MANIOC USINE

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MANIOC USINE

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MANIOC USINE

Cozinha Radicante ............................................. 5 Manioc Usine ..................................................... 9 Recettes / Recipes ............................................. 12 Entretien / Interview: Tainá Marajoara .................... 16 L’estomac qui pense / A Thinking Stomach ........... 24 Ezthétyke de la faim / The aesthetyks of hunger ................................. 30 Du trope des tropiques / The tropo of Tropics ........ 34 Biographies ...................................................... 42 Équipe técnique / Credits ................................... 43

dessin / drawing: Roberto Cabot photos: Cozinha Radicante 3


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Les étudiants de L’École d’Arts Visuels du Parque Lage de Rio préparant l’acarajé Students from Parque Lage Visual Art School preparing atcarajé

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COZINHA RADICANTE

Préparation de la moqueca / A Moqueca Ptreparation

Le récit de la saveur: un laboratoire d’art culinaire Cozinha Radicante a été conçue comme un laboratoire de recherche par les chefs Rebecca Lockwood et Rosa Branca, en collaboration avec l’artiste visuelle Ynaiê Dawson et a été lancé en 2015 par souci d’enquêter sur deux univers toujours étroitement liés : l’art et la gastronomie. En fait, on pourrait facilement dire que cette relation est démontrée par les premiers dessins rupestres montrant des animaux chassés qui ont ensuite été mangés. Et peut-être, la casserole fût la première œuvre d’art produite ! Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, les motifs culinaires, les ambiances de restauration et les rituels qui l’entourent sont présents dans les fresques, les natures mortes, les sculptures, les performances, les happenings, les films, les vidéos et même dans la musique qui nous transportent souvent vers l’univers de la cuisine. Ce laboratoire a été proposé en tant que cours à l’École d’Arts Visuels du Parc Lage à Rio de Janeiro en 2016, où nos recherches sur la cuisine et l’art ont été partagées et échangées avec les participants. En utilisant la nourriture comme matière première, nous avons préparé un repas à chaque jour de classe tout en visionnant de nombreuses images, en lisant des textes phares, en regardant des films, en explorant de nouvelles techniques culinaires et en apprenant beau-

coup de ce processus extrêmement affectif. En prenant comme élément central l’univers de la culture alimentaire, c’est à dire, tous les rituels, toutes les pratiques, les croyances et attitudes, ainsi que l’ensemble des systèmes de production et de distribution liés à la consommation d’aliments, nous avons compris l’importance de prêter grande attention à nos ingrédients, aux traditions et aux processus qui sont incorporés à notre identité en tant que Brésiliens. Le Manifeste Anthropophage, texte moderniste crucial, écrit par Oswald de Andrade au fin des années 20, propose de dévorer les différentes influences coloniales pour les digérer et développer notre propre culture. Cette pensée fondamentale a été en grande partie rescapé par la contre-culture des années 1960 et 1970, avec Glauber Rocha et d’autres fondateurs du mouvement du Cinema Novo (Nouveau cinéma), à partir de la réinvention du processus de fabrication d’un film en fonction des ressources précaires disponibles alors, ou par les œuvres d’artistes tels que Hélio Oiticica, Lygia Clark et Lygia Pape, qui ont profondément contribué à transformer les paramètres et les espaces de l’art au Brésil. Partant de ces influences et en les reliant à de nombreuses autres références tant brésil-

iennes qu’internationales, principalement au travail des chefs, des artistes, des sociologues, des anthropologues, des critiques d’art et des philosophes, nous avons tracé un parcours unique de sapère et sapore. Ce n’était que le début d’un projet qui passe à un niveau supérieur lors du Cookbook ‘19, en collaboration avec Roberto Cabot. Pour Cookbook ‘19, nous présentons la « Manioc usine », une cuisine mobile en trois modules indépendants spécialement conçus pour le traitement du manioc, la fabrication de différentes farines, de l’amidon de tapioca et de son jus, et la préparation de plats. Ce faisant, nous visons à sauver et à actualiser ce savoir enraciné en le mélangeant aux techniques de la cuisine contemporaine. Des évènements culinaires seront proposés, dans lequel nous allons produire et cuisiner collectivement, créant donc un spectacle où le public est invité à danser et à se fondre dans une expérience savoureuse. En plus des modules de cuisine, il y a également un module cinéma mobile. Ensemble, ils servent de plate-forme d’échange, de réflexion et de débat sur la thématique contextualisée et seront ouverts à l’usage d’autres intervenants pendant l’exposition, qu’ils soient artistes, étudiants, chefs, ou public, quiconque possédant le goût de la pensée.

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La transformation et l’assemblage d’une cuisine mobile qui amène Cozinha Radicante de la salle de classe aux événements artistiques autour de Rio de Janeiro en 2016 The transformation and assembling of a mobile kitchen that takes Cozinha Radicante out of the classroom to art events around Rio de Janeiro in 2016

Étudiants retirant la chair de la fruit pequi Students removing the flesh of a pequi fruit

Taste to tell: a laboratory of culinary art Cozinha Radicante was set as a laboratory of research by the chefs Rebecca Lockwood and Rosa Branca together with the visual artist Ynaiê Dawson. It was launched, in 2015, out of a desire to investigate two universes that have always been intricately connected: the art and the culinary. In fact we could easily say this relationship falls back to the first cave drawings showing hunted animals that have then been eaten. And perhaps the saucepan was the first work of art to be produced. From ancient times until now the food motifs, the eating environments, and the rituals around it are present in frescoes, still lives, sculptures, performances, happenings, films, videos, and even the music quite often transport us to the kitchen universe. The laboratory was proposed as a course at Parque Lage Visual Art School in Rio de Janeiro, in 2016, where our searches exploring food and art were shared and exchanged with the participants. Using food as our matter we cooked a meal at each class while we saw many images, read seminal texts, watched movies, explored new culinary techniques, and learned a lot from this hugely affective process. 6

Taking as our central spine the universe of food culture, all the rituals, practices, beliefs, attitudes as well as the whole production and distribution systems around the consumption of food, we understood the importance of giving attention to our most local ingredients, traditions and processes that are incorporated into our identities as Brazilians. The Anthropophagic Manifesto, a crucial modernist text written by Oswald de Andrade in the late 1920´s, proposes devouring the colonial influences in order to digest them and develop our own culture. This seminal thought was largely rescued by the counter-cultural movement of the 1960´s and 1970´s with Glauber Rocha and others founding the Cinema Novo (New Cinema) movement, re-inventing film making according to the precarious resources available then or in the works of artists such as Hélio Oiticica, Lygia Clark and Lygia Pape, who profoundly contributed to transforming the arts parameters and spaces. Departing from these influences and connecting them with many other Brazilian and international references, mostly the work of chefs, artists, sociologists, anthropologists,

art critics and philosophers, we traced a singular trajectory of sapere and sapore, knowledge and flavor (that share the same Latin root), that was just the beginning of a project that is now achieving a next level at Cookbook ‘19, this time with the collaboration of the artist Roberto Cabot. For Cookbook ‘19 we are presenting our “Manioc Usine”, a mobile kitchen in three independent modules, that are specially prepared for the processing of the manioc and the fabrication of different flours, the tapioca starch and its broth. This way we aim to rescue and actualize this rooted knowledge, mixing it with contemporary cuisine techniques. A culinary workshop is proposed, in which we´ll produce and cook collectively, thus becoming a performance where the audience is invited to dance along and melt together in a tasty experiment. Apart from the kitchen modules there’s also a cinema module and together they work as a platform for exchange, reflexion and debate on the contextualized thematics and will be left for others to make use of during the exhibition, be them artists, students, chefs or whoever has a taste for thoughts.


Étudiants cuisinent et discutent de la nourriture et de l’art en classe Students cooking and discussing about food and art in the classroom Les étudiants de L’École d’Arts Visuels du Parque Lage préparant la pâte de cacao Students from Parque Lage Visual Art School preparing cacao pasta

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Manioc Usine projet Manioc Usine project


Saluons le manioc! Farine, tapioca, tucupi Cozinha Radicante, en collaboration avec Roberto Cabot, a choisi le manioc comme objet central du projet “Manioc Usine”, car à leur avis cette plante est la plus grande contribution des Amériques au monde. En plus de son importance économique, nous la considérons un bien culturel. Le manioc est le résultat d’un traitement complexe à différents niveaux du savoir humain. Au Brésil, nous avons intégré ces techniques millénaires des Amérindiens à notre vie quotidienne. Aujourd’hui, la racine de manioc joue un rôle fondamental dans la culture alimentaire de millions de Brésiliens. Originaire d’Amazonie, la culture du manioc a commencé chez les peuples Tupi, s’étant ensuite étendu le long de la côte atlantique, en remontant le continent américain dans le sens inverse du maïs. Il existe plus de 1 800 variétés, portant des centaines de noms, par exemple : reine du Brésil, racine du Brésil, pain d’épices, farine de bois, farine, macaxeira, mandioca au Brésil et yuka, manioc, manioc, entre autres, à travers le monde. Sa propagation sur la planète s’est produite au 16e siècle, lorsque les Européens l’ont adopté comme aliment dans les longues navigations en raison de sa polyvalence et des techniques de conservation développées par les peuples amazoniens. Aujourd’hui, plus de 800 millions de personnes en consomment dans le monde entier et les Nations Unies l’ont déclarée récemment l’aliment du 21e siècle. Avec l’approche de changements climatiques radicaux et un éventuel cataclysme écologique, il deviendra une source importante de l’alimentation mondiale, car sa culture réclame peu de soins et résistera aux changements. En raison de ses techniques de traitement, le manioc est utilisé comme moteur de développement social dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, le Nigéria étant le lieu le plus cultivé.

La maniva, comme on appelle le traitement de la plante en portugais, est d’une grande complexité, car le manioc a été apprivoisé et modifié par les Amérindiens : sélectionner, planter, récolter, peler, broyer, presser, décanter, tamiser, rôtir, fermenter et enfin cuisiner les différentes variétés, textures et états de leurs dérivés. Parmi les instruments utilisés pour préparer le manioc, on en trouve le Tipiti cylindrique, une couleuvre tressée avec des feuilles de palmier contractiles et sensibles. Il s’agit d’un instrument utilisé pour presser et sécher la pâte, un objet de design parfait, à la fois esthétique et fonctionnel, pouvant être intégré à toutes les cuisines du monde entier. Le manioc est d’origine surnaturelle. Selon le mythe tupi, la fille d’un cacique est tombée mystérieusement enceinte. Furieux, son père a voulu la sacrifier au dieu Tupã. Mais, pendant son sommeil, il rêve d’un homme blanc de grande taille qui lui dit que l’enfant serait un être très spécial avec une mission importante à remplir. Et comme en Amazonie la réalité et les rêves sont la même chose, le cacique a pris le présage très au sérieux. Quand la petite fille est née, elle était vraiment très différente des membres de la tribu, d’une beauté éclatante, avec une peau étrangement blanche. On l’appela Mani. Quelques temps plus tard, sans maladie ni douleur, Mani mourut dans son hamac et fut enterrée au centre de l’oca, la « maison » en tupi-guarani. Dans sont déséspoir, le cacique couvrait la tombe de larmes tous les jours. Et soudain, une plante inconnue a germé, et ensuite fit craquer la terre. Arrachée par les membres de la tribu, la plante exposa sa racine d’écorce sombre, à l’ intérieur très blanc, qui ressemblait à la couleur de la peau de Mani. Et ils l’appelèrent Mani-oca, la maison de Mani, qui devint ensuite manioc.

Tipiti, utensile indigène utilisé après avoir râpé le manioc, permet de séparer le liquide du solide Tipiti, an indigenous utensil used to remove the liquid from the solid after grating the manioc. 9


Montage du dispositif Manioc Usine avec les étudiants de l’ESBA MoCo, à Montpellier Assembling Manioc Usine with the students of ESBA MoCo, in Montpellier

Albert Eckout Nature mort au manioc Still life with manioc 1640

Let’s praise the manioc! Flour, tapioca, tucupi Cozinha Radicante, in collaboration with Roberto Cabot, elected manioc as the central object of the project “Manioc Usine,” believing that this plant is the greatest contribution of the Americas to the world. Beyond its economic significance, we consider it a cultural object. Foods from manioc are the result of a complex processing that involves various levels of human knowledge. In Brazil, these age-old Amerindian techniques have become an integral part of daily life and, today, the manioc root plays an essential role in the food culture of millions of Brazilians. Originally from the Amazon region, manioc was initially cultivated by the Tupi people. Its cultivation then spread along the Atlantic Coast, moving up the American continent on a path running opposite to that of corn. There are more than 1,800 varieties, with hundreds of names that reflect its popular origins as seen in some literal translations of its name in Brazil: queen of Brazil, root of Brazil, bread of the earth, wood flour, war flour. It is also called macaxeira and aipim only in Brazil, and yuka, cassava, and manioc among other names worldwide. The cultivation of manioc spread all around the planet in the 16th century, when the Europeans adopted it as a food on long sailing trips due to its versatility and easy preservation. Currently, more than 800 million people eat it, and the UN has declared it the food of the 21st century. If an ecological cataclysm is ever announced, manioc will be an important food resource worldwide due to the relative ease of its cultivation. Because of the techniques involved in its processing, manioc is used as a driver for social development in various countries in Africa and Southeast Asia, Nigeria being the country where it is most cultivated.

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A great deal of knowledge surrounds the manioc plant, an organism tamed and modified by the Amerindians. This know-how spans a wide range of activities: selecting, planting, harvesting, peeling, grinding, pressing, decanting, sifting, roasting, and fermenting, in order to, finally, cook the various varieties, textures and states of this plant and its derivatives. The objects used in the production of food from the manioc include sieves and the cylindrical tipiti, a contractible cylinder for pressing manioc, made of woven thatching. This instrument used for pressing and drying the crushed manioc is a perfectly designed object from both an aesthetic and functional point of view and can thus be adopted as a utensil in any kitchen around the world. Manioc even has a supernatural origin. According to a Tupi legend, the daughter of a tribal chief became mysteriously pregnant. Furious, her father thought about sacrificing her to the god Tupã. One night, however, he dreamed about a tall man with very white skin who said that the child would be a special person with an important mission to fulfill. And as in the Amazon dreams are not separate from reality, the chief took this prophetic vision seriously. When the baby girl was born, she really was very different from everyone in the tribe, with a dazzling beauty, she had very white skin and they gave her the name of Mani. One year later, without showing any sign of sickness or pain, Mani died in a hammock and was buried at the center of the oca, which means “house” in Tupi-Guarani. Every day, the chief watered the grave with his tears. One day an unknown plant sprouted, which after a certain time made the earth crack. The Indians pulled it up and saw that it had dark roots with a very white interior, that resembled the color of Mani’s skin. This is why they called it Mani-oca, the house of Mani, which in Portuguese later became the root’s current name, mandioca.



Recette de base

Basic recipe

2 kg de manioc, lavé et pelé Couper le manioc en petits morceaux et mixer avec un peu d’eau dans un mixeur ou un robot multifonction. Cela produira une masse de manioc. Maintenant, pressez la pâte pour égouter l’humidité. Traditionnellement, on utilise le tipiti, mais on peut utiliser un torchon propre ou un tissu pour faire du fromage. Placez la pâte au centre, fermez et pressez bien avec vos mains pour faire égoutter le liquide et laissez reposer pendant quelques heures ou jusqu’à l’arrêt complet des gouttes. Séparez d’une part le solide égoutté et de l’autre le liquide. Nous allons en réutiliser le tout.

2 kg of washed and peeled manioc Cut the manioc into small pieces and blend it with a little water in the blender or food processer. The result will be manioc paste. Press this paste to remove the moisture. Traditionally the tipiti was used for pressing, but you can also use a clean kitchen towel or cheesecloth. Put the paste in the center, close it and squeeze it tightly with your hands to help the liquid to run out and leave it for some hours or until it completely stops dripping. Keep both the solid part as well as the liquid, separately, as both will be used.

Pour la farine de manioc 2 kg de manioc donnent environ 1 kg de farine. Préparez la recette de base. Laissez sécher la pâte sur le tissu pendant 24 heures. Malaxez la pâte avec vos mains et passez-la au tamis. Faites griller la pâte dans une poêle et la farine sera prête! Voici nos recettes de farofa!

2 kg of manioc yield around 1 kg of flour. Make the basic recipe. Leave the paste in the cloth drying for 24 hours. Crumble the paste with your hands and pass it through a sieve. Roast the paste in a frying pan and the flour will be ready! See our recipes for farofa!

Pour l’amidon ou la gomme de manioc

To make tapioca starch or tapioca gum

2 kg de manioc donnent environ 400g à 600g de gomme. Préparez la recette de base. Lorsque vous filtrez le manioc battu, laissez le liquide reposer pendant une heure ou jusqu’à ce que le liquide se sépare de la gomme, qui est le résidu qui décante dans le fond. Passé ce délai, transférez le liquide dans un autre récipient. La gomme à tapioca reste au fond, encore humide et prête à l’emploi. La gomme doit être très solide lorsqu’on retire le liquide et doit rester intacte au fond de la bouteille. Vous pouvez l’émietter, faire passer à travers le tamis directement dans une poêle préalablement chauffée sans graisse et une sorte de crêpe va se former pendant la cuisson. La gomme peut être conservée au réfrigérateur pendant une semaine. Une autre façon de préparer la gomme consiste à acheter l’amidon prêt à l’emploi et à l’hydrater en ajoutant de l’eau et en attendant qu’il se dépose de la même manière que celui produit directement à partir du manioc. Ensuite, il suffit de séparer et de jeter le liquide. Ce qui reste est la gomme. Voyez nos recettes de tapioca et de beiju !

2 kg of manioc yield around 400 to 600 grams of starch. Carry out the basic recipe. When straining/drying the manioc paste, let the liquid rest for one hour, or until the liquid separates from the gum, which is the residue that settles at the bottom. After this time, just transfer the liquid on top to another container. At the bottom, you will find the tapioca gum, ready for use, still moist. The gum should be very solid when the liquid is removed and it should remain intact at the bottom of the container. You can sift it right away, passing it through a sifter directly above the preheated, ungreased frying pan and when it cooks it will form a sort of pancake. The gum can be kept in the refrigerator for up to one week. Another way to prepare the gum is to buy the tapioca starch already made and just add water to it, then wait until it decants just as when it is made directly from the manioc. Then it is just a matter of separating and discarding the liquid, and what remains is the gum. See our recipes for tapioca and beiju!

Tucupi

Tucupi

Le tucupi est le jus extrait du manioc, une fois séparé de la gomme, puis cuit et fermenté. Traditionnellement, au Brésil, pour faire du tucupi, nous utilisons la “mandioca brava”, qui a un goût plus fort et plus acide que le manioc doux. Toxique à ce stade, il doit passer par un processus complexe pour éliminer le poison. C’est pourquoi on ne l’achète pas sur les marchés. Néanmoins, cette recette peut être faite avec n’importe quel manioc. Le résultat est un liquide plus léger et au goût plus doux. Le tucupi est utilisé en Amazonie dans les bouillons de poisson, de canard, des crevettes sèches ou de légumes. Le tucupi réduit au point de mélasse, appelé tucupi noir, est utilisé pour faire mariner le poisson, la volaille et la viande de gibier.

Tucupi is the liquid extracted from the manioc, when separated from the gum and later cooked and fermented. Traditionally, in Brazil, to make tucupi, we use a sort of manioc known as the bitter manioc, which has a stronger and more acidic taste then the sweet manioc; because it is a poisonous species, it must go through a complex process to completely remove its poison, and, for this reason it is not teasy to find it for sale in markets. However, it is possible to carry out this recipe with any manioc. The result is a clearer liquid with a milder taste. Tucupi is used in Amazonia in broths made with fish, ducks, dry shrimp or vegetables. It can also be reduced to the point of molasses, arriving at the black tucupi that is used to marinate fish, birds and game meats.

2 kg de manioc donnent 1 litre de tucupi prêt et assaisonné, mais cette quantité varie car elle dépend aussi bien de la quantité d’eau à utiliser pour faire battre le manioc, que du temps de cuisson et de la réduction de liquide.

2kg of manioc yields 1 liter of finished and seasoned tucupi, but this quantity is variable as it depends on how much water is used to blend the manioc, the cooking time and how much the liquid is reduced.

Basilic (un soupçon) Chicorée ou coriandre longue (préalablement broyée) Ail de vigne (même vieux) Brèdes mafane à volonté et du piment rouge 5 g ou 1 cuillère à café de sucre Préparez la recette de base. C’est le même processus utilisé pour faire le tapioca, mais au lieu d’utiliser la gomme, nous allons utiliser le liquide. Laissez ce liquide fermenter de 24 à 72 heures (il sera fermenté lorsque des bulles d’air apparaîtront à sa surface). Transférez ensuite le liquide dans une casserole profonde, ajoutez les assaisonnements. Filtrer et réfrigérer jusqu’à une semaine. Il ne faut oublier que le liquide va encore fermenter. Laisser bouillir pendant 1 heure.

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For manioc flour

Basil (only a little) Chicory or wild cilantro (previously crushed) Garlic vine (even if it is a little old, it works) Paracress according to taste, and cherry pepper 5g or 1 teaspoon of sugar Make the basic recipe. Carry out the same process used for making tapioca, except that, instead of using the gum, here we use the liquid. Let this liquid ferment for 24 to 72 hours (it will be fermented when bubbles begin to appear on its surface). Afterward, transfer the liquid to a deep pan and allow it to boil for an hour and half. Add the seasoning. Strain and keep in the refrigerator for up to one week. Be aware that the liquid will keep fermenting.


Beiju

Beiju

80 g d’amidon ou gomme de tapioca

80 g fine tapioca starch or tapioca gum

250 g de manioc râpé, pressé et séché (non grillé)

250 g of manioc grated, press dendrite (without roasting)

200g de noix de coco (facultatif)

200g grated coconut (optional)

Ajoutez du sel Recouvrez la gomme avec de l’eau pour l’humidifier et laissez décanter pendant une heure. Enlevez l’eau de la surface et utilisez la gomme à tapioca. Dans une poêle antiadhésive, tamisez une fine couche de gomme sur toute la surface ou, si vous préférez, vous pouvez créer des petits cercles, sans vous soucier de faire des cercles parfaits. L’important est de tamiser couche par couche de manière uniforme. Ensuite, si vous utilisez la noix de coco, mélangez-la au manioc râpé. Tamisez par-dessus la première couche d’amidon. Finalisez avec une autre couche d’amidon sur le manioc râpé. Laissez cuire un peu et tournez. Coupez en petits morceaux si nécessaire et servir.

Tapioca cubettes 1 litre de lait 500g de fromage caillé râpé (ce fromage remplace le halloumi) 500 g d’amidon ou de la farine de tapioca, qui seront transformés en tapioca finement granulé – ajoutez du sel Jetez l’amidon dans une poêle et remuez continuellement. La pâte formera un tapioca plus granulé. Laissez refroidir. Graissez une plaque à pâtisserie avec de l’huile et réservez Mettre le lait dans une casserole profonde et portez à feu moyen Lorsque le lait commence à bouillir, éteignez le feu et ajoutez le tapioca en remuant Ajoutez ensuite le fromage et continuez à remuer Mettez à feu doux et cuisez 1 min jusqu’à ce que le tapioca se détache du fond de la casserole et qu’il devienne difficile de remuer Transférez la pâte sur la plaque à pâtisserie préalablement beurrée Humidifiez vos mains et étalez le tapioca sur la plaque de cuisson de manière qu’il soit de niveau et recouvrez complètement le plat de cuisson. Elle devrait mesurer 1 cm Couvrez avec un film alimentaire près de la pâte, de sorte qu’il ne se dessèche pas et crée une couche dure à l’extérieur Laissez refroidir à température ambiante pendant environ 2 heures Coupez en cubes de 1cm³ Faites chauffer une casserole profonde avec deux doigts d’huile Lorsque l’huile est suffisamment chaude (170º Celsius), ajoutez les cubes de tapioca (veillez à éviter les projections de graisse) Après 1 ou 2 minutes, les cubes commenceront à se décoller du fond de la casserole. À l’aide d’une écumoire, retournez les cubes, un par un, jusqu’à ce qu’ils soient dorés uniformément Dès qu’ils commencent à dorer, transférez-les dans un bol sur du papier essuie-tout pour faire écouler l’excès d’huile Servir avec une sauce au poivre maison

Salt to taste Cover the tapioca starch with water to hydrate it and let it set (decant) for one hour. Take off the water from the surface and use the tapioca gum. In an anti-stick frying pan, sift a fine layer of the gum, covering the entire surface or if you prefer, you can already lay it out in small circles, but do not worry about making perfect circles. The important thing is to make it layer by layer, uniformly Then, if you will use coconut, already have this mixed with the grated manioc. Sift it on top of the first layer of tapioca starch. Finish it with another layer of tapioca starch on top of the grated manioc. Let it cook a little and flip it. Cut in smaller pieces, as necessary, and serve

Tapioca cubes 1 liter milk 500g grated Brazilian coalho cheese (substitute halloumi cheese) 500g tapioca starch which will become fine granulated tapioca, salt to taste Scatter the tapioca starch in a frying pan and continuously stir. The powder will form a more granulated tapioca. Let it cool Oil a baking pan (just a dash of oil) and set aside Put the milk in a deep pan and place it on medium burner When it starts to boil, turn off the burner and add the tapioca, continuously stirring with a spatula Then add the cheese and continue stirring Return it to low heat and cook for one more minute, until the tapioca gets unstuck from the bottom of the pan and it gets hard to stir Transfer the dough to the previously oiled baking pan Moisten your hands, and spread the tapioca in the baking pan, making it level, and fill the entire pan. It should be 1 cm high Cover with a piece of plastic wrap laid directly on the surface of the dough so that it does not dry and create a crust Let it cool at room temperature, for about two hours Cut into 1cm³ cubes Heat two fingers of oil in a deep pan When the oil is properly hot (170º Celsius), add the tapioca cubes (being careful not to splatter the oil) After one or two minutes, the little cubes should start detaching from the bottom of the pan. With the help of a skimmer, take out the little cubes, one by one, so they are equally browned Transfer them to a bowl with a paper towel, to drain away the excess oil and serve with homemade pepper sauce

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Tapioca coloré ½ feuille de bananier 300 grammes d’amidon, de la farine de tapioca 1 carotte (du tapioca orange), 1 betterave petite (du tapioca mauve) ou une poignée d’épinards (du tapioca vert). Frappez dans le mixer la betterave, la carotte ou les épinards dans de l’eau et filtrez. Mélangez 300 g de farine avec de l’eau colorée et laissez reposer pendant 1 heure. La gomme va descendre au fond. Ensuite, égouttez l’eau. Sous l’eau, vous trouverez la gomme à tapioca hydratée et prête à l’emploi. Émiettez la gomme de tapioca et passez-la à travers un tamis directement dans une poêle antiadhésive, en fine couche. À l’aide d’une cuillère, resserrer et faire joindre les côtés pour former une sorte de crêpe. Ensuite, farcir avec les ingrédients de votre choix, de la noix de coco, du fromage, du lait de châtaigne, du chocolat, etc. ... Fermez le tapioca, servez sur un morceau de feuille de bananier. Vous pouvez aussi l’envelopper dans la feuille de bananier, et fermer avec un ruban pour que le tapioca reste chaud et humide longtemps.

Vegan manioc cheese 450 g de manioc cuit 240 ml d’eau (vous pouvez utiliser de l’eau de cuisson)

½ banana leaf 300 grams of tapioca starch, water 1 carrot (orange tapioca), 1 small beet (purple tapioca) a handful of spinach (green tapioca). In a blender, blend the water with the carrot, beet or spinach, and strain. Mix 300 gr of tapioca starch with the colored water. Let it set (decant) for 1 hour. The gum will go to the bottom. After this time, drain off the water that is on top. Under the water you will find the tapioca gum already hydrated and ready to use. Sift the tapioca gum to obtain a powder, and sift this through a sifter directly into an anti-stick frying pan, making a thin layer. Using a spoon, press down on it and bring the edges together making a sort of crêpe. Then fill it with ingredients you wish – coconut, cheese, nut milk, chocolate, etc.… Close the tapioca, serve it on a piece of banana leaf as a decoration. Or roll it in the banana leaf, tie it with a ribbon, and the tapioca will keep warm and moist longer

Vegan manioc cheese 450 g of cooked manioc 240 ml of water (can be the cooking water)

120 ml d’huile d’olive

120ml olive oil

150g d’amidon sucré

150g tapioca starch

4g de poudre d’ail

4 g powdered garlic

20 g de levure alimentaire ou de la levure de bière avec du poivre 5 g de curcuma 5 g de sel (ou à votre convenance)

20 g of Nutritional Yeast or brewer’s yeast, black pepper to taste 5 g of salt (or to taste) 5 g of turmeric

5 g de piment doux

5g sweet paprika

5 g cumin (optional)

5g cumin seeds (optional)

Faites bien cuire le manioc dans l’eau salée pendant environ 20 minutes. Réservez une partie de l’eau de la cuisson du manioc. Dans un grand plat profond, écrasez le manioc et ajoutez le reste des ingrédients, y compris l’eau de cuisson réservée. Si vous préférez, vous pouvez utiliser un mixer ou un robot multifonction. Amenez le mélange dans une casserole et faites cuire à feu moyen pendant environ 5 minutes en remuant constamment jusqu’à épaississement. Ce processus est très rapide, le “fromage” durcit rapidement et ressemble à une boule. Retirez-le et placez-le dans un plat en verre graissé à l’huile d’olive pour modeler. Couvrez et réfrigérez pour l’endurcir et prendre la forme d’un fromage. Après refroidissement, démoulez et servez comme vous préférez. Sa texture est merveilleuse et ressemble à de la mozzarella, il peut être tranché et fondu lorsqu’il est chauffé et il est parfait pour les pizzas ou le tapioca. 14

Coloured Tapioca

Cook the manioc well in water and salt, for about 20 minutes. Set aside part of the manioc cooking water. On a large deep dish, smash the manioc and add the rest of the ingredients, including the cooking water that you set aside. If you prefer, use a blender or food processor. Put the mixture in a pan and cook on medium heat for about five minutes, continuously stirring until it thickens. This process is very quick, the “cheese” rapidly hardens, and starts to look like a ball. Remove it and put it on a glass dish greased with olive oil, to serve as its mold. Cover it and leave it in the refrigerator to get hard in the shape of cheese. Take it out of the mold when it is cold and serve as you prefer. It will have a texture like mozzarella cheese, it can be sliced and it melts when heated, being perfect for pizzas or in tapioca.


Cheese bread

Cheese bread

250ml de lait

250ml milk

100g de beurre

100g butter

500g d’amidon, de la farine de tapioca

500g tapioca starch 300g grated Parmesan cheese (substitute well with comté)

300g de fromage parmesan râpé (ou alors du comté)

200g grated half-cured cheese such as Brazilian coalho cheese (substitute well with halloumi, ementhal or gruyère)

200g de fromage à pâte demi-ferme râpée comme le fromage caillé (peut être remplacé par du halloumi, de l’emmenthal ou du gruyère)

2 large eggs (120g) Salt to taste

2 gros œufs (120g) Ajoutez du sel Faites fondre le beurre avec le lait à feu doux. Lorsque le lait est sur le point de bouillir, éteignez le feu Dans un bol, rajoutez le sel à l’amidon. Ajoutez lentement le lait, bien mélanger et laissez refroidir Incorporez les œufs et enfin les fromages Faites des boulettes de 2 cm à 4 cm de diamètre et disposez-les dans un plat à rôtir préalablement graissé à l’huile en laissant une distance de 1 cm entre elles Faites cuire au four préchauffé à 180 ° C pendant 15 minutes ou jusqu’à faire prendre couleur

Melt the butter in the milk at low heat. When the milk is just ready to boil, turn off the burner. In a glass, mix the salt with the tapioca starch. Add the milk slowly, mix well and wait for it to cool Mix in the eggs, and finally, the cheeses. Make little balls approximately 2cm to 4cm in diameter and arrange them in an oiled baking pan. Keep a distance of 1cm between them. Bake in a preheated oven at 180° C, for 15min or until they start to brown.

Tacacá

Tacacá

2 litres de tucupi

2 liters tucupi

4 gousses d’ail

4 garlic cloves

10g ou une cuillère à café de sel

10g or 1 teaspoon salt 6 cherry peppers

6 piments rouge

10 pearl onions

10 tiges de ciboulette

8 chicory leaves

8 feuilles de chicorée 500g de crevettes sèches 500ml d’amidon, de la pâte de tapioca

Faire bouillir de l’eau. Nettoyez le brède mafane en enlevant les plus grosses branches et laissez cuire au four pendant 15 minutes, puis égouttez-les. Réservez Épluchez les crevettes et laissez dessaler dans l’eau pendant deux heures en changeant l’eau deux fois. Vous pouvez utiliser des crevettes bouillies à la place de crevettes sèches. Faites bouillir le tucupi et assaisonnez avec de l’ail, du sel et du piment rouge Faites bouillir 2 litres d’eau et mélangez le tapioca en remuant pendant 20 minutes jusqu’à l’obtention d’une bouillie transparente. Servez dans un bol sans cuillère dans l’ordre suivant : 1 louche de porridge, 1 louche de tucupi assaisonné, des crevettes, du piment rouge et du brède mafane à goût.

2 bunches of paracress photo: Rao Godinho

2 paquets de brède mafane

500g dried shrimp 500ml tapioca starch

Boil the water. Clean the paracress, removing the larger stems and cook for 15 minutes and drain. Set aside Peel the shrimp and put in water to soak the salt out of it for two hours, changing the water twice during this time. If you do not have dried shrimp, experiment with cooked shrimp. Put the tucupi to boil and season it with garlic, salt and cherry pepper Boil 2 liters of water and mix in the tapioca, stirring for 20 minutes until you get a clear porridge Serve it in a gourd without a spoon (it is to be drunk directly from the gourd) in the following order: 1 ladle of porridge, one ladle of seasoned tucupi, crushed cherry pepper and paracress to taste.

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photo: Nailana Thiely

photo: Nailana Thiely Tainá Marajoara

Iacitatá Restaurant, Belém do Pará, Brèsil / Brazil

La Cozinha Radicante

Cozinha Radicante

dialogue avec Tainá Marajoara

L’activiste alimentaire et cuisinière Tainá Marajoara, descendante du peuple Marajoara, du Pará, état du nord du Brésil, est une critique féroce de la manière de raconter l’histoire de la formation de la cuisine brésilienne, même dans les livres de référence d’auteurs de renom, comme Luís da Câmara Cascudo1 et Claude-Lévi Strauss. Avec un discours bien articulé, elle propose une contre-colonisation, une véritable révolution par la bouche, à partir de la reconnaissance et de la compréhension de ce qu’est la culture alimentaire. En 2009, elle met sur pied le projet CATA, Culture Alimentaire Traditionnelle Amazonienne, qui fait alors un relevé de la nourriture régionale et des traditions originaires couvrant une surface de plus de 50 000 km2. Elle a également fondé le point de culture et restaurant Iacitatá. Persuadée que Tainá a beaucoup à dire sur le nécessaire processus de décolonisation globale qui doit se produire de toute urgence, la Cozinha Radicante l’a invitée pour cette conversation. Face au scénario actuel au Brésil, avec l’arrivée au pouvoir en 2019 d’un gouvernement d’extrême droite qui, en quelques jours à peine, a déjà mis en danger d’innombrables acquis sociaux, aussi bien dans le domaine de la souveraineté alimentaire qu’en ce qui concerne la biodiversité et la diversité culturelle, outre la menace de retirer le pays de divers accords internationaux dont il est signataire, avec encore la promesse de combattre un présumé marxisme culturel pour démanteler (dans le pays le plus inégal de la planète) un socialisme imaginaire qui n’a jamais existé, Tainá Marajoara est le type de leadership de résistance qui devient de plus en plus important, non seulement pour les Brésiliens, mais aussi, selon nous, pour le monde entier. Elle apporte une critique sagace au capitalisme consumériste, avec une vision spécifique, différente de la conception marxiste classique.

talks with Tainá Marajoara

Food activist and cook Tainá Marajoara, a descendent of the Marajoara people of the state of Pará, in North Brazil, is a fierce critic of the standard narrative of the history of Brazilian cuisine, including as it has been described in important books by renowned scholars like Luís da Câmara Cascudo1 and Claude Lévi-Strauss. Through her articulate point of view, she proposes a counter-colonial approach, a true revolution based on the mouth, informed by an accurate recognition and understanding of food culture. In 2009, she began the Traditional Amazonian Food Culture Project (Portuguese acronym CATA), which mapped the regional food and its original traditions in an area of more than 50 thousand square kilometers. She also founded the Iacitatá restaurant and cultural hub. Believing that Tainá has much to say in regard to the urgently needed process of global decolonization, Cozinha Radicante invited her for this talk. Her ideas are especially pertinent at the current moment in Brazil, with its newly instated rightist presidential administration – which in its first days in office has already jeopardized many conquests in regard to food sovereignty and biodiversity. Insofar as this administration has also threatened to withdraw the country from various international treaties and has promised to wage war against an allegedly “cultural Marxism” – an imaginary socialism that never existed in the country, which has one of the highest income disparities worldwide – Tainá Marajoara is the sort of resistance leader who is becoming increasingly important, not only for Brazilians, but for the debate for the world as well. She sharply criticizes capitalism from a specific viewpoint that is set apart from the classic Marxist concepts.

1

Luís da Câmara Cascudo, História da Alimentação no Brasil (Histoire de l’alimentation au Brésil / History of Food in Brazil), 1ère édition / 1st edition, Cia Editora Nacional 1967/1968

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La révolution commence par la bouche! Cozinha Radicante: En 2015, nous trois, Rosa Branca, Rebec-

patrimoine génétique à l’industrie. Parler d’acarajé, c’est parler d’une offrande. La seule à faire l’acarajé c’est la Baiana de l’acarajé, car c’est une dévotion et cela fait partie d’un rituel, d’une spiritualité de matrice africaine. Sans passer par ce rituel, l’acarajé n’est qu’une recette, il n’est qu’un beignet au niébé. C’est là que réside la clé de la culture alimentaire. Car la culture alimentaire réunit le savoir, le faire, le penser, la pratique et le parler de l’aliment, ce qui n’est pas le cas dans l’industrie alimentaire. L’industrie alimentaire produit et traite selon la norme matérialiste, elle ne produit pas d’identité, elle ne fait pas de rituel et ne transmet pas de connaissances d’une génération à l’autre. La gastronomie doit arrêter de se dire culture, car elle n’est pas synonyme de culture. Cela ne fait que semer la confusion dans la tête des gens et bénéficier l’industrie d’aliments et de poisons, en faisant du greenwashing, qui est le blanchiment vert de l’argent des corporations. La différence entre la culture alimentaire et la gastronomie est que la première fait progresser le pays dans le sens des droits liés à l’alimentation, notamment dans le droit humain à la bonne alimentation, c’est-à-dire lor-

photo: Nailana Thiely

photo: Nailana Thiely

ca Lockwood et Ynaiê Dawson, les deux premières cheffes et la troisième artiste visuelle, nous sommes réunies pour créer un laboratoire d’art et culinaire en pensant aux frontières et aux connexions entre ces deux univers. Au cours de nos recherches, nous sommes tombées sur la vidéo d’une de tes interventions sur la culture alimentaire et c’est ce concept qui nous a servi de nord pour le cours Rituels d’art culinaire que nous avons donné ensemble, l’année suivante, à l’École d’Arts Visuels du Parque Lage, à Rio de Janeiro, où nous avons partagé savoirs et saveurs au long de la préparation collective de repas. C’est ainsi qu’est née la Cozinha Radicante qui participe maintenant, en collaboration avec l’artiste Roberto Cabot, à l’exposition Cookbook 19, organisée à Montpellier par le commissaire et critique d’art Nicolas Bourriaud. Tainá, comment définis-tu la culture alimentaire ?

“Farinha d’água” (Farine d’Eau) servi dans une cuia avec le fromage de Marajó

Tucumã fruit

“Farinha d’água” (Water Flour) served in a cuia with Marajó cheese

Tainá Marajoara: La culture alimentaire, c’est le savoir, le faire, le

parler, le penser, les rituels et la dimension symbolique de l’alimentation, au-delà de ses dimensions économiques et sociales. La dimension symbolique vient en premier lieu. La culture alimentaire se fonde sur les concepts qui sont garantis par les conférences, les conventions et les protocoles dont le Brésil est membre et signataire. Notre culture est artisanale et elle s’exprime par des rites, des prières, des pratiques et des enseignements transmis au fil des générations. La culture alimentaire ne se limite pas à la préparation de l’aliment, elle s’étend à tout le processus de « faisage », qui comprend les architectures, les chants, les navigations et d’autres pratiques liées au système culturel alimentaire. Elle englobe aussi la gastronomie et l’art culinaire, à condition qu’ils soient intégrés à la culture. Ce qui est particulièrement important à souligner, car il existe une pression sur la culture alimentaire dans le sens d’une appropriation de teneur coloniale par la gastronomie, et l’une des pires conséquences qu’elle puisse avoir est de promouvoir l’annihilation de cette culture alimentaire. Selon l’étymologie du mot, la gastronomie est la science de la gastro, ce qu’il est convenu d’appeler l’étude du système alimentaire. Donc, tout ce que nous considérons comme un produit à manger est un produit gastronomique, quelle que soit son origine, sa teneur en pesticide, qu’il s’agisse d’une tonne de semences transgéniques ou que ce soit un plat fait au prix d’une terre accaparée par le génocide des indigènes et des afro-descendants. L’un des moments déterminants de mise à l’épreuve de ce concept se situe à l’époque où l’Iphan2 a débattu l’autorisation ou non de la commercialisation de l’acarajé3 par McDonald’s lors de la Coupe du monde au Brésil, en 2014. Il n’est pas possible que McDonald’s vende des acarajés ! Si ce pays était aussi sérieux envers sa culture alimentaire comme l’affirment les chefs de cuisine à la télévision, nous n’aurions pas de chefs de cuisine qui s’approprierait les connaissances traditionnelles pour ensuite livrer notre

sque la culture est considérée comme indissociable de la garantie de la sécurité et de la souveraineté alimentaire. Le concept de culture alimentaire figure dans les Objectifs d’Aichi4, comme sauvegarde et atténuation des changements climatiques, et il se trouve aussi en dialogue direct avec la Convention de la Diversité Biologique5. La culture alimentaire est un concept que nous avons défendu en 2009, et qui ensuite, en 2011, a commencé à figurer à l’ordre du jour scientifique, à partir de l’article publié lors de la Rencontre Internationale des Connaissances Traditionnelles réalisées par le NEO, Noyau d’Études en Histoire Verbale de l’Université de São Paulo. Ensuite, il gagne l’espace public où il est légitimé comme garantie des droits, à partir de la Conférence Nationale des Peuples et Communautés Traditionnelles, réalisée également à São Paulo. Immédiatement après a été approuvé la motion 094, lors de la Conférence Nationale de la Culture, qui prévoit la mise en place d’un collège sectoriel de culture alimentaire dans le cadre du Ministère de la Culture, faisant de la culture alimentaire une expression culturelle brésilienne, avec sa structure sectorielle reconnue dans le cadre des politiques publiques, et ainsi, il est depuis lors possible de faire appel à des investissements du Fonds National pour la Culture et à intégrer également la politique nationale de la culture vivante avec les points de culture alimentaire. La culture alimentaire se situe à la fois dans le domaine du politique et dans le domaine universitaire au Brésil. En prenant position comme garantie des droits dans le domaine politique, nous avons une légitimation de discours et de concept quand la culture alimentaire se présente comme décentralisatrice du pouvoir, des revenus et des connaissances. Quand elle se positionne également comme protagoniste du discours des territoires, prononcés par ceux qui sont leurs scientifiques locaux et pas seulement par le scientifique universitaire. La culture alimentaire est un facteur d’émancipation et porte en soi la contre-colonisation.

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Cozinha Radicante: C’est parce que nous comprenons la

cuisine comme un art également et à partir de la volonté de faire entrer les saveurs de la cuisine dans les savoirs dans les salles de cours que nous avons créé notre cours-laboratoire. La présence de l’aliment dans l’histoire de l’art est extrêmement ancienne, depuis les peintures rupestres, en passant par La Cène jusqu’aux natures mortes hollandaises, ou aux compositions de fruits et de légumes d’Arcimboldo, le Déjeuner sur l’herbe de Monet, le restaurant FOOD de Gordon Matta-Clark, et les performances de Rirkrit Tiravanija, pour n’en mentionner que quelques exemples. Mais la présence des chefs dans les musées n’est que très récente. La participation de Ferran Adriá à la 12e Documenta de Kassel, en 2007, est peut-être le jalon de cette ouverture. En 2015, ton projet « Recette de porc la femme qui devient truie » a participé au Circuit des Arts à Belém. Pourrais-tu nous parler un peu de ce projet ? Quel est ton rapport avec l’univers de l’art et comment voois-tu l’idée « d’art indigène » ?

Tainá Marajoara: « Recette de porc la femme qui devient truie » pro-

pose un dialogue immédiat entre le « faisage » de l’aliment et l’intellectualité. Si nous réfléchissons à la construction de la pensée concernant la cuisine brésilienne et ce qui est à l’ordre du jour dans les universités du pays, nous trouvons un modèle eurocentriste et colonisateur du goût, de la pensée et de la pratique corporelle. Pour être considéré comme un bon cuisinier, il faut utiliser les mains d’une certaine manière, il faut effectuer des découpes aux noms européens et il faut penser à une cuisine et à une civilisation qui ne commence qu’après l’arrivée des européens au Brésil. Cette pensée est encore très courante dans l’œuvre de ceux que l’on appelle les grands intellectuels, les penseurs et les enseignants de cette gastronomie brésilienne, qui posent des questions totalement dépassées, notamment pour les peuples traditionnels, comme la classification des goûts sucré, salé, et les techniques de découpe, entre autres. Alors, quand j’écris « Recette de porc la femme qui devient truie » et que j’associe à l’écriture une performance contre-coloniale, c’est pour rendre cela visible. Et il y a une conception qui sert de fil conducteur à tout cela. Par exemple, les écoles brésiliennes enseignent la mythologie grecque, disons le centaure, un être mi-humain, mi-cheval, qui est considéré philosophique et intellectuel, qui fait partie de la mythologie qui fonde le système aristotélicien occidental d’enseignement. Il a une valeur de concept dans les universités brésiliennes et c’est une mesure d’intellectualité. Si quelqu’un sait parler de mythologie grecque, avec ce discours eurocentré, il est vu comme quelqu’un de doté d’une intelligence supérieure. Les mythes grecs sont présents dans la philosophie, dans la psychologie, dans la sociologie, ils sont à la base de la pensée des sciences humaines et artistiques. Mais, quand on parle de Marajó, de nos encantados6, de nos traditions et de nos visions originaires du monde, où ces êtres sont des personnes, sont des animaux, et des animaux qui se transforment en personnes et qui, à nouveau redeviennent animaux, alors, toutes nos relations métaphysiques, philosophiques, existentielles et leurs dérivations, toutes leurs déclinaisons au sein de notre société marajoara, sont vues par les colonisés comme des mensonges. Et considérés comme des légendes, d’une façon qui disqualifie l’histoire de celui qui la raconte. De même, ceux qui racontent les « encantados » sont considérés comme déloyaux, mensongers et plaisantins, car ils parlent de ces relations, comme celle de la femme qui devient truie, de l’homme qui devient cheval, de l’homme qui devient pirarucu7… « Recette de porc la femme qui devient truie » est là pour faire la contrecolonisation de la pensée, et son ordre du jour est l’alimentation. Quel est le dialogue de la femme qui est une encantaria8 et qui devient truie? Et quelle est cette recette de porc ? Comment cohabitons-nous aujourd’hui avec nos « enchantés » ? La même personne qui se transforme en truie, même portant un fardeau, ne caractérise aucun genre de danger ni d’inimitié quand elle n’est pas truie. Ce projet contient toutes les relations de ce système de pensée qui est un système en dehors de la connaissance occidentale. Il s’agit d’un système de pensée allant en parallèle, selon nos croyances et que nous portons depuis des siècles. Il n’est pas pour autant moins réel, moins intelligent, moins intellectuel, il n’a pas moins de déclinaisons et n’est pas moins légitime que la connaissance de ces gens intellectualisés qui acceptent la colonisation comme synonyme d’intelligence et de philosophie. L’effacement de l’identité a lieu à partir de l’effacement des enchantés. Et c’est ce dont traite la « Recette de porc la femme qui devient truie ». Je ne vois pas d’art indigène, ce qui existe, c’est une signature indigène, de même qu’il existe une signature européenne. Placer un art indigène, et que celui-ci ne soit vu que selon cet attribut et non pas comme de l’art contemporain, non pas comme une forme d’art dans un temps et un espace donnés, hors du contexte ethnique, c’est comme s’il avait toujours besoin de s’établir dans un lieu réservé où il ne pourrait jamais dialoguer avec la complexité et les rhizomes qu’il contient. 18

Cozinha Radicante: La casserole est peut-être le plus ancien

ustensile créé par l’homme, elle a permis la cuisson des aliments par le feu. Nous pourrions également considérer qu’elle est le plus ancien objet d’art. Comment définissez-vous les différences entre les ustensiles de cuisine indigènes et les Occidentaux ? Comment ces distinctions sont-elles présentes dans votre cuisine?

Tainá Marajoara: À quel point une chose est-elle ustensile de cui-

sine indigène et à quel point est-ce un ustensile de cuisine occidentale ? Qui s’est approprié quoi? Les passoires faites aujourd’hui de pétrole et d’acier inox sont sorties des torsades des arupemas9 et d’autres types de passoires. Il faut que ce débat s’instaure pour comprendre ce processus d’appropriation, de négociation culturelle et de production d’outils. Pourquoi toujours reprendre cette dichotomie : comment définir les limites de ce qui est indigène, occidental, primitif ou contemporain? C’est comme si nous placions la cuisine amazonienne dans un grand zoo d’observation, qu’il faille l’isoler dans un grand aquarium avec des personnes qui vont porter à jamais des vêtements folkloriques. Tel n’est pas l’objet de la cuisine. Je ne parle pas de culture indigène, ce dont je parle, c’est de connaissance traditionnelle et à partir de mon lieu de parole, qui est celui de la culture originaire marajoara. La compréhension même des outils et les techniques, par exemple, l’emballeuse sous vide qui est faite aujourd’hui à partir de pétrole et avec une production de déchets solides gigantesque, et utilisée dans des processus à l’échelle industrielle. Nous avons une connaissance traditionnelle, des modes d’emballage par cestaria10, qui fonctionnent comme emballage sous vide11 et qui permettent une conservation de la farine de jusqu’à deux ans. Les technologies de conservation par le poivre, les fruits acides, la graisse et les feuilles toxiques sont des technologies que certaines facultés de gastronomie au Brésil n’abordent pas ou n’enseignent même pas, elles ne voient pas ces techniques comme de la connaissance. Quant aux ustensiles, si nous pensons aux nattes qui sont utilisées dans la cuisine japonaise, elles sont considérées comme de la haute technologie de cuisine, on leur attribue un contenu intellectuel et la préparation des sushis est considérée comme sophistiquée. Alors que parler des techniques indigènes des poquecas12, d’autres préparations et des propres moquéns13, c’est situer la cuisine brésilienne dans un mode vétuste. Ce n’est donc pas l’ustensile indigène ou occidental qui va déterminer le chemin que va emprunter la cuisine brésilienne, mais la pensée de ceux qui sont capables de formuler un avis là-dessus. La surveillance sanitaire et nos agences régulatrices ne comprennent pas, par exemple, l’utilité des bois et de la céramique dans les processus de fermentation, dans les processus de caillage et de cultures de bactéries. Les ustensiles indigènes contiennent, effectivement, beaucoup de technologie, ce sont des ustensiles complexes. Imaginez que vous ayez un emballage sous vide fait à partir de feuilles de caeté14 et de miriti15, ainsi que d’autres techniques de conservation et de cuisson, comme les fours en argile ou les moquéns, les râpes, les presses, etc. Ce sont autant de processus artisanaux de haute complexité, comme dans le cas de la cuia. Une cuia16 supporte des produits surgelés, un plat bouillant, elle ne se casse pas, ne se fend pas, ne se fissure pas, et elle peut passer par vingt bouches dans une tournée de guaraná17 sans que les personnes ne se contaminent. Je crois que nous sommes tous d’accord à Iacitatá : ce n’est pas parce qu’il existe un processus nouveau que la culture originaire doit être annihilée. L’hygiène à outrance ne va pas mettre fin aux processus de fermentation naturelle et la tendance gourmet ne va pas dicter ce que je dois ou que je ne dois pas manger. Le racisme existant dans la cuisine et dans l’utilisation de techniques, d’ustensiles et de pratiques culturelles est aussi très marqué. La contre-colonisation inhérente à la culture alimentaire est là pour le dire. Elle vient dire que ce n’est pas cela, que nous avons une technologie, des processus d’innovation, des techniques complexes, un intellect, et que cela garantit la culture, la souveraineté alimentaire et nutritionnelle, outre la permanence des civilisations, de la forêt vivante, de l’eau propre, de la nature. L’un des points cruciaux au moment d’utiliser ce matériel dans le contexte de notre cuisine, c’est de penser à l’impact que cela produit sur l’environnement et sur la concentration de revenus. Quel est l’impact de l’utilisation d’un ustensile et d’un mode de production indigène sur notre cuisine, au lieu d’avoir une production sidérurgique, du pétrole qui tolère le génocide et la mortalité de la nature ? Ce sont là des critères que nous utilisons dans notre cuisine et qui nous différencient des autres.


Bâton de guaraná avec la langue du poisson Pirarucu utilisé pour le râper

Tamis indiens

Guaraná stick with the Pirarucu fish tongue used to grate it

Basket-strainers Fèves de cacao Cacao nibs

Cozinha Radicante: Le monde continue à voir l’Europe

comme un modèle de succès. Or, ce succès a été construit sur le colonialisme. L’introduction du lait dans l’alimentation en Asie, l’augmentation des carnivores en Inde et la consommation du soja au Brésil, par exemple, sont associées à la croissance d’une population de basse classe moyenne, et à une forte pression de l’industrie agroalimentaire mondiale. Contre ce mouvement de colonisation ont surgi des mouvements mondiaux, bien qu’encore peu nombreux, qui proposent une révolution. Pour en citer quelques-uns : le végétarisme, le véganisme et le slow food, tous liés entre eux et engagés politiquement en faveur du féminisme, du droit des animaux, des droits humains et du développement durable de la planète. L’Occident comprend le concept de culture en opposition à celui de nature. Comme si la culture était quelque chose qui nous libère d’un état « primitif », « sauvage », prétendument non cultivé. Divers auteurs, comme Eduardo Viveiro Castro et Eduardo Kohn remettent cette idée en question et réalimentent ce débat. Comme voyez-vous ce rapport ?

Tainá Marajoara: Je ne vois pas comment penser la nature en op-

position à la culture ou comprendre ces deux questions en opposition. La nature et l’interaction avec elle sont un facteur générateur de culture. Il n’est pas possible de dissocier l’alimentation de l’environnement, la culture alimentaire de la nature, de même qu’il n’est pas possible de dissocier de la respiration de la nature. Ce qui est considéré comme développement par la société accumulatrice capitaliste, c’est un développement à partir d’un concept de pillage, d’accumulation inutile, d’exploitation et de promotion de la pénurie. Cette compréhension de la société existe sur la base d’un concept d’offre et de demande où la faim et les injustices sociales sont fabriquées par les intérêts financiers. La misère n’a jamais été le résultat du manque d’argent, ni la faim du manque d’aliments. Ce que nous voyons aujourd’hui dans le monde, c’est que ce sont des problèmes provoqués par le système capitaliste et sa logique du pillage. Le Brésil vit actuellement une régréssion industrielle forcée et une énorme production contenant des poisons, entre autres choses bien pires au nom du développement, comme la prévision de construction de plus de cent barrages en Amazonie, l’utilisation d’aliments biofortifiés, l’utilisation intense de produits chimiques dans absolument tout, allant de l’absorbant intime au linge d’hôpital, aux jeans, à ce qui est con-

Poisson cuit dans le tucupi Fish cooked in tucupi

sidéré comme alimentation pour enfants, entre autres choses très graves. De quel développement parle-t-on ? Quel est ce progrès qui voit la nature comme une entrave ? Voici la grande question : vers où veut-on aller ? Il me semble que l’on veut faire avancer un processus d’accumulation de capital de plus en plus vorace, où l’extermination des populations est quelque chose de parfaitement programmé, car, dans le cas contraire, l’hémisphère nord mangerait aussi la poubelle qu’il condamne la population d’Amérique latine et d’Afrique à consommer. Je ne crois pas qu’il existe de progrès scientifiques, technologiques ou alimentaires sans respect de la nature. Si la nature n’est pas respectée dans tous ces processus, la destruction, la fin des ressources naturelles et de la biodiversité sera de plus en plus rapide. La société elle-même est mise en conflit en raison de la fragilisation de ses réserves naturelles. Nous avons déjà connu de nombreuses guerres dues à la pénurie d’eau, de pétrole, ou à cause de terres productives. Tous ces conflits sont aussi exacerbés par l’exploitation avide de la nature. Il est fallacieux de dire que les évolutions culturelles, scientifiques et des connaissances en général, que ce soit dans le secteur de la technologie sociale, de l’information ou de la technologie spatiale, peuvent être utiles sans tenir compte de la nature. Tous les progrès du bien-vivre ont toujours été en harmonie avec la nature. Les technologies transgéniques et agrochimiques nuisent, exploitent et exproprient, alors que nombre de technologies ancestrales et millénaires cherchent un processus évolutif, le droit de respirer, ce qui n’est déjà plus le cas dans de nombreuses parties de la planète. Le primitif est celui qui finance la bombe atomique, qui détruit tout de façon irrationnelle. Le primitif est le colonisateur du Sud-est18 brésilien qui pense pouvoir se conduire en jésuite en Amazonie, ou quand l’hémisphère nord pense qu’il peut coloniser, même de façon bienveillante, une intellectualité intégrative dans l’hémisphère sud. Il s’agit là de comportements primitifs. Il n’est pas possible de dire que le primitif est celui qui apporte des technologies qui aujourd’hui encore sauvent divers secteurs scientifiques et résolvent des questions comme la dépollution de nos baies qui dépendent de connaissances traditionnelles de l’utilisation d’algues filtrantes, la construction de ports ou de barrages pour contenir l’avancée des eaux. Alors, qu’estce que le primitif ? Ce concept de primitif est un illusionnisme, un discours catéchistique, où nous est imposée une position subalterne, résultant d’une incapacité à reconnaître le savoir produit par les cultures traditionnelles comme autant de connaissances avancées. 19


photo: Nailana Thiely

photo: Nailana Thiely photo: Nailana Thiely

Iacitatá Restaurant, Belém do Pará, Brèsil / Brazil

Tainá Marajoara

NOTES 2

Institut du patrimoine historique et artistique national

3

Acarajé: beignets da la cuisine de Bahia faits de nibiés. Une fois lavé, pelé et moulu, le haricot est transformé en une pâte, assaisonnée avec du sel et de l’oignon, qui est alors frite, par cuillérées, dans de l’huile de palme. (...) Comme tous les plats venus d’Afrique, l’acarajé a été réélaboré et recréé au Brésil, avec des éléments locaux, comme l’huile de palme. (Pequeno Dicionário de Gastronomia, Maria Lúcia Gomensoro) 4

En 2010, durant la 10e Conférence des Parties à la Convention de la diversité biologique organisée à Nagoya (Province d’Aichi, Japon) il a été établi le Plan stratégique pour la biodiversité avec l’élaboration d’un ensemble de 20 propositions dites Objectifs d’Aichi. Au long de ces dix ans, les gouvernants de 193 pays (dont le Brésil) et l’Union européenne seront encouragés à développer et à communiquer les résultats des stratégies nationales pour la mise en place de ces mesures : 1- Sensibiliser les gens à la valeur de la biodiversité 2- Intégrer les valeurs de la biodiversité au développement 3- Éliminer les incitations fiscales nuisibles et mettre en œuvre des incitations positives 4- Production et consommation durables 5- Réduire la perte d’habitats naturels 6- Pêche durable 7-Dvélopepment durable de l’agriculture, de l’aquaculture et de la sylviculture 8- Contrôle de la pollution des eaux 9- Contrôle d’espèces exotiques envahissantes 10- Réduction des pressions sur les récifs de corail 11- Étendre et mettre en œuvre des systèmes de zones protégées 12- Éviter les extinctions des espèces 13Conservation de l’agrobiodiversité 14- Restauration d’écosystèmes fournissant des services essentiels 15- Récupération des écosystèmes dégradés pour atténuation et adaptation aux changements climatiques 16- Mise en œuvre du Protocole de Nagoya 17- Élaboration et mise en oeuvre de la stratégie nationale de biodiversité 18- Respect des populations et des connaissances traditionnelles 19- Science et technologie pour la biodiversité 20- Mobilisation de fonds. 5

Élaboré durant le sommet de Rio, en 92, au Brésil, le CDB est considéré comme un document-clé pour le développement durable. 6 7

Expression se référant à la mythologie amazonienne.

C’est l’un des plus gros poissons d’Amazonie qui peut atteindre 3 mètres de long et peser plus de 250 kg. Il est doté de deux appareils respiratoires: les branchies, pour respirer sous l’eau et un poumon pour respirer l’air pendant la sécheresse. Sa chair est très appréciée dans la région. Sa langue, une fois séchée, est utilisée pour raper le bâton de guaraná, un mets amazonien.

20

8

L’encantaria est une forme de manifestation spirituelle et religieuse afro-amérindienne, pratiquée notamment dans les états de Piauí, Maranhão et Pará. Dans l’encantaria, les encantados (enchantés) ne sont pas nécessairement d’origine afro-brésilienne et ne sont pas morts, mais se sont “enchantés”, autrement dit, ils ont disparu mystérieusement, sont devenus invisibles ou se sont transformés en animal, en plante, en pierre, voir en êtres mythologiques. (Wikipédia) 9

Espèce de passoire en paille utilisée par les indigènes.

10

​La cestaria est l’ensemble d’objets - paniers-récipients, paniers-filtres, paniers de charge, pièges pour la pêche et autres -, obtenus par tressage d’éléments végétaux flexibles ou semi-rigides utilisés pour le transport de marchandises, le stockage, comme récipient, tamis ou filtre. Leur taille, leur forme, la décoration, la technique de manufacture varient, mais ils obéissent basiquement aux exigences dictées par leur fonctionnalité (Musée des Indiens) 11

Les paneiros sont un genre de vannerie en fibre végétale doublée de pailles des feuilles d’arumã qui parfument la farine avec leur arôme et en conservent la fraîcheur. 12

Tradition indigène de faire cuire sur la braise un aliment enveloppé dans la feuille.

13

Grille utilisée pour faire sécher ou fumer les aliments.

14

​Cette feuille large et longue, originaire de la région amazonienne, a une texture plus fine que celle du bananier et elle est donc plus malléable. Elle est aussi appelée bananier ornemental et elle était très employée dans les poquecas avant la prolifération du bananier sur le territoire brésilien. 15

Un palmier très haut, originaire de Trinidad et Tobago e des régions centrale et nord d’Amérique du Sud, notamment Venezuela et Brasil. Les Indiens se servaient aussi de cette feuille pour en faire des jouets. 16

Récipient fait du fruit de la calebasse, coupé en deux, utilisé par les Indens comme bol, pour y prendre, entre autres, le tacacá, une soupe indigène. 17

Guaraná : fruit d’une liane amazonienne, de la famille des sapindacées, ses graines sont riches en xanthines, substances excitantes (GOMENSORO Maria Lucia, Pequeno Dicionário de Gastronomia, ed Objetiva, 1999) 18

Le Sud-Est est la région formée par les États de São Paulo, Rio de Janeiro, Espírito Santo et Minas Gerais et qui concentre une grande partie du système économique du pays.


The Revolution Begins Through the Mouth! Cozinha Radicante: In 2015, the three of us – Rosa Branca, Rebecca

Lockwood and Ynaiê Dawson, two chefs and a visual artist, respectively – got together to create a laboratory of art and cuisine considering the borders and connections between these two universes. During our researches we came across a video of a talk you gave about food culture, which served to orient the course in Rituals of Culinary Art that we gave at the Escola de Artes Visuais do Parque Lage, in Rio de Janeiro, where we shared knowledge and tastes during the collective preparation of meals. This gave rise to Cozinha Radicante which currently, with the collaboration of artist Roberto Cabot, is participating in the exhibition Cookbook 19, curated by Nicolas Bourriaud, in Montpellier, France. Tainá, how do you define food culture?

Tainá Marajoara: ​Food culture is our knowledge about food, how we

make it, talk about it, and think about it, together with the symbolic dimension of food beyond its economic and social dimensions. The symbolic dimension comes in first place. Food culture is also based on the concepts set forth by the conferences and conventions and protocols of which Brazil is a signatory. Our culture is artisanal and is expressed through rites, prayers, practices and teachings transmitted down through the generations. Food culture is not only the preparation of food but the entire process of its making, and this includes the architectures, the songs, the navigations and other practices involved in the food culture system. It also includes gastronomy and the culinary insofar as they are integrated to culture. It is very important that one is aware of this, since there is a colonialist pressure for the gastronomic appropriation of food culture, and one of its worse consequences is to promote the annihilation of that very food culture. Gastronomy, by the etymology of the word, is the science of gastro – which has conventionally come to mean the study of the food system. Therefore, everything we understand as a product for eating is a gastronomic product, regardless of its origin or whether it is full of pesticides, if it is a ton of transgenic seeds, or if it is a dish derived from stolen land and the genocide of indigenous and black peoples. One of the key moments that put this concept to the test was when Iphan2 debated whether McDonald’s would be allowed to sell acarajé3 during the World Cup in Brazil in 2014. It is not possible for McDonald’s to sell acarajé! If this country were as serious about its food culture as the chefs make out to be on television, we would not have chefs appropriating traditional knowhows and handing over our genetic heritage to industry. Acarajé is essentially a sort of religious offering. The only person who can truly make acarajé is the

traditional chef/vendors of Bahia known as baianas de acarajé, because it is a devotion and part of a ritual, a spirituality from an African background. If it does not undergo this ritual, the acarajé is only a recipe, only a little ball of black-eyed peas. This is where the essential key of food culture lies, because food culture involves a wide range of aspects – knowledge about food, the art of its making, how it is used, handled, and talked about – which does not take place with the food industry. The food industry produces foods and processes them in accordance with materialist standards, it does not produce identity, does not carry out rituals, nor transmit knowledge from one generation to the next. Gastronomy needs to stop holding itself out as culture because it is not a synonym of culture. This only confuses people and benefits the industry of foods and poisons, doing the greenwashing, using deception to fill the coffers of the corporations. The difference between food culture and gastronomy is that the former advances the country toward food rights, especially the human right to adequate nutrition, which is an outcome of when culture is considered indissociable from the guarantee of food security and food sovereignty. The concept of food culture is considered in the Aichi Targets4, as a safeguard and ameliorator of climate change, and is also in direct dialogue with the Convention on Biological Diversity.5 Food culture is a concept that we discussed in 2009, and which in 2011 became a scientific topic, based on an article published during the International Meeting on Traditional Know-Hows, held by the Center for Studies in Oral History of the University of São Paulo. It then entered the public space, legitimized as a guarantee of rights, based on the National Conference of Traditional Communities and Peoples held in São Paulo. Soon thereafter it was approved in motion 094 during the National Conference on Culture, which foresees the implementation of a special agency for food culture within the Ministry of Culture, making food culture a Brazilian cultural expression, with a proper sectorial structure recognized by governmental agencies, being able to receive funds from the National Culture Fund and to be part of the Viva National Culture Policy, with its Food Culture Points. Food culture is positioned in the political field of Brazil just as it is positioned in the academic field. In order to ensure rights in the political field, the discourse and concept of food culture has been legitimized, and it has been presented as a force for the decentralization of power, income and knowledge, as when it emerges as a crucial factor in talks about territories, led by those who are their local scientists and not only the academic scientist. Food culture is empowering and offers a counter-colonial force.

Brède mafan, vigne d’ail, coriandre sauvage long et cupuaçu au fond Paracress, garlic vine, wild cilantro and cupuaçu at the back

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Cozinha Radicante: Because we understand cookery as also being

an art, and based on the desire to bring the flavors of the kitchen to the knowledge of the classroom, we created our laboratory course. The presence of food in the history of art is ages old, spanning from the prehistoric cave paintings to the painting of the Last Supper, and right up to the Dutch still lifes, or the compositions of fruits and vegetables by Arcimboldo, Luncheon on the Grass by Monet, Gordon Matta-Clark’s restaurant FOOD, and the performances by Rirkrit Tiravanija, to mention a few examples. But only recently have the chefs become present in museums as well. The participation of Ferran Adriá at Documenta 12 in Kassel, in 2007, is perhaps a milestone pointing to a new opening in this direction. In 2015, your project “Da receita de porco a mulher que vira porca” [From a pork recipe to the woman who turns into a pig], participated in the Circuito das Artes in Belém. Could you tell us a little about this project? How is it related with the art world and how do you see the idea of “indigenous art”?

Tainá Marajoara: “​Da receita de porco a mulher que vira porca” presents

an immediate dialogue between the making of food and intellectuality. If we reflect on the construction of thought in regard to Brazilian cookery and what vis taught in Brazilian universities, we find a Eurocentric and colonizing model of taste, of thought and corporal practice. To be considered a good cook one must use one’s hands in a certain way, make cuts with European names, and think about a kitchen and a civilization that started with the arrival of Europeans in Brazil. This thinking is still very common in the work of the so-called great intellectuals, thinkers and professors of this Brazilian gastronomy, who raise questions that are completely outmoded, especially for the traditional peoples, such as the knowledge of sweet and salty tastes, cutting techniques, etc. So, when I write “​Da receita de porco a mulher que vira porca” and ally it to the writing of a counter-colonial performance, it is to shed light on this. And there is a conceptual thread running through all of this. For example, the Brazilian schools teach Greek mythology, which has the centaur, a being which is half human, half horse, and is considered philosophical and intellectual, part of the mythology that underlies the Western Aristotelian system of thinking. If a person knows how to talk about Greek mythology, with this Eurocentric discourse in their speech, they are seen as someone of superior intelligence. The Greek myths are found in philosophy, psychology and sociology, they are at the basis of the human and artistic sciences. But, when someone talks about Marajó, and about our encantados6, our traditions and our original worldviews involving beings who are people and animals, where the animals can turn into people, and back into animals, then all our metaphysical, philosophical and existential relations and their derivations, together with all their unfoldings in Marajoaran society are seen by the colonized as lies. They are considered as legends, in a way that disqualifies someone’s history. And people who tell about the encantados are considered dishonest, liars and jokers, because they talk about these relations, like the woman who turns into a pig, the man who turns into a horse, the man who turns into a pirarucu7... “Da receita de porco a mulher que vira porca” operates as a counter-colonial thought device, based on food. How is the dialogue of the woman who through encantaria8 turns into a pig? And what sort of pork recipe is this? What is the nature of the contemporary relationship with our tales? For example, there, the person who is transformed into a pig, even if she has a burden, it does not present any sort of danger or hostility to anyone when she is not a pig. This project presents these relationships of this thought system, which lies outside the Western system. It is a thought system that takes place in a parallel way, according to our beliefs and which we have had for centuries. This does not make it unreal or less intelligent, less intellectual, less legitimate or with lesser unfoldings than the knowledge of the intellectualized people who accept colonization as a synonym of intelligence and philosophy. The erasing of identity takes place based on the erasing of folkloric tales, the encantados. And this is what “Da receita de porco a mulher que vira porca” deals with. I do not see an “indigenous art”; what exists is an indigenous signature in the same way that there is a European signature. Talking about an indigenous art, and seeing this only under this label rather than as contemporary art or as a form of art in a determined time and space, outside the ethnic context, makes it seem as though it must always be established in a reserved space where it can never dialogue with the complexity and the rhizomes that it contains.

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Cozinha Radicante: The cooking pan is perhaps the oldest utensil

created by man, which allows us to cook food using fire. We could also consider it as the oldest art object. How do you define the differences between the indigenous kitchen utensils and the Western ones? How do you deal with these distinctions in your kitchen?

Tainá Marajoara: To what point is something an indigenous kitchen uten-

sil and to what point is it a Western cooking utensil? Who appropriated what? The sieves made today from petroleum and stainless steel are derived from the woven arupemas9 and other sorts of colanders. This debate needs to be raised in order to understand this process of appropriation, of cultural negotiation and the production of tools. Why is this dichotomy always made? How do you define the limits between what is indigenous, Western, primitive or contemporary? It is as though we put the kitchen into a large zoo for observation, as though it needs to be isolated in a large aquarium with people who dress forever in a folkloric way. And this is not what the kitchen is about. I’m not talking about indigenous culture, but about what traditional knowledge is, based on the standpoint from which I speak, which is that of the original Marajoaran culture. In terms of tools and techniques, we can consider, for example, the modern vacuum packaging machine, made on the basis of petroleum, produced with a huge amount of solid residue, and used in a process of industrial scale. For our part, we have a traditional knowledge, which is a way of packaging through basketwork10, which operates like vacuum packaging, called paneiros11, that allows for the storage of flour for up to two years! And we also have the technologies of conservation in pepper, in acidic fruit, in fat and in poisonous leaves, which are technologies which the colleges of gastronomy Brazil do not teach, or consider as knowledge. In regard to the utensils, if we think about how mats are used in the Japanese kitchen, they are considered as a high technology, in the sophisticated procedure of rolling sushi. Meanwhile, when talking about the indigenous techniques of the poquecas12, or of other modes of preparation including the moquéns13, the tendency is to put Brazilian cookery in an outmoded light. So, it is not the indigenous or Western utensil that will determine the direction Brazilian cookery is going to take, but rather the thought of who is able to formulate an opinion on this. Our health authorities and regulating agencies do not understand, for example, the uses of various sorts of wood and ceramics in the processes of fermentation, curdling and the culturing of bacteria. The indigenous utensils contain a great technology, they are complex utensils. You have a vacuum packing that is made based on caeté14 and miriti15 leaves, along with other techniques of conserving and cooking, like the clay ovens or the moquéns, the graters, the presses, etc. They are all highly complex artisanal processes, as is the case of the cuia. The cuia16 can be used as a recipient for both frozen and boiling foods, it does not break, crack or chip, and can be passed from mouth-to-mouth around a circle of twenty people drinking guaraná17, without risk of contamination. I think that the important understanding at Iacitatá concerning this is to see that just because a new process exists, the original culture does not need to be annihilated. Obsessively rigorous sanitation will not end the processes of natural fermentation nor will gourmetization dictate what I should or should not eat. The racism existing in the kitchen and in the use of cultural practices, utensils and techniques is also very strong. The counter-colonization inherent to food culture speaks about this. It says that we do indeed have technology, innovative processes, complex techniques, and intellectuality, and that this ensures culture and nutritional and food sovereignty, as well as the permanence of civilizations, of the living forest, of clean water, of nature. One of the crucial points when it comes to using these materials in the context of our kitchen is to think about the impact this generates in the natural environment and on the distribution of income. What is the impact of the use of indigenous utensils and an indigenous mode of production in our kitchen, instead of having a steelmaking and petroleum industry that conspires with genocide and the killing of nature? These are measures that we use in our kitchen and which set us apart from the others.


Cozinha Radicante: The world continues to look at Europe as a model of success, and this was built on top of colonialism. The introduction of milk as food in Asia, the growing number of in meat eaters in India and the consumption of soybeans in Brazil, for example, are associated to the growth of a lower-middle-class population, together with strong pressure from the global agrofood industry. Running counter to this movement of colonization, a few worldwide movements have arisen that are proposing a revolution. These include vegetarianism, veganism and the slow food movement, all politically committed and correlated with feminism, the rights of animals, human rights and sustainability of the planet. The Western world understands the concept of culture in opposition to that of nature, as though culture were something that would free us from a “primitive,” “wild,” and supposedly acultural state. Various authors, such as Eduardo Viveiro de Castro and Eduardo Kohn have been questioning and contributing to this debate. How do you see this relationship?

Tainá Marajoara: ​I do not see how to perceive nature in opposition to

culture or to understand these two questions in mutual opposition. Nature, along with our interaction with it, is a generative factor of culture. It is not possible to dissociate food from the natural environment, to dissociate food culture from nature, just as it is impossible to dissociate breathing from nature. What is considered development by the capitalist society of accumulation is a development based on a concept of plunder, accumulation, exploitation and the promotion of scarcity. This understanding of society rests on the basis of a concept of supply and demand where hunger and the social ills are due to financial interests. Misery never resulted from the lack of money, nor hunger from the lack of food. Rather, what we see in the world today is that these problems are provoked by the capitalist system and its logic of plunder. Brazil is going through a process of forced industrial insourcing and the intensive production of supplies, among other even worse things, in the name of development that includes, for example, the planned construction of more than one hundred dams in Amazonia, the use of biofortified foods, the intense use of chemical products in absolutely everything from tampons to jeans and hospital gowns, and even baby food, along with a host of other very serious developments. What sort of development are they talking about? What advance is this that sees nature as an obstacle? This is the big question: where do we want to advance to? It seems to me that they wish to advance an increasingly voracious process of capital accumulation, which includes the extermination of entire populations as part of its program, since if this were not the case, the Northern Hemisphere would also eat the trash that it condemns the populations of Latin America and Africa to consume. I do not believe that there are true scientific, technological or nutritional advances without the respect of nature. If nature is not respected in all these processes, then the annihilation and end of the natural resources and of biodiversity become increasingly imminent. Society itself is placed into conflict by the destruction of its natural resources. There are already many wars being fought over the scarcity of water, petroleum or productive fields. All of these conflicts are exacerbated by the greedy abuse of nature. It is a fallacy to say that the evolutions in culture, science and general knowledge – whether in the area of social technology, information technology or spatial technology – can be useful without taking nature into account. In my opinion, all the real advances toward a truly better life should be in harmony with nature. The transgenic technologies and the industrial fertilizers and pesticides harm, exploit and expropriate, while many ancestral and age-old technologies seek an evolutionary process, the right to breathe, which is something that is lacking in many parts of the planet. Primitiveness is what finances the atomic bomb, what destroys everything in an irrational way. The primitive people are the colonizers of the Brazilian Southeast18 who think they can operate with Jesuit methods in Amazonia, or when the Northern Hemisphere thinks that it can colonize, even if in a benevolent way, an integrative intellectuality in the Southern Hemisphere. These are primitive behaviors. On the other hand, the label of “primitive” cannot be applied to a culture which is the bearer of technologies that yet today contribute to various scientific areas and solve issues such as, for example, the environmental cleaning of our bays (which depends on traditional knowledge in the use of filtering algae), or the construction of ports or dams to stop the flow of the waters. So, what is primitive? This concept of the primitive is an illusionism, a catechizing discourse, which relegates us to a subaltern position, stemming from an inability to recognize the knowledge produced in the traditional cultures as being an advanced knowledge.

NOTES 2

The Brazilian National Institute for Artistic and Historical Heritage.

3

Acarajé: a Bahian delicacy consisting of little balls made from black-eyed peas. After being washed, hulled and ground, the beans are transformed into a paste, seasoned with onions and salt, and then fried, by the spoonful, in dendê palm oil. […] Like all the dishes originating from Africa, acarajé was re-elaborated and re-created in Brazil, with local elements, such as dendê palm oil [as defined in the Pequeno Dicionário de Gastronomia, by Maria Lúcia Gomensoro]. 4

In 2010, during the 10th Conference of the Parties to the Convention on Biological Diversity held in Nagoya (province of Aichi, Japan) a Strategic Plan for Biodiversity was established with 20 proposals called the Aichi Targets. Throughout these ten years the governments of 193 countries (including Brazil) and the European Union will be encouraged to develop and communicate the results of their national strategies for the implementation of these measures: 1- Raise awareness about the value of biodiversity. 2 - Integrate the values of biodiversity in the country’s development. 3 - Eliminate harmful incentives and implement positive incentives 4 - Sustainable production and consumption. 5 - Reduce the loss of native habitats. 6 - Sustainable fishing. 7 Sustainable agriculture, fish farming and tree farming. 8 - Control of water pollution. 9 - Control of exotic invasive species. 10 - Reduction of pressures on coral reefs. 11 - Expanding and implementing systems of protected areas. 12 - Avoiding the extinction of species. 13 - Conservation of agrobiodiversity. 14 - Restoration of ecosystems providing essential services. 15 - Recovery of degraded ecosystems for mitigation of and adaptation to climate changes. 16 - Implementation of the Nagoya Protocol. 17 - Elaboration and implementation of the National Biodiversity Strategy. 18 - Respect for traditional populations and know-hows. 19 - Science and technology for biodiversity. 20 - Mobilization of financial resources. 5

Drawn up during Eco-92, in Brazil, the CDB is considered a key document for sustainable development. 6

These are folkloric tales of enchantments originating in Amazonian mythology.

7

One of the largest fishes of the Amazon, as long as three meters in length and weighing up to 250 kg. It has two respiratory systems: gills, to breathe under the water, and lungs to breathe air during the dry season. Its meat is highly appreciated in the region. Its dried tongue is used to grate guarana sticks, a Brazilian delicacy. 8

Encantaria is a form of Afro-Amerindian religious and spiritual manifestation practiced mainly in the states of Piauí, Maranhão and Pará. In Encantaria, those who are enchanted are not necessarily from an Afro-Brazilian origin and do not die, but rather become enchanted in the sense of mysteriously disappearing, becoming invisible, or being transformed into animals, plants, stones or even mythological beings. (Wikipedia) 9

A sort of sieve made of straw used by indigenous peoples.

10

​Basketwork is the set of objects – basket-recipients, basket-strainers, basket-carriers, fishing traps, and others – obtained by the weaving of flexible or semirigid materials obtained from plants and used for transporting loads, storage, receptacles, sieves or strainers. They vary in terms of size, shape, decoration, and technique of manufacture, but basically obey the requirements dictated by their functionality. (Museu do Ìndio) 11

Paneiro is a vacuum packaging make of basketwork using arumã leaves that perfume and preserve the manioc flour. 12

Indigenous tradition of cooking foods by rolling them in leaves and placing them over hot coals.

13

Grid of rods used to dry or smoke foods.

14

This wide, long leaf has a thinner texture than the banana leaf and is therefore more malleable. Of Amazonian origin, it is also called an ornamental banana tree and was much used in poquecas before the proliferation of banana trees through the Brazilian territory. 15

​A very high palm tree, native to Trinidad and Tobago and the central and north regions of South America, especially Venezuela and Brazil. The Indians also used this leaf to make toys. 16

Recipient made from the fruit of the gourd tree, cut in half, used by the Indians as a bowl for eating various foods, including tacacá, an indigenous soup. 17

Guaraná is the fruit of an Amazonian vine from the family Sapindaceae with seeds rich in xanthines, which are ergogenic substances. (GOMENSORO Maria Lucia, Pequeno Dicionário de Gastronomia, ed. Objetiva, 1999) 18

The Brazilian Southeast is the region consisting of the states of São Paulo, Rio de Janeiro, Espírito Santo and Minas Gerais, where a large part of the country’s economic system is concentrated.

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L’estomac qui pense La sémiose de la forêt Le Brésil continue à digérer son histoire et ses influences multiculturelles à la recherche d’une identité propre. Mais on observe une forte résistance du Brésilien à accepter l’indigène en lui, même s’il est plus facile d’identifier le non-indien que l’indien. Nous avons hérité les habitudes des Amérindiens, qui forment la base de notre société, même s’il existe depuis la « découverte » des Amériques un projet de blanchissement de la population. Pour citer deux exemples simples de ces habitudes : la consommation du manioc dans l’alimentation quotidienne et le penchant à prendre plusieurs bains par jour. Méditant sur ces pensées, il m’est revenu en mémoire le livre « Comment pensent les forêts », de l’anthropologue Eduardo Kohn. Celui-ci nous explique que la forêt pense, et qu’il ne s’âgit pas là d’une métaphore. Si la culture est construite au moyen de symboles et que la pensée humaine n’est pas la seule manière de penser qui soit, alors il existe aussi d’autres réalités et d’autres formes de représentation. Ce qui nous sépare des autres êtres, ce n’est pas notre corps, mais notre mental. La langue et la sémiotique ne sont possibles et compréhensibles qu’intégrées dans un monde où il existe des autres qui construisent aussi des sémioses, même si elles ne sont pas humaines et culturelles. Cela est important, et pas uniquement pour que les Brésiliens valorisent les peuples traditionnels et originaires. Kohn se risque à dire que si le monde respectait davantage ceux qui habitent les forêts, on pourrait trouver la clé pour une vie meilleure, libre de souffrances, d’anxiétés, d’afflictions, d’inégalités sociales et de guerres. Alors que les Amérindiens vivent en totale harmonie avec la nature, l’homme dit civilisé détruit tout autour de lui et vit dans l’angoisse. Considérons le rapport avec la consommation de viande : c’est devenu une question métaphysique et non plus nutritionnelle. Dans son texte « La leçon de sagesse des vaches folles », Claude Lévi-Strauss voit une similitude entre le carnivore et le cannibale, et il ajoute que viendra un temps où tous regarderont en arrière et seront horrifiés du fait de massacrer des animaux comme s’ils étaient des laboratoires nutritionnels. Mais, dans la forêt, l’entendement est tout autre. L’âme de tous les êtres est la même, ils ne se différencient que par leurs vêtements.

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Donc, celui qui chasse, respecte l’animal comme s’il était un semblable et non pas un être inférieur. Dans la forêt, tout est vraiment différent. Il n’existe que l’instant et l’éternel ; le rêve est la suite de l’éveil et les êtres vivants cohabitent avec les esprits. La nature est faite de trames reproduites en langage graphique et en peintures corporelles. Enfin, penser en syntonie avec la forêt, c’est être capable de lire ses symboles. Pour les Amérindiens, l’économie et le marché sont la forêt. Quand les premiers Occidentaux arrivèrent aux Amériques, ils y trouvèrent des parcs et des terres agricoles qui s’étendaient avec des plantations intégrées à la forêt, en harmonie avec la nature. Ils y trouvèrent des centaines de villages et de villes populeuses reliées par des routes, et la domestication des plantes par leurs habitants concernait, outre le manioc, l’ananas, le poivre, la tomate, le cacao, le tabac, la pomme de terre et le maïs, entre autres aliments aujourd’hui répandus dans le monde. La forêt amazonienne n’a jamais été une forêt vierge, comme beaucoup veulent nous le faire croire. Or, dans le reste du monde, même le simple acte de semer des légumes et des fruits est compliqué, car les grandes corporations, comme Bayer Monsanto, dominent le marché avec les brevets de leurs semences stériles, qui encouragent la monoculture extensive et l’usage effréné de produits toxiques. Ces monopoles empêchent également les petits agriculteurs de commercialiser des aliments bio et des semences saines. Conséquences de l’Ère Moderne, les restrictions alimentaires sont une stratégie de domination économique qui a commencé dans l’agriculture coloniale, puis a continué avec les marchés maritimes des XVIIe et XVIIIe siècles et se poursuit avec l’industrialisation. Replantar ce que l’on mange est devenu un acte révolutionnaire dans ce monde du post-traditionnel et de la post-vérité. Alors que les humanistes ont isolé l’homme de la nature, les Amérindiens ont retardé le plus possible l’anthropocène, retardant par là le changement climatique aux effets dévastateurs que beaucoup ressentent déjà. Les indigènes de la forêt nous disent que la mère nature a envoyé un message et que le problème du monde est un problème spirituel. L’heure est peut-être venue d’écouter ces signes.


A Thinking Stomach The Semiosis of the Forest Brazil is still in the process of assimilating its history and multicultural influences in the search for its own identity. But we find that the Brazilian is strongly resistant to accepting the indigenous person within him, despite that it is easier to identify who is not an Indian than the converse. We have inherited habits from the Amerindians which underlie the basis of society even though ever since the “discovery” of the Americas there has been a project for the whitening of the population. To cite two examples of these habits, we have the consumption of manioc as a staple food and our penchant for taking several baths a day. These thoughts bring to mind the book How Forests Think, by anthropologist Eduardo Kohn. He explains to us that the forest thinks and this is not a metaphor. If culture is constructed through symbols, and human thought is not the only sort of thinking that exists, then other realities and forms of representation also exist. What makes us different from other organisms is not our body but our mind. Language and semiotics are only possible and comprehensible when integrated in a world where there are others that also carry out semiosis, even if they are not human and cultural. Valorizing traditional and original peoples is important not only for Brazilians. Kohn states that if the world had more respect for the people who inhabit the forest, it could find the solution for a better life without suffering, anxieties, afflictions, social inequalities and wars. While the Amerindians are in total harmony with nature, the so-called civilized man destroys everything around him and lives in a state of constant anguish. Look at relationship with the consumption of meat that has become a metaphysical question, no longer merely a nutritional one. In the text Lesson in Wisdom from Mad Cows, Claude Lévi-Strauss sees a similarity between the carnivore and the cannibal, and also says that there will be a time when everyone will look back and be horrified by the fact that they slaughtered animals as though they were nutritive laboratories.

Therefore, when they hunt, there is a respect for the animal as though it were a peer rather than an inferior. The forest people live in a very different sort of world. There only exists the instant and the eternal, dreaming is the continuation of being awake, and the living beings live together with spirits. Nature is full of weavings reproduced in the language of graphic art and body paintings. In short, thinking with the forest is having the ability to read these symbols. For the Amerindians the economy and the market are the forest. When the first Europeans arrived in the Americas, there were extensive parks and agricultural lands integrated to the forest, in harmony with nature. There were hundreds of villages and populous cities interconnected by roads, and the species of plants domesticated by the inhabitants included the manioc, the pineapple, the pepper, the tomato, cocoa, tobacco, the potato and corn, among other foods that are now spread around the world. The Amazonian forest was never a virgin forest as many people would have us believe. In the rest of the world, even the simple act of planting vegetables, grains and fruits is complicated because large corporations, like Bayer Monsanto, dominate the market with their patented sterile seeds and sprawling monoculture with the unbridled use of toxins. These monopolies also hinder small farmers from commercializing organic food and healthy seeds. As consequences of the modern era, the food prohibitions are a strategy of economic domination that began in colonial agriculture, and later continued with the maritime markets of the 17th and 18th centuries and the strengthening of industrialization. Replanting what one eats has become a revolutionary act in this post-traditional world of post-truth. While the humanists isolated man from nature, I prefer to believe that the Amerindians delayed as much as possible the advent of the Anthropocene Era, which has led to climate change with its devastating effects that are already afflicting many people. The natives of the forest say that Mother Nature has given a message and that the world’s problem is spiritual. Perhaps it is high time that we pay heed to these signs.

But in the forest the understanding is different. All the animals have the same soul, the only difference lying the different clothes that it wears. photos dans cette page / photos on this page: Ianomamis par / by Louise Botkay

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Restes du banquet: le mosaïque romain de la Salle non balayée The leftovers of a banquet: the Roman unswept floor mosaics

C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes En fait, ni la propreté ni la pureté n’existent vraiment. Cette croyance exagérée trompe et dénature la réalité. Mais, dans la Rome ancienne, on était assez serein sur ce point. Entre bains et philosophie, ils avaient l’habitude de jeter les restes du banquet par terre tout en mangeant. Cette habitude a d’ailleurs influencé nombre d’artistes qui ont créé des mosaïques de sols comportant des représentations de restes d’aliments. Ces merveilleux sols non balayés (Unswept floors) sont parmi les premiers trompe-l’oeil connus dans l’histoire de l’art. La notion d’hygiène est si relative que l’on peut imaginer la surprise des premiers Européens arrivés au Brésil voyant les Amérindiens prendre plusieurs bains par jour, habitude normale aujourd’hui et qui est probablement l’une des diverses influences amérindiennes sur la culture mondiale. Outre le fait de se rafraîchir, c’était une manière instinctive de rester en bonne santé et de prendre soin de ce que les scientifiques appellent aujourd’hui le microbiote. Nous sommes tous dotés de ce système organique considéré comme un organe où habitent des milliards de microorganismes épapíllés sur la peau, dans les intestins, les poumons, etc. Le nombre de cellules composant le microbiote est 1,3 fois plus grand que la quantité de cellules endogènes qui composent le corps. Autour de ce débat, au seuil du XXe siècle, deux microbiologistes français, Louis Pasteur et Antoine Béchamp ont été en franc désaccord sur la manière de traiter la stérilisation. Le premier considérait qu’il était nécessaire d’éliminer tous les microorganismes exogènes du corps pour combattre les maladies, méthode adoptée jusqu’aujourd’hui par l’industrie alimentaire dans le processus de pasteurisation. Le second défendait, au contraire, qu’en éliminant toutes les bactéries, on éliminait probablement les bonnes également. L’idéal, selon lui, était de créer un terroir propice qui favoriserait la prolifération et la survie des microorganismes que l’on veut préserver. C’est exactement ce que les humains ont toujours fait tout au long de leur histoire. Ils utilisent les microorganismes pour la fermentation et la maturation des aliments, pratique très populaire. Nous pouvons citer comme exemples le fromage, le vin, le pain, le vinaigre, les conserves en général, et même le « tucupi », bouillon résultant du processus de pressage de la farine du manioc, ou encore le « cauim », un sous-produit du tucupi qui est un genre de boisson fermentée semblable à la bière. Deux recettes inventées par les Amérindiens qui considèrent que la digestion commence en dehors du corps, de la crudité à la putréfaction. La stérilisation généralisée nous tuerait, et c’est forte de cette certitude que doit avancer l’humanité, toujours en harmonie avec la nature. Car les hommes et le monde sont une seule et même chose. Et chaque micro-morceau est une partie importante d’une merveilleuse mosaïque appelée planète Terre. 26

Good Food is Made in an Old Pan Cleanliness and purity do not in fact exist. This exaggerated belief is illusory and distorts reality. In ancient Rome they were not uptight about these things. Between baths and philosophy, the people would throw the banquet scraps onto the floor while they ate. This habit influenced many artists to create mosaics of floors already with depictions of pieces of food. These marvelous unswept floors are the first trompe l’oeil known in the history of art. The notion of hygiene is so relative that we can only imagine the surprise of the first Europeans who arrived in Brazil and saw that the Amerindians took several baths a day, a habit that is normal today and probably another Amerindian influence on world culture. Besides being refreshing, it was an instinctive way to remain healthy and to take care of what scientists call the microbiota. We all have this organic system, which has just recently come to be recognized as an organ of our body, home to billions of microorganisms spread around the skin, intestines, lungs, etc. The number of cells that compose the microbiota is 1.3 times greater than the quantity of endogenous cells that compose the body. In regard to this debate, at the turn of the 20th century, two French microbiologists, Louis Pasteur and Antoine Béchamp, intensely disagreed about the proper use of sterilization. Pasteur thought it was necessary to eliminate all the exogenous microorganisms from the body to combat diseases, as is done in the food industry until today in the process of pasteurization. Béchamp advocated the contrary, pointing out that by eliminating the bad bacteria, one would most likely eliminate the good ones as well. According to him, the ideal method is to create an appropriate terroir​that favors the proliferation and survival of the microorganisms that one wishes to preserve. This is precisely what the humans have been doing throughout their history. They use microorganisms for the fermentation and ripening of foods, a very popular practice. As examples we have cheese, wine, bread, vinegar, all the types or preserves, and foods like tucupi, a broth that results from the process of pressing manioc flour, as well as cauim, a subproduct of tucupi, which is another sort of fermented drink similar to beer, both recipes invented by the Amerindians who consider digestion as something that begins outside the body, in a spectrum extending from rawness to putrefaction. Generalized sterilization would kill us and it is in light of this certain fact that we should move humanity forward always in harmony with nature. After all, humans and the world are part of a single whole. Each micro part contains all of the important parts of the marvelous mosaic called Earth.


Comment former un organisme

How to Educate a Collective

collectif

Organism

Manger n’est pas une action naturelle, mais une manifestation culturelle d’un organisme collectif. La nourriture est un patrimoine et l’école est un bon endroit pour former le goût, découvrir les merveilles de la nutrition et pratiquer la culture alimentaire. L’accès à la nourriture de qualité est un droit fondamental et l’heure du repas est un rituel à pratiquer en groupe, un moment où les enfants peuvent découvrir de nouveaux goûts, de nouvelles odeurs et de nouvelles perceptions. La culture alimentaire fortifie une société, car elle porte en elle des histoires, des actions et des pratiques contemporaines quotidiennes, outre la santé, le bien-être, le corps étant en harmonie avec l’environnement.

Eating is not a natural action but rather a cultural manifestation of the collective organism. Food is a heritage and the school is a good place to educate the tastes, to discover the wonders of nutrition and to practice food culture. Access to quality food is a fundamental right, and meal time is a ritual to engage in as a group where children can develop new tastes, smells and perceptions in general. Food culture strengthens a society as it involves stories, actions and daily contemporary practices, as well as health, well-being with the body and harmony with the natural environment.

Il est possible de mettre sur pied des cours pratiques dans une cuisine, sous forme d’ateliers d’art, où les professeurs sont des chefs. Ces actions artistiques liées la nourriture doivent soulever des questions comme le gaspillage d’aliments, le problème de l’industrialisation, le développement durable, les impacts culturels, l’agroalimentaire, l’agriculture familiale, les aliments bio, le slow food, le véganisme, une critique de la séparation nature/culture, l’anthropocène, le féminisme, les droits des animaux, la question de genre, entre autres. Les écoles peuvent inclure des activités présentant des modes de vie alternatifs, comme le propose le romancier et poète Joseph Delteil dans son livre « Cuisine paléolithique ». Au début du XXe siècle, il abandonne la vie parisienne agitée des surréalistes, et retourne vivre à la campagne, prônant la nécessité de la désindustrialisation. Son livre est un classique en faveur de la cuisine naturelle. Roland Barthes pourrait aussi faire partie des bibliographies de l’art culinaire. Dans son texte « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine », il analyse la nourriture comme une manière de communication ayant sa propre grammaire. Il affirme que la polysémie de la nourriture est une caractéristique de la modernité. Comparant la signification du sucre, il la voit totalement différente dans la culture française et dans l’américaine, et il analyse encore comment la sémantique du café dans la société s’est transformée au fil du temps. Enfin, quand les gens cuisinent ensemble, ils ressentent des émotions complexes et échangent des expériences dans le domaine de la créativité. Dans « L’Esthétique relationnelle », de Nicolas Bourriaud, le repas et la convivialité autour de sa préparation sont considérés comme un art, en raison des liens qu’ils créent entre les personnes. Quant à Michel Foucault, il parle d’éthique de la nourriture et de la sexualité dans l’alimentation. Il se demande si les décisions prises par quelqu’un, en ce qui concerne ce qu’il mange au long de sa vie, peuvent être considérées en soi comme un travail d’art.

Practical classes in the kitchen can be developed for students in a form similar to art studios, with chefs as teachers. These artistic actions linked to food should consider issues such as food waste, the problem of the food industry, sustainability, cultural impacts, agribusiness, family agriculture, organic foods, slow food, veganism, a critique of the nature/culture separation, the Anthropocene Era, feminism, the rights of animals, the question of gender, and others. The schools can include activities that present alternative ways of life, such as the one proposed by writer and poet Joseph Delteil in his book Paleolithic Cuisine. In the early 20th century, he abandoned the hectic life among the surrealists in Paris, and returned to the countryside, espousing the need for deindustrialization. His book is a classic in favor of the natural kitchen. Roland Barthes can also be part of the curricula of culinary art. In his text “Toward a Psychology of Contemporary Food Consumption” he analyzes food as a form of communication with its own grammar. He states that the polysemy of food is a characteristic of modernity. He shows that the meaning of sugar is very different in French as compared to American culture and analyzes how the semantics of coffee in society has transformed over time. In short, when people cook together they develop complex emotions and exchange experiences in the field of creativity. In the book Relational Aesthetics, by Nicolas Bourriaud, the meal and the shared experience around its preparation are considered an art in light of the relationships they create among people. For his part, Michel Foucault talks about food ethics and sexuality in food. He analyzes whether the decisions that people make in relation to what they eat throughout the life can be considered a work of art.

Tapioca coloré par l’eau de beterrave Tapioca coloured with water from cooking beetroot


C’est la dose qui fait le poison

L’esthétique contemporaine de complexité et d’interactions, qui s’exprime également dans l’esthétique artistique de notre temps, nous permet de faire une nouvelle analyse de la nutrition. La pensée radicale du tout ou rien, qui s’est exacerbée avec la Modernité, est ce qui nous éloigne de la bonne alimentation. En fait, lorsque nous choisissons de manger quelque chose, en règle générale, nous choisissons de ne pas en manger une autre. Mais il n’est pas nécessaire de se priver, car, même en mangeant de temps en temps quelque chose de peu recommandable, il faut savoir que c’est ce que nous mangeons le plus fréquemment qui définira ce que nous sommes. Comme le disait Paracelse, naturopathe du XVIe siècle, c’est la dose qui fait le poison. Même l’aliment le plus sain en excès peut faire du mal. Curieusement, les doses idéales figurent dans les recettes traditionnelles qui nous procurent aussi du plaisir. La médecine chinoise et l’ayurveda indien font de la nourriture leur remède depuis des millénaires.

Fort heureusement, depuis Hipocrate, la médecine occidentale avance peu à peu vers la cure par l’alimentation. Diverses recherches récentes nous montrent des résultats surprenants et accessibles à tous dans le livre « Comment ne pas mourir », du Dr Michael Gregor, médecin en lutte contre la manière dont la médecine est encore pratiquée dans la plupart des cas en Occident. Pour le docteur Gregor, la réponse à tous les doutes nutritionnels se trouve dans l’arc-en-ciel. Les apparences ne trompent pas. Les couleurs indiquent les antioxydants fondamentaux pour éviter les maladies modernes, les soigner, et ralentir le vieillissement. Si, dans le monde industrialisé, nous mangeons plus d’aliments pâles, blancs et beiges, ce sont, de loin, les colorés les plus sains. Le grand méchant de l’alimentation, c’est l’industrie avec ses aliments traités, qui retire ou ajoute toujours quelque chose. Bref, si c’est quelque chose qui vient de la plante, mangez-le. Si cela vient de l’usine, évitez-le.

dessins / drawings: Roberto Cabot

The Dose Makes the Poison The contemporary aesthetics of complexity and interactions, which is also expressed in the artistic aesthetics of our time, allows for a new analysis on nutrition. The radical thinking of “all or nothing,” which was exacerbated with modernity, is what keeps us away from good eating habits. It is true that when we choose to eat something, we generally choose not to eat something else. But it is not necessary to completely give up any given food, because even if we eat something not very healthy once in a while, we still know that what we generally eat is what defines what we are. As stated by Paracelsus, a naturopathic a doctor of the 16th century, the dose makes the poison. Even the healthiest food in excess can be harmful. Curiously, the ideal doses are in traditional recipes that we also enjoy. Chinese medicine and the Ayurveda tradition of India have consid-

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ered food as a medicine for millennia. Fortunately, since Hippocrates, Western medicine has slowly advanced to the point where it now appreciates the curative powers of food. Various recent researches have shown surprising results accessible to everyone in the book How Not to Die, by Dr. Michael Gregor, a doctor who fights against the way that medicine is still practiced by most physicians in the West. For Dr. Gregor, the response to all the nutritional questions is in the rainbow. Appearances do not deceive. The colors are the essential antioxidants for preventing and curing modern illnesses, and to slow down the aging process. In the industrialized world we eat more pale, white and beige foods, while the colorful ones are by far the healthiest. The great villain of proper eating is industrial food processing that always takes something out and adds something else. In short, if it comes from the plant, eat it. If it comes from the factory, avoid it.


Le normal et le naturel du carnisme Si ceux qui ne mangent pas de viande sont végétariens ou végans, il nous manque un mot pour désigner ceux qui en mangent. La psychologue Melanie Joy a écrit un livre définissant cette habitude comme le carnisme. Elle y propose de déconstruire la mythologie de la viande. La plupart des gens vivent sous l’emprise du carnisme, sans toutefois connaître ce qui se passe dans les abattoirs des fermes-usines, bien qu’il existe à ce sujet un matériel abondant, comme les films et les documentaires qui révèlent cette cruelle réalité. Tous les ans, cinquante milliards d’animaux sont tués par l’industrie pour devenir nourriture, outre les quatre-vingt-dix milliards d’animaux maritimes. La question de Joy est de comprendre où sont ces animaux que mangent les hommes, car il est rare que leurs consommateurs coexistent avec eux en vie, si ce n’est par leurs joyeux museaux sur les emballages et les étagères des supermarchés. Personne ne pense à l’animal sensible qui a été sacrifié, mais tous reconnaissent dans les chiens et les chats, par exemple, des êtres dotés de personnalité. Quant aux animaux d’abattage, ils sont vus comme une abstraction, car : loin des yeux, loin du cœur. Si quelqu’un traitait un animal de compagnie comme on traite un porc à l’abattage, il serait arrêté et poursuivi en justice. Il est curieux que l’on s’indigne lorsqu’un tue un chien, mais il est encore plus curieux que tous restent indifférents lorsqu’on abat une vache. Or, en Corée on mange des chiens et en Inde on vénère la vache. On ne met pas seulement des saveurs, des textures et des arômes dans un plat, on y met aussi de l’amour et de la solidarité. Gandhi disait que la grandeur d’une nation se mesure à la façon dont les gens traitent leurs animaux. Aujourd’hui, il est largement prouvé, du point de vue nutritionnel, qu’il n’est pas nécessaire de manger de la viande ni de continuer à maltraiter les animaux pour garantir la survie de l’espèce humaine, une alimentation exclusive de légumes, de fruits et de graines étant parfaitement équilibrée. Les végétariens et les végans sont d’ailleurs, en général, ceux qui se portent le mieux. Le carnisme vient avec la mentalité de la domination, de l’assujettissement, du privilège et de l’oppression. Pour Plutarque, l’élan qui pousse quelqu’un à tuer un animal pour manger, était de même nature que celui qui mène à la guerre. Le désir d’abattage, une fois expérimenté et exercé sur l’animal, déboucherait naturellement sur le déversement de sang entre hommes. Mais, pour ceux qui vivent encore sous le carnisme, manger de la viande est quelque chose de normal et de naturel. Pour beaucoup,

l’esclavage était aussi quelque chose de naturel et de normal, de même que la suprématie masculine et l’hétérosexualité. Voltaire le disait déjà : si nous croyons à des absurdités, nous commettrons des atrocités. Si la consommation de viande date de deux millions d’années, elle n’était pas comparable à celle d’aujourd’hui, elle était un acte sporadique qui complétait la diète alimentaire, accompagné de rituels et de sacrifices aujourd’hui disparus et dont la plupart ignorent le sens. La nourriture est extrêmement symbolique, et ce symbolisme lié à la tradition est responsable de nos options et de nos préférences culinaires.

The Normal and Natural of Carnism Although we have words like “vegetarian” and “vegan” for those who do not eat meat, we lack a word for those who do. Psychologist Melanie Joy wrote a book that defines this habit as carnism. In the book she deconstructs the mythology of meat. Most people live in the realm of carnism but do not know in fact what happens in the slaughterhouses of the farm-factories, even though there is a great deal of material such as films and documentaries that reveal this cruel reality. Every year, 50 billion land animals are killed by industry to be turned into food, in addition to 90 billion sea animals. Concerning these animals that people eat, Joy wants to understand where they are, since people rarely see them during life, apart from their happy faces on food packages and the shelves of supermarkets. No one thinks about the sentient animal that was killed, but recognizes in dogs and cats, for example, a being with personality. The animals killed in slaughterhouses are seen as an abstraction, since what the eye does not see, the heart does not feel. If someone treated a pet animal like they treat a pig in the slaughterhouse, they would be arrested and charged with a crime. People are outraged when a dog is killed, so it is curious how they can be utterly indifferent about the killing of a cow. But in Korea they eat dogs and in India they venerate the cow. It is not just flavors, textures and aromas that are put onto a plate, but also love and solidarity. Gandhi used to say that a nation’s greatness is

measured by how the people treat their animals. Today, it is a proven fact that from a nutritional point of view it is not necessary to eat meat or to continue to mistreat animals to ensure the survival of the human species, as we can get a perfectly balanced diet from eating only vegetables, greenery, fruits and seeds. Moreover, vegetarians and vegans are very healthy people. Carnism is the mindset of domination, subjugation, privilege and repression. According to the ancient Greek philosopher Plutarch, the same drive that makes someone kill an animal for food is what starts a war. The desire for slaughter, when experienced and exercised on the animal, is naturally transferred afterwards to the spilling of blood among men. But for those who continue to live by carnism, eating meat is a normal and natural thing. For many, slavery was also something natural and normal, along with male supremacy and compulsory heterosexuality. Voltaire said that if we believe in absurdities, we commit atrocities. Although humans have been eating meat for two million years, they did not do it as it is done today, rather, it was a sporadic act that complemented the diet, with rituals and sacrifices that have disappeared today and whose meaning is unknown to most people. Food is extremely symbolic, and this symbolism, together with tradition, is responsible for people’s culinary preferences and choices. 29


Ezthétyke de la faim* Par Glauber Rocha

Laissant de côté le type d’introduction informative qui caractérise les discussions sur l’Amérique Latine, je préfère situer les relations entre notre culture et la culture civilisée dans des termes moins réducteurs de ceux qui caractérisent l’analyse de l’observateur européen. Ainsi, pendant que l’Amérique Latine plaint sa misère généralisée, l’interlocuteur étranger cultive le goût de cette misère, pas en forme de tragédie, mais seulement comme une donnée formelle de son champ d’intérêt. La misère n’est ni véritablement communiquée par le latino à l’homme civilisé, ni véritablement comprise par l’homme civilisé. Voilà – fondamentalement – la place des Arts au Brésil devant le monde: jusqu’à aujourd’hui seulement des mensonges élaborés en vérités (les exotismes formels qui vulgarisent les problèmes sociaux) ont réussi à être communiqués en termes quantitatifs, ce qui a provoqué une série de quiproquos qui ne s’arrêtent pas dans les limites de l’Art mais qui contaminent le terrain global du politique. Pour l’observateur européen les processus de création artistique du monde sous-développé l’intéressent seulement dans la mesure où ils satisfont sa nostalgie du primitivisme, et ce primitivisme se présente hybride, camouflé sous les héritages anciens du monde civilisé, mal compris parce que imposés par les conditions colonialistes. L’Amérique Latine reste une colonie, et ce qui différencie le colonialisme d’hier à celui d’aujourd’hui c’est la forme raffinée du colonisateur : et audelà des colonisateurs de fait, les formes subtiles de ceux qui sur nous montent aussi des trappes. Le problème international de l’Amérique Latine est encore le changement de colonisateur, ainsi la libération possible sera encore pendant longtemps en fonction d’une nouvelle dépendance. Ce conditionnement économique et politique nous a ramené au rachitisme philosophique et à l’impotence qui, parfois inconsciente et parfois pas, génèrent dans le premier cas la stérilité et dans le deuxième l’hystérie. La stérilité : cela se voit dans l’abondance des travaux dans notre art, où l’auteur se castre dans des exercices formels qui, malgré tout, n’atteignent pas la pleine possession de ses formes à lui, et dans le rêve frustré de l’universalisation. Des artistes qui ne se sont pas éveillé de l’idéal esthétique adolescent. C’est ainsi que nous voyons des centaines de tableaux dans les galeries, empoussiérés et oubliés; des livres de contes et poèmes; des pièces théâtrales, des films (qui, surtout à Sao Paulo, provoquent des faillites)… Le monde officiel chargé des arts a fabriqué des expositions carnavalesques dans plusieurs festivals et biennales, des conférences fabriquées, des formules faciles pour le succès, des cocktails partout dans le monde, au-delà de quelques monstres officiels de la culture, des académiques de Lettre et d’Art, des jurys de peinture et des parades culturelles partout dans le pays. Monstruosités universitaires: les revues littéraires, les concours, les titres connus. L’hystérie : un chapitre plus complexe. L’indignation sociale provoque des discours flamboyants. Le premier symptôme est l’anarchisme qui marque la poésie jeune jusqu’à aujourd’hui (et la peinture). Le deuxième est une réduction politique de l’art qui fait de la mauvaise politique par l’excès du sectarisme. Le troisième, le plus efficace, est la recherche de systématiser l’art populaire. Mais là où ils se trompent c’est que notre possible équilibre ne résulte pas d’un corps organique, mais d’un titanesque et autodévastateur effort de dépasser l’impotence: et s’il [l’observateur] nous comprend, alors ce n’est pas par la lucidité de notre dialogue mais par l’humanitarisme que notre information lui inspire. Encore une fois, le paternalisme est la méthode de compréhension d’un langage de larmes ou de souffrance. C’est pour cela que la faim latine n’est pas seulement un symptôme alarmant : elle est le nerf de sa société elle-même. Et c’est là que réside la tragique originalité du Cinéma Novo devant le cinéma mondial: notre originalité est notre faim et notre plus grande misère c’est cette faim, elle est sens et pas compréhension.

* Le titre a été traduit en préservant la poétisation du mot

“esthétique”voulue par l’auteur et utilisée dans l’original “Eztétyka da fome”, au lieu de la forme portuguaise “estética”. 30


The Aezthetyks of hunger* By Glauber Rocha

Dispensing with the informative introduction that has become characteristic of discussions about Latin America, I prefer to examine the relation between our culture and civilized culture in broader terms than those which characterize the analysis of the European observer. Thus, while Latin America laments its general misery, the foreign observer cultivates a taste for that misery, not as a tragic symptom, but merely as a formal element within his field of interest. The Latin American neither communicates his real misery to the civilized man, nor does the civilized man truly comprehend the misery of the Latin American. Fundamentally, this is the situation of the arts in Brazil: to this day, only distortions of the truth (a formal exoticism that vulgarizes social problems) have been widely communicated, provoking a series of misunderstandings which go beyond the arts and contaminate the political domain. For the European observer, the processes of artistic creation in the underdeveloped world are of interest only insofar as they satisfy his nostalgia for primitivism; and this primitivism is generally presented as a hybrid, disguised under the belated heritage of the civilized world, and poorly understood since it is imposed by colonial conditioning. Latin America remains a colony. What distinguishes yesterday’s colonialism from that of today is merely the more refined form of the colonizer. Meanwhile, those who are preparing for future domination try to replace this with a more subtle form. Internationally, the problem facing Latin America is still that of merely exchanging colonizers. Therefore, any possible liberation will probably come in the form of a new dependency. This economic and political conditioning has led us to philosophical undernourishment and to impotence, which produces sterility when conscious, and hysteria when unconscious. The sterility: all that abundance of works found in our arts where the author castrates himself with formal exercises, but which, nonetheless, never really attains control over form. The frustrated dream of universality: artists who never wake from an adolescent, aesthetic ideal. Therefore, we see hundreds of paintings, dusty and forgotten, in the galleries; books of short stories and poems; theatre plays, films (which, most of all in São Paulo, even caused bankruptcies) ... The institutional world in charge of the arts produced carnivalesque exhibitions in many festivals and biennials, fabricated conferences, easy formulas for success, cocktails across the world, alongside a few monsters of official culture, academics in literature and the arts, painting juries, and cultural parades across the country. University monstrosities: the famous literary magazines, the contests, the titles. The hysteria: a rather more complex topic. Social indignation provokes passionate speeches. The first symptom is the anarchism found, to this day, in young poetry (and painting). The second is the political reduction of an art that practices bad politics due to its excess of sectarianism. The third, and more effective, is the search for a systematization of folk art. The problem is that, rather than resulting from an organic body, the possibility of equilibrium is the consequence of a titanic and self-devastating effort to surpass our impotency; as such, we remain frustrated and at the margins of the colonizer; and if he understands us it isn’t because of the lucidity of our discourse but rather because of the humanism that we inspire in him. Once more paternalism is the epistemic method set against a language of tears or mute suffering.

Poster du film Barravento / Barravento film poster

This is why the hunger of Latin America is not simply an alarming symptom: it is the essence of our society. Herein lies the tragic originality of Cinema Novo in relation to World Cinema: our originality is our hunger, and our greatest misery is that this hunger is felt but not intellectually understood.

* The title has been translated keeping the original aesthetization of the

word “aesthetics” used in the original titlle “Eztétyka da fome” (instead of Portuguese correct “estética”) 31


De Aruanda à Vidas Secas, le Cinéma Novo a narré, décrit, poétisé, discuté, analysé, excité, les thèmes de la faim : des personnages bouffant la terre, des personnages bouffant des racines, des personnages volant pour bouffer, des personnages tuant pour bouffer, des personnages fuyant pour bouffer, des personnages sales, moches, décharnés, habitant dans des maisons sales, moches, sombres : c’est cette galerie d’affamés qui a identifié le Cinéma Novo avec le misérabilisme tant condamné par le Gouvernement, par la critique au service des intérêts antinationaux, par les producteurs, et par le public – ce dernier ne supporte pas l’image de sa propre misère. Ce misérabilisme du Cinéma Novo s’oppose à la tendance du digestif, préconisé par le critique-en-chef de Guanabara, Carlos Lacerda : des films de gens riches, dans des belles maisons, conduisant des voitures de luxe : des films heureux, comiques, rapides, sans messages, avec des objectifs purement industriels. Ce sont des films qui s’opposent à la faim, comme si dans l’étoffe et dans les appartements de luxe, les cinéastes pouvaient cacher la misère morale d’une bourgeoisie indéfinie et fragile, ou même encore comme si les outils techniques et scénographiques eux-mêmes pouvaient cacher la faim enracinée dans l’incivilisation elle-même. Surtout, comme si dans cet apparat de paysages tropicaux, l’indigence mentale des cinéastes qui font ce type de film pourrait être dissimulée. Ce qui a fait du Cinéma Novo un phénomène d’importance internationale c’est justement son haut niveau d’engagement pour la vérité; et son misérabilisme, qui a été écrit par la littérature des années 30 et est maintenant photographié par le cinéma des années 60 ; et, si avant il a été écrit comme une dénonciation sociale, aujourd’hui il est discuté comme un problème politique. Les étapes mêmes du misérabilisme de notre cinéma évoluent selon une logique interne. Ainsi, comme l’observe Gustavo Dahl, il va dès le phénomène logique (Porta das Caixas), au social (Vidas Secas), au politique (Deus e o Diabo), au poétique (Ganga Zumba), au démagogique (Cinco vezes Favela), à l’expérimental (Sol Sobre a Lama), au documentaire (Garrincha, Alegria do Povo), à la comédie (Os Mendigos), des expériences de plusieurs sens, certaines frustrées d’autres réalisées, mais toutes composent, au bout de trois ans, un cadre historique qui va caractériser, pas par hasard, la période de Jânio-Jango [Jânio Quadros et João Goulart] : la période des grandes crises de conscience et de révolte, d’agitation et de révolution qui a culminé au Coup d’Avril. Et c’est à partir d’Avril que la thèse du cinéma digestif a eu du poids au Brésil menaçant systématiquement le Cinéma Novo. Nous comprenons cette faim que l’européen et le brésilien dans sa majorité ne comprennent pas. Pour l’européen il s’agit d’un étrange surréalisme tropical. Pour le brésilien il s’agit d’une honte nationale. Il ne mange pas, mais il a honte de le dire ; et surtout, il ne sait pas d’où elle vient cette faim. Nous – qui avons fait ces films moches et tristes, ces films hurlés et désespérés où la raison n’a pas toujours parlé plus fort – savons que la faim ne sera pas guérie par les plans de cabinets et que les palliatifs du technicolor ne cachent pas mais aggravent ses tumeurs. Ainsi, seulement une culture de la faim qui mine ses propres structures peut se surmonter qualitativement : la plus noble manifestation culturelle de la faim est la violence. La mendicité, tradition qui s’est implantée avec la rédemptrice charité colonialiste, devient l’une des causes des manifestations politiques et des mensonges chauvinistes culturels : les rapports officiels de la faim mendient de l’argent aux pays colonialistes dans l’objectif de créer des écoles sans professeurs, de construire des maisons sans créer de l’emploi, d’apprendre des métiers sans enseignements aux analphabète. La diplomatie demande, les économistes demandent, la politique demande, le Cinéma Novo, dans le champ international, n’a rien demandé : il a imposé la violence de ses images et sons dans vingt deux festivals internationaux. Par le Cinéma Novo : le comportement exact d’un affamé est la violence, et la violence d’un affamé n’est pas du primitivisme. Fabiano est primitif ? Antão est primitif ? Corisco est primitif ? La femme de Porto das Caixas est primitive ? 32

From Aruanda to Vidas Secas [Barren Lives], Cinema Novo narrated, described, poetized, discoursed, analyzed, aroused the themes of hunger: characters eating the earth, characters eating roots, characters stealing for food, characters killing for food, characters running away in search of food, ugly characters, dirty, ravaged, inhabiting ugly houses, dark and dirty. Such was the gallery of famished people that identified Cinema Novo with a miserabilism condemned by the government, by a critique that serves antinationalist interests, by the producers and by the public—the latter being incapable of facing the images of poverty. The miserabilism of Cinema Novo opposes an ameliorating tendency represented by the critic of Guanabara, Carlos Lacerda: films of rich people, in beautiful houses, driving luxury cars; joyful films, comical, fast, contentless, of strict industrial objectives. These are films against hunger, as if, in the glasshouses and luxury condominiums, filmmakers could hide the moral misery of a characterless and fragile bourgeoisie, or as if material and scenographic techniques could hide the hunger that is rooted in our uncivilized state. As if, above all, in this apparatus of tropical landscapes, the mental indigence of the filmmakers behind these films could ever be disguised. What has made Cinema Novo a phenomenon of international relevance is precisely its deep engagement with the truth, its miserabilism, which having been written by the literature of the 1930s is now photographed by the cinema of the 1960s. And if before it was written as a social denunciation, now it is discussed as a political issue. The several stages of our cinematic miserabilism are internally evolutionary. Thus, as Gustavo Dahl says, it goes from the phenomenological (Porto das Caixas) to the social (Vidas Secas), the political (Deus e o Diabo [Black God, White Devil]), the poetic (Ganga Zumba), the demagogic (Cinco Vezes Favela), the documentary (Garrincha, Alegria do Povo), the comedy (Os Mendigos [The Beggars]); distinct experiences, either frustrated or successful, that after three years compose an historical portrait which, not incidentally, will characterize the Jânio e Jango period: the period of great existential crisis and of rebellion, of agitation and revolution, which ended in the April Coup. And so it was, from April on that the thesis of an ameliorating cinema grew in Brazil, systematically threatening Cinema Novo. We understand this hunger that Europeans and the majority of Brazilians have failed to understand. For the European, it is a strange tropical surrealism. For the Brazilian, it is a national shame. He does not eat, but is ashamed to say so; and yet, he does not know where this hunger comes from. We know—since we made these ugly, sad films, these screaming, desperate films in which reason has not always prevailed—that this hunger will not be cured by moderate government reforms, and that the cloak of technicolor cannot hide but rather aggravates its tumors. Therefore, only a culture of hunger, by undermining and destroying its own structures, can qualitatively surpass itself. The most noble cultural manifestation of hunger is violence. Mendicancy, a tradition implanted by the redemptive colonial piety, has been a cause of political mystification and of a boastful cultural lie: the official reports of hunger demand money from the colonial countries in order to build schools without ever worrying about the teachers, to build houses without worrying about work, to teach labor without the alphabet. Diplomacy demands, economists demand, politicians demand. Cinema Novo, on the international level, demanded nothing; it fought the violence of its images and sounds in twenty-two international festivals. Cinema Novo reveals that violence is the normal behavior of the starving, and that the violence of the starving is not primitive. Is Fabiano primitive? Is Antão primitive? Is Corisco primitive? Is the woman in Porto das Caixas primitive?


Du Cinéma Novo : une esthétique de la violence avant d’être primitive et révolutionnaire, voilà le point de départ pour que le colonisateur comprenne l’existence du colonisé : seulement en conscientisant sa seule possibilité, la violence, le colonisateur peut comprendre, par l’horreur, la force de la culture qu’il explose. Tant qu’il ne se lève pas, le colonisé est un esclave : il a été nécessaire la mort d’un premier policier pour que le Français perçoive un Algérien.

Cinema Novo teaches us that an aesthetics of violence, before being primitive, is revolutionary. It is the moment when the colonizer becomes aware of the colonized: only when confronted with the sole possibility of expression of the colonized, violence, can the colonizer understand, through horror, the strength of the culture he exploits. As long as he does not take up arms, the colonized man remains a slave; first a policeman had to die before the French became aware of the Algerians.

D’une morale : cette violence, pourtant, n’est pas incorporée à la haine, comme elle n’est pas non plus liée au vieil humanisme colonisateur. L’amour que cette violence enferme est aussi brutal que la violence elle-même, parce qu’elle n’est pas un amour de complaisance ou de contemplation, mais un amour d’action et de transformation.

In moral terms, this violence is not filled with hatred, nor is it linked to the old colonizing humanism. The love that this violence encompasses is as brutal as violence itself, because it is not the kind of love made of complacency or contemplation, but rather a love of action and transformation.

Le Cinéma Novo, pour cette raison, n’a pas fait des mélodrames : les femmes du Cinéma Novo ont toujours été des êtres à la recherche d’un débouché possible pour l’amour, étant donné l’impossibilité d’aimer dans la faim : la femme prototype, celle de Porto das Caixas, tue son mari, la Dandara de Ganga Zumba fuit la guerre pour un amour romantique, Sinhá Vitória rêve de nouveaux temps pour ses enfant, Rosa devient criminelle pour sauver Manuel et l’aimer dans d’autres conditions, la jeune femme de O Padre e a Moça doit déchirer la soutane pour avoir un nouvel homme, la femme de O Desafio rompt avec l’amant car elle préfère rester fidèle à son monde bourgeois, la femme de São Paulo S.A. veut la sécurité de l’amour petit-bourgeois et pour cela elle essayera de réduire la vie de son mari dans un système médiocre. Le temps où le Cinéma Novo devait s’expliquer pour exister est déjà révolu: le Cinéma Novo doit se poursuivre pour expliquer notre réalité, dans la mesure où notre réalité devient plus distinctive à la lumière des pensées qui ne sont pas débilitées ou délirées par la faim. Le Cinéma Novo ne peut pas se développer efficacement s’il reste marginal au processus économique et culturel du continent latino-américain ; surtout parce que le Cinéma Novo est un phénomène des peuples colonisés et non une entité privilégiée du Brésil : où il existe un cinéaste disponible à filmer la vérité et à affronter les normes hypocrites et policières de la censure il existera un germe vivant du Cinéma Novo. Où il existe un cinéaste disponible à affronter le commercialisme, l’exploitation, la pornographie, le technicisme, il existe un germe vivant du Cinéma Novo. Où il existe un cinéaste, de n’importe quel âge ou origine, prêt à mettre son cinéma et sa profession au service des causes importantes de son temps, il existe un germe vivant du Cinéma Novo. La définition est celle-ci et par cette définition le Cinéma Novo se marginalise de l’industrie parce que le compromis du Cinéma Industriel est avec le mensonge et avec l’exploitation. L’intégration économique et industrielle du Cinéma Novo dépend de l’Amérique Latine. Pour bénéficier de cette liberté, le Cinéma Novo s’engage, en son propre nom, de ses plus proches et divers intégrants, des plus bêtes aux plus talentueux, des plus faibles aux plus forts. C’est une question de morale qui sera reflétée dans les films, au temps de filmer un homme ou une maison, au détail observé, à la philosophie : ce n’est pas un film mais une collection de films en évolution qui donnera, à la fin, au public la conscience de sa propre existence. C’est pourquoi nous n’avons pas plus de points communs avec le cinéma de partout dans le monde.

This is why Cinema Novo doesn’t produce melodramas. The women of Cinema Novo have always searched for a possible way out for love, given the impossibility of loving when famished: the prototypical woman of Porto das Caixas kills her husband; Dandara, in Ganga Zumba, escapes from war for a romantic love; Sinhá Vitória dreams of new times for her children; Rosa descends into crime to save Manuel and love him; the priest’s girl rips his vestment to win him over; the woman in O Desafio breaks with her lover so as to remain faithful to her bourgeois husband; the woman in São Paulo S.A. wishes for the safety of a petit bourgeois love, reducing her husband’s life to a mediocre system. The time has long passed when Cinema Novo had to justify its existence. Cinema Novo is an ongoing, self-explanatory process that is helping us to see reality clearer, freeing us from the debilitating delirium of hunger. Cinema Novo cannot develop effectively while it remains marginal to the economic and cultural processes of the Latin American continent. Furthermore, Cinema Novo is a phenomenon of colonized peoples everywhere and not a privilege of Brazil. Wherever there is a filmmaker prepared to film the truth and oppose the hypocrisy and repression of censorship, there will be the living spirit of Cinema Novo. Wherever there is a filmmaker prepared to stand up against commercialism, exploitation, pornography, and the tyranny of technique, there will be the living spirit of Cinema Novo. Wherever there is a filmmaker, of any age or background, ready to place his cinema and his profession at the service of the great causes of his time, there will be the living spirit of Cinema Novo. This is our definition and through this definition, Cinema Novo marginalizes itself from the industry, because the commitment of Industrial Cinema is to lies and exploitation. The economical and industrial integration of Cinema Novo depends on the freedom of Latin America. Cinema Novo makes every effort toward achieving this freedom, in its own name and in that of both its closest and more dispersed participants, from the most ignorant to the most talented, from the weakest to the strongest. It is a moral question that will be reflected in our films, whether we’re filming a man or a house, in every observed detail, in its philosophy: it is not a single film but an evolving complex of films that will ultimately make the public aware of its own misery. This is why we don’t have wider points of contact with World Cinema. Cinema Novo is a project produced out of a politics of hunger, and suffers for that very reason; all weaknesses derive from its particular existence. New York, Milan, Rio de Janeiro 1965

Le Cinéma Novo est un projet qui se réalise dans la politique de la faim, et qui souffre, par conséquence, des faiblesses résultantes de son existence. New York, Milan, Rio de Janeiro 1965 photos: Barravento stills 33


Du trope des tropiques Roberto Cabot

Au début des années 90 du siècle dernier, l’une des principales raisons avancées par les Allemands de l’Est pour justifier leur enthousiasme pour la réunification du pays était l’espoir de pouvoir manger plus de bananes, fruits qui, en Allemagne orientale étaient convoités et rares arrivant, à l’époque du Noël socialiste, des « pays frères révolutionnaires » tropicaux, comme Cuba ou le Vietnam. La chute du mur de Berlin a aussi été la conquête du droit de manger des bananes à volonté, c’est-à-dire le droit à son petit moment tropical en savourant ce fruit exotique, symbole d’un paradis distant et inaccessible, que seules les chaînes de télévision occidentale divulguaient, car les voyages à l’étranger n’étaient pas autorisés. La fantaisie de l’évasion, qui, une décennie après la chute du mur, est devenue l’évasion d’un quotidien standard, typique des grandes économies du nord, sûr et abondant, mais stressant, a pris la forme de posters en couleurs représentant une plage tropicale habitée par une beauté exotique à la pose insinuante. Le prix du forfait et le nom de l’agence de voyages sont les seules variantes plaquées sur l’image tropicale constante. Étymologiquement, le mot « tropique » vient du grec tropos, qui signifie tournée, tour. Appartenant à la même famille, on pourrait dire que les tropiques, comme trope, sont une métaphore (le tropo par excellence), composée du mélange de tous les mythes séminaux européens. De l’Éden judéo-chrétien au Valhala germanique, en passant par le Paradis des Maures ibériques, y compris les métafantaisies helléniques et romaines de la Renaissance, celles-ci résultant de découvertes archéologiques du XIVe siècle et de la propre apparition de l’archéologie. Et nous avons donc l’Amazonie en Amérique du Sud, région baptisée d’après les figures mythologiques grecques des guerrières amazones, qui fréquentaient plutôt jusqu’alors la Sarmatie, plus proche de la Volga que de l’Orénoque. Tandis que les autochtones des Amériques seront des Indiens. Les condiments venaient des tropiques, les Européens parlaient d’Orient, mais cela n’était dû qu’à la nécessité de contourner la mer Méditerranée, ou au fait que les épices étaient commercialisées par les Orientaux, terme qui désignait autrefois en Europe tant les peuples d’Afrique du Nord et d’Asie Mineure que les Asiatiques. Du point de vue de la géographie, la région tropicale est la zone de la Terre limitée par le tropique du Cancer et par le tropique du Capricorne, coupée en son centre para la ligne de l’Équateur. Cette zone représente la portion de la Terre où les rayons du soleil frappent à 90°, c’est-à-dire à la verticale parfaite, au moins une fois pendant un cycle solaire. Donc, au moins une fois par an, on atteint la luminosité maximale, le pic de l’énergie solaire. Au nord du tropique du Cancer et au sud du tropique du Capricorne, le soleil n’atteint jamais l’azimut de 90°.1 Les tropiques sont une partie du monde radicalement différente des régions dites tempérées du globe, même si je ne comprendrai jamais comment une région où il peut faire -20°C en hiver Roberto Cabot, Cupidon-Kayapó, encre sur papier 34


et +35°C en été peut être dite « tempérée ». Le climat de Fortaleza, avec ses faibles variations thermiques entre 25 et 35 degrés me semble bien plus clément. Les fantaisies occupent souvent la place de l’inconnu, de l’incompréhensible. Pour l’Européen du Moyen ge arrivant dans les régions tropicales, ce qu’il y voit est a priori inintelligible, depuis les formes auxquelles il est confronté (plantes et fruits surprenants, animaux impossibles), jusqu’au climat imprévisible et excessif. C’est à cette époque que fleurissent les cabinets de curiosités avec leurs exemplaires de la nature et des cultures de latitudes exotiques, qui existent aujourd’hui encore sous forme de musées. C’est ce sens de l’exotique, du bizarre, que nous avons hérité de nos ancêtres colonisateurs, et que nous avons appliqué à notre propre perception de ce que nous sommes. Le contact avec les populations des tropiques a confronté le navigateur à des peuples qui semblaient appartenir à une autre réalité. Aussi bien les pygmées d’Afrique, les Tahitiens, que les Amérindiens des côtes brésiliennes et de la région amazonienne : tous évoluent suivant un paradigme insondable pour un chrétien européen du XVe siècle. Même Lévi-Strauss, au XXe siècle, en dépit de toute sa lucidité et de toute sa sensibilité, part au Brésil avec un chargement de projections et de fantasmes, qui s’effritent au fur et à mesure qu’il découvre ce qu’il appellera les « tristes tropiques ». Il compare la végétation du Cerrado aux « tableaux d’Yves Tanguy »2, le peintre surréaliste abstrait français, et parle de son « premier choc des tropiques »3 en montrant qu’au début du XXe siècle, le milieu tropical résiste encore à s’encadrer dans la conception européenne du réel. Le livre de LéviStrauss décrit le passage de la fantaisie onirique et originaire des tropiques, avec sa troupe de bons sauvages et son décor de pureté naturelle, au désenchantement face à ce qui, finalement, se révèle n’être qu’une autre réalité, tragique et incontournable, comme le sont en règle générale les faits de l’existence humaine. La fable tropicale, comme création européenne, a connu diverses phases, en qualité d’espace de projection pour les lubies les plus diverses. Depuis l’Eldorado tropical des XVe et XVIe siècles, et son « enfer vert » formidablement décrit dans le film Aguirre, de Werner Herzog, en passant par les tropiques des pirates et leurs trésors, ou celui des Lumières, au XVIIIe siècle, avec ses bons sauvages, suivis du stigmate du sous-développement et de l’exploitation néocoloniale des tropiques comme source de matière première. La colonisation, tant celle de l’Amérique du Sud que de la partie méridionale de l’Empire britannique, a eu lieu en plein désordre. Ce chaos favorisait le contrôle des populations locales par les colonisateurs et provenait aussi de l’incapacité des envahisseurs à comprendre les peuples dominés. Sur ce désordre initial se sont formées des sociétés résultant de développements qui finissent par échapper au contrôle des métropoles et qui créent des logiques propres, polymorphes et inédites. Le théoricien Cyberpunk Hakim Bey propose une description intéressante de la conquête de l’Amérique du Nord qui, bien que n’étant pas tropicale, présentait aussi un milieu exotique et des populations aux valeurs et aux systèmes sociaux totalement différents de ceux des Européens. Il décrit les fantaisies que les Anglais du XVIe siècle associaient au Nouveau Monde, des rêves d’abondance, de pureté et de virginité originaire, ainsi que des mystères et des secrets qui sauveraient l’espèce humaine4. Il est surpre-

nant de constater comment un mythe à la localisation aussi vague que l’Eldorado ait pu subsister durant autant de siècles dans l’imaginaire collectif des explorateurs. Il a été recherché tant en Amérique du Nord et en Amérique centrale qu’en Amazonie ou en Patagonie. Une superficie de millions de kilomètres carrés, fouillée pendant des siècles jusqu’aux dernières conséquences par des aventuriers, des idéalistes et des romantiques de toutes lignées. Jusqu’à arriver finalement, grâce à la croissance étourdissante de l’industrie du tourisme et à l’invention du bikini dans les années 60, aux tropiques érotisés et fantasmés à connotation ludique : au paradis enchanté du Club Med. La meilleure représentation de ce fantasme est probablement le film The Girl from Rio, splendide produit trash qui arrive à concentrer tous les clichés du Rio de Janeiro tropical dans un cadre de science-fiction à la James Bond. Une scène est spécialement représentative, celle où le jeune homme s’excuse d’avoir envahi la chambre de la jeune fille, parce que « après tout, elle est célibataire », ce à quoi elle répond : « ne vous inquiétez pas, après tout, on est à Rio… ».5 Lors d’un voyage en Thaïlande, il y a quelques années, en parlant avec des artistes de Bangkok dans une galerie d’art contemporain locale, j’ai été surprise de constater que la caractéristique tropicale de leur pays n’était pas pour eux une référence au moment de penser leur identité. Ayant en tête la mélodie de Jorge Ben qui affirme sa condition heureuse d’habitant des tropiques6 je me suis rendu compte que le fait même de nous définir comme tropicaux vient du fait que nous nous situons dans la continuité de la perspective de nos élites culturelles fondatrices, originaires d’Europe. En Thaïlande, pays qui n’a jamais été colonisé dans toute son histoire, la tropicalité n’est pas perçue comme une caractéristique spéciale, différente, puisque l’on ne part pas d’un modèle autre que le tropical. Les modèles de référence de la culture thaïlandaise sont indiens, chinois du Sud, vietnamiens, et toutes ces cultures sont situées sous les tropiques. Le Brésil est le premier pays à se définir culturellement comme tropical. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, la notion de tropical se developpe en un concept dual, suivant deux perspectives de lignes de fuite contraires, et devient alors, outre une projection de l’imaginaire dionysiaque occidental, un concept formateur d’identité, libérateur et révolutionnaire, au Brésil. Avec deux points de vue symétriques, chacun voyant l’autre de l’autre côté du miroir. Dans un exemple rare de synergie aussi puissante entre les arts, quand ceux-ci se trouvaient au Brésil dans un processus de reconnaissance des particularités culturelles propres et de rapprochement de la vie quotidienne, l’exposition Nova Objetividade Brasileira en 1967 au Musée d’art moderne de Rio de Janeiro, et la déjà si célèbre installation Tropicália d’Hélio Oiticica qui y était présente, sont devenus la pierre de touche de ce qui allait être une explosion créative qui s’est étendue au théâtre, à la musique, au cinéma, à la poésie, à la mode, outre les arts visuels. Le Mouvement Anthropophage, fondateur du Modernisme brésilien dans les années 1920, s’était déjà approprié la caractéristique tropicale sans utiliser le terme, qui à l’époque était péjoratif parmis les élites locales européisées. L’envie des modernistes brésiliens de distiller des éléments locaux pour développer un univers esthétique approprié à leur réalité a préfiguré ce qu’allaient être les références

formelles et esthétiques générales du tropicalisme à la fin des années 60. À ce moment-là, les traits tropicaux commencent à être vus de façon positive, la plage devenant le modèle du lieu des relations sociales, de repos et de fuite de la vie quotidienne, le lieu du bonheur. Le tropicalisme a révolutionné la musique populaire brésilienne et a contribué d’une façon essentielle au développement postérieur de plusieurs styles de la musique internationale, comme, par exemple, ce que l’on appellera plus tard la world-music : un mélange de sons de différentes origines ethnico-culturelles. Tandis que la bossanova introduit une nouvelle esthétique musicale, un style différent de composer, d’arranger et d’interpréter la musique, la tropicália représentait une nouvelle attitude face à la vie, critique et fertile, qui réuni les styles les plus divers. Le terme tropicália naît déjà comme concept avec le pénétrable d’Hélio Oiticica en 1967, et s’étend conceptuellement aux autres domaines des arts. La tropicália n’apparaît pas comme une forme définie ou un style clair, elle lance une série d’idées qui façonnera le premier concept esthétique produit d’un pays « périphérique » et tropical, c’est-à-dire une alternative au modèle occidental du dit « premier monde ». Ces idées forment un modèle qui présente une grande flexibilité et un dynamisme remarquable. Avant le tropicalisme, la bossanova propose déjà la notion d’un « imparfait plaisant », d’une humanité de l’imperfection (Desafinado), qui l’associe à des attitudes semblables dans les arts visuels. Le néo-concrétisme surgit comme réaction à une sensation de déshumanisation de l’art par l’effet des sévères règles concrétistes7, comme rejet de la mécanisation et de la dépersonnalisation de la production artistique, et donc de la notion mécaniciste de perfection représentée par le projet constructif. Cette conception mécaniciste de la perfection, du plaisir esthétique rétinien face à l’« absence d’imperfections », de la pureté, est le produit des idéaux européens de l’ère industrielle, où la main humaine est déclarée imparfaite et faible, inférieure au puissant bras mécanique. Cette perception positiviste-mécaniciste du monde est devenue le pilier fondamental de toute l’idiosyncrasie « occidentale ». C’est le principe de réalité, l’empire de la logique mécaniciste, qui définit l’être par sa fonction productive et qui, comme le définit Herbert Marcuse, subjugue tout plaisir et tout désir aux exigeances de la production, en réduisant l’être à l’« homme unidimensionnel8 hautement spécialisé. Ce système ne fait aucune place à l’erreur ni à l’imprécis, encore moins à l’imprévisible ou au fortuit. Les tropiques résistent à cette logique et en propose une autre, faite d’improvisations et d’incidents de parcours, par laquelle le plaisir et le désir tendent à kidnapper le bon sens. C’est un fait que l’humanité ne brille généralement pas par son bon sens, et que le chemin de l’existence est bordé d’une bonne portion d’imprévu. Jean Baudrillard, dans un récent9 parlait de l’éventuelle impossibilité de soumettre le Brésil au principe de réalité, qui forme ce qu’il appelle l’hyperréalité des pays hyper-développés, comme le Japon. Au Brésil, dit-il, « On a l’impression qu’il n’existe pas de principe de définition de la réalité. C’est bien plus une espèce de pays de fiction, mais non pas de fiction de transparence. Ce n’est pas le pays de la sémiologie ou de la sémiotique. Je ne sais pas, mais j’ai l’impression que le Brésil est plus proche du jeu de l’illusion, de la séduction de cette relation dualle, mais confuse… Et qu’il n’y a pas cette 35


forme d’abstraction qu’est l’hyperréalité… »10. Il est intéressant de noter l’hésitation du grand philosophe lorsqu’il essaie de décrire cette chose « confuse », comme si les contours du géant tropical étaient effectivement difficiles à dessiner. Cette indéfinition des limites et des contours est une caractéristique propre aux tropiques. Elle n’est pas le résultat de l’absence de limites, mais une sensation provoquée par le fait que tout est dynamique, flexible et imprévisible, donnant l’impression qu’il n’y a pas de limites, alors même qu’elles existent, mais changent constamment de position. Il est probable que ce soit cette vibration constante qui donne au philosophe français la sensation d’une « dualité confuse ». Là où le conquérant perçoit une confusion, on trouve, en fait, un ordre dynamique, en permanente transformation, une territorialisation dynamique du sens, pour adopter un vocabulaire guattarien. Le sujet, dans la « fiction » dont parle Baudrillard, pourrait sembler amorphe, mais il est en fait « métamorphe », en métamorphose continue dans son rapport avec un réel également en constante redéfinition. La meilleure image de ce sujet est le Macunaíma de Mário de Andrade, l’adaptation cinématographique de Joaquim Pedro de Andrade étant une modernisation magistrale de la rhapsodie originale. Le héros sans aucun caractère n’est pas le Mann ohne Eigenschaften (L’Homme sans Qualités) de Musil11 qui prend « une année de vacances de la vie », ni l’Homo Faber de Max Frisch12, qui se trouve perdu à une distance infranchissable de la réalité, ce n’est pas non plus L’Étranger d’Albert Camus13, qui semble percevoir le réel à travers une caméra. Macunaíma n’a pas de caractère, car il possède tous les caractères possibles, car il change sans cesse de condition et de réalité. Et il est toujours dans la réalité, il y nage dedans. Le réel qui entoure le Macunaíma est totalement couvert de signification, entièrement fait de couleurs et de symboles. Le récit ne suit pas une logique fonctionnelle : les événements sont régis par des conjonctions de significations stratifiées et codifiées. Lorsque le personnage de Mário de Andrade, dans le film, réfléchit au prochain pas à faire, il ne pense pas, il « imagine » : « Macunaíma a imaginé, imaginé, imaginé… ». Le texte original est lui-même si changeant dans les possibilités de lecture et d’interprétation offertes, que le cinéaste lui-même explique, en racontant le processus d’adaptation pour le scénario cinématographique, avoir écrit deux adaptations, et dit avoir essayé dans la première de « dompter le livre », mais rien ne fonctionnait. Dans la seconde, il adopte le point de vue selon lequel « Macunaíma est un Brésilien qui a été mangé par le Brésil » et il dit alors que « les choses ont été plus cohérentes »14. Il préserve ainsi les contours mobiles du livre et parvient à synthétiser un récit passible d’être filmé linéairement. Il ne s’agit pas de surréalisme, de même que dans l’œuvre de Tarsila do Amaral, il s’agit là de la formalisation d’une réalité, et non pas d’une sous-réalité ou d’une supra-réalité idéale. L’artiste reproduit l’univers formel qui l’entoure, fait de collines rondes, de la langueur des corps sous la chaleur, de la sensation de torpeur d’un après-midi d’été tropical humide, de la douceur d’une brise de fin d’après-midi, de la lumière. Dans une lettre à Tarsila, Mário de Andrade en séjour à Paris, écrit : Tarsila, Tarsila, retourne à toi. Abandonne Gris et Lothe, imprésarios aux critiques décrépites et aux esthésies décadentes ! Abandonne Paris ! Viens dans la forêt vierge, où il n’y a pas d’art nègre, où il n’y a pas non plus de gentils ruisseaux.15 Par art nègre Mário fait référence à la fascination de l’Europe de 36

l’époque pour l’art tribal africain, qu’il semble citer dans sa lettre comme un clin d’œil subtile sur ce qui devait lui paraître un penchant puéril des Européens pour l’exotique. Avec Gris et Lothe, il incite Tarsila à abandonner les modèles européens, à l’époque, le cubisme, qui devait beaucoup à l’art tribal qui était au goût du jour.

décisive. Dans le film Apollo XIII,18 l’équipage échappe au désastre en reconstruisant un système complexe de ventilation endommagé à partir d’objets divers se trouvant à bord, c’est-àdire en faisant appel au système D. Le pouvoir d’improvisation devient la condition de survie dans un milieu en constante transformation.

De même que Corot et l’école de Barbizon ou les impressionnistes remettent en question la règle de représentation académique, allant peindre en plein air, se confrontant directement à la réalité en la représentant conformément à la perception de leurs propres sens, in fine en ignorant les règles de l’Académie, Tarsila représente la réalité telle qu’elle la ressent, et c’est une sensation visiblement partagée avec les Tupinambás ou avec Gauguin et les Tahitiens, pour l’expression de laquelle elle crée un nouveau vocabulaire formel, remettant ainsi en question la conception artistique de son époque en ses fondements.

Qu’en est-il du « projet » dans ces conditions ? L’imprévisibilité n’empêche en rien le projet, elle exige seulement d’autres modes de fonctionnement, d’autres mécanismes pour donner suite aux projets. On retrouve certaines caractéristiques récurrentes (tropos) dans une partie de la production artistique brésilienne qui semblent ajustées à la mobilité et au dynamisme d’une réalité effrénée. Cette particularité s’exprime par un rapport particulier à l’espace, à l’objet, au corps, et à une liberté formelle surprenante. La confrontation avec le réel est bien plus physique, immédiate et violente, l’imprévu est une constante.

Roberto DaMatta nous montre comment la société brésilienne (cas exemplaire d’identité tropicale) est façonnée par le jeu de rapports entre les individus dans un cadre hiérarchique de valeurs complexes et contradictoires, étranger à la logique productive, ironiquement exemplifié dans la phrase « Vous savez à qui vous avez affaire ? »16, modèle très différent du « contrat social » de Rousseau, fondé sur des rapports de production. La constitution du corps social dépend de la teneur des rapports personnels, ceux-ci étant volatiles et sujets à des changements fréquents, ou totalement pétrifiés dans des situations de domination familiale absolue, comme dans le coronelismo traditionnel qui domine encore le nord-est du Brésil. En l’absence de contrat, toute situation peut être remise en question et revue à tout moment, même rétrospectivement, ou être maintenue indéfiniment par la force sans que se modifient jamais les bases structurelles du système.

Plutôt que des « styles », l’art brésilien récent a produit des concepts, comme nous l’avons décrit plus haut, dans le cas de la tropicália. Les méta-schémas (metaesquemas) d’Oiticica sont un fouillis articulé au sein de l’ordre constructif. L’œuvre postérieure surgit des interstices entre les plans qui dansent à la surface des méta-schémas. Ces interstices contiennent déjà les Reliefs spatiaux, les Pénétrables et les Parangolés. Ils sont le portail de fuite de l’espace plan, l’issue de secours de l’espace autophage et volontairement déterministe du concrétisme, ouvrant le chemin au choc avec le monde, à la grande explosion omniphage du néo-concrétisme et d’une bonne partie de ce qui se fait au Brésil depuis le début des années 90. Les interstices sont le signe visuel de la déstabilisation de l’idéal constructif : de l’horizon de Mondrian et de la croix de Malevitch. Ces formes en négatif (on pourrait parler d’une non-forme, puisqu’elle est l’« excédent » du jeu de plans) et presque cinétiques sont aussi une expression de la réaction au dangereux idéal de pureté contenu dans le projet constructif et minimaliste. Les pires barbaries de l’histoire ont été commises au nom de la conception de « pureté ». Le pur implique isolation, rigidité, et a comme perspective la stérilité. Il est extrêmement fréquent de voir l’apport brésilien aux arts lié à l’introduction d’une « impureté », d’une contradiction dans un système préalable : que ce soit l’architecte Oscar Niemeyer avec ses courbes peu modernistes ou quelques néo-concrets qui introduisent des éléments illusionnistes dans le projet géométrico-minimaliste, l’influence de la « basse culture » populaire dans l’œuvre d’Oiticica, le baroque trop réaliste d’Aleijadinho. Comme il est inscrit dans l’installation Tropicália : « la Pureté est un mythe ». La critique et commissaire Noemi Smolik démontre comment l’analyse du développement historique dans les « périphéries » a toujours été soumise aux intérêts historiques des pays dominants, méprisant l’analyse de la généalogie du développement artistique local, généalogie qui doit être étendue aux propres conditions de vie de l’artiste au moment de sa production. En suivant l’historique du processus créatif dans son propre contexte, il est clair que les développements tant à Moscou au début du XXe siècle, que à Rio de Janeiro dans les années 60, suivaient un projet et des aspirations propres, fondées sur une tradition et une réalité locale (la tradition de l’icône en Russie, pour Malevitch, la culture populaire carioca pour Oiticica), et que ce n’étaient pas des moments d’« adaptation » au projet moderne occidental19 comme ces événements sont vus aujourd’hui encore par certains. Ce genre de correction de la lecture historique

Le fait que les rapports sociaux ne soient pas définis par des contrats à finalité productive pose problème (visible dans la mobilité sociale presque inexistante au Brésil) au cas où l’on ignorerait son modus operandi local et où l’on espèrerait que les choses fonctionnent selon le principe de la réalité anglo-saxonne. Ici, je citerai encore une fois Hakim Bey, lorsqu’il soulève la possibilité que les premiers conquérants disparus sur le continent nord-américain ne soient pas morts ou n’aient pas été écartelés, mais qu’ils aient simplement rompu le contrat qu’ils avaient avec la couronne anglaise et qu’ils soient partis vivre avec le gentil peuple Croatan17. Le premier acte fondateur du colonisateur anglais aurait été d’ignorer la notion de contrat et de vivre sa vie selon d’autres principes. Comme le dit Bey : ils ont choisi le chaos. Le dynamisme et la flexibilité d’un système peuvent devenir problématiques dans une situation de prévisibilité et de planification à très long terme. Ces conditions étaient réunies en Europe, à une époque où l’hégémonie occidentale était telle, que les pays les plus riches exerçaient un rigoureux contrôle sur la situation mondiale, ce qui facilitait la prévision sur la durée. Avec la redistribution de rôles due au processus de mondialisation, l’augmentation de l’importance économique des pays du tiers-monde (y compris certains tropicaux, comme l’Inde, le Brésil ou les « Tigres asiatiques »), le contrôle global devient de plus en plus impraticable, et l’avenir de plus en plus imprévisible. En fait, de nos jours, le problème est le manque de flexibilité et d’adaptabilité. Même dans la conquête spatiale, l’habilité d’improvisation peut être


est favorisé par les profonds changements structurels ayant lieu actuellement dans le monde, désarticulant de plus en plus le modèle hégémoniste occidental. Il est donc clair que le problème du tropical n’est pas sa manière d’être, mais le manque de conscience de ses propres qualités et de ses forces. Les élites des excolonies ont persisté sur un paradigme importé qui leur était avantageux, car il disqualifiait les populations autochtones ou non caucasiennes pour « ne pas être aptes à la modernité ». Telle a été l’attitude des classes dominantes au Brésil jusqu’à nos jours, même lorsque finalement, le terme « tropical » acquiert une dimension positive, libertaire et inspirante. Cohérent avec sa nature, le terme « tropical » est apparemment toujours aussi vague et indéfinissable que tout ce qu’il décrit. Apparemment, car, c’est une erreur de penser que ce qui se transforme en permanence, ce qui est flexible, n’a pas de forme.

Roberto Cabot Crazy Scheme, huile sur toile / oil on canvas, 2004, 160 x 120 cm

NOTES 1

Wikipédia. Disponible sur http://pt.wikipedia.org.

2

Claude Lévi-Strauss. Tristes tropiques. São Paulo: Companhia das Letras, 1996. p. 256.

3

Idem, p. 86.

4

Hakim Bey - TAZ - Chapitre 5.

5

The girl from Rio. Mise en scène de Jess Franco. Angleterre, 1968.

6

País tropical (1969), Jorge Ben et Wilson Simonal.

7

Ronaldo Brito. « Le néo-concrétisme surgit du besoin de certains artistes de remobiliser les langages géométriques ... Contre ce qu’ils supposaient être la stérilisation de l’art concret ...”. In Neoconcretismo: vértice e ruptura do projeto construtivo brasileiro. São Paulo: Cosac & Naify Edições, 1999. p. 70.

10

Idem.

11

Robert Musil, O Homem sem Qualidades (1930), Nova Fronteira, 2006, ISBN 852091862X 12

Homo Faber, Max Frisch, 1957.

13

Albert Camus, O estrangeiro (1942), L’Étranger, Collection Folio, Éditions Gallimard.

14

Texte de Joaquim Pedro de Andrade dans le premier dossier de presse du film, 1969.

15

Cité dans le texte de Carlos Zílio. A querela do Brasil. 2a ed. Rio de Janeiro: RelumeDumará, 1997, p. 49. 16

Roberto DaMatta. Carnavais, malandros e heróis. Rio de Janeiro: Editora Rocco, 1994.

17

Hakim Bey - TAZ - Chapitre 5.

Herbert Marcuse, Ideologia da Sociedade Industrial, Editora Zahar, Rio de Janeiro, 1964.

18

Apollo 13, Universal Pictures, mise en scène de Ron Howard, 1995.

»Le Brésil est l’empire des illusions». Entretien accordé à Katia Maciel par Jean Baudrillard, Folha On Line, 11 mars 2007.

19

8 9

Noemi Smolik, Performative identity - or, how Malevich slapped modernism in the face. Université de Hamburg, 2004.

37


Roberto Cabot, Tupi-Celte, encre sur papier

Roberto cabot, Celte-Kayapó, encre sur papier

The tropo of Tropics Roberto Cabot In the early ’90s of the last century, one of the main motives given by the East Germans to justify their enthusiasm for the reunification of the country was their hope of eating more bananas, which during the socialist era in East Germany were rare and highly demanded fruits that arrived from tropical “revolutionary brother countries”, such as Cuba or Vietnam. The fall of the Berlin Wall was also the conquest of the right to eat bananas if one wished – that is, the right to one’s small tropical moment while relishing this exotic fruit, the symbol of a distant and inaccessible paradise known only through the Western TV channels, since East Germans could not travel abroad. By the decade after the fall of the Berlin Wall, the fantasy of escaping to the West had morphed into that of escaping from the routine of a humdrum life, typical of the great economies of the North, where security and abundance come at the cost of intense stress. This new escape fantasy was 38

embodied in the form of colorful posters depicting a tropical beach with an exotic belle in a suggestive pose. The price of the tour package and the name of the travel agency were the only variables printed on the unvaryingly tropical image. Etymologically, the word “tropic” comes from the Greek term tropos, which denotes a turning, a spinning. To use a term from the same family, we can say that the tropics are a trope, a metaphor (the tropo par excellence), composed of the stirring together of all the seminal ancient myths. Ranging from the Judeo-Christian Eden to the Germanic Valhalla, these also include the paradise of the Iberian moors as well as the Hellenic and Roman meta-fantasies of the Renaissance spawned by the14th-century unearthings that constituted the beginning of archaeology. And thus we have the Amazon of South America, a region named after the mythological Greek figures of the Amazon women warriors, who had previ-

ously frequented Sarmacia, closer to the Volga River than the Orinoco. And they turned out to be Indians. Even though the spices came from the tropics, the Europeans talked about the East, since to get to the tropics they needed to first head east to skirt the Mediterranean Sea. For the same reason, the term oriental, which applied to those who commercialized the spices, was used by Europeans in antiquity to refer not only to Asians but also to the peoples from the Middle East and even North Africa. In geographical terms, the tropical region is the area of the earth bound by the Tropic of Cancer to the north and the Tropic of Capricorn to the south, with the equator running along its middle. This area represents the part of the earth where the sun’s rays shine straight down from the zenith on at least one day during the solar cycle. Once or twice per year, these areas receive the full brunt of the sun’s radiation, the maximum of


solar energy. North of the Tropic of Cancer and south of the Tropic of Capricorn, the sun never reaches the azimuth of 90°.1 The tropics are a part of the world radically different from the so-called temperate regions of the globe (in regard to which I will never understand how a region where the temperature varies from –20° C in the winter to +35° C in the summer, or more, in times of global warming, can be called “temperate”). The climate of Fortaleza, with its mild thermal variations between 25 and 35°C seems more agreeable to me. Unknown and incomprehensible places constitute a gap in our understanding that we tend to fill with fantasies. The eyes of European adventurers arriving to tropical regions in the Middle Ages were not equipped to make sense out of the bewildering novelty, spanning from new shapes (surprising plants and fruits, fabulous animals) to the unpredictable and excessive climate. It was during this era that the “curiosity cabinets” flourished, with their peculiar specimens from the nature and cultures of exotic latitudes, which exist to this day in the form of museums. It is this sense of the exotic, the bizarre, that we inherit from our colonizer predecessors, and which we transfer to our own perception of who we are. The contact with the populations of the tropics brought the explorers face-to-face with people who seemed to belong to another reality. The pygmies of Africa, the Tahitians, the Amerindians of the Brazilian coasts and the Amazon region: they had all evolved according to a paradigm incomprehensible to the 15th century Christian European. Even as recently as the last century, when the eminently enlightened and sensitive Lévi-Strauss arrived in Brazil, his initial outlook came charged with projections and fantasies that gradually melted away with each step of his discovery of what he would come to call the “sad tropics.” He compared Brazil’s arid backlands with works by the French abstract surrealist painter Yves Tanguy2, and told about his “first tropical shock,”3 showing that even as late as the beginning of the 20th century the tropical environment was difficult to frame within the European conception of the real. The book by Lévi-Strauss describes the process by which his original dreamlike fantasy of the tropics, with its cast of noble savages against a backdrop of natural purity gradually evaporated, replaced by the disenchantment with what is ultimately revealed to be only another tragic and unavoidable reality, as the facts of human existence generally are. The tropical fable, as a European creation, has gone through various phases down through the centuries, in accordance with each successive fantasy that has been projected onto it. The tropical Eldorado of the 15th and 16th century, with its “green hell” so vividly described by Werner Herzog in Aguirre, was replaced by the tropics of the pirates with their treasures, then came the 18th-century Enlightenment version with its noble savage, followed by the stigma of underdevelopment and of neocolonial exploitation of the tropics as a source of raw materials. The colonization of South America, as well as the southern part of the British Empire, took place in total disorder. This chaos favored the control of the local populations by the colonizers and stemmed from the invaders’ inability to understand the conquered peoples. This initial disorder gave rise to societies that developed incontrollably into metropolises with utterly new, hybrid logics. The cyberpunk theorist Hakim Bey has an interesting description of the conquest of North America, which despite not being tropical, also presented an exotic environment and populations

with social systems and values totally different from the European. He describes the fantasies that the English of the 16th century associated with the New World: dreams of abundance, purity and original virginity, and of hidden secrets and mysteries that would save the human species4. It is surprising how a myth with such a vague location as Eldorado could persist for so many years in the collective imagination of the explorers. The mythical land was sought for in North and Central America, as well as in Amazonia and Patagonia. The search continued for centuries, in an area of millions of square miles, by adventurers, idealists and romantics of every stripe, until the last shred of hope was gone. More recently, thanks to the dizzying boom of the tourist industry and the invention of the bikini in the 1960s, the fantasy shifted into the form of the eroticized tropics with a playful connotation: the enchanted paradise of Club Med. This fantasy is perhaps best epitomized by the movie The Girl from Rio5, a splendid trash film that manages to concentrate all the clichés of a tropical Rio de Janeiro in a work of science fiction in James Bond style. Its quintessential scenes include one where the good guy apologizes for having barged into the good girl’s room, because “After all, you are a single girl,” to which she responds, “Don’t worry about that, after all, we’re in Rio...” On a trip to Thailand, some years ago, talking with artists from Bangkok at a local contemporary art gallery, I was surprised that the tropical characteristic of their country was not a reference for them when thinking about their identity. With the melody of Jorge Ben affirming his happy condition as an inhabitant of the tropics going through my head6, it dawned on me that the very fact that we denominate ourselves as tropical stems from the fact that we are still stuck in the perspective of our founding cultural elites, originally from Europe. In Thailand, a country that has never been colonized in all its history, tropicality is not perceived as a special or differentiating characteristic, since the tropical model is the only one the country is familiar with. The models that Thai culture generally compares itself to are the Indian, the South Chinese, and the Vietnamese, all of which are located in the tropics. Brazil is the first country to define itself culturally as tropical. From the second half of the 20th century onward, the notion of tropical has been divided in a dual concept, with two perspectives determined by diametrically opposed vanishing points: besides its Dionysian image in the Western mindset, it has become a liberating and revolutionary formative concept of identity, in Brazil. These two viewpoints possess a mutual symmetry, each one looking at the other from the other side of the mirror. In a rare example of a powerful synergy among the arts, at a time when the arts in Brazil were engaged in a self-reflective process of recognizing the nation’s own cultural particularities and drawing closer to everyday life, an exhibition of contemporary art at the Museu de Arte Moderno of Rio de Janeiro, featuring the now famous installation Tropicália by Hélio Oiticica, became the touchstone of a creative explosion in theater, music, cinema, poetry, fashion and the visual arts. In the early 20th century, the Antropophagous movement had already appropriated the tropical characteristic without using the term, which bore pejorative connotations for the Europeanized elites of that time. The desire of the Brazilian modernists to use local elements in the construction of an aesthetic universe, in keeping with their own reality, foreshadowed and preconfigured the aesthetic and formal framework of tropicalism that arose in the late 1960s. At that moment, the tropical features began to be seen

positively, with the beach as the quintessential place for taking a rest and for social life, getting away from it all, the place of bliss. While Bossa nova introduced a new musical aesthetic, a style of making, arranging and playing music. Tropicalia represented a new, critical and fertile attitude, expressed through a wide range of styles. The term tropicalia was born as a concept with the penetráveis [penetrables], a series of art installations begun in 1967 by Hélio Oiticica, and was conceptually expanded to other areas of the arts. Tropicalia did not arise as a defined form or clear style, rather, it spawned a series of ideas that would configure the first aesthetic concept arising from a “peripheral” and tropical country, that is, an alternative to the “Western” model of the so-called First World. These ideas configure a highly flexible model with its own particular dynamics. Before tropicalism, bossa nova already proposed a notion of “pleasant imperfection,” of flawed humanity (as epitomized in the song “Desafinado,” which means “out of tune”), and this was associated with similar attitudes in the visual arts. Neoconcretism arose as a reaction to the perception that art was being dehumanized by the concretist7 precepts, a rejection of the mechanization and depersonalization of artistic production, and therefore of the mechanistic notion of perfection represented by the constructive project. This mechanistic conception of perfection, whose aesthetic pleasure arose from an “absence of flaws,” of Purity, was an outgrowth of European ideals of the Industrial Era, which considered the human hand imperfect and weak compared to the powerful mechanical arm, and the organical unpure. This positivist-mechanistic worldview became the linchpin of all “Western” idiosyncrasies. It became the touchstone of reality, the main gear of mechanistic logic, which defines the human being by his or her productive function and which, as defined by Herbert Marcuse, makes every pleasure and every desire contingent on production, reducing the human being to the highly specialized “one-dimensional man.”8 In this system there is no room for error or imprecision, much less for the unforeseen or incidental. The tropics defy this logic, and propose another one, made up of improvisations and incidental events that crop up along the way, and where pleasure and desire are valued above reasoned judgment. After all, reasoned judgment is not what generally makes humanity shine, and the path of existence has always been lined with a good deal of happenstance. In an interview9, Jean Baudrillard spoke of the eventual possibility of submitting Brazil to the reality principle, which configures what he calls the hyperreality of hyper-developed countries such as Japan. In Brazil, he says, “it seems that there is no principle for defining reality. It is much more a country of fiction, but not a fiction of transparency. It is not a country of semiology or semiotics. I don’t know, but it’s my impression that Brazil is closer to the game of illusion, of the seduction of this dual but confused relationship… and it totally lacks this form of abstraction which is the hyperreality…”10 It is interesting to note how even this great philosopher hesitates in his attempt to describe this “confused” thing, as though it were difficult to delineate the outlines of the tropical giant. This indefinition of limits and outlines is an essential quality of the tropics. This indefinition does not result from the absence of limits, but is a sensation brought on by the fact that everything is dynamic, flexible and unpredictable, making it look as though there are no limits, which do in fact exist, but in constantly shifting positions. This constant back and forth movement is very likely what

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Roberto Cabot Metaparangolé, huile sur toile / oil on canvas, 2004, 160 x 200 cm

gave the French philosopher the sensation of a “confused duality.” Where the conqueror sees confusion, there is in reality a dynamic order in a process of permanent transformation, a dynamic territorialization of meaning, to use a Guattarian term. In the “fiction” that Baudrillard describes, the subject might appear amorphous, but in reality he or she is “metamorphous,” in continuous metamorphosis in his or her relation with a real that is also undergoing constant redefinition. The best image of this subject is the title character of Mário de Andrade’s fictional Macunaíma, a rhapsody masterfully updated in modern guise in the film by Joaquim Pedro de Andrade. The herói sem nenhum caráter [characterless hero] is not Musil’s Mann ohne Eigenschaften [The Man without Qualities]11 who takes “a year’s vacation from life,” or Max Frisch’s Homo Faber12, who is lost at an unbridgeable distance from reality, nor is he Albert Camus’s Stranger13, who seems to always perceive the real through a camera. Macunaíma

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seems totally lacking in character insofar as he possesses every possible character, constantly changing his condition and his reality. And he is always within reality, he swims in it. The real that surrounds Macunaíma is steeped with meaning, made entirely of colors and symbols. The narrative does not follow a functional logic: the events are ordered by conjunctions of layered and coded meanings. In the film, when reflecting on the next step he is going to take, Mário de Andrade’s character does not think, but rather “imagines”: “Macunaíma imagined, imagined, imagined…” The original text offers so many possibilities of reading and interpretation, the filmmaker has explained that in the process of adapting the book to the cinematographic script, he actually wrote two separate screenplays, the first one aimed at “taming the book,” but nothing about it worked, and then in the second one he adopted the point of view that “Macunaíma is a Brazilian who was eaten by Brazil” and then, the filmmaker says, “things got more coherent.”14 In this way he kept the outlines of the book mobile and managed to

present a summarized narrative that could be filmed linearly. It’s not a case of surrealism, but rather, just as in the work of Tarsila do Amaral, it has to do with the formalization of a reality, not an ideal sub- or super-reality. The artist reproduces the formal universe that surrounds him, made up of rounded hills, the languor of bodies in the heat, the “lazy” sensation of a muggy tropical summer afternoon, the mildness of a late afternoon breeze, and the effusive tropical lighting. Mário de Andrade, in a letter to Tarsila when she was in Paris, wrote: Tarsila, Tarsila, come back into yourself. Abandon Gris and Lothe, with their decrepit criticisms and decadent aestheses! Abandon Paris! Come to the virgin forests, where there is no “art nègre”, where there are also no pleasant brooks15. By “art nègre,” Mário was referring to the European fascination at that time for African tribal art, which he seems to cite in the letter as a subtle joke about what must have seemed to him a puerile obsession of the Europeans for the exotic. With his reference to Gris and Lothe, he urges Tarsila to abandon the European models,


at the time of cubism, which owed a lot to tribal art and became the prevailing trend. In the same way that the impressionists, or Corot and the Barbizon school questioned the canon of academic depiction by going out to paint in the open air, coming face to face with reality and depicting it according to the perception of their own senses, ignoring the academic precepts, Tarsila depicted reality as she felt it, and it is a sensation she visibly shared with the Tupinambás or with Gauguin and the Tahitians, for the expression of which she created a new formal vocabulary, thus questioning the foundation of the artistic conception of her time. Roberto DaMatta shows us how Brazilian society (an exemplary case of tropical identity) is largely configured by the interplay of relations among individuals in a hierarchical framework of complex and contradictory values, outside the logic of production, ironically epitomized in the phrase “Do you know who you are talking to?”16 This Brazilian model is very far from Rousseau’s “social contract” based on production relationships. The constitution of the social body depends on the nature of the personal relationships, which are either volatile and subject to frequent changes, or else totally fossilized in situations of absolute familial domination, as in the system of coronelismo that has traditionally held in the Brazilian Northeast. When there is no contract, every situation can be questioned and revised at any moment, even retroactively, or indefinitely maintained by force without any changes to the basic pillars of the system. When the social relationships are not defined by contracts based on productive purposes, problems can arise (as seen the erratic social mobility in Brazil) if the local modus operandi is ignored and one expects that things work according to principles of Anglo-Saxon reality. Here, once again I will cite Hakim Bey when he poses the possibility that the first colonists who disappeared on the North American continent were not hacked to death or killed by other causes, but simply broke the contract they had with the English crown and went off to live with the friendly Croatan people17. The first founding act of the English colonizer would therefore have been to ignore the notion of the contract and to live life according to other principles, or in Bey’s words, they opted for chaos. The extreme dynamics and flexibility of a system can be problematic in the context of long-term planning and predictability. The conditions of this long-term planning were given in Europe at a time when the Western hegemony was so strong that the richer countries had firm control on the worldwide situation, making prediction feasible. With the redistribution of roles brought about by the process of globalization, coupled with the increase of economic relevance of the Third World countries (including some tropical ones, such as India, Brazil or the “tiger states” of south-east Asia), global control became increasingly infeasible, and thus the future became more unforeseeable. Actually the problem nowadays is the lack flexibility and adaptability. Even in the conquest of space, the ability for improvisation can be decisive. In the film Apollo 1318, the spacecraft’s crew survives by reconstructing a complex, damaged ventilation system with an odd assortment of objects they find on board, a truly jerry-rigged solution. The power of improvisation becomes a necessary condition for survival in an environment of constant transformation. What happens with the “project” in these conditions? Unforeseeability does not in any way pre-

vent the project, it only entails other modes of operation, other mechanisms to ensure the project’s continuity. There are some recurrent characteristics (tropes) in a part of the Brazilian art production that appear to be well-suited to the mobility and dynamicism of an out-of-control reality. This particularity is expressed through a particular relationship with space, with the object, with the body, and with a surprising formal freedom. The confrontation with the real is much more physical, immediate and violent, and the incidental is a constant. More than “styles,” recent Brazilian art has produced concepts, as already described above for the case of tropicalia. Oiticica’s metaesquemas [metaschemes] are a disorder artistically articulated within a constructive order. His later work arose in the interstices among the planes that dance on the surface of the metaesquemas. These interstices already contained the Relevos espaciais [Spatial Reliefs], Penetráveis and Parangolés. They are the escape hatch for leaving the flat space, the emergency exit for leaving the autophagic and voluntarily determinist space of concretism, which opened the door to the clashing with the world, to the great omniphagic explosion of neoconcretism and to a large part of what has been produced in Brazil since the early 1990s. The interstices are the visual sign of the destabilization of the constructive ideal: of Mondrian’s horizon and Malevitch’s cross. These forms in negative (we can speak of a “non-form”, since they are what is “left over” from the interplay of planes) are nearly kinetic and also an expression of the reaction to the dangerous ideal of purity contained in the constructive and minimalist project. The greatest barbarities of history were perpetrated in the name of some conception of “purity.” Pureness implies isolation and rigidity, and has sterility as perspective. It is notable how the Brazilian approach to the arts is often related to the introduction of a “impurity,” of a contradiction in a previous system, as exemplified by the architect Oscar Niemeyer with his curves out of step with modernism, some of the neoconcrete artists who introduced illusionist elements in the geometric-minimalist scheme, the influence of popular “low culture” in Oiticica’s work, and the realistic baroque style of Aleijadinho. As is written on the installation Tropicália: “a Pureza é um mito” [Purity is a myth]. Art critic and curator Noemi Smolik demonstrates how the historical analysis of the historical development in the “peripheries” has always been submitted to the historical interests of the dominant countries, disregarding the analysis of the genealogy of artistic development, a genealogy that should be extended to the conditions of the artist’s life at the moment of the artwork’s production. A look at the history of the creative process that arrived at these results reveals that the developments in Moscow in the early 20th century and in Rio de Janeiro in the 1960s arose in accordance to specific aims based on a tradition of the local reality (for Malevitch, the tradition of the icon in Russia; for Oiticica, popular culture), and that they were not times of “adaptation” to the Western modern project19, as these events tend to be seen yet today, in a facile and less reflective analysis. This sort of correlation of the historical reading is being favored by the structural upheavals currently taking place around the world, increasingly dismantling the Western modernist model. This makes it clear that the problem of the tropical is not its manner of being, but rather the lack of awareness concerning its own qualities and powers. The elites of the former colonies held onto an imported paradigm that brought them advantag-

es, since it disqualified the autochthonous or nonCaucasian populations for “not being well-suited for modernity.” This was the prevailing attitude in Brazil up to practically the present, when finally the term “tropical” has taken on a positive, liberating and inspiring dimension. Apparently, the term “tropical” continues to be just as vague and indefinable as everything that it describes. Apparently, because, it is a mistake to think that anything in permanent transformation, which is flexible, does not have a form.

NOTES 1

Wikipedia. Available at http://wikipedia.org.

2

Claude Lévi-Strauss. Tristes tropiques. São Paulo: Companhia das Letras, 1996. p. 256. 3

Idem, p. 86.

4

Hakim Bey - TAZ - Chapter 5, “Gone to Croatan”

5

The girl from Rio. Directed by Jess Franco. England, 1968.

6

País tropical (1969), Jorge Ben and Wilson Simonal

7

Ronaldo Brito. “Neoconcretism arose from the need of some artists to re-mobilized the geometric languages… Against what they saw as the sterilization of concrete art…” In Neoconcretismo: vértice e ruptura do projeto construtivo brasileiro. São Paulo: Cosac & Naify Edições, 1999. p. 70. 8

Herbert Marcuse, One-Dimensional Man: Studies in the Ideology of Advanced Industrial Society, 1964. 9

O Brasil é o império das ilusões. Interview of Jean Baudrillard by Katia Maciel, Folha On Line, March 11, 2007. 10

Idem.

11

Robert Musil, O Homem sem Qualidades (1930), Nova Fronteira, 2006, ISBN 852091862X 12

Homo Faber, Max Frisch, 1957

13

Albert Camus, O estrangeiro (1942), L’Étranger, Collection Folio, Éditions Gallimard 14

Text by Joaquim Pedro de Andrade in the first press book of the film, 1969. 15

Cited in the text by Carlos Zílio. A querela do Brasil. 2nd ed. Rio de Janeiro: RelumeDumará, 1997, p. 49. 16

Roberto DaMatta. Carnavais, malandros e heróis. Rio de Janeiro: Editora Rocco, 1994. 17

Hakim Bey - TAZ - Chapter 5, “Gone to Croatan”

18

Apollo 13, Universal Pictures, directed by Ron Howard 1995. 19

Noemi Smolik, Performative identity - or, how Malevich slapped modernism in the face. Université de Hamburg, 2004

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BIOS Rebecca LOCKWOOD Née à Fortaleza, Brésil, 1977 Vit à Paris, travaille partout Rebecca a étudié la cuisine au Cordon Bleu Paris et a obtenu son diplôme de journaliste à Rio de Janeiro. Elle a été la copropriétaire avec Roberto Cabot et chef de l’Abaporu, restaurant nommé d’après un mot tupi-guarani qui signifie « l’homme qui mange ». Le menu a été profondément influencé par ses racines familiales, spécialement par son arrière-grand-père chaman amazonien. Après avoir participé en tant que chef à plusieurs expositions d’art et, en 2016, elle a organisé un cours d’art et de cuisine à l’école des arts visuels Parque Lage sous le nom de Cozinha Radicante avec Ynaiê Dawson et Rosa Branca. Récemment déménagée à Paris, elle travaille à présent comme traiteur, en atelier ou en tant que chef privée ayant parmi ses récents clients la chanteuse Madonna. Elle est également chroniqueuse culinaire et correspondante pour Babel Búzios Art Magazine, publié au Brésil, et collabore avec plusieurs plates-formes médiatiques. Ynaiê DAWSON Née à São Paulo, Brésil, 1979 Vit à Rio de Janeiro, travaille partout Pendant ses études en photographie et ses cours à l’école d’art visuel Parque Lage de Rio de Janeiro, Ynaiê a travaillé comme assistante et a collaboré avec divers artistes, dont Tunga, entre 1999 et 2003. Elle a déménagé à Londres en 2004 pour poursuivre une formation post-universitaire à la Slade School of Fine Art, puis à Lisbonne où elle rejoint l’école d’art indépendante Maumaus, participe à la résidence Sítio das Artes à la fondation Calouste Gulbenkian en 2007 et complète un master en philosophie (Esthétique). ) à la nouvelle université de Lisbonne en 2011. De retour à Rio de Janeiro, Ynaiê forme les collectifs d’art et d’artivistes Bota na Roda et Casa Nuvem avant de rejoindre en 2013 le collectif d’artistes OPAVIVARÁ!, avec lequel elle participe depuis lors à diverses expositions, festivals et manifestations culturelles au Brésil et à l’étranger. En 2015, elle a également organisé le laboratoire de recherche Cozinha Radicante avec les chefs Rosa Branca et Rebecca Lockwood, qui a été offert sous forme de cours à l’école d’arts visuels Parque Lage à Rio de Janeiro. Rosa BRANCA Née à Rio de Janeiro, Brésil, 1975 Vit et travaille à Rio En 1999 elle part à New York faire des études d’arts culinaires à l’Institut Culinaire Français et de Cuisine Méditerranéenne au Culinary Institute of America. C’est là qu’elle tombe amoureuse de la pâtisserie et suit le cours de mini pâtisserie à la FCI. Rosa a également développé des techniques contemporaines et moléculaires avec Jordi Roca (Gérone, Espagne) et a travaillé avec Bel Coelho (São Paulo, Brésil) en tant que chef pâtissier. Après 7 ans dans le secteur de la pâtisserie, elle a relevé un autre défi, en tant que chef personnelle du collectionneur d’art et, à l’époque, président de la Biennale des Arts de São Paulo, Heitor Martins, où elle a commencé à sentir un lien plus fort avec l’art. En 2015, avec le chef Rebecca Lockwood et l’artiste Ynaiê Dawson, Rosa crée la Cozinha Radicante et organise le laboratoire de recherche sur les arts culinaires et artistiques du cours Rituels dans les arts culinaires de l’école d’Arts visuels du Parque Lage, en 2016. Rosa travaille à présent comme chef traiteur et professeur de cuisine. Roberto CABOT Né à Rio de Janeiro, Brésil, 1963 Habite à Paris Cabot est un artiste, essayiste, chercheur, franco-brésilien. Il suivit des études de peinture à l’École National Supérieure des Beaux-Arts et d’architecture à École Supérieure d’architecture Paris-Malaquais ainsi qu’à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Il a développé une oeuvre multiforme basée sur la connaissance picturale qu’il combine, parmi d’autres médias, depuis les années 1990 avec des médias contemporains comme les technologies de réseau sous formes d’installation avec participation du spectateur. Il explore la tension entre la perception et la représentation dans les contextes individuel et collectif. Ayant une biographie très nomade, il vécu dans plusieurs pays (France, Espagne, Argentine, USA, Allemagne, Brésil). En 2014 il projeta et fût co-propriétaire avec Rebecca Lockwood du restaurant Abaporu à Copacabana, dont le nom signifie en langue tupi-guarani “l’homme qui mange” et fait référence au Mouvement Anthropophage qui dans les années 1920 fût à l’origine du modernisme brésilien. Le restaurant était une expérience esthétique, dans un effort de combiner les traditions culinaires amazoniennes avec la culture urbaine de la mégapole Rio de Janeiro.

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BIOS Rebecca LOCKWOOD Born in Fortaleza, Brazil, 1977 Lives in Paris, works everywhere Rebecca did her cooking studies at Le Cordon Bleu Paris and graduated as a journalist in Rio de Janeiro. She co-owned with Roberto Cabot and was the chef of Abaporu, a restaurant named after a tupi-guarani word meaning “man that eats”. The menu was deeply influenced by her family roots, specially by her Amazonian shaman great grandfather. She participated as a chef in several art exhibitions and co-founded, in 2016, a culinary and art course at Parque Lage Visual Art School as Cozinha Radicante together with Ynaiê Dawson and Rosa Branca. Recently living in Paris, she works either doing catering, workshops or as a private chef having amongst her recent clients the singer Madonna. She is also a food columnist and correspondent for Babel Búzios Art Magazine, published in Brazil, and collaborates with several media platforms.

Ynaiê DAWSON Born in São Paulo, Brazil, 1979 Lives in Rio de Janeiro, works everywhere While graduating in photography and taking classes at Parque Lage Visual Art School, in Rio de Janeiro, worked as an assistant and collaborated with various artists, including Tunga, between 1999 and 2003. Moved to London to postgraduate at the Slade School of Fine Art in 2004 and then to Lisbon where joined the independent art school Maumaus, participated at the residency Sítio das Artes at Calouste Gulbenkian Foundation, in 2007, and completed a Master in Philosophy (Aesthetics) at the New University of Lisbon in 2011. Back in Rio de Janeiro formed the art and artivist collectives Bota na Roda and Casa Nuvem before joining OPAVIVARÁ! art collective in 2013, with whom participates in various exhibitions, festivals and cultural events in Brazil and abroad since then. In 2015 also formed a laboratory of research called Cozinha Radicante with chefs Rosa Branca and Rebecca Lockwood that was offered as a course at Parque Lage Visual Art School, in Rio de Janeiro. Rosa BRANCA Born in Rio de Janeiro, Brazil, 1975 Lives and works in Rio In 1999 went to New York to study culinary arts in the French Culinary Institute and mediterranean cuisine in the Culinary Institute of America. There she fell in love with pastry and took the course Mini Pastry at the FCI. Also developed contemporary and molecular techniques with Jordi Roca (Girona, Spain) and worked with Bel Coelho (São Paulo, Brazil) as pastry chef. After 7 years in the pastry area, she took another challenge, working as personal chef to the art collector and, by the time, São Paulo’s Biennial of Arts president, Heitor Martins, where she began to feel a stronger connection to art. In 2015, together with chef Rebecca Lockwood and artist Ynaiê Dawson formed Cozinha Radicante and created the laboratory of research to study culinary and art that evolved in the course Rituals in Culinary Arts, at Parque Lage Visual Art School, in 2016. Currently works as a caterer chef and culinary teacher.

Roberto CABOT Born in Rio de Janeiro, Brazil, 1963 Based in Paris tCabot is a French-Brazilian artist, writer, researcher. He studied painting at the École Nationale Supérieure des Beaux-Arts and architecture in Paris, and has developed a work based on the constructive methods of painting which he combines with networked based installations with viewer participation, which he started developing in the 1990’s, constructing a body of work that explores the tension between perception and representation, in individual and collective contexts. With a very nomadic biography, he lived in several countries (France, Spain, Argentina, USA, Germany, Brazil), and in 2014 he designed and co-owned, together with Rebecca Lockwood, a restaurant in Copacabana, the Abaporu, a tupi-guarani word that means “the man that eats” and refers to the anthropophagous movement in Brazil, which in the 1920 launched Brazilian modernism. The restaurant was an aesthetic experiment, an effort to combine Amazonian traditions with the urban culture of the megacity Rio de Janeiro.


COOKBOOK’19 - LA PANACÉE - MoCo - MONTPELLIER MANIOC USINE - COZINHA RADICANTE Rebecca Lockwood,Ynaiê Dawson, Rosa Branca in collaboration with Roberto Cabot COMMISSAIRE D’EXPOSITION/CURATOR Nicolas Bourriaud, Andrea Petrini TEXTES/TEXTS Cozinha Radicante, Roberto Cabot, Glauber Rocha TRADUCTION/TRANSLATION John Norman (Port-Eng), Heloisa Martins Costa (Eng-Fr and Port-Fr), Annie Cambe (Port-Fr) PHOTOS Cozinha Radicante, Nailana Thiely, Herdeiros de Glauber Rocha/Copyright Consultoria, Louise Botkay, Rao Godinho DESSIN ET PEINTURES/ DRAWINGS AND PAINTINGS Roberto Cabot DESIGN Cozinha Radicante IMPRESSION/ PRINTING Newspaper Club FILMS Barravento (Glauber Rocha, 1962), Um filme para Ehuana (Louise Botkay, 2017), Korubos (Ernesto Solis, 2013) MONTAGE MANIOC USINE / MANIOC USINE ASSEMBLING Cozinha Radicante, Roberto Cabot, Baptiste Aimé, Morgan Valle, Nina Sanchez, Lolita Mille, Philip Berg, Fatou Sourang, Mathilde Corby, Christophe Goutes, Mathilde Eyraud, Lucie Techer, Rémi Reymon, André Devezeaud, Daniel Rizo REMERCIEMENT/ACKNOWLEDGMENTS La Panacée, l’École Supérieure de Beaux-Arts de Montpellier Contemporain (ESBA MOCO), Bianca Falcão de Azedo, Renato Brandão, Yann Mazéas, Javier Scian, Dani Santos, Yannick Ays, Pauline Faure, Caroline Chabrand, Jean-Adrien Arzilier, Pierre Bellemin, Daniel Kucera, Reila Gracie, Marcela Soares, Tobia Messa, Maria Clara Contrucci, Carlotta Nove, Beatrice Vermeir, Helen Depulford, Roxane Boulet, Lily Ashley 43


COOKBOOK’19


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