Opus 2011 Demeure du Chaos

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Une nourriture difficile à avaler, pour reprendre une expression courante, entre ici dans un lent processus digestif, notamment les images issues de l’actualité. Les artistes travaillant sur place reprennent, avec la lenteur nécessaire à l’acte de peindre, des photographies sélectionnées par Thierry Ehrmann sur Internet. Ces images de la violence du monde, habituellement aussi vite oubliées qu’elles sont consommées, prennent une dimension plus tangible et durable sur les murs de la Demeure du Chaos. Pour Thierry Ehrmann, ces scènes sur-dimensionnées et dépouillées de leurs légendes s’imposent avec d’autant plus de brutalité et de vérité. Il est question de violence, d’absurdité, de pouvoir, de justice et d’injustice, de police et d’anarchie, de droit et de non-droit, de politique, de folie, de technologie… une interrogation perpétuelle qui fait vaciller les repères, donne le tournis… Accusée de se repaître du scandale, la Demeure du Chaos se nourrit plutôt du débat public, des réactions face à ce qui doit nous scandaliser. A ce titre, le combat judiciaire engagé avec la municipalité de SaintRomain au Mont d’or participe intégralement à la logique de l’œuvre, en reposant la question soulevée par Marcel Duchamp il y a près d’un siècle : comment définir ce qui est ou n’est pas de l’art ?

Le Monstre et la Liberté La Demeure du Chaos ne constitue pas un circuit fermé mais ouvert sur le monde, le passé, le présent et le futur. On pourrait parler à son sujet de trou noir positif car son champ d’exploration est d’une immense amplitude, et dans le désordre apparent, vise à la clarté.

L’insatiable Thierry Ehrmann est un personnage boulimique et protéiforme. Peu étonnant qu’il ait engendré une œuvre vorace. La Demeure du Chaos, dont il écrit l’acte conceptuel en 1999, est pour qui y pénètre, un monstre dévorant et insatiable. Son festin gargantuesque est permanent, alimenté par des images obsédantes tirées de l’actualité, par une nébuleuse de signes, chiffres, traces, symboles alchimiques, des œuvres hybrides calcinées, taggées, éventrées, des références au passé, au présent, au futur, des hommages à l’art, la science, la SF, des citations ironiques, satiriques, inspirées… un désordre fou pour un espace qui ne cesse de déborder ses propres limites.

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En réponse, la vague de pétitions signées pour soutenir la Demeure du Chaos contre la censure et l’obscurantisme (les termes sont récurrents), est une véritable performance (au sens propre et artistique du terme). En alimentant le débat, les signataires se trouvent intégrés à l’œuvre, de même que les détracteurs1 … vous étiez prévenus, la Demeure du Chaos est affamée ! Pour défendre la Demeure du Chaos contre une menace de destruction, les signataires de la pétition ravivent la mémoire des scandales et procès suscités dans le passé par des œuvres d’avant-garde. Ils invoquent fréquemment les polémiques violentes déclenchées par le Palais idéal du facteur cheval, les Colonnes de Buren dans la cour d’honneur du Palais Royal de Paris, “l’inutile et monstrueuse Tour Eiffel” telle qu’on la qualifiait en 1887, alors qu’elle était encore en travaux. Les pétitions regorgent de références architecturales – et souvent celle du Centre Pompidou, pour lequel les architectes Renzo Piano et Richard Rogers essuyèrent pas moins de sept procès pendant la construction – mais aussi littéraires, musicales, plastiques, scientifiques, populaires. On en appelle à Jerome Boch, Giger, Mozart, Galilée, André Gide, Antonio Gaudi, Gustave Courbet, Francis Picabia, Pablo 1

Les portraits détournés de Pierre Dumont (ancien maire de Saint-Romain-au-mont-d’Or) et de Françoise Revel (maire actuelle) font d’ailleurs partis des murs.


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