Gustav Meyrink - Le Golem, 1915

Page 257

Mais je sentais qu’il avait raison : ce jour-là ne viendrait jamais. Je le revoyais devant moi, les yeux flamboyants, les épaules de poitrinaire, le haut front noble. Peut-être si une main secourable était intervenue à temps dans cette vie gâchée, tout aurait-il été différent. Je repris la lettre et la lus une fois encore. Quelle méthode dans la folie de Charousek ! D’ailleurs était-il fou ? J’eus presque honte d’avoir toléré cette pensée, fût-ce une seconde. Les allusions n’en disaient-elles pas assez long ? C’était un être comme Hillel, comme Mirjam, comme moi, un être au pouvoir de son âme qui l’entraînait à travers les gouffres sauvages et les précipices de la vie, toujours plus haut vers les neiges éternelles d’un monde inviolé. Il s’était préparé au meurtre toute sa vie et pourtant n’étaitil pas plus pur que n’importe lequel des rechignés qui prétendent suivre les lois machinalement apprises d’un prophète mythique inconnu ? Il observait le commandement que lui dictait un instinct irrésistible, sans jamais penser à une récompense ni dans ce monde ni dans l’autre. Ce qu’il avait fait, était-ce autre chose que le pieux accomplissement d’un devoir au sens le plus caché du terme ?

– 257 –


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.