Les patients dans l’écosystème numérique

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Les patients dans l’écosystème numérique

Jacques Lucas

Résumé

Vice président du CNOM Délégué général aux systèmes d’information en santé Conseil National de l’Ordre des Médecins, France lucas.jacques@cn.medecin.fr www.conseil-national. medecin.fr

Ce texte est la retranscription de l’exposé présenté au colloque sur le Santéisme et le soin de soi qui s’est tenu le 12 décembre 2014 à l’université de la Sorbonne. En sa qualité de Vice-Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM), l’auteur examine l’impact de la santé numérique sur les patients aujourd’hui. À cet effet, il aborde la question de l’éthique en télémédecine en soulevant d’abord trois questions essentielles : La télémédecine est-elle un progrès pour les patients en termes de bien-être et de maintien de la santé ? La télémédecine permet-elle d’accroître l’autonomie des patients ? Quels sont les bénéfices réels des usages de dispositifs de santé numérique et autres objets connectés pour les patients ? L’auteur poursuit sa réflexion en présentant et en examinant certains risques potentiels des technologies numériques de santé sur les patients en termes de confidentialité et de droits individuels. Pour finir, il analyse les moyens de réguler le marché de la télémédecine sur des bases éthiques consolidées par des règles de droit.

Mots-clés E-santé, patient numérique, santé mobile, quantification de soi, éthique (télé)médicale.

Patients in the Digital Healthcare Ecosystem Abstract This paper is the transcript of the talk that was given at the Healthism & SelfCare Conference held at the Sorbonne University on December 12, 2014. As Vice-President of the French Medical Board (in French, Conseil National de l’Ordre des Médecins), the author aims to examine how digital health

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technologies impact patients today. To achieve this goal, he first addresses the ethics of telemedicine by asking three fundamental questions: Is telemedecine a progress for patients in terms of well-being and health preservation? Does telemedecine enhance patients’ autonomy? What are the real benefits of digital health devices and connected objects for patients? The author then goes on identifying and discussing some of the potential threats of digital health technologies to patients in terms of privacy and individual rights. Finally, he adresses the issues of the regulation of the telemedical industry on the basis of rules of law and ethical guidelines.

Keywords E-health, digital patient, m-health, quantified self, (tele)medical ethics.

Los pacientes en el Ecosistema de Salud Digital Resumen Este documento es la transcripción de la disertación dada en la Healthism & Self-Care Conference celebrada en la Universidad de la Sorbona el 12 de diciembre de 2014. Como Vicepresidente de la Junta Médica de Francia (en francés, Conseil National de l’Ordre des Médecins), el autor tiene como objetivo examinar cómo impactan las tecnologías digitales en la salud de los pacientes de hoy. Para lograr este objetivo, éste primero se ocupa de la ética de la telemedicina formulando tres preguntas fundamentales: ¿Es la telemedicina un progreso para los pacientes en cuanto a la preservación del bienestar y la salud? ¿La telemedicina mejora la autonomía de los pacientes? ¿Cuáles son los beneficios reales de los dispositivos de salud digitales y objetos conexos para los pacientes? El autor pasa luego a identificar y discutir algunas de las amenazas potenciales de tecnologías sanitarias digitales a los pacientes en términos de privacidad y los derechos individuales. Finalmente, aborda los temas de la regulación de la industria de la telemedicina en base a las normativas legales y normas éticas.

Keywords E-salud, paciente digital, m-salud, autocuantificación, ética (tele)médica.

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Dans la transmission des savoirs en santé et en médecine, le passage de la tradition orale à la tradition écrite n’a pas été de tout repos. Cela a mis historiquement à l’épreuve le pouvoir ou le courage des clercs. Les autorités régulatrices de l’époque, enfermées dans les dogmes, prononçaient des anathèmes sur tout ce qui n’était pas dans la stricte orthodoxie. Elles déclenchaient alors leurs foudres qui allaient jusqu’à allumer des bûchers pour les livres, voire pour leurs auteurs suspectés d’être hérétiques. Un peu plus tard, un savoir figé était tout entier dans les mains de nouveaux clercs et le patient soumis et respectueux devant l’autorité de la Faculté que Molière a su moquer. Puis le savoir s’est répandu par les livres, les revues, les dictionnaires médicaux, les encyclopédies. Le public s’en est inspiré. Aujourd’hui le monde numérique s’ouvre devant nous. Les citoyens recherchent tout sur Internet, les patients aussi évidemment. Au départ ils l’ont fait sans le dire ; maintenant ils le font ouvertement. Ils en parlent avec les médecins. Nous sommes dans l’ère de la communication 2.0. Au savoir académique et d’expérience professionnelle s’ajoute le savoir profane des patients qui entremêle leur vécu, leurs recherches sur des sites d’information et leurs présences sur des forums. Ces deux champs de savoir ne doivent pas se confronter mais se compléter et s’enrichir. À chaque époque, quand surviennent des ruptures dans les modèles, des inquiétudes naissent. Les repères d’habitudes orthodoxes vacillent, des interrogations surgissent sur des modèles de régulation. En outre, « l’expertise profane » liée à l’acquisition de savoirs par les citoyens, au-delà du champs clos des cercles du savoir et du pouvoir, fait irruption dans le monde jusqu’alors assez fermé des sachants, savants et docteurs de l’Université. Cela trouble, bien évidemment. Dans le monde du web, de nouveaux outils connectés à des machines dotées d’une intelligence algorithmique pourraient-ils se substituer aux médecins ? Les applis Smartphones et objets connectés dans le domaine de la santé, permettant l’auto surveillance, l’évaluation de sa santé, le suivi monitoré de sa maladie … L’ingéniosité des concepteurs de dispositifs communicants, d’applis et d’objets connectés ne connaît aucune limite. Le monde numérique en santé est en expansion exponentielle. Nos sociétés sont tellement fascinées par les technologies, qu’elles en avancent les promesses et les insondables perspectives, sans véritablement s’interroger sur les menaces qu’elles pourraient faire peser sur les libertés individuelles et collectives, et sur les moyens de s’en prémunir. Le santéisme inquiet et insouciant à la fois est-il en marche ? La première interrogation devant les technologies qui captent et traitent des données personnelles de santé me semble donc être de nature éthique : Est-ce un progrès pour le bienêtre, la préservation et le maintien de la santé ? Est-ce un progrès pour l’autonomie,

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l’accompagnement, la liberté des personnes et le domaine du soin ? Quels sont les bénéfices réellement évalués des usages de ces dispositifs, applis et objets connectés ? La seconde interrogation, complémentaire de la première, est de savoir comment identifier les menaces, au regard des libertés individuelles, liées à l’expansion d’informations personnelles dans l’espace numérique, que ces informations soient celles d’une personne, d’un groupe, d’une ethnie, d’un milieu social, etc. ? Comment preserver le « secret médical » ? Tout d’abord, il me parait utile d’explorer ce que couvre ce secret, afin d’éviter un contresens sur le mot « médical ». Le secret, en général, est relatif à la protection des libertés individuelles, à la certitude de la personne de ne pas être trahie par celui ou celle auquel / à laquelle elle a découvert des éléments de son intimité, de ce qu’elle est. Cette intimité couvre un champ très étendu. Le secret est même dit « général et absolu ». Il couvre, au-delà des éléments objectifs recueillis lors d’un acte médical, tout ce qui a également été « vu, entendu ou compris » ; et sans doute même deviné ou interprété. C’est peut-être même cela qui doit être le plus protégé dès lors que, en ce qui concerne les informations objectives, elles doivent être souvent partagées dans le cadre d’une équipe de soins ou de prise en charges, au bénéfice de la personne par application du principe éthique de bienfaisance dans la coopération des acteurs. Le terme « médical » couvre donc toutes les informations concernant la santé d’une personne, quelle que soit la nature de ces informations. Ce n’est en rien le secret du médecin, c’est celui de la personne. Le « secret médical » s’impose, sur le plan moral, à l’ensemble des intervenants qui, « par fonction ou par état », ont eu accès ou ont été dépositaires d’informations de santé. Les codes de déontologie des professions de santé ne citent d’ailleurs pas le « secret médical » mais le « secret professionnel » de chaque membre de chacune de ces professions. Et, au-delà même des codes de déontologie, le code pénal réprime la divulgation de toute information qui, par origine ou par nature, est revêtue du caractère secret. Dans le cheminement de mon propos, ces deux interrogations en induisent deux autres, sur le numérique en santé.

Pour ce qui concerne les applis et objets connectés : comment construire la société numérique en y préservant les libertés individuelles ?

Ces libertés sont-elles définies par chacun selon son « bon plaisir » ou peuvent-elles être restreintes pour des motifs supérieurs, d’ordre public, touchant à la dignité des personnes, à leur autonomie, à leur vulnérabilité, voire à leur insouciance … ?

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En d’autres termes, comment réguler le marché sur des bases éthiques consolidées par des règles de droit ? Est-il possible de l’envisager ?

Un premier élément de régulation devrait porter sur l’évaluation des bénéfices et sur la fiabilité de l’appli. Le bénéfice évalué des usages reste encore objectivement incertain. Certes, les applis recèlent des promesses théoriques dans le « self-care ». Il en apparait tous les jours sur les sites de téléchargement et dans les boutiques des objets. Beaucoup d’applis en santé sont téléchargées. Mais sont-elles utilisées de façon durable ou est-ce un effet de mode ou une curiosité immédiate qui sera vite oubliée ou remisée comme un gadget ? Les impacts en termes de santé restent encore difficiles à établir sur la durée. En outre, sur un marché protéiforme, une appréciation du caractère bénéfique des applis et objets connectés en général serait hasardeuse, tant les applis sont diverses en couvrant de plus des champs variés. Ce seront les usages qui distingueront ce qui est gadget et ce qui passera de promesse à réalité. Ce n’est pas à un quelconque « expert » de le présumer. Toutefois, nous pouvons avancer que, quelque soient les usages et les bénéfices potentiels pour la personne ou la santé publique, il serait souhaitable, en premier lieu, que la fiabilité de toute appli soit évaluée sous un angle double : 

sa fiabilité technique : recueil non altéré et non perverti de la donnée mesurée, absence de distorsion lors de la transmission et du traitement, fiabilité des algorithmes d’interprétation ;

sa fiabilité en matière de protection de la donnée personnelle : protection de la confidentialité dans la circulation et l’hébergement, protection dans le contrôle des accès autorisés aux bases d’hébergement. Dans un marché en expansion rapide, ces évaluations, labellisations, ou certifications

devront être agiles afin que leurs résultats ne soient pas publiés lorsque les évolutions technologiques ou la marche des connaissances n’auront pas déjà rendu l’appli obsolète ou dépassée. Ces évaluations devront évidemment – mais il me semble utile de le préciser - être entreprises par des organisations indépendantes des fournisseurs et sans liens d’intérêts directs ou indirects avec eux. Un deuxième élément de régulation pourrait intervenir lors de la mise sur le marché. La mise sur le marché de l’appli ou de l’objet connecté devrait s’accompagner de garanties de conformité portées à la connaissance de l’acquéreur sur les pré-requis que je viens de préconiser :

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une information « claire, loyale et appropriée » et vérifiable sur ces pré-requis ;

le recueil du consentement de la personne quant à l’exploitation qui sera faite de ses données. En effet, le simple fait d’acquérir une appli pour un usage personnel déterminé n’emporte l’acceptation par la personne d’un usage dérivé de ses données personnelles vers d’autres fins que celles qu’elle a déterminées pour son usage personnel et sa connaissance personnelle. Cette régulation du marché est déjà éthiquement souhaitable pour le « quantified-self »,

en bien-être ou en santé. Elle devient indispensable pour une appli qui aurait un objectif proprement médical dans l’accompagnement d’une personne malade. Or, en fait, la zone intermédiaire entre ce qui est « dispositif médical certifié » selon les dispositions réglementaires nationales et européennes en vigueur et ce qui est « dispositif » de m-santé est très floue. Il n’est pas réellement possible, in real life, de fixer des frontières étanches. Peut-être serait-il alors mieux de proposer trois degrés de régulation : déclaration de conformité à des standards, labellisation par des organisations identifiées, certification en cas de dispositif à usages médicaux. Un autre élément de régulation, dans le domaine de l’appli pour un usage en médecine, pourrait être la prescription de l’appli, par un professionnel qualifié, médecin ou professionnel de santé. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) est associé à l’Observatoire que Vidal a mis en place sur les usages professionnels des smartphones par les médecins. La dernière enquête indique que ces usages augmentent à rythme rapide : d’une part, les usages par le médecin lui-même dans son exercice professionnel et, d’autre part, parce que 10% des médecins conseillent aujourd’hui une appli à leurs patients. Ces confrères estiment que leur relation avec le patient peut être renforcée avec les applications numériques en santé. Sur le plan pratique et déontologique, comment définir la place que pourront avoir des applis dans la pratique médicale ? Dans quelles conditions d’usage ? Dans quels rapports avec la télémédecine telle qu’elle est aujourd’hui encadrée en France (notamment par le décret sur la télémédecine de mars 20101) ? Dans quel modèle éventuel de prise en charge sociale, notamment en termes de sécurité sanitaire ou d’assistance à la personne ? Je proposerai des éléments de réponses possibles au travers de quatre points d’attention.

1. Quel type de veille médicale, et quelles responsabilités, pour des applis qui seraient recommandées par un médecin à un patient ?

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http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022932449

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Un processus de déclaration de conformité des applis et objets connectés aux dispositions découlant de la loi Informatique et Liberté française de 19782 est d’autant plus nécessaire que le médecin doit pouvoir être assuré que les données sont protégées lorsqu’il recommande l’appli ou l’objet et, plus encore, s’il les utilise comme moyen adjuvant dans une relation de prise en charge d’un patient. Le CNOM est parfaitement conscient que l’hébergement des données peut être réalisé en dehors du territoire national, c’est justement la raison pour laquelle il plaide et agit, à la mesure de ses moyens, pour que la Commission européenne se préoccupe de cette situation, en relation avec le « groupe des 29 » 3. Par ailleurs, le CNOM insistera pour que les usages par le patient et le traitement de l’information entre lui-même, l’appli, le médecin et éventuellement un autre professionnel soient précisément et expressément convenus. En effet, il serait impossible que le médecin reçoivent incessamment des alertes et soit engagé à les traiter sur le champ. Seule une veille à traitement différé des alertes est concevable, comme elle est appliquée d’ailleurs pour des dispositifs médicaux tels que les pacemakers et les défibrillateurs. Enfin, cette « surveillance constante », ce « quantified self » peut induire des comportements addictifs ou des inquiétudes irraisonnées devant des résultats bruts non adaptés à chaque cas particulier. Un algorithme ne dispose pas du pouvoir d’empathie ni d’intégration d’un résultat isolé ou d’une courbe tendancielle dans la complexité de la situation médicale d’une personne. Le risque de transformation d’une personne en individu bardé de capteurs dits intelligents existe. Comme celui de la transposition, par un usage insouciant ou pervers, de la « philosophie » du docteur Knock4, dans l’univers numérique, en voyant se lever « le meilleur des mondes » pressenti par Aldous Huxley5.

2. Quel risque de prise en main intrusive dans le système d’application ? Les observations de l’Ordre des médecins sur les exigences de sécurité se fondent sur le risque potentiel de prise en main intrusive et malveillante dans le traitement algorithmique des données. Il est clair qu’en matière de dispositifs médicaux cette impossibilité doit être absolument garantie par la mise en œuvre de processus rigoureux de sécurité. En matière

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Modifiée par le décret de 1991 et la loi de 2004, la loi Liberté et Informatique française réglemente aujourd'hui

notamment la pratique du fichage, manuel ou informatique et inscrit dès l'article premier l'informatique dans le cadre des droits de l'homme. 3

Le Groupe 29 est un groupe de travail européen indépendant traitant de questions de protection des données à

caractère personnel et de la vie privée. 4

Héros de la célèbre pièce éponyme de Jules Romain, écrite en 1923, le docteur Knock pratique sans vergogne

une médecine mercantile et manipulatrice. 5

Dans « Le meilleur des mondes », l’écrivain Aldous Huxley dépeint une société de contrôle du futur totalement

anesthésiée par le progrès scientifique et technique.

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d’appli ou d’objets, le risque lié aux conséquences d’une intrusion malveillante est moindre, mais il ne peut pas être considéré comme nul lorsque cela concerne la surveillance d’un paramètre biologique ou de la fréquence cardiaque, par exemple. Cela demande que dans la déclaration de conformité, évoquée ci-dessus comme moyen de régulation, ce point majeur soit pris en compte.

3. Quelles articulations possibles de la m-santé avec la télémédecine ? Rien n’interdit dans le dispositif législatif et réglementaire français régissant la pratique de la télémédecine que des applis ou objets connectés y soient intégrés. Les évolutions technologiques sont prêtes pour le permettre. Certains pays, soit parce que leur législation est moins vigilante soit parce que la situation sanitaire le rend indispensable, ont à cet égard une avance dans les usages. Il est clair que les dispositions réglementaires françaises actuelles devront évoluer afin d’éclairer cette « zone d’ombre ». Ce point est souligné dans le Vademecum Télémédecine6 que le CNOM a publié en septembre 2014 et est développé dans le Livre blanc sur la santé connectée daté de janvier 20157 Une observation incidente : un dispositif de cette nature pourrait-il être juridiquement requalifié de dispositif médical ? Une machine ou un système de traitement algorithmique de données avec retour de conseils sur la conduite à tenir peuvent-ils être accusés d’exercice illégal de la médecine ou d’un exercice juridiquement irrégulier de la télémédecine en France ? L’interrogation peut paraitre incongrue ou provocatrice. Elle vise en tout cas à provoquer la réflexion : qui pilote la machine ou le système ? Qui se cache derrière la machine ? Où est localisée la machine ?

4. Quels usages pour la géolocalisation ? Il est signifiant que, sur les iphones, c’est sur l’onglet confidentialité que se trouve l’option d’activation ou de désactivation de la fonction de géolocalisation. En est-il de même sur toutes les applis et tous les objets connectés ? Indiscutablement, la géolocalisation comporte des aspects positifs. C’est le cas pour une personne dépendante ou désorientée retrouvant ainsi des « espaces de libertés sous surveillance » avec préservation de sa sécurité plutôt qu’un confinement en lieu clos. Elle entraîne aussi la possibilité d’agréger des données de comportements selon des zones géographiques. Ces agrégations rendues anonymes et non ré-identifiables peuvent avoir des fortes applications bénéfiques pour la collectivité en termes d’épidémiologie. Mais comment 6

« Vademecum sur la télémédecine », publication du Conseil National de l’Ordre des Médecins, septembre 2014.

http://www.conseil-national.medecin.fr/node/1504 7

« Santé connectée : de la e-santé à la santé connectée ». Livre Blanc du Conseil National de l’Ordre des

médecins, janvier 2015. http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/medecins-sante-connectee.pdf

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garantir informatiquement cette anonymisation et assurer chaque individu qu’il ne sera pas pisté dans son comportement ? Je ne peux me situer, dans ma fonction ordinale, ni comme un technophile étourdi ni comme un technophobe grincheux. Ma fonction comme mon titre ne me confèrent pas la détention ni la garde de la vérité éthique. Fort heureusement ! Mais la réflexion éthique de l’Ordre, lorsqu’elle se confronte à celles d’autres instances, a évidemment quelque chose à voir avec la régulation des comportements déontologiques dans la société en général et celle du numérique en particulier. Cette régulation repose sur des considérants éthiques relatifs à l’être social qu’est aussi un patient. Le santéisme serait-il une forme pervertie du prendre soin de soi ? Le médecin qui céderait à cette mode serait-il un étourdi ? L’institution ordinale, chargée de veiller à l’adéquation des comportements médicaux avec les principes éthiques et les règles du Droit positif, doit être ouverte et contribuer aux réflexions des autres instances ou institutions. Mais ne cédons pas non plus à la tentation des « Colloque de clercs », comme j’en dénonçais dans mon introduction la suffisance stérile de naguère. Face aux enjeux du numérique en santé, nous devons être à l’écoute de la société. Le débat public est plus que jamais indispensable sur ce monde émergent afin de ne céder ni à la fascination ni aux fantasmes. C’est ainsi, qu’avec d’autres, le CNOM peut contribuer aux décisions politiques dans la régulation du marché du Numérique en santé, en y transposant des besoins selon des règles de Droit, dans lesquelles la déontologie des professionnels doit tenir toute sa place. Nous ne pouvons aussi qu’ être attentif – et la Sorbonne est un lieu prestigieux où cela peut être souligné – à ce que, dans la formation initiale des futurs médecins, les apports du numérique en santé soient enseignés tout autant avec les promesses qu’il porte qu’avec les menaces qu’il faut connaitre pour savoir les contraindre.

Notes The author declares no conflicts of interest. Related publication: Lucas, J. (2015). Santé connectée. De la e-santé à la santé connectée. Le livre blanc du Conseil national de l’Ordre des médecins.

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