INTERVIEW : LYDIE REMELS, PRÉSIDENTE ET COORDINATRICE DE PROJETS DE L’ASBL TAKRIST BRUXSEL Parcours personnel en rapport avec le monde touareg. Pourquoi les Touaregs ? Depuis longtemps, je suis attirée par le mode de vie et la culture touarègue. Dans le passé, les Touaregs étaient un seul « peuple nomade », constitué de groupes claniques et répartis dans une seule entité géographique, le Sahara. Depuis la colonisation française, ce grand espace a été morcelé en 5 Etats avec des frontières : l’Algérie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Libye. Les Touaregs se sont retrouvés marginalisés sur leurs terres de sable. Leur mode de vie s’en est trouvé bouleversé. Lentement mais sûrement, beaucoup ont été contraints à se sédentariser. Ce processus s’est accéléré dans la seconde moitié du 20e siècle. Si le souvenir de leur grandeur passée, le port de la "taguelmoust" (le turban masculin) suscite toujours le mystère et la fascination occidentale, mon attrait et mon intérêt pour ce peuple vont bien au-delà d'un romantisme mis en exergue par le mouvement orientaliste à la fin du 19e siècle. J’ai pris conscience qu’en dehors des clichés, notre rôle est de préserver la mémoire d’une noble culture où le code de l’honneur avait un sens et où la femme était le centre. En effet, la société touarègue est matrilinéaire et l’homme traditionnel ne possédait rien, hormis son cheval, son épée et son honneur. Notre soutien est de faire en sorte qu’ils puissent continuer à vivre dignement dans le respect des droits humains, sans les forcer à renier leurs traditions, même si celles-ci doivent s’adapter à la modernité. Comment avez-vous découvert leur culture et que vous a-t-elle révélé ? J'ai découvert leur philosophie de vie à travers la poésie touarègue. Cette poésie, de tradition orale, est indissociable du chant traditionnel. Elle se dit en musique, au son du tendé ou de l'imzad joué par les femmes. Elle s'écrit en tifinagh, l'écriture touarègue. La poésie touarègue parle d'amour, fait l'éloge de la bien-aimée et psalmodie la longue absence et l'attente. Les jeunes hommes participent à des veillées où ils sont initiés aux joutes poétiques, aux contes et aux récits d'amour courtois. Mais la poésie touarègue parle aussi du silence, tout à la fois vénéré et craint. C'est une pensée nomade qui parle de frugalité, de prévoyance et d'expérience car il faut du savoir-faire pour s'orienter et survivre dans le Sahara. Hawad, poète-calligraphe, originaire de l’Aïr au Niger, définit ainsi la pensée de son peuple : "Pour le nomade, la pensée n’existe qu’en marchant ou en chantant; et tout ce qui est nomade doit être soit chanté, soit marché pour être vraiment tel". Ce fut une révélation pour moi…et pour mon écriture car, à certaines heures, je suis poète, je chemine également sur le chemin du silence, de l’errance. Une errance qui ne sait pas où elle aboutira mais sortira toujours des sentiers battus. Ma destination, je la définirais solidaire du nomadisme et de la relativité que les grands espaces inviolés nous imposent naturellement. Ils nous donnent une leçon de vie, celle de la mesure, du dépouillement et de l’humilité. Ils nous enseignent aussi le dépassement, l’au-delà des frontières géographiques, de notre propre ego. Le dessin des dunes, leur signecalligraphie nous invite à lutter contre le nivellement et la standardisation. Quelle est l’évolution culturelle touarègue dans la modernité : le « blues touareg » et la guitare, porte-parole de leurs luttes et de leurs revendications d’identité ?