Gustav Meyrink - Le Golem, 1915

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Tout ce que j’avais possédé alors n’avait-il pas disparu : le livre Ibbour, le jeu de tarots fantastique, Angélina et même mes vieux amis Zwakh, Vrieslander et Prokop ! La veille de Noël était arrivée et je m’étais acheté un petit sapin avec des bougies rouges. Je voulais être jeune une fois encore et avoir autour de moi la danse des petites flammes, l’odeur des aiguilles résineuses et de la cire brûlée. Avant la fin de l’année je serais peut-être déjà en chemin, à la recherche de Hillel et de Mirjam par les villes et les villages, partout où m’attirerait mon instinct profond. Toute impatience s’était peu à peu éteinte en moi et toute crainte que Mirjam eût été assassinée : dans mon cœur je savais que je les retrouverais l’un et l’autre. Il y avait comme un perpétuel sourire en moi et quand je posais la main sur quelque objet, j’avais l’impression qu’une grâce en émanait. Le contentement d’un homme qui rentre chez lui après un long voyage et aperçoit de loin les tours de sa ville natale m’emplissait étrangement. J’étais retourné un jour dans le petit café pour emmener Jaromir passer la Noël chez moi. J’y avais appris qu’il n’avait plus jamais reparu et je m’apprêtais déjà à repartir, tout attristé, quand un vieux colporteur était entré pour proposer de petites vieilleries sans valeur. Je fouillai dans sa boîte et voilà que parmi les breloques, les petits crucifix, les peignes, les broches, un minuscule cœur en pierre rouge attaché à un ruban de soie brodée me tomba sous la main. Je reconnus avec stupéfaction le souvenir qu’Angélina m’avait donné près de la fontaine dans le parc de son château, alors qu’elle était encore petite fille.

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