Histoire - Les sagas
FÉERIE ISLANDAISE De la rencontre de la glace, de la mer et du feu, une terre d ’une beauté inquiétante surgit d ’un abîme : l ’Islande. Ses écrivains se sont inclinés devant elle et ont magnifié les exploits de ses hommes. Aujourd ’hui encore, les sagas sont récitées par les Islandais dans la pureté d ’une langue conservée intacte. Par Catherine Métayer
A La saga islandaise porte en elle le destin de ses héros dans leur quête de liberté et d’honneur. L’histoire de Njáll le Brûlé raconte que, désireux de venger le destin malchanceux de sa famille, l’homme déclara : « Si je ne me venge pas, quelle saga adviendra-t-il de moi ? »
u Xe siècle, les Vikings norvégiens s’éprennent de cette petite île malgré sa nature sauvage et imprévisible. Mais le manque de végétation les empêche de construire les bateaux servant à l’exploration et les contraint à l’insularité. Derrière les fjords et les falaises, la Baie du Breidafjördur dont les forêts et les prairies sont peuplées d’oiseaux et de bêtes sauvages, s’impose comme la demeure des premiers clans vikings. Accoutumés aux vents des eaux glaciaires, ils trouvent en Islande une terre de volcans et de geysers tout aussi agitée. Ils transportent leurs campements et même leurs pâturages sans crier gare, au rythme des changements naturels. Ces hommes, épris de courage et de liberté, choisissent souvent d’abandonner leurs terres et leurs seigneurs. Leurs traces
s’effacent chaque fois sous les sables et les neiges, mais la mémoire de leur passage survit dans les récits des sagas. Snorri Sturluson, homme de lettres et de noblesse, écrivit les premières légendes de ce genre, alliant histoire et fantastique. Il y décrit des personnages pittoresques de la colonisation. Il rend hommage à Eirik le rouge, ce Viking au tempérament de feu qui, chassé de sa ferme pour meurtre, fit usage de ses qualités de navigateur et jeta l’ancre sur le Groenland. L’histoire raconte également que son fils, Leif Eiriksson, aurait mené une expédition jusqu’en Amérique du Nord, vers l’an mille. Ces annales forment le point d’ancrage de toute une lignée généalogique de héros islandais. L’évocation de cette époque marque l’apogée des sagas. Elle met en contraste la vie paisible
Derrière les fjords et les falaises, la Baie du Breidafjördur, dont les forêts et les prairies sont peuplées d ’oiseaux et de bêtes sauvages, s ’impose comme la demeure des premiers Vikings.
le jour reste sans fin, les querelles et les procès abondent. Une chronique, publiée en 1 240 et se basant uniquement sur le témoignage oral des familles de la région, décrit les épopées des habitants d’Eyr, tout près de la montagne sacrée d’Helgafell. Elle témoigne du tempérament naturellement conquérant des découvreurs de l’île. La Saga Ormstungu raconte l’affrontement de deux hommes amourachés de Helga, une jeune femme à la beauté angélique, à travers le rêve métaphorique d’une bataille entre deux aigles pour un cygne réfugié dans les eaux d’un lac glaciaire. DÉSERT DE LAVE ET DE GLACE Situés sous les prairies nordiques, les hauts plateaux désertiques du Sprengisandur Islande
mènent jusqu’au sud de l’île. Cette vaste étendue sauvage, traversée de quelques cours d’eau glaciaires, nous plonge dans un univers minéral hétéroclite, délimité par un glacier géant, le Tungnafellsjökull et deux volcans, le
ISLANDE Photographies Dirk Paessler, Xavier Marchant, Thomas Lammeyer
des premières familles dans leurs regroupements de maisons terreuses et leurs verts pâturages avec les relations tumultueuses entre les clans, déchirées par les jeux de pouvoir. Durant la période du soleil de minuit, lorsque
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ISLANDE Photographies Ellen Van Der Zwan, Dirk Paessler, Vlad Turchenko
Hofsjökull et le Vatnajökull. Les coulées de lave mêlées aux eaux glaciaires se sont mutées en déserts sur lesquels les chevaux islandais creusèrent leurs premiers sillons. Ce paysage de sable et de galets auquel aucun chemin n’a pu résister, tant la rudesse des vents est grande, fut parcouru à l’époque par des cavaliers courageux, auxquels les sagas rendent hommage. Des quatre coins de l’île, des hommes de loi franchirent ces plaines à cheval pour rejoindre Pingvellir une fois l’an.
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POLITIQUE TECTONIQUE Ils vinrent y célébrer l’Althing, cette grande assemblée législative dont les épisodes riches en querelles sont sublimés dans les sagas. Cette fête honorable se tint chaque fois au bord d’un cratère immense né de l’écartement de deux plaques tectoniques. Tout près, le plus grand volcan d’Islande, l’Helka, laisse pressentir l’existence d’un enfer dont le grondement annonce la colère des dieux et décide parfois de l’issue des conflits. De cette fracture terrestre, des sources d’eau chaude laissent s’échapper des fumées vaporeuses de soufre et des bulles d’argile volcanique qui explosent sous la pression du gaz. Les habitants voient dans ces cratères l’expression de la gueule du diable. Des bancs de terre placés des deux côtés de la crevasse géante ont accueilli des personnages aussi puissants qu’extravagants comme Njáll le Brûlé et Egill Skalla-Grimsson, dont les sagas magnifient les discours. Le tout premier parlement de type libéral dans le monde fut fondé en ces lieux, en 930. Un protocole minutieux y assurait la liberté de parole et de discussion. Mais l’assemblée se transformait parfois en véritable arène. Les affrontements y étaient d’une grande violence et se www.passe-frontieres.com
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Au bout de cette terre aride, les montagnes de pierre noire rencontrent le caramel d ’un désert tandis qu ’une lagune glaciaire fait réverbérer la lumière naturelle du jour à l ’horizon.
terminaient souvent dans la flamme et le sang. L’Islandais ancien se rangeait naturellement derrière le jugement du destin et s’inclinait devant le vainqueur. Il voyait là une manière légitime de trancher les différends. Ce parlement primordial demeure encore aujourd’hui le symbole national d’une justice libre et honorable. Au cœur des sagas, l’homme cherche constamment à trouver le chemin de sa destinée à travers les rêves et la magie. Dans la saga d’Eirik le rouge, un habitant, Porkell, accueille chez lui une voyante en lui prodiguant des attentions toutes particulières. Assise sur un coussin rempli de plume de poules et nourrie du cœur de toutes les bêtes de la maison, la dame entame des incantations en faisant virevolter des objets magiques. Son chant amène à coup sûr la visite d’esprits appelés à libérer le mauvais sort qui accable son hôte. Même lorsque l’Islande viking se convertit au christianisme, sous la pression du roi de Norvège et plus tard sous la domination
danoise, elle conserva ses croyances au surnaturel. Après mûres délibérations, un homme de loi, le chef Thorgeir du district de Myvatn, se rendit sur les orgues de basalte qui bordent la Chute du Godafoss et y jeta des figures des dieux nordiques taillées dans le bois. C’est dans ces eaux, aujourd’hui rebaptisées « Chute des Dieux », qu’il consacra l’Islande à un seul grand dieu chrétien. Le clergé fusionna dans l’écriture de ses propres sagas des éléments fantastiques de la Bible et de la tradition orale mythologique par l’usage de prophéties ou de médecine miraculeuse. De cette manière, le peuple islandais, féru de magie, amorça un passage naturel vers l’univers religieux chrétien. Dans certaines sagas rédigées par des prêtres, les hommes de pouvoir, saints et divinités païennes, prenaient souvent la forme d’un même personnage, tel le roi norvégien Ôláfr dont la vie exemplaire a inspiré de grandes sagas royales vertueuses.
La mythologie nordique voit dans chacun des éléments naturels qui composent l’Islande une parcelle du divin. Sous cette auréole céleste, le mouvement des glaciers et des volcans redessine inlassablement le paysage. Le noir usé du sable et le rouge brûlé des cratères tachent le sol tandis que le bleu du ciel et le blanc cristallin de l’hiver miroitent dans les glaces qui recouvrent l’île. Ce spectacle évoque un monde immaculé, à la fois puissant et fragile, que l’homme n’a jamais pu dompter.
Le peuple islandais garde aujourd’hui encore une fervente admiration pour les divinités de
En témoigne ce littoral volcanique vu du ciel, fumant et bouillant.
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la mythologie nordique, qu’il pressent dans les manifestations de la nature. Il a aussi conservé une peur mythique des esprits maléfiques. Le récit des sagas a su attiser l’univers ténébreux qui habite l’intérieur de l’île, fait de déserts glacés de pierre ponce et de sable noir, de montagnes grises voilées de neige et d’une lignée de volcans. Durant le Moyen-Âge, on y envoyait les proscrits et les hors-la-loi. À l’entrée de ces territoires immenses toujours inhabités, le Kerlingarfjöll, surnommé Montagne des sorcières, arbore des flancs verdoyants qui abritent des cratères sulfureux, desquels l’eau barbouille les roches
chien ou en cheval et répandre la terreur afin de venger ses souffrances.
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AU BOUT DE CETTE TERRE ARIDE
Nous atteignons les paysages les plus grandioses de cette île de feu et de glace: austères déserts de lave, plages de sable noir, sources chaudes, geysers à fleurs de roche, gigantesques cascades et fougueux torrents Mais l’Islande c’est aussi un territoire, une langue, une histoire le pays des Elfes et des Trolls
Les montagnes de pierre noire rencontrent le caramel d’un désert de solitude tandis qu’une lagune glacière fait réverbérer la lumière naturelle du jour. La beauté féerique de Grindavík, dont l’eau fraîche possède des vertus curatives, rivalise avec la puissance des geysers tout proches. Leurs vapeurs d’eau bouillante rappellent que la genèse du monde, née de la rencontre du feu et de la glace, s’agite encore
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ISLANDE de teintes multicolores. S’ouvre ensuite la vallée désertique du Kaldidalur dominée par des calottes glaciaires millénaires qui s’évanouissent devant le volcan Askja, source du plus vaste champ de lave du monde. Les légendes peuplent ces terres austères d’êtres naturels et surnaturels à l’âme malveillante. Un homme foulant ces terres sous l’emprise de la colère peut se trouver changé en loup-garou, en
CATHERINE MÉTAYER Titulaire d’un diplôme en droit international, Catherine a rencontré le PASSE-FRONTIERES il y a maintenant 3 ans, en Birmanie et en Inde. Depuis, elle multiplie les articles, sillonne le monde et les bibliothèques les plus riches. Factotum, polyglotte, elle rédigera cet été la nouvelle version du guide Loleny Planet Québec. Une courte pause avant de s’envoler en automne pour cette Asie qu’elle aime tant pour y avoir vécu des années en cumul, Taïwan, Laos, Thaïlande
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Ses pays favoris, la Chine et l’Inde.
sous ce sol que l’univers des sagas a mythifié. Les sagas ont sublimé ce duel enfoui au cœur de la nature islandaise. Le pays fonde son héritage culturel dans sa parole poétique et les vestiges de son sol plutôt que dans des monuments prestigieux. Ses paysages se métamorphosent aujourd’hui sous d’inquiétants auspices. Les glaciers menacent dorénavant de disparaître et leurs eaux d’engloutir la petite île. Sur une prairie verte trône Reykjavik. Dans la brise légère qui souffle sur sa baie, des contes circulent toujours et chuchotent à l’oreille des habitants un présage annoncé il y a plus de mille ans. Ragnarök raconte qu’un jour, « les étoiles s’effaceront, la terre tremblera, les montagnes s’écrouleront, les arbres seront déracinés, tous les liens arrachés. La mer envahira les côtes. Un géant mettra le feu à la terre, qui brûlera en une flamme inextinguible. » Le feu alors replongera le pays des glaces dans un abysse qui conservera à jamais un parfum de liberté et de merveilleux.
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