14eFestival des Cinémas Différents de Paris

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14è

DES

ET

DE 2012


SOMMAIRE

6

Compétition Internationale

7 9

Jury international Films en compétition, 9 programmes

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COUPS DE CŒUR

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Focus Est

27 29 30 31 34 37

Édito de Frédéric Tachou Séance no1 : In the mouth of the volcano Séance no2 : Focus sur Svetlana Baskova Séance no3 : Films hongrois, temps suspendus Séance no4 : Trajectoire Cine Fantom Séance no5 : Focus sur Artur Aristakisyan

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Articles

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Frédéric Tachou : Tradition et originalité dans le cinéma expérimental Hrvoje Turković : Des genres alternatifs, les sous-genres du film expérimental

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Événements périphériques

49 52 55

L’avant-garde cinématographique tchèque Tradition filmique et innovation cinématographique Séance chez le réalisateur Pierre Merejkowsky

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SÉANCEs SPÉCIALEs

57 58 59

Séance Strigiformes Hommage à Marcel Hanoun Sexe, politique et Super 8

60 62

Le Super 8, le bâtard du cinema Inventaire descriptif et inachevé du Super 8

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SOIRÉE DE CLÔTURE


calendrier

14h00

16h00

18h00

JEUDI 06 DÉC. → C. Culturel Tchèque

20h00

FOCUS EST

22h00

00h00

événements périphériques L’avant-garde cinématographique présentée par Martin Cihak, 19h30.

VENDREDI 07 DÉC. → C. Culturel Serbe

événements périphériques Sélection de films de jeunes réalisateurs Serbes par Dunja Jelenkovic, 20h00.

SAMEDI 08 DÉC. → Domicile de P. Merejkowsky

événements périphériques Projection du film Que faire ? au domicile du réalisateur Pierre Merejkowsky, séance uniquement sur réservation, 20h00.

MARDI 11 DÉC. → Les Voûtes

SOIRÉE D’OUVERTURE DU FESTIVAL Séléction de films lituaniens présentés par Arturas Jevdokimovas et cocktail, 20h00.

mercredi 12 DÉC. → Les Voûtes

JEUDI 13 DÉC. → Les Voûtes

vendredi 14 DÉC. → Les Voûtes

samedi 15 DÉC. → Les Voûtes

dimanche 16 DÉC. → Les Voûtes

ÉVÉNEMENTS PÉRIPHÉRIQUES, SÉANCES SPÉCIALES, SOIRÉE D’OUVERTURE ET JOURNÉE DE CLÔTURE DU FESTIVAL

COMPÉTITION INTERNATIONALE

JOURNÉE DE CLÔTURE Sexe, Politique et Super 8, Séance no1, 14h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 1, 16h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 2, 18h00.

FOCUS EST Focus sur Svetlana Baskova. Présence de la réalisatrice, 20h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 3, 22h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 4, 16h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 5, 18h00.

FOCUS EST Films hongrois, temps suspendus Présence de Ivan et Igor Buharov, 20h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 6, 22h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 7, 16h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 8, 18h00.

FOCUS EST Trajectoire Cine Fantom Séance no1, 20h00, avec Andrey Silvestrov

FOCUS EST Trajectoire Cine Fantom Séance no2, 22h00, avec Andrey Silvestrov

SÉANCE SPÉCIALE Séance Strigiformes, 16h00.

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 9, 18h00.

FOCUS EST Focus sur Artur Aristakisyan. Présence du réalisateur, 20h00.

JOURNÉE DE CLÔTURE Sexe, Politique et Super 8, Séance no2, 16h00.

JOURNÉE DE CLÔTURE Débat public du jury international et remise des prix, 18h00.

SOIRÉE DE CLÔTURE Performance de Džordž Vašington, 20h00.

SOIRÉE DE CLÔTURE Noc Marcel-a (La Nuit de Marcel) redécouverte des films du Kino Klub de Split, 20h30.

SÉANCE SPÉCIALE Hommage à Marcel Hanoun LA NUIT CLAIRE, 22h30.


JURY INTERNATIONAL

COMPÉTITION INTERNATIONALE

Vassily Bourikas

Emmanuel Lefrant

Réalisateur de courts métrages et de programmes pour la télévision en Angleterre, Grèce, Belgique et Allemagne. Il a travaillé en tant que programmateur pour plusieurs festivals (Thessaloniki IFF, la Viennale, Videoex, l’Alternative Film & Video Festival of Belgrade). Il est le co-fondateur de LabA, laboratoire et plate-forme de production de cinéma expérimental basé à Athènes.

Cinéaste travaillant sur l’abstraction entendue comme paysage, un paysage acteur ou producteur d’émotions et d’expériences subjectives. Né en 1975, il étudie le cinéma à la Sorbonne Nouvelle où il commence un recherche sur le cinéma abstrait. Il passe ensuite plusieurs années au Québec puis, de retour à Paris en 2004, il reprend son travail de performance avec le collectif Nominoë. Il est depuis 2007 le directeur de Light Cone.

Masha Godovannaya Cinéaste expérimentale et programmatrice russe vivant à Saint-Petersbourg. Elle a été chercheuse et programmatrice à l’Anthology Film Archives à NY et a réalisé plusieurs films qui ont été présentés à de nombreux festivals. Elle enseigne également le cinéma à la Faculty of Liberal Arts and Sciences à Saint-Petersbourg.

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Nataša Petrešin-Bachelez Nataša Petrešin-Bachelez est commissaire d’exposition et critique indépendante basée à Paris. Elle est co-directrice des Laboratoires d’Aubervilliers et co-dirige le séminaire « Something You Should Know » à l’EHESS depuis 2006. Elle fait également partie du comité éditorial pour la revue en ligne ARTMargins : Contemporary Central and Eastern European Visual Culture (UC Santa Barbara) et depuis 2011, Nataša Petrešin-Bachelez est éditeur en chef du journal de la Manifesta.

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Robert Todd Robert Todd est peintre, cinéaste, et aussi enseignant à Boston depuis 1985. Réalisateur intéressé par la poésie du matériel non fictionnel, il produit constamment des courts métrages résistant à toute catégorisation. Son travail a acquis une renommée internationale et a reçu des nombreux prix.

Johanna Vaude Johanna Vaude est une artisteréalisatrice qui a exploré différentes pratiques artistiques : dessin, peinture, photo, installation, poésie, bande dessinée. Ses films sont projetés dans de nombreux pays et des rétrospectives lui sont consacrées. Depuis 2011, Johanna Vaude honore des commandes pour Blow Up, le nouveau webzine sur arte.tv dédié à l’actualité du cinéma.


Sélection de vidéos et de films réalisés en 2011-2012. EN — Video and film selection from 2011-2012. FR —

le Jury International décernera plusieurs prix proposés par : EN — The International Jury will give many prizes supported by: FR —

Andec Filmtechnik, Asimages, Lowave, Mediacapture, Re :Voir & Paris Expérimental

Mercredi 12 décembre programmes 1, 2 et 3 PROGRAMME 1 16h00

OR ANYTHING AT ALL EXCEPT THE DARK PAVEMENT Théodora Barat France, 2011, 5'30 FR — Un travelling en deux moments : d’abord une percée nocturne dans la ville jusqu’à l’obscurité presque totale, puis des éléments de mise en scène apparaissent proposant un autre paysage lumineux. Une vision fantasmée de paysage de bords de route. EN — A tracking shot. We start to progress into the city by night. When the city fades away, actions take over the obscurity. They announce other stories or oneiric moments: the fantasized vision of a roadside landscape. CORPO PRESENTE Marcelo Toledo & Paolo Gregori Brésil, 2011, 75', VOSTEN

PORTRAIT DE LA PLACE VILLE MARIE Alexandre Larose Canada, 2011, 3'20, 16mm FR — Court portrait de l’édifice 1, place Ville Marie à Montréal, ce film a été réalisé en tourné-monté. EN — This film is a short portrait of the edifice 1 in Ville Marie square in Montreal. The film was shot and edited in camera.

WITH-ME-NOT-ME Olivia Ciummo 9

FR — Cynthia est strip-teaseuse la nuit, manucure le jour. Elle rêve de partir au Japon. Alberto est croque-mort. Tranquillisants, stimulants et sexe sont pour lui des moyens d’échapper à la réalité. Beatriz travaille à l’usine et adore les tatouages. Elle n’arrive jamais à satisfaire ses désirs. La nuit, leur vie tourne au chaos quand un orage éclate sur la ville. EN — Cynthia is a striptease dancer at night, she is a manucure during the day. Her dream is to move to Japan. Alberto is an undertaker, who tries to escape from reality using tranquilizers, stimulants and sex. Beatriz is a factory worker and she loves tattoos. She never accomplishes her wishes. At night, their life turn to chaos when a storm falls upon the city.


PROGRAMME 2 18h00

NEW HIPPIE FUTURE Dalibor Baric Croatie, 2011, 4'04 FR — Dans une atmosphère surréaliste et psychédélique, ce film traite de la vie, de la liberté et du dépassement des limites. EN — In a surreal and psychedelic atmosphere this film deals with life, freedom and transcendence of limitations. ANTERO José Alberto Pinto Portugal, 2011, 18', VOSTEN

LIGHTS Tom Chimiak Royaume-Uni, 2011, 2'19 FR — La beauté des lumières électroniques internes d’un point de vue autiste. EN — The beauty of internal electronic lights from an autistic point of view.

EN — This mythological fable talks about confinement. It denounces the spiral of violence that it generates. Made in Brazzaville during the rehearsals of the play “Vertigo Base” by the congolese Dieudonné Niangouna, the movie leans on the actors performance seen as self-abnagation.

ORO PARECE Anja Dornieden & Juan David Gonzalez Monroy Allemagne, 2011, 6', 16mm

WEST: WHAT I KNOW ABOUT HER Kathryn Ramey États-Unis, 2012, 20', 16mm, VO

FR — S’efforçant d’expliquer leur histoire familiale, une mère et son fils de cinq ans entreprennent FR — « Un film sur un homme un « road trip » à travers les Étatsnommé Antero, issu d’un monde Unis sur les traces d’Elizabeth populaire et païen. Antero récite Crandall Perry, sage-femme, des rimes, des vers et des dictons proto-féministe et arrière arrière populaires. Antero rit. Antero grand-mère de la réalisatrice. collecte des objets perdus et fixe EN — In an effort to explain their tout ce qu’il trouve. » Carlos Ramos family history, a mother and her EN — “A film belonging to the 5-year-old son take a road trip pagan and popular realm, about across the United States following a man named Antero. Antero the path of Elizabeth Crandall recites rhymes, verses and Perry, midwife, proto-feminist popular sayings. Antero laughs. and the film-maker’s great great Antero collects lost objects grandmother. and fixes everything he finds. Like Joseph Beuys said, every man is an artist.” Carlos Ramos VEXED Telcosystems Pays-Bas, 2012, 28'50 TANT QUE LE DIABLE EXISTERA… Aliénor Vallet FR — Alors que les physiciens France – Congo, 2012, 14' font part de la découverte d’une particule perçue comme une FR — Cette fable mythologique composante fondamentale pour parle de l’enfermement et notre compréhension de l’Univers, dénonce la spirale de violence Telcosystems met en avant une qu’il génère. Conçu à Brazzaville autre théorie ; laquelle décrit un lors des répétitions de la pièce monde digital instable… « Le Socle des Vertiges » EN — As physicists are closing in du congolais Dieudonné on the particle described as the Niangouna, le film s’appuie sur fundamental building block in our un travail du jeu d’acteur understanding of the Universe, perçu comme sacrifice de soi. Telcosystems show a far less conclusive particle theory; one that describes a digital world that is unstable…

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PROGRAMME 3 22h00

EN — REVISIONS explores the moving image as collective memory and historical document. Since the advent of the newsreel, world events have been recorded and shared, and images of war and atrocity have tended to become the most iconic.

FR — Une farce si triste et si lamentablement racontée que les personnages sont forcés de révéler leur esprit dans le processus même de leur destruction. EN — A joke so poorly told and unfunny, that the characters of the joke are forced to reveal their spirit through the process of their own destruction. FOOTBALL Ana Husman Croatie, 2011, 14'45, VOSTEN FR — Mexico City et « la Main de Dieu ». Deux équipes. Eux et nous. Partie de 51 minutes. 1 à 0. EN — Mexico City and “the hand of God”. Two squads. Us and them. Playing 51 minutes. 1:0. ETERNAL FLAME Neasa Terry Royaume-Uni, 2012, 4'11 REVISIONS Chris Oakley Royaume-Uni, 2011, 8'30 FR — REVISIONS explore l’image en mouvement comme mémoire collective et document historique. Avec l’avènement de l’information télévisée, les faits d’actualité inter-nationaux ont commencé à être enregistrés et partagés, et les images de guerre et d’atrocité sont devenues emblématiques.

FR — Assemblant grossièrement des images de moi-même, chantant et dansant dans mon appartement, j’ai créé mon groupe personnel. Il pourrait faire une tournée internationale, s’il ne lui manquait pas la confiance en soi, le talent et l’argent. EN — Crudely cutting together footage of myself singing and dancing in my flat, I have created my own personal girlband. It could tour the world, if it weren’t for lack of self-belief, talent and cash. 11

L’ENQUÊTE DU MYSTÈRE IMPOSSIBLE Christophe Frémiot France, 2011, 11'39, VO FR — Le 11/11/2011 à l’ETNA, salle de projection située en plein cœur du quartier du Temple, était projeté devant un public effaré : L’Enquête du mystère impossible. Il révèle des choses étonnantes concernant « la fin du monde » du 21/12/2012, issues d’une minutieuse et périlleuse enquête de l’auteur, jusqu’aux confins de la mer Baltique. EN — This film was screened in front of an aghast audience on the 11/11/2011, at the ETNA, a cinema venue in the middle of the Temple district in Paris : the investigation of the impossible mystery. Some surprising revelations about “the end of the world”. A meticulous and perilous investigation of the author, until the borders of the Baltic Sea. LEXIQUE DYSLEXIQUE Derek Woolfenden France, 2012, 43', VO FR — Fiction expérimentale découpée en 6 parties distinctes déclinant le sentiment amoureux comme autant de fragments identitaires et « précaires » dont l’ambition est à la fois de retranscrire l’affect particulier de son réalisateur comme celui d’un imaginaire collectif commun. EN — An experimental fiction cut into six distinct parts that present the feeling of love as “precarious” fragments of identity. The ambition of these fragments is to retranscribe the personal affect of the film author as much as the more general one of a collective and common imaginary.


LA TERRE Vincent Le Port France, 2012, 8'25

JEUDI 13 décembre programmes 4, 5 et 6 PROGRAMME 4 16h00

FR — Tous les fleuves vont à la mer et la mer ne se remplit pas. (Finistère, 13 janvier 2012). EN — All the rivers go the sea and the sea does not fill up. (Finistère,13 janvier 2012). THE SOUND OF BREATHING Erin Celeste Weisgerber Canada, 2012, 6', 16mm FR — Traduction cinématographique d’un poème écrit parla cinéaste, The Sound of Breathing, est à la fois un film de danse et un ciné-poème. Tourné avec du 16mm noir et blanc, le film a ensuite été re-photographié sur la tireuse optique, grossièrement développé à la main dans des seaux, et monté. Les images résultant de ce procédé présentent une tension entre la profondeur de la représentation et la surface du film. EN — The film is a cinematographic translation of a poem which was written by the filmmaker. It’s at the same time a dance-film and a poetic-film. Shot in 16mm black and white, it was then reshot with an optical printer, rudely developed in a home-made manner inside buckets, and edited. The resultant images of this process present a tension between the representation depth and the surface of the film.

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IN LEI E NEL RIFLESSO Maurizio Mercuri Italie, 2011, 7'46 FR — Un garçon. Une fille. À travers le miroir. Reflets. Absence. Mémoire. Être. Identité. Sentiment de perte. EN — A boy. A girl. Through the looking-glass. Reflections. Absence. Memory. Being. Identity. A sense of loss. POSTCARDS Anj Persona & Dmitry Trofimov Russie, 2012, 8'30 FR — Une tentative de restaurer les rêves du voyage, ce qui est resté dans les cellules du cerveau, de vagues souvenirs. EN — Post cards are just a try to restore the dreams after journeys and what is left on the cells of brain… tricky vague memory… TREMBLE Rodolphe Olcèse France, 2012, 45', VOSTEN FR — Un homme d’une cinquantaine d’année, en désespérance, s’abîme dans l’alcool et fréquente une fille de joie. EN — A fifty-year old man in despair. He looses himself in alcohol and in the company of a lady of the evening

PROGRAMME 5 18h00

LAPSE Micheline Durocher Canada, 2011, 1'48 FR — Sur une bande son percutante, cette vidéo surréaliste capte les mouvements idiosyncrasiques d’une nageuse dans une bulle d’eau agitée. EN — Set to a soundtrack of percussive sounds, this surrealistic video captures the idiosyncratic movements of a swimmer in a restless bubble of water. NARC MWoods États-Unis, 2011, 5'58 FR — Une femme absorbe des anesthésiants pour échapper à la sphère de médiation qui affecte son être. Elle se délecte de la dissolution totale des limites de sa réalité, maintenant emprisonnée et confinée dans la bouillie de son propre vomit médiatique recyclé. EN — A girl disassociates with anesthetics to escape the mediated sphere that collapses her being. Instead she revels in the total dissolution of the limits of her reality, still imprisoned, but now confined in a sludge of her own recycled media vomit. SO CERTAIN I WAS, I WAS A HORSE Emilie Serri Canada, 2011, 11' FR — Sur le fond noir abyssal du tableau, des corps se meuvent entre ombre et lumière. EN — On the black abyssal background of the painting, some bodies move between light and shadow.

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ANNÉE ZERO–VISAGÉITÉ Jacopo Natoli Italie, 2012, 4'33, VOSTEN FR — Année zéro–Visagéité est le 7e « plateau » des « Mille Plateaux – Capitalisme et Schizophrénie » (1980) de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Cette œuvre fait partie d’un projet plus important de « ré-écriture » audiovisuelle, plateau après plateau, de ce livre. Mais la plupart des images, de même que le son, ont été collectés sur le Net. EN — Année zéro–Visagéité is the 7th “plateau” of book « Mille Plateaux - Capitalisme et Schizophrénie » (1980) by Gilles Deleuze and Félix Guattari. The work is part of a wider project aiming to audio-visually “re-write”, plateau by plateau, the book. But most of the footage, as well as for the sound, have been collected from the Net. LUMIÈRE JAUNE Antoine Racine & Léa L’Espérance Canada, 2011, 20'33 VOSTEN FR — Un homme sort d’un profond sommeil et découvre autour de lui un lieu inconnu. Est-il mort ? Assailli par les souvenirs d’un passé incertain, il erre de colline en colline, de vision en vision, le temps d’une journée qui semble s’étirer à l’infini… EN — A man wakes-up from deep sleep to discover an unknown place. Is he dead? Immerged by memories of an uncertain past, he wanders from hill to hill, from vision to vision, for a journey that seems endlessly stretch itself…


UNE PASSION Thomas Jenkoe France, 2011, 6'44, VOSTEN

PROGRAMME 6 22h00

FR — Un moment noir de la vie, exorcisé à vif, au téléphone portable. EN — A dark moment of life transfigured by a smartphone.

DANSER AVEC GRISÉLIDIS Véronique Hubert France, 2012, 5'29, VOSTEN FR — La dignité des femmes qui se vendent est revendiquée par une Utopia calme : elle accueille un(e) à un(e) des femmes et des hommes dans son cube transparent le temps d’une danse intime, pendant que Grisélidis raconte pourquoi elle écrit en 1971. EN — The dignity of the women who sell themselves is claimed by a calm Utopia : she welcomes one by one some women and men in her transparent cube for an intimate dance. In the same time, Grisélidis tells why she writes in 1971.

LES AIMANTS Cerise Lopez France, 2011, 11'30 FR — « Les abeilles aiment les fleurs. Les mouches aiment la merde. Et toi, tu m’aimes, ma grosse mouche à miel ? » Quand l’amour déboussole, c’est la porte ouverte aux fauxsemblants et aux trompe-l’œil. S’en remettre à la marguerite n’est-il pas un peu risqué ? EN — “Bees love flowers. Flies love shit. And you, you love me, my big honey bee ?” When love disorientates then the doors are wide open to pretences and trompe l’oeil. Relying on the daisy to tell you how much love is involved, isn’t it a bit risky?

THE ACTION David Matarasso France, 2012, 3'30 FR — Collage de bandes annonces 35mm – films d’action et œuvres pornographiques. EN — Collage of 35mm movies trailers – action and pornographic pictures. WITH-MENOT-ME Olivia Ciummo États-Unis, 2011, 5'15

POOR PEOPLE MUST DIE Slawomir Milewski Pologne, 2011, 23'10

FR — La mention d’un événement tragique fait réapparaître les souvenirs d’une expérience personnelle. Le film fait usage de plusieurs sources indirectes ; le désir de se remémorer cet événement est décliné par un entrelacement d’images fixes et d’images en mouvement avec du son, afin de mieux saisir les acteurs de cette fiction. EN — Allusions to a tragic event reveal memories of a personal experience. Represented through different mediated sources, a desire to remember unfolds through intertwining moving and still images with sound to envision the varied players within the fiction.

FR — Ce film parle de l’Odyssée humaine à travers deux aspects : universel et individuel. EN — This movie is treating about human odyssey, in both aspects: as a mankind and individual context.

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EN — The Red Baron was a German fighter pilot during World War 1. He was considered the ace-ofaces of that war. He was shot down and killed near Amiens on April FR — Une nouvelle année, toujours 21st 1918. It is believed that on la crise. Quelque chose s’est brisé June 7th 2004 he was brought dans notre relation avec notre en- back to life by a team of german tourage et notre environnement. Le scientists. The code name of film montre comment la crise nous the operation was cyber zombie. dirige vers un changement total. EN — New year, same crisis. Something has been broken in XXX ! our relationship with our surrounDietmar Brehm dings and environment. The film Autriche, 2011, 8' shows that crisis is directing us toward a complete change. FR — « Auparavant “XXX” désignait la plus extrême des catégories de films censurés. Mais qu’est-ce THE SIREN qui pourrait être affecté par Laura Jean Healey de telles mesures de restrictions Royaume-Uni, 2012, 4'27 dans ce film ? Des branches qui ondulent dans le vent, une perFR — The Siren, une projection à ruque, un crâne, les Teletubbies, taille humaine entièrement filmée une bouteille de whisky… Il pleut sous l’eau, explore le mythe fémiet toutes les images sont violettes. nin à travers l’écran - symbole du Comme le dit la chanson : “I never regard masculin. Ce film explore meant to cause you any pain. l’idée selon laquelle, en dehors de I just wanna see you laughing in l’ordre social patriarcal de l’Hom- the purple rain.” » Drehli Robnik me, la Femme « n’existe pas et ne EN — “Some time ago, the ‘XXX’ symbolise rien » (Lacan, 1972). emblem designated the strictest EN — The Siren is a life size proof film censorship categories. jection, filmed entirely underOne might wonder what exactly water, exploring the nature of the it is in this film that can be shown feminine mystique within the only under such restrictions. screen and the seemingly active Branches of trees waving in the male gaze. It explores the notion wind, a wig, a skull, Teletubbies, that, cast out from the patriarchal a whiskey bottle… It’s raining, social order of Man, Woman “does and every image is purple. not exist and symbolises nothing” As the old song goes: ‘I never (Lacan, 1972). meant to cause you any pain. I just wanna see you laughing in the purple rain.’” Drehli Robnik CYBER ZOMBIE Bruno Pogacnik Croatie, 2012, 5'12 201.2FM Dénes Ruzsa Hongrie, 2012, 5'35, VOSTEN

FR — Le Baron Rouge, pilote de combat allemand de la 1è Guerre Mondiale, était considéré comme l’as des as dans ce conflit. Il fut abattu près d’Amiens le 21 avril 1918. On raconte qu’une équipe de scientifiques allemands l’a ramené à la vie le 7 juin 2004. Le nom de code de l’opération : Cyber Zombie. 15

XXXIII Theophanis de Lezioso Grèce, 2012, 8', 16mm FR — Le personnage principal du film est un chat blanc sur une motocyclette. Il doit garder ses organes au meilleur de leur forme afin que sa famille puisse maximiser les profits au moment de les vendre. Quiconque se trouverait dans la même situation mériterait de recevoir quelques conseils. EN — The film’s main character is a small white cat on a motorcycle. She is forced to keep her organs in top condition so that her family would maximize profit by selling them at the right time. Anyone finding themselves in this predicament would need advice. ENCULÉ (Fudge Pack) Les Ballets Russes, France, 2012, 7' FR — L’exécution en forêt d’une machine à laver massacrée à coups de feux d’artifice par une horde de jeunes. « Une belle petite enculerie de derrière les fagots ». EN — The nightly slaughter of a washing machine by germans offspring teens executionners, armed with fireworks in the forest. “A slight nice fudge pack from outerbush”. NOUS SOMMES CARNAVAL Arnaud Gerber Allemagne–France, 2012, 34'17 FR — Une ville allemande. Ses chantiers. Ses paysages indus-triels. Son carnaval. Un clown nietzschéen. Dieu est mort à Cologne. Nous l’avons tué. Vous et moi. Un requiem. EN — A German city. Its construction workers. Its industrial landscapes. Its carnival. A Nietzschean clown. God died in Cologne. We have killed Him. You and I. A requiem.


AFRIKKA Matti Harju Finlande–Royaume-Uni, 2011, 8'53

VENDREDI 14 décembre programmes 7 ET 8 PROGRAMME 7 16h00

FR — Un bref échange de conversations autour de Glenn, à peine sorti de depression. EN — A brief exchange around Glenn who’s just come out from depression. GLUCOSE Mihai Grecu & Thibault Gleize France, 2012, 7'18 FR — Un monde où les poissons et la nourriture sont bloqués dans un état d’indétermination quantique. EN — A place where dramas are stuck in an indeterminate quantum cake. LES DERNIERS HOMMES Quentin Brière Bordier France, 2012, 55'30

ULU UMIL EEK Guy Trier France, 2011, 3'42

FR — « Les derniers hommes se tiennent droits comme des arbres, éternels survivants, uniques témoins de la catastrophe de l’absence du monde dans le monde. De cette absence, constante et immuable, ces derniers hommes sauvent les images. » Nikê Giannari EN — “ The last men are standing straight as trees, eternal survivors witnessing the disaster of the absent world within the world. From this consistant and unchangeable absence, these last men save the images.” Nikê Giannari

FR — Voir là… où personne ne regarde… de l’infiniment petit vers l’infiniment grand : Mes « Moving-Bild »… EN — To look where no one is looking… from the infinitely small to the infinitely big: My “Moving-Bild”… 16

PROGRAMME 8 18h00

KEEP MY PIC SISTER Bilsu Hacar Turquie, 2012, 1' FR — Restez juste derrière la burqa et tenez la pose. Voyezvous juste comme une femme. EN — Just stand back the burqa and strike the pose. See yourself as just a woman. PANIC ROOM IP Yuk-Yiu Hong-Kong, 2011, 6'30 FR — Ce film présente un petit appartement de Tokyo avant et après le tremblement de terre qui a touché l’est du Japon et l’incident nucléaire qui l’a suivi en 2011. L’appartement, ordinaire, espace domestique où rien ne semble se passer, devient soudain le miroir d’une réalité physique qui s’écroule et d’une personnalité sous le choc. EN — PANIC ROOM documents a small Tokyo apartment before and after the East Japan earthquake and the ensuing nuclear outbreak in 2011. The ordinary apartment, a seemingly uneventful domestic space, suddenly becomes a mirror of both a collapsing physical reality and a shaken personal state. CCCP Marija Linciute Lituanie, 2012, 20'11, VOSTEN FR — À travers mes souvenirs et ceux de mon entourage, je raconte notre quotidien sous l’union soviétique la veille du 13 janvier 1991. C’est à partir de ce jour-là que tout a basculé et que la Lituanie a été l’une des premières républiques soviétiques à proclamer son indépendance. Entrainant, petit à petit, la chute du régime soviétique…

EN — Through my memories and those of my circle, I tell our daily life during the soviet occupation on the eve of the 13 of January, 1991 - that date where all the things have changed. Lithuania has been one of the first sovietic republic to proclame her independence; pulling, little by little, the decline of the sovietic regime.

DÉRIVES Cécile Ravel France, 2012, 16'42, VOSTEN

FR — Les courants emportent les souvenirs et les portraits de ma famille que l’Histoire a ballotté depuis différentes rives de la Méditerranée. Le désir de mémoire dialogue avec la volonté d’oubli: entre mémoire mouvante et souvenirs glacés, géographies FLOTTER DANS LE NOIR instables et portraits pétrifiés. Wang Lingjie EN — Currents carry away the France, 2011, 6'36 memories and portraits of my family that history has tossed FR — Vidéo prise en février 2011, from one shore of the Mediterraà Bamako, Mali, dans le quartier nean sea to the other. The wish to Djicoroni Para, avec l’appel du muezzin radiodiffusé. Par manque remember dialogues with the will to forge, in a pendular movement d’éclairage public, le paysage de la rue ne nous est plus familier. between moving memory and froLe mouvement des lumières et des zen remembrances, unstable geographies and petrified portraits. personnages d’ombre construit la mémoire du territoire qui passe avec le temps. MUSEUM OF REVOLUTION EN — A video which has been shot Beate Hecher & Markus Keim during the month of februar, 2011, Autriche–Italie, 5'37 in Bamako, Mali, in the Djicoroni Para district, with the Muezzin call at the radio. By lack of public FR — Museum of Revolution : un démantèlement de la culture lighting, the street landscape allemande du quotidien à l’âge became not familiar to us. The movement of the lights and of the de la réaction. shadow figures build the memory EN — Museum of Revolution: a dismantling of German everyof territory which pass with time. day culture in the age of reaction in front of a museum shell. TERRES VAINES Augustin Gimel & Brigitte Perroto France, 2012, 11' MY FINGERS GREW AND STUCK TO THE ASPHALT FR — Réminiscences de Vida Mehri pays disparus et leurs frontières Iran, 2011, 17'40, VOSTEN fantômes. EN — Reminiscences of FR — Le titre exprime une réaction disappeared countries and soudaine à l’action violente et their ghost frontiers. inattendue qui mène le personage principal à la mort. « Ils » menacent de contaminer la ville. Essai d’une jeune femme sur la vie en Iran. EN — The title expresses a sudden reaction to an unexpected violent action that results in the death of the main character. The story is about a city that is going to be poisoned by “them”. An essay about living in Iran by a young woman. 17


SAMEDI 15 décembre programme 9 PROGRAMME 9 18h00

EN — This film describes different forms and manifestations of water. The experience of the filmmaker’s body immersed in water, sunken into the liquid element, represents the main FR — Première partie du tryptique theme of this poetic essay on The Neverend Story ; the imagination of this element. des esprits éphémères trouvent l’amour dans l’univers ; allons pourrir ! RITOURNELLE EN — The first part of The Christopher Becks Neverend Story triptych; & Peter Miller ephemeral minds find love in the Allemagne, 2012, 3'40, 16mm universe; let’s rot. FR — « Avec Ritournelle, Peter Miller et Christopher Becks ont façonné une petite merveille ZOUNK ! à partir d’un exercice de cadavre Billy Roisz, exquis 16mm et d’une expérience Autriche, 2012, 6' de montage à l’envers, qui commence sur une bande sonore FR — « Un mélange idiosyncrasique de brutalité et de tendresse : heurtée. » Andrea Picard. EN — “With Ritournelle, Peter l’art de l’image et du son Miller and Christopher Becks have se soulevant dans un bûcher explosif pour personnes aux nerfs fashioned a miniature gem from a 16mm corps exquis exercise modernes. » Stefan Grissemann and an experiment in inside-out EN — “An idiosyncratic mix of filmmaking, which began brutality and tenderness: imagewith a surreptitiously prestruck sound art rising like a fenfire soundtrack.” Andrea Picard. for people with modern nerves.” Stefan Grissemann THE NEVEREND STORY (1: MEMENTO MORI) Alex Moeller États-Unis, 2011, 5'

IMAGES DE L’EAU Philippe Cote France, 2012, 10'52 FR — Le film décline différentes formes et manifestations prises par l’eau. L’expérience du corps immergé du cinéaste, englouti, en contact avec l’élément liquide, sert de fil conducteur à cet essai poétique sur l’imaginaire de la matière.

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LAST PORTRAIT David Varela Espagne, 2011, 10'23 FR — Épilogue pour un inconnu (en route pour le Nirvana). EN — Epilogue for an unknown man (on the way to Nirvana). STROBOGRAMM Flora Watzal Autriche, 2011, 2' FR — « Une jeune femme se tient dans une pièce et appuie de façon répétée sur le bouton de la lumière. Et tout finit comme cela commence : aux « illuminations » partielles s’ensuit inévitablement l’obscurité. » Norbert Pfaffenbichler EN — “A young woman stands in a room and repeatedly flicks a normal light switch. And everything ends as it began: The partial “illuminations” are inevitably followed by darkness”. Norbert Pfaffenbichler

POMEGRANATE FOR EVE Nikolay Yakimchuk Russie, 2012, 25' FR — Nouveaux Adam et Eve du 21è siècle, les personnages du film se sont réfugiés dans une tour d’ivoire. C’est leur monde à eux deux, ils y parlent leur propre langage musical. Et dans leur évasion insouciante ils sont heureux… EN — New Adam and Eve of the 21st century, the main characters have sheltered in an ivory tower. This is a world of two, they speak their own musical language. And in their reckless escape they are happy…

MIRAMEN Khristine Gillard & Marco Rebuttini Belgique, 2011, 22', VOSTEN FR — Miramen du provençal, mirage. La Camargue est une île qui demande à l’homme qui l’habite de faire corps avec elle. Ce monde de l’entre deux, entre terres et eaux, est celui de la rencontre du fleuve, de la mer et de la communauté des étangs. Un monde de gestes inscrits dans les corps et les paysages. Là veille la Bête. EN — Miramen from Provençal, mirage. Camargue is an island which demands man who lives there to become one with her. This world between earth and water is one where the river, the sea and the community of lagoons meet. It is a world of gestures written within bodies and landscapes. There wakes the Beast. 19


Ces douze coups de cœur sont issus des différents programmes de la compétition internationale du festival.

coups de cœur NEW HIPPIE FUTURE Film de Dalibor Baric Programme 2 Coup de cœur d’Angélica Cuevas Portilla

ANTERO Film de José Alberto Pinto Programme 2 Coup de cœur de Gloria Morano

REVISIONS Film de Chris Oakley Programme 3 Coup de cœur de Yves-Marie Mahé

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Dalibor Baric est né en 1974. Artiste multimédia, il vit et travaille à Zagreb. Il réalise des films expérimentaux, des films d’animation, des clips, etc. Il fait partie de cette génération d’artistes et cinéastes qui émerge grâce notamment aux nouvelles technologies de réalisation et de diffusion. Avec l’arrivée du numérique, l’expansion de la presse spécialisée et les festivals de cinéma, le cinéma expérimental en Croatie est en train de devenir une forme de création beaucoup plus valorisée. Dans ce film, une atmosphère psychédélique et surréaliste nous transporte dans un univers nous rappellant les années 1970 mais qui reste intemporel à

travers les couleurs et la musique. Au moyen de collages d’animation et de remploi, caractéristiques plastiques du travail du cinéaste, des images éclatent et bougent sur l’écran, nous sommes invités à pénétrer dans le champ imprévisible et mystérieux de la nature… Baric secoue le spectateur, à travers les métaphores et les métamorphoses, laissant ainsi surgir une suite d’images abstraites, de portraits, d’apparitions, de papillons et de rêves qui se mêlent à la réalité. Le style de collage de Dalibor Baric fusionne la culture pop et l’imagerie lépidoptère avec une esthétique qui est à la fois fantastique, pleine de couleurs et un peu rock.

Antero alterne Super 8 et DVCam. La pellicule tente de saisir la portée évocatrice d’un vieux paysan portugais qui surgit d’une autre époque avec ses proverbes d’antan, les allusions à sa vie passée, l’exposition d’objets artisanaux et d’électroménager bizarrement posés à l’extérieur de la maison, comme si l’espace domestique avait été retourné tel un gant. Ses gestes mal assurés et l’immense objet ressemblant à un pénis qu’il décroche de son pantalon et cache sous la paille provoquent un trouble ambivalent. De temps en temps la dureté et l’ironie de ses phrases frappent intempestivement le spectateur.

Les plans séquences en vidéo − un bosquet à la lumière changeante, contrepoint rythmique à ce vague portrait d’homme − fixent de longues pauses méditatives. Cas rarissime dans le cinéma expérimental actuel : le côté nostalgique de l’image en pellicule, piège récurrent dans lequel se bercent nombre de cinéastes, est ici détourné vigoureusement. La beauté des images bucoliques se retourne contre le spectateur en le mettant mal à l’aise grâce au monologue déroutant de cet étrange et singulier personnage. Quelle est notre place face à cette étrange mise en scène ?

« Le cinéma expérimental est creux. » Oui. « Le cinéma expérimental est fait par des ratés qui font des films autocentrés qui n’intéressent personne ». Oui doublement. Mais pas toujours. Le film anglais Revisions démontre pour une fois l’inverse. Unir le fond et la forme, cela semblait appartenir aux années 70. Or, dans ce film graphique, les partis pris plastiques de Chris Oakley sont validés par un fond très fort. Une fois l’utilisation des rayures

rouges comprise, le film et son analyse de l’impérialisme américain prennent tout leur sens. Montrer la mort peut paraître obscène mais il est parfois nécessaire de l’évoquer pour prendre en mesure l’ampleur du massacre. La montrer en la masquant permet de résoudre ce problème. Il en ressort une des œuvres critiques les plus fortes de la création contemporaine. Et pour une fois, elle fait partie du cinéma expérimental.

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eternal FLAME Film de Neasa Terry Programme 3 Coup de cœur de Fabien Rennet

L’ENQUÊTE DU MYSTÈRE IMPOSSIBLE Film de Christophe Frémiot Programme 3 Coup de cœur de Fabien Rennet

LA TERRE Film de Vincent Le Port Programme 4 Coup de cœur de Gloria Morano

4 minutes 10, un tube des Bangles rendu encore plus tubesque par Atomic Kitten, un one person girl band dans une cuisine. Il y a quelque chose de terriblement fascinant dans Eternal Flame. Passée la moquerie snob des premières secondes, un doute troublant s’installe : tout est trop parfait pour être une simple vidéo de casting améliorée. L’étendoir dans un coin de la pièce, la photo de Charles et Diana au-dessus de la gazinière, la jupe en skaï, l’effet spécial grossier, et cette chanson, devenue le cliché de la chanson d’audition, un Pop Idol hit. Il serait trop facile de considérer Eternal Flame uniquement comme la simple vidéo naïve d’une jeune anglaise désireuse de percer. Car sous ses airs d’ap-

prentie nouvelle star, Neasa Terry est diplômée du Royal College of Art, spécialisée dans le dessin réaliste au fusain et à l’aquarelle (représentant souvent de vieilles photos d’albums de famille) et elle enseigne la sérigraphie à l’université de Brighton. Derrière son apparent amateurisme grossier, sa série de vidéos autour du concept de girl band crée chez le spectateur un curieux sentiment de sympathie pour Neasa Terry. À la voir chanter Toni Braxton dans sa chambre ou les Sparks face à elle-même, elle replace ainsi la pop dans son étymologie première de musique populaire et prolétaire, chantée à l’infini et depuis toujours par des millions de Neasa Terry dans des millions de cuisines.

« On ne croit plus aux machinations des divinités homériques, auxquelles on imputait les péripéties de la Guerre de Troie. Mais ce sont les Sages de Sion, les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes qui ont pris la place des dieux de l’Olympe homérique. » Karl R. Popper, 1948. Pour Norman Cohn, l’idéologie conspirationniste contemporaine n’est ni plus ni moins « qu’une version modernisée et laïcisée des représentations populaires médiévales, d’après lesquelles les juifs étaient une ligue de sorciers employés par Satan à la ruine spirituelle et physique de la Chrétienté. » Aujourd’hui, après la littérature complotiste des années 1980 fortement inspirée par le New Age (L’énigme sacrée, Livre jaune nº5, 6 et 7), le discours a peu changé mais la diffusion est tout autre. Youtube a remplacé la vente sous le manteau des Protocoles des Sages de Sion et les vidéos du Libre Penseur dépassent les 950000 vues. Entre les mauvais diaporamas sur fond de musique

anxiogène (au choix, Chronos Quartet ou Chronos Quartet) et les conférences audio sur image fixe, la vidéo de contrepropagande est devenue une nécessité. L’enquête du mystère impossible emprunte aussi bien à l’esthétique de la vidéo conspirationniste qu’au faux documentaire (des Documents Interdits de Jean-Teddy Philippe à Opération Lune de William Karel). On pourrait peut-être reprocher le caractère volontairement potache du film de Christophe Frémiot, mais c’est cette potacherie qui lui confère sa légèreté inattendue, l’empêchant de tomber dans le pur pamphlet pour rester dans un entre-deux, dans une sorte de reportage Direct8 parasité par un humour situationniste. Aussi, avant le 21 décembre, recevons la parole prophétique de Christophe Frém iot, d isciple de Sh r i Swâ m i Matkormano, membre du grand firdôs d’Hawaï et allons accueillir les mouettes au Bugarach.

De l’aube à la tombée de la nuit, en accéléré, un cinéaste filme de manière insistante et convulsive une plage du finistère. Le sable, le ciel, la mer changeante selon les marées successives, quelques traces de vie humaine (des maisons, des lumière au loin). Un chœur de Johannes Ockeghem − des sonorités du XV e siècle − en est le solennel

accompagnement musical. [ Cassis de Mekas ]2 : La caméra bouge incessamment, le cinéaste veut tout nous montrer. Les plans oscillent entre virtuosité et anxiété. La grandeur de la nature face à la névrose d’un homme qui voudrait tout capturer par l’image. Et qui finalement atteint son objectif.

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LEXIQUE DYSLEXIQUE Film de Derek Woolfenden Programme 3 Coup de cœur de Bernard Cerf

NARC Film de MWoods Programme 5 Coup de cœur d’Orlan Roy

Virtuose du found footage, Woolfenden est l’un des rares, voir l’unique cinéaste de ce genre cinématographique, à se confronter à la durée comme c’était déjà le cas avec son long métrage protéiforme : Play Dead. Lexique Dyslexique est un film anarchique c’est-à-dire sans concession, fait de violence et d’énergie à l’assaut d’une utopie. Son but : déclarer son amour à une femme et, pour cela, il n’a pas peur de disséquer les rouages du sentiment amoureux. La rencontre, le coup de foudre soudain, le rapport sexuel, l’obsession, la jalousie, la violence. Derek Woolfenden n’a pas peur de nous montrer sa folie : être romantique et adepte du sexe brut, cruel et totalement généreux. Son film est un film monstre.

Maelstrom d’expérimentation, c’est un tsunami d’images et de sons. Exemple : la séquence des voitures. Symbolique de l’état déconnecté dans lequel on se trouve quand on est sous l’emprise de la passion, comme un bolide qui fonce et que rien ne peut arrêter. Le crash finira par arriver, c’est ce qu’il nous montre mais en donnant en même temps une leçon de montage, de puissance, d’adrénaline, de pur rythme. Une autre séquence d’anthologie : son générique final, tout à sa démesure. Son film fait partie de ceux que l’on peut voir deux, cinq, dix fois en y découvrant toujours des choses nouvelles. Derek Woolfenden confirme ainsi qu’il est (avec Yves-Marie Mahé) l’un des chefs de file du found footage français.

Voilà le joli départ du New-yorkais M Woods, qui s’appelle en réalité Michael Woods (Michel Les Forêts). Avec ce patronyme tout en contraction, il se rapproche du travail « dyslexique » de D. Woolfenden, avec un goût pour la défibrillation des mots en voyelles et consonnes. On pressent un rapport excessif au langage : écrasement et dilatation, empilement de phonèmes pour arriver à des titres comme Digitized Mechanomorphic, Conscious[sic]ness, Landscape #1 : Elutriate. Voilà des sandwichs de mots, comme si les mots passaient de la communication à l’ingestion. On retrouve quelque chose du Traité de Bave et d'Éternité d’Isidore Isou, il y a par ici, de la colère. Un autre titre phare dans les six ou sept films qu’il nous a adressé : Disney World. Tout un programme… Cette signalétique revient dans toutes ses vidéos. MWoods utilise les effets en cascade, avec les défauts et les joies d’une incrustation à l’arrachée. Cette pratique est inverse aux pratiques professionnelles et je la situe dans une ligne parallèle au travail de J. Perconte. Mais Michael Woods est bien moins esthète. NARC est le tableau d’une folie. Chaque acteur passe par une multitude de filtres, les traitements enchâssent les personnages, emprisonnent leur psyché. Les connexions cerveau / corps ne jouent plus de la même manière qu’au naturel. Je crois que la notion d’addiction est à

même de déceler le problème synaptique soulevé par Narc. Un problème de synapse, de contact dans le rapport à l’autre. Avec MWoods, C’est le soi et le soi seul, mais le soi multiplié par la folie. Il s’agit peut-être de formes acérées de paranoïa. Les prises de vue extra-larges sont détruites par l’amoncellement de données. Les surimpressions créent des espaces mentaux qui sont des espaces de surveillance de soimême. Les héros de MWoods grésillent et survivent par le filtre de la civilisation médiatique. On voit se télescoper à l’écran une nourriture numérique, fragmentée, qui se colle aux corps filmés de façon additive. Voilà en six minutes, une description féroce et colorée d’un monde capable de détruire les mots et leur sens. Ainsi de l’imaginaire de son héroïne. Une recette de sorcier, une potion magique : mettez une grille médiane, une matrice absolue, répertoire des télévisions infinies, un décollement de rétine provoqué par l’accoutumance, la transformation en sons et en images du monde… Et le résultat, c’est la suite de la science. MWoods parodie les conséquences de la science inhumaine. Les flux de la vidéo passent au travers du corps des acteurs, on découvre leurs pensées voraces et déréglés. MWoods fabrique des films d’horreur, mais d’une horreur médiatique pure. Vengeance sur la côte Ouest.

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the sound of breathing Film d’Erin Celeste Weisgerber Programme 4 Coup de cœur de Fabien Rennet

XXXIII XXX! XXXIII, film de Theophanis de Lezioso XXX!, film de Dietmar Brehm Programme 6 Coups de cœur de Daphné Hérétakis

Au tout premier abord, The sound of breathing, tourné en 16mm noir et blanc, développé et traité très artisanalement, nous rappelle un univers sombre et chaotique à la manière des films noirs de Deco Dawson dans ses premières œuvres. La qualité plastique et matérielle de l’image dévoile des mondes symbolistes et fantomatiques présentant une profondeur des surfaces et des déchirure de matières à la recherche de ce que le corps féminin peut exprimer devant une caméra. Comme dans les films de Dawson, les explorations visuelles enregistrant la trace du corps et l’image, deviennent

une intervention sur la présence pour découvrir d’autres musiques que celles des mots et comprendre ainsi que des corps peuvent à eux seuls raconter une histoire, des poèmes, des morceaux de vie, un véritable parcours plastique au cœur du geste visuel. Ce sont des souvenirs éclatés dans l’espace, filmés dans un acte de témoignage où le rêve joue aussi u n rôle compensatoire, comme l’accomplissement d’un désir. L’écriture du 16mm transforme alchimiquement le corps réel en corps élastique, f luide, comme l’éther, cette substance qui constitue le cosmos.

À l’époque de Sasha Grey, des dictateurs qui meurent en direct sur nos écrans, de nos parcours épinglés sur un livejournal appelé « livre de visages » ou « livre de faces », ces deux films viennent nous rappeler que certaines choses sont aujourd’hui encore − et plus qu’autrefois peut-être − « interdites ». Aucun visa de censure délivré par le CNC (il s’agit ici d’autocensure ironique), car ces films sont nés sur un terrain non cartographié, dans un espace « post » qui ne garde que des traces de gestes, de codes, de signes, de références. Un musée imaginaire des derniers survivants, des revenants venus délivrer leur ultime salut. XXXIII du jeune Théofanis de Lezioso, noir et blanc, tourné en 16mm dans la ville des rejetons avortés de l’Europe, témoigne d’un monde sombre, où les humains ne sont plus que l’addition de gestes sans intention. Le film s’ouvre sur un jeune homme baigné de lumière qui s’habille dans une sorte de rituel, assez banal mais qui laisse pourtant perplexe. Theofanis de Lezioso crache sur les restes de civilisation qui marquent ici une époque révolue : le maquillage, les sacs Louis Vuitton, tous les signes extérieurs d’une fausse beauté ou d’une richesse dénuée de fond. En quelques mots, la Grèce contemporaine. « Qu’en sera-t-il de notre terre ? Qu’en sera-t-il des f leurs ? » nous martèle la chanson d’un certain roi de la pop. Les vandales aux aspects sauveurs de Theofanis de Lezioso pleurent pour nos péchés, et remplissent les fioles de parfum de larmes pour qu’on

ne se bénisse plus au Chanel nº5 mais à la repentance. On pourrait d’ailleurs se demander si XXXIII ne fait pas référence à Jésus, 33 an ; faux bienfaiteur, Theofanis de Lezioso, nous vomirait à la figure des restes d’humanité à travers l’écran : du sperme, du crachat, de la merde, et quelques larmes pour la route. XXX ! de l’autrichien reclus Dietmar Brehm, film dont l’iridescence rose bonbon ne peut que séduire les plus superficiels d’entre nous, semble tout droit venu du futur mais porte en lui les marques de notre présent, déjà désuet. Il s’agit d’une balade sordide à travers un no man’s land post-apocalyptique et solitaire. On arrive après le déluge, dans un monde où il n’aurait cessé de pleuvoir et où l’orage serait la marque de notre temps. On y aperçoit les vestiges d’une civilisation, la nôtre, à travers une série d’objets qui n’ont rien de grandiose mais qui sont cependant les symboles cryptiques de notre passage sur terre. On est fasciné et pourtant mal à l’aise. Inquiétante étrangeté. Mis face à nous-mêmes et à notre mortalité, on ne peut qu’exploser de rire. XXX ! n’est qu’une suite d’images passant en boucle sur un téléviseur qu’on aurait oublié d’éteindre. L’énigme irrésolue de nos destins, de nos désirs, de nos vanités. Nos trajectoires mortifères ne seraient-elles pas finalement plus obscènes encore que des images de choc, lorsqu’on les passerait aux rayons X ? Dans tous les cas, Brehm laisse la flamme allumée, et lui seul, par un coup de grâce, pourrait décider de l’éteindre.

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KEEP MY PIC SISTER Film de Bilser Hacar Programme 8 Coup de cœur de Frédérique Devaux

panic room Film de IP Yuk-Yiu Programme 8 Coups de cœur de Yves-Marie Mahé

La République de Turquie fondée sous l’impulsion de Mustafa Kemal Atatürk en 1923 est une république démocratique, unitaire, constitutionnelle et laïque. Malgré tout, le port du voile y fait toujours débat, notamment à travers les requêtes et impératifs de l’AKP, formation au pouvoir, issue de la mouvance islamiste. Une minute, un lieu, une burqa, LA femme à travers des femmes, des corps jeunes, vêtus à l’occidentale. Poème visuel : montage / rime, répétition / scansion. Cinéma-mouvement, photo-instantané. Lumière bleue naturelle, lumière jaune de studio. Intérieur, extérieur. Burqa imaginée par les hommes, imposée aux femmes. Burqa décor d’un théâtre des tensions, objet aussi rigide que pantelant, inerte, lugubre que détourne Bilsu Hacar. Chaque femme joue avec la burqa ; l’une puis l’autre se joue de cet apparatprison ; toutes la déjouent, la défient. Dans ce film, on peut observer un jeu entre différentes sources lumineuses (téléviseurs, écrans d’ordinateurs, ampoules de plafond). Celles-ci se complètent ou s’opposent, le tout sur fonds sonores d’électrons. Dans une logique très minimale, il s’agit de prendre quelques éléments pour développer toutes les combinaisons possibles. Exemple : Moniteur 1 / Ampoule 1 Moniteur 1 / Ampoule 2 Moniteur 2 / Ampoule 1 Moniteur 2 / Ampoule 2 Ce qui fait de Panic room l'un des films les plus formels du festival.

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Jeunes femmes aux côtés de ce tissu noir qui dé-figure votre humanité sans pour autant altérer la fraternité entre vous, entre nous… Voyez, entrez, osez investir la burqa, pénétrez l’intérieur de ce fantôme, pour en rire, se rire de nous-mêmes, des désirs masculins ainsi désertés, auxquels les femmes doivent se soumettre. En une minute, Bilsu Hacar nous délivre de ce voile d’inhumanité, confi-rmant que le cinéma peut comme chaque être humain, choisir des chemins différents de ceux que l’inertie, la mode, la pensée extrémiste ou l’inconscience nous imposent comme des évidences. Avant qu’il ne soit trop tard… Car le cinéma d’aujourd’hui en expérimentant l’autre dans sa différence, relève un des défis majeurs de la création du XXI e siècle dont tout laisse augurer qu’il sera engagement et résistance ou succombera pour ne pas avoir su soulever à temps la chape des interdits et des injustices.


La 14è édition du Festival international des cinémas différents et expérimentaux de Paris est construite autour d’une thématique « Est ».

FOCUS EST

The 14th edition of the Paris Festival of Different and Experimental Cinemas is built around the theme “East”.

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FR — Qu’est-ce que l’Est ? Sans doute un souvenir. Celui d’une époque où, lorsqu’on parlait d’Est, on résumait dans l’étroitesse de ces trois lettres de vastes étendues géographiques et les régimes politiques des pays qu’elles contenaient. L’Est, c’était pour beaucoup la culture administrée que le mélange rarement bien dosé entre idéologie et connaissance des faits plaçait sous le signe d’un mot terrible : censure. L’Est, sous cette ancienne forme, n’existe plus depuis vingt ans. Il a été incorporé dans le vaste système des échanges avec son espace culturel libéralisé. Nous ne cherchons ni à le recréer, ni à l’étudier pour en faire l’éloge ou la critique. Nous avons souhaité multiplier les liens avec des foyers créatifs qui nous étaient jusque là un peu moins familiers et observer comment l’histoire culturelle s’y sédimente. D’où cette idée sous-jacente à notre travail de sélection consistant à interroger la relation entre tradition et originalité. Nous pensons que partout le cinéma expérimental et différent cherche à échapper à quelque chose, surtout aux formules artistiques que l’on impose pour séduire. Il mémorise autant qu’il donne en partage les histoires singulières de ses impulsions salutaires. Cette mémoire a inévitablement tendance en se pétrifiant à façonner des traditions. Le cinéma expérimental lui aussi cultive donc des traditions, un classicisme, voire un conservatisme. L’originalité y est encore plus décisive et vitale qu’ailleurs. À la croisée de notre programme « Est » et de la dialectique de la tradition et de l’originalité, nous espérons créer les conditions d’un « décentrement », ou l’adoption momentanée du regard des autres pour mieux se voir soi-même. — Frédéric Tachou

EN — What is East? A memory, without a doubt. The one of an era during which, when we spoke of the East, a vast geographical area and political regimes were contained in those four letters. For many, the East was a culture administrated with a rarely balanced mix of facts between ideology and knowledge and placed under the sign of a horrific word: censorship. For the past 20 years, the East has ceased to exist under such a structure. It has been incorported into the vast sytem of exchange and its liberal cultural space. We are not looking to recreate it neither to study, praise or critizize it. Instead, we have wished to multiply links with some creative hubs that were until now less familiar to us in order to observe the sediment that has been created by cultural history there. Hence the underlying idea of our selection process: to sound the relation between tradition and originality. We think that experimental and different cinema always attempts to escape from something, and mainly from artistic fixed formulas, only established to seduce. Inevitably, such memory starts at some point to petrify and tends to carve traditions. Inevitably, such memory tends to carve traditions as it petrifies. Experimental cinema also cultivates tradition and a certain form of classicism and even of conservatism. So for that reason, originality is even more decisive and vital than ever. At the crossroads between our “Eastern” focus and the dialectic of tradition and originality, we hope to create the conditions for a “decentering” by momentarilly looking through the gaze of others in order to better see ourselves. — Frédéric Tachou

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« DANS LA GUEULE DU VOLCAN » OUVERTURE DU FESTIVAL MARDI 11 DÉC. À 20H00

Ce programme, qui couvre vingt années, a quelque chose de plus que cette simple dimension temporelle. Durant ces deux décennies, d’importants changements se sont produits dans la vie des Lituaniens, dans leur manière de vivre, leur philosophie, leurs traditions, leurs coutumes, etc. Le cinéma expérimental a survécu à l’évolution socio-politique entraînée par le passage du communisme au capitalisme ; et il survit encore aujourd’hui malgré le fait qu’il évolue dans une société de consommation (le nombre important de films diffusés en 16mm en est une preuve). Le cinéma expérimental est toujours comme une sorte de bactérie dans la gueule d’un volcan, un désert sans eau, comme les profondeurs d’un océan sous une immense pression. Et bien que parfois certains cinéastes vivent dans d’autres pays, leurs films restent du cinéma lituanien. La plupart des personnages des films lituaniens sont en quête de leurs identités, et la manière dont ils ont perdu celles-ci n’a pas d’importance, ni le moment, ni même le fait qu’on leur les ait volées ou interdites. On peut en dire autant des réalisateurs eux-mêmes. Je pense que le drame réside dans le fait d’être en quête de quelque chose de stable qui n’existe pas ; la majorité des lituaniens s’est toujours positionnée sur les chemins menant de l’Est à l’Ouest et vice-versa. Ces vingt ans auront été un moment de changement de mentalité, aussi bien collective qu’individuelle, et tout cela est loin d’être terminé. Les films lituaniens traitent de ce difficile cheminement, d’une solitude tant collective qu’individuelle. — Arturas Jevdokimovas

COUNTRYMAN Deimantas Narkevicius 2002, 19', 16mm Dir. de la photographie : Audrius Kemežys FR — La narration du film CoutryMan est basée sur les monologues de deux individus qui ne se connaissent pas. Ces monologues sont ceux d’un jeune sculpteur ayant l’intention de quitter son pays, et d’une jeune femme étudiante qui vient juste de quitter son pays natal. Aucun des deux personnages n’est un émigrant dans une situation politiquo-économique type. Ils partagent une soif commune de nouvelles expériences au sein d’autres pays et d’autres cultures. Tous deux approfondissent la question de ce qu’ils considèrent comme personnellement pertinent, sans attacher trop d’importance à la dimension linéaire. La structure du film est destinée à créer une suggestion visuelle de ces deux documents narratifs sans en montrer les narrateurs. Le sculpteur parle quand on voit un portrait du héros national qu’il a créé, tandis que le monologue de la jeune étudiante se déroule durant une série de photos de ses premiers jours dans la ville étrangère. Les premières reflexions sur les voyages, les déménagements et les nouvelles expériences sont un point de départ. De la ville qu’ils connaissent bien jusqu’aux tous premiers mouve-ments de départ, tout devient un objet de mémoire. EN — The narrative of the film CoutryMan is based on the monologues of two individuals who do not know each other. These monologues belong to a young sculptor intending to leave his country, and to a young female student who has just left her

MEMORIES FROM AN UN-BEATEN CHILDHOOD Julius Ziz-Louis Benassi UK, 2012, 15', 16mm on Digital FR — Un petit film sur le monde, comme vu à travers les yeux d’un jouvenceau. Assis près d’une rivière, il examine l’environnement des bactéries présentes dans l’eau, il scrute attentivement les microbes à travers une loupe, comme si c’était un trou de serrure à travers lequel il observerait une abstraction. Un peu comme dans Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, la curiosité du garçon est révélée à l’image comme une fantasmagorie de found footage reflétant la condition existentielle et le monde. La métaphore-clé du film est l’arrivée du garçon au stade de la maturité - les nombreuses choses qu’il va voir et apprendre pour comprendre, questionner, accepter ou refuser. EN — A short film about the world, as seen through the eyes of a young adolescent boy. Sitting by a river he examines the environment of the bacteria living in the water, he attentively scrutinizes the microbes through a magnifying glass, which doubles up as a kind of keyhole through which the boy peeps through into a big abstraction. Somewhat like Lewis Caroll’s “Alice Through The Looking Glass” the boy’s curiosity is visually revealed like a phantasmagoria of found and archive footage depicting the conditions of life and the world. The film’s core metaphor is the boys coming of age, and of the many things he will see and learn to understand, question, accept or refuse.

EARTH OF THE BLIND Audrius Stonys 1992, 28', Digital Dir. de la photographie : Rimvydas Leipus FR — Ce film tourne autour de trois idées singulières. La première histoire traite d’une vache qui est amenée à l’abattoir. La seconde traite de petites joies, escaladant une colline et descendant avec un chariot cassé. La troisième histoire traite de l’aveuglement. Toutes ces histoires sont recueillies de manière instinctive, irrationnelle. Ainsi les gros yeux des vaches se mêlent-ils aux yeux de l’aveugle. EN — This film revolves around at least three individual ideas. The first story is about a cow that is being led to the butchery. The second is about simple joys, climbing a hill and going down by with a broken carriage. The third story is about blindness. All these stories are intuitively collected in some kind of irrational way. The big eyes of cows mingled with the eyes of the blind.

MEDITATIONS ETC. August Varkalis 1999, 27', 16mm on Digital homeland. Neither of the characters is a typical economic or political emigrant. They share a common hunger for new experiences in another country and another cultural context. Both young people delve into the issues that they deem personally relevant, without attaching too much importance to linear sequence. The visual structure of the film is aimed at creating visual suggestions of these two documentary narratives without showing the actual narrators. The sculptor speaks while showing a portrait of the national hero he created, while the monologue of the young student is accompanied by snapshots of her first days in the foreign city. The first reflections of traveling, moving houses and new experiences are compared with the point of departure, the city which they know well; from the very first moments of departure, this starting point becomes an object of remembrance. 28

FR — Ce film n’a pas été filmé mais a été peint à la main. C’est un travail complexe dans l’élaboration des dessins et des gravures sur la bande 16mm : 4 heures de travail ont été nécessaires pour faire une minute de film abstrait. EN — The films have not been filmed but drawn by hand. It is a complicated work as the drawings and carvings are made on a 16 mm film strip. 4 hours of work are needed to make one minute of abstract film.

FILM ABOUT AN UNKNOWN ARTIST Laura Garbštienė 2009, 11', 16mm FR — Le film est une histoire pleine d’esprit, avec une dimension politique : il questionne de manière ironique le mythe du génie artistique en tant que concept romantique. Fipresci et mention spécial au 56è Festival international du court-métrage d’Oberhausen. EN — The film is a witty, yet politically charged story, which ironically questions the myth of artistic genius as a romantic concept. Fipresci prize and special mention at the 56th International Short Film Festival Oberhausen.

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FOCUS SUR SVETLANA BASKOVA MERCREDI 12 DÉC. À 20H00

On pourrait penser que l’œuvre cinématographique de Svetlana Baskova tient essentiellement à son art de metteur en scène. Autrement dit, un art longuement affiné et entretenu par le théâtre puis le cinéma, consistant dans le pouvoir de faire s’incarner êtres et choses dans d’autres êtres et d’autres choses dont les vies sont ajustées aux limites d’un cadre narratif. De fait, ces incroyables acteurs aux mains épaisses, à la peau brillante de ce que l’on prend pour la suie laissée là après des heures de transpiration, avec ces timbres de voix sans modulation ni effet, créent parfaitement la sensation de prégnance des personnages et de leurs rapports. Leurs dialogues, leurs déplacements dans l’espace, leur façon de créer les durées les plus efficientes pour les situations du drame, tout cela renseigne sur la vision sûre et claire de leur metteur en scène. L’adoption de la vidéo comme méthode de fixation du travail renforce encore l’impression de transparence de la médiation et invite à rabattre son appréhension critique au seul plan de l’art de la mise en scène. Mais il faut se rendre à une autre évidence, l’art de Svetlana Baskova est fondamentalement un art de cinéaste. Il réside dans l’intelligence surprenante des moyens mobilisés. La vidéo est certes l’outil immédiatement accessible, ne nécessitant aucun gros travail de préparation et de gestion de l’enregistrement, coûtant peu, mais c’est aussi le meilleur moyen de ne pas engager tout ce qui ressort de la valorisation esthétique de l’image cinématographique (ce qu’autrefois les critiques de film appelaient « photogénie »). Les espaces et les objets ne sont pas simplement les éléments constitutifs des « fonds » sur lesquels vont venir s’inscrire les figures, mais des dimensions géométriques aux propriétés physiques singulières que la cinéaste comprend et exploite très adroitement. La circulation du récit entre plusieurs régimes de représentation, de la transparence à la stylisation la plus extravagante, prouve enfin que toutes les dimensions du cinématographique sont articulées dans une composition absolument cohérente. Le talent repose ici sur la capacité à conduire la perception du spectateur jusqu’à ce haut niveau d’unité esthétique en s’appuyant sur des moyens déroutants de simplicité. — Frédéric Tachou

MOZART Svetlana Baskova Russie, 2009, 92', Digital FR — Le film traite des relations compliquées et souvent paradoxales dans le monde de la musique classique. Le personnage d’Alexandre Maslaev représente le chef d’orchestre, une sorte de Mozart moderne, vautré dans la corruption, le plagiat, la cupidité. Alors qu’il est devenu un compositeur de renom, il perd complètement son don et achète cyniquement de nouvelles compositions à des jeunes auteurs, pour les jouer ensuite sous son propre nom. Le chef d’orchestre n’en a pas encore fini de payer à chacun sa dette. EN — The film is about the complicated and even paradoxical relationships in the world of academic music. The character of Aleksandr Maslaev represents the Maestro, a kind of modern Mozart, wallo-wing in corruption, plagiarism, and envy. Once a talented composer, he’s totally lost his gift and cynically buys new music from young composers, then plays it under his own name. Yet, the Maestro does not close this chain, for everyone pays his debts. 30

FILMS HONGROIS, TEMPS SUSPENDUS JEUDI 13 DÉC. À 20H00 [1] Le numéro 7 de la coll. Théorème intitulé « Cinéma hongrois. Le temps et l’histoire » offre un panorama des questions relatives à ce cinéma. Sous la direction de K. Feigelson, Presses de la Sorbonne Nouvelle, Paris, 2003. [2] « Qu’est-ce que le contemporain ? », p. 22. [3] « Ibid. », p.36.

En 1982, Megáll az idö (Le temps suspendu) de Péter Gothár recevait en même temps que Mourir à trente ans de Romain Goupil le premier prix de la jeunesse au Festival de Cannes. Les deux films sont consacrés aux années 60 et à l’adolescence des deux cinéastes dans leur pays respectif. D’un côté, une passion, une génération exaltée à l’idée de faire l’histoire et de changer les choses, à s’en brûler les ailes ; de l’autre, une tension, une jeunesse qui étouffe dans une société qui tourne au ralenti. Il s’agit désormais d’un cliché que de rapporter le cinéma hongrois à ses longs plans séquences circulaires et à un temps figé plus ou moins hérité de la période communiste. C’est confondre temps arrêté et temps suspendu (dans suspendu, il y a suspens, je vais y revenir), fixité et plasticité (du temps vécu précisément), fin de l’histoire et répétition, dilatation, contraction de celle-ci. C’est aussi ne retenir qu’une seule forme (insistante il est vrai, nous allons en reparler) de cette plasticité, alors que les cinéastes hongrois ont inventé d’innombrables manières de jouer avec l’histoire et de tordre le temps, diversité dont la séance organisée à l’occasion du 14è Festival des Cinémas différents et expérimentaux de Paris rend bien compte. Je tiens à préciser immédiatement que je ne parlerai pas ici du cinéma hongrois dans son ensemble [1], mais de mon expérience récente à Budapest, qui n’est pas « La Hongrie », de la façon très personnelle dont je la relie aux films programmés lors du festival et de l’actualité que ces liens dessinent pour moi. Qu’ai-je vu, qu’ai-je senti à Budapest ? Deux logiques au moins, enchâssées l’une dans l’autre. D’une part, celle du néo-libéralisme – au sens propre, au sens pratique des « nouvelles libertés » qui, c’est vrai, ne sont plus si nouvelles que ça – qui investit, nettoie, détruit, construit, abandonne, tout cela en quelques années, voire quelques mois. Ce mouvement, freiné récemment par la crise après quinze années folles, génère des bâtiments aussi neufs que vides et obsolètes, fabrique des décors pour touristes et nouveaux riches qui ont du mal à masquer la misère qu’ils abritent (travail au noir et sous-payé, corruption généralisée, etc.). D’autre part, celle des résistances, au sens large et propre du mot encore une fois : entraide au sein des familles pour pallier les situations de pauvreté, naissance de nouvelles formes d’engagement en réponse à la politique d’Orbán (le réseau d’étudiants HaHa, pour ne citer que lui) et, pour finir, résistance concrète de la pierre au temps qui passe. La moitié du centre ville paraît ainsi sur le point de s’effondrer et tous les guides mentionnent les impacts de balles datant de l’insurrection de 1956 encore visibles sur certains murs. Dans ces ruines on y vit, on y fait la fête aussi tous les soirs. Il suffit d’aller boire un verre au Szimpla Kert, au Fogas Ház ou au Gondozó Kert pour mesurer la façon dont ces logiques se croisent et s’imbriquent. On y trouve des mafieux, des grappes d’étudiants en programme Erasmus, des DJs londoniens et des cabines de projection 35mm double poste. En passant d’un lieu à l’autre on glissera, sans s’en apercevoir ou presque, du bar à touristes à la taverne de quartier. Ces romkocsmák (littéralement « bars de ruines ») sont plus ou moins récents, de moins en moins illégaux et de plus en plus célèbres. Ils sont installés au cœur des quartiers juif et tzigane, en pleine déliquescence, dans de grandes cours intérieures souvent ouvertes. Ils disposent d’espaces immenses, obscures, parfois non emménagés, remplis d’objets récupérés. On y entretient la vétusté et l’entropie, s’y développe une atmosphère néo-romantique parfaitement contemporaine, selon la définition qu’en donne Giorgio Agamben : « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps. » [2] Assis dans un romkocsmák, on peut ainsi faire l’expérience de l’hétérogénéité et de la plasticité du temps, découvrir un présent hanté, plein de spectres venus danser dans ces ruines. « Être contemporains signifie revenir à un présent où nous n’avons jamais été » dit encore Agamben [3]. C’est aussi un trait commun à de nombreux artistes hongrois que de prêter une attention toute particulière aux fantômes, que de travailler à l’invention de formes et d’espaces-temps prêts à les accueillir, suivant diverses méthodes. La première serait celle des frères Ivan et Igor Buharov, dont plusieurs films seront montrés lors de la séance du 13 décembre. Ils élaborent depuis leurs premiers essais un cinéma qu’on pourrait 31


dire de chiffonniers : ils font appel aux formats et aux supports les plus fragiles et les plus amateurs, que ce soit en pellicule ou en vidéo ; leur univers est peuplé d’objets insolites, de rebus qui soudain s’animent et conversent ; enfin, leur montage s’apparente à un tissage d’éléments hétéroclites aux connexions mystérieuses, à la fois politiques, historiques et psychiques. Leur démarche relève du burlesque, du symbolisme, du surréalisme et de l’absurde, autant de stratégies qui visent à mettre en échec l’ordre existant, qu’il soit de nature artistique, sexuelle ou sociale. Les figures qu’ils convoquent sont toutes spectrales : hommes déguisés, portant un masque à gaz, vieille femme (qui hante littéralement leur cinéma), marginaux. Leurs recherches prolongent certaines expérimentations formelles des années 70 et 80 menées au sein et autour du studio Béla Balázs, elles relèvent plus largement d’une poétique de l’absurde qui traverse l’ensemble de la littérature et du cinéma hongrois depuis le début des années 60. C’est du progrès et de ses éternelles promesses, un progrès qui a plus détruit et divisé que construit et rassemblé, que se moquent ces artistes. Les débris, l’ironie sont leurs outils, leurs armes pour suspendre la marche du temps, pour se mettre à distance d’un présent qui voudrait enfouir tous ces restes sans en faire l’inventaire. Un autre « courant » du cinéma hongrois, mieux connu en France, sera également représenté par le film de Bálint Kenyeres Before Dawn, datant de 2005. C’est celui « du plan-séquence », dont la figure la plus connue est aussi le réalisateur hongrois le plus célèbre à l’étranger, Béla Tarr. La filiation est ici incontestable, Bálint Kenyeres ayant réalisé en 1999 Záras (qu’on peut traduire par « fermeture », « closing time » en anglais), court métrage rendant explicitement hommage à Tarr et tenant lui aussi en un seul plan. Dans Before Dawn, le procédé est mis au service d’une scène susceptible de se produire dans n’importe quel pays du monde. Il s’agit de rendre visibles des invisibles (c’est leur statut concret au début du film), d’autres spectres, très actuels, que nos regards croisent sans les voir presque chaque jour. Le plan-séquence, tel que l’a développé Tarr (c’est-à-dire combiné à des mouvements lents, amples et fluides d’appareil), héritant lui-même des recherches de Miklós Jancsó, est une machine à produire du suspens. Il faut entendre suspens dans tous les sens du terme : une tension vers la suite du plan et ce qu’elle va nous révéler, une attention à ce qui est en train de (se) passer devant la caméra et aux évolutions permanentes du cadre. Le spectateur doit attendre attentivement ou manquer, ce qui finit toujours par se produire. À la fin du mouvement, pas de sortie ni d’entrée de champ, pas d’échappée ni d’arrivée salvatrice, pas de message ni d’explication, mais un exercice du regard, une éthique de l’attention : il n’y avait qu’à bien voir, il n’y a plus qu’à revoir. Le film de Bálint Kenyeres ne relève pas exactement du motif ainsi décrit puisque celui-ci s’achève par une apparition. Ce qui se rend visible, toutefois, était déjà là, présent dans le champ. Et c’est l’attente, son attente, la suspension de son action qui l’aura préservé. Ce temps suspendu là n’est pas le temps de l’arrêt, le temps de l’échec ou du désespoir. Il est, au contraire, fait d’un retrait, d’une écoute et d’une observation qui permettent à l’homme de s’ouvrir au monde et de se sauver, littéralement. Les cinéastes hongrois ont chacun leur façon d’appréhender les tensions qui parcourent leur pays et leur époque. Un passé qui ne passe pas, un futur qui ne vient pas, c’est bien à des temps suspendus qu’ils ont affaire – il suffit de tomber, en plein centre de Budapest, sur une statue à l’effigie de Ronald Reagan glorifiant le « sauveur de l’Europe de l’Est » pour s’en convaincre –, auxquels ils donnent les formes les plus diverses. Deux courts métrages récents, Cassette de Péter Lichter (2011) et Maya de Kata Juhász (2010), nous seront également présentés lors de la séance par les frères Buharov, qui nous les ont proposés. D’autres dispositifs participant d’autres traditions, s’appuyant sur d’autres inventions et qui prouveront, si cela est encore nécessaire, la vivacité du cinéma de recherche hongrois contemporain. — Damien Marguet

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ONEHEADWORD PROTECTION Igor & Ivan Buharov 2006, 6'45, 35mm transfert Digital

CASSETTE Péter Lichter 2011, 9'30 FR — Notre dernier voyage de classe, alors que nous étions en 6è, eut lieu en avril 1997. Puis nous ne nous sommes pas vus pendant des années. L’un d’entre nous avait apporté avec lui un dictaphone pendant le voyage. Nous avons récemment retrouvé cet enregistrement par hasard. EN — Our last class-trip was at the end of sixth grade in April 1997. After this we did not see each other for years. One of us took a dictaphone with himself on this trip. Recently we have come across the recording by chance.

FR — Nous allons activer une force de destruction énorme, et c’est pour cela que j’aimerais demander à tout le monde de libérer en lui-même les intentions les plus pures possibles. EN — We will activate an immense force of destruction, and therefore I want to ask everybody to release in themselves the purest intentions possible. MOTHMILK Igor & Ivan Buharov 2009, 8'30, Super 8 transfert Digital

MAYA Kata Juhász 2010, 8' FR — Ce film est sur le maya, l’illusion à laquelle appartiennent, selon les Vedas, toutes nos expériences du monde. Avec l’aide du mouvement, de la danse et de la technologie, le film montre la naissance de l’illusion, l’apparition du stimuli sensuel, et à travers ces derniers, l’éveil de la conscience. EN — The film is about the maya, the illusion into whose realm, according to the Vedas, all our experiences of the world we believe to exist belong. With the help of movement, dance and technology, the film shows the birth of this illusion, the appearance of sensual stimuli and through these the awakening of the consciousness.

FR — Et tout pourrait changer : le silence n’est rien de plus qu’une révulsion de l’expression ; dans la liberté de parole sous-tend la formation la plus obscure de la restriction humaine. EN — And everything could change: silence is nothing more than a revulsion of speaking out; in the freedom of speech lurks the darkest formation of human confinement. GOODBYE MAMA Igor & Ivan Buharov 1996, 5', Super 8 transfert Digital FR — Des résultats surprenants sont attendus. EN — Surprising results are expected. RUDDERLESS Igor & Ivan Buharov 2010, 30', Super 8 transfert Digital “My mind is vagrant in conflicted winds Like an anchorless gallery on the seas Its rudder broken No haven in anyone’s love” Bàlint Balassi

BEFORE DAWN Bálint Kenyeres 2005, 13'

I be I no speak magyar Live abroad life Money lingo flag Anthem stamp President big bosses Scrape up what needed Where i end up We all die anyway On wrong battlefield

FR — Avant la naissance de l’aube, le blé ondule silencieusement sous les collines. Un camion entre en scène, un « camion hors-la-loi » qui ne tardera pas à se faire rattraper au milieu de ce calme paysage de campagne… Avant la naissance de l’aube, rien ne bouge, tout est calme. Qui y survivra ? EN — Before dawn, people will rise and other people will take away their hope. 33


TRAJECTOIRE CINEFANTOM VENDREDI 14 DÉC. À 20H00 ET À 22H00

Voilà presque trente ans que Cine Fantom produit, montre et soutient à travers son ciné-club et sa revue, un cinéma russe « très alternatif », ou plutôt faudrait-il dire, « parallèle ». Né en 1985 sous la forme d’un samizdat, c’est à dire d’une revue publiant à l’insu des autorités des textes interdits, Cine Fantom devint rapidement un « Club » rassemblant le milieu foisonnant de la création artistique indépendante et underground de Moscou et de Saint-Pétersbourg (à l’époque, Leningrad). Il émerge dans la même période que le Parallel Cinema, mouvement fondé en 1987 par Igor et Gleb Aleinikov, regroupant sous ce label toute une vague de films et de cinéastes refusant de se conformer aux canons professionnels du cinéma de l’Union Soviétique de l’époque. Plus qu’un genre en soi, le Parallel Cinema vise à la destruction de toutes les règles esthétiques et morales traditionnelles au bénéfice d’un cinéma à taille humaine, ramené aux mesures de l’individu, allant aussi loin que l’audace de ses créateurs. Les films, influencés par le conceptualisme et le mouvement nécro-réaliste de cette période, sont inventifs, délirants, parfois drôles et parfois sombres, tous imprégnés d’humour noir et d’absurdisme. Mais attention, il ne s’agit pas uniquement d’histoires sans queue ni tête au look punk ou rock’n’roll. Sous son aspect loufoque, artisanal et amateur, se cache un véritable esprit insurrectionnel et subversif. Cette programmation sera l’occasion de découvrir les œuvres de quatre réalisateurs et artistes fondamentaux du Cine Fantom : Igor et Gleb Aleinikov, Evgeni Kondratiev et Andrey Silvestrov. Nous parcourrons avec eux un moment de notre histoire, de 1984 à 2009 comme une sorte d’introduction aux vastes chemins non balisés de la filmographie russe alternative. Cine Fantom est aujourd’hui encore une structure de référence sur la scène cinématographique moscovite, publiant régulièrement une revue, distribuant ses films, organisant des projections toutes les semaines dans ses locaux. Le « spectre » du cinéma se porte bien et la bonne nouvelle est qu’il ne risque pas de mourir aussitôt : Cine Fantom, ad vitam aeternam ! — Dmitry Loginov et Daphné Hérétakis

METASTASIS Frères Aleinikov 1984, 16'

20h00 Séance No1

FR — Et si ton œil droit te scandalise, arrache-le comme un câble de télévision de la prise ! Et alors ils cesseront de te tuer et de te torturer sur la rétine du téléviseur – avec leurs fouets, leurs sabres, leurs bâtons. Mais s’ils ne te tuent pas, alors cela signifie que tout le monde est déjà mort. La vie post-apocalyptique ne diffère pas de celle que nous avons l’habitude de vivre. Dans la lueur transcendante de l’antimonde, nous devons encore passer les examens de la défense civile. Qui est le plus rapide à mettre un masque à gaz ? Qui est intrépide au point de livrer ses yeux aux taons ? EN — And if thy right eye offend thee, pluck it out as a television cable from the socket! And then they’ll stop slaying and tortuting on the TV retina – with their whips, their sabres, their clubs. But if they don’t slay, then it only means everyone’s already dead. Postapocalyptic life never differs from the one we used to live. In transcendent glimmer of the antiworld we still have to take exams on civil defense. Who is the quickest to put on a gas mask? Who is the most fearless to yield their eyes to horseflies? 34

TRAKTORA Frères Aleinikov 1987, 13' FR — Le tracteur n’est pas seulement l’un des totems principaux de la belle vie soviétique et un symbole du travail pacifique et de récoltes exceptionnelles. Un tracteur est également un énorme monstre dont tout l’intérieur est complètement bourré d’engrenages et d’huile solaire qui aspire aussi à trouver un peu d’amour et de chaleur. EN — Tractor is not just one of the main totems of happy soviet life and a symbol of peaceful work and bumper harvest, tractor is also a huge monster the whole inside of which, being fully tuffed with plungers, gears, and solar oil, also longs for love and warmth.

REVOLUTIONARY SKETCH Frères Aleinikov 1987, 7'30

FR — « Le succès du développement communiste présuppose de travailler plus assidûment à l’éducation de la jeunesse soviétique ». Mes oreilles se souviennent encore des murmures du secrétaire âgé du parti communiste, mais mes yeux voient tout autre chose. Le monde a été renversé. La Place Rouge est à l’envers. La file d’attente interminable pour voir Lénine dans son mausolée ressemble à un film qui a été inséré à l’envers du sens dans lequel il aurait du se placer dans le projecteur. Le socialisme soviétique vit ses derniers jours. La Révolution continue. EN — “The success of communist development presupposes harder work in bringing up soviet youth”. My ears still remember muttering of the aged Secretary General of the Communist Party, but my eyes see other things. The world has turned NANAYNANA over. The Red Square is upside down. The endless Evgeni Kondratiev queue to see Lenin in his mausoleum looks like a film 1985, 8' which was inserted to a projector the other way than it should have been. Soviet socialism is living FR — L’impressionnisme sauvage de l’une throught its last days. The Revolution goes on. des œuvres les plus connues de la période de St. Pétersbourg. L’art du réalisateur se trouve dans l’union du drame visuel et des conjugaisons naïves THE SEVERE ILLNESS OF MEN formelles. C’est l’ombre qui arrive au lieu Frères Aleinikov de la lumière, le grand suit le petit. La caméra 1987, 10' se fait prendre ici dans une danse, une accélération, un ornement. Non pas pour captiver quelque FR — Empoisonné par la poussière de plomb des chose sous une forme étrange et dynamique mais éditoriaux de journaux, irradiés par les infos à la pour devenir un élément du « happening ». télévision, sauvagement violés par les opinions EN — Wild impressionism of one of the most famous publiques, les hommes soviétiques souffrent de works of the St. Petersburg period. The director’s art contains a union of optical drama and naive formal maux d’hommes - des exploits héroïques, des dossiers, de l’espace et de la guerre. conjugations. Shadow comes instead of light, big EN — Poisoned by lead dust from newspaper follows little. Camera is involved here into a dance, editorials, x-rayed by TV news shows, brutally raped an acceleration, an ornament. And not to capture by public opinions, soviet men suffer from male something in an odd dynamic form, but to become diseases - heroic deeds, records, space and war. an element of the happening. 35


LABOUR AND FAMINE Evgeni Kondratiev 1985, 5'

« Ceci n’est pas un film qui provoque une discussion ou une exaltation intellectuelle. (…) C’est un exercice, un essai cinématographique. Après l’avoir vu, il empêche la possibilité même de se complaire dans une illusion collective. Avec notre film, les spectateurs restent désorientés étant donné qu’il n’y a aucun indice ou chemin. Ils viennent voir la projection pour obtenir un frisson intellectuel mais se retrouvent au lieu de ça sur les bancs de l’école. Et il n’y a rien à faire a part commencer à ruminer. Mais ils ne peuvent pas s’y mettre parce que pour cela ils auraient besoin d’un système intellectuel prédéfini et bien coordonné. Un système que le film se refuse à fournir » [1]

22h00 Séance No2

FR — Un film absurdiste. Une recherche pour la sortie. Commentaire de Evgeni Kondratiev sur le film : « A l’époque, je travaillais dans une bouillerie, les temps étaient durs, je ne mangeais pas assez. Mon salaire était modeste, et de toute façon, il n’y avait pas de nourriture dans les supermarchés. D’où le titre : Labeur et Famine. Je l’ai emprunté aux textes d’Andrey Platonov. J’ai juste vu ces trois mots, labeur et famine, et j’ai décidé qu’ils étaient appropriés pour mon film. » EN — An absurdist film. A search for the exit. Ewgenij Kondratiev commenting on the film: “Back then I worked at some boiling house, the times were hard, I didn’t eat enough - I got a little salary and, besides, there was no food in shops. That’s why the name is like that - Labour and Famine. I took it from Andrey Platonov’s texts. I just saw these three words - labour, and, famine, and decided they were suitable for my film.”

MOZG (CERVEAU) Andrey Silvestrov 2009, 70' FR — Des passants hasardeux s’arrêtent devant la caméra et parlent d’eux-mêmes ou de questions qui les préoccupent. Chaque personne se présente de manière différente. Certains essayent de faire appel à notre compassion, tandis que d’autres ont envie de se vanter de leur succès. Certains se présentent comme des « produits à vendre », faisant la pub de leur aspect physique, de leur poids et de leur taille. Dans l’ensemble, ils créent une masse humaine uniforme avec une certaine conscience collective. Les scènes documentaires sont suivies par des scènes interprétées par des acteurs afin de souligner l’absurdité de cette entreprise. EN — Random passers-by stop in front of the camera and talk about themselves or about the issues that bother them. Every person introduces himself (or herself) differently. Some people try to appeal to our sense of compassion, while the others wish to boast about their success. Some people present themselves as if there were “goods for sale” - advertising their physical assets, like weight and height. All together they form a uniform human mass with a certain collective consciousness. The documentary scenes are interchanged with the scenes involving professional actors in order to emphasize the absurdity of the whole action.

STONEWIND Evgeni Kondratiev 1995, 5' GENESIS OF CINEMA. HORIZONTAL PRIMITIVISM Evgeni Kondratiev 1998, 10' HELLO TO THE NEW YEAR Evgeni Kondratiev 1998, 10'

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FOCUS SUR ARTUR ARISTAKISYAN SAMEDI 15 DÉC. À 20H00

[1] Citation extraite de l’entretien réalisé par Chritina Stojanova et publié sur la toile, en anglais, sur le site Kinoeye.org.

Mesto na zemle (Un endroit sur terre) est le second essai cinématographique d’Artur Aristakisyan et la première fiction qu’il réalise en 2001. Tout comme Ladoni (Paumes – 1993), son premier opus montré en France lors de l’édition 2010 du fiD, le film est imprégné de l’osmose qui relie ces non-acteurs entre eux dans leur quotidien. Cet objet filmique non identifiable, par son étrangeté anachronique, est filmé en 35mm noir et blanc. Il n’y a pas de second degré à venir déterrer ici qui puisse nous distancier confortablement de sa noirceur sublimée. Le film maintient un niveau de sérieux inébranlable tout du long en mettant en place une puissante résistance à toute tentative de communication et d’interprétation rationnelle intelligible. Un endroit sur terre est la fresque d’une utopie en huit-clos. Les membres d’une communauté vivent à Moscou dans l’immeuble où avait auparavant vécu Mikhail Boulgakov. Ce lieu n’est relié au monde que par les descentes de police et les mendiants qui viennent y trouver refuge. Pourtant, ses membres entendent partager le sexe librement et en faire le fondement d’une nouvelle solidarité. C’est sur ce point que la communauté reflète les désirs et les craintes de la population qui, après l’effondrement de l’État et des idées qui le soutenaient, cherche un terrain nouveau. Le film reste comme suspendu entre ce qui pourrait aussi bien être une fiction post-apocalyptique que la reconstitution d’une vie en communauté pleine des réminiscences de celles, révolues, des hippies chevelus. La caméra se promène entre les murs où se joue le drame de cette communauté expérimentale, tantôt glissante, meurtrie et timide comme l’un de ces nombreux sans-abris venus se lover au sein du groupe, tantôt omnisciente et détachée tel un spectre qui hante ce devenir. C’est une expérience à laquelle la caméra participe davantage qu’elle ne la documente. Le film expose la fabrique des relations humaines, la mise en place de configurations sociales impensées et refoulées, bref de tout ce qui est invisible sur les écrans lisses et anesthésiés des blockbusters. Là où son premier long métrage, Paumes esquissait un portrait de lui-même au fil des sillages des mendiants solitaires qu’il suivait comme leur ombre. Un endroit sur terre façonne un corps hybride, mutant, sur lequel remue plusieurs têtes. Le geste cinématographique se rapproche étrangement ici de la manière dont le cinéma a donné à voir les échanges symboliques à l’intérieur des tribus dans l’imaginaire cinématographique colonial. Le film réussi à ne pas sombrer dans une approche ethnographique avide de sujets pathétiques à contempler pour rassasier l’inépuisable besoin d’empathie de ses spectateurs pour la misère du monde. La pellicule est imprégnée d’une sensibilité à fleur de peau. Le spectateur est destitué de son rôle de « regardeurapprobant » à l’égard d’une communauté qui n’a plus besoin de lui. Tout recours à la pitié condescendante est empêché. Le pacte d’adhésion et d’identification du spectateur n’est plus un prérequis dans la démarche d’Aristakisyan. 37


[2] Source : www.kinoeye.org /02/02/ stojanova02.php

Une seconde particularité de cet ovni filmique est sa sur-exposition aux images christiques. Le film est empreint d’un amour fervent de martyr incorporé, littéralement, au point qu’il en devient paradoxalement extatique. Les plans séquences achèvent de conférer une dimension cathartique au film. Enfin, la prouesse de ce projet réside peut être dans ce qu’il reste un rituel qui ne sombre jamais dans le fétichisme ; bien qu’imprégné de ferveur christique, le film ne prêche pas. Cette fresque d’expérimentations de rapports sociaux est certainement à regarder à plusieurs, au sein d’une communauté de cinéphiles venus s’y exposer. Pour Aristakisyan, ce film est un non-retour : « Notre film empêche les gens de nier leur réticence à changer en se cachant derrière des démonstrations d’intelligence interprétatives du film. Il ne leur permet plus de continuer à prétendre qu’ils ignorent le changement qu’on attend d’eux. » [2] — Texte écrit par Julia Gouin et augmenté par Irina Tcherneva.

un endroit sur terre Artur Aristakisyan Russie, 2001, 120', digital

un endroit sur terre Artur Aristakisyan 38


ARTICLES

« Le jeu réciproque entre l’originalité et l’acceptation d’une tradition, en tant qu’il constitue la base de la capacité d’inventer, me paraît simplement être un exemple de plus, et fort excitant pour l’esprit, du jeu entre la séparation affective et l’union. » [1]

Tradition et originalité dans le cinéma expérimental

[1] D. W. Winnicott « La localisation de l’expérience culturelle ». (1967). Repris dans « Jeu et réalité, L’espace potentiel », Gallimard, Paris 1975, p. 138

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C’est ainsi, dans un article rédigé en 1967 intitulé « La localisation de l’expérience culturelle », que le psychanalyste anglais Donald Woods Winnicott proposait d’étendre à la totalité du champ culturel sa théorie des phénomènes transitionnels et de l’espace potentiel comme zone à l’intérieur de laquelle l’individu apprend à jouer. La notion de jeu devait être entendue dans un sens très large, pas seulement comme désignant ce qui est léger,gratuit ou sans conséquence, mais plutôt l’ensemble des actions inscrites dans ce que, par commodité, nous appellerons avec lui, « culture ».

D. W. Winnicott définissait la notion de culture d’une manière apparemment simple : c’est une tradition dont on hérite, quelque chose à quoi chacun contribue et d’où chacun peut tirer quelque chose, une partie des expériences du passé que l’on conserve d’une façon ou d’une autre. Il ajoutait que dans tout champ culturel on ne peut être totalement original sans s’appuyer sur la tradition, et qu’il n’est pas possible de contribuer à la culture en répétant, sauf pour citer. Le plus grand péché dans la culture, ce serait le plagiat. À l’oreille de celui qui réfléchit et qui pratique depuis longtemps une forme de créativité consistant à mesurer inlassablement à toute action et toute décision sa capacité d’inventer, ces formules sonnent sur un mode familier. On peut supposer que c’est le cas du cinéaste expérimental. Ce qui le singularise en effet c’est précisément l’aisance qu’il revendique d’emblée à l’égard des traditions engendrées par des décennies d’expériences du cinéma. Cela ne signifie nullement qu’il les ignore, qu’il n’a pas de « culture », mais le cinéaste expérimental fait fi autant qu’il le peut des cadres économiques, juridiques et technique imposés au cinéma institutionnel, afin de mettre en scène un élan créatif libéré de toute inhibition ou limitation imposée par ces « cadres ». Ceci ne concerne pas seulement l’aspect formel et pratique du film mais aussi son organisation interne en tant que complexe signifiant obéissant à des lois rythmiques propres. Dans le cinéma institutionnel, la cohérence du propos cinématographique est fortement soumise à des règles de genre, de ton, de point de vue, de durée, etc. Elles garantissent la continuité dans la lisibilité et la compréhensibilité du message filmique. Le fait que des cinéastes, que nous admirons tous, aient introduit des variations, des distorsions et des écarts considérables dans ces traditions n’y change rien. Le fait aussi que ces écarts aient donné lieu à une théorisation de la notion d’auteur, elle-même devenue une tradition critique, tendant à les faire passer pour l’expression pure de l’originalité au cinéma n’y change rien non plus. C’est précisément le rejet et la rupture avec ces traditions qui ont donné naissance à des films ne montrant que des carrés noirs et gris se déplaçant sur l’écran, de la pellicule grattée, des personnages sans histoire ou des histoires sans personnages, des images sans référent, sans signifié, des relations objectives du réel débarrassées de la doxa documentaire (un des pires et des plus pervers cadres qui soit pour les images et les sons), etc. 41


Mais plutôt que d’opposer un monde de contraintes (celui du cinéaste ordinaire) à un monde de libertés (celui du cinéaste expérimental), admettons simplement que le cinéaste expérimental se tient par principe au plus près de l’originalité et au plus loin de la tradition. Par là, davantage du côté de la « séparation affective », ou solitude, que du côté de « l’union ».

[2] Christian Metz, « Le signifiant imaginaire », C. Bourgois, 1984

La relation entre tradition et originalité est dialectique. Cela signifie qu’il ne peut pas y avoir d’originalité pure. Il est impossible que quelqu’un conçoive l’idée, les matériaux et la forme d’une œuvre qui n’auraient rien à voir avec quelque chose qui a déjà existé. Dans le cas du cinéma expérimental, c’est d’autant plus évident qu’une grande partie du matériau est tenue en partage avec le cinéma institutionnel : le film, les instruments optiques, les procédés de traitement chimique du film, le montage, le tirage des copies, tous les outils et procédés de production numériques, l’écran, la projection, les conditions de la projection, etc. Le matériau, son évolution et ses mutations dans l’histoire, relie chaque production, aussi originale soit-elle, à quelque chose qui a été mémorisé, à du connu, du possible, de l’imaginable. Le cinéaste expérimental « joue » avec la tradition dans le sens où il cherche à démontrer que la possibilité d’un autre cinéma existe toujours, qu’il y a toujours une extrémité à toute avancée. Andy Warhol a exploré quelques extrémités du cinéma américain à une époque où celui-ci se libérait des lois esthétiques et idéologiques des grands studios. Ceci ne relève pas seulement d’un jeu spéculatif sur ce qui est recevable ou non (par exemple dans le rapport provocation /censure), mais sur l’hypothèse que les complexes signifiants résultant d’une organisation très originale permettent d’exposer en même temps que la relation inédite à un thème donné, un commentaire sur la médiation de cette relation, en fait sur le film et le cinéma lui-même en tant que matériau. Processus bien différent de celui qui opère généralement dans le cinéma de fiction où, pour reprendre les mots de C. Metz, « Le signifiant cinématographique […] s’emploie tout entier à effacer la trace de ses pas. » [2]. D’où cette habitude pédagogiquement bien utile lorsqu’il s’agit d’expliquer à ceux qui ne le connaissent pas, que le cinéma expérimental est essentiellement « non fictionnel » et « non narratif ». Définition pourtant insuffisante et fausse car fiction et narration ne sont pas l’essence de la tradition cinématographique mais deux de ses composantes susceptibles de faire aussi l’objet d’expérimentations radicales. L’histoire du cinéma expérimental montre que des films insistant trop sur la réitération de certains types de commentaires sur le matériau au détriment de l’exposé d’une relation inédite à un thème donné, finissent par alimenter des traditions dans son champ propre. Il y a donc des films expérimentaux davantage inscrits dans la tradition expérimentale que dans l’originalité, des cinéastes expérimentaux recherchant davantage l’union que la solitude. Démontrer que le cinéma peut ne pas être figuratif, narratif, que n’importe quel segment de film conçu pour un discours donné peut être réactivé dans un discours différent (found footage), que l’argentique est le seul support qui vaille quelque chose, etc. relève de la répétition stérile de commentaires déjà enregistrés dans la culture expérimentale. Ces films, sans toutefois relever du plagiat, croyant une fois encore soumettre le matériau à la force d’un geste créatif, ne font qu’user la signification originelle de ce geste. Depuis quelques années, nous observons par exemple dans de nombreux films expérimentaux le recours à des nappes sonores sourdes affirmant ostensiblement que nous pénétrons avec elles dans le monde insondable de l’intériorité, de la gravité, de la profondeur et du secret d’une âme. 42

Ce genre de « tic formel » use très rapidement les potentialités signifiantes de tels choix sonores en renvoyant davantage à une tradition, je dirais même à un folklore, qu’à une expression originale. On pourrait ainsi multiplier les exemples avec certains aspects plastiques de l’image, du montage, des durées de plans, des cadres, des articulations audiovisuelles, etc., montrant qu’il existe une tendance très forte dans le cinéma expérimental visant la reconnaissance dans le cercle rassurant d’un genre établi. Une des conséquences parmi d’autres de cette tendance, c’est de voir des chaînes de télévision ou des festivals promouvoir des films expérimentaux pour leur caractère décoratif.

La définition de la culture que proposait D. W. Winnicott est trop large et trop incomplète. Elle oriente vite l’exégèse vers l’idée d’un mouvement linéaire, immuable et universel difficilement compatible avec une approche critique de l’évolution de la culture dans l’histoire mettant en avant non la continuité ou la répétition mais les ruptures. L’objet, ici, est de s’intéresser à la manière dont le cinéma expérimental à l’Est parle aujourd’hui des discontinuités dans ses propres histoires. Il y a plus de vingt ans, et en moins d’une décennie, l’ensemble des méthodes par lesquelles les régimes « communistes » de l’Est visaient à orienter, encadrer et prescrire les bonnes valeurs, souvent contre les traditions, a été remplacé sans transition par l’industrie culturelle. Ce changement de paradigme et le moment de déstabilisation consécutif hante encore de nombreux cinéastes expérimentaux de l’Est, nous aurons l’occasion de l’observer. Vues sous l’angle de la dialectique tradition / originalité, nombre de ces productions font référence à la période révolue comme à une sorte de répertoire d’idiomes cinématographiques plus ou moins typiques par le recyclage d’images d’archives institutionnelles ou privées. D’autres assument au contraire l’héritage de cultures visuelles mettant l’accent sur la composition savante des cadrages et la puissance signifiante du montage afin d’engager une relation critique aux thèmes abordés. Enfin, certains semblent rechercher la voie d’un dépassement de cette dialectique en s’appuyant sur une relation intimiste et spontanée aux choses, croisant par là même ce que nous considérons ici comme une tradition du cinéma expérimental : l’autofilmage, le journal, les suggestions très « ouvrantes » à partir du quotidien anecdotique, etc. De dépassement, il n’y en aurait donc peut-être pas autant que l’on croit. Il y a pour moi des cinéastes emblématiques de cette phase de tiraillement enjoignant aux créateurs l’ordre de se faufiler entre la fin d’une tradition et le début d’une autre comme par une porte étroite. Les significations de leurs œuvres ne contiennent pas dans ce type de lecture trop simpliste consistant à y voir l’expression exubérante d’une liberté enfin acquise combinée au regard critique pointant les défauts du libéralisme. J’en évoquerai deux : Artur Aristakisyan, recourt à une plastique cinématographique délibérément traditionnelle (la pellicule noir et blanc) pour exposer son renoncement à toute espérance dans la société humaine. L’originalité résulte de l’articulation d’une imagerie saturée de pathos avec le témoignage actuel d’une solitude métaphysique extrême. Svetlana Baskova aborde ses sujets par le moyen simple et direct de la vidéo. Là, l’originalité tient tout au contraire dans le fait que la médiation apparemment froide s’attache à exposer la violence excentrique d’une humanité dégoûtante en guise de réalité. Dans tous les cas c’est infernal, autrement dit : il n’y a plus de part et d’autre de l’écran que des solitudes qui se font écho, celles des cinéastes et celles des spectateurs. Frédéric Tachou 43


Extrait du texte « Qu’est-ce que le film expérimental (film d’avant-garde, film alternatif) ? »

Des genres alternatifs – les sousgenres du film expérimental

Narrativité / non-narrativité – les films surréalistes, poétiques, structuralistes

La plupart des avant-gardes cinématographiques ont débuté au sein d’une tradition de film de fiction culturellement dominant (mais aussi économiquement en tant qu’industrie et marché) en portant un regard critique envers ses principales caractéristiques. Cela s’est produit avec l’avant-garde française ainsi qu’avec le film révolutionnaire soviétique (Vertov polémisait explicitement contre l’existence même du film de fiction), les débuts de l’avant-garde américaine ou encore du film expérimental en ex-Yougoslavie à la fin des années 1950 et pendant les années 1960. Le seul type d’organisation cinématographique dans le film de fiction, prédominant, était fondé sur le récit. Le film se devait de construire un récit afin d’être une fiction et d’entrer dans la sphère artistique. Dans la tradition du film de fiction des formes non narratives, sans récit, n’étaient ni connues ni permises. Les mouvements d’avant-garde se sont efforcés de montrer qu’il existait d’autres types d’organisation filmique, en dehors du récit. Prenons les films d’avant-garde constitués de scènes reconnaissables et s’appuyant directement sur ce qui les lie à la nature représentative du cinéma narratif. Le surréalisme de René Clair, Jean Cocteau, Hans Richter, plus tard de Kenneth Anger ou encore Dušan Makavejev dans sa période « amateur » en exYougoslavie, a démontré que les suites d’événements et les combinaisons d’images improbables pouvaient être compréhensibles et reliables d’un point de vue causal ou sur la base d’une unité de lieu. Ce mouvement s’est approprié les potentialités narratives de la continuité pour présenter des choses qui dans la vie réelle fonctionnaient dans la discontinuité. Ce qu’on appelle « film poétique », celui de Maye Deren, Peterson, Stan Brakhage, ou en ex-Yougoslavie de Žika Pavlović, Ivan Martinac et Mihovil Pansini, a accentué le rôle de l’imaginaire personnel, la focalisation sur ses propres « images mentales » obsessionnelles ainsi que leur capacité à être reliées de façon rythmiques ou « associative ». Le film structuraliste (celui de Petar Kubelka en Autriche, Holis Frampton et Ken Feingold aux États-Unis, Gotovac en Yougoslavie, Robakowski en Pologne, William Raban en Grande-Bretagne) s’est fixé explicitement l’objectif de l’invention de nouveaux principes d’organisation cinématographique, prenant souvent la forme d’énigme. Cela a été le courant le plus important notamment dans le film britannique des années 1970 et au début des années 1980. 44

Représentativité / non-représentativité du thème – documentaire d’avant-garde

La représentativité et le fonctionnement subversif du sujet et de l’approche – le film souterrain

Représentation / non-représentation – film abstrait

Toutefois, les formes non-narratives avaient aussi leur champ de développement explicite dans le film de non-fiction : films documentaires, publicitaires et éducatifs. La non-narrativité du film alternatif est pourtant tout autre que celle du film documentaire classique. La différentiation repose essentiellement sur leurs rapports au sujet et à ce qui est montré. Le documentaire classique (tout comme le film de fiction traditionnel) enregistrait les événements et les situations que l’on considérait, ou pouvait considérer, importants selon les critères en vigueur déterminant ce qui est intéressant sur les plans de la culture et de la civilisation. Tout ce que le travail documentaire montrait était en quelque sorte représentatif. […] Le film alternatif a justement critiqué ces caractéristiques du travail documentaire. Ce qui sera montré dans les films alternatifs n’est pas uniquement ce à quoi d’habitude on donne de l’importance culturellement, de même qu’on ne tentera pas de rendre les événements représentatifs sur le plan cinématographique. L’attention sera au contraire tournée vers des choses sans importance, et de telle manière que cela ne prenne pas de densité représentative. Toute une série de films de voyage ou de journaux intimes filmés (comme ceux de Jonas Mekas aux États-Unis) est exemplaire de cette approche anti-représentative, tout comme les films structuraux d’orientation documentaire, comme certains films de « fixation » de Mihovil Pansini, Tomislav Gotovac et la plupart des films structuralistes.

Néanmoins, le film expérimental n’a pas interrogé que la valeur des choses « futiles », à l’opposé des estimations habituelles sur ce qu’il faut montrer publiquement. Il n’a pas seulement touché les domaines que nous négligeons typiquement, mais a cherché à s’attaquer explicitement et systématiquement à l’interdit culturel, à ce qui est soumis à la sévère surveillance morale et à l’interdiction. Parfois les films cherchaient à montrer des comportements bannis (le cortège funéraire dansant dans Entr’Acte de René Clair), ou explicitement les situations et actes sexuels (comme l’atelier de Warhol, notamment Morrissey), mais pas à la manière narrative du film pornographique, ce qui anéantissait les conventions du genre en plus du moralisme dominant. Dans le film underground documentaire et politique, on s’attaque aussi aux sujets politiques tabous, ou à ceux qui sont au cœur de revendications révolutionnaires (Dziga Vertov et ses documentaires d’avant-garde des années 1920 ; Jean-Luc Godard et ses films révolutionnaires de la fin des années 1960 et pendant les années 1970 ; de nombreux films féministes contemporains). […] En Croatie, ce genre de film et d’action de « transgression » était pratiqué par Tomislav Gotovac.

Une des caractéristiques invariables de toute la pratique du cinéma résidait dans la nature représentative de l’image : par le film on enregistrait les événements, les scènes que l’on reconnaissait ensuite dans les images. Cette essence mimétique et référentielle de l’image film était l’objectif même de l’invention du film et de la photographie, et a été maintenue comme présupposé indiscutable de l’action de filmer. Un courant du mouvement d’avant-garde, celui du « film abstrait » s’est précisément concentré sur la recherche de formules non-représentatives, non-référentielles. […] Ils ont été réalisés en Allemagne en utilisant des techniques de dessins et d’animation par Hans Richter, Viking Eggeling et Walter Rutmann, en Grande-Bretagne par Len Lye ou au Canada par Norman MacLaren. Ensuite, dans d’autres catégories de films se sont Sharits, les frères Whitney, le Brahkage tardif et en ex-Yougoslavie Mihovil Pansini, Ante Verzzoti, Zlatko Hajdler, Milan Šamec qui ont poursuivi cette voie. 45


Heuristique / algorithme – film automatique

Matérialité / conceptualité – film matériel ; film conceptuel

Le film alternatif (expérimental, d’avant-garde) apparaît généralement dans une tradition de film artistique. Il se caractérise par la primeur de l’acte artistique individuel unique, sa parenté avec le domaine de l’action concrète déterminée par les spécificités du matériau (type de caméra, optiques, sensibilité de l’émulsion, méthodes de sonorisation, possibilités d’interventions sur le support film) et l’influence décisive de l’humeur de l’artiste, ses désirs, ses penchants et ses aptitudes du moment. Tout ce qui n’est pas unique ou individualisé, tout ce qui est susceptible de réitération, n’était pas considéré comme artistique et n’entrait donc pas dans le cercle des activités culturelles. En d’autres termes, les actes artistiques sont réputés intuitifs, de circonstance, leurs plans se réalisent de manière heuristique en mobilisant des méthodes qui conduiront probablement à l’effet recherché. Un courant du cinéma expérimental a démontré la pertinence des procédés algorithmiques et des formules répétitives, dont le caractère « automatique » ne dépend pas des décisions ou des intuitions changeantes de l’exécutant. Les films réalisés suivant ces procédés s’avèrent disposer du même pouvoir de stimulation de l’imaginaire que ceux produits suivant la méthode traditionnelle de l’acte artistique heuristique. On retrouve ce genre d’exploration chez nous dans les films d’Ivan Ladislav Galeta ou dans ceux du Polonais Wojciech Bruszewski, films dans lesquels toute la valeur réside dans la conception, l’hypothèse de départ. Comme dans une démarche scientifique, cette hypothèse est vérifiée lorsque le créateur en respecte toutes les modalités.

La démarche automatique à l’œuvre dans les films algorithmiques conduit parfois à interpréter ceux-ci comme des films conceptuels car l’idée principale, structurante, en est « l’invention » et la valeur clé. Les modalités pratiques sont secondaires. À cela s’oppose souvent […] ce que l’on appelle le « film matériel », c’est-àdire le film dans lequel l’accent est mis sur sa propre matérialité constitutive. […] La pellicule est grattée, trouée, colorée, froissée, collée à d’autres (comme dans le film de Vladimir Petek, Sretanja, 1964). […] Ce qui importe, c’est de savoir comment on travaille l’aspect de l’image par des interventions supplémentaires sur la pellicule et lors de sa projection. Dans ces cas, le film dépend de gestes de création chaque fois uniques comme dans l’actionnisme dans les arts plastiques où les interventions graphiques sont déterminées par l’état psychologique et la condition physique de l’artiste, la densité et la nuance de la couleur ou la rugosité de la toile et sa capacité d’absorption. Mais l’approche conceptuelle, celle qui donne la primauté à l’invention de la procédure qui va être suivie – l’idée de la mise en forme ; n’est pas réductible à l’algorithmie. Elle peut permettre n’importe quelle façon de présenter à condition de ne pas s’éloigner de l’idée principale. Les créations conceptuelles peuvent vraiment mettre en valeur la matérialité du film, ses modalités de fabrication, le côté unique de chacune de ses présentations, le non-réitérable. La mise en forme peut passer par l’improvisation heuristique, inventive, et non pas par une approche algorithmique, pour aboutir à un niveau de singularité équivalent à celui de l’idée. Par exemple, l’idée de Tomislav Gotovac de filmer de manière systématique à travers la vitre avant d’un tramway (Pravac, 1964), et de dépendre ainsi de ce qui se passe dans la rue au moment où il filme, s’apparente à une démarche conceptuelle, algorithmique. Ce qui est important, c’est l’idée, sa formalisation pouvant rester totalement aléatoire. En revanche, lorsque le film est fait, il contient une valeur documentaire car à travers la vitre du tramway on voit effectivement des scènes uniques – telles qu’elles se sont déroulées à un moment donné avec leur lumière unique, organisées par le pur effet du hasard. Ainsi, ces films avec leur mise en forme « algorithmiques » conservent suffisamment d’éléments uniques pour continuer à être considérés comme « artistiques » au sens traditionnel du terme. […] 46

Tradition et prospective

Grâce à sa fébrilité innovatrice, le cinéma d’avant-garde a ouvert beaucoup de possibilités de travail, affiné notre sensibilité et modelé de nouveaux territoires de l’imaginaire. Tous ces sous-genres du cinéma expérimental résultent de cette activité prospective inscrite dans une évolution historique. Les genres décrits ici sont vraiment des « genres » car leurs possibilités sont contenues dans un certain nombre de films dans l’histoire du cinéma. Ainsi, dans le cinéma expérimental se développent des sous-genres avec leurs dénominations, et même si ils ne sont pas nommés, ils sont reconnaissables en tant que genre. Le film expérimental a développé pendant ses quatre-vingt ans d’existence ses propres traditions, ses courants traditionnels. Ainsi aujourd’hui, il semble excessif de demander aux films d’être absolument innovants, non-référençables à quelque chose de connu. La plupart des cinéastes expérimentaux contemporains explorent des territoires déjà connus dans lesquels, tout comme les cinéastes du cinéma dominant, ils essayent d’imprimer la marque de leur sensibilité singulière combinée à la perspicacité de leurs observations et à l’ingéniosité de leurs pratiques. Comme dans d’autres formes cinématographiques où l’innovation est une fonction centrale, les cinéastes expérimentaux essayent de détecter des potentialités latentes, des espaces que d’autres n’ont pas songé à exploiter. Les directions existantes ne sont que des directions, et pas des obligations. Toutes ces propositions alternatives au cinéma dominant peuvent être reliées entre elles et les créateurs, de fait, les combinent et les recombinent sans cesse. Bien que l’on puisse encore trouver un film structuraliste « pur », on trouvera le plus souvent des films articulant une démarche structuraliste avec des composantes surréalistes et des intonations poétiques. Même si la tradition du cinéma expérimental a des contours précis, des caractères aisément reconnaissables par les connaisseurs, ce champ de création reste fondamentalement ouvert à toute forme de nouveauté et aux perspectives de recombinaison de ce qui existe déjà. Même si certains réalisateurs peuvent s’avérer dogmatiques (certains anciens rejettent encore la vidéo et l’hybridation du film par la vidéo), l’essence du mouvement expérimental réside dans ce principe d’ouverture. Hrvoje Turković Traduit du croate par Brankica Radić et Frédéric Tachou

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événements périphériques

L’AVANTGARDE CINÉMATOGRAPHIQUE TCHÈQUE (ANNÉES 1930 –1990) JEUDI 6 DÉC. À 19H30 AU CENTRE TCHÈQUE

L’histoire de l’avant-garde cinématographique tchèque, ou du cinéma expérimental, se démarque par deux spécificités. D’une part, une évolution discontinue due notamment aux changements sociaux et historiques qui eurent lieu en Europe centrale au cours du 20e siècle, de l’autre, un certain retard par rapport aux mouvements analogues en Europe et outre-Atlantique. Nous pouvons déterminer trois îlots isolés, ou trois étapes, dans l’évolution de l’avant-garde tchèque : les années 1930, les années 1970-1980 et enfin les années 1990. Il n’est de fait pas possible de faire découler l’importance de l’avant-garde tchèque d’une simple comparaison avec l’évolution dans d’autres pays et de rester fixé sur l’aspect superficiel de la « nouveauté » : notre principal critère doit être la manière dont le cinéma tchèque indépendant a su s’exprimer au sujet d’une situation cinématographique et sociale donnée. Dans notre aperçu, nous suivrons notamment la lignée de films qui virent le jour parce qu’un besoin personnel de s’exprimer ou le désir de rechercher des moyens d’expressions cinématographiques originaux les motivaient. Nous nous concentrerons exclusivement sur des films créés avec le matériau cinématographique et projeté à partir de celui-ci (ainsi, le vidéoart ou les « nouveaux médias » resteront en dehors de notre programme). Étant donné que certaines des copies originales sont endommagées ou difficilement accessibles, nous sommes hélas obligés d’avoir recours pour cet aperçu à des versions digitalisées des films, ce qui nous privera évidemment du plaisir de l’acte-même d’une projection à partir du matériau d’origine. — Martin Cihak

UNE PROMENADE SANS BUT (Bezúčelná procházka) Alexander Hackenschmied 1930, 8' Historiquement, le premier film d’avant-garde de Bohème. Le mouvement, considéré dans la plupart des films comme soumis à un but précis, est ici mis à nu dans sa vanité afin de permettre au spectateur de se concentrer sur le thème principal du film, qui constitue une réflexion sur l’essence de la visualisation cinématographique. La répétition du motif des reflets sur une surface d’eau ou le dédoublement du personnage central nous confrontent à la question fondamentale du caractère de l’espace et de l’image cinématographiques. Hackenschmied a par la suite développé ces motifs dans le film Meshes of the Afternoon (1943), tourné avec son épouse Maya Deren, œuvre fondatrice de l’avant-garde cinématographique américaine. 48

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STRUCTURES INFORMELLES (Informelní struktury) Petr Skala 1969, 5' À la fin des années 1960, Petr Skala se mit à utiliser la technique du hand-made film, c’est-à-dire d’une application directe des couleurs sur la pellicule, sans rien savoir à l’époque des œuvres de Len Lye, Harry Smith ou Stan Brakhage. Il conçut son travail cinématographique non seulement comme une forme d’expression d’auteur, le vecteur d’un geste plastique spontané, mais avant tout comme voie vers la transformation intérieure, alchimique, de son propre être. LA LUMIÈRE PERCE LES TÉNÈBRES (Světlo proniká tmou) Otakar Vávra & František Pilát 1930, 4' Ce film est non seulement une célébration de l’éclairage électrique comme expression du modernisme, mais nous y trouvons également des inspirations du courant français du « cinéma pur » des années 1920. À la base du film se trouve une sculpture cinétique de Zdeněk Pešánek, un des premiers créateurs à utiliser dans son œuvre des matériaux modernes comme par exemple des tubes de néon, du plastique etc. L’ŒIL MAGIQUE (Divotvorné oko) Jiří Lehovec 1939, 9' L’Œil magique est un dialogue entre l’œil humain et l’œil de la caméra cinématographique. À l’aide du macro-objectif de la caméra, et sur la base d’une journée ordinaire, il dévoile des formes et des mouvements cachés, imperceptibles à l’œil nu. LES BULLES DE SAVON VIVANTES (Hra bublinek) Irena & Karel Dodal 1936, 2' Cette publicité pour le savon à la térébenthine Saponia est un des rares exemples de « film absolu » dans le contexte tchèque. Il fut inspiré par les films de la même veine du créateur allemand Oskar Fischinger qui travaillait lui aussi avec des couleurs expressives et rechercha une orchestration visuelle d’éléments géométriques et de leurs relations.

CATHARSIS (Katarze) Miroslav Janek 1977, 13' Catharsis est un exemple typique de la création amateur du cinéma des années 1970. La structure en a le caractère, celui d’une sorte de transe ou de rêve, où se développent tous les états existentiels typiques à l’époque de la « normalisation » : sensations d’esseulement, de menace omniprésente, et tentative de sauvegarder sa propre intégrité. L’ÉDUCATEUR DE PEUR (Vychovatel ke strachu) Pavel Marek & Roman Včelák 1989, 15', VOSTEN Le principal moyen d’expression auquel les auteurs de ce film ont recours est l’animation d’objet inanimés, éventuellement la pixilation, c’est-à-dire l’animation d’acteurs comme s’il étaient des marionnettes inanimées. L’Éducateur de peur laisse clairement transparaître, formellement et sémantiquement, une affinité avec l’œuvre de Jan Švankmajer. Le film comporte non seulement la sensation de peur de l’époque, son atmosphère rend parfaitement toute l’absurdité de la période du socialisme décrépissant de la fin des années 80.

NEO-B Martin Blažíček 1997, 5' NEO-B a vu le jour sans l’usage d’une caméra, par le biais d’une application manuelle directe de couleurs sur la pellicule vierge. L’auteur travaille ici avec plusieurs couches de couleur, leur détérioration à l’aide de produits chimiques et des interventions manuelles (grattements, incisions etc.). Il s’agit d’un des premiers films handmade des années 1990 en Bohème. Martin Blažíček l’a créé sans connaître encore les travaux similaires de Petr Skala du tournant des années 1930-1970. TEST Martin Blažíček 1997, 2' Test est un exemple de film que nous pourrions qualifier de collage cinématographique de matériaux. L’auteur a utilisé divers matériaux trouvés (found-footage) et a inclus dans l’image les parties d’ordinaire dissimulées au regard du spectateur : la perforation de la pellicule, les numéros des bandes-amorce, les textes et numéros en marge de la pellicule, les cadres des différentes images etc. L’objectif du film est de saisir le matériel cinématographique dans sa forme la plus élémentaire et de dévoiler la projection cinématographique comme un processus anti-illusionniste.

entracte ADAM KADMON Martin Čihák & Jan Daňhel 1993, 27' Un film sur la polarité du paysage corporel et de la mise en place d’une forme essentielle par l’intermédiaire de la lumière et de la matière cinématographique. Projection 16mm avec accompagnement musical live par Kryštof Mařatka


Tradition filmique et innovation cinématographique : un nouveau regard VENDREDI 7 DÉC. À 20H00, AU CENTRE CULTUREL DE SERBIE

La 14è édition du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris présente un programme spécial : « Tradition filmique et innovation cinématographique » ; une sélection de films et de vidéos de jeunes réalisateurs Serbes. Ces œuvres documentaires et expérimentales, toutes réalisées au cours de ces cinq dernières années, révèlent les tendances alternatives de la nouvelle génération de réalisateurs originaires de ce pays des Balkans.

À travers les films, nous allons rencontrer Zare, l’un des habitants invisibles de Belgrade, ainsi que Zivan, légende punk de la petite ville de Pancevo ; nous allons en savoir un peu plus sur le sens secret des images médiatiques ; nous allons voir, avec un regard nouveau, de manière fugace, les oiseaux qui voltigent au-dessus de Belgrade chaque automne ; nous allons nous aussi aimer à travers une série de photos animées ; nous allons apprendre comment transformer les rêves en films… À quoi ressemble cette nouvelle génération de réalisateurs Serbes ? Ils sont éduqués, courageux, et prêts à expérimenter ! Le programme inclut sept courts-métrages. Ils représentent des avancées dans leurs genres respectifs, qu’ils aient été produits dans les cadres institutionnels des hautes études qui promeuvent des modes classiques d’expression, qu’ils aient été réalisés dans la tradition des ciné-clubs d’artistes consacrés à la vidéo et au film alternatif, ou qu’ils aient été faits de manière indépendante. La Serbie bénéficie d’une longue tradition de cinéma documentaire et expérimental. Cependant, après les grands succès des années 60 et 70 dans de nombreux festivals internationaux, on s’est détourné de ce genre de films jusqu’à l’oubli et la marginalisation. Notre programme prétend revivifier cette longue tradition, mais aussi célébrer deux importants jubilés. Premièrement, l’un des plus anciens festivals du monde, le Festival du film documentaire et du court-métrage de Belgrade (connu plus simplement sous le nom de « Festival du Court-métrage »), événement annuel qui montre des travaux récents dans le domaine du documentaire, du court-métrage de fiction, de l’animation et du cinéma expérimental, qui marquera sa 60 e édition en mars. Deuxièmement, le festival de vidéo et films contemporains Alternative Film/Videos, organisé par le « Centre Académique du film » (Dom kulture Studentski grad), un ciné-club consacré depuis plus de 50 ans à la tradition d’avant-garde et du cinéma expérimental, fêtera son 30e anniversaire en décembre, en jonction avec notre séance à Paris. C’est pour cela que notre programme se concentre sur des films remarqués ou primés dans ces deux festivals. La projection s’ouvrira par une ode unique à la ville de Belgrade, signée par l’argentin Andres Denegri, film réalisé et produit par le Centre Académique du film. Au-dessus d’un ciel dont les couleurs changent et se fondent, on voit des corbeaux voler. Over Belgrade (AFC, 4'25, 2011) a été tourné-monté en Super 8. Lors du « Festival du Court-métrage » de cette année, il a reçu le prix du meilleur film expérimental, pour « sa force d’évocation à travers des moyens très simples ». Le documentaire hautement prisé de Ognjen Glavonić Živan Pujic, Jimmy (FDU, 21', 2008) est le portrait filmé d’un héros incompris, d’un loser punk de la ville de Pancevo. Živan est plein d’idées créatives qu’il ne peut pas réaliser, mais il n’abandonne pas. Tout comme le protagoniste de son film, Ognjen est lui aussi sincère, courageux et original. Ogi et Jimmy font donc un couple parfait, et leur film est un pas en avant pour le cinéma documentaire Serbe. Ce film vient combler un vide dans les écrans des festivals de cinéma serbes : c’est un film court et captivant. Nous continuerons sur le même style, avec l’œuvre d’un autre étudiant de la Faculté des Arts Dramatiques de Belgrade. Tout juste en deuxième année d’études et déjà en compétition avec ses aînés, Stefan Ivancić s’est retrouvé au sommet du « Festival du Court-métrage » de cette année avec son documentaire Scrap Material (FDU, 16', 2011). Il a reçu le prix du meilleur film dans la 52

compétition nationale, ainsi que le prix du meilleur montage (le monteur : Vuk Palavestra). Dans son portrait de Žare – un Belgradois qui vit dans un bateau sur la rivière Sava et survit en ramassant de l’aluminium et du cuivre, admire les films de Želimir Žilnik et aime « la house » – Stefan a réussi à prouver, selon le jury du festival, « qu’un héros peut se trouver en chacun de nous ». Déjà un artiste mature et expérimenté, mettant l’accent sur le fait qu’il est un « fabricant de films » ( filmmaker en anglais) et non pas un directeur de films ( film director), Miloš Tomić, ex-étudiant de la FAMU (école de cinéma de Prague), intervient dans ce programme avec son film d’animation Spitted by Kiss (FAMU, 11', 2007). Cette œuvre, dans laquelle le protagoniste tombe amoureux de passantes à partir du sol sur lequel il est allongé, a été animée sur la base de presque 50 000 photos. Le film a été nominé en 2007 pour l’Oscar du meilleur film étudiant, en tant que représentant de la République tchèque. Le film a reçu le prix du public au Alternative Film/Video l’année suivante. Le programme inclut deux autres vidéos de la riche production de l’AFC, toutes les deux primées au Alternative Film/Video : Surplus réalisé par le duo d’artistes Doplgenger (primé en 2008) et Rayban Meltdown de Mane Žuðelović (2011). Ces deux vidéos jouent avec les images recyclées des médias, en les modifiant et en les ré-assemblant, révélant peut-être ainsi leur « vrai sens ». Dans le but de pousser les limites et défier les définitions des genres, nous allons aussi projeter un film d’Ana Jelić intitulé Weird-Funny-Scary-Stories (production indépendante, expérimental, 11'). Dans cette composition d’image et de son, version filmique d’un rêve, Ana réussit à se libérer des définitions habituelles ainsi que de la vision « mainstream » du cinéma. De plus, elle montre tout ce qui peut être accompli dans le cadre d’une production indépendante. Que ces films aient été réalisés dans un cadre « officiel » comme celui de la Faculté des Arts Dramatiques de Belgrade, ou dans le « marginal » Centre Académique du film, qu’ils aient été produits par des institutions officielles ou non-officielles, qu’ils aient été faits par des professionnels ou des non-professionnels, sur celluloïd ou en digital, ces films et vidéos résistent aux clichés de l’art qui ont comme origine les deux bouts opposés du spectre. Souvent présentés comme deux histoires incompatibles, il s’agit en réalité des deux faces d’une même pièce. Alternatifs ou classiques, ils font tous partie de l’histoire du cinéma. En Serbie, aujourd’hui, une nouvelle histoire est en train de s’écrire. La prochaine vague est représentée par Ana Jelić, Andres Denegri, Boško Prostran & Isidora Ilić (Doplgenger), Mane Žuðelović, Miloš Tomić, Ognjen Glavonić, Stefan Ivancić… et ce n’est que la partie émergente de l’iceberg ! — Dunja Jelenković, programmatrice

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OVER BELGRADE (IZNAD BEOGRADA /SOBRE BELGRADO) Andres Denegri 2011, 4'25 Les corbeaux volent au dessus de Belgrade. Production : Centre Académique de Film (Academic Film Center, AFC), Belgrade, expérimental Meilleur film expérimental, Belgrade Documentary and Short Film Festival 2012. ZIVAN PUJIC, JIMMY (ŽIVAN PUJIĆ, DŽIMI) Ognjen Glavonić 2008, 21'

RAYBAN MELTDOWN Mane Žuđelović 2011, 15' Rayban Meltdown est un film-assemblage realisé à partir de fragments de séries télé populaires. En re-composant ces fragments et en intervenant sur leur contenu, l’idée était de modifier leurs intentions en créant une pénurie ou un surplus de sens dans la narration. Production : Centre Académique de Film (Academic Film Center, AFC), Belgrade, expérimental Primé au Alternative Film/Video Festival 2011.

Zivan est au pic de son énergie spirituelle et de sa force. Mais le monde est contre lui. Production : Faculté des Arts Dramatiques de Belgrade ; documentaire Meilleur film documentaire et Meilleur montage, Belgrade Documentary and Short Film Festival 2009. SCRAP MATERIAL (SEKUNDARNA SIROVINA) Stefan Ivančić 2011, 16'

SURPLUS Artist duo Doplgenger Boško Prostran & Isidora Ilić 2008, 6'

Zare gagne sa vie en ramassant de la ferraille: de l’aluminium et du cuivre. Il vit dans un endroit assez particulier, sur la rivière, dans le centre-ville de Belgrade. Il aime faire du vélo et passer du temps avec ses amis. Il fait partie de ces hommes invisibles que personne ne regarde. Production : Faculté des Arts Dramatiques de Belgrade ; documentaire Meilleur film serbe, Belgrade Documentary and Short Film Festival 2012.

EN — En intervenant de manière formelle sur du found footage de publicités, cette vidéo expérimentale nous permet de repenser l’image, tout en créant une narration qui dévoile l’un des plusieurs sens souvent recouverts des imags médiatiques. Comme le suggère le titre, cette vidéo reprend l’idée de Jacques Lacan sur « la valeur de surplus » de la société capitaliste contemporaine. Cette « la valeur de surplus » n’est plus capitalisée pour la jouïssance libidinale. De nos jours, elle est réinvestie dans le processus de production. Production : Academic Film center (AFC), Belgrade, experimental. Primé au Alternative Film/ Video Festival 2008.

SPITTED BY KISS (PLJUNUTI POLJUPCEM) Miloš Tomić 2007, 11' L’histoire obsessionnelle des désirs inassouvis d’un jeune homme qui a littéralement decidé de vivre dans la rue et de ne tomber amoureux que des filles qui passent dans sa rue. Production : FAMU, Prague, expérimental, animation Prix du Public au Alternative Film/Video Festival 2007.

Dans le cadre du 14è Festival des Cinémas Différents et Expérimentaix de Paris, P. Merejkowsky, membre de la Coopérative du CJC propose une séance de projection dans sa chambre, lieu de vie. Le samedi 8 décembre à partir de 20 heures. À cette occasion sera présenté sur l’écran de son ordinateur son film que faire ? ainsi que les films proposés dans leur ordre d’arrivée et à l’issue d’un vote non majoritaire.

SÉANCE CHEZ PIERRE MEREJKOWSKY « QUE FAIRE ? » SAMEDI 8 DÉC. À 20H00 QUE FAIRE ? Pierre Merejkowsky 2007, 75' Dans l’ancienne Russie, à l’aube de la révolution bolchévique, les Tolstoïens, les Narodniki, ont quitté leur famille. Loin des salons, loin des amours faciles, sans un regret, ils ont abandonné les études du piano classique et sont partis à la campagne. Ils attendaient d’une rencontre avec les Moujiks, le déclenchement de la Révolution universelle. Aujourd’hui dans notre société parisienne, les nouveaux Narodniki cherchent à s’écarter du chemin artistique que balise le respect des convenances de leur classe sociale. Des poubelles de Zalea Tv (Stalingrad) aux rives glacées de la Neva à St Petersbourg (Leningrad), en passant par la centrale nucléaire de Chinon, Pierre Merejkowsky entame un exil intérieur dans le Grand Nord de la Russie, dans cette terre chargée du passé de ses dissidents héroïques qui avaient rompu avec le nihilisme de la folie occidentale.

Entretien de Pierre Merejkowsky par Pierre Merejkowsky : Vous défendez donc le principe de l’esprit des catacombes informelles, c’est-à-dire que le message de la liberté vient de la marge qui n’est pas obligée de se positionner dans une fonction réelle, c’est certainement très généreux de votre part, mais n’est ce pas un danger ? En effet en remettant en cause, l’affectif, le politique, le cinéma, le sociologue, l’universitaire, la constitution de groupes syndicaux, ou artistiques qui œuvrent comme vous pour une société débarrassée de son auto mutilation, est ce que vous ne rejoignez pas les tenants du libéralisme qui luttent contre toute remise en cause collective et est ce que vous ne risquez pas de provoquer votre propre destruction ?

WEIRD – FUNNY – SCARY STORIES (ČUDNO – SMEŠNO – STRAŠNE PRIČE) Ana Jelić 2011, 11'

Pierre Merejkowsky : Mon statut de cinéaste radical m’interdit toute forme d’auto-promotion.

Weird – Funny – Scary Stories est un film experimental sur les rêves et sur le subconscient. Production : Ana Jelić, expérimental. Projeté au Belgrade Documentary and Short Film Festival 2012. 54

Pierre Merejkowsky (menaçant) : Nous attendons votre réponse et je vous prie de répondre séance tenante à cette question. Dans le cas contraire j’aviserais. 55


séances spéciales

SÉANCE STRIGIFORMES SAMEDI 15 DÉC. À 16H00

Parce que nous souhaitions montrer le travail cinématographique de certains membres du jury et / ou membres du CJC en dehors des programmes compétitifs, nous avons créé une séance nommée Strigiforme (ordre animal qui regroupe tous les oiseaux rapaces nocturnes, comme les hiboux et les chouettes). La splendide chouette rayée du film de Robert Todd, que nous avions prise au début pour un Grand-Duc, nous a inspirés. Cette confusion n’aurait d’ailleurs pas manqué de faire sourire Laurence Chanfro, notre amie activiste féministe malheureusement disparue récemment, qui prit très à cœur sa participation au pôle transmission du CJC. En effet, une de ses propositions, inspirées des genders studies, consistait à déconstruire les notions de genre (notamment les dénominations sexuées de la langue française). Un de ses films, Les Scieurs, clôturera cette séance qui aura cheminé par les œuvres tonitruantes d’Yves-Marie Mahé, la poétique discrètement militante de Frédérique Devaux, le geste contemplatif de Gérard Cairaschi, la beauté élégante de Trésors (face A) d’Orlan Roy et enfin la subtile invitation à méditer sur la peur et la mort de Masha Godovannaya.

ACCORDS À CŒUR Frédérique Devaux France – Algérie, 2012, 14' Trajectoire du chanteur kabyle Tahar Metref, qui se bat depuis 30 ans pour défendre en France la culture kabyle. ON /OFF Yves-Marie Mahé France, 2012, 2'47 Après avoir fermé le téléviseur, un homme découvre qu’il partage l’appartement avec quelqu’un d’autre. Ce dernier est mécontent que la télévision soit éteinte. Deux nouveaux personnages apparaissent dans la pièce pour les départager et c’est le bordel… SILENCES Gérard Cairaschi France, 2012, 11'30 Le silence du fleuve, de l’élément liquide, de la barque, des villes traversées, des usines désertes. Le silence après le fracas des bombes, le silence de mort, le silence avant la catastrophe. Le silence de la proche frontière, du passage terrible des guerriers et invisible des migrants. L’infini entre deux rives. 56

PAULINE À LA PLAGE, LES AUTRE DANS LE COULOIR Yves-Marie Mahé France, 2011, 1'45

TRÉSORS Orlan Roy, France, 2012, 21'

Road-movie mental filmé avec une contrainte (musique) / un collectif Variations autour d’un plan fixe de (la troupe). Une bande continue, couloir issu de «Pauline à la plage» voyage translucide entre plusieurs d’Éric Rohmer. Au fond du couloir espace mentaux. Série d’imagesil y a une porte qu’on ouvre et qu’on mémoires, morceaux colorés ferme. Cette porte et l’action à propos d’une fille : Julie Gold. autour d’elle constituent l’intrigue Avec Moriarty + Cie Les Canards principale du film de Rohmer. Sous la Pluie + Cie Nagarythe. Dans le mien, l’intrigue se porte plutôt sur la porte de gauche, SOCIALISTE celle que l’on ne voit pas à l’image. Yves-Marie Mahé, France, 1'30 40 Masha Godovannaya Russie, 2010, 10'08 Ce film est la trace d’une réaction traumatique face aux actes terroristes qui ont eu lieu dans le métro de Moscou le 29 mars 2010. LABYRINTHE Yves-Marie Mahé France, 2011, 1'25

Le dimanche 16 octobre 2011, entre aller voter ou faire ce film, je n’ai pas hésité. UNDERGROWTH Robert Todd, États-Unis, 12' Un prédateur aveugle rêve à travers les yeux de sa proie. LES SCIEURS Laurence Chanfro France, 2005, 4'30

Par ce titre, Philippe Clair a résumé ce qu’est un dédale : « Par où t’es Une masturbation avec un goderentré ? On t’a pas vu sortir. » miché transparent, donnant une vision du sexe féminin bien particulière, a lieu pendant la diffusion en direct, d'un documentaire régionalo-macho… 57


HOMMAGE À MARCEL HANOUN : « LA NUIT CLAIRE » SAMEDI 15 DÉC. À 22H30

SEXE, POLITIQUE ET SUPER 8 DIMANCHE 16 DEC. À 14H00 ET À 16H00 14h00 Séance No1

Marqué dans sa jeunesse par le cinéma de Robert Bresson, Marcel Hanoun rend hommage à son maître avec son premier long métrage, Une simple histoire (1958). Simple : une femme et sa fillette tentent de survivre dans la ville froide. Pas de larmes ni de pathos, mais le commentaire laconique d’une voix off qui reprend les paroles prononcées par les acteurs sans que ces dernières soient pour autant effacées. La Nouvelle Vague arrive, le jeune homme tente de s’y immiscer avec Le Huitième jour (1959) où il fait appel à Emmanuelle Riva pour le rôle principal, mais le film ne le satisfait pas. Il part en Espagne, réf léchit, tourne des documentaires. Avec Octobre à Madrid (1964), il trouve sa voie : décrire le processus créatif d’un film. Ce désir de piéger la fiction au moment même où elle surgit, à l’instant où elle veut se formaliser, sera désormais son credo. Une œuvre en gestation sera le socle de base d’un grand nombre de ses films et vidéos. Sobre à ses débuts, dans son style et ses référents, Hanoun, bientôt fasciné par la peinture flamande dont il s’imprègne lors du tournage de L’Hiver (1969), agrandit son champ artistique et le teinte de baroque acclimaté à sa sensibilité. Avec La Nuit Claire (1979), il s’attaque au mythe d’Orphée ou, plutôt, comme à son habitude, au cinéaste Hanoun en prise avec les multiples représentations cinématographiques, théâtrales, et autres, de cette allégorie. Pour Hanoun, le mythe d’origine sert de prétexte, d’émulation à son inventivité plastique. Diverses visions d’Orphée sont convoquées parmi lesquelles celle de Cocteau, mais également l’Orphée de Monteverdi. La Nuit Claire se confond avec le désir de création de nouveaux postulats filmiques. Plus peut-être que dans ses films antérieurs, Marcel Hanoun met, ici, à chaque instant, le spectateur face à un travail en gestation, et à une jouissance sans cesse renouvelée : nous voyons les musiciens répéter, les acteurs se maquiller, une voix-off donner des instructions, des gens regarder un écran. Cette volonté de mettre en parallèle, polyphoniquement, œuvre en devenir et plaisir esthétique en perpétuelle métamorphose se retrouve jusque dans Cello, son dernier opus (2010). — Raphaël Bassan LA NUIT CLAIRE France, 1978, 88', 16mm 58

PRESQUE FOU Collectif Treiz France, 2010, 5'

Il s’agira ici de montrer des films tournés en Super 8, à dimension sexuelle (sans tabou) qui contiennent aussi une dimension politique (donc tout sauf du porno ringard conventionnel) et de montrer des films politiques qui n’éludent pas nécessairement la question du sexe. — Alice Heit et Colas Ricard PURSUIT OF SACREDNESS Ricardo Leite Portugal, 2008, 8' Ce film a été réalisé pour rendre hommage au poète Sebastião Alba, à travers le poème d’A. Artaud « La Recherche de la Fécalité ». Dans ce film, on peut également trouver des poèmes de Alba, ainsi que du réalisateur Ricardo Leite. LA MANIVELLE Lilith Soror France, 2012, 30'

3e film de Lilith Soror et poursuite d’un travail autour de la sexualité, Personne n’est à l’abri de basculer La Manivelle, explore ce tabou par excellence, que tout le monde un jour dans la folie. Artiste, pratique, mais dont personne ne travailleur intérimaire, chômeur parle jamais, même au sein des ou fonctionnaire. Chef d’entreprise, cadre, prolo ou SDF. Nous couples constitués. Ou comment sommes tous imbibés de la folie la masturbation, non seulement ne rend pas sourd, mais est un forde ce monde dans lequel on vit. Et personne ne peut assurer qu’un midable moyen d’exploration, de jour, lui aussi, il ne basculera notre propre corps, de notre sexuapas. Il suffit de si peu de choses. lité intime et de celle de l’autre. La santé, physique, psychique, la vie même, tiennent à si peu de chose. Comment faire ? Comment s’accommode-t-on, ou pas, de cette vie aliénante que tout nous 16h00 pousse à mener ? Et qu’est-ce Séance No2 qui au fond de ce noir, pourrait nous tirer vers un peu de lumière ? BLANC Lilith Soror PERSON’NA France, 2012, 5' Jan Debauche Blanc, la lumière saturée, l’éblouisBelgique, 2002, 13' sement, la chaleur sur la peau. Blanc, quelque chose du commenPerson’na se cloître dans la maison de ses mystères pour cement. Blanc, une joie qui jaillit. y jouer de son corps multiforme Blanc, un éloge des fluides, du lait, du sperme, des liquides opaques et s’amuser de la farce des genres. Elle y dévoile la variété ou transparents qui se mélangent. Blanc, comme une vision de ses masques et y révèle les machineries complexes qui hypnotique qui nous projette l’oppressent. joyeusement hors de nous. 59

NOIR Anonyme France, 2010, 9' silencieux La nuit s’empare des corps. La profondeur apaisante, comme un appel sans fond, dans lequel on se laisse glisser. Espace d’exploration, espace de jeu, matière d’une écriture silencieuse. Une écriture du désir, qui se met à tanguer, à danser. Puissance de nuit, qui nous renvoie à des forces oubliées, à une profondeur originelle, à l’ivresse existentielle de la sensation. ROUGE Alice Heit France, 2012, 13' Récit d’un bouleversement intérieur qui conduit jusqu’à l’intérieur du corps. Le corps n’est pas un lieu séparé du monde, et ici, s’y condensent avec violence certaines des questions redoutables qui se posent aux êtres humains d’aujourd’hui. MAGMA Alice Heit France 2012, 17'

CÉPHALIE Colas Ricard France 2012, 18'

Deux films réalisés ensemble, au même moment (mai 2012) et à distance, dans deux villes différentes (Rennes et Marseille), à partir de problématiques communes et d’échanges d’écrits, de réflexions, d’éléments sonores. Films sur la fin des temps, sur la rage et le désespoir, et sur comment vivre malgré tout. Textes d’après : Alice Heit, Colas Ricard, Nazim Hickmet, JeanMarc Mandosio, André Breton.


… Mais ça existe encore le Super 8 ?

LE SUPER 8, LE BÂTARD DU CINEMA

Vaguement oui. Il y a encore quelques entreprises qui en fabriquent, et quelques tarés qui continuent à l’utiliser. Les oracles n’en finissent pas d’annoncer sa fin, et pourtant ça continue. Quelques furieux en inventent qui n’existent pas, en découpant tout ce qu’on trouve de pellicule autre sur le marché. Vu que le Super 8 est en largeur la plus petite pellicule, ce sera la dernière à disparaître. Quelques hallucinés se targuent même de préparer la fin de l’économie de la pellicule argentique et rassemblent patiemment tout le nécessaire (savoir faire, machines de l’industrie partant à la casse, etc) pour, le jour venu, être capables de fabriquer eux-mêmes les pellicules nécessaires. D’aucun rêve même de ce jour, comme d’un jour faste, où le cinéma sera enfin libéré de l’industrie capitaliste marchande.

Que peut le cinéma ? Le cinéma peut ce que ses spécificités lui permettent et rien d’autre. Le cinéma peut agencer des images et des sons de telle manière qu’il va produire un effet magique chez ceux qui les recevront. Cette magie opère d’une manière propre au cinéma, et agit à d’autres endroits qu’un tableau, un texte, un remède. Il peut tout ou presque, mais à sa manière, bien à lui. Il ne saurait être ici question de hiérarchie des médiums, ou d’une discipline sur l’autre. Le cinéma peut ce qui lui est inhérent et spécifique.

Plus concrètement, le cinéma a pris place historiquement dans les mouvements artistiques, politiques, révolutionnaires, philosophiques, car le cinéma recèle une force, force de bouleversement, philosophique, émotionnel, social… force de renversement aussi. Du cinéma des avants-gardes au cinéma Jusqu’à quand ? performance, au happening, au cinéma des rues, aux projections hors salles, du Tant qu’il y aura des pellicules dispo- cinéma situationniste au cinéma unnibles (vendues par l’industrie, recondi- derground, au cinéma politique, même tionnées par des furieux, ou fabriquées avec peu de moyens, le cinéma à toude toutes pièces par des hallucinés) il jours su bouleverser l’ordre des choses, y aura à n’en pas douter des tarés qui jeter des pavés dans la mare, mener des continueront à l’utiliser. Pourquoi ? attaques frontales, ou souterraines. Parce qu’ils aiment ça tout simpleMais pourquoi filmer en Super 8 ment. Et quand il n’y en aura plus, et s’ils n’arrivent pas à en fabriquer eux- plutôt qu’autre chose ? mêmes, eh bien, ils utiliseront autre chose. C’est aussi simple que cela, et ça En vrai s’en fout bien pas mal qu’un ne mérite nullement qu’on s’attarde sur film soit ou non en Super 8. Qui s’en cette question. Personne ne sait quand soucie, sinon les historiens de l’art, et il va mourir, ou quand l’humanité pé- les praticiens eux-mêmes, de savoir si rira. Est-ce pour cela qu’il faudrait se tel tableau est peint avec de la gouache suicider tout de suite ? Ou ne s’agit-il ou de l’acrylique ? Et qu’est-ce que ça pas plutôt de vivre avec la conscience peut faire ? de cette finitude, mais vivre tout de même, envers et contre tout ? Du point de vue du praticien, bien sûr que c’est à lui, et à lui seul, de Pourquoi filmer en Super 8 choisir son matériau et qu’il peut tout aujourd’hui ? à fait trouver des raisons sensibles, historiques, éthiques, politiques, phiPourquoi pas ! losophiques, écologiques… d’utiliser tel matériau plutôt que tel autre. En Pourquoi le faire hier ? choisissant par exemple, d’utiliser un Pourquoi le faire demain ? matériau qu’il aurait façonné ou transformé lui même, tel le peintre qui fabrique lui même ses pigments et couleurs.

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Justement la chimie utilisée n’estelle pas nocive pour l’environnement ?

famille, aujourd’hui devenu un bâtard bien indiscipliné, tient une partie de son caractère subversif. Né en 1965, 47 Au jeu de qui pollue le moins, le Super ans aujourd’hui et toute ses dents (enfin 8 serait peut-être gagnant face au batte- presque) ! ries au lithium, aux circuits imprimés ou aux cartes mémoires. Mais là n’est Il n’y a qu’à regarder un film Super pas la question. La question de l’envi- 8, ou un film qui a utilisé le Super 8, ronnement ne saurait se penser à l’aune pour se rendre compte que la plupart d’une problématique uniquement « ci- du temps (quand ce n’est pas un film de toyenne », et ne peut se détacher de ce l’industrie tourné dans un autre format qui n’est pas visible, mais qui sous-tend et tiré en Super 8 juste pour la vente) l’économie, la politique, etc. on y trouve une manière différente de filmer. Une liberté de mouvement, une Et alors pourquoi en Super 8, liberté de ton, un rapport plus direct, si le matériau ne compte pas ? plus intuitif aux choses, aux corps, aux êtres. Une conscience du temps. Une Ce n’est pas que le matériau ne comp- simplicité. On ne dira jamais assez te pas. C’est que dans la plupart des cas, combien travailler autrement permet dans ce domaine particulier qu’est le ci- de fabriquer autre chose. néma, on s’en fout. Car ce qui compte en définitive c’est ce que l’on fait avec. Les On pourrait renvoyer le Super 8 à films que l’on fait lorsqu’on travaille en un certain côté esthétisant à tendance Super 8, plutôt qu’avec un autre médium. bourgeoise, superflue. Cette dimension Si on y regarde de plus près, on pourra là existe aussi, notamment dans la pub remarquer que ces films ne ressem- ou le cinéma expérimental, mais comblent guère à ce qui se fait par ailleurs. me dans tous les domaines, il existe un moment où on oublie l’esthétique Comment ça ? car elle n’est plus quelque chose de séparé, et elle se fond avec ce qu’elle Il y a tout un cinéma hérité du ciné- exprime. C’est là qu’on atteint la pleine ma du récit, avec ses codes, ses genres, dimension du cinéma. Mais il s’agit de son histoire qui trouve sa consécration la même démarche avec tous les médans le cinéma parlant (car la parole diums. L’important est de les considérer aide incroyablement le récit à se mettre non comme une fin en soi mais comme en place), et que l’on trouve aujourd’hui un moyen, qui permet un certain type partout (du journal télé aux salles à d’expression, de langage, qui a sa forme grand spectacle, en passant par le ci- propre, sa puissance propre, qu’il s’agit néma d’auteur, le documentaire, etc). de comprendre pour savoir l’utiliser De même qu’il y a un cinéma dit « ex- dans toute sa profondeur. périmental » qui trouve sa consécration dans le cinéma des avants-gardes et Colas Ricard & Alice Heit que l’on trouve aujourd’hui dans les marges du cinéma, ou dans le champ de l’art contemporain et muséal. Quant au Super 8, il incarne aujourd’hui un cinéma trans-genre qui parcourt tant le cinéma du récit, que le cinéma expérimental. Transversalité qui s’est inventée peu à peu par ses utilisateurs, puisque le Super 8 appartenait au départ à une catégorie très à part vis à vis du cinéma officiel, celle du film de famille, et s’intégrait parfaitement aux valeurs de la société des loisirs dans laquelle il naquit. C’est peut-être aussi de ses origines bien à part que ce rejeton du cinéma, jadis aux ordres de la 61


Le Super 8 est une mémoire vive.

INVENTAIRE DESCRIPTIF ET INACHEVÉ DU SUPER 8

Plus que tout autre médium, son passé de film de famille n’y est sans doute pas étranger, le Super 8 évoque l’enfance, le souvenir, la mémoire. À tel point que c’est même devenu un poncif du cinéma, que d’utiliser le Super 8 comme archétype du souvenir. Mais au delà de ce stéréotype, cette mémoire vive habite le Super 8. Une sorte de conscience de la mort, qui donne une intensité au faire. Le Super 8 est un jeu d’enfant.

Le Super 8 est belliqueux … et sans concession. Le Super 8 bouscule le récit. Depuis que le Super 8 a perdu le son synchrone (et parce que les caméras ne permettent pas un synchronisme extérieur fiable), toute image Super 8 est filmée indépendamment du son. Et en cela le Super 8 incite à trouver d’autres voies que le narratif conventionnel.

Le Super 8 L’utilisation d’une caméra, qui d’ailleurs s’éloigne du réalisme. ressemble à un jouet, s’apprend en quelques minutes. Plus que le 16mm ou le 35mm et ses cousins analogique ou numériques, le Le Super 8 Super 8 possède un grain d’image bien à est une école. lui (encore que l’on puisse intervenir au laboratoire pour travailler sur une larC’est le matériau pédagogique par ex- ge palette), qui l’éloigne définitivement cellence. Une caméra Super 8 ne pos- de l’image lisse et léchée qui s’étale sur sède que les fonctions indispensables tous les écrans. et nécessaires (on / off, déclencheur, zoom, mise au point, vitesse, compteur Le Super 8 temporel) pour comprendre ce qu’est la est érotique. fabrication d’une image en mouvement. Même pour faire ensuite du numérique, Le maniement d’une caméra Super 8 le Super 8 est l’école de l’économie (pas est sensuel et instinctif. Tout est méquestion de tourner des heures d’ima- canique et donc tactile (peu d’électroges !), du montage dans la caméra (c’est à nique). Le déclencheur (dit « gâchette ») dire apprendre à penser le montage dès nécessite une pression continue. Le déle tournage), de l’animation en image clenchement est instantané (et permet par image, de la singularité de l’image de saisir un sujet sur le vif), l’arrêt égaet du son (puisqu’il sont nécessairement lement. Pas de temps d’attente, le Super enregistré séparément), etc. 8 vit dans l’instant et permet de capter l’éphémère. Le Super 8 est politique. Le Super 8 est pluriel. C’est fou le nombre de films, tous milieux confondus, qui à la fois tiennent est pluriel. Le maniement de la caméra un discours politique et utilisent par- est tellement simple, qu’elle se passe de tiellement ou entièrement le Super 8. main en main, et se prête à merveille Peut-être parce que ces caméras res- à la réalisation de films véritablement semblent à s’y méprendre à une arme collectifs (et non hiérarchiques). De au poing. Plus sérieusement parce que même le Super 8 incite au collectif, à n’importe qui peut s’y initier très ra- se rassembler pour fonder un labo de pidement, parce que les caméras sont développement, mutualiser des compépetites et permettent de s’approcher tences, organiser des projections… humainement du sujet, parce que l’absence de son appelle la construction visuelle ou le commentaire.

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Le Super 8 est bon marché. Il a cela de très appréciable, qu’il est possible de trouver à peu près tout le matériel nécessaire d’occasion à des prix abordables. Pas besoin d’investir des milliers d’euros pour pouvoir débuter. Ce qui fait qu’on se lance facilement dans l’expérience, sans hésiter longtemps. Au final, on pourrait presque dire que l’envie suffit pour s’y mettre, là, tout de suite. Et parce qu’on est tombé par chance sur une caméra dans une brocante. La pellicule, certes coûte cher, mais quelques minutes de pellicule (rushs) suffisent pour réaliser un film.

Le Super 8 est l’avenir.

Si une catastrophe survenait et que le monde numérique disparaissait, quels matériaux résisteraient ? Le Super 8 est très fragile en terme de rayures, de dégradations superficielles, mais il est presque indestructible intégralement : il faut avoir essayé de détruire une image par de la javel, au cutter, etc, pour se rendre compte à quel point « il reste toujours une image ». Entre le 1 et le 0, il y a toute une immensité que beaucoup semblent avoir oubliée. Alors n’y a t-il pas là une poétique du matériau, à utiliser quelque chose dont on peut se dire qu’il pourrait résister à tant de Le Super 8 temps à venir ? Images furtives d’un fuest singulier. tur dont on sait seulement qu’il sera fait de bouleversements profonds, et dans Qui veut filmer en Super 8 n’a besoin lequel flottent ces images-pellicules, en de personne. Apprendre le maniement ribambelles dérobées au temps… des outils demande quelques minutes pas plus. Le Super 8 est fou. Le Super 8 est magique. Faut-il être fou pour tourner encore en Super 8 aujourd’hui ? Il faut être Plus que tout autre médium cinéma fou pour ne pas tourner en Super 8 sans doute, le Super 8 donne ce senti- aujourd’hui ! Et qui sait si travailler ment de simplicité, de facilité, de puis- en Super 8, n’est pas une manière de sance. Plus que tout autre, peut-être, il dialoguer avec la folie, ou de la tenir à permet d’accéder avec une facilité éton- distance, une manière aussi de trouver nante, à la dimension magique des cho- un mode d’expression qui n’est pas forses et des êtres, et de pouvoir ainsi agir cément centré sur la parole. Le Super magiquement sur le spectateur. 8, dans son dispositif de projection cinématographique, draine avec lui toute Le Super 8 la puissance imaginaire du cinéma, et est numérique ? en même temps toute sa puissance de mémoire vive. Qu’il nous emmène vers À lire la liste de ses qualités, il n’est la folie ou qu’il nous en préserve, le plus permis d’en douter, le Super 8 est Super 8, plus que jamais aujourd’hui, l’ancêtre du numérique, version « peti- est vivant. tes caméras », ces caméras maniables, transportables partout, plug&play et Colas Ricard & Alice Heit d’une qualité d’image irréprochable, que la publicité nous vantait comme une nouveauté il y 10/15 ans, existent en réalité depuis 47 ans et s’appellent « Super 8 », à ceci près que l’un possède du son, l’autre la simplicité et la spontanéité. Et par cette spontanéité, le Super 8 rejoint aussi le téléphone portable, et un travail de mémoire au présent.

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Soirée de clôture

« Noc Marcel-a » La nuit de Marcel à 20h30

fête DE CLÔTURE avec cocktail DIMANCHE 16 DÉCembre de 18H00 À MINUIT

Au cours d’une nuit d’été mémorable à Split, au début des années 1980, Marcel Mazé découvrait le cinéma d’avant-garade indépendant d’ex-Yougoslavie. En 1983, il consacrait à ces œuvres, notamment celles produites dans le cadre du « Kino Klub Split », un programme spécial au Festival International du Jeune Cinéma d’Hyères. Nous proposons de revivre ce moment, grâce à l’aide de Branko Karabatić, directeur du Split Film Festival, qui fût lui aussi de « cette nuit-là ». Avec le concours du « Kino Klub Split », il a digitalisé la plupart des films (originellement tournés en Super 8) et nous offre généreusement la possibilité d’en jouir sans limites.

DÉBAT PUBLIC DU JURY INTERNATIONAL ET REMISE DES PRIX aux lauréats à 18h00

L’ABANDON Vjekoslav Nakić 1964, 5'35 , N8 transfert digital FLUORESCENCIJE Ante Verzotti 1967, 4'30, 8mm transfert digital

Performance de Džordž Vašington à 20h00 Dynamique interne d’une figue se faisant attaquer par les bactéries à l’aube. Une danse présentée par Džordž Vašington (danseur venu d’un Pays de l’Est) accompagné par Emmanuel Lefrant au projecteur 16mm et Mathieu Touren au son. … encore un spasme chimique déchire les plastes déjà entamés par les enzymes, et les polyphénoloxydases en diffusent pour commencer ma descente en douceur. Pendant longtemps je reviens à moi ; à l’endroit de la blessure je ne sens rien, alors que ma chair, ma peau et ma tige sont comblées par une fatigue infinie et fraîche. Le ciel est de nouveau en haut, mais déjà violet. Pendant que je dormirai, si cette fois je n’ai pas exagéré, les polyphénols oxydés et les gommes tisseront avec les restes de bactéries et de ma peau blessée une cicatrice brune et rugueuse. A l’aube, une goutte de rosée s’y condensera. Si par contre j’ai exagéré, les levures transformeront mon jus en alcools et terpènes : ma douce chair périra dans le parfum. Volatilité ! Mais c’est l’avenir, et je suis une figue.

DANAS, TODAY Ante Verzotti 1966, 6'45, 8mm transfert digital LES BULLDOZERS DEVORENT LA TERRE (BAGERI PROŽDIRUZEMLJU) Martin Crvelin 1967, 6', 8mm transfert digital SOUFFLE (DAH) Lordan Zafranović 1966, 6', 8mm transfert digital 666 Kursar, Nakić, Verzotti, Martinac, Crvelin, Pivčević 1968, 6', 8mm transfert digital NINTH FILM (DEVETI FILM) Dušan Tasić 14', 16mm transfert digital BIG PLACE (VELO MISTO) Branko Karabatić 9', Super 8 transfert digital KRISTINA II Branko Karabatić 1985, 9', 16mm

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LIEU DU FESTIVAL

ÉQUIPE DU FESTIVAL

LISTE DES PARTENAIRES

LE CJC REMERCIE

Les Voûtes, 19, rue des Frigos 75013 Paris

Directeur : Fréderic Tachou

Le CJC bénéficie du soutien de :

Pour les films-annonces : Yves-Marie Mahé et Fabien Rennet

Métro Bibliothèque François Mitterrand

Événements périphériques Centre Tchèque, 18, rue Bonaparte 75006 Pairs

Coordination du festival : Daphné Hérétakis festival @ cjcinema.org

Métro Saint-Germain-des-Prés

Présidente du CJC : Laurence Rebouillon laurence.rebouillon@cjcinema.org

Centre Culturel de Serbie 123, rue Saint-Martin 75004 Paris

Administration du CJC : Julia Gouin admin @ cjcinema.org

Métro Hôtel de Ville Châtelet Rambuteau

Stagiaires assistants à la coordination : Victor Gresard et Hélène Gueguen

Séance chez Pierre Merejkowsky uniquement sur réservation, merci de nous contacter : festival @ cjcinema.org

POUR PLUS D’INFORMATIONS

Tel.– Fax 09 83 39 09 59 festival @ cjcinema.org www.cjcinema.org

ROUGE Alice Heit

Comité de programmation compétition : Gérard Cairaschi, Angélica Cuevas Portilla, Frédérique Devaux, Yves-Marie Mahé, Gloria Morano, Fabien Rennet et Orlan Roy

Projectionniste : Jean-Paul Fleury Musicateur du festival : Christophe « Home Made Radio » Presse : Angélica Cuevas Portilla press@cjcinema.org Restauration aux Voûtes Traiteur « Chez Gros » Design graphique : Atelier Tout Va Bien, Dijon www.ateliertoutvabien.com Impression : Imprimé en 1000 exemplaires sous les presses de l’Imprimerie Darantière (Quétigny, 21).

Pour la séance « Split Kino Klub » : Branko Karabatić, Jasna Kagalj et Toni Gacina

En partenariat avec :

Ainsi que :

Pour les Anticipations : Salma Cheddadi, Pluto Dino, Arnaud Gerber, Véronique Hubert, Silvia Maglioni, Damien Marguet, Rodolphe Olcèse, Danaé Papaïoannou, Jacques Perconte Laurence Rebouillon, et Graeme Thomson Pour les traductions : Marguerite Harris, Noah Teichner, Viviane Vagh et Brankica Radic Pour leur aide : Vassily Bourikas, Bernard Cerf, Pip Chodorov, Masha Godovannaya, Patricia Godal, Jérémy Gravayat, Vladimir Perisic, Irina Tcherneva, Brankica Radic, Nicolas Rey et Derek Woolfenden Et un grand merci à tous les cinéastes et les artistes qui ont permis à cette 14 è édition de voir le jour, ainsi qu’aux membres des jurys, aux programmateurs, et à tous les invités.


FR — ÉDITO Laurence Rebouillon Présidente du CJC

FR — Cette 14 è édition du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris présente pour la troisième année consécutive une Compétition internationale. Les cinquante-huit films sélectionnés sont répartis dans neuf programmes. Comme à notre habitude, nous avons tenu à présenter un panorama étendu de la production contemporaine. Oui, le cinéma expérimental et différent est l’endroit où s’assemblent et se mélangent grains et pixels pour nous donner le monde à voir, raconter des histoires ou s’offrir pour eux-mêmes dans de magnifiques abstractions. Oui, l’expérimental bouleverse nos habitudes de spectateurs et c’est pour ça que nous l’aimons. Une grande thématique Est se développera à travers six Focus et trois événements périphériques en association avec le Centre Tchèque et le Centre culturel de Serbie. La séance « Strigiforme » nous permettra de découvrir les films récents de quelques-uns des cinéastes du CJC ayant contribué à la sélection des films retenus « en compétition ». Nous rendrons également un hommage à Marcel Hanoun et Laurence Chanfro disparus cette année. Deux séances seront animées par Colas Ricard autour du Super 8. Enfin, nous clôturerons le festival avec une séance intitulée « Noc Marcel-a » constituée de films d’ex-Yougoslavie que Marcel Mazé, fondateur du CJC avait programmé au festival d’Hyères en 1983, une façon pour nous de prolonger son travail de programmateur – découvreur malgré sa douloureuse absence.

EN — EDITORIAL Laurence Rebouillon CJC President

EN — For its 14th edition the Paris Festival of Different and Experimental Cinema will present for its third consecutive year an international Competition composed of nine screening sessions. Fifty-seven films were selected among the nine hundred that we received. As customary we have chosen to present a large panorama of contemporary productions that do not conform to the notion of genre and duration as imposed by commercial venues. Yes, experimental and different cinema borrows as it sees fit, mixes forms, grain and pixels to show us the world, tell us stories, or offers magnificent abstract forms. Yes, experimental cinema questions our spectator’s habits and that is why we like it. The Program: this year a thematic on the Eastern European production will unfold through six Focus. The “Strigiforme” program will present recent works by some of the CJC filmmakers who took part in the selection process for this edition. Colas Ricard will introduce two programs around Super 8 films. We will also pay a tribute to Marcel Hanoun and Laurence Chanfro who have both sadly left us this year. We will close the festival by presenting Marcel Mazé’s selection of ex-Yugoslav cinema in the Hyères film festival, this for us is a way to both, pay a tribute to him as programmer-discoverer of films and for us to keep him present by our side despite his painful absence.


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