Un chant dans la nuit

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PREVIEW DISPONIBLE DU 9 AU 13 AVRIL AU SALON DU LIVRE DE QUÉBEC AU KIOSQUE ZIDARA9 #368B



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UN CHRÉTIEN ARABE ÉTAIT VENU M’ANNONCER QUE QUELQUES CAVALIERS SARRASINS EN FUITE...

ÉTAIENT LÀ, DROIT DEVANT...

PLUS PRÈS QUE JE NE L’AURAIS PENSÉ DE MON CAMPEMENT.


MES SENS NE M’AVAIENT PAS TROMPÉ ! CETTE MANIFESTATION SIGNE UNE PRÉSENCE MALÉFIQUE PROCHE !

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LE CAMPEMENT DES SARRASINS ME PARAISSAIT TOUT À COUP FAMILLIER.

CEUX QU’ON AFFRONTAIT DEPUIS DES MOIS AVAIENT, EN CE MOMENT PRÉCIS...

QUELQUE CHOSE D’HUMAIN !


CES MÉCHANTS DEVISAIENT, RIAIENT, SE POINTAIENT, SE DONNAIENT TOUTES LES MARQUES DES PLUS NOBLES SENTIMENTS FRATERNELS,

SANS HARGNE,NI RICTUS DE HAINE POUR DÉCHIRER LEUR BOUCHE.

CE N’ÉTAIT PLUS DES ENNEMIS ANONYMES, DES DIABLES SANS VISAGE, MAIS DES HOMMES QUE l’ON DEVRAIT BIENTÔT EXTERMINER JUSQU’AU DERNIERS.

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J'ALLAIS DONNER L'ASSAUT QUAND...

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UN CHANT DANS LA NUIT Août 1099, près d’Ascalon, en Palestine.

Nouvelle écrite par Gabriel Thériault

Messire Godefroy, son épée au clair, se tenait bas, progressait prudemment parmi les buissons et les rocailles. Au plus fort de la nuit, seule son armure sur laquelle se reflétaient les rayons lunaires mettait un peu de lumière dans les ténèbres épaisses, dans lesquelles il paraissait s’enfoncer, nager. L’épuisement de toute une campagne lui retombait, en une nuit, sur les épaules. Il était las, immensément las, mais il devait continuer, mener au combat ses hommes, une trentaine de guerriers, d’écuyers et de valets, en armes, écu au col, heaume lacé, lance, arc ou glaive au poing. Un chrétien arabe était venu leur annoncer, alors qu’ils étaient plongés en plein sommeil, que quelques cavaliers Sarrasins en fuite, débris d’une armée plus vaste, étaient là, droit devant eux, plus près qu’ils auraient pensé de leur propre campement. Le mouvement des armées croisées les avait pris en tenaille, comme dans une énorme nasse. Désormais, ils n’avaient plus nulle part où aller, maintenant que les croisés progressaient et dévastaient tout sur leur passage, maintenant que leur ville avait été prise et ruinée, maintenant qu’ils étaient traqués de toutes parts, maintenant qu’ils ne pouvaient plus vaincre. Soudain, une forme détala devant le chevalier. C’était un serpent ondulant sur le sable, dessinant les traces de ses reptations sinueuses sur son passage. Godefroy se signa et se tourna vers ses compagnons, qui grimaçaient et fronçaient les sourcils en pointant le vil reptile. Ses sens ne l’avaient pas trompé. Il n’avait pas été victime d’une illusion. Ses hommes avaient bien vu, eux aussi, la chose qu’ils étaient tous tentés de prendre pour un signe, une manifestation d’une présence maléfique proche contre laquelle ils s’avançaient, en ordre de bataille. La vision de ses soldats lui arracha un soupir de découragement. Tannés par le soleil, hirsutes sous leur heaume cabossé, crasseux et puants dans leur haubert fatigué et démaillé par endroits, mal rasés contrairement à leur habitude, ils étaient l’image de la déchéance à laquelle les réduisait une guerre d’usure qui leur semblait sans fin. Tous rêvaient d’un bain et d’un confort que leur refusaient les difficultés d’une armée en campagne, dans un pays aride, sans eau, asséché sous les assauts d’un soleil de flammes. Il s’allongea, rampa, écrasé au sol par l’angoisse descendu tout au fond de son ventre, la fébrilité du prédateur à l’approche de sa proie et qui appesantissait ses moindres gestes. Sous lui, sous son poids de guerrier tout en muscles, amaigri par la dureté des temps, mais alourdi par son armure, le sable s’amollit : il était froid et mou, d’un contact auquel il ne s’habituait pas encore, lui qui venait des terres grasses, lourdes et vertes du Nord. Mais il était arrivé, enfin. Du haut de la colline où Godefroy était étendu de tout son long, au milieu de ses compagnons, il vit en contrebas le diable, l’Ennemi, une dizaine des Sarrasins, enveloppés dans leur long manteau oriental, assis autour du feu qui jetait ses flammes sur leur visage. Ils se croyaient faussement en sécurité, au creux d’une dépression ceinturée par des broussailles, comme au milieu d’une palissade. Autour d’eux, les tentes, de leurs pans, faisaient les murs d’une maison, où ils semblaient s’oublier aussi bien qu’au foyer. Même leurs chevaux,

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UN CHANT DANS LA NUIT attachés à des pieux plantés au sol, s’ébouriffaient et hennissaient joyeusement avec l’insouciance de leur maître. Hors des mêlées enragées, loin des galops furieux, loin des poursuites à travers les nuages de poussière, ceux qu’ils affrontaient depuis des mois avaient en ce moment précis quelque chose d’humain, sous les lueurs changeantes des flammes, sous la lumière que la lune, plantée dans ses ténèbres, déversait sur les dunes et sur leur figure mate. Cette pensée le troubla. Ces méchants devisaient, riaient, se pointaient, se donnaient toutes les marques des plus nobles sentiments fraternels, sans hargne, ni rictus de haine pour déchirer leur bouche. Ce n’était plus des ennemis anonymes, des diables sans visage, mais des hommes qu’ils devraient bientôt exterminer jusqu’aux derniers. Peut-être les cavaliers avaient-ils eu la naïveté de se croire hors de tous dangers, envolés au loin sur leur jument rapide comme pégase, peut-être avaient-ils besoin d’évasion, de fuir la guerre et le désespoir, mais ils semblaient insouciants, heureux même. Godefroy en eut un sourire mauvais. Il s’apprêtait à ordonner à ses archers d’encocher leur flèche, à ses hommes de se déployer tout autour pour encercler et écraser ces pauvres fous, quand soudain un infidèle se mit à chanter. Presque aussitôt, deux de ses camarades sortirent, de sous les pans de leur longue cape, leur flûte et jouèrent pour accompagner sa voix au timbre clair qu’on eut dit céleste. L’homme chantait très bien, lors même que le feu pétillant éclairait plus ardemment son visage. Quelque chose, comme une émotion forte, sembla ébrécher sa voix, si bien que Godefroy s’arrêta, pétrifié. Lui-même ne savait pas combien de fois les vièles, le blessant au cœur de leurs sanglots, l’avaient fait pleurer à son tour! Sous sa poitrine puissante et large de guerrier battait un cœur tendre de poète. Des sentiments cruels l’assaillaient, tandis que lui revenaient, avec la violence d’un orage qui aurait éclaté sous son crâne, le souvenir de la lointaine Europe, froide et pluvieuse, des images joyeuses de sa femme, de ses enfants et de son château. Tuant l’homme, n’allait-il pas tuer l’Art, le Foyer, l’Amour? Godefroy fut envahi par la certitude que ce chanteur, dont le langage lui paraissait pourtant barbare et odieux, souffrait des mêmes choses que lui. Cet échange sans paroles avec ses ennemis, contre lesquels il n’avait que guerroyé jusqu’à maintenant, le troubla au plus profond de son être. Au mépris de ses convictions et de ses idéaux de croisé, il put ressentir dans sa chair, que la musique était la seule langue universelle. Il se mit alors à douter pour la première fois depuis qu’il avait pris la croix, cette croix de tissu qu’il portait à l’épaule, comme un rappel de son serment de libérer la Terre sainte et de venger les outrages commis contre le nom chrétien et contre son seigneur le Christ, cette croix rouge tel le sang, le sien, mais aussi celui de l’ennemi, qu’il avait répandu à torrent. Il ne savait que faire. Sa poigne se crispa sur le pommeau de son épée comme s’il avait pu, entre ses doigts raidis, tordre le cou à ses doutes, contre lesquels il se sentait l’obligation de lutter. Ne constituaient-ils pas une sorte de reniement de tout ce pourquoi il avait vécu durant des mois, son pénible pèlerinage armé, son quotidien misérable de moine, son dévouement à une cause supérieure sur l’autel de laquelle toute son existence, son bonheur, son confort, sa richesse, avaient été déposés, sacrifiés, donnés au Roi des

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UN CHANT DANS LA NUIT rois? Une sorte d’abandon de tous les camarades massacrés? Il se tourna, attiré par un gémissement. Son plus fidèle vassal, qu’il avait pourtant toujours tenu pour un dur, pleurait : une larme tomba sur sa joue, roula en lavant la crasse, emportant la haine dont il était tout barbouillé depuis des jours, de l’extérieur comme de l’intérieur, du cœur comme du visage. Une immense peine tomba sur les épaules de Godefroy, un fardeau sous lequel son âme titubait, mais qu’il devait pourtant avoir la force de soutenir en tant que chef de guerre et combattant d’une juste cause. C’était la conscience de la gravité des actes qu’il avait commis ou commandés, le crime impie que les siens avaient perpétré en livrant à feu et à sang la terre que le Christ avait foulée pour y semer un message de paix et de miséricorde. Cette semence que les apôtres avaient épandue, aux vents de leur prêche, partout sur le monde n’était-elle pas piétinée par leur avancée sanglante? Tout en rengainant son épée, il recula et somma ses hommes de retraiter, en ordre de bataille, aussi prudemment qu’ils étaient venus. Cette nuit-là, la paix s’étendrait aux hommes de bonne volonté. Cette nuit là en serait une de trêve. Mais qu’en serait-il des lendemains?* Quelques verges plus loin, il revint sur ses pas, en entraînant ses soldats à sa suite. Il le fallait; il devait le faire, sans quoi les humiliations que la Croix avait subies, des mois de sacrifice, la faim, la touffeur de fournaise du désert, les privations, la maladie, la mort de ses frères d’armes n’auraient aucun sens. D’un geste vif, il tira son épée et s’écria : Dieu le veut!

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LA PREMIÈRE CROISADE La croisade se situe au confluent de deux idées médiévales fortes, soit celle d’une guerre sainte menée sous la tutelle de l’Église contre les païens menaçant la Chrétienté, ainsi que celle du pèlerinage qui jettent, dans un esprit de pénitence, les marcheurs de Dieu par centaines sur les routes de Rome, Saint-Jacques-deCompostelle, mais bientôt aussi de Jérusalem, première parmi les saintes destinations du fait du prestige que lui confère l’histoire biblique. Avant que ces deux idées ne se fécondent l’une l’autre pour donner naissance à la croisade, il faut attendre la fin du XIe siècle, alors qu’à la bataille de Manztikert (1071, Turquie actuelle) les Turcs seldjoukides écrasant les forces byzantines. Digne successeur de la Rome impériale, jusqu’alors solide bastion à l’est du nom chrétien, l’Empire byzantin est menacé d’effondrement imminent. Il faut le secourir. L’Empereur de Byzance appelle l’Occident à l’aide. Il voulait quelques contingents mercenaires dont il connaissait la qualité des combattants pour les avoir affrontés; il aura des armées, des peuples en marche. Cette immense défaite entraîne peut-être dans son sillage des exactions et des crimes contre les chrétiens qui, déformés et grossis par le vent des rumeurs, ne manquent pas d’émouvoir les chrétiens d’Europe. Mais les persécutions antichrétiennes dateraient plutôt d’une époque antérieure ou plutôt des désordres et des insécurités qu’entraîne non pas la défaite byzantine, mais la conquête turque de la Palestine. Toujours est-il que cette série d’incidents appelle à la militarisation des pèlerinages en direction de Jérusalem dès le milieu du XIe siècle. C’est, dans un tel contexte, qu’il faut voir la première croisade; elle est une guerre sainte déclenchée par le pape (concile de Clermont, novembre 1095), à la fois expédition punitive (il faut punir les musulmans) et expédition de secours (il faut secourir les chrétiens d’Orient). Dans ce juste combat, l’Église ne manque pas de rappeler aux combattants que le Seigneur ne peut que bénir et même diriger la lutte. Au propos de cette présence divine, selon le chroniqueur Guibert de Nogent le pape aurait dit aux croisés lors dudit concile : « Soyez convaincus que le Christ, en vous envoyant livrer ses combats, marchera devant vous, qu’Il sera votre porte-bannière et votre inséparable précurseur. » C’est aussi dans cette perspective d’unir étroitement Dieu aux combats que s’apprêtent à livrer ses soldats que l’Église s’inspire des valeurs chevaleresques exaltant la fidélité. Elle rappelle ainsi aux chevaliers leurs devoirs. En tant que chrétiens et donc vassaux du Seigneur : ceux-ci doivent venger l’honneur du Christ dont les droits sur son patrimoine, sur la terre qu’il a foulée, auraient été spoliés et usurpés par les musulmans. Les chevaliers doivent rendre au Christ son fief. À cet objectif que l’on pourrait qualifier de politique et de religieux se double, pour l’Église, un objectif plus profond, spirituel, de rénovation de la société. La croisade, que l’on gagnerait à désigner selon les mots de l’époque comme un pèlerinage armé, est une façon de transformer la société en profondeur, d’amener l’élite (la noblesse) à la pénitence. C’est en cela que la croisade s’abouche avec l’idée de pèlerinage précédemment citée. Tout comme le pèlerinage, elle doit amener le guerrier à une privation de confort, à un effort devant briser le corps et l’amener à la conscience de ses fautes.

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REMERCIEMENTS Rémi Paradis remercie tout d’abord Gabriel Thériault pour lui avoir permis d’adapter sa nouvelle et ses notes historiques en bande dessinée. Il remercie aussi ses amis et la famille de celui-ci pour le soutien du projet ainsi que Luc Dorais pour son rôle de consultant historique.

UN CHANT DANS LA NUIT Publié et édité par Rémi Paradis Couverture, dessins et mise en pages par Rémi Paradis Nouvelle et complément historique par Gabriel Thériault Correction d’épreuves par Gabriel Thériault et Antidote © Rémi Paradis et Gabriel Thériault Québec (Qc), Canada Isbn: 978-2-9812772-5-1 dépot légal— 1e trimestre dépot légal— Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2014 dépot légal— Bibliothèque et Archives canada, 2014 tous droits réservés

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Moi, Messire Godefroy, ayant quitté depuis près de cinq ans mes bonnes terres chrétiennes, marchant là où le Christ a marché, portant avec lui sa Croix imprimée dans ma chair, je suis las de guerre et de massacre, mes mains sont tachées d’un sang indélébile dans l’éternité. La joie immense de la délivrance du Saint-Sépulcre, lavée dans le sang des Infidèles, ne me fait pas oublier la mort de tous les miens, le souvenir de ma femme et de mes enfants laissés trop loin de moi. Dieu Bon, Dieu de Miséricorde, faites que je les revois! Pourtant, puisqu’il le faut, parce que Vous l’exigez de moi, moi qui ne suis que votre humble serviteur, j’avance encore. Il me faut chasser et écraser ceux qui menacent nos frêles et nouvelles possessions chrétiennes. Que vois-je? Des infidèles se dressent dans la nuit? Des ennemis chantent? En avant, frères chrétiens, bons compagnons de route et d’épée! Ô toi qui me lis, avec moi! Marchons sus eux! Et que le Christ nous garde de l’infamie de la défaite!

Détenteur d’une maîtrise en histoire médiévale dont le sujet portait sur la première croisade, Gabriel Thériault a également publié une trilogie médiévale, aux éditions Joey Cornu, dont les deux premiers tomes, Les Exaltés ainsi que Abîmes et souffrances, lui valurent prix et attention de la critique.

Gabriel Thériault Scénariste

Passionné par la Bd depuis l’enfance, il s’investit dans cet univers jusqu’à parfaire sa formation en dessin et en animation au collégial. Intéressé aussi par l’époque médiévale, c’est avec plaisir qu’il a relevé le défi avec Gabriel d’adapter sa nouvelle en bande dessinée.

Rémi Paradis Dessinateur


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