Ja 2742 du 23 juillet au 3 aout 2013

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Culture médias

Visite guidée

Durant deux mois, J.A. sillonne le continent à la découverte de lieux culturels qui ont marqué l’histoire de leur pays.

accords et désaccords Avant d’être le musée des Arts et traditions populaires de Fès, Dar batha a été un palais royal. C’est là que fut signé le traité de protectorat entre la France et le Maroc en 1912. Nicolas Michel,

envoyé spécial

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ehors, il y a la chaleur de 15 heures qui écrase tout. Dedans, l’ombre fraîche dispense une caresse salvatrice. Cette ombre, de nombreux visiteurs l’ont connue et certains sont morts depuis longtemps, comme le premier résident général du protectorat français au Maroc, Hubert Lyautey, décédé en 1934. L’arbre immense dont les frondaisons chatouillent le soleil est un chêne vert (Quercus rotundifolia) qui trône ici depuis plus de cent ans, majestueux, imposant, paisible. A-t-il été planté avant ou après la construction de Dar Batha, à la fin du XIXe siècle ? Sa présence est si intense que l’on est tenté d’imaginer que lorsque le sultan du Maroc Moulay Hassan I er décida d’édifier cette demeure non loin de la médina, à deux pas de la porte Bab Boujloud, il le fit par amour pour un arbre. Comme Saint Louis qui, dit-on, rendait la justice sous un chêne, le sultan souhaitait utiliser Dar Batha pour les audiences royales lors du séjour estival. Après sa mort en 1894, le lieu fut achevé et embelli par son fils et successeur, Moulay Abdelaziz. Mais l’Histoire devait plutôt retenir le nom de son frère, le sultan Abd al-Hafid. cobalt. Si le vieux chêne de Dar Batha

pouvait parler, il raconterait comment Abd al-Hafid, opposé aux accords d’Algésiras (1906), qui plaçaient le Maroc sous la protection de plusieurs puissances européennes, destitua son cadet avec la complicité du pacha de Marrakech, mais se retrouva, dès 1911, assiégé à Fès à la suite de soulèvements populaires hostiles – et bientôt contraint de demander N o 2742 • du 28 juillet au 3 août 2013

l’aide des troupes françaises stationnées dans la région de Casablanca. En répondant à son appel, les troupes françaises outrepassaient clairement les limites des accords d’Algésiras, et l’Allemagne réagissait vertement en envoyant le croiseur Panther mouiller au large d’Agadir. Une rude négociation permit d’éviter la guerre, l’Allemagne y gagnant le Neukamerun, le « bec de canard » ajouté au Kamerun qu’elle possédait déjà. Eugène Regnault, ministre plénipotentiaire de la France à Tanger, avait désormais les mains libres – et 5 000 hommes armés – pour acculer le sultan à signer le traité de protectorat. En France, le socialiste Jean Jaurès monta à la tribune : « Et d’abord, je vous demande : de quel droit prenons-nous le Maroc ? Où sont nos titres ? On prétend que c’est pour rétablir l’ordre… N’ajoutez pas, messieurs, que c’est pour promouvoir la civilisation… Il y a une civilisation marocaine capable de révolution et de progrès, civilisation antique et moderne. […] C’est pour cela qu’au nom du droit bafoué, moqué, mais qui est la grande réalité de demain, nous protestons contre le principe même de ce traité de protectorat. » Belle envolée qui ne suffirait pas à faire barrière aux manœuvres impérialistes de la France. Le 30 mars 1912, c’est dans le cadre idyllique de Dar Batha que fut signé le traité de Fès par Eugène Regnault et Moulay Hafid. Le premier article dit tout ou presque : « Le gouvernement de la République française et Sa Majesté le sultan sont d’accord pour instituer au Maroc un nouveau régime comportant les réformes administratives, judiciaires, scolaires, économiques, financières et militaires que le gouvernement français

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jugera utile d’introduire sur le territoire marocain. » De nombreuses tribus se révoltèrent et le président du Conseil, Raymond Poincaré, chargea le général Hubert Lyautey de faire appliquer le traité. Ce dernier arriva à Fès en mai, s’imposa par la force, et le sultan abdiqua en août 1912. Le résident général ne s’installa pas à Dar Batha, dans l’ombre du chêne, et le palais fut transformé en musée des Arts et traditions populaires en 1915, « par la volonté du gouvernement chérifien et du protectorat français », comme le précise aujourd’hui le site du ministère de la Culture marocain. Notre bel arbre reçut à ce moment un soutien de poids, celui du fort bien nommé architecte paysagiste Jean-Claude Nicolas Forestier. Le premier jardin qu’il aménagea fut en effet celui de Dar Batha, selon le plan jeuNe afrique


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