Gustav Meyrink - Le Golem, 1915

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– Pas du tout singulière si vous réfléchissez que des centaines de milliers de gens en font, et ne font même rien autre en réalité toute leur vie. – Oui, les autres ! Elle était toujours complètement décontenancée. Je lui pris les deux mains. – Ces satisfactions que les autres connaissent, je voudrais que vous en jouissiez aussi, Mirjam, et dans une mesure encore infiniment plus grande. Elle devint soudain blanche comme un cadavre et je vis à la sourde fixité de son regard à quoi elle pensait. J’en éprouvai un choc. – Il ne faut pas toujours porter avec vous le… le miracle, Mirjam, lui dis-je. Ne voulez-vous pas me le promettre par amitié ? Elle entendit l’angoisse dans ma voix et me regarda d’un air étonné. – S’il ne vous bouleversait pas à ce point, je pourrais me réjouir avec vous. Mais ainsi, non. Savez-vous que je m’inquiète beaucoup pour vous, Mirjam ? Pour, pour… comment dirais-je ? votre santé spirituelle ! Ne prenez pas ce que je vais dire au pied de la lettre, mais je voudrais que le miracle n’ait jamais eu lieu. J’attendis une contradiction, mais elle se contenta de hocher la tête, perdue dans ses pensées. – Il vous dévore ! N’ai-je pas raison, Mirjam ?

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