2017 Word for Work Workshop ebook

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Peut être voyez-vous ce dont je parle. Peut-être avez-vous marché le long des forts fissurés de Saint Malo, ou suivi les sentiers des roches rosées de Ploumanac’h. Non? Alors laissez moi vous dire que les marées se lèvent violemment et rapidement en Bretagne, se précipitant au rythme d’un lévrier à la charge, l’écume aux babines, avalant les paniers à pique-nique et les filets des pécheurs négligents. Dans les premières années d’Ys, la marée fracassait les portes des chalets, dérobant tout sur son passage comme une gigantesque main de gitan avant de retomber dans les eaux profondes et dansantes, et les gens perdaient des choses à l’océan régulièrement casseroles en cuivre, fines spatules de bois, bains-maries remplis de bouillon, des caisses entières de coeurs d’artichauts prêtes pour le marché. Repose-pieds, lanternes, verres réfléchissants pour arranger les chignons, collants et pots de chambre, s’en allaient avec la marée. De temps à autre, les objets refaisaient surface, salés comme un jambon, coincés dans les renfoncements des falaises décharnées, ou dans l’arrière-cour des villas de bord de mer, les coiffes en dentelle pendues aux arbres comme des fantômes pris au piège. Certaines personnes conservaient ces objets, plaidant l’ignorance, même si la situation devenait délicate, quand, à l’occasion d’une fête, une invitée reconnaissait son deuxième vase préféré sur la table du diner. Le roi élut un commissaire pour diriger la campagne de « Retour des Choses à Leur Juste Place », et le commissaire établit un entrepôt pour les Mal-Placés par le temps et les marées, que les habitants commencèrent à fréquenter tous les dimanches, après le marché du matin.

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