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Forum Politologue et journaliste
La seconde indépendance de la Tunisie
L
e 20 mars 1956, jour de la signature de l’acte d’indépendance par le président du Conseil français Edgar Faure et le Premier ministre tunisien d’alors, Tahar Ben Ammar, est une date très importante dans l’Histoire de notre pays. Mais il est indéniable que la date réelle à laquelle les Tunisiens ont obtenu une véritable démocratie, les libertés individuelles et publiques est le 14 janvier 2011. Car durant les régimes de Bourguiba et de Ben Ali, nous n’étions ni des citoyens libres ni des citoyens à part entière. Comme dit l’adage, tout vient à point à celui qui sait attendre. Grâce à ses martyrs, à sa jeunesse et à la volonté de tout un peuple, la Tunisie a changé de visage. Elle a banni à tout jamais un régime dictatorial et corrompu. Déterminée dans sa volonté de changement, notre jeunesse a refusé de continuer à subir ce que les aînés avaient accepté pour toutes sortes de raisons. MAIS, ON NE LE RAPPELLERA JAMAIS ASSEZ,
révolution ne rime pas avec anarchie. Prôner le désordre et participer au chaos, c’est, a contrario, une contre-révolution menée avant et après le 14 janvier par des partisans de l’ancien régime. Sans doute en vue de préserver leurs privilèges et de continuer à faire partie de la classe dirigeante. Quitte à retourner leur veste, à opérer des virages à 180° à recourir à toutes sortes de combines (confusion, camouflage, récupération). Ce que politologues et sociologues appellent phénomènes démagogiques. S’il n’est pas question de chasse aux sorcières, il faut se dire que le retournement de veste n’est plus de mise dans la Tunisie libérée d’aujourd’hui. Plus rien ne sera comme avant. Rien ne pourra, désormais, arrêter la marche de la liberté. À plusieurs reprises, la classe politique, composée essentiellement de cadres d’État, a confisqué à son seul profit la démocratie, les libertés publiques et individuelles des Tunisiens. Tel fut le cas des oligarques du Parti socialiste destourien (PSD), détestable parti unique devenu Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), sous l’autorité du président Habib Bourguiba. Puis il y a eu particulièrement les oligarques du régime dictatorial et mafieux du général Ben Ali, promu chef de l’État à la faveur du coup d’État de « santé » du 7 novembre 1987. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 16 • D U 2 7 F É V R I E R A U 5 M A R S 2 0 11
Le passage de la dictature à la démocratie, inimaginable il y a quelques semaines à peine, est devenu une réalité dans notre pays. En moins d’un mois, le paysage politique tunisien a totalement changé. Cela dit, en plus de la gestion des affaires courantes de l’État, il y a un impératif urgent : la reconstruction patiente, sur des bases solides et démocratiques, du champ politique tunisien. Toutes les forces et sensibilités doivent être associées à ce processus, y compris les mouvements politiques exclus et marginalisés jusqu’ici. Il faut également instaurer des espaces d’expression, de dialogue et de débats publics. FORCE EST DE CONSTATER QU’IL Y A, au niveau
du président de la République par intérim, Fouad Mebazaa, et du Premier ministre du gouvernement provisoire, Mohamed Ghannouchi, l’absence d’une feuille de route rationnelle, claire et précise, en vue d’une gouvernance efficace. On note aussi un nonrespect des doléances du peuple tunisien, en l’occurrence la dissolution pure et simple du RCD, le principal instrument de la dictature du général Ben Ali. À quoi s ’a j o u t e u n e t r è s mauvaise communication de la présidence de la République et du gouvernement provisoire. Cela est t r è s p r é ju d i c ia b l e à notre pays et à ce que nos deux hauts dirigeants intérimaires qualifient de « merveilleuse révolution ». Dans leur ensemble, les Tunisiens ne cessent de se poser des questions. Pourquoi tout n’a-t-il pas été dit sur la fuite du président déchu ? Ils se demandent pourquoi ce dialogue de sourds entre eux et les actuels dirigeants et jusqu’à quand cela va durer. Les Tunisiens ont droit à l’information. Il ne doit pas y avoir de non-dits au niveau de la présidence et de la primature intérimaires. La démocratie et la révolution s’en accommodent mal. Plus rien ne sera plus comme avant. ■
Notre jeunesse a refusé de continuer à subir ce que les aînés avaient accepté pour toutes sortes de raisons.
DR
KHALED MONGI TEBOURBI