La maison de Champrosay

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Alphonse Daudet et ses hôtes

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BERNARD GIOVANANGELI ÉDITEUR


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Alphonse Daudet et ses hôtes

Textes écrits par Isabelle BOST, présidente de l'Association Maison d!Alphonse D audet. Anne-Simone DUFIEF, vice-présidente de l'Association Les Amis d!Alphonse Daudet. Pierre-Jean DUFIEF, président de la Société des Amis des frères Goncourt. Nadine VOGEL, présidente de l'Association Les A1nis de Frédéric Masson.

BERNARD GJOVANANGELI ÉDITEUR


Les textes qui composent celle brochure sont le rappel de la journée du 22 septembre 1996 organisée en commun à CbamprosaJ' par les associations Maison d:Aipbonse Daudet, Les Amis de Frédéric Masson, Les Amis des frères Goncourt.

© B ERNARD GIOVANANGELI ÉDITEUR. Paris, 1997. © Collectio ns particulières pour les illustrations don t la proven ance n 'est pas indiquée.


La propriété d'Alphonse D audet à Champrosay

Telle quelle, sans luxe, mais très confortable, pleine d'objets amusants et désuets et de vieux meubles dont quelques-uns assez jolis, cette maison fut une grande diversion p our Alphonse Daudet, elle le rattacha a la vie. Il disait en 7"Îant : CCMot~ propriétain ! C'est incrOJiable !" Vingt ans, il avait fo.llu vingt ans... Cet amour de la campagne qu'il avait toujours eu, mais chez les autres, il pouvait a présent le satiifaire en se cherchant des coins pour lui, des cagnards bien abrités du vent, des parties de prairies d'oû l'on ne VO)Ittit que des arbres sauvages, dans des bouffées d'air paifumées par la Seine et les plantes d'eau ... » Lucien D audet, Vie d:Alphonse Daudet. <<

En effet, il ava it fa llu vingt ans de séjours à C ham prosay chez ses beauxparents, Léo nide et Jules Allard, po ur qu'Alphonse D audet se décide à acquérir lui-m êm e une m aison q ui lui permette de loger sa fa mille pendant la belle sa ison et de recevoir ses no mbre ux invités. U ne propriété composée d'une m aison et d' un grand terrain allan t jusqu'à la Seine, se tro uve en vente à C hamprosay presque en face de la maiso n des Al lard, a ux lieux d its des D auboeufs, des Plantes, de Rochefort et du port Saint-Victor. Alpho nse D aud et l'achète en 1887. Elle provien t de la successio n de M . Pierre-Fra nçois Cottin, hau t fo n ctio nnaire de l'Empire, et apparEntrée de la p rop ri été d'Alp honse D audet tient en indivision à ses en fa nts, rou te d e Corbeil (actuellement rue AlphonseM m e Bido ire et M M . Co ttin frères. Daudet). Un des fi ls de Pi erre- François Cottin, Auguste Cottin, a acheté la propri été VO!Sll1e (actuell em ent 29, rue A lph onse-Daud et) à la suite de M . Frédéric Vil lot, l'ancien p ropriétaire décédé en 1875. Frédéric Villo t était ami d'Eugène Delacroix et gend re du baron Paul Barbi er, ancien conseiller municipal de D raveil et propriétaire à C ham prosay. La fi ll e d'Auguste Cott in est m ariée à Frédéric M asson, ami d'Alph on se D audet et co usin d'Edmond de Goncourt. La fa mille D audet visite la maison pendant l' hiver et Alpho nse D aud et se décide immédi atement à l'acheter. Le 5 avril 1887, Alpho nse D audet d o nne pouvoir à m aître Gouget, avoué, de le re présenter lo rs de la vente de cette propriété aux en chères publiques, qui a

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li eu le lendem ain au palais d e justice d e Pa ris. Le 6 avril, le juge tenant l'a udien ce publique de la chambre d es criées du tribunal civil de premiè re instance du d épartement d e la Seine procèd e à la vente a ux e nchè res publiques en un seul lot d e la propriété Cottin . La mise à prix a é té fa ite à 90.000 fra ncs : '' Aussitô t les bo ugies allumées et après qu' il a été d o nné publiquement connaissance du monta nt d es frais d e vente conformém ent à la lo i, m aître M aza avo ué e nch érit à qua tre-vingt-dix mi lle cinqua nte francs e t m aître Go uget avoué à quatre-vingt-dix mi lle cent fran cs en sus d es charges . Attendu que pendant la durée d e tro is fe ux consécutifs su r cette d erniè re e nchère, il n'en est pas survenu d e plus élevée, n o us adjugeons en conséq ue nce à maître Gouget, avoué p lus offrant et d erni er enchéri sseur, so us la rése rve pour sa partie du droit d e d éclare r command d ans le d élai p rescrit pa r la loi la propriété d e la conte nan ce de cinq h ecta res qu arante-six ares q ua tre-vingt-q uato rze centiares située à C ha mprosay, commune de Draveil (Seine-et- Oise) route d é partem entale numéro vingt-n euf d e Villene uve à C orbeil, moyennant le prix principal d e quatre-vingt-dix mille cent francs, en

La maiso n d'Alpho nse Daudet. Pho to prise dans les années 1890 dep uis la ro ute de Corbe il. © Bibliotbèqur nntionn!t• dt• Fmnrr.

sus d es ch arges e t des frais d e vente taxés à la somme d e dix-n eu f cent soixante-dix-sept fran cs cinquante ce ntimes . » D ès la mi-mai 1887, la fa mille s'install e à C hamprosay. Ell e fa it très peu d e transfo rmatio ns, conserve quasi intacte l' implanta tio n de la maison e t d u parc. Alpho nse D audet fa it co nstruire un e sall e d 'a rmes et agra ndir un petit bâtiment qu'il appellera l'« isba »

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La ma ison , grande et confortable, est en b o rdure de la ro ute de Corbeil. C'est également le lo n g d e cette route q ue se trouva ient les d e ux précédentes d em eures d'Alphonse Daudet.

Ob! cette route de Corbeil, la place qu'elle tenait dans ses souvenirs 1 Son er~fance, sa jeuJzesse, en étaient comme traversées d'une la1ge chaussée toute poudreuse, ot't se déroulaient les grands événements de sa vie. " Alphonse Daudet, La Petite Paroisse. 1895. «

Le potager près d e la maison de D audet. En arrièrepl an la paro isse de C hamprosay.

C'était une grande maison botogeoise, comme on disait jadis, bâtie sans doute fin du règne de Louis-Philippe "· Lucien D audet, ibid.

a la

Ell e es t protégée de la ro ute par une grille, fermée par des volets, et une ran gée de marronniers et de tilleuls. La p orte coch ère s'ouvre sur un e cour d'honneur, pavée e t sablée, garnie d 'oran gers en caisses. La ma ison compo rte une partie p rin cipa le avec au rez-de-ch au ssée un sa lo n, une sall e à m anger et un ca bine t de travai l ; au premier étage se tro uvent les ch ambres d e la fam ill e D aude t et au d e uxiè m e étage, les chambres des invités d e m arq ue (notamm ent celle d'Edmond d e Goncourt). La maison est aussi comp osée d' une aile à a ngle droit avec au rez-de-ch aussée l'office, u n réfectoire pour le personnel, une sall e de bains et à l'étage, les ch ambres pour le personnel ou les invités. Sur la ga uche, d errière cette aile, se sit ue un e pe tite cour pavée entourée d e b âtiments : un p avillon - logem ent du jardinier -, une grande rem ise avec cha mbre aux grain es et réservoir p o ur les ea ux de Se ine, une remise avec sellerie et écurie pour d eux ch evaux et un grenier à fo urrage . Le parc à l'angla ise d escend jusqu'à la Seine << Ce p arc ne ressemble p as à tous les parcs. Il est sem é de con structions p ittoresq ues e t de maisonnettes qui lui donnent l'aspect d'un h am eau enfo ui d ans la verdure ", écrira Adolphe Brisson en visite à C h amprosay. La prop rié té se d iv ise en d eux parties, sé pa rées par le chemin de la Croix, de C h amprosay à Soisy-sou s-Etiolles, dit ch emin du b as d e C hamprosay. La partie haute, d e 3 h ectares et 65 ares, est la p lus impo rta nte. La partie basse, en bordure d e Seine, fait 1 h ecta re et 82 ares.

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Des fenêtres de la ma1son, o n peut voir, au-delà du parc, la Seine et les coteaux de Ris-O ran gis. Les pi èces du rez-de-chaussée d onn ent sur une te rrasse à laq uelle on accèd e par un petit escali er. Vingt-q uatre vases en fon te, contenan t d es géraniums, d écorent la terrasse et l'escalier. En bas de ce dernier, un espace recouvert d e gravier, est am én agé avec des b an cs, des fauteu ils e t des arb ustes en po ts (orangers et lauriers roses). Plus bas, un jardin d'agrém ent o ù Alp honse Daudet aime se prom en er, u n b assin circu laire qu'il a fait agrandir, des terrasses, d es massifs, vin gt vases p osés sur des pilastres et remplis d e fle urs (géraniu ms, fuchsias ... ), un kiosque. A la suite se tro uvent un petit potager e t un grand potager, un p uits couvert, des arbres fru itiers en pl ein rappo rt, cinq bassins et d es réservoirs d 'eaux de Seine. Un petit bâtiment en briques masqu e le potager : il s'agit de l'« isba "• lieu de lecture et salle de bill ard d'Alphonse D audet, qu'il fait agrand ir dès son arrivée. '' [. . .} C'étrtil celle ancienne resserre à outils que Richard avait aménagée en salle d'armes, en .faisant poncer et vernisser les poutres du plafond et les revêtements en sapin des murs, ce qui donnait à la p ièce, avec des na/les jetées et des pièces de tapis d'Orient, un semblant d'mpect russe "· Alphonse D audet, ibid. Pl us bas, le parc se d ivise en de ux pa rties : à d ro ite un bois, à gauche des jardins et des terrasses. De larges allées de marronn iers ou de tilleuls, bordées de b an cs, traversen t le parc et les jard ins, ains i q ue des chemins recouverts d'a rceaux o ù grim pen t rosiers et vigne. Les jardins sont p lantés d e vign e, d'arbres et arbustes d'agréme nt, d e mass ifs fl euris (œill ets, p ivoines, lis . .. ) e t se term inent, près du chem in d u bas d e C ha m prosay, par u n tenn is. Les terrasses sont recouvertes de vases fleuris. Qya nd Alp honse Daud et achète la propriété, il acq uiert par la même occasio n les pl ants prêts pou r le p rintemps : 1500 boutures de gérani um s, 100 giro flées, 2 00 fuchsias, etc. En bas, une allée de tilleuls, appelée "allée d u curé" longe le ch em in du bas de Champrosay. Le curé de Draveil était un fi dèle des dîne rs du jeu di. On accède a u chemin par une grille en demi-lune qui existe toujo urs. Plusieurs bâtimen ts, un vérita bl e petit village, en to uren t la chapelle SainteH élèn e, p ropriété d e la comm une de D raveil. O n retro uve aujourd'hui les traces de la p lupart de ces maisons d' h abitatio n : la maison Limonea u Poirier, q ui comporte tro is logemen ts de rapport. le pavillo n Qyantinet, derrière la chapelle. la m aison Coca. " Ces Huchemrd, ces wrieux loccttaires de Daudet, ces deux êtres .faisant partie des sept âmes dont il est, ainsi qu'il le dit, le seigmm: Ce man~ à l'aspect desséché d'un sauvage, celle femme, a)1ant carrément renoncé à son sexe, à l'air jovialement gouaillew; à la ressemblance avec Got, ce ménage passant sa vie à pêcher ou à courir la forêt de Sénart à la recherche de chenilles les plm rares, et wltivant dam son tout petit jardin les plus belles roses de la terre, ces gens se piquant le nez tom les dimanches avec un petit v in blanc du Poitou, en compagnie de mm iciens, de chantwses, de farceurs, ces petits bomgeois parisiens dans un intérieur au mobilier de Robinson Cmsoé, re·venm

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aux vraies et franches joies de la vie de la nature "· Jo urnal des frères Gon court, [lundi 25 juin 1888]. Q.1and il s emmén agent, une des m aison s est libre. Jules Ebner, le secrétaire d 'Alpho nse D audet, s'y installe avec sa famille. Alp h onse D audet fait con struire une salle d 'arm es en 1888, po ur son fil s Léon et am énage un des bâtim ents en ate lier de p einture pour Lucien. D e la m aison , o n accède à la ch apelle en passant derrière l' isba par un chemin couvert d'arcades sur lesquelles p o usse de la vigne. Le bas de la propriété, entre le chemin du bas de Champrosay et le ch emin de contre-halage, comprend des bois, des taillis, des arbres et des arbustes d'agrém ent. C'est là que se trouve le cabinet de travail hexagon al qu'Alpho nse Daudet adopte tout de suite. C elui-ci existe toujours. Il comporte deux p ièces, sur deux niveaux. D e ses fenêtres, o n pe ut voir couler la Seine. Le pavillon de travail d'Alpho nse Daudet.

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La v1e à Champrosay es t tranquille, proche de la n ature : " j'ai été élevé de bonne heure par mon père - qui était un très grand éducateur dans cette idée, que si l'on voulait écrire, il jàllait avoir la vie la p lus régulière, la plus normale et la plus tranquille qui soit. A lphonse Daudet était partisan, pour le romanciet; pom· le p!Jilosopbe, pour le journaliste, de la famille, de son abri et rifuge et après une jeunesse qu'il avait eu assez omgeuse - de la conduite régulière de la vie "· Léon D audet, Études et Milieux littéraires. 1927. C'est donc une vie régulière, proche de la nature qu'il s'efforce de m ener et de faire mene r à sa famille. Les premières années, A lphonse D audet profite de la régio n. Il canote sur la Seine avec ses amis et avec Léon Alard, son

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b eau-frère. << Il n'est pas un repli du fl euve que je n'aie explo ré, jadis, pas une île où je n'aie déjeuné en joyeuse compagnie. O h ! ces îles de la Seine, l'île d'Amour, près d e Corbeil, e t ces bras d e l'orge si verdoya nts, e t ces cabare ts o ù l'o n co nfectio nne, avec du vin bleu, de si savoureuses m atelotes ! [ ... ] », confiera-t-il à Adolphe Brisson venu lui rendre visite. Il fa it d e grand es promenad es dans les champs avec son fils aîn é o u d ans la fo rêt d e Sénart à la rech erche de ch amp ign ons et d e ch âtaignes - la réco lte éta it alo rs mangée en famille le soir. Mais lorsqu'il achè te la propriété Cottin, D audet est d éjà malad e et épro uve des difficu ltés à march er. Il n e peut P lus fa ire que des p romenades dans Le pa rc vu de la ma1so n. le parc au b ras de sa femme, d e son secré taire, Jules Ebner, ou de ses amis. Ces promen ades deviennent même de plus en p lu s diffic iles et il est parfois o bligé d e rester toute la jo urnée sur la terrasse qui do mine la vallée de la Seine. Ce parc a donc pour lui une grande importance : c'est le seul lien direct qu'il conserve avec la campagne et les bois q u'il ap précie tou t particulièreme nt. Alphonse D a udet est toujours très fier d e m ontrer son << domaine '' · C ependant, il préfère les endro its sauvages aux massifs trop sophistiqués. Parlan t d'Edmo nd de Goncourt, Léon Daudet no us d it (dans L es Œuvres dans les H ommes. 1922) : " Il fallait l'en/encire, se promenant avec mon père el ma mère, dam les allées du parc de Champrosa)l, lesquelles clé-valaient, en p ente douce, vers la Seine, et expliquant qu'il fo l/ait abal!re tel ou tel arbre à cause de la vue. Mon père, appuyé sur sa canne, ajustait son monocle, regardait l'arbre, comme tm médecin, à l'hôpital, regarde tm enfimt condamné et répliquait : "VoJIOJH, Goncourt, il ne fa it de mal à personne, cet arbre. Il n)! a, s'il obstrue l'horizon, qu'à se déplacer un peu par rctpport à lui. " " Edm o nd d e Go ncourt a1me bea ucoup le jardinage, mais plus à la Le tille ul plan té par Edmond de Goncourt. manière d'un citadin. Il a pl anté un ti lleul d errière la maison d'Alph o nse D audet. L'arbre que l'on vo it aujo urd'hui à cet emplacement en est un rejet .

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La journée d 'Alphonse Daudet se déroule de façon très régulière. Le matin, il passe une heure ou deux sur un banc circulaire à l'ombre d'un frêne pleureur, d ans la partie gauche du parc. Il aitne a ussi rester sur la terrasse, face à la Seine, installé dans une sorte d e guérite d 'osier. Il y passe parfois des journées e t des soirées entières. Après le déjeuner, Alphonse Daudet d escend au bras d'Ebner, son secrétaire, jusqu'au pavillo n h exagon al en pierre, au bord de la Seine. Là il lit et écrit. Julia Daudet vient le rejoindre et travaille à ses côtés. Pendant ce tetnps, Léon é tudie : il prépare ses exam en s (après avoir échoué au con cours d 'in ternat, il renoncera à la m édecine en 18 91 pour se consacrer à J'écriture). Lucien, lui, passe son tetnps entre le jardin et la laiterie. Edn1ée se repose, gardée par sa nourrice. Enfin les enfants rejo ignen t leurs parents près de la Seine. En fin d'après-n1idi, lo rsque la chaleur d écroît, tous partent en promen ade. ~and Edmond de Gonco urt es t à Champrosay, c'est Léon qui est chargé d'aller le chercher. L'ami laisse là son travail en train et tout le n1onde monte dans le land au fan1ilia l pour aller vers Corbeil, Brunoy, Etampes. Parfois, Edtnond de Goncourt fa it arrêter la voiture pour acheter un jouet pour la petite Edmée, sa filleule. Le soir, le gon g de la maison retentit pour prévenir de l'arrivée d'un voisin qui s'invite à dîner. Toute la fan1 ille rejoint alors la maison en traversant le parc. Après le dîner, Alphonse, Julia et les enfants vont jusqu'au p otager adtnirer le coucher de soleil sur la Seine, puis regagnent lentement la maison. Les enfants vont se coucher. Alphonse et Julia restent dans le cabinet de travail, au rez-de-chaussée à travailler jusqu'à 11 heures-minuit. Alphonse Daudet écrit debout appuyé sur un haut pupitre, sa fetnm e s'installe sur un canapé à côté.

Le jeudi soir tout était dijflrent. Le petit garçon qui n~aimait que la campagne et la solitude close et protégée par ses parents~ craignait tous ces amis qui parlaient à haute voix, qui rompaient les calmes habitudes. » Lucien Daudet, ibid. «

Arrivent voisins, amis, journalistes, écrivains et artistes confirmés o u non, connus ou inconnus. Presque tout ce que l'époque compte de personnalités fréquente les jeudis de Champrosay. Ce sont trois génération s qui se retrouvent autour d'Alphonse Daudet : celle d'Edmond de Goncourt (né en 1824), celle d'Alphonse Daudet (né en 1840) et celle de ses enfants Léon e t Lucien (nés en 1867 et en 1878). D ès la n1ort de son mari, Julia vend la propriété (vide de m eubles) à M et Mn1e An1iot. Ceux-ci la transmettent ensuite à le ur p e tite-fill e, Yvonne Amict, mariée avec un avoué parisien, J acqu es Perrody. Puis Mme Perrody la vend en 1946 à une communauté religieuse. La maison s'appelle alo rs le prieuré Saint-Jean. La partie de terrain en bord d e Sein e est séparée de la propriété et vendue. En 1969, l'Association de santé mentale du 13e arrondissement d e Paris devient propriétaire d e la n1aison et du terrain situé en tre la route de Corbeil et le chemin du bas de Champrosay. En 1988, le parc est vendu à


un constructe ur et en 199 1 la m atson est acqutse par M. et Mm e Bost, les actuels propriétaires. D epuis la m o rt d'Alpho nse D audet, les différents propriétaires de la m atson , co nscients de l'intérêt patrimo nial de ces lieux, o nt veill é à ne rien détruire de l'h armonie du site. Si les bâtiments et le parc ont manq ué d'entreti en, comme d'ailleurs d e n ombreuses dem e ures de notre région, rien n'est venu les défigurer. Une procédure de classem ent du site est en cours, am s1 qu'un projet de réhabilitatio n et de mise en vale ur du parc. Isabelle BOST

Al pho nse Daudet.

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Alphonse D audet à Champrosay

La grand p ublic associe Alphonse D audet au M id i et très peu à l'Il e-deFran ce. Cela tient à la notoriété des Lettres de mon Moulin et de Tartarin de Tarascon qui o nt fa it com plètement o ubli er les années passées à Champrosay. Or, l' Ile-de-France est très importante dans l'œuvre d'Alphonse Daudet comme dans sa vie. D audet quitte Nîmes à 9 ans, il s'in stalle à Lyon jusqu'à l'âge de 16 ans et monte à Paris à 17 ans. Il retournera dans le Midi pour des vacan ces (à Fontvieille chez les Ambroy), m ais il n'y h abitera plus jam ais. Il vivra quarante années à Paris : cela justifie am pl em en t que l'on s'in téresse à l'i nspiration parisienne dans son œ uvre et à la place de C h amprosay.

Pourquoi CbamprosaJ' ? Daudet découvre la région de Draveil grâce à sa femme ; Julia Allard était la fi lle de Léonide et Jules Allard, petits industriels (menuiserie-ébénisterie) du fa ubourg Saint-Antoine, et également poètes et écrivains - ils publièrent Les marges de la vie et se montraient fiers des félicitations de Victor Hugo à q ui ils avaient envoyé le ur recueil à Gue rnesey. Avec les A ll ard, D aud et pénètre a uss i dans un milieu républi ca in. Ju les A ll ard avait été imp liqué dans la conjuration de Barbès. Léon ide A ll ard éta it la fi lle du m aire de Vigneux et son père éta it propriétaire du ch âtea u de Vigneux, un très vaste domaine co nstruit à la Renaissan ce et te rminé au XVIIIe siècle, dont le plus bel ornement étaien t des cascades et de nombreuses pièces d'eau. Le premier domicile des Daudet se ra do nc ce château de Vigneux ; en effet, il s se marient le 1er janvier 1867 et dès mai, s'y installent jusqu'en octobre 1867. C'est à Vigneux, lo rs des six m o is de villégiature, qu'Alphonse Daudet rédige Le Petit Chose : << C'est seulement l'été venu, sous les ombrages elu château de Vigneux dont on voit la toiture italienne et les hautes fittaies se dérouler dam la p laine de Villeneuve-SaintGeorges que je m'ai remis a mon interminable roman. Six mois délicieux, loin de Paris, alors bouleversé par celle exposition de 1867 que je ne voulus pas même aller voir 1

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j'écrivais Le Petit C hose, tantôt sur un banc moussu au fond du parc, troublé par des bonds de lapins, des glissements de couleuvres dcms les bruyères, ou bien en bateau sur l'étang qui s'irisait de toutes les teintes de l'beure dans un ciel d'été; et encore, les jours de pluie, dam notre cbambre où ma femme me jouait du Cbopin, que je ne peux plus entendre sam me figurer l'égouflemmt de la pluie sur les boules vertes des cbarmilles, les cris rauques des paom, les clameurs de la faisanderie parmi les odeurs de fleurs, d'arbres et de bois mouillé. ,,

Daudet et son épouse Jul ia.

Le châtea u va être vendu en 1868, après la m o rt de son propri étaire, J acques Navoit, grand-père de Juli a D audet. Ce domaine représentait un énorme capital qu'aucun de ses quatre enfants ne pouvait reprendre. De son vivant, cette vente prévisib le réjouissait le vieux monsieur, personnage assez terrible que D audet a transposé dans son ro m an Fromont jeune et Ris/er ainé sous le nom de Gardinois :

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« Avec le vieux Gardinois - dit Daudet -j'ai fait de la peine à quelqu'un que j'aime de cœu1· (sa belle-mère), mais je n'ai pas pu supprimer ce f:ype de vieillard égoïste, terrible, de parvenu implacable qui pmfois sur la terrasse de son parc, envelopp ant de son grand regard avide, les grands bâtiments de la firme et du château, les bois, les cascades, disait à ses erifants : "Ce qui me console de mourù; c'est qu'ap1·ès moi, aucun de vous ne sera assez riche pour conserver tout cela !" [. . .} »

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Les acheteurs s'empressent de détruire le ch âteau et construisirent une villa type casino '', n ous dira Lucien D audet.

Les Allard vont louer la propriété de Delacroix pendant trois saisons (étés 68, 69, 70). Alphonse et Julia se sont install és dans l'atelier de Delacroix. C'est là, que D audet écrit Tartarin de Tarascon (reprise d'un avant-texte paru dans un journal sous le titre de << Charpatin, tueur de lions » en 1865). I.:été 1870 est marqué p ar l'invasion prussienne ; Alphonse D audet se casse la jambe à C hamprosay et cet acciden t l'empêch era de rentrer à Paris avant l'automne. Il n'y aura pas de villégiature en 1871 pour des raison s politiques.

En 1872, les All ard rachètent et aménagen t une maison qm se trouve en face de la côte de Ris-Orangis, actuellement au n° 22 de la ru e Alpho nseD audet. Po ur Daudet, 1872 est une année d 'échecs littéraires : L es Contes du Lundi se sont mal vendus, I.:Adésienne et Lise Tavernier on t été des << fours ». D aud et envisage presque de renoncer à la carrière d'écriva in et de devenir fonctionnaire. Il avait été secrétaire du duc de Morny et il pense retrouver un emploi dans l'administration. Il faudra une énergique intervention de Julia pour qu'il ne ren once pas à la carrière littéraire. Il est très déprimé et décide de passer six mois dan s la maison de ses beaux-parents. En voici une description par Edm ond de Goncourt : Une grande maison blanche, sans caractère, à laquelle sont accolés un tas de petits communs, réserves, d'appentis, de bâtiments de guingois, mis de niveau paT deux ou trois marches, d'escaliers montant ou descendant et reliés pm· des portes sous lesquelles les gens un peu grand doivent se baisse1: Une maison combinée pour loger trois ménages avec des potées d'enjànts 1 [. . .} » «

D an s cette maison du << h aut de la Côte » cohabitent Léonide et Jules Allard , Léon, Julia et Alphonse D audet, puis Lucien (né en 1878) et Edmée (t:ée en février 1886). S'ajoutent à la m aisonnée le fils des Allard, Léon, qui a épousé Anna Daudet, la p etite sœur d'Alphonse, avec qui il a eu trois en fants, et également la grand-mère Navoit ; Vincent et Adeline Daudet, parents d 'Alphonse D audet complètement ruinés sont bien souvent invités. Cette m aison de villégiature n'était ouverte que l'été, et l'hiver les Allard habitaient leur hôtel particulier de la rue Saint-Gilles au M arais.

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La vie quotidienn e y devint difficile au fil d es séjours estivaux ; les collaté raux ne s'e ntendaient pas toujo urs très bie n . Léon Allard était égalem ent romancier, mais n'avait guère d e succès ; sa m ère, dont il é tait le préféré, jalousait le renom littéraire de son gendre. Cela donnait quelques tensio ns e t frictions qui devinrent si fortes qu'Alphonse et Juli a d écidaient souvent de p artir villégiaturer ailleurs. Ils coupaient le séjour en deux pour ne pas avoir à rester d e juin à octobre ; ils se sont rendus plusieurs fois en Suisse, ainsi qu'en Bre tagne.

En 1886, la na issance d'Edmée donne un pré texte po ur déménager et au printemps 1887, ils font l'acquisition de la maison, q ui est actuellement au 33 rue AlphonseD aude t.

Léon et Lucien Daudet.

Le domaine couvre alors six hectares, depuis la rue jusqu'à la Seine une propriété d'agrém ent e t de semi-rapport.

c'est

Ils l'achè tent à M. Cottin, haut fonctionnaire de l'Empire : 112.000 francs or, frais compris. Daud et écrit à son cousin que « ce n 'est pas une folie ! » et de fait, il laissera à sa mort 550.000 francs or, ce qui correspond à une très belle fortun e, ana logue à celle de Zola . Les lieux se composent d'une maison e t d ' un parc qUI présente la parti cularité d 'être << sem é » de p etites constructions, ce qui était conforme à l'esthétique d' u n parc bourgeois à la fin du siècle dernier : D'abord, La petite paroisse, c'est-à-dire d es maisonne ttes qUI JOUxtent une petite chapelle, d'o ù le te rme << paroisse », et qu i sont louées. Lorsque l'une d'ell e deviendra vacante, Alphonse y installe ra son secrétaire : Ju les Ebner. Alphonse D audet l'avait rencontré en 1870 ; celui-ci travaillait a u j ournal officiel et ne donnait à D aude t que ses dimanches. Dans l'aile de la ma ison était installée une salle de bains, luxe rare à la campagne !

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Au bord de la Seine, était construit un pavillon h exagon al qui devint le cabinet de travail favori du romancier. C'es t là qu 'il écrivit l' Immortel en 1888. En remontant de la Seine vers la maison, o n trouvait l'Isba, qui était un pavillon bas rectangulaire, décoré à l'intérieur de bois, ce qui évoquait vaguem ent l'architecture russe, d'où ce nom d'isba . C'est là que Daud et allait faire la sieste, lire son journal. .. Il y avait également un atelier de peinture aménagé pour Lucien D audet et une grande bâtisse qui servait d'orangerie p endant l'hiver et de salle d'escrime pendant l'été. Alphonse Daudet avait été un très bon escrimeur, m ais ne pouvait plus en 1887 se livrer à ce sport. En revanche, Léon D audet s'y adonnait, ce qui lui a servi dans la suite de sa carrière !... Un tennis pour Lucien surtout, adepte d'un sport qui était alors très chic et très snob. On do it ajouter les constructions végétales plus légères : un grand nombre de charmilles, de tonnelles, de roseraies ... Pourtant, ce parc n'était pas très bien entretenu. En effet, Daudet voulait absolument lui laisser l'aspect le plus naturel possibl e ; il avait même réservé un endroit où les jardiniers n'avaient pas le droit d'aller. En outre, un long verger et un grand potager servaient à alimenter la table de Champrosay, mais également celle de Paris. Q!land il y avait des surplus, ils étaient vendus au marché de Corbeil. Derrière la maison, il y avait une écurie pour les ch evaux, une étable où se trouvait une vache qui fournissait le lait pour les enfants, et des ânes pour les promenades d'Edmée, puis du petit Charles, fils de Léon et de Jeanne Hugo. Cette ma1son pouvait passer pour une maison relativement luxueuse. Si on en croit le témoignage de Lucien D audet « C'était une maison confortable ... ,, Mais lorsque Lucien écrit ces lignes, il est devenu le familier de l'impératrice In térieur de la ma•son photographié en 1937. Eugénie : il s'est habitué à un luxe de plus en plus grand, aussi est-il difficile de lui accorder un total crédit !

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L'avis d'Alphonse Daudet sur sa maison, celui qu'il livre à une aime peintre Virginie Demant-Breton es t très intéressant :

<<j'ai deux cabinets de travail, celui que vous connaissez près du salon où je ne fais que transcrire et épurer ce qui est dt{jà écrit, mais ce n'est pas là que je compose. Dans cette demeure confOrtable et cossue, je ne me sens pas chez moi. Il me semble que je suis chez un botngeois riche, l'un de ceux à qui je reprochais leur opulence, l'un de ceux à qui je montrais le poing quand j'étais le pauvre Petit Chose. je vous jèrai voù· tout à theure mon vrai chez-mot~ le toit rustique sous lequel je me retire aux heures où je n)! suis pour personne . .. ,

Daudet dans le fond de sa propriété bordant la Seine.

C'est une opm10n qui peut paraître surprenante mats elle est corroborée par Edmond de Goncourt en juillet 1890 :

<< Le pauvre ami disait, quelques instants après, en se promenant de·vant la grille du fond du parc : «Comme je fois bien le monsieur d'une grande propriété... Out~ le monsieur qu'on promène dans une petite voiture ou le monsieu1· qui donne le bras à une sœur. .. Car c'est toujours comme ça dans les grandes propriétés r , A l'époque où il acquiert cette propriété, D audet a réussi sur le plan mondain et professionnel, m ais depuis 1884 il souffre d'une grave maladie, le tabès, consécutif à un accident syphilitique (une paralysie des cordons m édullaires arrières) ; il en est arrivé à n e pl us pouvoir marcher et ressent de violentes douleurs.

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La vie quotidienne

a Cbamprosay

La vie quotidienne à Cham.prosay était consacrée au travail et aux plaisirs d ' une villégiature fami liale : promenades et parties de can otage ... La vie culturelle était inte nse le jeudi, jo ur o ù les D a ud et recevaient. C hamprosay était bien relié à Paris ; trois trains permettaient de venir passer l'après-midi ; généralement, le maître de m aiso n envoyait un break à la gare de Ris- Orangis p our aller cherch er les invités, m ais certains venaient tout simpl em ent à pied en traversant le p o nt de Ris. Les visiteurs appartenaient au monde des lettres et des arts. Les intimes étaient gardés à dîner et les autres ne venaient que pour l'après-midi. Le nombre des convives variait énormément d'un je udi à l'autre. Aucune contrainte dans ces réceptions à la campagne : « [. . .} Nous arrivions a toute beure, libres d'errer dans les méandres ou d'écouter l'enchanteur assis a l'orée du jardin avec le grand vieillard aux cheveux d'argent [Edmond de Gonco~u"lj... ''

Les familiers de la m aison étaient entre autres : Fran çois Coppée (un voisin), Nadar qui avait une maison à l'ermitage de Sén art, Drumo nt qui villégiaturait à Soisy-sous-Etiolles ... Les h abitués du salon D aud et à Paris étaient très nombreux et il est difficile de savoir avec précision quels sont ceux qui sont venus à Champrosay et ceux qui sont venu s rue de Bellechasse. To us les témoignages de l'époque citent en vrac une cinquantaine de noms m ais sans préciser s'il s'agit d'invités de la ru e de Bellech asse, à Paris, o u d'amis qui faisaient le voyage de C h amprosay. Daudet aimait beaucoup la musiqu e. Lorsqu' il p o uva it orgam ser un petit concert après dîner, il en était ravi. Augusta Holmès, qu e Daud et appréciait tout particu lièrement a très souvent chanté ses m élod ies à Champrosay. Emma Calvé, cantatrice, q ui a créé le rô le de Saph o est venue avec Massenet présen ter en ava nt-première l'opéra à Daudet qu i ne pouvait plus se déplacer. Daudet n'était guère am ateur de peinture, m ais Ju lia appréciait cet art rappelle la venue un jeudi de Whistler

ell e

" Autre figure originale, près du parc de Cbamprosay, en nos jwdis littéraires, celle de Wbistlet; si baudelairien d'aspect, de rire, de paradoxe... Sa vot~Y: résonne encore devant cette petite véranda. E t son discours capricieux traite avec bonheur de tous les sujets : art, liuérature, souvenirs, accidents de sa v ie d'artiste a Paris comme a L ondres [. .. } " Extrait du }oumal de Julia D aud et.

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(~

Les portraits de q uelq ues-un s des écriva ins q u1 aim aient à ven1 r à C ham prosay retrou ver Al phonse et Ju lia D audet. A gauche, de haut en bas : C . Leconte de Lisle, J. K. Huysmans, I. Tou rgéniev, G . Flaubert ; au mili eu e n haut : T . de Banvi lle ; à dro ite, de hau t en b as : E. de Goncourt, G . de Mau passant, Sully-Prudho m me, F. Coppée. © Bibliothèque nationale de France.

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Cette maison de Champrosay p araissait à Daudet suffisamment lo in de la capitale pour être transformée en « centre culturel », car l'écrivain estimait que la campagne procurait une indispensable liberté vis-à-vis des journaux, des théâtres ... Il avait m êm e envisagé de fo nder une revue : « ll faut que je vous confie un projet. Depuis longtemps, on me sollicite pour fonder une revue. Un éditeur de New Yorfl m'a offirt dernièrement la direction d'un magazine à des conditions superbes, avec 1 million de capital... Mais une autre idée m'est venue : celle de créer au fond de ma solitude, un journal que j'appellerai '' le journal de Champrosay » et dans lequel je dirai chaque semaine mon mot su1· ce qui se passe. Le mot du philosophe qui voit les événements de très loin et qui les juge sans passion . .. »

Daudet meurt le 16 décembre 1897. Julia vient passer l'été 1898 à C h amprosay et elle y est en proie à une dépressio n nerveuse qui va l'amener à vendre la maison. Elle la vend dès 1899 et ne retournera plus dans la région de Champrosay-Draveil. Elle lo uera un châtea u, le château de la Roch e près d'Amboise. Puis, elle l'achètera. Voici un extrait de son jo urnal (été 1898) : « Son Champrosa)l qu'il aimait tant, je veux y rem.vre une saison de lui ; je retrouverai au b01·d des allées et des détours son pas hésitant et son active conversation. j e m'arrêterai aux mêmes endroits d'où ce paysage de Seine-et-Oise lui plaisait le mieux : En haut du potage1; oû l'on voit le plein ciel, les nuits d'étoiles, ou sur la terrasse qu'il mpentait vers le soir avec des repos dans sa guérite d'osie1; tm peu penchée, a)1ant gardé quelque chose de son attitude à lui. .. je suis venue ici - écrit-elle dans son journal été 1898 - comme en pèlerinage et pour savoir si je pourrais me réaccoutumer d'y v ivre. Quelle absence de lUJ~ pm-tout si visible et si sensible 1 De son cabinet de travail, je ne puis conserver la distribution ancienne, qui nous le montrait à toute beure dans le jour de sa ftnêtre, penché sur son haut pupitre, les J'eux sur ses cahiers, et tout de suite quand on entrait, l'accueil de son sou1·ù·e, vers le salon ou vers la terrasse. Je l'ai vu là 12 ans, travaille!; souffrù; goûter aussi, les heures de repos avec la lecture de son Montaigne ou de son Balzac, ou quelque 1-elation de lointains VOJ'ages ... Il se promenait de long en large sur la véranda, su1·tout vers le soi1; car les jours de grosse pluie ou d'omge, il s)! fixait dans sa cabane d'osie1; tout frémissant du trouble atmosphérique [. .. ] "

La région de ChamprosaJ' a inspiré de nombreux ouvrages de Daudet Sa n otoriété actuelle est due à trois ouvrages d e jeu nesse, tous écrits avant 1872 ; et il n e faut p as oublier que pour ses contemporains, il était avant tout un romancier réa liste et naturaliste. Ces o uvrages là, qui l'ont fait connaître même si aujourd 'hui n o us les conn aisson s moins, sont largem en t inspirés par l'Il e-de-France et cette région de Sénart. « Robert H elmont " (1873) est une nouvell e autobiographique qlll raconte la guerre d e 1870 dans la forêt de Sén art.

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Fmmont jeune et Ris/er aîné (1874) se passe partiellement dans le château d e Savigny-sur-Orge, transposition du château de Vigneux. La forêt de Sénart et le village d'Etio lles sont décrits dans j ack (1876). Le roman L a Petite Paroisse se passe dans le vill age de Champrosay et ses environs immédiats. D audet transpose une anecdote concernant l'édification de la petite chapelle d édiée en 1866 p ar Napoléon Qyantinet à sa femme adultère et repentante. La Féd01·, qui m et en scèn e une actrice, se dérou le à Vill en euve-SaintGeorges. Daudet évoque la plaine de Wisso us (actuellement Orly) ou la route du pavé du Roi ... On a vu en Daudet un romanCier << impressionniste "· Or, Champrosay proposait des sujets et des m o tifs qui avaient inspue a la fois des peintres impressionnistes et des roman ciers. Ce regard renouvelle l'inspiration de l'écrivain. L'expérien ce que fait Daud et dans la forêt de Sénart est ana logue à celle de D elacroix, au Maroc ; dans les deux cas, il s'agit de la découverte des couleurs. Comme le peintre, le romancier m éridional découvre que les couleurs sont plus vives sous les cieux gris, comme le sont les cieux d' Ile-de-Fran ce que sous l'ardente lumière du Midi. Il note sur ses carnets après une promenade en forêt de Sénart : '' j e sais maintenant ce qu'est la lumière du Nord. L es objets y rayonnent comme par eux-mêmes el pour ainsi dire sans le secom·s de la lumière de là-haut. Le soleil ny est pas. L es couleurs dansent comme des souris - rayonnement intérieur - lumière concentrée ... Au lieu de notre grand épatpillement lumineux du Midi. Toul cela encore très vergue dans ma tête mais je sens que jy suis ! Dans le Mid1~ la lumière est sur les objets, dans le Nord, elle est dedans ! [. . .} '' Cette attention à la lumière et aux couleurs, qu i sont très caractéristiques de la descriptio n impressionniste telle que la pra tiqu e Daudet dans ses romans, on peut dire qu e c'est un legs de C h amprosay ... Anne-Simone DUFIEF

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Edmond de Goncourt à Champrosay

Daudet était fasciné par les grand es amitiés littéraires et il eut l' impression de vivre avec Edmond de Gonco urt l' une de ces relations exceptionnelles.

H istoire d'une amitié L'histoire de cette amitié rem o nte à 1865, très précisément au 5 décembre de cette année-là. Alpho n se était venu soutenir de ses applaudissements la "première" d 'une pièce des frères Goncourt, Henriette M aréchal ; Julia Allard, qui n e connaissait p as en core son mari, était aussi dan s la salle. Les Goncourt et le futur m énage Daudet n e firent que s'apercevoir lo rs de cette soirée p articulièrem ent houleuse. La rencontre effective eut lieu après la mort de Jules, chez Flaubert, qui joua le rôle de relais entre la jeune génératio n (D audet ou Zola) et les grands aînés (To urguéniev o u Goncourt). D aud et devint vite l'un des familiers des diman ch es de la rue Murillo ; il participa régulièrement aux dîn ers qui rassemblaient les amis de Flaubert, baptisés « dîners des auteurs sifflés », en ironique rappel des échecs théâtraux de chacun des convives. C 'est en souvenir de ces rencontres chez Flaubert que beaucoup plus tard Daudet et Zola suggéreront à Edmond de reprendre le flambeau et de ré unir régulièrem ent auto ur de lui quelques écrivains. Le fam eux "grenier d 'Auteuil" devait ouvrir ses portes en février 1885. Edmond ressent tout de suite une réelle sympathi e pour les Daudet, m êm e si son regard res te critique en ces premiers temps d'une amitié. Ayant reçu le jeune m én age à Auteuil pour un déjeuner, l'écrivain n o te dans son journal, le 5 juin 1874 : << La femme, qui n'est pas jolie, me paraît une bonne, une distinguée n ature. » Ql!ant à Daudet, Goncourt lui trouve << l' apparence d ' un tén o r d'une ville du Midi » mais il raie en suite cette formule. Malgré ces quelques réserves commence alors une longue période d'intimité heureu se. Goncourt est l'hô te des D audet dan s leurs d o miciles successifs de Paris : à l'h ô tel de Lamoignon, puis place d es Vosges, avenue de l'Observatoire et enfin ru e de Bellechasse, à p artir de 1885. L'été, Edmond fait des séj o urs à Champrosay et toute l'année, dîners o u soirées théâtrales permettent de se revoir. C ertaines occasio ns de retrouvailles sont rituelles ; les deux écrivains ont leur << jo ur >> ; les D audet reçoivent le jeudi tandis

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qu'Edmond ouvre les portes du "grenier" le dimanche. Chaque année on visite ensemble le sa lon de peinture puis l'on m ange chez Ledoyen. Goncourt es t un sédentaire impénitent m ais les Daud et réussissent à l'entraîner avec eux dans le Midi et lui font visiter Les Baux, Arles, Avignon, Saint-Rémy lo rs d'un séjour chez les Parrocel e n septembre 1885. Edmond, célibataire solitaire, va peu à peu s'intégrer à la fami lle Daudet. Il s'intéresse aux enfants, leur fait des cadeaux. Il sera le parrain d'Edmée, baptisée le 6 novembre 1886 à Sainte-Cloti lde ; il sera le témoin de Léon, qui épou se, à la mairie du XVIe, J eanne Hugo, le 12 février 1891. Edmond devient po ur ces en fa nts un e sorte de vieil o ncle, soucieux des étrenn es de chacun. Le "veuf" d'Auteuil s'épanouit au milieu de ce bonhe ur familia l, de ce bo nhe ur sous la lampe cher à D aud et.

Portrait d'Edmond de Goncou rt vers 1885 par A. A. Baudra n. Coll. A1. Alain Barbier Srtinll' /lllaril'.

Pour Goncourt, Alphonse devient le substitut de Ju les, un e sorte de dou bl e du frère disparu. Misogyne et om brageux, l'écrivain n'avait connu des rapports humains vraim ent harm o nieux qu'avec son frère. La relation fraternelle constituait donc pour lui un e sorte de modèle idéal qu'il voulut reproduire dans son amitié avec Alphonse. Edmond va construire peu à peu l'image d'un Alphonse, doub le de Ju les ; il se p laît à multiplier les ressemblances mora les,

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p sycholo giques ; il trouve à D audet une ironie qui était celle de son frère ; la conversation d'Alphonse, alerte et bri llante, fascine Edmond qui croit entendre les brillantes improvisations du cadet disp aru. D audet est conscient de cette présen ce en arrière-plan d e leur amitié et il évoque la figure du mort aux moments so lennels de la vie de son ami. Léon Daudet rappelle les propos tenus p ar son p ère lors du fame ux banquet offert à Goncourt, en présen ce de Poincaré ; dans son d iscours, A lph o nse insiste sur « la qualité d'une amitié où s'alliait le souvenir d e Jules de Go n court et par ce souvenir quelque chose de fraternel. . . , Et lors des derniers instan ts de Go n court à Champrosay, D audet est à ses cô tés ; il rappelle les propos qu'il tint au m o urant dan s le m ém o rial d' Ultima : « Sa belle figure aux paupières appesanties semble écouter ce q ue je lui dis de son frè re Jules, qu'il a aimé p ar-d essus tout ». Cette fraternité de substitutio n jo ue un rôle d ifférent p o ur ch acun des deux auteurs. D audet tro uve en G o ncourt un grand frère pro tecteur qui l'aide aux m o m ents difficiles, ce qui va d 'ailleurs provoquer rivali tés et querelles avec le frère selo n la loi du sang, Ernest D a udet. Po ur le solitaire d'Auteuil, cette amitié est un m oyen de s'intégrer à une famille, d 'échapper à une solitude d e plus en plus pesante. Le misogyn e accepte m êm e de m ettre un bém o l à sa critique des femmes en fave ur de Julia Allard-Daudet, en q ui il vo it une discip le. Il est vrai que Julia écrivait bien , comme une femme de l'époque p o uvait écrire bien ; elle n 'es t p as dénuée d e talent et m ériterait certainem ent d'être déco uverte comme écrivain . On sait m al d 'aill eurs quelle p art précise elle prit à la réd action des œ uvres de son m ari. Pourtan t le ciel n e fut p as to ujours sans nuages . Il était d 'ailleurs difficile qu'avec le caractère susceptible de G oncourt il en fût autrem ent. Il y a entre les d eux h o mmes, d es différents de sensibilité. To ut d 'abord, Goncourt est un esth ète, un collectionneur, un biblio phile et accuse p ar exemple D audet d'o uvrir ses liv res sur grand p ap ier avec un e all umette. D audet es t un musicien et Goncourt détes te la musique : nous constato ns une totale ign oran ce d ans le j ournal du mouvem ent musical m oderne. D 'autre p art, Gonco urt est un grand visuel alors que D audet n'a p as du to ut la m êm e sensi bilité. Edmo nd a besoin constamment, comme Proust p lus tard, du truchement de l'art pour appréhender le réel alors que D audet souhaite saisir les choses de m anière beauco up p lus immédiate. N os aute urs ont parfois des conceptions très d iffé rentes d e la littérature. Po ur G o n court, elle est avant tout une sorte de sacerdoce et l'on doit to u t lui sacrifier, m êm e la vie de famille, alors que, pour D aud et, la valeur première, c'est la fam ille. M ais les tiraillem ents du trio viennent d 'ailleurs q ue de ces différends de sensibilité. Les potins, comme toujo urs, vont alimenter les querelles et éveiller les susceptibilités. D es rumeurs m alveillantes vo nt accuser Julia de vouloir capter l'héritage d'Edmond. Par ailleurs, Julia va défendre la cause des femmes et 23


ell e s'enfl amme contre les propos par trop misogynes de son hôte. M ais les dissensio ns les plus fortes viennent des vell éités académ iques d 'Alpho nse Daudet. Celui-ci critique l'Académie française dans un roman L'Immortel puis e nsuite il songe à une éventuell e élection . Le père de la future académie Goncourt o bserve avec bea ucoup d'am ertume les h ésitati ons de son h éritier testamentaire. La publi ca tion du journal ensuite et la crainte des ind iscrétio ns sur les D audet vont créer, à la fin de l'existence d 'Edmond et d'Alpho n se, une m éfi ance profonde dans leur intimité ami cale. En 1892, dans une interview, Jea n Lorrain va déclarer qu e le journal posthume était féroce pour les D audet et cette révélation va engendrer un fro id durabl e avec Julia. En cette fin de siècle, les écrivains sont devenus très médiatiques, la presse va s'emparer de ces désaccords pour les amplifier et l'on va jusqu'à parler de rupture entre Goncourt et D audet. Va m ême alors naître la rumeur d'un Goncourt martyrisé par Julia dan s ses derniers instants, rume ur accréditée par la lettre d'une je une fe mme qui était amoureuse de Gon court - Pauline Zell er - mais, il s'agit là d' une légende com me en témoignent la correspondance, le j ournal et le très beau texte d' Ultima.

Goncourt à Cbamprosay Goncourt est ven u souvent clans ces li eux de C hamprosay où il devait m o urir. Le j ournal no us rend compte d' une première visite, le 8 juillet 1874. Edmond a alo rs été reçu dans une m aison que les parents de Ju lia, les Allard, ava ient achetée en 1868. Gon court es t imméd iatem ent séduit par cette vie de fa mill e à laq uell e il va peu à peu s' intégrer et don t les D audet offren t, à ses yeux, un modèle idéal m ais il est très déçu pa r la banalité de l'a m eubl em ent. Nous sommes lo in des raffin em en ts de la " maiso n d'un artiste "· Il o bserve avec un peu de déda in cet intéri eur bana l, « pe tit bo urgeois , et il note dans le j ournal le 8 juillet 1874 : << J e va is pasBo rd de Seine à Champrosay. ser m a jo urnée chez A lphonse D aud et, à C h amprosay, le pays affecti onné par Delacro ix. Il h abite dans un e maiso n bourgeoise, avec un bout de jardin joliment dessiné [ ... ] Ajoutez que ces aim ables gens, ainsi que le logis, m'apparaisse nt sous un jour m élancolique en raison de l'a bsen ce de

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toute rech erche élégante o u artistique, bizarre o u cocasse. C'est le campement le plus désastreusem ent bourgeois, où l'on n e voit ni un tableau ni une gravure ni un bibel o t, ni mêm e un chapeau de paille un peu exotique. Là, rien, absolument rien, qui ne soit la ch ose commune, banale, la ch ose de tout le monde. Je n e peux m e faire à cela ch ez les ge ns q ui font profession libérale et ces milieux qui jurent si entièrement avec une profession d'art, m e jettent à la lo ngue - c'est bête, mais c'est comme cela - dans une profonde tristesse. , La gare de Ris-Orangis. Gon court viendra par la suite régulièrem ent à Champrosay pour une pério de annuelle de quinze jo urs, trois semaines o u m êm e un mois. D 'après le j ournal, il arrive généralement le 9 juillet et p arfois, il revient passer une semaine en septembre. Le voyage n'est p as long, m ais il est pour Goncourt une péripétie et une épreuve. Gon court est constamment inquiet de la gare où il do it descendre, des h oraires de train ... La correspondance fourmille de lettres où il demande - c'est un véritable radotage - à quelle heure il doit desce ndre, quel train il doit prendre ... Voici un exemple, mi-juill et 1885 : Daudet renseign e son hô te par une dépêche : « Votre train est gare de Lyon. Ligne de Corbeil. 15 h 15 . Il es t direct o u à p eu près. Prenez votre billet pour Draveil-Vigne ux. Nous se rons là avec le landau et nous ferons une route charmante [ .. .] ,, Ce genre de lettre précise et répétitive tém o igne de l'inquiétude de l'écrivain. Parfois, c'est la catastrophe ! Goncourt, d istrait, arrive à C hamprosay en voyageur sans bagages. << En montant en ch emin de fer avec le jeune m énage, je m'aperçois au m o m ent o ù le train part que j'ai laissé mon sac de voyage sur un banc de la gare. Léon télégraphie de Villen euve-Saint-Georges, m ais la so irée se passe sans le sac. J e vais m êm e inutilement à la gare de Ris-Orangis, sur les minuit, par la nuit la plus noire. J e me L'allée des pe upliers. couche un peu embêté, le sac de voyage est vieux, les bouchons des flacons et les couvercles des boîtes désargentés ; m ais il y a dedans des rasoirs de Stockholm, les seuls que j'ai rencontrés tou-

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JOurs coupants, il y a un petit mtrotr qut servait à ma mère, enfin des o bjets de toi lette d'une h abitude de trente ans [ ... ] , [Lundi 10 juillet 1893]. Autre mode de déplacement, rarement utilisé pour se rendre ch ez les Daudet, le coche d'ea u, le batea u qui descend la Seine. La chaleur et la réverbératio n rendent le voyage estival assez pén ible et c'est un moyen que l'o n emploie peu volontiers. Le visiteur a ses m anies. Il commande à l'ava nce la m arqu e de son ea u minérale et surto ut son édred on. Edmond doit fa ire effort pour se résoudre au moindre déplacement et chaque fois il es t très inquiet de multiples détails, qui témoignent de son ca ractère profondém ent anxieux.

Alphonse Daudet C hamprosay.

et

Edmond

de

Goncourt

à

Pourtant la vie à C hamprosay est une vie paisible, p atriarca le. Gonco urt s' intéresse au jardin. En octobre 1887, il no te : << Ce soir chez D audet, où je suis venu passer deux jours pour conseill er des coupes et des percées dans le parc [ ... ] "· Goncourt fait avec Alphonse, qui se dép lace de p lus en p lus diffi cilement, le tour de la pelouse, l'un au bras de l'autre. Ils s'assoient un peu plus bas, au bout de l'a llée de pommiers, puis c'est un déjeuner intime, souvent fami lial, parfo is avec des amis. D ans la salle à m anger, o n peut se retrou-

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ver à vingt convives et m ême plus. Les plus assidus sont Drumont (qui vient en voisin), Coppée, Masson, Rosny, Ro de nbach, Massenet ... ~elques

fêtes traditio nnelles ponctuent la villégiature et n o tamment la fê te d'Alphonse, le 2 aoû t qui est l'occasion d'un très grand repas. A Champrosay, Edmond est le témoin du début des amours de Léon et de Jeanne Hugo. T ém o in aussi des excentricités de Madam e Lochoy, la mère de Jeanne Hugo, qui arrive précédée d'un traiteur en habit et qui fait recouvrir les murs de sa chambre de tentures, car elle trouve que les papiers muraux sont de m auvais goût. En juillet 1890, les nuits de Champrosay sont encore paisibles . En 1893, cela a bien changé . Edmond note dans son j ournal : « D es nuits au sommeil interrompu par la criaillerie du petit Hugo-D audet, dont le réveil est to ujo urs colère. » Les préoccupations de la journée sont des prom en ades en landau, en forêt de Sénart, des visites aux voisins : Nadar, M asson, des visites à l'observa to ire de Flammarion à Juvisy, des soirées musicales, car les D aude t aim ent la musique : Alphonse jo ue du piano, Julia aussi. O n va déguster des m atelotes à l'auberge des Vie ux Garçons dans les enviro ns. Ces séjo urs vont approfondir la sensibilité à la n ature d'Edmond et élargir la connaissan ce du peuple qu'il observe dans ce p assage du journal du 17 septembre 1888 : << Au retour d'une promenade en landau, où n o us avons traversé Essonne, ces o uv riers à panier noir au bras, avec la fatigue moll e de le ur démarch e, avec la tristesse qu 'emportent au deh o rs les o uvriers de l' usine, du travai l enfermé, avec la pâleur de leur visage dan s le crépuscule, nous ont laissés tous m élan coliques ... » Mais pour Edmond, C hamprosay est d'a bord le village d e l'amitié. D ans ses lettres à Alphonse, constamment, il évoque cette amitié, cette sollicitud e des D audet. Dans une lettre de remerciem ents après un long séjour, Goncourt fait un peu d'humour, et il exprime sa reconnaissance chaleureuse pour la gentillesse des D audet à son égard : << D eux fois m erci au m aître de m aison affectue ux qui venait to us les soirs s'assurer si les fen êtres de son vieux confrère étaient bien fermées . Trois fois m erci à l'affectueuse m aîtresse de maison qui regardait dans l'assiette de son voisin s'il restait quelque chose [ .. .] , C'est dire q ue les critiques adressées à D aud et après la mort d'Edmo nd de Goncourt, décédé à C h amprosay, étaient injustifiées . Pierre-Jea n DUFIEF

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Lettre d' Alph o nse Da udet à Edmo nd de Goncourt re lative à l' installatio n à C hamprosay

[juin-début juillet 1887]

Dimanche, j'a i e mballé les liv res, remué d es papiers et ta nt de po ussière qu'il m 'a été impossible de sortir mê me p o ur Auteuil. J'en étais p lus embêté que vous. On s' installe, la vache aussi et les orangers. J e souffre toujours ma1s j'ai du calme et des tas d e coins silenc ieux pour gém ir et traîner mon corps. La Dame est rayo nnante. Sa maison est ordon née et jolie. Edmée semble y avoir goût. On se ra tout à fa it contents lo rsque vo us occuperez votre belle c h ambre. J e vo us e mbrasse po ur no us to us.

La dernière lettre d' Edmond d e Gonco urt à Julia D aude t

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Chère Madame, Les pelouses m e son t éga les, e t les m enus même q uoique je m 'avo ue un difficile - me son t infé rie urs. C'est surtout la bonne amitié de la ma ison qui fai t d e mo n séjour à C ha mprosay, un séjour h eureux dans la tranqu ille et te ndre acceptation d u m ot, et votre invitatio n m'a fait un vrai p laisir. [ ... ] Mille choses affectue uses à tou te la fami lle. :;-

Ces documents annexes so n t extra its de l'éditio n de la Correspondrmrt' Edmond de Goncourt-Aipbome Dnudet établie par M . et Mme D u fief. Droz, 1996.

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Frédéric M asson à Champrosay

Champrosay a été le lieu de villégiature des Cottin, riches propriétaires p arisiens. Ils avaient hérité leur fortune de leurs ancêtres, cultivateurs depuis le XVIIe siècle dans les plaines du nord de Paris au pied de la butte Montmartre : La C h apelle, puis La Villette. Le passage Cottin, situé près de la basilique du Sacré-Cœur et représenté par Utrillo dans une de ses œuvres, ainsi que la grande croix de pierre placée sur le parvis de l'église Saint-Pierre de Montmartre rappellent le souvenir de membres de cette famille. Ces travailleurs rob ustes, intelligents et opiniâtres acquirent des terrains pour l'extraction du réputé p lâtre de Paris dont l'exportation se faisait jusque vers les Antilles et la Lo uisiane, d'où le no m de Carrières d'Amérique. Pierre-François, l'aïeul qui s'est le premier établi à C h amprosay, avait succédé à son père mort en 1820 comme directeur de l'exploitation. Il la vend it quelque trente ans plus tard après qu'elle fut épuisée et se retira des affaires. C'était un homme de haute taille, que le travail n'avait jamais fait plier. Sa force impressionnante alliée à la magnifique silho uette qu'il conserva jusqu'à sa mort le faisa it surnommer par ses proches << le vieux chêne » . Une anecdote fami liale le montre séparant deux de ses ouvriers q ui se battaient en prenant chacun des deux protagonistes sous un bras . Il vivait à Paris mais passait la bell e saison à Champrosay avec sa famille dans la m aison où mourut son épouse en 1871, où naquit en octobre 1886, deux ans après son décès, une de ses arrière-petites-fill es et qui fut ensuite acquise par les Daudet. Il avait su se fa ire aimer et apprécier des habitants de Champrosay et sa générosité le faisait considérer comme l'ami et le bienfaiteur de tous. Aussi lorsqu 'il mourut dans sa propriété le 5 décembre 1884, âgé de 87 ans, to us les habitants eurent à cœur d'assister à un service fun èbre célébré à Draveil et d'accompagner le cercueil porté par les pompiers depuis Champrosay. La maison v01sme, dont le portail s'ornait de deux sculptures représentant des lions, appartint au second de ses cinq enfants prénommé Auguste. Né en 1826, avocat et docteur en droit, il fut nommé auditeur au Conseil d'État puis maître des requêtes, et poursuivit une brillante carrière culminant en 1866 lorsqu'il fut attaché au cabinet d'Eugène Rouher, ministre d ' État de Napoléon III. La confiance que le pouvoir témoignait à Auguste Cottin lui fit exercer en réalité les éminentes fonctions de ch ef de cabinet. Très attach é à la famille impériale, dont lui-même et son épouse, née Adèle Anthoine-

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Prélard, fréqu entaient les réceptio ns aux Tuileries auss i bien qu'à Compiègn e, il quitta son poste à la chute de l'Empire. Il fit ensuite de fréqu ents voyages en Angleterre pour apporter son soutien et ses h ommages à l'Empereur jusqu'à la mort de celu i-ci en 1873 et fut de ce fait sen sible au to n passio nné d'une brochure po litiqu e intitulée L'Empereur est m ort, lancée spontaném ent par un je une biblio thécaire du ministère des Affaires étrangères, n o mmé Frédéri c M asson, que la défaite de Sedan avait jeté dan s les rangs bonapartistes. Sans doute le jeune homme y avait-il rencontré le fi ls aîné d'Auguste Cottin, Robert, aussi fid èle que son père à la famill e impériale qu'il avait e u l'occasion d e côtoyer avec ses parents.

La maison Cottin-Masson à C hampro say.

D ' une intelligen ce brillante, il fut n o mme m specte ur des Finan ces à l'âge de 26 ans et épo usa la fi ll e de M aurice Richard, ministre de l'Instructio n publiq ue et des Bea ux-Arts dans le cabinet O llivier et directe ur du jo urnal bonapa rtiste L'Ore/re, fo ndé en 1871, dans lequ el M asson fut rédacteur à partir d e m ai 1873 . C han1prosay devint ainsi le lieu de rencontres et de discussio ns passio nn ées en faveur du je une prin ce impéri al, auquel Auguste Cottin donnait en Angleterre des cours d e droit. Cette communauté de pensée et d'idéal po litique favori sa des projets d' unio n entre Frédéric et M arguerite, la sœur aînée de Robert Cottin. C'est e n mai 1874 qu 'eut lieu le m ariage et le je une m én age retro uva souvent le res te d e la famille dan s la pro priété des bords de Seine. Lors de l' in stall ation d 'Alphonse D aud et dans la m aison de l'aï eul les relatio n s de voisinage entre les fam illes s' éta blirent à la bo nne franqu ette pard essus le mur commun : bava rdages, prêt de liv res . M ais Edmo nd de Gon court, ami commun aux deux familles, va transfo rmer ce rappo rt banal en liens d'amitié.

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II y faudra du tem ps car Frédéric M asson a, selon le tém o ign age du j ournal, tenu ran cune à D audet de ce q u'il ait été p résenté en 1882 à la princesse Mathilde par E dmo nd, privilège que ce dernier avait, selo n ses d ires, accordé huit ans plus tô t a u jeune couple M asson. Fa ut-il ajo uter fo i à ce fait

A C ham prosay en 1884 . Sur le balco n, de gauche à droite : Mme Auguste Cottin, née Ad èle Antho ine-Prélard (18291903) ; Pierre-Franço is Cottin, entrep reneu r aya n t exploité les carrières d e plâtre sur lesquelles a été aménagé le parc d es Buttes-Chau mo nt (1797-1884) ; Frédé ri c Masso n, gen d re d'Auguste Cottin (1847-1923) ; Ro bert Cott in, inspecteu r des Finances (1853-1920) ; Auguste Cotti n (1826-1 902), con seiller d'État. En bas : M me Ro bert Cottin, née J ean ne-Marie Ric hard (1860-1949) ; François Cottin , médecin (1869-1950) ; Mme Frédé ri c Masso n , née Marguerite Cottin (1852- 1932). Coll. M. R. Collin.

alors q u'Auguste Cottin était de lo ngue date lié avec la fa mille impériale et donc bien p lacé pour présenter lui-mêm e ses enfants à la princesse ? Ce qui est certain c'es t que Frédéric M asson est timide. << M e présenter à une maison inconnue, son ner, d em ander, m o nter, être regard é est un quasi supplice » écrit-il à son ami Goncourt. C'est pourquo i il do it faire un gros effort sur lui-m êm e p o ur se présenter à la p o rte de Mme D aud et, lors du premier lo n g séjo ur d'Edmo nd à C h amprosay durant l'été 1885 << dan s cette m aison combinée p o ur loger trois m én ages avec des potées d'en fants ,, que D audet occupe avec ses beaux-p arents. M ais il apprend, désolé, << déconfit ,, que son ami est parti depuis le m atin. << Le sam edi au moment o ù je vo us pen sais aller cherch er je vous vis fuir comme une ombre en p artie de

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campagne. Dimanche nous sembl ables et voilà comme près de vous. ,, Tou t de m êm e, la g lace pagne alliée à la proximité

fûmes à no tre tour déjeuner dans des bo is invraije n e vous a1 point v u ni serré la main étant si

est rompue et la détente des relations à la camdu voisinage lorsque les Daudet s' installent dans la maison mitoyenne donnent lieu à des h eures charmantes. Qle ce soit chez les D aud et, où Margu erite et Julia jouent du pian o à quatre m ains tandis que les h ommes d ébattent de littérature, d ' histo ire o u de p o litiq ue, o u lo rs des dîners parisiens chez les Masson , Edmond se trouve toujours au cœu r d e ces rencontres . A Champrosay, l'on dîne avec Mistral, Rosn y et les hôtes habitu els o u l'on p art sur les bords de Seine se régaler d e matelote da ns une au berge. Les soirées d'été d an s le jardin favori sent les souvenirs ; alo rs m esdames Daudet et Masson se laissent all er aux confiden ces. Qlant à Frédéric, avec sa fougue coutumière, il entretient ses amis sur Napoléon jusq u'à ce que ce ux-ci cri ent grâce et éch afaude deva nt eux la co nstruction de l'œ uv re historique monum en tale q u' il pré pare, son futur Napoléon el sa Fa mille qu 'il publ iera en treize volumes . Frédé ic Masson e t so n épouse, en compagnie de le urs nièces. Coll. !11me / / . de Margerie. Les liens d 'a mitié avec les Gon co urt se sont développ és dès l'enfance d e F réd éric. Il avait treize an s lorsq ue sa sœ ur aînée se m aria en 1860 avec le co usin et g rand am i des deux frères, le diplomate Édouard Lefebvre. Edmond et J ules prirent en affection cet étrange garçon solitaire et fier qui rêva it d'écrire et q ue bi en enten du la fréqu entatio n de ces écrivains d éjà co nfirmés fascinait. En cach ette, il lisait leurs livres q u'il dérobait dans la bib liothèque de son beau-frè re et y nourrissait son adm iration. D es souvenirs évoqués d urant sa p etite enfance par un ami de sa fam ill e, gé néral de la Grande Armée, l'ava ient si profondément b o uleversé qu 'il s'était juré de raconter la grandi ose expérien ce. Cette biographie était son prem ier essai historiqu e et avait le Premier Empire po ur ca dre, la fidé lité à l'Empere ur pour suj et. Il avait dû y m ettre tout son cœ ur, d e même q ue dans les poèmes qu'il composa pendant d e nombreuses années, la versificatio n étant une d e ses p ass10n s.

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M ais Jules à qui il avait confié son m anuscrit le dissuada d e continuer tant qu'il n'aurait p as affermi son style. A vingt-cinq an s, il serait temps de publier. Telle était la confiance en l'ami que m ême si l'injonction était dure à accepter, il attendit l'année 1872 pour faire p araître ses premiers o uv rages . La mort avait déj à h élas fau ché Jules, l'ami, le confident, l'artiste, celui dont les dons si no mbreux et m anifes tes l'avaient fait nommer p ar Frédéric « le prince charmant ''· Sa disparition lui laissa une profonde et durable blessure. Edmond lui restait. Il avait été le grand aîné toujours bienveillant, le m entor de l'en fant privé de son p ère, assassiné par les ém eutiers de juin 1848, et avait comblé to us ses rêves d 'adolescent. Il lui en conse rvait « une constante et resp ectueuse admiratio n, un dévouem ent entier, to us les sentiments que j'ai eus d 'enfance et que chaque année a mie ux enfo ncé en mon cœur et en m o n esprit » lui écrivait-il dans l' ultime lettre qu'il lui adressait en juin 1896. Durant ces trente-cinq ans d 'amitié il avait reçu de ces princes de la littérature, de ces peintres et ciseleurs de m o ts, de ces m agiciens du style d'inestimables jo ies esthétiqu es et une grande leçon d 'écriture qui les mettait pour lui à la plus haute place. Qli p o uvait les atteindre sur ces sommets ? « Les h o mmes m édiocres seuls font école ,, es timait Fréd éric M asson . Ils fu ren t p o urtant les guid es de ce garçon qui rêvait d 'histo ire depuis l'en fance. Leur m éthode de travail, utilisée p o ur leurs romans , le ur co nceptio n de l' histo ire qu'ils mirent à p rofit dans leurs études sur la société fran çaise au XVIIIe siècle, leur p assion de la vérité, lui firent mieux comprendre ce qu'il souhaitait faire et cette volo nté « d'arriver p eut-être, selon ses dires, à m arch er au p as derrière ceux qu'il vo ulait suivre » . C'était e n 1872. Dix ans plus tard il ava it la premi ère consécration d 'un prix de l'Académie fran çaise p o ur Le marquis de Grignan, petit-fils de Mme de Sévigné. C es lignes adressées à Edmond indiq uen t clairem ent ce qu 'il savait devoir à ses amis : << C'est à vous que ce livre devrait être d édié, car c'est vous qui avez introduit dan s l'étude de l'histo ire les procédés que j'ai tenté d'appliqu er p o ur retrouver m o n p etit bonhomme. » Une autre décennie passa, pendant laquelle il avait commencé une ample moisson de d ocuments sur N apoléon pour construire cette œ uvre grandiose et novatrice à la glo ire de son héros. En travailleur infa tiga ble, il composa jusqu 'à sa mort, en 1923, une soixantaine d 'œuv res par lesquelles il acquit cette place d'historien au caractère o riginal et ce titre, qui fut p o ur lui un titre de glo ire, << historien de N apoléon », que ses contempo rains, et les plus fam eux parmi e ux, lui o nt reconnu et que tous les p assio nnés d' histo ire n apoléonienne apprécient en core de nos jo urs à leur juste va leur. Bien que la reconnaissan ce officielle, qui le conduisit de son élection en 1903 à l'Acad émi e française au secrétariat p erpétuel en 1919, n ' eùt p as été appréciée des Goncourt, Frédéric M asson ne m anqua jam ais de proclamer ce q u'il le ur devait. Il le fit en p artic ulier la jo ie au cœur et avec le sentiment de venger ses amis, lo rs de sa réceptio n sous la Coupo le face à Ferdinand Brunetière le détracteur d es écrivains, << l'ennemi littéraire »

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Frédéric M asson s'est, tout au long de sa carrière, montré digne de ses amis Goncourt qui ont m arqué ses œuvres de leur empreinte et qu'il nomma toute sa vie avec adm iration et reconnaissance ses « maîtres ». Après la mort d'Auguste Cottin en 1902 d ans sa propriété surpl o mbant la Seine, puis le décès de son épouse à Paris en 1903, la m aison aux lio ns fut vendue. Mais déjà depuis 1896 et 1897 les ch ères voix venant du jardin voisin s'étaient tues et Champrosay avait cessé d 'avoir pour Frédéric Masson l'attrait des années passées. La grande bâtisse n'était plus le h avre de paix et le lie u d'éch anges intellectuels fertiles où il avait p o li ses p remières œuvres au contact des h ô tes de ses beaux-parents et d es Daudet. Une page de la vie de l'historien était d éfinitivem ent to urnée.

Nadine VOGEL

Frédéric Masson de l'Académ ie fra nçaise. Coll. Mme A. de Margerie.

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Remerciements

Ce tte brochure n 'aurait pu être réalisée sans le conco urs de M m es Cécile Brunet, Thérèse D audet, Annie de M argerie, Fran çoise Rousset, de M M . Barbier Sa inte Marie, Ro bert Cottin, M arcel Pasdeloup et du G roupe de recherche d'histo ire locale de Ris-O rangis. Qye tous veuillent bien trouver ici l'exp ression des rem erciements des auteurs et de l'éditeur.

M aquette couverture et pages in térieures

Bernard G iova nangeli


Achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimeri e La Laborieuse à O rl éa ns (Lo irer)

D épô t léga l mars 1997



Alors q u'il était au faîte de sa notoriété, Alphonse D audet avait fait l'acquisition, en 1887, d' une grande propriété à Champrosay. C e village de Seine-et- Oise était alors un lieu de villégiature très recherché par les artistes et les fa milles fortu nées de la bourgeoisie. La maison de · campagne de Daudet, la seule q ue l'écrivain ait jamais possédée, devenait à la belle saison un « centre culturel , importan t. Là se réun issaient régulièrement aussi bien les gra nds no ms des lettres et des arts (Mistral, Ro din, Massenet, Zola) que les jeunes talen ts. Cette brochure évoque plus particulièrement le souvenir de deux de ces hô tes - Edmond de Goncourt et l'historien Frédéric M asson - et restitue par l'image et le texte un peu du charme d'une époque.

ISBN 2-909034-08-9

PRIX 70 F


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