Gustav Meyrink - Le Golem, 1915

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Avant que j’eusse pu comprendre cette vision, le moine était revenu. Mon pouls battait trop fort. La malheureuse, penchée sur ma main, pleurait silencieusement. Je lui donnais de la force qui avait fait irruption en moi pendant que je lisais la lettre et m’emplissait désormais à déborder. Je la voyais passer lentement en elle et la conforter. « Je vais vous dire pourquoi je me suis tout de suite adressée à vous, maître Pernath, reprit-elle doucement après un long silence. C’est à cause de quelques mots que vous m’avez dits autrefois et que je n’ai jamais pu oublier depuis tant d’années… Tant d’années ? Mon sang se figea. « En prenant congé de moi, je ne sais plus pourquoi ni comment, j’étais encore tout enfant alors, vous m’avez dit gentiment et pourtant d’un air si triste : – Ce jour-là ne viendra peut-être jamais, mais si vous vous trouvez en difficulté dans la vie, pensez à moi. Le Seigneur Dieu permettra peut-être que ce soit moi qui vous vienne en aide. « Je me suis vite détournée et j’ai fait tomber mon ballon dans le bassin pour que vous ne puissiez pas voir mes larmes. Et puis j’ai voulu vous donner le cœur de corail rouge que je portais à un ruban de soie autour du cou, mais j’ai eu honte parce que cela aurait paru si ridicule. Souvenir. Les doigts de la paralysie tâtonnent, cherchant ma gorge. Une apparition venue du pays lointain et oublié de mon désir surgit devant moi, immédiate et terrifiante : une petite fille habillée de blanc, au milieu des pelouses sombres d’un parc, cons-

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