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Le pain & moi

Deux Versants Du Pain

D’aussi loin que je me souvienne, le pain a toujours été là.

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18 h, un soir d’hiver. Je dois avoir 10 ans, tout au plus. Les plats que mon père a cuisinés le matin même mijotent sur le feu ; leurs effluves embaument notre petit appartement parisien. À mesure que je pianote ces lignes, ces senteurs me reviennent sans fournir le moindre effort. L’enfant que j’étais ne résiste pas à l’envie de se faufiler jusqu’au plan de travail pour couper un morceau de baguette qui attend sagement le dîner. Ma mère, une femme énergique et franche du collier, est occupée à réprimander mon père : le pain manque pour ce soir. Entre nous, elle n’a pas tort : n’apporter que trois baguettes de tradition pour une famille qui compte quatre personnes et une ribambelle de plats en sauce, c’est osé. Alors, la voilà qui sort son plat tajine, son sac de semoule de blé qu’elle rapporte précieusement dans ses bagages à chaque retour d’Algérie. En 15 minutes montre en main, la kesra, irrésistible galette nord-africaine, cuit tranquillement sur le feu.

Si cette scène peut paraître anecdotique à certains égards, elle n’en reste pas moins l’allégorie de mon enfance et a largement façonné mon rapport au pain. Vingt ans plus tard, toujours dans un appartement parisien, le pain ne manque jamais chez moi. Qu’il s’agisse d’une miche ou d’un pain semoule, l’un des emblèmes panaires en Afrique du Nord.

En France, les livres sur le pain sont — pour notre plus grand bonheur — légion. Dans celui que vous tenez entre vos mains, deux identités panaires à la relation politique tumultueuse 1 cohabitent : la baguette de tradition française ainsi que des pains maghrébins. Il me faut l’écrire car cela ne survient que très rarement. Ces pains appartiennent à deux écoles diverses, ils sont deux façons de faire bien distinctes. Ils se font l’écho de mon héritage culturel pluriel : français, algérois et kabyle. Je me réjouis de les voir réunis et espère qu’ils se rencontreront également dans vos cuisines.

Fervente défenseuse du pain que j’aime nommer « vivant », je tiens très fort à l’idée d’un pain conçu à l’aide de matières premières de grande qualité et au sourcing irréprochable. Le pain, en tant qu’aliment symbolique par excellence, est le garant de la paix sociale des pays : sans lui, elle n’est plus. Il s’invite depuis une poignée d’années dans mon travail de journaliste où j’interroge sa dimension sociale et symbolique. Ainsi, c’est tout naturellement que nous parlerons dans cet ouvrage des joies de la fermentation naturelle que l’on gagne à adopter, de l’engagement politique derrière les farines paysannes, des techniques de cuisson ancestrales, d’antigaspi, de ratés, de méditation autour du pain. En d’autres termes, de tout ce qu’il se trame derrière et dans un bon pain.

Mes Ressentis Sur Le Pain Maison

Pour moi, faire son pain touche à l’intime : chaque fournée est unique, car mouvante donc vivante. C’est là toute la singularité qui réside dans l’acte de boulanger en tant qu’amateur : le procédé peut être le même mais le résultat final ne le sera lui jamais. J’espère sincèrement que l’ouvrage que vous tenez entre les mains deviendra un compagnon de route qui vous permettra de vous lancer sur ce long chemin qu’est l’apprentissage du pain. Pour vous mettre en appétit, voici quelques ressentis que je souhaite faire infuser au travers de ce livre.

Universalité

La beauté de la panification maison réside, entre autres, dans sa capacité à nous reconnecter au vivant. Par son caractère universel, le pain s’adresse à tout un chacun. Ainsi, sentez-vous légitime en tant qu’apprenti panificateur.

Prendre le temps

Travailler le levain malgré le facteur temps inhérent à son utilisation s’intègre parfaitement à une vie bien remplie. C’est promis !

Sans jugement

Laissez la culpabilité au placard. Vous vous sentez plus à l’aise avec l’emploi de levure alors que le monde tout entier scande les mérites du levain ? Écoutez-vous. Même si je vous assure que lorsqu’on commence à panifier avec cet organisme vivant, il devient difficile de s’en passer…

Méditation

Comme dans toute activité qui requiert l’usage de nos mains, faire son pain revêt un caractère méditatif : cela calme le mental et forge la concentration.

Entraide

Le pain est une histoire qui s’écrit au pluriel : nombre d’associations

(telles que Le Monde à Portée de Pain) et de groupes sur les réseaux sociaux sont des mines d’or d’entraide. Ils aident à se sentir moins seuls lorsqu’on débute l’aventure du pain vivant et permettent de progresser rapidement. Osez également l’échange avec vos artisans boulangers : ces derniers, très occupés certes, ont toujours le bon mot pour vous aider ou vous encourager dans votre aventure panaire maison !

Comprendre la filière

En France, assez peu de gens sont familiers de la chaîne de fabrication du pain. Les métiers de paysan-boulanger et de meunier 2 , essentiels, gagneraient à être davantage connus.

Sauvegarder une culture

En tant que journaliste avec une appétence pour l’alimentation durable et donc un certain sens du « drame », je me fais le relais d’un constat sans appel : la culture du pain est aujourd’hui menacée. Il nous incombe de renverser cette mouvance, par notre consommation et par une prise de conscience de l’importance capitale des céréales utilisées.

Avec ou sans gluten

Les pains sans gluten sont loin d’être un monde pétri de restrictions. Leur palette de goûts et d’arômes est d’une grande richesse.

Osez donc les associations de farines moins répandues que le blé : millet, riz, sorgho…

Prendre du plaisir

Amusez-vous. Parfois, quand la passion est au rendez-vous, le pain peut prendre beaucoup de place, jusqu’à s’inviter dans nos songes la nuit. Respirez un grand coup et prenez du plaisir en laissant de côté la part de stress liée aux possibles ratés.