L'echo de l'etroit chemin n° 22

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Éditorial, Danièle Duteil Sélection haïbun

Sommaire

Thème : Hommage Delphine, Marie-Noëlle Hôpital Fin d’après-midi, Coralie Creuzet Hommage à ma voisine, Monique Leroux Serres Hommage à Erri-De-Luca, Germain Rehlinger D’abord les mots, Jo(sette) Pellet A l’école des poètes, Isabelle Freihuber-Ypsilantis Il a deux trous rouges au côté droit, Françoise Kerisel La pierre philosophale, Daniel Birnbaum

p. 5 p. 7 p. 9 p. 13 p. 15 p. 19 p. 23 p. 25

Thème libre Marco Polo, Christiane Ourliac Pique haïku, Nicolas Lemarin

p. 29 p. 31

Coup de cœur La pierre philosophale, de Daniel Birnbaum, par Monique Mérabet

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p. 33


Appel à textes : haïbun, tanka-prose et haïku

p. 35

Compte rendu : atelier haïbun, Monique Leroux Serres

p. 37

Essai

p. 41 Saison des pluies, d’Alain Kervern

Livres Tes lunettes sans ton regard, haïbun de Joanne Morency,

p. 47

par Danièle Duteil La fleur de Chiyo, roman d’isabel Asùnsolo, par Monique Mérabet

p. 50

La vie de l’AFAH Nos adhérents ont du talent : Publications Annonces et rendez-vous : o Festival du tanka francophone international o Rencontre AFAH dans les Côtes-d’Armor o Kukaï Adhésion

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p. 53 p. 64

p. 66


Éditorial Mon pays natal détrempé par la pluie je le foule pieds nus Taneda Santôka 1

En février 2017, paraissait la première publication spéciale « haïbun et tankaprose », commune aux Éditions du tanka francophone et à l’AFAH : la Revue du tanka francophone n° 30. Avis à ceux et à celles qui ne se seraient pas encore procuré ce numéro exceptionnel, qui fut une belle occasion d’échanger sur le thème de l’écriture mixte, prose et poésie mêlées, pratiquée au Japon depuis les premiers siècles de sa littérature. Cette expérience positive sera reconduite en février 2018. La coopération AFAH et Éditions du tanka francophone s’affermira encore dans les prochains mois, avec la publication d’un recueil collectif conjoint, haïbun et tankaprose : se reporter à la rubrique « Appel à textes », en p. 35, pour de plus amples renseignements. Figurent aussi les appels à haïbun pour L’écho de l’étroit chemin (n° 23 en août et n° 24 en septembre), ainsi qu’un appel à haïkus francophones réservé aux femmes : un collectif de haïkus de femmes devrait voir le jour aux Éditions Pippa, début 2018. L’assemblée générale de l’AFAH s’est tenue à Paris en février 2017. Elle a confirmé et approuvé les dispositions ci-dessus mentionnées. Le nouveau Conseil d’administration se compose de cinq membres : trois réélu.es pour le bureau : moimême, présidente, Michel Duteil, secrétaire, Germain Rehlinger, trésorier ; et Meriem Fresson, réélue administratrice, ainsi que Gérard Dumon, réélu administrateur. Les changements évoqués plus haut ont décalé la périodicité de L’écho de l’étroit chemin. Ainsi, ce numéro 22 (et non 23 comme écrit ailleurs par erreur), consacré au thème de l’hommage, était-il impatiemment attendu. Si Taneda Santôka rend hommage à son pays natal, dans le haïku cité en exergue de cet éditorial, la plupart des contributeurs et contributrices ont choisi d’honorer des personnes illustres –ou non : écrivain, poètes, chanteuse, actrice, réalisatrice, héros de guerre, tailleur de pierre et résistant, vieille voisine, voire enfant nouveau-né. En deuxième partie de sélection, les auteur.es ont préféré deviser sur un thème libre, parfois sur le mode humoristique. La suite du journal offre la lecture d’un compte rendu d’ateliers haïbun menés par Monique Leroux Serres, d’un essai sur la Saison des pluies, d’Alain Kervern, et de nombreuses présentations d’ouvrages dans la rubrique « Livres » (pour l’écriture mixte), ou dans « Nos adhérents ont du talent », sous-rubrique « Publications ». Les derniers mois ont été très féconds pour la création littéraire tournée vers le Japon. -------------------1. Anthologie du poème court japonais, trad. Corinne Atlan et Zéno Bianu, Poésie / Gallimard, 2012. ISBN : 978-0-07-041306-5.

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Ne pas manquer de parcourir les pages « Annonces et rendez-vous » afin d’être informé sur le prochain festival du tanka francophone international, qui se tiendra à Montréal du 1er au 3 juin, ou sur la rencontre « écriture haïbun » prévue par l’AFAH début octobre 2017, dans les Côtes-d’Armor. Pour finir, un petit rappel aux auteur.es qui ne seraient pas encore à jour de leur cotisation 2017 : les modalités d’adhésion se trouvent en dernière page de ce numéro. Bonne lecture ! Danièle Duteil

Atterrissez (gravure)

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Delphine Homme, âge, hommage… un mot qui pèse comme un cercueil près d’un encensoir d’où émane un parfum lourd, entêtant, masculin, un mot qui succède à la mort, à ses sombres desseins, à ses pompeux catafalques. Pesanteur et grâce. C’est en effet à une femme gracieuse, à la silhouette svelte et à la voix grave, que je veux rendre hommage. Delphine Seyrig, comédienne, réalisatrice, survit dans ma mémoire, surgit sur les écrans, nimbée de cheveux d’or, jeune feu follet. L’actrice au visage délicat, à l’apparence légère, était dotée d’une voix rauque, profonde et caressante, de ces voix qu’on aime entendre la nuit. Solaire beauté, lunaire envoûtement. Delphine fut associée au mouvement féministe, mais aussi aux plus grands cinéastes de son temps. Elle donne l’aura d’une déesse à la vendeuse de chaussures des Baisers volés de Jacques Truffaut. Liée pour toujours à un fleuve oriental, à une musique langoureuse, elle fascine dans India Song, l’égérie qui épouse l’écriture dense de Marguerite Duras. Pour Chantal Akerman, l’actrice interprète magistralement Jeanne Dielman, veuve à la vie banale, minutieusement réglée ; en épluchant les pommes de terre ou en faisant le café, en accomplissant les gestes les plus simples, elle subjugue et laisse deviner la violence qui couve sous le rite quotidien. Autre personnage, celui d’Aloïse, film de Liliane de Kermadec, où Delphine Seyrig ressuscite une artiste ; elle campe une jeune femme fragile et émouvante, qui espère devenir cantatrice. La guerre va briser son élan. Durant de longues années, Aloïse, enfermée dans un asile, s’est exprimée par le dessin, déployant un monde imaginaire coloré et foisonnant qui se trouve de nos jours aux cimaises des musées. La douce folie charme et séduit.

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Une vision très évanescente demeure intensément gravée, celle de Peau d’Ane, conte revisité par Jacques Demy. Delphine y joue la fée ravissante à la présence magique, éphémère, la marraine sensuelle et radieuse. La rémanence d’une lumière sur l’écran… la seconde vie.

Marie-Noëlle HÔPITAL (France)

Asphodèle (symbole d’estime et de regret)

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Fin d’après-midi Fin d'après-midi...Une photo de mon père tombe d'un livre d'enfant. Installée sur le canapé pour lire quelques histoires, avec ma fille et mon ventre rond, je me sens de plus en plus inconfortable... la lumière descend... un bruit de pas dans l'escalier Les fleurs se ferment, mais je ressens, incertaines, les premières contractions... Je demande à la sage-femme au téléphone quand je dois venir ; à mon grand dam, elle me répond : quand tu le sens... un peu perdue en sortant de chez moi l’Étoile du Berger Sur la route de la maternité, dans la nuit déjà profonde, tout tremble autour de moi... De nids de poules en dos d'âne, ton papa se dépêche, doucement. pensées vagabondes... pieds nus dans les couloirs de la maternité Après avoir découvert notre chambre, nous nous dirigeons vers la baignoire mise à disposition pour les parturientes. La sage-femme m'arrose le ventre d'eau chaude, à chaque contraction... Les vagues d'un océan énigmatique te poussent peu à peu vers notre rivage.

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là, dans un coin du monde le rire des oies sauvages Des heures durant, je chante, d'une voix de plus en plus forte, de plus en plus vibrante, j'accompagne les lames... J'essaie de sentir... tout est si ingérable et si important... vertige... une nuit sans fond Je crie, mords, vomis... la douleur est bien trop grande... Et toi, comment tu te sens ? passage à gué... je laisse la rivière me traverser Accroupie face au miroir, les poings fichés dans les paumes de ton père, je pousse longtemps, m'aligne avec les forces vives de l'Univers qui te guident... Finalement, dans une salle sans fenêtre, à l'aube, incarnée en toi la lumière entre ! sommeil lourd... son petit nez s'enfonce dans mon sein blanc

Coralie CREUZET (France)

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Hommage à ma voisine Ma voisine de jardin s'appelle Mme Perrault, "comme les contes" m'a-t-elle dit quand elle s'est présentée. Originaire de la Manche, elle est arrivée au village par son mariage avec un couvreur du pays. Quand je l'ai connue, elle était déjà veuve. Tous les jours, je la voyais passer sur le chemin des jardins, en blouse ciel à fleurs l'été, avec un bob bleu ; en veste matelassée avec un foulard sur la tête pour les brouillards d'automne. Souvent, j'allais la retrouver.

Masse indiscernable assise sur un seau retourné Le calme des choses L'été, quand nous avions fini d'arroser, on s'asseyait toutes les deux sur le muret, pour admirer la lumière qui baissait et dorait le paysage. Nos jardins donnent sur d'autres jardins en contre-bas et sur la Sarthe où passent silencieusement des bateaux blancs entre les arbres. Et nous n'avions aucune envie d'être ailleurs. Dans la douceur des fins d'après-midi, elle me racontait son enfance au pied du Mont Saint Michel, ce jour en particulier où bombardée, la maison s'écroula sur elle. Elle resta de longues heures coincée dans les gravats, épargnée par la portance d'une poutre.

Arrosoirs bleus alignés dans l'allée L'eau se repose Elle ramassait dans son panier quelques tomates, une salade. Puis avant de partir, elle s'asseyait sur le muret et m'attendait. .

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Un jour, je lui parlai de Kyoto. Elle s'étonnait : "Mais pourquoi aller si loin ? C'est tellement beau ici !" Je lui racontai qu'on s'asseyait comme ça, au bord du jardin zen, pour le contempler et méditer. Que le jardin n'était composé que de sable ratissé et de pierres – ses sourcils se soulevaient d'étonnement –, que l'arbre y brillait par son absence... Pas de parfum de fleurs, pas une feuille tombée, pas d'ombre, pas de nids, pas d'égouttements après la pluie, pas de bruit du vent dans les branches. Un tel jardin sec fait naître en nous le désir de quelque chose d'immense. Elle me dit alors : "C'est comme mon jardin ; avant il était vide, il attendait son arbre". Et elle me raconta l'histoire de son noyer. Son mari, enfant du village, avait grandi dans une famille nombreuse. Pour la cinquième ou sixième naissance, sa belle-mère manquait de place pour sécher le linge, alors son beau-père tendit dans le jardin un fil sur plusieurs poteaux de bois. Or, l'un de ces pieux prit racine, et partit en rameaux. Quatre-vingts ans plus tard, il était devenu ce magnifique noyer. Je m'en étonnais beaucoup. Elle, non. Elle disait : "C'est la terre qui décide. La terre fait ce qu'elle veut. Vous pouvez planter ce que vous voulez, si la terre ne veut pas, rien ne se passe". Mais souvent avec elle, la terre voulait, des choses qu'on ne peut même pas imaginer : une noisette cachée par un écureuil, un oiseau qui laisse tomber une fraise des bois et qui envahit tout un coin du jardin, des graines de fleurs venues on ne sait d'où, par le vent ou un insecte, qui colonise une plate-bande, un talus. Mme Perrault accueillait ces choses qui viennent toute seules.

Quelques fleurs de poireaux pour les graines Nuit étoilée Longtemps, je me suis émerveillée de son immense noyer. C'était toujours le dernier à sortir ses feuilles. Bien que le sachant, chaque année je m'inquiétais au fil des jours... Et puis pour finir, apparaissaient ces feuilles épaisses et luisantes, cette odeur particulière, puis ces fruits ronds et verts grossissant en quelques semaines, jusqu'à leur chute en septembre, éclatant les bogues.

Pluie d'automne Les feuilles mortes se mêlent à la terre

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Mais une année, le noyer finit bel et bien par mourir. Pour consoler ma voisine, je lui racontai un soir la vie de cette Africaine, Wangari Muta Maathai, qui fut la première femme à recevoir le prix Nobel de la Paix en 2004 pour avoir planté des arbres. Ses grands yeux bleus me regardaient incrédules. Je continuai : quand elle mourut en 2011 à Nairobi, sa dépouille fut déposée dans un cercueil confectionné en bambou et en fibres de jacinthe, pour respecter la demande qu'elle avait faite à sa famille qu'on ne coupe aucun arbre pour fabriquer son cercueil. Alors, Mme Perrault hochait la tête d'approbation en regardant la rivière. Et, un après-midi de fin d'été, le ciel me tomba sur la tête. Mme Perrault ne voulait rien savoir, quoi que je dise, m'affirmant que "non", je n'étais pas la voisine, qu'elle en était sûre, parce qu'elle était plus grande que moi.

Des yeux d'azur Ses boucles blanches un peu folles détricotant le temps Elle vieillit depuis plusieurs années, inconsciemment, à la maison de retraite. Quand je vais au jardin maintenant, je vois le sien qui petit à petit s'ensauvage. Mais son rosier, très ancien dont plus personne ne sait le nom, avec beaucoup d'épines et des roses sombres très parfumées, se rapproche chaque printemps de ma clôture. Et cet été, pour la première fois, un surgeon est passé sous le grillage et s'épanouit de mon côté. Merci chère voisine !

Les arbres et même les buissons toujours plus près que nous du ciel Monique LEROUX SERRES (France)

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Portrait de Bouddha (gravure)

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Hommage à Erri De Luca À l’approche du vallon, le guide nous avertit qu’il récupérerait les cornes d’un bouquetin mâle, trouvé mort à l’automne. L’homme avait dissimulé les cornes sous des roches. Il les trouva rapidement, un peu blanchies par neige et intempéries ; il les lava dans le torrent, les mit à sécher le temps qu’on photographie cet emblème. À deux ils les portèrent. J’espère qu’elles ne finiront pas sur un mur comme ces horribles trophées de chasse ; elles éloigneraient le mauvais œil. Sur son éperon il domine la vallée survol d’un aigle J’ai pensé au livre Le poids du papillon d’Erri De Luca. Ce n’est pas l’histoire d’un bouquetin, mais d’un chamois et d’un braconnier ; il avait cessé de chasser les bouquetins, après avoir tué la mère d’un petit, dont il avait vu les yeux, grands, calmes, désolés comme ceux du maître de tout. On prend des leçons avec les animaux. Elles ne servent pas à réparer, seulement à s’arrêter. Le livre conte une fin de règne, une fin de vie, de deux rois, le roi des chamois et le roi des braconniers. Les deux la ressentent dans leurs capacités déclinantes. Les

animaux savent le temps à temps, quand il est utile de le savoir. Y penser avant est la ruine de l’homme et ne prépare pas à être prêt. L’animal a toujours échappé au chasseur ; il saute en premier sur l’homme mais juste pour l’effleurer avant de s’offrir à lui. La bête l’avait épargné, lui non. Il n’avait rien compris à ce présent qui était déjà perdu. L’homme veut alors donner une sépulture au roi, le charge sur son dos mais le poids des années sauvages lui apporta sa note sur les ailes d’un papillon blanc... Il s’effondra, le chamois sur le dos, face contre terre. Un bûcheron les retrouva au printemps, encastrés au point de ne pouvoir être séparés qu’à la hache… Sur la corne

gauche du chamois, la glace avait laissé l’empreinte d’un papillon blanc. Poids d’un papillon ? qu’un demi-gramme moins qu’une âme

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J’aime les superbes images d’Erri De Luca, des images d’artisan, façonnées dans le travail, la glaise, le bois, nées du corps : Le soir émousse, polit une dernière fois au papier de verre le jour fait à la main ou : L’été les étoiles tombaient comme des miettes… Alors,

il s’approchait de celles qui étaient tombées près de lui pour les lécher. Le roi goûtait le sel des étoiles. Ses phrases sont courtes, percutantes. Ses histoires sont des paraboles, des fables, empreintes d’une forte poésie symbolique et onirique, parsemées d’aphorismes récoltés dans l’expérience, au travers de l’alpinisme, de la lutte politique ou de l’écologie. De Luca est un réveilleur de mythes très anciens, d’une spiritualité toute physique. Voies dans le granit aux athlétiques fissures un gratton1 sauve L’escalade terminée -pour l’auteur italien elle est un retour à la marche à quatre pattes- on se déséquipait sur une terrasse, juste en face des couloirs : c’est là que les chamois se réfugiaient ; c’était à qui les trouverait. On restait à les observer dans la lumière oblique, jaloux de leur agilité dans les descentes, là où nous aurions dû mettre des cordes. Récemment De Luca a pris parti contre la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, en disant qu’elle devrait être « sabotée », au sens « d’entravée ». Il a été inculpé mais heureusement relaxé. Dans les voies en solo l’écriture, la société toujours il s’engage

Germain REHLINGER (France) -----------------------------1.

Gratton : terme d’escalade, désignant une petite prise de pied, comme un caillou, et qu’on peut gratter avec le chausson pour s’élever.

NB. Les citations en italique sont extraites du livre : Le poids du papillon (Folio Gallimard, 2011).

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Patti Montréal, Musée des Beaux-Arts, octobre 2016,

Pénis ou pistils le sexe sous toutes ses formes – en rester baba Parmi les photographies somptueuses et iconoclastes de Robert Mapplethorpe, qui à la fois me plombent – le côté hard sex – et me fascinent par leur perfection plastique, plusieurs portraits de Patti Smith m’accrochent et m’invitent à la rêverie… Mais qui est donc cette chanteuse au look de sauvageonne ?! Cette longue fille filiforme, aux yeux charbonneux et au corps d’adolescent ? soliloqué-je, moi qui, à l’époque où cette dernière explosait sur la scène rock, n’avais d’yeux que pour les Rolling Stones, et en particulier pour Mick Jagger !! Quelle place avait-elle dans le monde sexualisé à l’extrême de Mapplethorpe ? Ma curiosité est d’autant plus forte qu’un ami vient de m’offrir pour mon anniversaire M train, un bouquin de la même Patti Smith, qu’il me tarde maintenant de lire. Aussi, en sortant du Musée et encore sous l’emprise et le charme équivoque de cette exposition extra-ordinaire, acheté-je Just kids, un autre livre de Patti Smith sur les relations qu’elle a entretenues avec Mapplethorpe depuis leurs vingt ans et jusqu’à la mort de ce dernier. À mon retour de voyage, outre écouter en boucle CD et enregistrements des concerts de Patti, je me suis donc immergée dans ces deux livres et un troisième – Glaneurs de rêves… Quelques jours plus tard, j’en ressortais acquise, conquise, admirative ! Et c’est d’abord pour ses talents d’écrivaine, avant ceux de rockeuse, que je suis tombée en amour pour cette femme qui explore la solitude, écrit dans les bistrots, boit des litres de café, mange des toasts de pain noir avec de l’huile d’olive et vagabonde entre souvenirs des sixties-seventies et réflexions philosophiques et oniriques…

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Genève, samedi 11 février 2017

Devant l’Alhambra la queue se forme s’allonge – attente joyeuse Situé au cœur de la Cité, classé monument historique, ce vieux théâtre désuet est l’endroit idéal pour un concert d’une star aussi insolite et atypique. La foule est décontractée et débonnaire, malgré un vent glacial. Autant de jeunes que de… moins jeunes. Soudain un doute m’assaille : la rencontre in visu sera-t-elle à la hauteur de mes cogitations et représentations ? Va-t-elle me décevoir, cette personnalité hors normes, dont j’ai pris conscience de l’existence seulement depuis six mois mais qui, à travers ses écrits, m’est devenue si familière ? Enfin l’ouverture des portes, mais encore une heure avant le concert. La salle est ornée de peintures dorées et argentées. Sur la scène, pratiquement nue, seulement deux guitares, quelques micros et amplis. Apparaît d’abord un gars, l’air un peu perdu… qui ressort de suite, en marmonnant qu’il va revenir… Et finalement la voilà, la poétesse rockeuse, accompagnée du même gars – qui s’avère être Jackson Smith, son fils. Elle est en pantalons et l’une de ces vestes noires qu’elle affectionne ; toujours les mêmes longs cheveux ondulés, la même crinière libre, mais aujourd’hui blanchie… Une silhouette un peu épaissie – moins chat maigre –, plus féminine. Mais ce qui frappe tout de suite chez elle, c’est sa présence : intensément vivante, dense, vibratoire.

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À peine sur scène, bien avant de chanter, elle s’adresse au public. D’une voix confidentielle, ardente et bien modulée. Hypnotique. Elle s’exprime posément, simplement. Sans emphase, sans effets de manche, avec sincérité et humour. Elle nous lit des extraits de ses livres, nous parle de son vieil ami Mapplethorpe, puis plus tard dans la soirée, de Fred « Sonic » Smith, son époux, « l’homme de sa vie » et père de ses deux enfants, décédé peu après la quarantaine.

Immédiatement en résonance avec ses mots – femme flamme Elle évoque ses années de bohême, sa vie dans l’underground newyorkais, le Chelsea Hotel, William Burroughs, Allen Ginsberg… Ce dernier lui avait un jour payé un sandwich, alors qu’elle comptait ses sous devant le distributeur et qu’il l’avait prise pour un garçon. « Dois-je vous le rendre ? » avait-elle demandé, lorsque Ginsberg s’était rendu compte de sa bévue. « Non, avait-il répondu, l’erreur est de mon côté, alors garde-le. Mais tu aurais fait un bien joli mec ! ». Patti parle avec chaleur et naturel, partage avec le public non seulement des anecdotes du passé mais aussi sa vie actuelle, ses rêves et sa passion de toujours pour la poésie ; elle plaisante avec son fils quand ce dernier se lève pour vérifier les câbles dans lesquels elle vient de se prendre les pieds. « Il ne me fait pas confiance, rit-elle, pourtant je lui ai changé ses couches ! » Elle ne fait pas que parler, bien sûr ; entre deux, elle chante ! Quelques vieilles chansons, comme Wing, Because the night. Mais aussi When Doves cry, de Prince. Et des ballades, du blues, du rock… forcément ! Un rock qui fait rugir de bonheur le public ! Sa voix est toujours jeune, intacte ; ronde, sensuelle, enveloppante… Une voix qui vous embarque. Elle chantera aussi quelques chansons « engagées », appellera à la mobilisation, à la résistance contre la sinistrose et le manque d’espoir. Son discours est presque un peu naïf, à l’américaine… Comme quand elle conclut sa prestation par « People have the power, believe it ! » (« le peuple a le pouvoir, soyez-en certains !»), tend les bras, invite à l’action, à la mobilisation (À l’ère Trump, voilà qui ne manque pas de piquant !...).

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Standing-ovations, émotion… Le public vibre, l’acclame, la soutient, lui crie son amour inconditionnel. Patti Smith habite la scène, habite ses chansons, sa poésie. Patti nous habite…

Je te connais toi que je viens de rencontrer tu es ma jeunesse1 Jo(sette) PELLET (Suisse) ---------------------1

NDA : Est-ce un haïku ou un simple tercet, that’s the question… hommage à Shakespeare !!! ☺

Regard intérieur (gravure d’après sculpture)

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À l’école des poètes « L’indomptable, le redoutable, le lion est mort ce soir, viens ma belle, viens ma gazelle, le lion est mort ce soir ». J’étais encore écolière lorsque cette chanson passait sur les ondes, dans les années 60. Je me sentais heureuse pour la gazelle épargnée, mais le sort funeste du lion m’attristait. Il me rappelait le trépas d’un autre animal, altier et puissant : le loup. À l’époque, à l’école élémentaire, nous apprenions des récitations, aussi mélodieuses qu’un air de musique. La Mort du loup était l’une d’entre elles. Certains gardent sans doute un souvenir pénible de cet apprentissage. Tel n’est pas mon cas. J’en conserve au contraire une impression agréable, l’heureuse nostalgie d’un temps où la vie réelle ne s’étant pas encore révélée, la magie continuait d’agir tout en entrouvrant la porte d’une vérité moins féérique. Les poètes étaient les magiciens, leur poésie ouvrait cette porte. Ces hommes et leurs poèmes me semblaient empreints d’un même mystère. Par les images qu’ils faisaient naître en moi, les noms des poètes me paraissaient aussi poétiques que leurs vers. Je me souviens…

son nom sent bon les vacances de PâquesMaurice Carême Guillaume Apollinaire, fluide comme l’eau sous les ponts, doux comme ses amours. Charles Baudelaire et son Chant d’automne, prélude à l’air glacial de l’hiver. Victor Hugo, héros victorieux et barbu, partant sur les chemins, à l’aube blanche. Jean de La Fontaine, source inépuisable dans laquelle se miraient chênes et roseaux. Alphonse de Lamartine, mélange de larmes et de mélancolie.

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Arthur Rimbaud, beau garçon au regard clair, éternel "dormeur du Val". Émile Verhaeren, au nom imprononçable, issu de quelque contrée exotique. Paul Verlaine, léger comme une plume "par-dessus le toit" et dont les vers pleuraient, plus romantique que Paul Fort, pas assez frêle pour s’envoler vers le firmament. Alfred de Vigny, noble et stoïque, tout comme le loup face à son destin. Nulle silhouette féminine dans cette évocation et pourtant, me revient à l’esprit le nom d’Anna de Noailles. Peut-on rêver plus joli nom de poétesse ?

en ma mémoire rime avec encrier Théophile Gautier Les poèmes cachaient des secrets. J’entrevoyais, à travers mots et sons, un univers méconnu et dangereux. Si le côté enfantin et comique des animaux décrits dans les fables de La Fontaine amusait la petite fille, la flatterie, le mensonge, le mépris et la cruauté dont ils faisaient preuve l’inquiétaient. Le fauve dévorant l’agneau fragile et innocent était à ses yeux injuste et révoltant. Ciel calme et pluie douce, "violons de l’automne" et tintement de la cloche, chant d’un oiseau, quel paradis chez Verlaine ! Mais un paradis où naissaient sanglots, tristesse, fuite du temps et regret des "jours anciens". Était-ce cela, la vie d’adulte ? Un chant malheureux rythmant les heures, où il pleut et il pleure dans le "cœur qui s’écœure". Le pont Mirabeau d’Apollinaire, sous lequel la Seine s’écoulait, tout comme les amours qui ne reviendraient jamais, ne pouvait me consoler. Il semblait si loin, le pont d’Avignon où l’on dansait ! Je les revois encore, le petit cheval blanc de Paul Fort, si courageux, remuant "sa belle petite queue sauvage", foudroyé "sans voir le printemps" et le loup d’Alfred de Vigny, si digne, si fier, agonisant "sans jeter un cri". Leur mort était d’autant plus cruelle

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qu’elle résultait du caprice du ciel ou de celui des hommes. Tous deux étaient sacrifiés, l’un sur l’autel de la servitude, l’autre sur l’autel de la chasse. Adieu les histoires sucrées du "Manège enchanté" ou de la "Maison de Toutou" ! Puis vinrent Victor Hugo et Arthur Rimbaud. En compagnie du premier, "à l’heure où blanchit la campagne", je partais à travers forêts et montagnes, rejoindre un inconnu qui m’attendait. Qui était-ce donc ? Un ami, un parent, un amoureux ? Hélas, non ! Je partais à la rencontre d’une tombe, d’une personne disparue à laquelle j’offrais du houx vert et des fleurs de bruyère. J’allais à la découverte du deuil, du jour ressemblant à la nuit. Voilà où me mena Victor Hugo. En compagnie du second, je me promenais dans "un trou de verdure". Là où la rivière chantait, où la lumière pleuvait et où le cresson poussait bleu. Dans le lit vert de l’herbe dormait un jeune homme, "les pieds dans les glaïeuls" et le sourire aux lèvres. Devait-il être heureux pour se reposer ainsi, tranquille ! Mais quelle pâleur, quelle froideur dans ce corps immobile ! Pouvait-on le bercer et le réchauffer ? Non, c’était inutile. Plus jamais ses narines ne frissonneraient au parfum des fleurs. L’enfant soldat ne respirait plus. Il avait "deux trous rouges au côté droit". La guerre l’avait tué. Je voyais la jeunesse sacrifiée au champ d’honneur. Voilà ce que m’apprit Arthur Rimbaud. Ces poèmes, écrits dans une langue merveilleuse, dévoilaient à la fillette que j’étais les bonheurs et les malheurs de l’existence. À travers eux, je voyageais en douceur et en beauté dans un monde rempli de joies et de peines. Les saisons ont passé, l’enfance s’est enfuie. Pourtant, je n’ai jamais oublié ces récitations et leurs auteurs. La vie s’est chargée, au fil des désenchantements, de les rendre immortels.

salle de classey résonne encore le chœur des poètes Isabelle FREIHUBER-YPSILANTIS (France) ----------------Les poèmes auxquels il est fait référence sont : Le pont Mirabeau de G. Apollinaire ; Chant d’automne de C. Baudelaire ; Complainte du petit cheval blanc de P. Fort ; Demain, dès l’aube… de V. Hugo ; Le Chêne et le Roseau, La Cigale et la Fourmi, le Corbeau et le Renard, Le loup et l’Agneau, de J. de La Fontaine ; Le dormeur du val d’A. Rimbaud ; Chanson d’automne, Sagesse, Il pleure dans mon cœur, de P. Verlaine ; La Mort du loup d’A. de Vigny. La chanson citée en début de texte a pour titre : Le lion est mort ce soir.

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Hommage Ă Arthur Rimbaud (aquarelle)

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Il a deux trous rouges au côté droit Rémi Fraisse est ce botaniste de 21 ans, tué au bord du Tarn une nuit d'octobre 2014. Il était de ces manifestants protestant contre cette violence faite à la terre, à la nature. Un barrage de technocrates, retenue d'eau géante, allait se décider, pouvant casser l'équilibre de la faune, de la flore, chasser l'harmonie et la beauté du lieu. Dans le vieil étang plonge-t-elle encore la grenouille de Bashô ? Je me rappelle que Rémi Fraisse avait choisi pour objet d'étude ce que la vie a de plus fragile : un bouton d'or aux pétales en forme de cœur, en voie de disparition. Cette fleur est de la famille des renoncules, au nom-même habité d'une rainette ranoncula, petite grenouille qui elle aussi se fait rare. Ces appellations nous touchent. Et Rémi a pour patronyme Fraisse, qui désigne le frêne... Abritant, protégeant rana la rainette, ce bouton d'or a pour armes ses feuilles d'ophioglosse, ou langues de serpent, bien insuffisantes, face à la brutalité des méthodes nouvelles. Comment reprendre un combat de Rémi Fraisse, si ce n'est en évoquant après lui la grenouille rare, planquée parmi ces fleurs menacées, au bord des marécages ? Comment soutenir la cause de Rémi Fraisse, et écarter une fin de procès en non-lieu, quand Rémi a perdu la vie en ces lieux-là, près de Sivens ? « Hommage à Rémi » clament les pancartes – Veillée à la renoncule

Françoise KERISEL (France)

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« C’est un trou de verdure… »

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La pierre philosophale Le beau granite du Limousin, bien que dur à tailler, fait de belles et solides maisons. Des maisons pour l’éternité. Et pour l’éternité aussi des pierres tombales, ce qui tombe bien. Amédée était le tailleur de pierre du village. Amédée s’était toujours refusé à tailler sa propre tombe. Faire de beaux tombeaux pour les autres, oui, c’était son travail. Mais il pensait que tailler le sien lui porterait malheur. Il aurait pu demander à l’un de ses confrères, ils étaient nombreux dans la région. Mais cela aurait été ridicule. Il savait comment il le voulait, il y avait bien réfléchi et il ferait cela mieux que quiconque. Il pouvait attendre d’être plus vieux mais alors il serait peut-être trop malhabile. Il décida de commencer son œuvre mais de faire durer les travaux très longtemps. Il ne la terminerait que lorsqu’il sentirait ses mains faiblir et devenir incapables de manier la massette et la boucharde. Il travaillait à sa dernière demeure à temps perdu, entre deux commandes, les soirées d’hiver. La frontière entre motivation et obstination est l’amour-propre. Et Amédée avait beaucoup d’amour-propre. Le travail avançait. Amédée inventait des fantaisies, recommençait certaines parties, enjolivait le tout en polissant la pierre à l’infini. Il cherchait par tous les moyens à retarder le moment où son chef-d’œuvre devrait être considéré comme terminé. C’était comme s’il creusait sa propre tombe le jour, et la rebouchait la nuit. Vivant avec cette obsession il n’était pas épanoui. Il n’est déjà pas facile de tailler les tombes des autres. Les gens du village finirent par avoir vent de l’affaire. Les curieux – ils sont toujours nombreux dans un village – vinrent voir la construction hautement symbolique de l’Amédée. Certains le raillaient, d’autres trouvaient le tombeau magnifique et voulaient qu’Amédée leur fasse le même. Il faut peu de choses pour animer les passions dans un petit village. Mais après tout, penser à sa dernière demeure n’est pas anodin. Avec le granite, on est assuré d’un repos éternel. Le granite poli, inerte et lisse, s’accorde bien avec la mort.

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Le vent du soir incapable de chasser la nuit La guerre donna un peu de répit à Amédée dont le tombeau inachevé faisait une excellente cache d’armes pour le maquis. Les va-et-vient du tailleur de pierre, de son atelier à sa carrière, furent aussi utilisés avec astuce. Amédée transportait des armes dissimulées entre de lourds blocs de pierre juste équarris. Cela prenait du temps à installer mais le poids de ces blocs éteignait instantanément toute curiosité. De carrières en maisons, de cimetières en forêts, le trafic allait bon train. Amédée servait ainsi de liaison entre les groupes de résistance. Il était aidé par le curé du village, un homme d’une extrême gentillesse que tout le monde adorait. Ce curé avait des petits yeux vifs qui n’étaient pas faits seulement pour prier, et une jovialité permanente qui enchantait tout le monde, même les communistes ou les vieux puritains. Personne en cette campagne rude n’aurait supporté un prêcheur virulent. Le ciment catholique du village se devait d’être léger. Mais en cette période, toutes les bonnes volontés pouvaient s’exprimer un peu plus fort et le curé ne manquait jamais l’occasion de fustiger ses ouailles pour peu qu’elles dévient du droit chemin. Un jour pourtant les choses se gâtèrent. Un officier allemand apprit que le tailleur de pierre construisait un magnifique tombeau. Il décida de se rendre compte par luimême. Pour les Allemands, la tournure des événements récents n’était pas favorable et leurs pensées étaient souvent défaitistes. Amédée était pris au piège. Il n’avait pas le temps de déménager les armes. Une fois à l’intérieur l’Allemand allait découvrir la cachette. Alors, dans un geste héroïque, Amédée, qui connaissait le point faible de son petit édifice, fit écrouler le tombeau sur l’officier et sur lui-même. Amédée avait fini son travail et le tombeau s’était refermé. Ce n’était plus qu’un gros cube écrasé, désormais plus cubiste que cubique. L’arbre mort couché une seule fois

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Lorsqu’on découvrit le tombeau écroulé et que l’on comprit ce qui s’était passé, on laissa Amédée reposer en paix dans son propre tombeau. On rafistola le tout, mais pas complètement. Tout ne doit pas se refermer pas de la même manière. Les gens du village organisèrent une cérémonie pour rendre hommage au tailleur de pierres. Son ami le curé fit un sermon émouvant. On ajouta sur la pierre la plus polie « Ici repose Amédée, tailleur de pierres et résistant, il a vécu et est mort de sa pierre, son âme et son arme ». Car la pierre d’ici, solide et inaltérable, n’en donne pas moins une âme à ce pays. Granite brut pour les vivants, granite poli pour les morts. C’est bien là la seule pierre philosophale. Au cimetière un épais brouillard je marche dans ce linceul Le tombeau de mon grand-père, un peu de guingois, est là quelque part entre les allées bien droites.

Daniel BIRNBAUM (France)

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Ancrage

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Marco Polo Je me promène au parc floral. Je déambule au hasard, je suis les allées ensoleillées.

cris des oies bernaches reflétées par le plan d’eau paisible automne Derrière une hêtraie, je découvre le pavillon du salon de thé. J’entre et je m’y assois près de la baie vitrée. Je choisis un thé noir aromatisé, « Marco Polo ». Le serveur apporte la théière, qui laisse échapper un fil de vapeur.

automne au parc saveur fruitée et caramel rêve de voyage Une feuille d’érable vole. Un ramier passe très haut. Je suis seule dans le salon de thé. Trois enfants courent dans l’allée du parc. Le temps glisse doucement. Dehors des pies se chamaillent. Le thé infuse. Je me réchauffe.

fin d’après-midi la lumière de l’érable dans la tasse de thé Le salon de thé se remplit des promeneurs, surtout des grands-parents avec des enfants. Je bois une gorgée de thé brûlant. Je regarde dehors le spectacle de l’automne.

flap flap flap toutes les couleurs se mélangent feuilles dans le vent

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Une vieille dame avance lentement appuyée sur sa canne. Les allées du parc se vident. Les promeneurs se dirigent vers la sortie, les allées s’assombrissent. Je bois une dernière gorgée de thé devenu amer. Je repose ma tasse vide.

fin d’après-midi sur le « Devisement du monde »1 pleine lune Christiane OURLIAC (France)

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Le devisement du monde ou Le livre des merveilles, retrace les aventures de l’explorateur marchand vénitien Marco Polo au XIIIème siècle.

Abstraction (gravure)

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Pique haïku - Où trouver des mots simples ? La réponse se trouve à la marge bleue du ciel, derrière l'ébarbure des branches piquées d'aiguilles des grands pins.

- Introuvables ! Ils sont pourtant là, endormis en-dedans. Mais, papillons furtifs, ils passent au travers de mon filet à haïkus. Il me faut plus d'abandon pour trouver des mots capables de percuter l'instant et franchir la distance qui les mènera à l'encre. Il pose son stylo sur le banc et baisse le regard vers le sol dans l'espoir d'y trouver ne serait-ce que l'ombre d'une pensée. Rien, seul le soleil d'automne répond à son attente jusqu'à l'indisposer par trop de chaleur. La luminosité captive de ses paupières mi-closes se libère au premier cillement. L'aveuglement passager l'oblige à se lever pour continuer son chemin sous les arbres. La nature est sèche, aphone, juste tapissée du feulement lointain des voitures qui se croisent au fond du vallon. Presque du silence à fouler sur ce chemin couvert d'une poussière blanche de pierres concassées. Le crissement de ses semelles sur les petites pierres, croisé par le bourdonnement d'une mouche et le souffle cadencé d'un joggeur ; quel ennui !… Pas de chants d'oiseaux, juste l'alerte d'un geai à son approche. Heureusement dans cette forêt, l'horizon est alternatif, plié entre la rondeur des troncs d'arbres et l'entrelacs des branches. Sur ce flanc de colline le lointain se devine entre des volets de feuilles battants au gré du vent. Ça le rassure, il peut cacher son angoisse existentielle dans l'enchevêtrement des branches et avancer sans remettre en question son manque d'inspiration. Ici, c'est un ventre végétal qui l'accepte tel qu'il est, vidé de toute créativité, simple promeneur, il marche pour digérer du temps et n'envisage rien d'autre que de mieux cadencer son souffle au rythme de ses pas. Il quitte le chemin balisé du bois pour suivre l'itinéraire d'un ruisseau asséché. La densité de l'ombre des talus ébouriffés de ronces qui bordent son chemin et les pierres mal polies sous ses pas entravent sa progression.

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Las de trébucher il monte un peu plus haut. Un peu de sueur au front épongée par la douceur de l'air et son souffle maîtrisé l'éveillent à l'euphorie de l'avancée. Le sommet accueille son sourire. Le paysage ondule entre le vert taché des roux de saison et le vert pérenne des pins au pied de la montagne. Au plus bas la ponctuation des érables enflammés de rouge dicte au regard une attention contemplative. Le ciel imprimé de mille nuages graciles d'un blanc translucide diffuse, avec son bleu, la bonne nouvelle d'un instant suffisamment plein pour éviter toute transcription par des mots.

- Comment le dire ? Son haïku s'est perdu. Il papillonne vers l'avenir. Pourra-t-il le capturer pour le piquer dans la petite vitrine de sa mémoire ; pour sa collection ?

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Nicolas LEMARIN (France)

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Coup de cœur De Monique Mérabet Daniel Birnbaum : La pierre philosophale Parmi les textes de la cuvée “Hommage” c’est le haïbun qui a retenu mon attention. Tout d’abord pour le récit qui s’inscrit doublement dans le thème : Hommage rendu au modeste artisan en pierres tombales qui devient héros, et aussi l’évocation de cette pierre de granit, celle dans laquelle se modèlent stèles et autres monuments commémoratifs. L’auteur joue habilement sur ce symbolisme “pour l’éternité aussi des pierres tombales, ce qui tombe bien.” La partie prose est bien construite avec une tension qui lui donne force et mène jusqu’au supplément d’émotion de la chute. J’ai énormément apprécié la qualité des haïkus et des enchaînements. Les tercets sont bâtis sur des éléments concrets, le vent, l’arbre, le brouillard et débouchent toujours sur une échappée spirituelle. Belle utilisation de la césure. Je citerai :

Le vent du soir incapable de chasser la nuit Haïku respiration et aussi catalyseur de cette mort omniprésente – ne s’agit-il pas de tombeaux, de cimetière ? - qui arrive avec la guerre obscurcissant nos vies. Haïku qui donne ainsi une impulsion nouvelle au récit. Il en est de même avec cet arbre qui se couche “une seule fois” du deuxième tercet et qui apporte l’irrémédiable de cette tombe refermée sur son secret. Bravo pour ce haïbun réussi, donc !

Monique MÉRABET Le jury était composé de Monique Mérabet et Danièle Duteil.

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Hommage à Shiki - Statue de Shiki, au Musée mémorial Shiki de Matsuyama (Île de Shikoku, Japon)

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Appel à textes Haïbun et Tanka-prose •

Collectif haïbun et tanka-prose

L’Association francophone de haïbun, « L’étroit chemin » (AFAH) et Les éditions du tanka francophone (ÉTF) s’associent pour publier, en décembre 2017, une anthologie commune, haïbun et tanka-prose, sur un thème libre. Date butoir d’envoi des textes : 15 septembre 2017 Longueur : Au maximum 4 pages (au format Word, espace simple, Garamond 12). Préciser catégorie : Haïbun ou Tanka-prose Renseigner : nom, prénom et nationalité Un jury spécial sera composé par l’AFAH et les Éditions du tanka francophone pour chacune des deux catégories : haïbun et tanka-prose. Envoi à Patrick Simon pour la catégorie tanka : editions.tanka@gmail.com À Danièle Duteil pour la catégorie haïbun : echo.afah@yahoo.fr •

L'écho de l'étroit chemin n° 23, août 2017 (échéance : 1er juillet 2017) Plume(s) ou thème libre

L'écho de l'étroit chemin n° 24, novembre 2017 (échéance : 1er octobre 2017) Voyage (s) ou thème libre

Et toujours la possibilité d’écrire un haïbun (ou tanka-prose) lié, à deux ou plusieurs voix. Envoi à echo.afah@yahoo.fr •

Dix ans plus tard… Appel à haïkus de femmes

En 2008, Janick Belleau faisait paraître, aux éditions AFH/Adage, le beau collectif de haïkus francophones intitulé Regards de femmes. Dix ans plus tard, je souhaite publier à mon tour, en écho à celui de Janick, un nouveau collectif de haïkus francophones, réservé aux femmes, que Brigitte Peltier, en tant que directrice des éditions Pippa, me fait l’honneur d’accompagner. M’envoyer entre 15 et 25 haïkus inédits, pour sélection, avant le 15 septembre 2017, en marquant en objet « Haïkus de femmes », à l’adresse danhaibun@yahoo.fr

Danièle Duteil

Toute participation vaut autorisation de publication

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Paysage chinois sous la neige ; (aquatinte, gravure)

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Atelier haïbun de Monique Leroux Serres Dans le cadre des journées La voix des roseaux - Reflets du Japon organisées par le Centre Andrée Chedid, début févier, à Issy-les-Moulineaux, on m'a demandé d'animer un atelier d'écriture consacré au haïbun. Cet atelier a réuni des personnes de différents horizons, du monde du haïku, ou des gens d'Issy et d'ailleurs, qui souhaitaient s'exercer au genre. La durée de l'atelier était limitée à deux heures. Après avoir lu ensemble quelques exemples dans la production classique japonaise ou française et contemporaine, chacun était invité à composer. Une liste de haïkus d'époques et de thèmes différents était mise à disposition de ceux ou celles qui le souhaitaient. Tous les participants ont écrit. Certains, la majorité, se sont appuyés sur leur expérience ou leur propre imagination ; l'une des participantes s'est inspirée des peintures sumi-e qui ornaient la salle ; une autre a choisi de sortir et de marcher dans la ville alentour. Lors de la lecture des productions, nous nous sommes interrogés sur différents points comme : le choix du temps des verbes pour mettre en valeur le récit ; préciser le nom des lieux ou laisser le texte plus ouvert ; présenter une expérience comme générale ou la présenter comme "un jour, une fois", "ici et maintenant" ; la place et le nombre des haïkus dans le texte. Certains ont dit avoir apprécié la plus grande liberté d'expression qu'offre la prose. D'autres ont remarqué que le haïku, parce que le contexte est donné par la prose autour, peut se permettre d'être plus ciblé, plus pointu, ou au contraire plus général. Les participants dans leur ensemble ont aimé la variété des possibilités d'associations texte-prose : par parallélisme, par opposition, par glissement de lieu, d'époque, par focale qui grossit ou éloigne... Grand merci à Etienne Orsini qui nous a donné la possibilité de cette rencontre dans de très bonnes conditions. Merci à tous les participants pour leur confiance. Plusieurs personnes ont accepté de donner leur texte pour notre revue, à lire ci-dessous. Que leur expérience ouvre la voie à d'autres...

Monique LEROUX SERRES

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Au bout du voyage vers mon village natal, la grande forêt domaniale, que je traverse avec un même bonheur, quelle que soit la saison. Tout à coup, au débouché de la forêt, une immense ouverture lumineuse. Dans cette clairière se niche mon petit village. À l'entrée, une maison basse de pays, celle de mes grands-parents, puis notre belle église et enfin la maison de ma mère.

Devant les chrysanthèmes ma vie fait silence1 Marie-Thérèse ESSALIHI 1.haïku

de Shûôshi dans Miroir de la nature, Ed Seuil

Brouhaha trafic la rue est folle bigarrée Dans les vitrines des galeries la même sollicitation Stèles statuaires matières couleurs Dehors dedans Mon regard et mon esprit Fouillis Bifurcation ruelle calme déserte Mon pas prend le rythme du pas japonais mettre un pied devant l'autre bien regarder Un mouchoir dessus Mes pensées dans la poche Je sonne à la porte

Alice SCHNEIDER Dehors le vent se lève. À travers la vitre, des vagues de plus en plus hautes. Mais ici, tout est confortable, chaud, à l’abri. Dans des fauteuils profonds, en cercle autour de la cheminée, des voyageurs de passage murmurent. Une main ajoute une nouvelle bûche. Le feu reprend de plus belle et dehors la tempête se déchaîne à présent. Par-delà la vitre, les vagues se rapprochent et viennent se fracasser contre le mur extérieur qui protège le salon. Le protège-t-il vraiment ? Un salon de velours rouge où un enfant vient de s’endormir dans un fauteuil, bercé par l’eau et le feu, le claquement des vagues et le crépitement de la cheminée. L’océan se déchaîne le vent hurle dans un fauteuil club

Philippe GAILLARD

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Ce matin, les enfants jouent au jardin. Ils crient, ils courent, ils sautent. Ils paraissent heureux, sous le soleil d’été. On donnerait cher pour retrouver l’enfance. On aimerait remonter le temps, franchir les années, s’émerveiller des petites choses. Les fleurs aussi s’épanouissent à la chaleur naissante. Elles ouvrent leurs corolles et s’offrent au bourdonnement des abeilles. Elles semblent gonflées de bonheur et d’énergie. Ce soir, les enfants sont rentrés, fatigués et assoiffés. Ils sirotent de la menthe, puis s’assoupissent, doucement. L’un d’entre eux ronfle un peu, la tête sur le côté. Au jardin, les fleurs profitent de la fraîcheur qui tombe, sauf une.

guerres enfantinesle destin brisé d’un coquelicot Isabelle FREIHUBER YPSILANTIS Retour de voyage Ici tout est gris : le sol, le ciel, la couleur des passants, des voitures, jusqu’au chant des oiseaux. En partant j’ai quitté le gris mais au retour je retrouve un gris encore plus gris. Car je reviens d’un pays arc-en-ciel : les robes des femmes, les façades des temples, les sourires des enfants et aussi des mendiants, le soleil n’est jamais fatigué d’éclairer, de réchauffer, d’aimer… Au milieu de tout ce gris Tu es là Trouée de joie en moi

Véronique LEJOINDRE Pour venir en voiture, j'ai pris le bord de Seine, longeant le Parc de Saint-Cloud. Un espace plat où nous venions rarement nous promener. La dernière fois, nous constations la modification du paysage : tram du Val de Seine, espaces verts et club nautique, l'île abandonnée où l'on s'apprêtait à construire. Nous ne voyagions plus car très âgé tu étais et marchais avec une canne et mon bras en appui. Mais depuis des décennies, tu habitais Saint-Cloud. Et dès avant la guerre, tu étais venu de province à Paris, pour études. Tu avais connu ces parcs, ces méandres, ces ponts, ces personnalités dont les rues portaient les noms. En marchant en ce début de siècle, je ressentais en toi l'évolution de cet antique Val de Seine. Fleuve, collines et bois, témoins de modernisation. Ta main ferme et chaude Ton regard perçant, moquant Mes étonnements

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Nous faisions attention au terrain, regardant de biais les coutumes jeunes et sportives : pirogues que l'on portait à l'eau, chiens qui couraient, leur laisse enlevée dans le dos de leur maître. Enfants, ballons, cris et goûters. Au tennis, tes balles Frappées presque sans bouger Épuisaient les belles Maintenant j'écris, revivant nos promenades, ton absence en moi.

Olga BIZEAU (en hommage à Max Bizeau, auteur de: "Paris... en haïku et en brèves ") Patience Ils se sont connus en seconde au lycée. Ils étaient dans la même classe. Elle était si charmante, pétillante, brillante oui mais un autre jeune homme était dans son cœur. Il a attendu des heures, il a attendu des jours, il a attendu des semaines… Et finalement, oui finalement, c’est lui qui est entré dans son cœur. Patience – C’est dans son ventre qu’il grandit Ils avaient tous les deux vingt-deux ans. Leurs études n’étaient pas achevées. Comment réagir ? Ce n’était pas ma fille, elle était marocaine, musulmane et lui, sans religion. Et pourtant pourtant – Les vendredis il prie à la mosquée Aujourd’hui, ils ont tous deux vingt-sept ans, Ismaël, leur fils en a quatre. Premier de l’an – Je parle à ma petite-fille À travers le ventre de sa maman

Valérie RIVOALLON Dimanche 5 février 2017, Issy-les-Moulineaux

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Saison des pluies Par Alain Kervern 梅雨

Tsuyu : variations japonaises autour des pluies de la mousson

Entre la mi-juin et le 16 juillet, la rencontre entre une zone de haute pression atmosphérique venue du sud des îles Ogasawara dans l’Océan Pacifique et une zone froide venant de la mer d’Okhotsk, au nord de l’île de Hokkaïdo, provoque une période de précipitations continues sur l’ensemble de l’archipel, à l’exception de l’extrême nord. C’est autour du 11 juin qu’une véritable ligne de front de pluies continues part du sud-ouest, bien au large des côtes japonaises, et remonte progressivement vers le nord, entraînant une arrivée de la saison des pluies sur la majorité des îles du Japon. Alors commence la période la plus difficile des débuts de l’été japonais, « tsuyu », la saison des pluies. « Tsuyu » est aussi un mot de saison utilisé en poésie, plus particulièrement dans la composition de haïku, pour exprimer l’atmosphère caractéristique de cette saison. Ce mot est composé de deux idéogrammes chinois qui signifient « prunier » et « pluie ». C’est donc « la pluie des pruniers », car elle survient à la période où les fruits du prunier commencent à mûrir.

Les chiens sous la mousson des vagabonds sans feu ni lieu Azumi Atsushi (1907~1988)

La pluie des moussons révèle sous l’imperméable des formes féminines Akimoto Fujio (1901~1977)

Le professeur des cours du soir et son grand parapluie noir à la saison des pluies Hosomi Ayako (1907~1997)

La mer de la mousson amoureuse et féline enlace les récifs Maeda Fura (1885~ 1954)

Toute la palette des émotions et des sentiments vécus au cours de ce début d’été s’exprime dans une série de mots de saison qui se conjuguent à partir de ce mot « tsuyu ». C’est ainsi qu’on trouvera « tsuyu mizu », les inondations dues aux précipitations parfois catastrophiques :

Violences de la saison et violence des pluies encore des morts ce soir Hino Sôjô (1901~1956)

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Les eaux débordent en hâte il retire son bœuf d’ une totale obscurité Murakami Kijô (1865~1938)


Le moment où les précipitations sont les plus denses se situe entre le 24 juin et la fin de ce mois. Le ciel couvert et bas, les jours qui se succèdent monotones et pluvieux, contribuent à créer une atmosphère très sombre, dite « satsukiyami », soit l’obscurité du cinquième mois, entraînant paradoxalement une impression de froid. Très tôt, cette expression porteuse de vague à l’âme et de mélancolie est devenue l’objet de nombreuses compositions poétiques, comme en témoigne ce waka, poème de 31 syllabes, de la main de Fujiwara no Tadamichi (1097~1167) :

Dans la montagne où s’assombrit la cinquième lune la solitude m’étreignant je demande le gîte au daim qui se cache Des poètes contemporains évoquent également l’impression particulière que leur inspire ce moment de l’année :

A peine un pas ou deux et le sol même se dérobe ténèbres du cinquième mois Izawa Masae( 1921~)

A grands fracas Moïse et les Dix Commandements dans les ténèbres de la mousson Naruse Ôtoshi ( 1926~)

Vaguement lumineux ton visage ténèbres du cinquième mois Suzuki Hanamino (1881~1942)

Quand tombe la pluie monte toute une gamme de sons ténèbres du cinquième mois Ishizaki Motoaki

Mais une autre expression : « satsukibare » nous informe que de temps en temps, surviennent de belles soirées sereines en pleine saison des pluies. C’est ce modeste et furtif bonheur qu’expriment ici deux figures emblématiques du haïku : Issa (1763~1827), tendre poète à l’écoute des êtres et des choses les plus humbles de la vie de tous les jours, ainsi que Masaoka Shiki (1867~1902), qui fit de ce poème court un genre littéraire pour les temps modernes :

Embellie du mois des pluies côte à côte deux maisons un même grand ménage

Bonheur de voir l’herbe rase et ses ombres embellie du mois des pluies

Jusqu’en 1873, la vie japonaise était régulée par un calendrier luni-solaire continental, en décalage d’un mois et demi par rapport au calendrier grégorien qui fut ensuite adopté. C’est pourquoi cette période particulièrement difficile à supporter s’appelait autrefois « samidare », ce qui signifie « les longues pluies du cinquième mois lunaire ». Dans cette expression il y a le mot « sa », qui signifie « riz », et ce mot rappelle les semis offerts au Kami de la rizière, car autrefois, ce moment de l’année était celui du repiquage du riz, comme en témoigne le peintre et poète Yosa Buson (1716~1783) :

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Divorcée elle piétine son honneur dans la boue repiquage du riz L’autre partie de cette expression, « midare », désigne ici « l’eau qui tombe, tumultueuse », car cette saison des pluies peut aussi entraîner des éboulements de terrain ou des inondations catastrophiques. Le désarroi qui naît de ces longues journées grises est confusément assimilé à l’image des cheveux en désordre, qui se dit aussi « midare » avec une connotation érotique souvent associée à cette saison, comme l’évoque ce poème d’un pinceau anonyme :

L’une après l’autre, les plongeuses nues d’Ashiya peignent leur chevelure en désordre Elles dormiront ce soir au sec Le grand poète et théoricien Ki no Tsurayuki (872~945) commente déjà cette expression ainsi :

« Entendre chanter le coucou, oiseau de saison, permet de composer des poèmes. Mais sous le ciel brouillé des longues pluies du cinquième mois, de quoi se plaint le coucou silencieux ? Ce n’est que le soir, à nouveau, qu’il reprend son chant. » Trois siècles plus tard, Fujiwara Tameïe (1198~1275) se fait l’écho de la remarque précédente, devenue référence :

Sous la lune indifférente des longues pluies du cinquième mois les cinquante vers de son poème le coucou s’est mis à chanter car, oiseau des solitudes, le voici descendu des montagnes Les « longues pluies du cinquième mois » rappellent l’élégance et le raffinement des quatre siècles que dura la civilisation classique (734~1185), dont l’influence rayonne encore en poésie, en littérature et dans la sensibilité artistique :

Bruits de chute j’en suis tout ouïe aux pluies du cinquième mois Matsuô Bashô (1644~1694)

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Sous les longues pluies d’été flic floc fait le corbeau quand il avance Kobayashi Issa (1763~1827)


Ciel et terre ne font plus qu’un pluies de la cinquième lune Sugiyama Sampû (1647~1732) Quelquefois, sans cause météorologique apparente, il arrive qu’en pleine saison des pluies le ciel nocturne s’ouvre pour laisser les étoiles se frayer un passage jusqu’au regard des hommes. Est-ce parce qu’elles ont dû traverser nuages et pluies ? Toujours est-il que leur délicate petite lumière semble mouillée…

Etoiles de la mousson les lumières de la gare en sont éteintes Ibaragi Kazuo (1939~)

Dans mes lourds cheveux noirs que je noue à l’européenne des étoiles de la mousson Yamashita Hotori

Par intermittences, derrière le bruit continu de la pluie, on entend de loin en loin un grondement sourd, comme une menace qui se réveille. Il s’agit du « tonnerre des moussons » qui se manifeste tout au long de cette période, ce dont attestent les compositeurs de haïku :

Le tonnerre des moussons vient traverser les lobes de mon cerveau Ishikawa Keïrô (1909~1975)

Coup de tonnerre de la mousson excellent stimulant à la bonne marche de mes viscères Ikeda Yasushiko

Insomnie du fond de la nuit roule le tonnerre de la mousson Sôma Senshi (1908~1976)

Le tonnerre de la mousson résonne dans le couloir qui pue le moisi Katô Shûson (1905~1993)

Il arrive que la tradition enrichisse la langue moderne de nuances donnant de la profondeur à l’atmosphère un peu particulière de ce moment de l’année. Aux temps anciens la notion de couleur différait de celle d’aujourd’hui. A trois couleurs de base, à savoir « aka » (rouge), « kuro » (noir), « shiro » (blanc) pouvait correspondre une propriété particulière. De plus, chacune de ces couleurs pouvait être « akaruï » (brillante), « kuraï » (sombre), « arawasu » (nette) et « baku » (vague, floue). Il y avait une quatrième couleur : « ao » dont le sens est aujourd’hui celui de la couleur bleue, ou celle des feuillages et du vert de la nature. Mais autrefois, « ao » correspondait à un blanc tirant sur le gris cendré, qualificatif qui, associé à une impression de flou et de vague, était tout à fait approprié à la couleur d’une « pluie vague et douce tombant longuement et sans bruit. » telle que la définit le poète contemporain Naruse Ôtoshi. L’expression « pluie de mousson sur les feuillages » bénéficie donc d’une ambiguïté qui rend compte à la fois de la couleur de la pluie et de la manière dont elle tombe sur la végétation, tout en désignant le vert des feuilles, de l’herbe, de toutes les plantes que le ruissellement continu rend lumineux et intense.

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Pluie de mousson sur les feuilles même dans mes rêves un parapluie à la main Kozuki Tsuyako

Hier aujourd’hui demain pluie verte des moussons mon parapluie me pèse Katô Chiyo (1909~1986)

Verdure sous la mousson d’innombrables bébés hérons à protéger Shimamura Hajime (1893~1923)

Feuillages sous la mousson il repousse les nuages le Château du Héron Blanc Mizuhara Shûôshi (1892~1981)

Toute une palette d’autres caractéristiques de ce mois de pluies estivales est à la disposition des poètes de haïku qui souhaitent évoquer l’atmosphère de ce phénomène météorologique. Mais lorsque les « longues pluies de la cinquième lune » cessent, deux derniers mots de saison ferment ce cycle saisonnier. Après ce mois de pluies, demeurent une humidité qui rend l’atmosphère épaisse, et un « goutte à goutte » (shitatari) qui tombe de partout, tant des arbres, que des buissons, des rochers. Le sol, la mousse, les touffes d’herbe, tout dans la nature est spongieux.

Des traces de larmes ces eaux qui s’écoulent le long de la falaise Ueda Gosengoku (1933~)

Une feuille tressaille à chaque goutte d’eau qui tombe Tomiyasu Fûseï (1885~1979)

Signe céleste qui annonce que les temps ont changé, voici enfin l’arc-en-ciel(niji), chanté en poésie depuis les temps anciens, comme en témoigne ce waka de Fujiwara Sadaïe (1162~1241) :

Au milieu d’un groupe de nuages se dressant au firmament l’arc-en-ciel tandis que sur les feuilles de l’automne passe une averse de montagne Associer l’arc-en-ciel (niji) et l’été est une coutume récente, due sans doute au poète Takahama Kyoshi (1874~1959), qui publia avant-guerre un roman célèbre portant ce titre, mais aussi parce qu’il composa deux haïkus qui touchèrent le grand public :

Un arc-en-ciel comme si soudain tu étais là

Plus d’arc-en-ciel comme si tu n’étais soudain plus là

De nos jours encore le thème de l’arc-en-ciel continue d’inspirer les poètes contemporains, qu’ils aient des noms célèbres ou que ce soit de jeunes talents. Car ce phénomène météorologique marque symboliquement la fin d’une épreuve saisonnière difficile.

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Précipité dans le vide de la cage d’escalier je deviens l’arc en ciel

Des enfants courent chercher le pied de l’arc en ciel le visage grave

Natsuishi Banya (1955~)

Un jour depuis le pont de l’arc en ciel je le citerai à comparaître

Katô Shûson (1905~1993)

Les douze couleurs s’accumulent l’arc en ciel s’alourdit

Ôï Tsuneko

Yamazaki Atsui

Avec un billet aller pour l’ arc en ciel à l’ouest un homme est mort Hiraï Sarako

Alain KERVERN

Atmosphère : haïkus français / japonais, de Yasushi Nozu ** « Qu’est-ce que la réalité ? » est la question première suscitée par le haïku, confie Alain Kervern. La démarche poétique de Yasushi Nozu, en proposant un recueil de haïkus bilingues japonais / français, est bien de confronter les différentes manières de

« percevoir l’univers qui nous entoure » en rassemblant dans chaque haïku « des forces dispersées en un souffle nouveau ». Tandis que Yasushi Nozu précise sa méthode de transposition d’une langue à l’autre, « exprimant la même émotion et le même environnement que l’original Japonais », sans traduction mot à mot. Alain Kervern s’étonne encore du pouvoir créateur des mots, essence même de la poésie.

Danberuya Tourousenobi Shitewitari

Nanimoshinai Haretahinogogo Fuyunochou

Lever des haltères La mante religieuse se hausse Sur la pointe des pieds

Bel après-midi où Je n’ai rien du tout à faire Papillon d’hiver

Pour les Japonais qui maîtrisent le français ou les Français qui connaissent le japonais, le plaisir de la lecture sera double, voire triple car un ouvrage bilingue suscite naturellement une riche réflexion sur le travail de traduction. D. D. ** Imprimé au Japon, déc. 2016. ISBN : 978-4-86641-020-3.

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Livres Tes lunettes sans ton regard Haïbun de Joanne Morency Par Danièle Duteil

Éditions David, 79 p., ill., oct. 2016 ; prix : 14,95 $. ISBN : 978-89597-551-9

Lorsque le monde vacille, en suspens entre passé, présent et futur, comment le saisir ? Comment retenir le temps compté et ces instants précieux qui entourent le départ d’un être cher, quand il s’inscrit encore en creux dans chaque action accomplie, dans chaque objet, cahier abandonné sur la table de chevet, sac à main suspendu derrière la porte ? Rendant compte de cette échelle temporelle brouillée, Joanne Morency choisit le haïbun, ce genre qui marie prose poétique et haïku, pour exprimer l’indicible, … ce qui

se voit. Ce qui ne se voit pas. La présence. L’absence. matin gris disparue sous la pluie la blancheur d’hier

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Le récit, dans Tes lunettes sans ton regard, évoque par touches légères les circonstances. Des phrases brèves, dans lesquelles l’ellipse du verbe ou celle du sujet en disent plus long qu’un discours. À certains moments, les blancs et les silences prennent alors le relai de la parole pour dire le désarroi devant une réalité trop difficile à admettre

j’allonge les minutes, confie l’auteure, sachant très bien qu’elle ne maîtrisera pas longtemps l’inéluctable compte à rebours. Les gestes, les regards, les inflexions de la voix, deviennent soudain plus précieux que jamais. Surtout, ne rien bousculer : les mots s’échappent au goutte à goutte, scrutant à la loupe une attitude pour la graver dans la mémoire : Tu avales les couleurs, une à une. Le haïku marque souvent un arrêt sur image, sorte de parenthèse atemporelle de la vie. Mais si celle-ci n’en continue pas moins de dérouler son fil, elle porte désormais les stigmates de l’absence :

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nuit agitée le chaton à la recherche de sa mère sur la commode tes lunettes sans ton regard

Il faut apprendre à découvrir le monde à travers ses propres yeux. Les lunettes ont à voir avec la spiritualité et la connaissance. De même, le miroir. Ce thème du miroir, déjà largement décliné dans Mon visage dans la mer, (même auteure, même éditeur), est cher à Joanne Morency. Objet complexe, sa symbolique est multiple. Offrant une image de soi, il peut aussi refléter l’âme. Ici, elle est fracassée par les événements, tout comme l’identité de la personne, fragmentée soudain : hall d’entrée décrocher les trois miroirs qui me morcellent Quand s’échappe le temps des parents, l’existence s’en trouve considérablement bouleversée. Ainsi, au milieu de cette dérive de soi, des parcelles d’enfance depuis longtemps enfouies peuvent ressurgir. Rassurantes, elles relient aux racines :

essayage de manteaux dans chacune des poches un bonbon

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Et alors, le puzzle prend sens : tout se tient. Nous sommes tous maillons de la grande chaîne cosmique jamais interrompue. Là où un être disparaît, un autre apparaît, celui qui sommeillait en nous :

dans la glace tes yeux sous ma frange Le miroir éclaire d’autres faces, inconnues, celles de la personne en devenir, le double toujours façonné par le moule initial :

Je pars t’acheter une nouvelle robe de chambre. D’une couleur qui te plaît, de la bonne longueur et sans dentelle… miroir de la salle d’essayage moi plus tard Mais il apprend aussi finalement que tout sentiment de possession est vain, chaque séparation constitue un rappel de cette loi incontournable : cadre échappé ta silhouette de jeune mariée sous la vitre cassée La mère, à elle seule, est « une province, et beaucoup davantage »1. Il n’est pas étonnant alors que la reconstruction nécessite de retrouver un lieu où pouvoir relever la tête, où l’on se sent bien, au sein de la nature, en communion avec les éléments et soimême. Ce pays est pour Joanne Morency la Gaspésie, et plus exactement la municipalité de Maria, cela ne s’invente pas.

De retour sur le banc de Maria, j’entraîne mon frère à la mer. Papa entretient un feu de grève mourant. […] Me voilà bel et bien revenue à ma place sur le globe. Le haïbun, depuis son origine, prend souvent la forme d’un journal relatant au fil des jours des épisodes marquants de l’existence. Tout comme Issa, dans son Journal des derniers jours de mon père2 Joanne Morency a choisi ici de s’exprimer sous cette forme. Ce genre classique japonais ancien convient parfaitement pour évoquer ces moments où la parole devient superflue. La prose poétique et le haïku mêlés ajoutent de l’intensité à la narration. Le sentiment finalement prévaut, contenu et pudique. ___________________________

D. D.

1 Parodie de Joachim Du Bellay (1522-1560), s’exprimant ainsi, dans son poème Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage : Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province, et beaucoup davantage ? 2 Kobayashi Issa (1763-1828) : Journal des derniers jours de mon père, haïbun traduit du japonais classique

par Seagan Mabesoone, éditions Pippa, 2014. ISBN : 978-2-916506-54-8.

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La fleur de Chiyo Roman d’isabel Asùnsolo Par Monique Mérabet

Éditions Henry, 2017. Prix : 10.00 € ISBN : 978-2-36469-153-7

Comme je savoure de lire et relire ce court roman d’isabel Asùnsolo publié aux Éditions Henry, cette Fleur de Chiyo, roman-haïku s’il fallait nécessairement le ranger dans une catégorie. isabel Asùnsolo est haïjin reconnue et sa maison d’édition Liroli s’est spécialisée dans la publication de haïkus. Ainsi son roman — premier roman ? — apparaît comme un hommage rendu à ce poème court qui en dit tellement en si peu de mots. Chacun des chapitres présente en en-tête un haïku de la poétesse Chiyo-Ni (1703 – 1775) qu’isabel Asùnsolo a choisi et adapté en Français. Et la narratrice se prénomme Chiyo… Au fil de ses quarante-quatre chapitres, Chiyo, donc, déroule pour nous les chroniques d’un hameau — appelé d’ailleurs Le Hameau — hors du temps, hors de l’Histoire : un ancrage romanesque qui demeure non dit, à imaginer par le lecteur. Ce dernier se fait limier, au fil des pages où l’auteure sème — peut-être ou peut-être pas — ses indices. En fait, en bonne haïjin, elle nous transmet une suite de ressentis, sans préjuger de l’interprétation que l’on pourrait en donner.

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Du moins, est-ce ainsi que je l’ai compris… et je me suis senti plongée dans un univers post-cataclysmique, après une énième pollution, une ère mondialo-numérisée à l’extrême avec ses interdits comme le liseron, la fleur de Chiyo… Au hameau, pas d’enfant. Il est toujours extrêmement angoissant d’imaginer un monde sans enfant : soit que les humains n’aient pas le droit d’en mettre au monde, soit qu’il leur est devenu impossible de procréer, soit qu’ils choisissent de ne pas enfanter par peur de l’avenir. Mais, laissons-là mes élucubrations personnelles ; Le roman d’isabel n’a rien d’apocalyptique. Au contraire. Un (une) Ange viendra, la patineuse qui gravera d’autres lignes au destin à la surface de la mare gelée. Elle sera aussi initiatrice en haïkus et laissera une petite fille Kire — le kireji du haïku, ce silence, cette respiration, cette pause qui permet de faire un pas de côté, un saut de pensée qui apportera un souffle autre au poème. Il y aura aussi le mystère de cette fleur, ce liseron, apparu, telle la vérité au fond du puits. Et l’époustouflante découverte de la dernière page, propre à iriser nos cœurs d’espérance… Puis le geste salvateur de Chiyo débranchant l’ordinateur, terminal d’un obscur web-araignée régissant nos instants de soi-disant civilisés. Je l’ai juste débranché, dit-elle. Oui, juste… un geste simple que chacun d’entre nous peut accomplir. Pour en finir avec les asservissements.

Comme si l’ordinateur avait réponse à tout, comme s’il avait commandé la marche des saisons, les floraisons, la vie de la mare ! L’écrivain a toujours un rôle d’éveilleur. Avec cette fleur de Chiyo, c’est dans le non-dit, dans l’effleurement des vérités essentielles, que le roman fait surgir de notre intériorité tout un fourmillement d’émotions, un bouillonnement de questionnements, de réflexions. Il suffit de peu de mots… comme dans le haïku et chaque poème de Chiyo-Ni joue sa partie de catalyseur.

Laisse de mer Tout ce que je ramasse Est vivant

(Chiyo-Ni)

Ah ! Les haïkus, il faudrait les citer tous ! Et aussi les phrases d’isabel qui sonnent claires et fortes et vraies car puisées à notre commune âme de terriens. J’aurais l’impression de trahir l’auteure si je ne disais ce qui me paraît essentiel dans cet ouvrage : l’amour du monde tel qu’il se présente, la capacité d’observer — sens épanouis — la chute d’une feuille, les arabesques d’un patin sur la glace, le héron, et la peau de l’eau…

Ce qui se devine, ce que l’on ignore, est un monde à respecter.

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Je ne soulignerais jamais assez cette parfaite résonance des mots (prose et haïkus confondus) avec l’ici et maintenant d’un village, d’une mare, d’un quotidien. Quant aux personnages, Chiyo la narratrice berceuse de ceux qui vont mourir, Hiro le graveur à la manière noire, berçant patiemment le métal, Ange la mystérieuse figure du destin, aveugle comme lui… ils apparaissent dans leur entièreté d’êtres humains. Et s’ils gardent leur mystère, on les sent bien réels, bien vivants, voisins dont ne faisons qu’écorner l’existence, en les croisant. Des personnages, pour la plupart, bienveillants, des êtres lumineux qui fleurissent notre vie de soupe — les incroyables recettes de Madame No — et d’amitié. Le rôle du « méchant » n’est dévolu qu’à un seul personnage Jobard, le triste sire, celui qui n’a qu’un sobriquet pour prénom. Je souris en pensant que l’écrivain a largué cette figure du bout de sa plume, juste pour respecter les règles de l’écriture romanesque, même si son apparition n’est certainement pas aussi anodine qu’elle en a l’air. Le récit se déploie sur deux saisons : l’automne où la nature se dépouille de ses trop-plein d’été jusqu’à la nudité du paysage hivernal et l’hiver, page blanche de remise à zéro, de tous les recommencements possibles.

Sans leurs cris Les hérons disparaîtraient Ce matin de neige (Chiyo-Ni) Les cris et l’écriture capable de redessiner le monde, encore et encore.

Ce liseré de givre qui résiste au soleil du matin, j’ai besoin de l’écrire. Liseré… liseron… je ne peux que vous inviter à respirer cette fleur de Chiyo, à la butiner, pour le pollen des mots et le bonheur de s’y glisser à la suite d’une auteure inspirée.

Monique MERABET, 23 Février 2017

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La vie de l’AFAH Nos adhérents ont du talent Publications Un souffle poétique du Japon sur nos écrits Par Danièle DUTEIL Actes du colloque du 24 juin 2016 Lycée Henri IV, Paris

Coordonnés par D. Chipot Éditions Pippa - décembre 2016 Prix : 15 €. ISBN : 978-2-916506-87-6 Haïku, haïbun, tanka Contributions de Janick Belleau, France Cayouette, Thierry Cazals, Dominique Chipot, Danièle Duteil, Christian Faure, Werner Lambersy, Monique Leroux Serres, Patrick Simon, Serge Tomé. À l’occasion de leur dixième anniversaire, les éditions Pippa, dirigées par Brigitte Peltier, ont organisé le colloque « Un souffle poétique du Japon sur nos écrits ». Dix auteur.es ont contribué à sa réussite, traitant chacun.e un aspect de la poésie japonaise, montrant aussi comment, à partir de son internationalisation, elle a évolué, notamment dans la sphère francophone. Christian Faure (Le haïku japonais moderne) dresse d’abord un état des lieux du haïku japonais moderne, retraçant son évolution depuis ses origines, IXe-XVIIe, siècles, jusqu’aux temps modernes (le haïku féminin du XXe siècle : Natamura Keijo, Mitsuhashi Takajo ; le haïku actuel), en passant par l’époque classique, au XVIIe siècle – marquée par Bashô, fondateur du genre – les réformateurs du XIXe siècle (Shiki, Kyôshi), enfin les mouvements de déconstruction du haïku des années 1930.

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Dominique Chipot (Peut-on écrire des haïkus en français ?) se questionne sur l’écriture de poèmes « dits haïkus » en francophonie, sachant qu’il s’agit d’un genre propre à la littérature japonaise, avec des caractéristiques précises liées au rythme, à la césure et au mot de saison. Pour tenter de répondre à cette interrogation, il s’appuie sur le haïku tel que pratiqué en France depuis 1905. Ma proposition s’intéresse à La place de la nature dans le haïku, insistant sur le caractère essentiel du mot de saison (kigo), tant pour la majorité des haïjin1 que pour un nombre croissant de haïkistes2 Je relève aussi l’usage, de plus en plus fréquent, du muki (haïku sans mot de saison), au Japon et en francophonie, mentionnant les novateurs qui proposent aujourd’hui des alternatives au kigo. Monique Leroux Serres (Du haïku au haïbun) partage son expérience personnelle du haïbun, définissant et commentant le genre à travers de grands textes de la littérature classique japonaise, et des exemples, japonais ou non, plus proches. Elle tente également d’expliquer ce que le haïbun apporte de plus que le haïku, ou qu’un texte totalement en prose, se basant sur son propre travail, lors de l’écriture de son haïbun De Fougère en libellule3. Patrick Simon choisit pour sujet Le tanka en français. Après un historique de la poésie japonaise, il s’exprime sur le lyrisme dans le tanka et précise l’influence de ce poème sur notre poésie. Il met notamment en évidence la rencontre entre le tanka japonais et l’impressionnisme français, et par conséquent des artistes français avec les artistes japonais. Janick Belleau (Cinq poètes de tanka du Canada francophone, l’encre de leurs mots) se penche sur la forme du tanka et son essence. Elle cherche comment le tanka, d’origine japonaise, se définit au Canada francophone, se demandant si aujourd’hui le poème est toujours très influencé par le poème originel. Sa réflexion repose sur l’étude de la pratique de quatre poètes québecois, d’une part : André Duhaime, Micheline Beaudry, Maxianne Berger, Jean Dorval ; d’autre part, sur celle de Mike Montreuil, poète d’Otawa. Thierry Cazals (Le haïku à fleur d’enfance) expose sa pratique d’ateliers haïku auprès d’enfants, en milieu scolaire ou ailleurs : une écriture qui s’enracine de préférence dans le vif du réel, privilégiant la forme libre, plus fidèle au ressenti. L’auteur commente de nombreux exemples de haïkus d’enfants, depuis leur éclosion, dans l’intime d’une rencontre entre le / la poète en herbe et une émotion, jusqu’à la formulation finale. Serge Tomé, dans Clicher sur l’actualité en quelques mots, aborde le haïku engagé, soulignant ses caractéristiques ainsi que sa présence au Japon dès les classiques, et en Occident depuis le début du XXe siècle. Il dresse une typologie du haïku engagé, écologique et/ou politique, qui pointe du doigt, guerres, conflits internationaux et sociaux, émeutes, manifestations, injustices, pauvreté… Il précise enfin son style et ses modalités d’expression. _________________________ 1

Haïjin : poète japonais.e qui écrit des haïkus. Haïkiste : en Occident, poète écrivant des haïkus.

2 3

De Fougère en libellule : sur le chemin de halage de la Mayenne, éditions Pippa, 2016. ISBN : 978-2-916506-64-7.

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Werner Lambersy (À l’écoute du haïku) dégage les qualités et les caractéristiques du haïku, poème de l’anecdote et poème populaire en plein essor, insistant sur son exceptionnel pouvoir d’évocation, rapporté à son étonnante économie langagière. France Cayouette, dans Le haïku, poème-fenêtre définit sa « position mentale de haïjin et lectrice de haïkus ». Le haïku pour elle est ouverture, regard sur un monde qui ne reçoit pas toujours l’attention qu’il mériterait, et écoute de la vie. Dominique Chipot, dans le dernier chapitre intitulé Le haïku incarné, traite de ce qu’il nomme « photo d’inspiration haïku », rappelant la juxtaposition au Japon de la peinture et du poème calligraphié dès le Xe siècle, sur les paravents et dans le haïga, ce dernier s’étant largement développé au XVIIIe siècle. Les technologies modernes ont favorisé l’émergence d’une composition artistique telle que le photo-haïku, combinaison pertinente des éléments texte / image de manière à élargir le sens de chacun d’eux. Brigitte Peltier, éditrice à l’initiative du colloque, exprime aux intervenants et intervenantes ses vifs remerciements pour les riches échanges qu’ils ont suscités, contribuant à faire du 10e anniversaire des éditions Pippa un moment exceptionnel apprécié du public et des poètes.

Danièle DUTEIL

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Passion haïku Anthologie contemporaine Coordination : Daniel Py Illustrations d’Héloïse Chopin. Editions Pippa, 1er trimestre 2017. Prix : 15 €. ISBN : 978-2-916506-92-0 Sélection de « dix poètes contemporains de haïkus parmi les plus connus en France dans ce genre importé du Japon. Car le haïku, depuis l’aube du XXe siècle, se répand avec bonheur, et tous ceux qui en écrivent sont des passionnés de cet art multiséculaire », affirme Daniel Py dans sa préface. Haïkus d’Hélène Duc, Michel Duflo, Véronique Dutreix, Damien Gabriels, Vincent Hoarau, Monique Junchat, Daniel Py, Philippe Quinta, Valérie Rivoallon et moi-même relatons en introduction notre rencontre avec le haïku, nos débuts en écriture, nos sources d’inspiration et nos pratiques… proposant ensuite chacun.e vingt haïkus. Métro assise dans le coin de mes pensées

vent soutenu la mouette vole en crabe

sentier de roses trémières – une pince à cheveux

(Valérie Rivoallon)

(Daniel Py)

(Damien Gabriels)

fin de l’orage la forme du vent redevient visible

grève générale – en tête de cortège les cumulonimbus

le train déroule des kilomètres de câbles premiers terrils

(Hélène Duc)

(Michel Duflo)

(Danièle Duteil)

réunion d’addictologie par quoi remplacer le rhum dans ses crêpes ?

nuit au hamac – la voie lactée se balance

soleil de mars l’ombre des bourgeons grossit sur le mur

Véronique Dutreix

(Philippe Quinta)

(Monique Junchat)

Lilas en fleurs – La vieille cabane Toute neuve (Vincent Hoarau)

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D. D.


CHIYO-NI : une femme éprise de poésie Par Monique Mérabet

Haïkus traduits et présentés par Grace Keiko et Monique Leroux Serres Éditions Pippa, 1er trimestre 2017. Prix : 15 €. ISBN : 978-2-916506-89-0

Restons vivants ! le cri des amis poètes en ces temps troublés… trouver en ce ciel gris, raison d’espérer. Le muguet déjà défleuri, dit une autre amie, j’ai cueilli mes premières roses et pivoines. Longue vie aux fleurs de l’été qui viendra !

Comme ils sont beaux les rêves que je fais encore de printemps en fleurs Et si je m’offrais un bouquet de haïkus ? Tout un jardin ? Celui de Chiyo-Ni, justement. Me ressourcer à ce liseron :

Au seau du puits un volubilis enroulé J’irai quêter l’eau Ah ! Croire encore que demain, les hommes se partageront un peu d’eau de leur puits. Les haïkus cités ci-dessus sont puisés au recueil CHIYO-NI Une femme éprise de poésie Un beau titre qu’ont choisi Monique Leroux-Serres et Grace Keiko pour cette suite de deux cents haïkus de la poétesse, qu’elles ont traduits et qu’elles présentent ici. Un inoubliable voyage dans la poésie de cette femme du XVIIIe siècle, venant d’un Japon devenu mythique à nos yeux d’occidentaux, pratiquant avec sagesse l’art de rester vivants.

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L’ouvrage commence par une biographie de Chiyo-Ni, tombée dans « l’étang » de la poésie et de la peinture dès sa plus tendre enfance, ses parents tenant un atelier de montage de rouleaux de calligraphie. Étonnant parcours que celui de cette femme qui sera tour à tour chef d’entreprise, nonne, professeur, voyageuse et… avant tout, haïjin et calligraphe. Une vie accomplie « bien qu’elle soit une femme », à sa façon de femme, sans rien renier de sa féminité. La présentation des textes de Chiyo-Ni par Monique Leroux-Serres et Grace Keiko, rompt avec le classement traditionnel par saisons… pour le plus grand bonheur de la petite faiseuse de haïkus réunionnaise que je suis, aux saisons décalées d’un autre hémisphère. Les haïkus retenus — « Nous avons évités de reprendre beaucoup de haïkus déjà présentés dans des ouvrages en français », disent les auteures — sont mis en scène en deux parties : La beauté du monde (paysages… fleurs, plantes, arbres… oiseaux, insectes) et La vie humaine (vie quotidienne, vie de femme, vie de poète, vie spirituelle) Je retrouve dans cet ouvrage quelque chose de l’esprit des « Notes de chevet » de Sei Shonagôn. Chiyo-Ni porte sur les choses qui l’entourent le même regard optimiste, serein, léger. Suivre ses pas de haïkus, nous mène à l’émerveillement, au sentiment que tout ce qui fait notre quotidien est important et précieux. On ne peut pas faire recension d’un tel ouvrage sans citations : l’occasion de me replonger dans ce recueil agréablement mis en page et finement illustré. Cela m’est pur bonheur et enchantement. Et les poèmes que je glanerai aujourd’hui ne seront pas ceux d’hier ou de demain. Ils sont toujours échos de mes pensées du moment, résonances avec mon humeur du jour ; ils sont aussi éclats de joie qui illuminent ces instants. Alors, pour fleurir ce Premier Mai, pour qu’il nous soit joyeux…

Même les poussières sur les pailles porte-bonheur sont belles ce matin

La cuisson du riz oubliée en contemplant les bambous sous la neige

Quel trésor mais quel trésor ces premiers rayons de soleil

Je me demande un mois après la pleine lune : qu’est devenu l’éventail ?

Le mois des lettres En guise de réponse une feuille tombe Monique Mérabet, 1er mai 2017

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Grappes de Haïkus, A bunch of haïkus Annick Dandeville / Patrick Gillet Par Danièle Duteil

Photographies : Jean-Yves BARDIN –Traduction japonaise : Hideko Trochet – Traduction anglaise : Belkiss Sohbi – Édition trilingue : français, japonais, anglais, Créazen, oct. 2016. Prix : 28 €. ISBN : 978-2-9558056-0-2.

Grappes de Haïkus est un bel ouvrage au format paysage, doté de 64 photographies d’art liées au thème du vin, pour la première fois traité dans le haïku. Après un développement sur l’origine du vin et une présentation des vins de Loire, sont abordés de même l’origine du haïku, puis son déploiement en France.

La nuit nous enveloppe Les grillons se mettent à chanter Souper sous la vigne écrivent Paul-Louis Couchoud, André Faure et Albert Poncin dans Au fil de l’eau (1905), tandis qu’André Druart, dans Pincements de cordes (1929) observe :

La bacchanale Bacchants bacchantes En robes en culottes

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À leurs mots, font écho de superbes photographies, non moins poétiques, évoquant différents terroirs français. D’autres vues se rattachent au Japon traditionnel. Les trois artistes convient leurs lecteurs à un véritable voyage, doublé d’un régal de tous les sens. Ambiances, couleurs, arômes se mêlent, sur fond de senteurs de terre et de cheval, bruit de bouchon et vapeurs sublimes. On prend sa part des anges, de bulles et d’ivresse et, quand la fête est finie, que sécateurs et guitares s’immobilisent, qu’hommes et femmes prennent un repos bien mérité, il ne reste que la lune tardive pour taquiner encore le barboteur en verre. Ce bel ouvrage est enrichi d’une bibliographie succincte d’œuvres marquantes (Quelques millésimes), et d’un lexique de termes japonais en rapport avec le haïku (Grains de haïkus).

D. D.

Enchanter la vie : tanka André Cayrel

Tanka, dessins et photos d’André Cayrel, 102 p. Editions D’un jardin, coll. « Cahiers de poésie brève » ; Dir. Alhama Garcia, février 2017. Prix : 12.66 €. ISBN : 978295539934.

Le tanka est un poème bref ancien qui remonte au début de la littérature japonaise. Abordant des sujets nobles tels que la nature, l’amour, la mort… il privilégie l’expression esthétique, procédant par touches légères. Ce faisant, il effleure le sens, suspendu au bord du dire, sous-tendu par l’allusion ou la métaphore, alors que s’esquisse une histoire intime, nichée aux confins de la pensée, dans l’interstice des mots. Dans son recueil, Enchanter la vie, André Cayrel sait la vertu du silence, ombre, nuage ou page blanche, qui n’attendent que la rencontre du poète pour se mettre à vibrer. Les quintiles ici portent la joie d’un matin d’oiseau, d’une libellule en plongée, d’un regard féminin « ciel bleu frais », d’un « premier rendez-vous ».

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L’univers poétique de l’homme est indissociable de la femme. Elle est toujours à ses côtés, fantasmée ou bien réelle ; on pense aux paroles d’Éluard débutant son très beau poème, L’amoureuse : « Elle est debout sur mes paupières […] / Ses rêves en pleine lumière / Font s’évaporer les soleils »1. Il perçoit le monde par et à travers elle, ou plutôt elles, car il est amoureux de toutes, chacune lui laissant entrevoir des délices. ses lèvres salées après la mer, les sucrées c’est pour le goûter tous les goûts de sa nature condensés dans ses baisers La vie, telle que célébrée dans Enchanter la vie, se veut explosion des sens. Elle est amandier en fleur, « pommes rouges » et figue chaude, marguerites effeuillées, caresses et « corps flous », « silence blanc », soleil levant, soleil couchant, verre de vin et bourdon ivre, étoile filante, soir d’automne, lune rousse, « champs d’oiseaux », parfum d’herbe, lèvres de femme… L’auteur se gorge de ces joies éphémères, escortes saisonnières de sa pérégrination peuplée de « désirs brûlants », à fleur de peau, à fleur de rire. gorge rose sein la couleur et la douceur avant le soleil jamais de mémoire de roses elle n’a vu un jardinier André Cayrel cueille le fruit lorsqu’il s’offre, sachant très bien qu’en ce monde changeant rien n’est définitif, car « la vie c’est comme ça / on joue des petites pièces / sans savoir la fin ». Le rideau peut tomber à tout moment, une silhouette s’esquive, aussitôt remplacée par une autre… laissant parfois, « quand vient le soir », résonner quelques tendres rires échappés de derrière le rideau. Entre clins d’œil et frivolités, le ton se révolte parfois, devant la souffrance des plus faibles, ou face aux discriminations et inégalités. Il s’embrume aussi au souvenir d’un ami défunt, d’un amour prenant fin, à l’évocation d’« un énième anniversaire », d’un cahier d’écolier retrouvé, en contemplant une photo ancienne où le bonheur jaillit aux coins des lèvres…. La saveur de l’instant présent se mesure à l’aune du vécu, selon son tracé, la densité de son trait, et des événements qui en ont tissé la trame. La banalité sans doute, mais ô combien précieuse ! Lorsque la patine des ans teinte la vie de son lustre, certains contours s’adoucissent, donnant du prix à une foule de petits moments, qui ---------------------------------------------------------

Paul ELUARD : L'amoureuse, 4e poème de Mourir de ne pas mourir, in Capitale de la douleur, recueil paru pour la première fois en 1926. 1

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peut-être étaient passés inaperçus, ou étaient apparus insignifiants. L’esthétique japonaise est très attachée au concept de wabi-sabi qui exprime la beauté des choses simples polies par le temps et dont la vue suscite une vague mélancolie sereine. Les tanka d’André Cayrel relèvent de cette notion, illustrée aussi par l’impression d’évanescence émanant de certains de ses clichés en noir et blanc. L’histoire, c’est évident, s’écrit à la fin, à partir des ingrédients composites qui jour après jour, sculptent l’ossature de l’existence : les événements de toute nature, les êtres, père, enfant, ami, amoureuse, passante… les lieux, « jardin en friche », bastide provençale, monts d’Aubrac et sommets enneigés… les objets, portrait jauni, « vieille moleskine »… les parfums remontant de jadis, « lavande en mille feuilles », « l’odeur de l’encre entre les phrases effacées ». Tous ces souvenirs déroulent un long chemin qui, de l’homme, raconte le parcours et la vérité. L’expérience spirituelle du pèlerinage de Compostelle, évoquée parfois avec humour par le poète, prend ainsi l’allure d’une métaphore : celle de la quête de soi, de la recherche des valeurs authentiques et du mystère de la vie. Sa portée est universelle. Il en ressort une exceptionnelle acuité du regard, doublée d’une profonde méditation sur la destinée humaine. vers Compostelle je marche dans la lumière mon ombre derrière flotte sur la poussière où ma chair retournera

D. D.

Les haïkus de la corde à linge Collectif sous la direction de Danièle Duteil corde à linge un soupçon de vent me fait les poches (Ninie FlambHaiku) Rivalités met à l’honneur les poètes de haïku du groupe Facebook. Ed. Renée Clairon (Qc), déc. 2016, Vol.1. No.1.

En réalité, [la corde à linge] constitue un lien entre présent et passé, entre les saisons, entre membres d’une même famille, entre voisins, entre plusieurs histoires… Un lien et un fil d’information, dévoilant l’intime des gens, et ces événements tantôt heureux D. D. tantôt sombres, semés sur le cours des existences (Extrait de l’avant-propos).

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Princesse bouche cousue Françoise KERISEL Par Jacqueline Persini

Illustrations d’Éloïse Chopin, Éditions PIPPA Collection Kolam Poésie. Prix : 10 €. ISBN : 978-2-916506-95-1.

Le journal de Sei Shônagon, un des plus beaux livres de la littérature japonaise, inspire souvent Françoise Kerisel, à la fois dans l’esprit et dans le style. Mais c’est en sa langue singulière, délicate et sensible que l’auteur nous transmet un héritage à travers la question essentielle de la naissance de la parole.

Depuis le départ de son cousin Tadanobu, la princesse Aya est muette. Le chaton blanc n’a pas réussi à la tirer de son silence. Mais un soir, une visiteuse Dame Sei Shônagon vient apprendre l’art de la calligraphie à la triste jeune fille. N’est-ce pas un merveilleux détour pour approcher le mystère d’une bouche cousue ? « Les choses difficiles à dire » étant respectées, au fil du pinceau, Aya parviendra à écrire « les choses qu’elle préfère ». « Les choses qui donnent le fou rire » renforcent encore l’amitié. Alors se préparent « Les choses du voyage à cheval ». Aya retrouvera les mots et « les gros mots » répondant du tac au tac aux insultes du perroquet. Sur le même rouleau s’inscrit la liste des désirs partagés des deux complices : « - Aller jusqu’au bout

du monde - Nous souvenir de nos rêves - Inventer d’autres langages - Rire comme le perroquet vert - danser jusqu’au petit matin - Fredonner le chant des adieux. » Comme Sei Shônagon, Françoise Kerisel, cache sous son oreiller de nombreuses histoires. En voici encore une, délicate et poétique. Qu’est-ce qui nous rend muet ? Dans le chemin qui va du silence à la parole, la conteuse nous dit l’importance de la rencontre, celle qui porte avec elle écoute et beauté.

Jacqueline PERSINI Poésie Première

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Annonces et rendez-vous 1-3 juin 2017 Festival du tanka à Montréal : D'un continent à l'autre, les poètes japonais et

francophones du tanka Dans le cadre du Festival de poésie de Montréal, organisé par la Maison de la poésie, les éditions du tanka francophone organisent un festival autour du tanka. Sera célébré en même temps le 10ème anniversaire de la création de la Revue et des Éditions du tanka francophone. Les activités spécifiques autour du tanka auront lieu du jeudi soir au vendredi soir (1er et 2 juin), ainsi qu'une balade poétique dans les rues de Montréal sur le thème de l'urbanité le samedi 3. Les éditions du tanka francophone seront également présentes sous le chapiteau du festival de poésie de Montréal du 1er au 4 juin 2017. Programme détaillé sur : http://revue-tanka-francophone.com/ Samedi 13 mai : 15h-18h Dans le cadre du Festival du centre de la terre, une chasse aux haïkus est organisée par Alain Kervern à Landevenneg (Côtes-d’Armor). Rendez-vous à 14 h 30 devant la mairie. S’inscrire avant au 02 98 27 19 73. Sur le festival : http://festival.centre-de-la-terre.org Samedi 1er juillet Kukaï-Vannes : Rendez-vous à 16 h au Bagel Ouest Café, place du Gén. de Gaulle à Vannes. Apporter 3 haïkus inédits. Thème : le haïku minimaliste. Pour tout renseignement : echo.afah@yahoo.fr Week-end du 6-8 octobre Rencontre haïbun en Bretagne : Ploubazlannec, Côtes-d’Armor. Arrivée le vendredi 6 octobre à partir de 16h, départ le dimanche 8 dans l’après-midi. Gare SNCF à Paimpol. Au programme : ginkô, kukaï et écriture de haïbun (lié ou individuel), communication d’Alain Kervern sur le concept de nature au Japon (samedi 7 octobre à 14 h) randonnées sur la côte et le port de Paimpol tout proche. Frais de location au « Grand Gîte » : 80 € par personne seule, 60 € par personne en couple. Il reste encore quelques places. Ceux qui souhaiteront prolonger leur séjour pourront le faire ; prévenir rapidement. Inscriptions par courriel, au 15 juin dernier délai : echo.afah@yahoo.fr

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Monique Leroux Serres

Le mardi 6 juin 2017 à 20H30

Cendre et rosée

Monique Leroux Serres sera l'invitée des mardis littéraires de Jean-Lou http://lesmardisdejeanlou.blogspirit.com/

De Céneré à Ryokan

au Café de la mairie salle du 1° étage Place Saint Sulpice Paris 6° Elle présentera son nouveau livre, à paraître aux Éditions Unicité : Cendre et Rosée Éditions Unicité

de Céneré à Ryokan

Il s'agit d'un récit parsemé de passages poétiques. L'héroïne, qui grandit à Saulges en Mayenne, en quête d'un sens à la vie, partira au Japon, sur les traces du moine ermite, poète et calligraphe, Ryokan. Ses amis Jacqueline Persini et Ludovic Hary liront avec elle différents extraits du livre. Au cours de la soirée, seront proposés de courts morceaux du compositeur Yassen Vodenitcharov (CD), qui a mis en musique quelques haïkus de Ryokan, et qui sera présent. Ce sera l'occasion de découvrir aussi les livres précédents de Monique Leroux Serres, en particulier Chiyo-ni, une femme éprise de poésie, Éditions Pippa, janvier 2017. Pour plus d'informations, voir sa fiche auteure sur le site de la Maison des Écrivains et de la Littérature : http://www.m-e-l.fr/monique-leroux-serres,ec,1165

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TARIF ANNUEL : 12€ à régler par chèque libellé à l’ordre de Germain REHLINGER, trésorier de l’AFAH et à adresser à Germain REHLINGER – 5, rue des Pinsons – 68420 ÉGUISHEIM – France Possibilité de paiement par Paypal (13 €) à partir du site AFAH : www.letroitchemin.wifeo.com

Germain Rehlinger, gravures : Pp. 4 / 12 / 18 / 30 / 36 ; aquarelle : p. 22. Danièle Duteil, photos : Pp. 1 (Hommage à Monet) / 2 (Hommage à la « Mother Road ») / 6 / 24 / 28 / 34

Responsable de publication : Danièle Duteil Choix des visuels : Danièle Duteil Conception graphique : Meriem Fresson Mise en page : M. & D. Duteil

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