Mais où est passé le triple plateau?

Alain vient me voir pour sa visite médicale d’aptitude. Je l’ai connu quand il était un brillant ingénieur dans l’aéronautique. Depuis peu, c’est un jeune retraité de 63 ans. Il est passionné de vélo mais il n’est pas très doué. Il le sait et son ambition se limite à prendre du plaisir sur de jolis parcours. J’adhère à sa philosophie particulièrement bénéfique à la santé. Il prépare les « 3 Ballons », une belle cyclosportive alsacienne où les grimpettes seront nombreuses. En région parisienne, pour s’y préparer, il arpente les bosses de la vallée de Chevreuse et les Coteaux de la Marne. Je l’examine et lui demande de réaliser le test des 30 accroupissements. À l’issue, je lui donne les résultats. Le doc : Fréquence cardiaque de repos 56, juste après l’effort 108 et récupération complète en 2 minutes. C’est très bien, vous avez une bonne condition physique. En revanche, la tension artérielle est limite : 14/9 au repos, 17/8 en fin d’exercice. Pas de drame, mais il est nécessaire de faire une épreuve d’effort pour voir les chiffres au voisinage de votre maximum. Et puis, vous le savez, il faut éviter les efforts trop intenses. Et surtout vous devez mouliner aux alentours de 80 à 90 tours par minute. Lorsque vous alternez rapidement contraction modérée et relâchement musculaire, les muscles se comportent comme de véritables pompes qui aspirent le sang et soulagent d’autant le travail cardiaque. Le cœur pousse moins fort et la pression dans les artères diminue. À l’inverse, en tournant lentement sur une résistance importante, les contractions lentes et puissantes écrasent les vaisseaux. Le cœur doit se contracter plus vigoureusement et la tension s’élève.

Alain : Ah parlons-en ! Pour mon départ à la retraite, j’ai voulu me faire plaisir ! Je me suis offert un très beau vélo tout carbone. Je voulais un triple plateau, le jeune vendeur m’a dit d’un air condescendant : " Monsieur, ça n’existe plus ! Maintenant les vélos sont équipés de groupes compacts. Le développement le plus faible est un 34/32. Trente-quatre dents sur le petit plateau et trente-deux sur le grand pignon. Avec ça, vous grimpez aux arbres ! " J’ai essayé ! C’est loin d’être évident ! Je tourne à 50 tours par minute et je suis au taquet sur les côtes de la vallée de Chevreuse. J’y atteins fréquemment mon maximum. Mon cardiofréquencemètre mentionne souvent 155. Je suis retourné au magasin, pour changer de développement. Le même vendeur m’a regardé les yeux écarquillés : " Vous êtes à votre maximum avec un 34/32 dans les bosses de la région parisienne ! " Le doc : Ah c’est sûr ! Il a du mal à faire fonctionner ses neurones miroirs. Il n’a pas accès à l’empathie. Les vélocistes emploient souvent de jeunes compétiteurs qui ne comprennent rien au cyclisme de loisir pratiqué par des gens plus âgés et moins talentueux ! Et, malheureusement, c’est la même chose chez les fabricants ! Là, c’est un vrai problème ! L’équipement " santé plaisir " n’est plus disponible ! Au sein de mes patients et dans les pelotons, votre profil est très fréquent. Je croise beaucoup de cadres de la cinquantaine ou de jeunes retraités. Ils se mettent souvent au vélo car leurs articulations les invitent à réduire la course à pied. Les enfants sont autonomes, la maison est payée, les charges fixes ont considérablement diminué et le budget vélo peut augmenter ! Eh bien, c’est simple : l’offre adaptée à ce créneau porteur n’existe plus ! C’est à se demander si les grandes marques disposent d’un service marketing ! ✱