suis en train de terminer. Je me sens heureux de pouvoir construire de mes mains avec les matériaux de la nature.

Je ne ressens pas la fatigue, j’ai l’impression d’avoir dansé moi aussi en mettant le mortier et les bûches, rien n’a été trop lourd ni pénible. Quel plaisir j’ai à peaufiner en lissant les joints et en brossant les bûches pour que l’ouvrage révèle toute sa beauté ! Et toi ami, toi qui as la chance d’avoir un espace de jardin, oseras-tu créer ton coin de mur ?

Je fais un vœu que oui et que chaque « œuvrière » et « œuvrier » expérimente, innove, diversifie et magnifie le bois cordé ! Tu ressentiras ton cœur nourri par la fantaisie, les rondeurs, le doux, le malléable, le perfectible, l’organique, le poétique. Suis-moi, je vais te montrer comment faire…