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Les bourdes emblématiques de la mode italienne
IRENE FORRISI EDINBURGH NAPIER UNIVERSITY LES BOURDES EMBLÉMATIQUES DE LA MODE ITALIENNE
Un proverbe très célèbre dit : parler comme un anglais, embrasser comme un français, conduire comme un allemand et s’habiller comme un italien. De Dolce Gabbana à Fendi, l’Italie a toujours été connue pour être le pays de la mode. Les marques de voitures de luxe italiennes telles que Ferrari et Maserati évoquent l’élégance et sont accrocheuses, tout comme les noms de Valentino, Versace, Gucci et Prada qui incarnent le luxe, la sensualité et le style italien. Dans la mode, Milan est l’une des « quatre grandes » villes, et si Paris est célèbre pour son sens parfait de l’élégance, New York pour le sportwear et Londres pour l’iconoclasme, le glamour italien est devenu la signature de Milan. Or, on a pu observer récemment un mouvement de révolte contre les marques italiennes. Que s’est-il donc passé ?
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Entre 2018 et 2019, l’éthique et l’adéquation culturelle de la mode a été remise en question. En novembre 2018, lors de la préparation d’un défilé à Shanghai, Dolce&Gabbana a mis en ligne sur Instagram des vidéos d’un mannequin asiatique qui mangeait avec difficultés des plats typiques italiens comme des pizzas et des cannolis avec des baguettes. Les médias réagissent et les vidéos sont considérées comme racistes et dénigrantes. Stefano Gabbana reçoit une vague de commentaires négatifs sur son compte Instagram et lors d’une querelle via messages privés rendus publics, il parle de la Chine comme d’un pays d’ignorants et de mafieux (« Ignorant Dirty Smelling Mafia »). Le défilé est annulé par le gouvernement chinois et tous les sites internet de D&G disparaissent en Chine. Pathétique est le message officiel sur le profil Instagram de la société affirmant que le compte de Stefano Gabbana avait été saboté par des tiers. Et la tentative de réparer les choses est tout aussi ridicule. Lors d’une vidéo, les deux stylistes siciliens s’excusent du fond du cœur en déclarant leur amour pour le pays du soleil levant.
Le mois suivant, Prada met dans ses vitrines de Noël des marionnettes en forme de singe marron foncé avec des grandes lèvres rouges. Aux ÉtatsUnis, c’est un scandale. L’animal semble être une représentation directe d’un « black face », une caricature qui est devenue un symbole de l’oppression sociale des Afro-Américains aux États-Unis au XVIII siècle car elle était utilisée pour ridiculiser la population noire alors ségréguée. C’est un scandale médiatique ! Au point de créer une manifestation devant le magasin Prada de Soho. La marque retire immédiatement le produit et publie une lettre d’excuses, expliquant que la référence faite était totalement involontaire et absolument contraire aux valeurs de l’entreprise.
En février 2019, un autre géant italien provoque un scandale similaire. Gucci propose un pull noir à col rond de style « balaklava », c’est-à-dire avec un col montant couvrant la moitié du visage. Sur le col, à la place de la bouche du mannequin, il y a un trou montrant sa bouche et de grandes lèvres rouges sont dessinées. Cette image semble également inspirée la black face. Les adeptes de la mode partagent leur indignation sur Instagram, menés par la communauté noire. « Joyeux mois de l’histoire des Noirs », « Annulé », « Raciste » sont quelques-uns
des commentaires sous les articles de la marque. Ici, la réaction de Gucci ne se limite pas à de simples excuses. Avec l’aide du designer afro-américain Dapper Dan, Marco Bizzarri P-DG de Gucci, crée un programme de quatre initiatives qui vise à diversifier le personnel de l’entreprise à tous les niveaux et à créer une équipe qui traitera de l’inclusion et de la diversité culturelle.
Bref, en quelques mois, trois des plus grands noms de la mode ont provoqué un scandale en produisant des images jugées racistes et offensantes. Le dénominateur commun ? Ils sont italiens. Alors que Gucci a adopté une position innovante pour un changement radical, il y a encore un long chemin à faire pour le reste du pays.
En tant qu’amatrice de mode, je me suis retrouvée non seulement à réfléchir longuement sur ces épisodes, mais surtout à me poser des questions : pourquoi en Italie ? Et la réponse est toujours la même. L’Italie se caractérise par une culture locale et non internationale. Il n’y a pas de comparaison avec d’autres cultures à l’intérieur de ses frontières. La culture italienne est prédominante. Au contraire, il règne un sentiment de supériorité que je retrouve souvent à l’étranger. Le meilleur exemple, ce sont les Italiens en vacances à l’étranger ! La plupart des Italiens critiquent la nourriture et tout le reste et relient tout à leurs propres habitudes et coutumes, croyant mieux savoir que les autres comment manger et vivre. Sans même se rendre compte qu’il n’y a pas de règles sur la façon de vivre sa vie. En Italie, certaines personnes ont tendance à manquer d’ouverture d’esprit. Par exemple, nous sommes un petit pays qui parle une langue qui lui est propre et nous sommes parmi les pires en anglais. Malgré cela, nous continuons à doubler des films étrangers au lieu de les importer dans leur langue d’origine avec des sous-titres. Parce qu’en Italie, tout est « italianisé ».
On peut alors se demander si pour certains manquer d’ouverture d’esprit est encore chose commune en 2020 ? Apparemment oui. Mais ce que je trouve grave et inacceptable, ce n’est pas tant cette impasse. Je reste persuadée, bien qu’en désaccord avec ma conception d’une société évoluée, que chez vous, vous avez le droit de faire ce que vous voulez et de croire en ce que vous voulez. Ce qui est vraiment déconcertant, c’est qu’on retrouve cette petitesse d’esprit au sein de certaines entreprises. Dans le monde d’aujourd’hui influencé par Instagram, Facebook et YouTube, on ne peut plus penser comme il y a vingt ans. Quand les marques et les magazines dictaient la loi en termes de normes esthétiques, de style et de tendances. À l’époque, le public acceptait ces informations sans disposer d’une plate-forme pour débattre. Avec l’avènement des réseaux sociaux et des smartphones, les secteurs de la communication et de l’habillement ont rencontré un véritable bouleversement. Maintenant, c’est le consommateur qui dicte ce qu’il aime et ce qui est à la mode. Et pas seulement ça : il en est le créateur à la première personne, voyez le phénomène des « influenceurs » comme Chiara Ferragni et autres.
Ainsi, plus que jamais, je trouve difficile de justifier cette perpétuelle ignorance culturelle lorsqu’il s’agit d’approcher des nouveaux marchés, culturellement différents. En plus, les populations offensées sont des marchés dont s’inspirent les marques, comme Gucci et la culture hip-hop. Le scandale est alors encore plus grave car il est le résultat d’une réelle « blaxploitation ». C’est-à-dire une exploitation de la culture afro comme source d’inspiration à des fins commerciales, tout en restant à la fois étrangère à elle et apparemment ignorante à son sujet. Plus le marché est international, plus les responsabilités éthiques et sociales qu’une entreprise doit assumer sont importantes. Et pas parce que je le dis, mais parce que le public lui- même le dit, prêt à se révolter avec la force meurtrière d’un tsunami en dénonçant et en détruisant la réputation des plus grandes marques sur les réseaux sociaux. Les gens les qualifient de racistes et d’hypocrites, provoquant des pertes valant des milliards de dollars de chiffre d’affaires. Les incidents récents cités ci-dessus en témoignent.
Tout bien considéré, il n’en demeure pas moins qu’en quelques mois à peine trois certains des plus grands noms de la mode ont provoqué un scandale en produisant des images jugées racistes et offensantes. Bien que certaines entreprises, comme Gucci, en viennent à prendre des mesures d’intégration multiculturelle au sein de leur équipe, le chemin est encore long. Des problèmes similaires se produisent aussi auprès d’autres marques. Par exemple en 2012 et 2017, Victoria Secret a déjà choqué la communauté indienne en mettant en scène une coiffe indienne sur l’une de ces mannequins. Cela prouve que tout le monde de la mode est touché par ce type de problématique.
