Courir dans une cathédrale, Sierre-Zinal 1974-2013

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JEAN-CLAUDE PONT

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ÂŤ Ă€ 45 ans, c’est ma première participation Ă votre course. Ce dimanche 9 aoĂťt 1998 restera Ă tout jamais l’un des plus beaux jours de ma vie. De l’ambiance du dĂŠpart jusqu’à l’arrivĂŠe. De la courtoisie, des sourires, des encouragements, des conseils tout au long du parcours. Votre succès est dĂť Ă votre simplicitĂŠ et Ă votre parfaite organisation. Âť (Lettre de Marcel Jacquier, Grandcour, aoĂťt 1998) ÂŤ Course unique, exceptionnelle, sans ĂŠgale, Sierre-Zinal a construit sa lĂŠgende sur l’ÊpopĂŠe, les drames, les excès. Un long chemin vers les ĂŠtoiles. Cette course, on l’aime sans retenue, avec ses mirages et ses miracles, ses bonheurs et ses malheurs. Âť (Lettre de Nicolas Montabaux, 28 aoĂťt 2003) ÂŤ Chaque marathonien rĂŞve de New York. Chaque coureur de montagne de SierreZinal. Âť (Jogging international, juillet-aoĂťt 2002)

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Par Philippe Theytaz

Enseignant, marathonien, champion valaisan des 5000 et 10 000 m., champion romand des 20, 25 et 30 km en 1974, près d’une trentaine de participations Ă Sierre-Zinal, y compris la course des organisateurs (meilleur temps 3h02’50), Philippe Theytaz ĂŠtait la personne idĂŠale pour traiter cette partie. Il a pu s’appuyer sur des prĂŠsentations de diverses ĂŠditions, rĂŠdigĂŠes naguère par Paul Vetter ou Augustin Genoud. En particulier celles qui ďŹ gurent dans le livre de 1984 ou dans des carnets de fĂŞte. DĂŠcouvrir cette course extraordinaire au ďŹ l des quarante annĂŠes de son existence, c’est faire le parcours en style journalistique, relativement bref, du dĂŠroulement de chacune des ĂŠditions : une sorte de rĂŠsumĂŠ pour qui apprĂŠcie les performances. C’est ĂŠgalement apporter un complĂŠment de sens Ă travers une synthèse mettant en relief certains aspects qui ont pu ĂŞtre observĂŠs ; il va de soi que les ĂŠlĂŠments mis en ĂŠvidence sont le rĂŠsultat d’une sĂŠlection qui n’engage que son auteur.

(11 aoĂťt) 2 @862B? 12 3<;1 2A 92 :.?.A5<;62; Quel duel lors de la première ĂŠdition de Sierre-Zinal ! D’un cĂ´tĂŠ, un skieur de fond de valeur internationale : le Haut-Valaisan Edi Hauser. De l’autre, un des meilleurs coureurs de la planète, dĂŠtenteur du record de l’heure et des 20 km sur piste, mĂŠdaillĂŠ d’or aux Jeux olympiques : le belge Gaston Roelants. Dès les premières longueurs, sur le chemin de la Chapelle Saint-Antoine, Hauser s’Êchappe. A Ponchette, son avantage passe Ă 3’20. La neige tombe en ce matin du 11 aoĂťt. Le skieur de fond est dans son ĂŠlĂŠment; le Belge s’y adapte tant bien que mal. Hauser fait cavalier seul ; il possède plus de sept minutes d’avance sur Roelants, lorsqu’il franchit victorieusement la ligne d’arrivĂŠe Ă Zinal, après 2h38’14 de course. Arrivent ensuite Harry Walker (GB, 2h52’51), suivi de

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Les donnĂŠes mĂŠtĂŠorologiques pour la pĂŠriode 1974-1982 sont extraites de [1984, p.X]. La quantitĂŠ de pluie est celle mesurĂŠe Ă Sion pour la pĂŠriode 1974-1982, Ă Evolène pour les annĂŠes suivantes. Les tempĂŠratures sont celles de Sion jusqu’en 1982, la moyenne entre celles d’Evolène et celles de Zermatt pour les annĂŠes suivantes.


Des coureurs qui font du tourisme ? Des touristes qui font de la course ? Peu importe, après tout. La réalité est que, tous ensemble, ils quittent le quotidien pour vivre un moment qui touche au paroxysme des émotions… au clocher de la cathédrale. Et puis, à la fin, il n’y a pas des coureurs ou des touristes, des premiers ou des attardés, il y a des hommes et des femmes qui ont partagé les mêmes émotions, qui ont communié aux mêmes sources, soutenus, portés et applaudis par les fidèles de Sierre-Zinal. « Sierre-Zinal. Rude et grandiose ! Cette doyenne des courses de montagne européennes est un mythe. Sa difficulté, la splendeur de ses paysages et son organisation irréprochable attirent des coureurs de tout niveau depuis… 39 ans. » (Marie-Hélène Paturel, Jogging international, novembre 2012) « J’ai enfin participé à cette course mythique et je n’ai pas été déçu, quelle organisation et quelle ambiance ! Félicitations, Sierre-Zinal, c’est génial ! » (Jacques Cusin, 14 août 2012)

Il avait neigé fort sur les hauteurs anniviardes en août 2007. Le 12, la neige avait heureusement fondu, seules quelques traces demeuraient.

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" &$ % $$ , % % & ! % Par Jean-Claude Pont

Pour ĂŠvaluer la popularitĂŠ internationale de la Course des Cinq 4’000, il sufďŹ t de remonter les classements au ďŹ l des ans. Des exemples : en 2010, chez les ďŹ lles, les six premières places sont occupĂŠes par cinq nations diffĂŠrentes, huit sur dix chez les hommes ; ou encore en 2008, oĂš huit nations diffĂŠrentes sont aux huit premières places chez les garçons. Il a dès lors paru naturel de parcourir la liste des performances en prenant pour base les principaux pays engagĂŠs. Dans l’histoire de Sierre-Zinal, oĂš la ďŹ dĂŠlitĂŠ appartient de plein droit au label de qualitĂŠ, il fallait relever – Ă cĂ´tĂŠ des performances recensĂŠes par nations – quelques cas de sĂŠries exemplaires dans la participation. C’est Ă ces deux aspects qu’est consacrĂŠ le prĂŠsent chapitre.

Sur les hauteurs de Sorebois, la grande famille des coureurs invitĂŠs Ă Sierre-Zinal 2011.

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';2 7.:/2 2A B;2 :K05<6?2 (E. Oppliger, 24 Heures, 15 août 1983. Publié dans [1984, p. XX])

C’est la portion de la course la plus belle et la plus délicate aussi. La limite des sapins est franchie depuis longtemps. Le pâturage, couvert d’une petite herbe à moutons et de caillasse, surplombe le val d’Anniviers, face aux prestigieux 4’000. Le sentier est devenu incertain. Une trace zigzague entre les rochers et ne cesse de monter et de descendre. Les muscles se sont durcis, l’oxygène est plus rare. Au royaume des chamois et des marmottes, il faut garder l’œil vif et la cheville souple. Sinon, c’est la chute. En dix ans, il n’y a pourtant eu qu’une jambe cassée et une mâchoire fracturée. Plus, il est vrai, passablement d’entorses et de ligaments déchirés, les plus malmenés par cette chevauchée. Peu après Nava, tout le monde descend. Sur Zinal. Une plongée de 400 mètres

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sur un sentier glissant hérissé de bosses et de racines. La descente que chacun redoute, parce qu’elle est située à la fin de la course et que les organismes sont épuisés. Elle laissera dans les jambes les souvenirs les plus longs et les plus douloureux. Tous se sont retrouvés sous la cantine de Zinal. Momentanément oubliés la fatigue, la défaillance, le coup de soif, la chute. C’est l’euphorie qui succède à l’effort intense. L’odeur du ragoût géant et des saucisses grillées a chassé celle des sapins. Place à la fanfare, aux fifres et tambours et aux discours. Le vainqueur est Italien, il a fait Sierre-Zinal en deux heures et trente-six minutes. Une coupe et quelques billets de cent francs pour le dédommager de ses frais de voyage. Il a été hébergé gratuitement. Pendant ce temps, à Helsinki, le champion du monde du marathon s’apprête à monnayer son titre à coups de milliers de dollars.


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(Marcel R., Journal corporatif, 1980. Publié dans [1984, p. XXV])

(Jean-Claude Moulin, Et ta sœur ?... Elle court, 1981. Publié dans [1984, p. XXVI])

Eh bien, cette course, aussi dite des «Cinq 4’000» – par référence au Cervin et à ses quatre grands cousins du voisinage – se distingue également par une formule de départ et de progressivité très originale : à la différence de toutes les compétitions de ce type, ce ne sont pas les meilleurs qui partent les premiers, mais les moins bons. Les «marcheurs» s’élancent 210 minutes avant les «coureurs», dès 4h30 du matin! L’organisation de l’épreuve s’en trouve sans doute compliquée : à divers points étroits de l’itinéraire, on doit mettre en place des «brigades de siffleurs», des jeunes militaires armés de sifflets, chargés de prévenir les concurrents les plus lents qu’ils vont être doublés (...). Mais surtout, quelles salves d’applaudissements, plusieurs heures durant, pour saluer les arrivées parallèles des coureurs moyens et des marcheurs les plus modestes. Je mentirais si je disais que tout le monde a attendu sur place la fermeture du contrôle, si j’affirmais aussi que la majorité des témoins n’est pas allée déjeuner sur l’herbe ou sous la tente, mais je puis témoigner d’un phénomène d’accueil cordial et terminal d’une longueur tout à fait rare dans les épreuves sportives classiques : les vivats ne cessaient guère de monter spontanément vers des centaines de foulées juvéniles, moyennes ou âgées, constamment interpénétrées. Avis donc aux amateurs de formules différentes ! En conclusion je dirai que cette course SierreZinal est peut-être et surtout une fête, une fête de vrais sportifs où chacun est venu pour la même cause : COURIR DANS LA JOIE et dans un décor magnifique.

Le grand avantage à recevoir des coureurs en Lozère (certains pensent que c’est plutôt un inconvénient) c’est que l’on se retrouve invité pour un tas de courses plus ou moins éloignées et plus ou moins dures. Ainsi, chaque année, pour rendre la pareille aux uns, pour faire (un peu) plaisir aux autres, et surtout pour se faire plaisir à soi, nous participons à quelques épreuves nouvelles. La première d’entre elle : Sierre-Zinal. Pas besoin de faire un dessin, vous en avez entendu parler. On ne s’attendait pas à une promenade de santé, mais on était encore au-dessous du lot (...). C’est donc à ce moment-là que Tamini, avec la conscience professionnelle qui l’honore, décide de me faire visiter un peu mieux sa bibliothèque, très discrètement, mais pas assez pour passer inaperçu des deux jumeaux de Montrodat qui, par l’odeur alléchée, repartent compulser avec nous quelques ouvrages de diverses régions fort rares et fort vieux. Nous philosophons jusqu’à trois plombes et des poussières (...). Tamini nous fait visiter longuement et fort tard dans la soirée, la bibliothèque du chalet de ses parents à Vercorin où nous couchions ce soir-là, bibliothèque moins complète mais tout aussi intéressante que celle visitée la veille à Salvan. C’est ainsi que se déroula l’avant-veille de la célèbre épreuve Sierre-Zinal, qui comme on le verra, mérite bien cette profonde concentration (…). Pendant deux kilomètres, nous échangeons nos impressions avec pour tout spectacle les chaussures du gars devant qui nous arrivent à la hauteur du menton. Puis c’est Clavero qui passe, fier, sans un regard pour les deux traînards que nous sommes. Rainclainclain me lâche aussi et je pense alors à ce que notre hôte nous racontait la veille : « En 1977 Margerit avait fait toute la côte en maugréant: putain de Tamini, putain de Tamini !! » J’essaie à mon tour mais au lieu d’accélérer, je ralentis et suis obligé de m’arrêter au bout de 7 ou 8 litanies. Arrivé au premier pointage après 1h15 de course (ou plutôt de marche : on a fait à peine 7 ou 8 bornes), j’entends appeler : «Jean-Claude». C’est notre Ethiopien installé dans une camionnette croix

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2 16.=<?.:. 1S 1?6.;. 2A 2.; <B6@ 9.B12 O '62??2 ,6;.9 A<B@ C.6;>B2B?@ P Adriana Claude est une photographe professionnelle. Elle vient de Domodossola mais a élu domicile à Zinal depuis une bonne vingtaine d’années, preuve d’un goût sûr. Dès son installation sur les bords de la Navizence, elle photographie la course, se concentrant sur les scènes d’arrivée et d’après course. Son époux Jean-Louis Claude, natif du Jura, a manifesté le même bon goût. Sa compétence réside dans une belle imagination et un beau talent de scénographe. On lui doit, par exemple, les personnages que l’on admire, en période de course, sur le grand bâtiment situé à quelques centaines de mètres de l’arrivée. Adriana et Jean-Louis ont réuni leur enthousiasme et leur talent pour réaliser le diaporama « Sierre-Zinal, tous vainqueurs ». Focalisé sur des images de fin de course où l’on apprécie et partage la joie et l’émotion des participants, ce diaporama est un témoignage humain profond de ce que quelques heures, parfois pénibles, apportent de viatique dans la vie des gens. On sent bien qu’ils viennent d’ailleurs, d’un long voyage au fond d’eux-mêmes. A la question si souvent posée : « Pourquoi tu cours ? », le diaporama de Jean-Louis et Adriana apporte cette réponse simple et complexe à la fois : « Pourquoi tu cours pas ? »

Charme et fantaisie à Sierre-Zinal.

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