THESIS - Clément CHIVOT - Regard sur l'Architecture Non-Référentielle - Valerio Olgiati - 2021

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Regard sur l’architecture non-référentielle de Valerio Olgiati D’une abstraction de la référence à une abstraction de l’architecture

Clément CHIVOT Sous la direction d’Elisavet Kiourtsoglou Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg Janvier 2021



Regard sur l’architecture non-référentielle de Valerio Olgiati D’une abstraction de la référence à une abstraction de l’architecture

Clément CHIVOT Sous la direction d’Elisavet Kiourtsoglou Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg Janvier 2021


Remerciements

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Je tiens à remercier ma directrice de mémoire, Elisavet Kiourtsoglou, architecte et docteur en architecture à l’Université de Strasbourg et à l’Université de Thessaly en Grèce ainsi qu’Alexandra Pignol, pour leurs enseignements, leurs connaissances et leurs soutiens dans cette période incertaine que nous traversons tous. Leurs conseils avisés, leur confiance et leur disponibilité ont attiré la curiosité de leurs étudiants. Je remercie également Antonio et Vittoria, tous deux étudiants à l’Académie d’Architecture de Mendrisio pour leurs discussions passionnantes au sujet de leur semestre passé au côté de Valerio Olgiati. À mes ami(e)s, Julia, Aline et Hugo ainsi qu’à tous les autres avec qui j’ai pu échanger, discuter et débattre de ce riche récit et à ma famille, qui me soutient depuis longtemps.

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Avant-Propos

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Il me semble important d’expliquer, en préambule de ce mémoire, comment m’est venue l’idée de cette recherche. À l’origine de cela, il y a tout d’abord un stage à Zurich, auprès de l’assistant d’Aldo Rossi, Eraldo Consolascio, peintre de La Città Analogua (figure 1). Comme tous les étudiants en architecture le savent, les périodes de stage sont cruciales et marquent notre cursus. Ces riches moments incitent au voyage, à la découverte et à l’expérimentation spatiale d’édifices encore inconnus. La Suisse est un pays où l’architecture foisonne. Là-bas, elle s’exprime avec qualité et se réinvente tout en respectant la tradition. C’est alors au travers de mes nombreuses visites et de manière impromptue que j’ai rencontré le projet de l’atelier du musicien Linard Bardill dans les Grisons. Depuis ce moment là, un intérêt personnel s’est porté sur l’origine de ce projet que je ne connaissais pas encore : l’architecte Valerio Olgiati. Ce bâtiment a été pour moi, une apparition, une spatialité que l’on attend pas mais qui vous tombe dessus comme une évidence. Et instinctivement, par sa préciosité et sa prestance, ce projet a attiré mon attention. Il fallait le comprendre et comprendre l’auteur de cet acte architectural. En tant qu’étudiant, faire face à un projet qui vous marque, vous surprend, vous interroge, renverse le banal avec de plus la possibilité de l’arpenter spatialement suscite des interrogations sur la posture de l’auteur du projet.

figure 1 : La Città Analogua, Aldo Rossi, Bruno Reichlin, Fabio Reinhart et Eraldo Consolascio, 1976

Valerio Olgiati est né en 1958 à Coire, en Suisse (figure 2). Il achève ses études d’architecture à l’École Polytechnique fédérale de Zurich (Eidgenössische Technische Hochschule Zürich, ETHZ) en 1986. Il collabore avec Franck Escher à Los Angeles. La Cité des Anges constitue pour lui, un réel choc culturel et questionne son héritage traditionnel transmis par son père Rudolf Olgiati. Il ouvre ensuite sa propre agence à Zurich de 1996 jusqu’en 2005, à Coire jusqu’en 2007, puis à Flims, où il est installé depuis 2008 avec sa femme Tamara Olgiati et ses 8 collaborateurs. Il attire l’attention de la presse internationale dès son premier projet : la maison Kucher à Rottenburg (1991). D’autres suivront, tout aussi remarqués, comme une école à Paspels (1998), la “Gelbe Haus” à Flims (1999), la maison atelier du musicien Bardill (2007) et le centre du Parc National du parc Suisse à Zernez (2008). Son œuvre architecturale concerne actuellement des projets aussi bien en Suisse qu’à l’étranger, dont une salle de musique en Allemagne, une exploitation vigneronne en Italie et des logements à Lima. En parallèle de son travail d’architecte, Valerio Olgiati s’in-

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vestit fortement dans l’enseignement de la pratique architecturale. Il a été amené à enseigner à l’ETH, à la Architectural Association de Londres, à la Cornell University de New York, ainsi qu’à la chaire Kenzo Tange de la Harvard University à Cambridge. Actuellement, il est professeur d’un atelier à l’Académie d’Architecture de la Suisse italienne de Mendrisio depuis 2001. Il est récompensé plusieurs fois par le German Architecture Prize Appréciation Honor et pour le Best Building in Switzerland. Pour son école à Paspels, la maison K+N, l’atelier Bardill et le musée du Parc National Suisse, il reçoit le Swiss Concrete Award.1 1. Fernando Márquez (Cecilia), Levene (Richard), El Croquis Valerio Olgiati (19962011), n°156, Madrid, 2011, p.4

Dès lors, sa théorie d’une architecture non-référentielle a constitué la base de ma recherche. Il y a dans sa pratique, une ambition constante, celle d’atteindre une architecture, de concevoir des édifices issus d’aucune origine. Cette posture m’interroge profondément sur les enjeux et les limites d’intégration d’un bâtiment dans un contexte. Jusqu’à quel degré un projet peut-il s’affranchir des contraintes liées à un contexte ? Peut-on concevoir l’architecture sans références ? Comment la non référentialité s’exprime-t-elle dans la construction de son œuvre ? La théorie non-référentielle est-elle tant en marge de la production contemporaine ? En quoi Valerio Olgiati répond au problème de la référence en faisant de ces édifices, des architectures-objets plutôt qu’un programme répondant à un usage ? En somme, toutes ces interrogations m’ont guidé à travers cette entreprise architecturale. Il n’est pas question ici, de défendre ou de critiquer son œuvre architecturale mais bien d’interroger un processus et une approche, de la confronter à sa théorie et de dégager des réponses à l’ambiguïté de son travail.

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figure 2 : Portrait de Valerio Olgiati dans son agence d’architecture à Flims, Suisse, photographie de Christian Grund

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Sommaire

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Remerciements

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Avant-Propos

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Introduction

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Chapitre I Être non-référentiel ou contextualiser la non-référentialisation 1.1 La crise du contexte 1.2 Valerio Olgiati ou un contexte familiale et un enseignement 1.3 Aller au-delà de la référence

Chapitre II Valerio Olgiati ou comment penser l’architecture non-référentielle 2.1 L’expérience de l’espace 2.2 L’unité 2.3 La nouveauté 2.4 La construction 2.5 La contradiction 2.6 L’ordre architectonique 2.7 Donner du sens

Chapitre III Déclinaisons référentielles ou comment tendre vers une abstraction architecturale

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3.1 Intériorité architecturale ou nouveau référentiel 3.2 La forme autoréférentielle 3.3 L’abstraction ou la quête d’une neutralité de l’objet

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Conclusion

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Annexes

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Table des illustrations

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Bibliographie

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Introduction

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“Nous vivons dans un monde non-référentiel. Alors l’architecture doit être non-référentielle. Cependant elle ne peut pas être un objet issu de rien. [...] L’architecture non-référentielle n’a pas d’autres choix que d’être purement architectonique”1 1. Olgiati (Valerio), Breitschmid (Markus), Non-Referential Architecture, USA, Park Books, 2013, p.14-15 (traduction personnelle)

Dans son livre théorique Architecture Non-Référentielle, l’architecte Valerio Olgiati introduit son concept de non-référentialisation qualifiant son architecture idéale. Olgiati interpelle, il questionne et semble faire un diagnostic du monde dans lequel nous évoluons, un monde non-référentiel. D’après ses mots, si notre monde est ainsi, alors la manière de projeter l’architecture en sera une réponse. Comment un projet peut-il s’inscrire dans un monde dépourvu de règles ? L’enseignement actuel de l’architecture, aujourd’hui, vise une polyvalence idéologique. Le référentiel unique de pensée n’est plus d’actualité. Un projet peut s’appuyer sur la philosophie d’un grand nombre d’architectes, qu’ils soient modernes, postmodernes, contemporains, etc. La nouveauté de notre société est sa croissante hétérogénéité de pensées. Olgiati semble nous avertir sur l’absence de référentiel dans notre monde ou plus précisément sur la profusion de directions. Nous sommes les témoins de cette hétérogénéité que relève Olgiati. Désormais, chacun des architectes peut établir son propre style, sa propre écriture, sa propre philosophie et ses propres règles sur la discipline architecturale. Il y a un foisonnement idéologique de l’architecture. Aussi, Olgiati se positionne en tant que théoricien et architecte. Lorsqu’il considère qu’il n’y a plus de significations dans notre monde ni de de bases théoriques sur lesquelles s’appuyer alors, la seule façon de concevoir un édifice de nos jours qui ait un sens, c’est qu’il soit non-référentielle et purement architectonique. À travers ses propos, l’architecte semble être en quête d’un référentiel propre à un bâtiment. La forme architecturale ne serait plus une réponse à un site mais comme le résultat d’elle-même. La temporalité actuelle s’inscrit dans une vitesse effrénée. Pour résister au temps qui passe, l’architecture doit donc devenir un objet intemporel pour exister. Dès lors, il est question de comprendre en quoi une architecture fluctue vers une autonomie et une indépendance par rapport à un contexte.

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2. Définition Larousse 2020

3. Breitschmid (Markus), “Valerio Olgiati’s Ideational Inventory”, in El Croquis Valerio Olgiati (1996-2011), n°156, Madrid, 2011, p.19

Définissons alors les notions de notre sujet. L’architecture non-référentielle est une posture non conventionnelle d’inscription dans un site. Elle se veut être une architecture nouvelle et pure qui n’est issue d’aucune origine, d’aucun passé historique, d’aucune référence. Or Olgiati soulève une ambiguïté car l’architecture ne peut pas apparaître comme issue de rien. Il est vrai qu’un projet s’inscrit dans un référentiel défini comme un “système de repérage permettant de situer un événement dans l’espace et dans le temps”2. L’idée de se référer à quelque chose ou de faire référence à quelque chose implique alors une confrontation ou un dialogue entre deux entités. Un bâtiment est inévitablement lié à un contexte, considéré comme un référentiel. Tout projet d’architecture s’implante dans un contexte existant. Il concerne l’ensemble des composantes topographiques, géographiques, sociales, culturelles, individuelles et historiques dans lesquelles s’inscrit un ouvrage. La question du contexte en architecture est majeure car son interprétation peut fluctuer. Depuis la période des Lumières jusqu’à aujourd’hui, la considération pour le contexte local et la pratique a profondément changé. La science moderne et la crise qu’elle a traversé a remplacé les bases mystiques de la géométrie et des nombres pour tendre vers une fonctionnalisation de la pratique architecturale. La théorie a défini des règles voulant interpréter la réalité jusqu’à devenir dominante dans notre manière de concevoir. L’ère contemporaine à fait basculer cette logique jusqu’à faire à un foisonnement d’idéologie. C’est dans cette période de bouleversement de référentiel théorique que s’inscrit Valerio Olgiati. La notion de référentiel est alors un nuage polysémique construisant un cadre au projet dont il est difficile de se détacher. Or la définition de Olgiati varie, il admet lui-même qu’”il n’est pas possible d’opérer sans références”3. Ces dernières doivent être appréhendées comme non-historiques, où les formes ne sont pas le fruit d’une évolution mais plutôt la réponse à un problème formel et purement architectonique.

Comment l’architecte Valerio Olgiati instaure-t-il le concept de non-référentialisation dans son oeuvre architecturale ? La terminologie non-référentielle paraît radicale de prime abord dans la mesure où la référence est inévitable pour l’architecte. Ce dernier pense son projet en partant d’une origine. Ce projet ne s’intègre pas

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sur une page blanche mais bel et bien dans un contexte réel existant. Chaque édifice réagit plus ou moins intimement avec un référentiel et son environnement. La forme d’une architecture est significative dans un contexte donné, elle fait corps avec le lieu où elle s’implante et s’appréhende dans un milieu. En revanche, notre récit tentera de comprendre la manière de concevoir un ouvrage en faisant abstraction des composantes qui le lient à un contexte. Notre hypothèse est de dire que la non-référentialisation et la mise à l’écart du contexte est impossible dans son entièreté. Il n’existerait pas une architecture non-référentielle, mais plutôt des tensions variables plus ou moins intenses entre un projet d’architecture et son référentiel. La problématique du mémoire tend vers une deuxième hypothèse. Si les projets de Valerio Olgiati s’inscrivent bel et bien dans un lieu et ne traduisent pas une fracture totale avec le contexte, son architecture tend à être abstraite en instaurant un rapport de force entre un édifice et son référentiel.

Le contexte d’un édifice ne sera pas appréhendé, dans notre récit, comme l’origine d’un projet mais comme support pour atteindre une abstraction architecturale. À la différence de l’invention qui, elle, n’est issue de rien, l’abstraction trouve des racines, des traces dans le passé qu’elle perturbe et qu’elle transforme pour arriver vers une nouveauté. À quel degré l’architecte non-référentiel arrive-t-il à rompre le dialogue qu’opère un bâtiment avec son référentiel ? Dans quelles mesures Valerio Olgiati vise-t-il à faire fi de la référence ? Y arrive-t-il ? La notion d’abstraction architecturale découle d’une réponse au problème de la fatalité de la référence. Une architecture abstraite et tangible cherche à se détacher de toutes les dimensions contingentes environnantes qu’on lui adjoint pour une période. Dans le dessein d’épurer l’art de toute signification extérieure et de réduire la forme jusqu’à son essence, l’abstraction dans l’art concret est initiée entre autres par l’américain Donald Judd. L’art doit entretenir un langage commun par une simplicité de celui-ci permettant une plus grande compréhension de l’ensemble. L’œuvre abstraite a comme intention de ne faire référence à rien d’autre qu’à elle-même c’est-à-dire sa matière, sa couleur, sa forme, sa spatialité et son ordre de composition. Les principes d’une architecture non-référentielle

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font écho à l’art abstrait. Nous tenterons de cerner quel est le parallèle entre cette posture artistique et l’architecture de Valerio Olgiati. Nous appréhenderons également les outils architecturaux qu’il met en place pour atteindre une certaine abstraction dans ses bâtiments. La non-référentialisation architecturale est une position déjà instaurée et présente dans la discipline architecturale contemporaine ces deux dernières décennies. Précisions sur un état présent de l’architecture, écrit par l’architecte, historien et professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, Jacques Lucan, a contribué à faire le constat de la situation architecturale contemporaine. Plus tôt, nous mettions en avant qu’il n’existe, désormais, plus une architecture commune mais des architectures singulières. Il regarde l’architecture de Olgiati et la confronte avec les mouvances actuelles. Lucan tente de déterminer aussi des concepts communs et les spécificités du présent décomposés en thématiques sans en dégager une théorie unificatrice. Lucan nous aide dans notre recherche à admettre les attitudes architecturales actuelles comme provisoire. Il y a une conjoncture entre l’individualité des postures, un phénomène de mondialisation et de la néanmoins présence de référence communes. Les acteurs du monde de l’architecture sont en quête eux-mêmes de principes et de lignes directrices. Il existe un rapport nouveau au contexte et à la référence. Cette démarche est partagée, à des degrés différents, avec d’autres architectes suisses et internationaux de notre temps. Concernant notre sujet, Jacques Lucan parle déjà d’un constat actuel qui tend vers une disparition de l’Architecture académique et des mouvements au profit d’une architecture nouvelle et autre. Il pose la question de l’usage de la référence dans la pensée des architectes qui sont néanmoins guidés par des principes. Il évoque le travail de Olgiati à travers les images qui le guide sans tentation de les interpréter à l’identique mais d’utiliser ces images pour leur principe d’ordre. Alberto Pérèz Gomez, dans L’architecture et la crise de la science Moderne vient contextualiser la méfiance envers le contexte depuis les Lumières en passant par la crise qu’à engendré le Modernisme. À travers le biais historique, il met en avant comment l’architecture s’est fonctionnalisée et universalisée sous l’égide de la science théorique au détriment de la symbolique de l’architecture. Pour finir, la théorie d’une architecture non-référentielle de Valerio Olgiati dresse à la fois les bases de cette notion, une description des principes qu’il met en place tout en refusant de les confronter avec ses propres projets.

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En premier lieu, la méthodologie choisie a débuté par une lecture détaillée des principes du livre Architecture Non Référentielle écrit par Markus Breitschmid selon une idée de Valerio Olgiati permettant de comprendre son approche architecturale, ses limites et ses contradictions. Ce livre a imposé un éclaircissement du contexte proche de notre architecte d’étude ainsi que son cheminement individuel nous amenant à nuancer la radicalité de la terminologie non-référentielle. Nous nous baserons aussi sur deux entretiens avec des élèves de son studio qu’il dirige à l’Académie d’Architecture de la Suisse Italienne à Mendrisio dans le Tessin. Il s’agira d’avoir un autre regard sur sa propre architecture au travers des projets d’étudiants. Cette étape nous permettra aussi de voir comment son enseignement résonne avec sa propre conception et sa théorie de non-référentialité architecturale. Ce mémoire est l’occasion de décliner et de mettre en perspective différents contextes, différentes formes et différents outils au travers de quatre projets construits : le Centre National du parc Suisse à Zernez, une école élémentaire à Paspels, un atelier pour le musicien Bardill à Scharans et une maison dans la province de l’Alentejo au Portugal. Dès lors, nous pourrons décomposer les dialogues entre le référentiel et un projet et répondre à notre hypothèse de départ, comprendre plutôt comment Valerio tend vers une abstraction de la forme architecturale.

Le premier chapitre de cette recherche sera le moment d’inscrire la non-référentialisation dans une temporalité. Cette contextualisation de cette posture architecturale se détaillera à travers la crise du contexte amenant les architectes à amorcer un nouveau dialogue et ceci dans une mouvance contemporaine. Nous chercherons aussi à comprendre l’environnement dans lequel Valerio Olgiati a évolué, que ce soit grâce à son enseignement de l’architecture en Suisse ou encore à travers la vision de son père, lui aussi architecte. Pour finir, cette phase sera l’occasion de décrypter quel usage Olgiati fait de l’image de référence autant dans son travail qu’auprès de ses étudiants en s’appuyant au travers de deux entretiens. L’objet du second chapitre du mémoire visera à une présentation détaillée des sept principes théorisés par Valerio Olgiati lui permettant de viser une architecture non-référentielle. Ce moment s’appuiera

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principalement sur son recueil Architecture Non-Référentielle. Il s’agira d’une phase explicative et analytique où l’on portera un regard sur ces sept principes tout en essayant de les confronter à notre sujet afin de nous amener vers la troisième partie. Le dernier chapitre se basera sur la méthode précédente de Valerio Olgiati pour nous amener vers la notion d’abstraction dans son travail. Cette phase analytique sera le moment de décrypter la théorie non référentielle en s’appuyant sur les quatre projets, construits par Valerio Olgiati, formant notre corpus. À travers ceux-ci, il s’agira de dégager différents dialogues qu’entretient le référentiel avec l’édifice, la création d’un nouveau référentiel à l’intérieur du projet, l’auto référentialité de la forme, et l’hypothèse que l’abstraction architecturale tend vers une neutralité de l’architecture. Nous verrons alors quels sont les outils constructifs et architecturaux mis en place pour atteindre l’abstraction d’une architecture.

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Chapitre I Être non-référentiel ou contextualiser la non-référentialisation

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La démarche de Valerio Olgiati est le fruit d’un cheminement autant influencé par la société que par son expérience personnelle. Comprendre la philosophie d’un architecte comme Olgiati en quête d’une abstraction de la référence, implique au préalable l’éclaircissement des origines de cette quête au travers de facteurs majeurs tels que son enseignement, ses liens familiaux et son propre rapport à la référence architecturale. La notion de non-référentialité mise en avant par l’architecte suisse Valerio Olgiati nous invite à croire, de prime abord, que son intention est de projeter une architecture sans origine. La posture peut paraître radicale, unique et isolée, or l’enjeu de cette recherche est d’analyser en quoi cette intention architecturale n’est pas une exception dans le domaine architectural. La volonté de se détacher de l’Histoire, d’une époque, d’un contexte, d’un lieu est en réalité une posture qui s’inscrit entièrement dans notre société et au sein de la temporalité actuelle.

1.1 La crise du contexte 1.1.1 Universalité de la théorie face à la pluralité de la pratique “L’architecture souffre d’un malaise du contexte qui a commencé là où les nombres et la géométrie ont pris le dessus dans le domaine de l’architecture par rapport aux lois naturelles ?”1 1. Perez-Gomez (Alberto), L’architecture et la crise de la science moderne, Architecture + Recherches, Pierre Mardaga, 1983, p. 10

Étudier la notion d’architecture non-référentielle, c’est comprendre tout d’abord, comment les architectes, au cours des deux cents dernières années, ont été de plus en plus dans un rapport de force avec le référentiel d’un projet. Ici, le référentiel sera considéré comme le contexte local d’une architecture. Comment expliquer cette rupture ? Selon Alberto Pérez-Gomez, dans L’architecture et la crise de la science moderne, la décontextualisation de l’architecture occidentale puise son origine dans le fonctionnalisme de la théorie architecturale. Il introduit son livre en émettant que “La principale préoccupation de l’architecte devient dès lors de savoir construire d’une manière économique et efficace, tout en évitant de s’interroger sur le pourquoi de la construction et sur la justification d’une telle activi-

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2. Idem, p.12

té dans un contexte existentiel”2. Il cherche à nous faire comprendre que la considération du contexte architectural local s’est réduite à des règles théoriques rationnelles pouvant s’appliquer en tout lieu. La théorie architecturale a défini un ensemble de règles pour interpréter et comprendre le contexte d’un projet. Or, cette rationalité de la théorie ne prend pas en compte l’aspect changeant de chacun des contextes car elle se veut universelle. Dès 1954, dans La Crise des Sciences Européennes et la Phénoménologie Transcendantale, Edmund Husserl fait un diagnostic du renversement de la signification de la science envers l’existence humaine. Il s’inscrit dans une Europe des années 30 traversée par une crise majeur où l’antisémitisme règne. Il fait le constat que la science moderne fait abstraction de tout ce qui est subjectif. Il lui reproche d’avoir été à l’origine de la disparition de la géométrie de l’expérience et de la vie (Lebenswelt), celle qui configure l’espace vécu et perçu, au profit de la géométrie non euclidienne, une science objective. Cette dernière configure l’espace géométrique dominé par la théorie, la méthodologie, la technique et la technologie. L’invariance de la vérité théorique s’oppose alors à la variabilité de la réalité d’un contexte architectural. Le rationalisme des styles et des types architecturaux sont devenus des générateurs de projet, plutôt que le contexte. Nous opposons la théorie et la pratique ici, car la rationalité de la théorie universelle en voulant une efficacité matérielle a rejeté la richesse et la poésie de la réalité contextuelle et donc de la pratique constructive, traditionnelle et locale. Aussi, l’Homme, à travers la théorie scientifique et universelle, est entré en contradiction avec sa propre condition humaine. En effet, avant le XIXe siècle, les trois principes de Vitruve, la solidité (firmitas), l’utilité (commoditas) et la beauté (venustas) ont montré que l’architecture était considérée comme l’interprétation de la condition de l’Homme et le reflet de la liberté de conception d’un architecte. Or, de plus en plus, la pratique de l’architecte s’est vue être au service de la théorie et des mathématiques. Ce rapport de force entre la théorie géométrique, mathématique et la réalité variable et vécue peut s’expliquer depuis le VIIe siècle avant J.-C où la mathesis était considérée comme un objet mythique. Cette considération des nombres et notamment dans le domaine de l’astronomie relevait de l’ordre de la magie et non de la précision scientifique que l’on connaît actuellement. Puis la theoria, initié par les

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Grecs, a été considérée comme une compréhension du monde vécu mais avec distance. Le domaine de la géométrie se désacralise et se sépare de ses liens célestes et mythiques avec Galilée qui humanise la science. En effet, au début du XVIIe siècle, il comprend la nouvelle relation entre l’Homme et sa réalité extérieure, entre ses croyances et ses actions, entre l’esprit et le corps. Dès lors, la géométrie et les nombres vont remplacer le sacré pour comprendre le monde. Aussi, la technique et l’artisanat se libèrent de leurs associations avec le domaine de la magie. L’architecture devient alors une discipline avec des défis techniques dont la géométrie et les nombres seraient des outils pour y répondre. Les architectes vont alors suivre la théorie qui plane au-dessus de leur pratique, considérant que la raison mathématique est nécessaire pour résoudre les problématiques constructives et structurelles. Cette crise de l’architecture moderne nous amène à soulever aussi la fragilité de ce que l’on appelle les styles architecturaux. Autrement dit, si le style correspond à une esthétique architecturale à une période historique donnée, avec du recul, il n’est finalement qu’un fragment de règles rationnelles et formelles suivant la théorie. Alberto Pérez-Gomez affirme que la question suivante “Dans quel style devons-nous construire ?”3 n’est pas un problème de l’architecture traditionnelle, référentielle et contextuelle mais une problématique liée à la crise moderne du contexte. On peut comprendre ici qu’avant la domination de la théorie architecturale, les architectes faisaient de la forme architecturale un indispensable, l’illustration d’un cadre de vie et/ou d’une culture et non la réponse à une théorie. La prépondérance d’une théorie mathématique et géométrique universelle face à une pratique artisanale traditionnelle et spécifique à chacun des contextes architecturaux est un premier moyen historique de définir la non référentialisation de l’architecture. Selon Alberto Pérez-Gomez, les conséquences de cette crise de la science moderne “ne pouvaient être plus dramatiques ; nos villes sont en passe de constituer un immense village mondial”4. Cette phrase nous amène alors à questionner le référentiel dans lequel notre société évolue. Ne sommes-nous pas face à une mondialisation de l’architecture qui éclipse, d’un côté, la variabilité de référentiels locaux tandis que, de l’autre, elle introduit un référentiel global de l’architecture ?

3. Id, p.19

4. Id, p.14

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1.1.2 La mondialisation comme vecteur non-référentiel “Mais regardez l’état du monde ! Il a énormément changé ! On peut nommer tous ces processus “mondialisation”, mais c’est seulement une façon de les nommer.”5 5. Morin (Edgar), “Il n’y a pas de solutions, mais il y a une voie”, Entretien, Terraeco, 2014

L’exclamation du sociologue et écrivain, Edgar Morin, sur la mondialisation introduit dès lors notre propos. Si, plus tôt, la theoria a tenté d’uniformiser la spécificité de chaque référentiel, les phénomènes de mondialisation et de globalisation y ont aussi joué un rôle majeur. Ces phénomènes sont principalement nés à partir de la fin des années 80, période d’économie capitaliste et de progrès. Selon Edgar Morin, la définition de la mondialisation est ambivalente ; d’un côté, elle fait l’état d’un monde homogène, réducteur des spécificités de chaque culture et, de l’autre, elle a néanmoins effondré les systèmes totalitaires. Parler de non référentialité et de perte de repères contextuels dans notre société et dans le domaine architectural, c’est évoquer l’approche urbaine de Rem Koolhaas. L’échelle et la localisation des projets de Koolhaas, étant très différentes de celles des projets de Olgiati, Koolhaas interroge néanmoins, la pertinence de ses projets et leurs intégrations dans les tissus urbains existants. Selon lui, les villes contemporaines voient naître des bâtiments atteignant une si grande dimension qu’il devient alors impossible de prendre en compte le contexte dans la composition architecturale. Dès lors, sa célèbre phrase “Its subtext is fuck context” ne doit pas être comprise de manière radicale. Rem Koolhaas suppose qu’un projet ne peut pas prendre en compte toutes les données d’un référentiel mais qu’il peut en faire une sélection. Le contexte doit être vu comme un ensemble de couches comme celle de la culture, de la politique, de l’économie, du climat, de la géographie. Il s’oppose à l’approche phénoménologique de l’architecture et du Genius Loci (l’esprit du lieu). Dans La Ville Générique, écrit en 1994, Koolhaas nous livre une illustration de la métropole postmoderniste, qui par son échelle, figure comme une ville sans histoire.

Rem Koolhaas, né à Rotterdam en 1944, il commence par des études de journaliste puis étudie de 1968 à 1972 à l’Architectural Association de Londres. Il fonde son agence, l’O.M.A (Office for Metropolitan Architecture) en 1975, avec sa femme Madeleine Vriesendrop et Zoe et Elia Zenghelis. Son agence cherche à répondre aux questions

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suscitées par les grandes métropoles et à formuler des propositions architecturales à caractère universel. Il figure comme un architecte et théoricien les plus polémiques dans le milieu architectural actuel pour ses écrits, notamment New York Délire, publié en 1978, et S, M, L, XL, coécrit avec Bruce Mau, en 1995. New York Délire est présenté comme un manifeste rétroactif et fait le constat d’une culture urbaine congestionnée à travers l’étude de Manhattan tandis S, M, L, XL présente ses projets selon leurs échelles (S, small, M, medium, L, large, XL, extra-large) de manière novateur. Il introduit dans celui-ci la notion de Bigness signifiant une rupture radicale avec l’échelle de la ville. Elle est une rupture radicale avec le contexte et figure comme un renouveau urbain qui répond à la fois au besoin de la société nouvelle et au besoin d’interconnecter les différents programmes d’un projet. Ces villes génériques contemporaines, qu’il évoque, se développent à grande vitesse démographiquement jusqu’à se demander si elles ne seront pas toutes les mêmes, tels des aéroports. “Et si cette homogénéisation apparemment fortuite venait d’une intention, de l’abandon délibéré de la différence au profit de la similarité ?”6. Il fait le constat que les villes d’aujourd’hui viennent submerger la ville historique. Le caractère générique d’un lieu a remplacé son histoire, il la réduit jusqu’à ce que le contexte historique ne fasse plus sens. Prenons l’exemple de Las Vegas, dans le Nevada. Largement étudié et mis en avant depuis Learning from Las Vegas, publié par les postmodernes D. Scott Brown et R. Venturi, elle figure comme la ville non référentielle par excellence. Elle fait du pastiche et de la reproduction architecturale son identité. Les casinos sont des reproductions des monuments emblématiques du globe et délibérement modifie leurs usages premiers. Là-bas, la forme de l’architecture du jeu y perd son sens. Il n’y a plus de correspondance entre le projet et le contexte dans lequel il s’intègre. La ville générique est un agrégat d’éléments qui s’empilent à une vitesse effrénée. Au contraire, la périphérie urbaine, elle, exempte d’implication historique, devient l’identité de la ville contemporaine. La notion d’urbanisme générique montre cette perte de référentiel dans la mesure où ce modèle se retrouve en tout lieu du monde. Les métropoles, par le tourisme mondial, perdent de leurs identités par leurs échelles et par leurs non-planifications accélérées. Leurs uniformisations témoignent d’une perte du référentiel local que Rem Koolhaas juge irréversible.

6. Koolhaas (Rem), La Ville Générique, 1994, traduction de Catherine Collet

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7. Koolhaas (Rem), New-York Délire, 1978

figure 3 : La ville du Globe captif, Delirious New York, Zoé Zenghelis, 1972, peinture acrylique et gouache sur papier, 31.2 x 44 cm

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Si la mondialisation est à l’origine d’une perte de repère historique, elle explique aussi comment la non référentialisation rend autonome l’architecture. Le plan neutre et quadrillé fait des villes américaines des exemples de villes non-référentielles. Par leurs formes urbaines, elles sont intemporelles et individuelles. Elles parlent d’elle-même sans se soucier du passé historique. Les blocs, selon Rem Koolhaas, forment un archipel urbain de possibilités soumis à une mutation croissante. Nous l’étudierons plus tard dans l’œuvre plus petite de Olgiati, mais il y a dans cet urbanisme non-référentiel, une auto référentialisation du bloc comme monument c’est-à-dire que le gratte-ciel devient autonome par son organisation et sa juxtaposition verticale des usages. Le tableau “La ville du Globe captif” (figure 3), de Zoe Zenghelis, collaboratrice et dessinatrice pour l’OMA, illustre l’architecture congestionnée de Manhattan et la constante concurrence entre les îlots. Koolhaas parle de lobotomie7 opérant entre les architectures-objet et leurs contextes. La lobotomie exprime l’autonomie que se procure chaque bloc en intensifiant sa propre idéologie, sa propre composition, son propre monde. Les blocs semblent être des villes dans la ville. Koolhaas vient jusqu’à admettre que les bâtiments atteignant une si grande échelle, n’appartiennent plus à aucun tissu urbain. L’architecture devient objet ici et la richesse intérieure vient exprimer la forme. Ce tableau initie la vision des stars-architectures célébrant la ville métropolitaine des différences. Ainsi, notre environnement actuel se mondialise et tend vers une homogénéisation de nos sociétés. Les formes architecturales des mégalopoles urbaines s’uniformisent de part et d’autre du globe qui, au départ, se devaient d’être spécifiques à chaque lieu. La non référentialité traduit une situation dans laquelle la spécificité de chaque référentiel architectural tend à se réduire au profit d’une standardisation et d’une harmonisation constructive. Elle s’inscrit néanmoins dans un référentiel temporel qu’est l’ère architecturale contemporaine, une époque où ne prédomine plus une architecture mais des architectures. Alors définir l’architecture non-référentielle c’est se demander aussi si elle n’est pas le reflet d’une société sans théorie. Il y a t-il encore un idéal de nos jours, une vraie ou une fausse architecture nous incitant à concevoir dans une bonne direction ?


1.1.3 “L’après postmodernité, monde non-référentiel” “Comment écrire un manifeste d’urbanisme pour la fin du XXe siècle, dans une époque qui a la nausée des manifestes ?”8 8. Koolhaas (Rem), New York Délire, Un manifeste Rétroactif pour Manhattan, Paris, Éditions Parenthèses, 2002, p.9

Cette citation de Rem Koolhaas questionne sur l’impact actuel que pourrait avoir les théories architecturales au XXIe siècle. Elle fait la transition dans notre quête de définition de l’architecture non-référentielle et nous amène de plus en plus vers l’œuvre de Valerio Olgiati et son approche personnelle et théorique. Nous avons alors déjà soulevé des origines historiques, idéologiques et urbaines pouvant décrypter dans quel contexte son architecture s’inscrit. Or, ce qui doit être éclairci ici, c’est dans quels contextes théoriques, historiques et idéologiques, Olgiati, lui-même, dit se positionner. Le premier chapitre d’Architecture Non-Référentielle sert, ici essentiellement, de support à notre recherche. Les quatre dernières décennies du XXe siècle ont été profondément marquées par le mouvement postmoderne. Ce dernier avec celui qui lui a précédé, le modernisme, sont encore bien prégnants dans la discipline. Les acteurs du modernisme puis du postmodernisme architectural ont prôné des idéaux auxquels il fallait faire référence et auxquels il fallait suivre rigoureusement les lignes directrices pour s’inscrire dans ces périodes respectives. Prenons la Charte d’Athènes, signée lors du IVe CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) en 1943. Ce texte, rédigé par Le Corbusier, figure comme une directive précise et comme un instrument théorique devant être utilisé par tous, à tout moment pour résoudre les problèmes urbanistiques. Si nous appelons le mouvement de cette époque, le Style International, il faut y voir une logique qui tend à théoriser l’architecture de façon universelle. Néanmoins, une différence sépare ces courants de notre monde actuel. Olgiati se positionne alors. Il vient à contre-courant des théories architecturales passées et des impacts qu’elles avaient sur la société d’antan. Ne plus être dépendant des idéologies globales qui viendraient endoctriner la discipline actuelle est une caractéristique de notre monde non-référentielle. L’architecte est indépendant et libre de penser dans la discipline.

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Aussi, déjà dans Learning from Las Vegas, Venturi venait analyser le monde postmoderne qu’il avait en face de lui comme le fait Olgiati plus proche de nous. L’enjeu de Robert Venturi était subversif, il souhaitait une pluralité et une polyvalence des références culturelles. D’ailleurs, la société postmoderne peut être redéfinie comme une période qui a introduit le monde polyvalent que nous connaissons actuellement. Valerio Olgiati affirme qu’il ne prétend pas avoir la démarche subversive de Venturi avec cette idée de renverser l’ordre architectural établi jusqu’alors mais il dit se positionner déjà dans une société non-référentielle. Bien qu’il semble nous encourager à penser l’architecture sans son contexte, c’est-à-dire ex nihilo, il se dit détective de notre société avec un regard neuf sur le passé pour mieux comprendre le futur.

9. Olgiati (Valerio), Breitschmid (Markus), Non-Referential Architecture, USA, Park Books, 2013, p.35 (traduction personnelle)

10. Idem, p.38 (traduction personnelle)

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“Nous vivons dans un monde totalement hétérogène, polyvalent, pluriel, décentralisé, non référentiel, dans lequel tout est possible partout et à tout moment”9. Nous comprenons ici pourquoi notre monde se dit être non-référentiel. Ici apparaît une forme de paradoxe car précédemment, nous parlions d’uniformisation de l’architecture alors que dans le même temps nous faisions le constat d’une absence d’idéologie architecturale dans notre monde actuel. En d’autre terme, l’architecture est à la fois si homogène et si riche de variétés simultanément qu’il n’y a plus d’idéologie unique à croire. Valerio Olgiati dit, lui-même “Personne ne semble pouvoir expliquer quel genre d’idéal notre monde possède aujourd’hui”10. Actuellement, un étudiant en architecture est empreint de cette hétérogénéité du monde. Inévitablement, l’étudiant pourra puiser et se construire à travers toute les périodes de l’Histoire de l’architecture. Nous visons à être flexible et épris de liberté. Notre référentiel d’idée n’est pas limité temporellement. En outre, le monde non-référentiel offre un champs des possibles infini. Les constructions actuelles tendent à se dissoudre, deviennent de plus en plus éphémères car le monde, en constante évolution, est entré dans un rythme effréné. La dissolution des idéologies doit être dorénavant appréhendée comme processus libérateur ouvrant la voie à de nouvelles possibilités. L’architecture non-référentielle est non-référentielle dans la mesure où elle ne cherche pas à rentrer dans un mouvement architectural et peut être alors considérée comme un anti-style.


Valerio Olgiati réfute la contemporanéité de l’architecture c’est-àdire qu’elle se doit d’être a-historique dans le temps. Il renonce à la définition de l’architecture en tant que reflet d’une époque et de sa société. Les changements sociétaux et avec eux, les mouvements architecturaux s’accélèrent dans l’Histoire. Le style baroque se développa pendant deux siècles, le modernisme n’a résisté qu’à cinquante années et le mouvement déconstructiviste ne dura qu’une dizaine d’années. Peter Zumthor en fait le constat aussi, en affirmant que “les traditions se perdent, il n’y a plus d’identités culturelles fortes. L’économie et la politique développent une dynamique que personne ne paraît vraiment comprendre ni maîtriser”11. Notre monde est témoin d’une absence d’idéal universel. Le firmament sacralisé de la théorie et de l’Eglise ne sont plus les uniques vérités. Nous sommes amenés à croire désormais en des vérités plurielles. Dès lors, inscrire l’architecture non référentielle dans un référentiel historique, c’est la définir comme une réaction à une société globale, homogène, mondialisée et qui ne croit plus en toute idéologie universelle. Si nous avons contextualisé historiquement la posture de Valerio Olgiati, il est question maintenant d’éclaircir le contexte personnel et pédagogique de Valerio Olgiati, l’ayant amené à concevoir sa vision de l’architecture.

11. Zumthor (Peter), Penser l’architecture, Birkhäuser, Bâle, 1998

1.2 Valerio Olgiati ou un contexte familiale et un enseignement Nous avons fait le constat que l’architecture non-référentielle s’inscrit dans une temporalité, celle d’une société mondialisée et globale en perte de repère par rapport à la question de son référentiel. Penchons-nous désormais sur le contexte dans lequel a grandi et a évolué notre architecte d’étude. L’environnement familiale et son cursus universitaire au sein de l’ETH Zurich nous permet de mieux cerner sa conception architecturale actuelle. 1.2.1 L’influence de son père, Rudolf Olgiati Cerner la posture qu’adopte un architecte dans son travail, c’est éclaircir au préalable ses influences qu’elles soient personnelles ou professionnelles. Notre propos cherche à éclaircir alors en quoi la volonté qu’à Valerio Olgiati de projeter une architecture sans origine et issue d’une pure invention est un acte fragile et contradictoire. En effet, sa position est délicate dans la mesure où sa figure paternelle,

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Rudolf Olgiati l’a influencé dans son travail d’un côté mais de l’autre, l’a encouragé à se détacher fortement du langage paternel pour adopter son propre langage, l’architecture non-référentielle. Rudolf Olgiati, né en 1910 dans les Grisons, est un architecte qui a construit principalement dans sa région natale et montagneuse des Grisons. Il est une figure du mouvement moderniste de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité), qui a émergé dans l’Europe germanophone des années 1920-1930, en promouvant une connexion entre la modernité et les principes historiques et traditionnels. Sa géométrie architecturale singulière se situe dans un champ de tension entre le modernisme issu des théories de Le Corbusier, l’antiquité grecque et la tradition locale de construction. Diplômé en 1927 de l’École cantonale des Grisons à Coire, il a étudié à l’École polytechnique fédérale de Zurich comme son fils Valerio Olgiati. À l’origine, inscrit dans la section des ingénieurs civils, il change pour étudier l’architecture. En 1934, il obtient son diplôme avec Otto Rudolf Salvisberg. Après un séjour prolongé à Rome entre 1935 et 1937, Rudolf Olgiati commence à travailler comme architecte. Il travaille d’abord à Zurich, puis à partir de 1944 à Flims, là où en 1930, il avait déjà acquis et construit une maison familiale.

12. Olgiati (Valerio), Une conférence de Valerio Olgiati, Birkhäuser, 2011, p. 68

13. Breitschmid (Markus), The Significance of the Idea, Sulgen, Niggli Verlag Archithese, 2012, p.9

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En effet, lors d’une conférence, au sujet de son héritage idéologique paternel et d’une gravure classique que son père avait encadrée au-dessus de son lit, Valerio Olgiati nous dévoile une relation plus intime qu’elle n’y paraît en regardant leurs oeuvres respectives, “Il m’a beaucoup influencé [...] il m’a dans une certaine mesure manipulé, il m’a programmé avec ses références personnelles. Et bien sûr en matière de goût des choses, j’ai la même sensibilité que lui.”12. En réalité, Valerio est baigné, depuis son enfance, dans une coquille moderniste épaisse, dont il est difficile, pour lui, de se détacher idéologiquement. La complexité est là. Il voudrait s’émanciper personnellement or la vision de son père est synonyme pour lui d’une vérité dominatrice. La génération de son père vise à renouveler de nouvelles valeurs architecturales, celle du Modernisme. Il est question d’instaurer une conduite et un comportement précis dans le domaine de la construction. Seules existent une vraie ou une fausse architecture13.


Ce n’est que pendant ses études à l’ETH Zurich et à travers le renouveau pédagogique qu’Aldo Rossi apportera à cette école, qu’il peut dès lors se libérer pleinement de l’influence de son père et initier sa propre vision de l’architecture. À l’inverse de son fils, Rudolf Olgiati ne cherche pas l’autonomie et la prise de recul radicale avec le contexte proche d’une architecture. Il cherche plutôt à établir un dialogue entre les principes modernistes et les procédés architecturaux et vernaculaires des Grisons. Cette contradiction idéologique, entre deux générations d’architectes suisses, porte notre intérêt sur une référentialité paternelle et architecturale plus liées qu’elles n’y paraissent. Valerio Olgiati observe le comportement des architectes d’aujourd’hui en relevant que “la jeune génération d’aujourd’hui s’est offerte de multiples options, mais ces options ne font pas référence à un paradigme particulier. C’est fascinant de vivre aujourd’hui”14. Il met alors en avant la liberté de penser des étudiants actuels en architecture contrairement à l’époque moderniste ou encore sa génération des années 1980. Étudier l’architecture aujourd’hui, c’est faire face à un champ des possibles infini et ainsi soit-il de suivre ses propres convictions. L’œuvre de Rudolf Olgiati concerne principalement des maisons individuelles et des fermes traditionnelles ancrées dans le référentiel local des Grisons. Son architecture se remarque par un va-et-vient entre une esthétique moderniste unie, universelle et une expression traditionnelle grisonne. Rudolf Olgiati semble inscrire ses œuvres dans un contexte. Dans cette confrontation inconsciente, Valerio Olgiati s’imprègne plus ou moins intensément des dessins formels de son père. Par ailleurs, dans le cadre d’une exposition Die Sprache der Architektur15 consacrée à l’œuvre de Rudolf Olgiati, douze étudiants de l’université d’Eindhoven ont réalisé un panorama des constructions de l’architecte parmi lesquelles se trouve la ferme familiale (figure 4)ainsi que des logements à Flims (figure 5). Et si l’exposition s’appelle La Langue de l’Architecture c’est parce que l’œuvre de Rudolf est référentiel dans la mesure où elle parle d’un territoire, d’un lieu celui de la Suisse grisonne. Les maquettes sont réalisées en argile blanche, en bois et en ardoise. À y regarder de plus près, ces édifices apparaissent comme des architectures-objets et autonomes posées dans un contexte absent et vide or en réalité, il en est tout autrement. En effet, le plan du soubassement de la ferme familiale de Rudolf Olgiati (figure 6) fait état de la présence d’une construc-

14. Idem, p.11

15. Le Langage de l’Architecte

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figure 4 : Maison “Dado”, Rudolf Olgiati, Flims, Suisse, 1935-1968, maquette extraite de l’exposition Die Sprache der Architektur consacré à Rudolf Olgiati, université Eindhoven, Pays-bas, 2012, Studio Jan Schevers

figure 5 : Maison “Las Caglias”, Rudolf Olgiati, Flims, Suisse, 1959-1960, maquettes extraite de l’exposition Die Sprache der Architektur consacré à Rudolf Olgiati, université Eindhoven, Pays-bas, 2012, Studio Jan Schevers

figure 6 : Plan du soubassement de l’agence de Valerio Olgiati et du rez-de-chaussée de la maison familiale construite par Rudolf Olgiati.

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tion mitoyenne dont le plan s’inscrit dans un carré parfait. Il s’agit de l’agence de Valerio Olgiati. Ce dernier vit désormais dans la ferme paternelle. Ces détails sont significatifs car on peut les interpréter comme une volonté de Valerio Olgiati de ne pas oublier ses racines en s’installant dans son village natal et en inscrivant son agence à côté de l’œuvre de son père. On voit néanmoins, à travers les plans, l’exploration de Valerio Olgiati d’un tout autre langage architectural basé sur une géométrie épurée et élémentaire. Dans la majorité des œuvres de Rudolf Olgiati, on voit une composition entre un toit vernaculaire et fonctionnel fait de pierres naturelles et une opaque enveloppe murale faite de chaux blanche. Cette couverture épaisse et blanche devient presque immatérielle et abstraite. Elle crée une forte opacité entre l’extérieur et l’intérieur. Aussi, il vient manipuler cette masse blanche de façon plastique, elle devient intemporelle et anecdotique, procurant un étonnement et un décalage dans l’architecture traditionnelle de bois des villages suisses. Valerio Olgiati joue, encore aujourd’hui, avec cette perturbation des éléments familiers de manière plus profonde. Ainsi, l’aspect modelable du crépis blanc fait écho à la manipulation sculpturale qu’il opère avec le béton. Par ailleurs, remarquons que Rudolf Olgiati cherche à s’affranchir des dogmes modernistes comme la fenêtre en bandeau, les pilotis ou le plan libre théorisé par Le Corbusier. Au contraire, il opère un jeu plus sculptural avec des ouvertures positionnées sans ordre géométrique en façade (figure 5), et parfois le toit traditionnel vient se cacher derrière la masse blanche des murs. Aussi, il vient manipuler et perturber la logique des éléments architectoniques élémentaires comme le toit et la colonne. Par exemple, la colonnade d’entrée de la Casa Radulff étonne par sa forme (figure 7). La nappe horizontale semble flotter sur une ombre dématérialisée provoquant le rôle porteur d’une colonne. Valerio Olgiati perturbe lui aussi les logiques structurelles avec des éléments aux formes élémentaires mais qu’il déjoue pour engager une discussion. Par exemple, au sein du magasin Céline de Miami, l’architecte vient perturber la lisibilité des piliers porteurs par une forme non-conventionnelle. La forme devient une ornementation (figure 8).

figure 7 : Colonnade d’entrée de la Casa Radulff , Rudolf Olgiati, Flims, Suisse, le auvent semble flotter sur les colonnes. figure 8 : Céline Flagship Store, Valerio Olgiati, Miami, 2018, photographie de Mikael Olsson, le poteau, élément porteur ou ornementation ?

Comme en témoigne l’approche de Rudolf Olgiati, nous avançons que son œuvre est une architecture qui s’intègre dans un travail ré-

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férentiel. Il entre en communion avec le lieu et avec les traditions constructives des Grisons. Cependant, sa posture se distingue par son caractère universel, libre, indépendant et sculptural l’influence des constructions modernistes. Dès lors, on émet l’hypothèse que son idéologie architecturale ne semble pas venir de nulle part, elle semble s’intégrer dans un contexte que nous pouvons définir comme le référentiel familial. 1.2.2 L’analogie comme processus architectural L’approche non-référentielle de Valerio Olgiati ne s’est pas écrite sur une page blanche et trouve des origines dans l’enseignement qu’il a reçu. On fait l’hypothèse qu’il s’inscrit dans ce qu’on appellerait un référentiel pédagogique, celui de ses études entre 1980 et 1986 à l’ETH (Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich). À travers son enseignement supérieur et plus particulièrement par le souffle nouveau de la pensée architecturale qu’a entrepris Aldo Rossi, nous allons apporter une définition complémentaire de ce qu’est le référentiel en architecture, celle de la référence architecturale par l’analogie.

Aldo Rossi, né à Milan en 1931. On le considère comme un théoricien et comme un architecte majeur de la deuxième moitié du XXe siècle. En 1959, il est diplômé de l’Ecole Polytechnique de Milan. Pendant ses études, il collabore, dès 1955, à la rédaction de la revue critique d’architecture Casabella Continuità. Et c’est en 1966 qu’il publie le traité L’Architettura della città. Cette théorie est une invitation à considérer la ville autrement. La ville est une œuvre d’art, faite d’archétypes formels, comme le lieu d’une mémoire collective. Il analyse la ville en tant qu’une architecture, résultante d’une histoire sans cesse reconstruite. Il vient en contradiction avec les théories modernistes de la ville ergonomique où la forme serait le reflet de contraintes fonctionnalistes. À l’inverse, Rossi redonne aux monuments de la ville ce que le fonctionnalisme l’en a privé, leurs formes fortes, leurs messages clairs et leurs aspects artistiques. L’histoire d’une ville est considérée par Rossi comme le résultat de l’histoire de son architecture et non l’inverse. Son travail d’écriture et constructif vise à rechercher la notion du type architectonique et de la forme architecturale élémentaire non réductible.

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Autonomie de l’architecture Nous mettons en parallèle l’approche non-référentielle de Olgiati avec l’enseignement d’Aldo Rossi. Ce dernier confronte les définitions de contexte, de lieu et de référentiel d’une architecture. Il questionne aussi le sens des formes de la ville. “Concernant le terme du contexte, nous constatons qu’il s’agit surtout d’un obstacle à la recherche”16 Rossi, ici, critique la ville contemporaine et ses avenues car elles se cachent derrière des rideaux historiques derrière lesquels se trouve des usages nouveaux et déconnectés de l’usage originel de l’édifice “Dans ce sens, le lieu n’est pas sans rapport avec le contexte ; mais le contexte semble étrangement lié à l’illusion, à l’illusionnisme. En tant que tel, il n’a rien à voir avec l’architecture de la ville, mais plutôt avec la réalisation d’une scène, et en tant que scène, il exige d’être soutenu directement par rapport à ses fonctions”17. Il faut comprendre encore ici que le contexte d’une architecture n’est plus vecteur de sens pour la forme architecturale dans la mesure où il sert à créer un cadre au projet, un cadre fonctionnel qui immobilise les formes de la ville. Les formes architecturales perdent alors de leur autonomie et de leurs expressions. C’est par cette approche que Aldo Rossi nous intéresse dans notre propos.

16. Rossi (Aldo), The Architecture of the City, MIT Press, Cambridge, Mass, 1982, p.126 (traduction)

17. Ibidem, p.126 (traduction personnelle)

Entre 1972 et 1974, Aldo Rossi devient directeur invité de l’ETH Zürich avec l’appui de ses futurs assistants Bruno Reichlin et Fabio Reinhart. Un an auparavant, il perd son poste de professeur à l’Ecole Polytechnique de Milan en prenant la défense des étudiants grévistes de 1968. Rossi arrive alors à Zurich, dans une école d’architecture prestigieuse mais partagée entre deux idéologies. L’une formant les étudiants à devenir engagés ayant à l’esprit d’intégrer les disciplines économiques, sociales et politiques dans la création architecturale. De l’autre, une vision que l’architecture ne peut pas intégrer majoritairement ces domaines extra-architecturaux. L’architecture est, selon Rossi, une discipline autonome et construite sur elle-même. C’est cette direction qu’il va promouvoir en affirmant que “L’architecture, ce sont les œuvres de l’architecture” avant tout. Nous pensons, ici, que l’autonomie ne signifie pas une fracture entre l’architecture et la société dans laquelle elle se réalise mais qu’elle doit la refléter et exister par ses propres moyens c’est-à-dire par l’architecture ellemême. D’une autre façon, Rossi redéfinit les fondements de l’architecture. Son regard, sur ce qu’il appelle le matériau du passé, c’est-à-

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18. Caruso (Adam), “Whatever Happened to Analogue Architecture.” in AA, Londres, 2009, p.74

19. Steinmann (Martin), La forme forte, Ecrits 1972-2002, Birkhäuser-Verlag für Architektur, 2003

figure 9 : Fontana Monumentale, Aldo Rossi, Segrate, 1965, photographie de Marco Introini

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dire le référentiel historique d’un projet tout en restant a-historique, est crucial et novateur. L’enjeu est de mettre en avant une architecture autonome où la forme et l’histoire deviennent les seuls référentiels d’un projet d’architecture à prendre en compte18. La ville peut continuer à se construire en utilisant l’histoire comme matériau sans tomber dans l’historicisme. C’est alors seulement que l’architecture devient elle-même histoire. Et si Rossi intervient dans ce mémoire c’est parce qu’il rejoint Olgiati au sujet de l’autonomie architecturale. Rossi utilise déjà des formes autonomes (cylindre, cube, triangle) mais qui néanmoins par l’expérience que l’on en a, n’échappe pas à leur historicité. Elles sont la base d’une architecture rationnelle. Prenons l’exemple de la Fontana monumentale (figure 9) construite pour les partisans de Segrate en Italie. Elle renvoie à la notion de type que Rossi voit comme un “principe logique qui précède la forme, et qui la constitue”19. Ce projet devient un monument nous rappelant le fronton d’un temple romain mais ici, la forme est détachée de son référentiel d’origine. L’usage de ces formes ne survit plus mais les formes primaires et élémentaires, elles, survivent et deviennent autonomes. Leur assemblage, par analogie, induit la signification de l’architecture. Olgiati, lui, n’utilise pas volontairement des formes historiques mais son jeu de formes géométriques pures montre que tous deux cherchent à donner un sens à l’architecture par l’architecture et les formes qui la constituent, rien d’autre. La forme n’est pas dictée par la fonction mais la forme a du sens.


Architecture analogue Aldo Rossi enseigne aussi le concept d’architecture analogue. Et si cette approche appuie notre recherche, c’est parce que faire l’analogie de quelque chose est étroitement lié à la notion de faire référence à quelque chose donc lié à la notion du référentiel. L’analogie a deux définitions, l’une se réfère à l’identité de rapports entre des choses différentes (concept de proportion) et l’autre est plutôt la construction de liens de similitudes entre entités différentes. Au-delà de l’approche analogique d’Aldo Rossi, ce mot prend racine à travers la théorie du psychanalyste Carl Gustav Jung qui comparait la pensée logique comme quelque chose qui s’exprime directement par des mots, à la pensée analogique comme “sensible, irréelle, imaginée et silencieuse ; elle est archaïque, inconsciente, et pratiquement inexprimable par les mots”20 Il ne s’agit alors pas d’un discours mais plutôt d’une méditation sur les thèmes du passé et d’un monologue intérieur. Rossi interprète l’analogie comme une volonté nostalgique de faire référence à un contexte historique et architectural sans le copier, mais en imitant son caractère d’une autre manière. Mais en quoi l’architecture analogue a fortement influencé Valerio Olgiati ? Après le départ de Rossi, l’architecture analogue considérée comme méthodologie moteur du projet se développe sous l’impulsion de Fabio Reinhart (1942), puis de l’ancien assistant de Rossi, Miroslav Sik (1953). Sik est à la tête de l’atelier Altneu (vieux nouveau). Il voit dans l’analogie, une manière de tisser des liens entre plusieurs temporalités dans une nouvelle localisation. L’ancien et le nouveau doivent coexister pour former un ensemble contrasté et troublant. Il veut connecter la tradition avec le modernisme en s’efforçant de “relier ce qui est divers, en me servant d’un mélange de style (Stilmischung) [...] Mon but est de produire un demodernes Milieu”21. Miroslav Sik accentue l’usage de l’image de référence dans le processus de conception.

20. Gustav Jung (Carl), Lettre à Sigmund Freud, 2 mars 1910

21. Dans “Konflikte binden - Binding Conflict”, entretien de Lynette Widder et Gerrit Confurius avec Miroslav Sik, Daidalos, n°68, p.112

Toute une génération d’architectes suisses allemands dont fait partie Valerio Olgiati ainsi que le duo Herzog et De Meuron ayant eu Rossi comme professeur, va être formée à l’ETH dans ces années majeures de l’architecture du pays. Olgiati est le témoin indirect de la méthodologie analogue rossienne en intégrant cet atelier. Alors, les étudiants débutent leur projet par la collecte d’images. Sous la forme

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d’un collage, l’image est ensuite redessinée sur un site spécifique d’abord l’extérieur, puis l’intérieur. Cette nouvelle analogie donne alors un élan au projet. Aucune des références n’est copiée ou mise en œuvre de manière directe. Les paraphrases de l’ambiance, appelé le Stimmung ainsi que la forme, le Gestalt sont les clés de cette méthode analogique. En fin de compte, le programme spatial est appliqué à la proposition. L’image originale est traduite en coupes, plans et façades spécifiques au site. Le projet devient alors constructible et concret. Ces éléments sont considérés comme les points principaux de l’architecture analogique. L’architecture analogique s’écarte de l’histoire, du régionalisme et des bâtiments anonymes du quotidien pour créer un style facilement compréhensible. Cette démarche vise à créer de l’ambiguïté et de l’innovation au lieu d’imiter l’historicisme. “Je veux créer un monde qui n’est ni vieux ni nouveau. Mon but est d’arriver à ce que les ambiances se neutralisent mutuellement, afin que l’on ne soit jamais capable de reconnaître un cadre social ou temporel”22 22. Ibidem, p.112

figure 10 : Aldo Rossi, Cimetière San Cataldo, Modène, 1971-1978, photographie de Can Onaner

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Cette approche de l’architecture est une posture qui consiste à considérer une typologie contextuelle tout en la modifiant afin de lui donner une propriété qui tend vers l’étrange. Il y a dans cette posture, l’intégration d’un édifice dans un site. Cependant l’architecture analogue cherche à amplifier un aspect de l’analogie, mettant le projet à l’écart de son contexte. Être non référentiel, c’est faire l’analogie à une image existante dans la mémoire mais, c’est aussi construire des édifices autonomes par leurs altérations du banal. Le document cicontre traduit notre interprétation en se basant sur le projet d’extension du cimetière San Cataldo de Modène réalisé par Aldo Rossi (figure 10). On remarque, dans cet exemple, une dialectique entre analogie à la mort et à la vie. Le signe de la forme de la cabine de plage est détourné jusqu’à se qu’on oublie l’origine de cette forme. Dans le travail de Rossi, on retrouve souvent la répétition des images de souvenirs permettant de lui faire oublier la mort. L’analogie typologique conjure à une forme une association nouvelle (figure 11). La confrontation à la posture de Rudolf Olgiati, d’une part, et à l’enseignement analogique de l’architecture, d’autre part, qu’à reçu Valerio Olgiati apportent de nouvelles réponses à notre hypothèse. La non-référentialité ne signifie pas un refus radical du contexte et du


Architecture analogue =

figure 11

Intégration contextuelle + aliénation formelle/matérielle

Répétition d’une typologie Cabines de plage

Répétition d’une typologie Tombeaux dans un cimetière

Faire oublier l’usage premier et le signe Cabines de plage en guise de tombeaus

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site. On fait le constat qu’il s’agit davantage d’une réaction formelle à un site. Dès lors, si l’atelier de Miroslav Sik use des images de référence comme outil de travail dans l’analogie, comment Olgiati, en utilisant l’iconographie, tend à aller au delà de la référence ?

1.3 Aller au-delà de la référence Nous arrivons au stade de notre recherche où la dénomination d’architecture non référentielle doit être nuancer par le bief de l’usage de la référence elle-même. Nous verrons que Valerio Olgiati ne rejette pas entièrement l’usage d’un référentiel lié au projet mais il l’appréhende d’une certaine façon à ce qu’elle n’infuence pas directement son travail. Deux nouvelles interrogations s’annoncent dans notre progression. La première, consiste à éclaircir l’impact des références imagées sur le travail d’un architecte comme Olgiati. La seconde, en quoi nous servent-elles et servent-elles directement à l’architecte luimême ? Dès lors, c’est là que nous devons cerner en quoi recueillir des données autobiographiques, c’est expliquer l’architecture contemporaine elle-même. Les images autobiographiques et les sources de création, pour les architectes contemporains, sont alors “une vision universelle et perceptible de l’origine de l’architecture contemporaine. Or si les images sont individuelles à chacun des architectes alors la référentialisation de l’architecture n’est plus collective mais individuelle. La vision personnelle exprimée par les données biographiques des architectes est d’une grande influence dans l’architecture contemporaine. C’est la conséquence de l’individualisme, ce qui est très éloigné de la tradition classique.” Mail de Valerio Olgiati à Jacques Lucan, 30 novembre 2013.

Cette non-référentialisation contemporaine de l’architecture est dû au fait que les architectes se défont peu à peu de la culture architecturale elle-même, de sa culture propre et se détachent de tout contexte en effaçant l’historicité de l’autobiographie. Une individualisation de l’architecture et une référentialisation intemporelle apparaît. 1.3.1 Autobiographie iconographique ou l’image de référence Aldo Rossi anticipe notre propos lorsqu’il dit, dans Architettura per i musei (Une architecture pour les musées) que dans le processus de conception, se référer à d’autres édifices, c’est “être en mesure de

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formuler clairement de quelle architecture naît notre propre architecture”23. Cette citation lie alors la conception à l’autobiographie. Les images que nous convoquons, dans la conception architecturale, sont le fruit de nos observations. Elles deviennent des souvenirs dont leur usage est souvent énigmatique. Le processus de Valerio Olgiati s’apprécie d’autant plus en explorant son univers d’images de références à l’intérieur de son ouvrage Autobiographie iconographique, publié en 2006, sous la forme de 55 images. La préface de ce livre (traduction libre de l’anglais) explique les prémices de son recueil. Il réitère le même exercice, lors de la Biennale de Venise de 2012, mais cette fois-ci en demandant à 49 architectes internationaux de lui transmettre des images qui les passionnent dans leur démarche architecturale. L’ensemble “The Images of Architects” nous dévoile “une vision universelle et perceptible de l’architecture contemporaine”24 et Valerio Olgiati l’interprète comme une conséquence de l’individualisme de notre société25.

23. Rossi (Aldo), “Une architecture pour les musées”, L’Architecture d’aujourd’hui, n°263, juin 1989, p.186 (traduction révisée)

24. Olgiati (Valerio), “The visible Origin of Architecture”, in The Images of Architects, Quart Verlag, Luzern, 2013 25. Ibidem

“Les illustrations des pages qui suivent sont des images importantes emmagasinées dans ma mémoire. Lorsque je design ou invente un bâtiment, elles sont toujours en suspension quelque part au-dessus de moi. Elles sont la base de mes projets. Elles m’accompagnent quand je me pose, fixant la “feuille blanche”, prêtent à parler. Cela fait toujours partie de mon objectif de construire quelque chose qui soit, d’une façon ou d’une autre, en lien avec ces images - soit l’image en tant que telle ou ce qu’elle illustre. Souvent ce qui me fascine est la façon dont elle est illustrée. Naturellement, je cherche à transcender ces images. Alors, elles n’existent plus. Je tends à m’élever au-delà de la tradition qui me fut transmise. (ici comprendre la tradition de son père Rudolf Olgiati, voir 1.2.1) Et pousser la mesure jusqu’à ce que mon architecture devienne non-référentielle. C’est ce qui pourrait arriver de mieux, prendre la voie de l’indépendance. Mais je suis conscient que c’est impossible. [...] Cette contradiction me force à réfléchir, [...], à concevoir une architecture qui, à la fin est “seulement” abstraite et peut alors être dense et riche, si possible. Seulement un esprit unique peut produire une architecture véritablement fascinante.”26 26. Olgiati (Valerio), “Iconographic Autobiography”, El croquis, n°156, 2011 p.6

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27. Fernando Márquez (Cecilia), Levene (Richard), El Croquis Valerio Olgiati (19962011), n°156, Madrid, 2011

Ainsi, ces images fascinent Valerio Olgiati. Il vise à aller au-delà de la référence. Le style ou l’idéologie d’une période sont abandonnés au profit de collections d’images individuelles et uniques à chacun pour concevoir. Les images de références sont détachées de leur contexte historique. Olgiati les analyse à travers ce qu’elles procurent par leurs simples présences, par leurs puretés et par leurs formes archétypales. Il dépasse ces références là où il va au-delà des traditions qu’on lui a transmises. Prenons par exemple le plan de cette demeure patricienne des Grisons, dans son canton natal (figure 12). Le plan y est simple. Respectivement, de part et d’autres du corridor, deux salles en pierre crépies avec des plafonds voûtés et puis des pièces richement décorées par des lambris. Cette dualité architecturale propre aux Grisons se lit. L’architecte n’a volontairement pas souhaité créer une harmonie de deux intériorités différentes mais faire cohabiter deux mondes essentiellement différents. Plus tard, nous verrons comment Olgiati joue avec cette contradiction spatiale. Sur une autre image, nous trouvons le Taj Mahal (figure 13). Cet édifice mortuaire paraît être une révélation pour Valerio. Il est un exemple de non-référentialité selon l’architecte dans la mesure où son unité matérielle de marbre lumineux se détache des bâtiments alentour, revêtu d’ocre et de brun-rouge. L’édifice apparaît comme l’émergence d’une idée la plus pure qui soit. Olgiati prend souvent comme référence des bâtiments d’une période lointaine. Pourquoi ? Nous pensons qu’un séparation temporelle importante permet de voir la référence d’une autre manière. On ne l’analyse plus comme le résultat architectural lié à son contexte de construction car l’édifice a réussi à traverser les époques et les connaissances sur leurs contextes disparaissent petit à petit. Ces références imagées sont perçues à travers leurs “principes d’ordre”27, à travers leurs simples présences comme des architectures épurés de ce qui les entoure.

28. Lucan (Jacques), Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 p. 233

Jacques Lucan définit l’autobiographie comme “une réflexion sur un parcours emprunté [...] L’autobiographie, comme partie prenante de la réflexion et de la conception architecturales, est donc un retour sur soi, dans un mouvement qui suppose une énonciation renouvelée des problématiques abordées au cours du temps, une énonciation destinée aux autres autant qu’à soi. Est-ce à dire que l’autobiographie appartient à une époque d’incertitudes collectives en même temps qu’elle est une tentative d’affirmer des convictions individuelles ?”28. Dans ce cas, nous comprenons que la référence d’un architecte est une notion

figure 12 : Plan du château de Parpan, demeure patricienne des Grisons, 17e siècle, image parmi les 55 son Autobiographie iconographique, extraite de 2G, n°37, (Valerio Olgiati, 2006

figure 13 : Photographie du Taj Mahal, image parmi les 55 son Autobiographie iconographique, extraite de 2G, n°37, (Valerio Olgiati, 2006

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à double signification. D’une part, ce référentiel imagé est personnel à l’architecte, il offre une vision introspective et interne de l’environnement dans lequel l’architecte pratique et sur lequel il porte un regard critique. D’autre part, sa référence permet, pour l’observateur, d’avoir une clef de lecture de la pratique de l’architecte, “une porte ouverte vers son imaginaire”29. La forme de cet imaginaire varie bien sûr en fonction de chacun. L’Autobiographie iconographique de Olgiati en est l’illustration. Elle fait appel au passé propre, à la mémoire et aux souvenirs de chacun en même temps qu’elle montre l’individualisme de notre société actuelle. Nous l’expliquions plus tôt, il n’existe plus une vérité unique mais des vérités plurielles, propres à chacun. Si nous avons défini le terme d’autobiographie avec Jacques Lucan, il nous faut éclaircir aussi celui d’iconographie. Elle est “l’étude descriptive des différentes représentations figurées d’un sujet mais aussi “l’ensemble de ces représentations”30. Cette typologie d’autobiographie ne devient pas seulement comme une suite d’images à traduire littéralement les unes après les autres mais comme un réel objet d’étude. Jacques Lucan dit lui-même aussi que l’autobiographie est comme un retour sur soi alors on en déduit que les images le sont aussi dans l’Autobiographie iconographique. Ses images sélectionnées sont à considérer comme un processus heuristique. Elles deviennent pour Valerio Olgiati les racines essentielles à la fois au développement de sa pratique mais également une source puissante de réflexion et de remise en cause. D’ailleurs, le site internet de son agence à Flims possède la spécificité d’être un défilement perpétuel entre les images de ces projets et ces images de référence sans textes, ni légendes. La référence devient presque utilitaire et une clef de lecture introspective.

29. Nadeau (Vincent), L’Autobiographie iconographique de Valerio Olgiati ou la transcendance du référent en architecture, Publication, 2016

30. Larousse numérique 2020

Ainsi, à travers ce référentiel imagé, Olgiati nous offre un nouveau champ de compréhension de son œuvre. L’architecture non-référentielle est référencée par les images mais Valerio Olgiati ne les considère pas comme des moyens de signification des formes constructives qu’il projette. Ses projets sont à l’égal de ses images de référence sans s’y référer formellement. Nous admettons qu’il est difficile de se détacher totalement de nos références personnelles, lors de la conception tant elle nous hantent sans cesse. On suppose que Olgiati a luimême des difficultés à faire ce va et vient, on se demande s’il n’utilise pas ces images plutôt comme une matière à réflexion et comme une

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méthode de travail dans son propre atelier de projet ? 1.3.2 De l’image au projet d’architecture, entretiens d’étudiants de Valerio Olgiati

figure 13 : L’Algérie vue du ciel, photographie de Yann Arthus Bertrand

figure 14 : Bonsaï, photographie d’un érable du Japon

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Cette phase de notre étude se focalise sur le rapport à la référence qu’opère Olgiati, à travers le travail de ses étudiants. En effet, deux entretiens, réalisés en octobre 2020, avec deux de ses étudiants (Antonio Mazzolai et Vittoria di Giunta) vont appuyer notre propos à ce moment de notre travail. Ces entretiens font suite au visionnage en ligne de la critique finale de l’atelier Architecture as Sense of Space que dirige Valerio Olgiati à l’Académie d’Architecture de la Suisse Italienne de Mendrisio. Comment la convocation d’images de référence permet de nourrir le projet des étudiants dans l’enseignement de Valerio Olgiati ? Vous pourrez retrouver en annexe à la fin du mémoire, l’intégralité des deux discussions retranscrites de l’anglais au français. L’atelier ne débute pas directement par la convocation d’images de référence mais par un tirage au sort, par les étudiants, d’une thématique, un motto, parmi trois choix définis par les assistants. Ce semestre, les thématiques variaient soit entre un lieu, Seascape, une échelle, Villa, une typologie, Tree. Ayant tiré au sort la thématique Tree, Vittoria s’est alors questionnée sur cet élément, “qu’est-ce qu’un arbre pour moi ? Plusieurs possibilités se sont offertes à moi. Devais-je développer un projet qui a la structure d’un arbre ? L’arbre comme élément majeur d’un site ? Ou s’agit-il d’une typologie qui vient de la morphologie d’un arbre. Selon moi, l’arbre rimait avec le parc, …. autour de la dystopie de l’arbre. Mon idée était alors de créer un jardin. C’est la meilleure manière d’honorer l’arbre. Au début, j’ai pensé aux jardins persans situés dans les déserts tels des oasis mais mon analogie était trop évidente. L’enjeu de l’atelier est de construire la nouveauté et de remettre en question les éléments.” Ce choix devient un fil directeur personnel dans la mesure où les étudiants interprètent eux-mêmes ce motto. Les étudiants doivent ensuite présenter à Valerio, une ou deux images qui vont construire leur idée de projet. Évoquons, ci-contre, les deux choix de Vittoria présentés lors de la critique finale. Le premier est un oasis en Algérie (figure 13), l’autre, un vase accueillant un érable du Japon (figure 14).


De la même manière que dans l’Autobiographie iconographique, ces deux illustrations ne sont pas choisies de manière littérale. D’après notre entretien, ce qui l’inspire, ce sont l’ambiance, le Stimmung, qui s’en dégage, dont parlait plus tôt, Miroslav Sik. L’oasis lui évoque la sensation de fraîcheur, de bien-être dans un lieu aride et paraît être un réel paradis pour les habitants. Elle ajoute que “l’oasis est en réalité l’opposé de son référentiel. C’est un lieu dystopique. Un lieu dystopique est un lieu qui se détache de son contexte mais en même temps, il lui fait écho. Sans désert, l’oasis ne serait pas un jardin paradisiaque”. Le vase, quant à lui, est plus intéressant dans la mesure où l’arbre devient plus une sculpture plutôt qu’un élément naturel. Ce vase devient, comme sa comparaison avec Central Park, une ode au paysage naturel mais artificiel, de la main de l’Homme. Dès lors, Vittoria précise son idée, qu’elle définit comme le Big Bang d’un projet, celle de concevoir un jardin. L’idée gravite sans cesse dans notre tête lors de la conception, “Quand on définit une idée avant un projet, tout est holistique c’est-à-dire que tout sera lié à cette idée. Il y a une cohérence forte entre l’idée primitive et le résultat architectural”. Comme elle le dit clairement, il ne s’agissait pas de copier le jardin dans un désert hostile. À l’inverse, elle se demande alors à quoi peut ressembler un paradis naturel en plein cœur d’une ville européenne telle que Berlin (figure 15). Les documents ci-contre ont été réalisés par Vittoria elle-même lors de sa critique finale. Ils illustrent son projet et servent à décrire son propos. Le discours d’Antonio, rejoint le projet de Vittoria à propos de leurs définitions de l’architecture non-référentielle. “Être non-référentielle, c’est se détacher de la tradition d’un site pour inventer une chose nouvelle mais qui peut avoir une relation avec le paysage”. C’est ainsi que pour Vittoria, en s’insérant dans un contexte urbain, le projet devient nouveau. Elle dit vouloir “exprimer un paysage, un lieu…” sauvage que l’on peut contempler en étant déconnecté de la ville. Il semble devenir autonome, protégé, intériorisé (figure 16) et en contradiction avec le contexte. Aussi, l’on comprend que l’abstraction de la non référentialité se dévoile ici dans l’expression de ce cratère. Ce dernier fait écho à celui de l’Etna, surplombant la ville natale de Catane de Vittoria, en Sicile (figure 17). Cette forme l’a inspirée personnellement pour accueillir ce jardin intérieur mais elle est anecdotique dans la paysage berlinois.

figure 15 : Plan de situation illustrant la rupture formelle entre les bâtiments historiques et le projet

figure 16 : Élévation montrant la rupture du projet avec l’extérieur. Seule la cime des arbres se dévoile

figure 17 : Coupe montrant le jardin et la construction d’un paysage intérieur

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Dès lors, l’idée de ce jardin devient très propre à chacun et n’est pas liée au site, “Lorsque vous créez un jardin, vous créez votre propre paradis, votre unique version du jardin. Mon projet est non-référentiel car je vise à créer ma propre vision d’un jardin dans une ville européenne qui ne conçoit pas les jardins de la même manière qu’en Sicile par exemple.” Concernant Valerio Olgiati, un autre point doit être soulevé ici dans son enseignement, celui de la liberté créative accordée à ses étudiants face à sa théorie. Considérant que l’architecture non-référentielle définit par Olgiati s’articule autour de sept principes que nous analyserons par ailleurs, nous avons alors questionné Antonio à ce sujet. Il nous éclaire en affirmant que Valerio “a souffert des règles”, de la théorie de son père et de ce qui doit être juste ou faux en architecture. Cette vision bilatérale “exclut de nombreux aspects de l’architecture et ça l’a réduit [...] La contradiction fait que si on suit ses 7 principes alors on crée une architecture référentielle car on se réfère à ses règles.” En visant l’autonomie d’une architecture, Olgiati semble former ses étudiants à être libres de leurs propres choix. Il cite, “je veux que les étudiants développent tous leurs projets par eux-mêmes”. Lorsqu’il dit cela, nous pouvons faire un parallèle avec notre propos d’avant. Aujourd’hui, nous construit dans une période où il n’y a plus d’idéal ou de morale fédératrice à exécuter alors les architecte doivent assumer leurs responsabilités et doivent faire face à leurs propres règles. La définition de l’architecture non-référentielle s’affine et s’éclaircit. L’oeuvre de Olgiati et l’enseignement qu’il opère auprès de ses étudiants relève d’une certaine autonomie de l’architecture. Son enseignement fournit aux étudiants un exemple intense de la manière de faire un projet qui a une certaine signification dans un monde qui ne veut plus d’une architecture significative. Elle est décontextualisée dans la mesure où l’origine de cette architecture n’est pas liée au site ou à ses alentours directement mais à une idée établie personnellement par l’architecte ou ici par les étudiants. En quelque sorte, c’est l’idée qui crée la non-référentialité. Néanmoins, l’architecture non-référentielle peut être référencée à travers des images utilisées pour leurs atmosphères et non pour leurs contenus.

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Conclusion Cette première phase vient alors contextualiser l’état présent de Valerio Olgiati. Répondre à notre problématique de comment Olgiati réussi-t-il à faire abstraction de la référence, c’est avoir compris au préalable l’origine de cette volonté. La non-référentialisation n’est pas une notion orpheline. Elle appartient à une mouvance contemporaine, fruit de la crise de la science moderne, de la puissance de la globalisation et d’une méfiance envers les théories unificatrices. Valerio Olgiati s’inscrit également dans une histoire familiale qu’il tente de contrer et dans un enseignement de l’analogie qu’il tente de poursuivre. Sa quête architecturale n’est pas esseulée et solitaire même si elle vise une radicalité. La référence analogique influence son processus, elle offre un point de départ qui lui n’est pas lié à l’Histoire ou à un contexte mais plutôt à une composition, un principe d’ordre. On pourrait croire que la référence amènerait l’architecte à être influencé toujours par les mêmes choses or la diversité des images de référence de Olgiati montre la diversité des interprétations de celles-ci et leurs indépendances. Néanmoins, l’on comprend déjà que la majeure partie de ses références iconographiques sont purement liées à l’architecture ce qui expliquerait la pureté architectonique de l’architecture de Olgiati. Le discours de ses étudiants nous a aidés à prendre conscience de l’importance de l’idée primitive au projet . Valerio Olgiati est un architecte visant une certaine indépendance, une certaine autonomie de la part de ses étudiants. Ces derniers définissent leurs propres règles. À ce stade de la recherche, la non-référentialisation n’est pas encore une théorie mais elle doit être comprise comme une réaction au passé de l’architecte et un comme le reflet de notre état présent. Maintenant, nous devons appréhender comment il définit une architecture pensée sans référentiel et par quels moyens il la rend constructible.

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Chapitre II Valerio Olgiati ou comment penser l’architecture non-référentielle

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Si, presque un siècle avant, Le Corbusier visait une nouvelle architecture1 qu’on appellerait le Style International1, nous devons désormais, à ce stade de la recherche, comprendre la vision nouvelle de l’architecture qu’adopte Valerio Olgiati, l’architecture non référentielle. Dans cette deuxième partie, son écrit servira de support à la recherche. Nous serons amenés régulièrement à faire des va-et-vient entre son propos et nos hypothèses de recherches. Le livre Architecture Non-Référentielle est une conversation entre Valerio Olgiati et Markus Breitschmid puis rédigé par le bureau théorique et d’architecture de ce dernier. Dans la préface, Olgiati marque le pas en instaurant les deux débats que son livre met en lumière. Nous venons de répondre au premier débat consistant à comprendre en quoi le monde d’aujourd’hui peut-il être qualifié de non-référentiel ainsi que l’architecture qui s’en découle. Deuxièmement, Olgiati parle aux architectes qui construisent et leur “offre une fondation pour concevoir une architecture non référentielle dans un monde non référentiel”2 sans qu’elle devienne une base stylistique. En effet, le livre échappe au style, il est lui-même, par sa forme, une non-référence et instaure une ambiguïté de l’auteur. Aucun document graphique, aucunes notes de bas de page ne sont présents. En rupture avec la théorie moralisatrice à suivre en architecture, Olgiati ne dit pas ce que nous devons et ne devons pas construire. Ils tentent d’articuler une compréhension de la manière dont l’architecture contemporaine peut se construire dans notre société. Voilà ces 7 principes.

1. Le Corbusier, Vers une Architecture (Paris: G. Crès et Cie, 1923)

2. Breitschmid (Markus), Olgiati (Valerio), Non-Referential Architecture, Zürich, Park Books, 2013, p.8

2.1 L’expérience de l’espace

2.1.1Une conception de l’architecte

L’expérience spatiale en soi, est quelque chose qu’une personne rencontre et ressent lorsqu’elle entre dans un espace ou lorsqu’elle regarde une architecture de l’extérieur. Cette expérience est en réalité le fruit du travail de l’architecte : il la pense, il la projette et il la construit. Or son propos interpelle au moment là où l’on penserait que l’expérience est relative à chacun et donc subjective, lui, la conçoit comme un phénomène objectif et universel. “La spatialité confère aux bâtiments une validité subjective universelle par leur présence. Je considère l’expérience spatiale comme une base pour créer une

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3. Idem, p.58 (traduction personnelle)

architecture”3. En d’autres termes, cette conception de l’expérience de l’espace doit être issue d’une intention forte. L’architecte doit avoir une connaissance précise de ce qu’il cherche à procurer au visiteur et de ce qu’est de vivre dans une certaine pièce. Dans le cas contraire, l’habitant peut avoir une autre vision et peut ne pas se reconnaître dans le projet. Sans intention spatiale, l’architecture perd un de ses rôles majeur sur les personnes. Or comme le monde non-référentiel ne délivre plus aucunes règles à suivre, c’est alors à l’architecte seul de définir son intention pour un espace donné. Il doit en être l’auteur. L’architecture non-référentielle est une architecture dont le sens est donné par l’architecte et non par le lieu. 2.1.2 Comment définir une intention architecturale ? Alors, l’architecte non-référentiel est un créateur d’expérience spatiale et d’imaginaire pour les gens. Il formule physiquement des formes, des matérialités, des lumières, des textures et le tout vise à engager les sens des personnes. Cette intention se traduit sous la forme d’une idée à travers laquelle il va en déduire une intention qui sera la colonne vertébrale de l’entièreté du projet. Valerio Olgiati nous explique qu’il sait en avance quelle expérience spatiale sera déclenchée lorsque l’habitant du lieu rentrera dans l’un de ses projets. Ici, on y voit déjà la volonté d’une expérience intellectuelle qui tend à éloigner le rapport du projet au référentiel. Le site n’est plus le point de départ mais c’est l’idée. 2.1.3 L’expérience spatiale, une expérience cognitive Olgiati complète la définition de l’expérience spatiale par l’expérience cognitive c’est-à-dire celle acquise par nos propres connaissances. En d’autres termes, expérimenter un espace, c’est le faire selon deux plans, le plan physique soit l’expérience immédiate et le plan intellectuel soit l’expérience cognitive. L’expérience cognitive dépend de notre histoire, de notre vécu et de nos propres expériences passées. L’expérience de l’espace nous rend créatif. Une architecture qui ne serait que sensitive exclut le visiteur, il le laisse seul face à ses émotions. Son architecture joue alors sur ces deux plans dialoguant de manière synergique. Mais alors si l’expérience cognitive entre dans le processus de l’expérience spatiale, il faut se demander si être non-référentiel n’atteint pas une limite du moment que nous percevons l’espace à

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travers un référentiel mémoriel. Prenons l’exemple de l’installation The experience of Space que propose Valerio Olgiati à la Biennale d’Architecture de Venise en 2018 (figure 1 et 2). Dans la salle de la corderie de l’Arsenal, Olgiati pense un espace dans l’espace à l’aide d’une série de colonnes blanches. Ces dernières son positionnées de façon à ce qu’il y est peu d’espace pour circuler librement entre elles. Néanmoins, l’expérience se veut immersive. Il fait de la colonne un générateur d’expérience spatiale venant contraster avec les colonnes existantes. Ici, l’étrange vient informer le familier. De loin, l’ensemble ne semble pas suivre un ordre clair mais l’observateur est actif dans l’expérience de l’espace car il est incité à comprendre ce qu’il a sous ses yeux. Au centre, les colonnes s’organisent selon un triangle et “l’expérience spatiale oscille entre une lecture émotionnelle et intellectuelle de ce nouvel espace” nous dit Olgiati. Il joue avec notre perception de cet élément architectonique. La colonne est-elle toujours un élément porteur, organisé et ayant une forme unique ? Valerio Olgiati provoque le familier (figure 3).

figure 1 : installation à l’Arsenal de Venise illustrant l’aspect désordonné des colonnes, photographie de Félix Michaud

figure 2 : plan de l’installation, l’ordre instauré se dévoile sous cet angle, Olgiati Archives

figure 3 : la colonne, champ des possibles formel (de gauche à droite) 1.Parthénon, Athènes 2.Temple d’Athéna, Paestum 3. Casa Radulff, Rudolf Olgiati 4. Maison à Males, Peter Märkli 5. Maison à Trübbach, Peter Märkli 6. Pearling Site Museum à Bahreïn, Valerio Olgiati

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2.1.4 Des espaces non-référentiels, des espaces dissonants

4. Breitschmid (Markus), Olgiati (Valerio), Non-Referential Architecture, Zürich, Park Books, 2013, p.70

figure 4 : Interprétation personnelle d’un espace unitaire constitué d’espaces dissonants

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Il est question aussi, ici, de parler des relations entre les espaces d’un projet. Il reproche aux modernistes d’avoir créé une consonance spatiale uniformisant les espaces. Or Olgiati affirme que l’architecture non-référentielle, “ne vise pas la consonance, au contraire, d’un espace à un autre, elle requiert une pause dans le sens d’une césure”4. Illustrons alors le sujet de notre propos avec le plan ci-contre (figure 4). On considère des pièces dissonnantes d’un habitat dans la mesure où elles possèdent des proportions et des échelles différentes. Il y aurait une procession entre chacune d’elle. Néanmoins l’usager reste dans un même ensemble. Nous verrons plus tard comment Olgiati construit une certaine autonomie de la forme générale d’un édifice. Cependant, on peut déjà admettre que les pièces constituants le tout se veulent aussi indépendantes et autonomes. Il nous est d’ailleurs déjà arrivé de ne pas comprendre notre parcours dans un lieu inconnu. Dès lors, nous essayons d’établir des connexions spatiales dans notre esprit. L’architecture non-référentielle cherche une contradiction spatiale mais au sein d’un tout unifié. Cependant, comme l’architecture doit être à l’image de notre monde, un monde dissonant, constitué de multiples idéologies et d’infinies possibilités Valerio Olgiati va plus loin dans sa démarche. L’expérience spatiale doit être dissonante elle aussi. Être non-référentielle, c’est alors établir des ruptures contradictoires et séquencées qui dans la finalité stimulent la perception du visiteur. Les espaces se décomposent en quelque sorte selon nos rituels quotidiens.


2.1.5 Privilégier la forme sur la matérialité En dernier lieu de ce principe, Olgiati semble considérer que la construction d’une expérience spatiale va au-delà de la matérialité. Or admettons que nous avons été souvent confrontés à des expériences spatiales liées à leurs matérialités comme par exemple l’atmosphère chaleureuse d’un chalet de montagne en bois. Mais dans un chalet, n’est-ce pas la présence unitaire du bois qui crée l’expérience de la pièce dans laquelle on se trouve ? En effet chez Olgiati, l’expérience spatiale et le choix d’une matérialité unique semble être indépendante lorsqu’il dit qu’une “complexité spatiale suffisante peut être atteinte avec toutes les matérialités. Cependant, il est plus facile d’atteindre la complexité d’une pièce, ou même de l’édifice entier, avec une seule et unique matérialité”5. Autrement dit, l’expérience de l’espace doit vaincre celle de la matière. L’architecture non-référentielle se veut-elle au final une architecture immatérielle où la matière s’efface au profit de l’expérience spatiale ? Est-ce que cette persévérance à construire une expérience spatiale, la plus complexe qui soit, plutôt que construire un bâtiment au sens matériel n’est pas une première réponse à la construction de l’abstraction ?

5. Idem, p.71

2.2 L’unité 2.2.1 Architecture d’addition, architecture de division Le deuxième principe introduit par Olgiati est celui de l’unité dans l’architecture non référentielle. Sa conception de l’architecture vise à partir d’une entité que l’on viendrait diviser jusqu’à ce qu’elle fonctionne en tant que projet. Prenons l’exemple d’un volume en béton plein que l’on viendrait creuser et sculpter pour atteindre une pureté matérielle et l’indivisibilité de cette masse. Cette dernière s’assimile à l’essence du projet ou ce qui ne peut plus être divisé. Dès lors, Olgiati oppose une “architecture d’addition” (figure 5) à une “architecture de division” (figure 6). Mais en quoi ce processus est-il non-référentiel ? Valerio cherche l’essence de l’architecture. À nouveau, ce besoin d’unité résonne avec la société actuelle. Une société qui est devenue, les dernières décennies, polyvalente, globale et sans références. À l’époque moderne, l’unité d’un bâtiment pouvait relever d’une appartenance à une idéologie, à une croyance ou encore à une appartenance à un mouvement. Les projets étaient alors l’expression du

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6. Id, p.72

monde au sein duquel ils étaient construient. Désormais, n’est-il pas question que les bâtiments doivent exister pour et par eux-mêmes. Ils sont comme des machines indépendantes et autonomes qui se suffisent à elles-mêmes, des entités. Voilà une définition de l’unité pour l’architecte non-référentiel, “un bâtiment est formellement un organisme dans lequel tous les éléments sont les sujets de l’idée directrice du projet”6. On peut faire l’hypothèse que l’unité n’existe qu’en présence d’une idée directrice pour concevoir un projet. Tous les éléments architectoniques sont alors déduits de l’idée directrice du projet alors le résultat ne peut être qu’un tout unitaire fort et non l’addition d’éléments pouvant rendre le projet instable.

figure 5 : illustration personnelle de l’architecture d’addition

figure 6 : illustration personnelle de l’architecture de division

2.2.2 Une unité pensée auparavant Le monde non-référentiel exige un cadre différent afin de concevoir un espace. Par exemple, ces dernières années, les architectes ont proposé une approche phénoménologique de l’architecture par un foisonnement de matérialités. Les bâtiments actuels sont de plus en plus conçus comme des additions, autrement dit comme des collages de matérialités différentes accompagnées chacune de narrations et de récits permettant à l’habitant de s’approprier un espace et donc de le comprendre.

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À l’inverse, le constat que nous pouvons faire est que l’unité matérielle blanche présente dans l’architecture moderniste et fonctionnaliste tend presque vers une neutralité de la matérialité (figure). Olgiati parle même d’une “perte de l’être” dans une “géométrie inhabitable”7. Ce qui explique cette évaporation du soi s’explique par la prédominance de l’utilité de fonctionnalisme. Avec du recul, on peut voir des similitudes entre modernisme et architecture non-référentielle dans la recherche de l’essentiel. Quelques années après le modernisme, il y a un demi-siècle, Peter Eisenman a initié sa vision décconstructiviste prônant l’existence de significations contradictoires en architecture et où la “forme serait perceptible simplement à l’intérieur d’une matrice de différences”8. L’architecture décontructiviste et l’architecture non-référentielle ont en commun un jeu constant avec l’unité. Respectivement, la première vise à fracturer et à diviser l’unité d’une forme créant un nouvel espace. Alors que l’architecture non-référentielle cherche à conserver avec effort l’unité de l’objet architectural. Nous pouvons admettre ici que l’unité peut être perçue comme un point de départ du projet, un objectif, puis une méthode et pour finir une finalité.

7. Id, p.78

8. Id, p.79

2.2.3 Un tout organique Dès lors, si créer une unité architecturale est perçue comme une méthode, c’est parce que concevoir la spatialité comme une unité a des conséquences directes sur l’existence d’un bâtiment. L’unité a des impacts sur la forme, la construction et la matérialité de la forme d’un projet. Le bâtiment existe par lui-même. Il est le résultat d’une idée propre à lui. Mais il existe aussi pour lui-même car il veut raconter sa propre histoire, “les bâtiments d’architecture non référentielle s’orientent également vers l’absolu”9. Olgiati accentue son propos sur cette notion par l’idée originelle qui le hante. D’un point de vue physique, c’est l’idée qui va faire du bâtiment une unité, le bâtiment devient un organisme, il ne devient qu’un. Ce dernier est construit comme une unique entité sans joints de construction, sans pièces et avec un seul matériau. Jacques Lucan fait le lien avec l’explication de l’architecte américain Frank Lloyd Wright “Organique signifie que la partie est au tout comme le tout est à la partie”10. L’architecture pensée comme un organisme lie alors tous les éléments dont elle est constituée, elle entre dans un rapport de réciprocité.

9. Ibidem, p.79

10. Wright (Frank Lloyd Wright) “The Language of an Organic Architecture” in L’Avenir de l’architecture, Paris, 2003 (traduction de The Future of Architecture, New York, 1953), p.559

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L’architecte non-référentielle cherche à libérer ses œuvres à la fois formellement, matériellement et constructivement de toutes significations externes. Les libertés qu’ouvrent l’architecture non-référentielle impliquent néanmoins des interrogations sur le bâtiment et ses pièces. Qu’y a-t-il à l’intérieur ? Quelle est la limite de l’extérieur avec l’extérieur ? Qu’est-ce vraiment un toit, une fenêtre, un jardin ? On remet en question les éléments architectoniques dans le but d’atteindre quelque chose de nouveau, libéré des références, des images et des symboliques qui renverrait par conséquent à une référence connue. 2.2.4 Comment édifier structurellement l’unité ? Si il y a une remise en question des éléments architectoniques, alors on remet en question la limite entre le sol, le seuil, la limite, la façade, etc. Sol et élévation ne feraient plus qu’un ? Olgiati nous perturbe dans la lecture d’un espace. La limite devient abstraite à tel point que le visiteur est dans une perpétuelle introspection physique dans l’espace non-référentiel. Aussi, construire tous les murs et les planchers d’un bâtiment de la même épaisseur renforce de plus l’unité d’un bâtiment. Dans la verticalité, si tous les étages ont la même hauteur sous-plafond, le bâtiment peut être vu comme une entité unitaire et non comme un empilement d’étages individuels. Or, si les hauteurs des pièces du rez-de-chaussée et des étages supérieurs sont différentes de celles des autres étages, un bâtiment devient une addition de plusieurs parties et donc l’inverse d’être non-référentiel. Cependant nous pouvons faire un constat contradictoire entre le principe de l’unité et celui de l’expérience de l’espace. Le premier tend vers un tout unifié et unitaire alors que le deuxième, comme nous l’avons expliqué précédemment tend vers une dissonance des espaces. Comment pouvons-nous percevoir l’unité d’un bâtiment dans la mesure où les espaces intérieurs sont pensés comme des entités dissonantes ? Par exemple, considérons les deux coupes fictives ci-contre. Créer différentes hauteurs sous plafond dans un même projet et dans un même espace pourrait nous faire penser que le projet est constitué de plusieurs sous-parties et donc d’une addition d’éléments. Les espaces sont pensés davantage en fonction de leurs fonctionnalités. L’addition s’éloigne du principe de l’unité recherché (figure 7). Dans l’autre cas, les pièces sont indépendantes, autonomes

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et dissonantes entre elles (figure 8). Et pourtant, elles font partie d’un tout unitaire. Cette deuxième coupe implique la création d’une enveloppe plus ou moins épaisse empêchant de l’extérieur de lire ces variabilités spatiales. Pour conclure, nous comprenons que Olgiati conçoive ses espaces comme des éléments au service de l’idée originelle du projet et non issus d’un choix personnel. Les murs deviennent des cadres génériques tenant dans l’espace et permettent de passer de l’idée à la construction. Aussi, concevoir un projet comme une unité forte et radicale implique une certaine notion de liberté et de nouveauté constructive. Cela nous amène vers le troisième principe.

figure 7

figure 8

2.3 La nouveauté 2.3.1 Un principe délicat à accomplir Si Olgiati parle de nouveauté comme principe non référentiel, elle fait écho à une architecture qui tente de se construire à partir de rien. Il cherche à partir du vide ou d’une page blanche. La réalisation de quelque chose de nouveau peut alors s’envisager. La nouveauté, Olgiati l’a définit comme la qualité de quelque chose qui n’a jamais été présente dans la vie de personnes et qui a “le pouvoir d’éveiller le pouvoir d’imagination et de les captiver”11. Dans notre imaginaire,

11. Breitschmid (Markus), Olgiati (Valerio), Non-Referential Architecture, Zürich, Park Books, 2013, p.85

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l’idée de nouveauté donne à penser une volonté d’être progressiste et d’être réactionnaire face à ce qui existe mais ici nous devons le voir comme la préconisation qu’un bâtiment peut incarner un monde possible, en provoquant et en invitant le spectateur à voir l’architecture comme quelque chose qui n’était pas présent auparavant et qui ouvre alors un horizon de possibilités.

12. El Croquis 156 - Valerio Olgiati 19962011, El Croquis 2011, p.24

Dans une interview, Olgiati admet que la nouveauté est complexe à atteindre “J’ai pris conscience que je n’arrivais pas vraiment à concevoir quelque chose de nouveau tout le temps car plusieurs obstacles tels que la tradition ou ma propre personnalité demeurent dans la conception de quelque chose de nouveau chaque fois”12. En effet, il faut comprendre que contrairement à l’œuvre vernaculaire de Rudolf Olgiati, la vision de Valerio Olgiati diffère. Il cherche à se détacher à la fois de la construction traditionnelle suisse qu’on lui a inculquée, des références familiales or cette tâche n’est pas simple. Nos actes du présent sont généralement le résultat des actes du passé. Ici, la nouveauté est complexe pour Olgiati car lors de l’élaboration d’un projet, lui-même est déjà inscrit dans un contexte et un référentiel. Il espère qu’une idée qu’il aurait formulée pour un projet ne se retrouve pas dans un autre projet ou qu’il ait traité suffisamment une idée architecturale au point que la conception en découlerait trop facilement. Il peut y avoir une perte de magie et d’attrait dans la répétition de l’existant. Aussi, projeter la nouveauté est pour lui une des plus grandes vertus de son architecture car elle a un impact sociétal. Elle rend la société créative. Or ce principe est aussi difficile du fait que l’architecte peut avoir une nouvelle idée mais qu’il ne trouve pas le projet qui réponde à cette idée. Dans le cas contraire, Valerio Olgiati appréhende aussi l’instant où le projet deviendrait trop évident par rapport à son idée de départ. En définitive, ce principe est difficile à accomplir sur trois niveaux : se détacher entièrement de son passé, être innovant dans l’idée originelle du projet et ne pas céder au danger de la répétition de l’idée. Vouloir atteindre la nouveauté n’est-elle pas une notion tendance dans notre société ? On se demande ici comment un architecte opère-t-il dans une société où l’ambition de l’architecture est de toucher les gens et d’éveiller en eux une quête intellectuelle ? Peut-on créer quelque chose de nouveau qui ait encore un sens aujourd’hui ?

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2.3.2 Être nouveau, engager créativement l’observateur Si il y a un besoin de nouveauté en architecture actuellement, c’est pour qu’elle crée un conflit et cela a déjà existé dans le passé. Nous parlons de conflits comme la transition entre ce qui a existé, ce qui existe et ce qui existera en architecture. C’est dans cette relation entre le présent et le futur que la nouveauté prend sa place. La discipline doit provoquer l’éveil des gens en les provoquant dans le présent et dans la normalité. Le désir de nouveauté a augmenté, ces dernières années, dans le monde non-référentiel. Les bâtiments, dans le sens où ils n’existent qu’à travers eux-mêmes en étant auto-référentiel, n’ont pas d’autres choix que d’être viables indépendamment. L’indépendance architecturale, ici, n’est pas à comprendre comme un bâtiment solitaire spatialement mais plutôt comme une qualité essentielle pour un projet d’architecture car l’architecture ne s’appuie désormais plus sur aucune idéologie donnée à un moment donné. Cette indépendance et cette libération font des projets des nouveautés. À travers la nouveauté, les édifices ont le pouvoir de modifier les attentes des gens, leurs points de vue. L’analyse de l’architecture d’aujourd’hui se fait à travers elle et l’on peut alors comprendre finalement en quoi elle peut interagir avec les personnes qui la côtoient. Il est vrai que beaucoup d’édifices, encore, trouvent leurs justifications seulement par leurs appartenances à une idéologie, à une école de pensée, etc. Par l’intermédiaire des revues, des académies et des écoles, il y a une promotion de certaines formes idéologiques. Ces adhésions à des idéologies précises, comme nous l’avons déjà souligné, n’ont plus de caractères universels dans notre monde non-référentiel dans la mesure où elles sont multiples. L’architecte doit assumer sa responsabilité de concevoir quelque chose qui est pourvu de nouveauté pour développer la créativité des gens, les attirer et les interroger. Si un édifice ne nous engage en rien, alors rien ne nous retient à rester devant ou à l’intérieur de celui-ci. En définitive, avoir une posture propice à la nouveauté, c’est alors établir un dialogue entre la société et le bâtiment.

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2.3.3 Être nouveau, être à la mode D’après la théorie de Olgiati, nous mettons en avant un besoin de faire du nouveau que dans le domaine architectural d’aujourd’hui. Or, si l’ensemble de la discipline vise la nouveauté alors la nouveauté n’est plus nouvelle et devient alors un mouvement et une idéologie actuelle. Cette hypothèse va à l’encontre des principes de l’architecture non-référentielle. Nous faisons face à une contradiction. Il est vrai que la nouveauté est liée à la notion de fashion et d’un certain style de vie. Elle fournit un moment positif, un moment d’inspiration et de créativité sur les gens et c’est dans la manière d’être nouveau que le rôle de l’architecte prend son sens. Il doit penser de l’avant sans cesse car en définitive la nouveauté n’est pas quelque chose d’intemporel, elle disparaît rapidement. En d’autres termes, l’architecture non-référentielle cherche à devenir un objet universel et non ancré dans le temps mais la manière d’y arriver soit par la nouveauté, elle, n’est pas intemporelle. En quoi alors un édifice nouveau peut temporairement engager une personne intérieurement et de manière créative ? En d’autres termes, l’architecture doit comprendre les courants sociétaux dans lesquels elle s’écrit afin de pouvoir évaluer le degré de nouveauté qu’elle doit engager pour rendre les gens créatifs. Ce processus de nouveauté augmente avec la société médiatique, digitale, consommatrice qui permet à tout le monde de voir l’architecture instantanément.

13. Idem, p.93 (traduction personnelle)

2.3.4 “La nouveauté en architecture est issue de l’architecture en ellemême”13 Comment peut se manifester la nouveauté ? D’après Valerio Olgiati, la nouveauté doit se manifester de façon formelle et non historiquement ou symboliquement. En effet, il s’agit de l’effet visuel direct d’une forme alors inconnue qui provoque la sensation de nouveauté. En tout cas de prime abord. La nouveauté va alors utiliser l’expérience de l’espace pour exister et se révéler. Et comme dit précédemment, l’architecte non-référentiel formule physiquement une expérience spatiale à travers des formes architectoniques fortes. À l’inverse, l’importation de notions extérieures à la discipline ne permet pas d’atteindre la nouveauté en elle-même ou alors elle sera une nouveauté de mauvaise qualité. Aussi, si la nouveauté en archi-

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tecture est issue de l’architecture en elle-même et que l’architecture est issue d’un architecte en lui-même alors nous pouvons conclure que la nouveauté est issue avant toute chose de l’architecte considéré comme un auteur. Comme le précise Olgiati, “sans nouveauté, même l’œuvre d’architecture la plus aboutie qualifiera son créateur de technicien mais pas d’architecte”14, c’est-à-dire que l’architecte se doit d’être perpétuellement dans une posture novatrice et se demander ce qui n’a encore jamais existé sous une quelconque forme. Il est aussi important de relier ce principe aux propos de Jacques Lucan, qui regarde l’état présent de l’architecture. Il évoque une disparition de l’architecture traditionnelle et académique. L’architecte actuel tend vers une une nouveauté, une autre architecture15. La nouveauté implique un nouveau point de départ et donc un éloignement d’un quelconque référentiel présent. Aldo Rossi évoque aussi son rapport à la nouveauté dans son Autobiographie scientifique. Il y a un lien avec la définition que Valerio Olgiati nous énonce. Chez Rossi, la nouveauté n’est pas synonyme d’une forme architecturale nouvelle ou de nouveaux moyens constructifs. La nouveauté est une réapparition anachronique (qui est décontextualisée de son époque) d’un élément qui est familier à l’architecte et qui apparaît d’une façon non familière.

14. Id, p.95 (traduction personnelle)

15. Lucan (Jacques), Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romande, 2016, p.231

2.4 La construction Dans son rôle d’architecte, Valerio Olgiati se questionne sur l’aspect constructif de ses propos. Il est question maintenant d’éclaircir la manière dont il fait l’usage des matériaux dans son architecture. En corrélation avec le principe précédent de l’unité, nous émettons l’hypothèse que sa posture ne vise pas à considérer des matériaux mais plutôt un matériau. Pourquoi ? Car l’architecte non-référentiel est à la recherche d’une cohérence absolue de son œuvre. On peut dire que son but est presque de faire disparaître la matière. 2.4.1 Purifier la lecture Une multiplicité des textures, des teintes, des essences ou des matérialités peut nuire à la lecture unitaire d’un bâtiment. L’architecte non-référentiel veut épurer au maximum le résultat final. Sa démarche est de libérer toutes les connotations sémantiques de

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l’édifice, c’est-à-dire toutes les analogies que nous pourrions faire personnellement ou toutes comparaisons avec d’autres œuvres que nous avons préalablement vues. Il y a alors une mise à distance du spectateur par rapport à l’œuvre. Ce dernier est intrigué mais libre, il est libre dans ses pensées et libre d’imaginer car l’architecte lui, ne lui impose aucunes connotations. La construction dans l’architecture non-référentielle a donc un impact sur le l’observateur et sur la façon d’observer un bâtiment. 2.4.2 Une formulation de l’architecte Aussi, le choix de matérialité que l’architecte fera, doit révéler une démarche personnelle, claire et radicale. La matière doit être déduite de l’idée originelle du projet. Selon Olgiati, cette idée est à l’origine du projet et tout ce qui suivra ne sera que déduit de cette idée. Par conséquent, le bâtiment peut perdre de sa cohérence si l’intention première n’est pas bien définie par l’architecte. Ce dernier peut faire preuve aussi d’un manque d’habileté dans ses compétences et dans les connaissances matérielles qu’il a. Si l’idée est semblable à une langue que parlerait un architecte, alors la matérialité est quant à elle comparable au ton que celui-ci va lui donner. En d’autres mots, la matérialité va apporter une qualité formelle au tout. 2.4.3 Un concept structurel initié par l’architecte

16. Breitschmid (Markus), Olgiati (Valerio), Non-Referential Architecture, Zürich, Park Books, 2013, p.104

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Lorsque nous évoquons la construction d’un bâtiment, cela résonne avec sa statique et sa structure. Ces trois notions se réfèrent à un concept structurel. Dans le monde actuel, nous observons de nombreux bâtiments qui sont conçus simplement comme une forme ou une enveloppe et alors sans concept structurel. Or, il est difficilement possible de travailler avec une idée architecturale cohérente et ferme sans connaître le concept structurel spécifique d’un bâtiment. Ce dernier doit être conçu par l’architecte. Il est fondamental de le penser dès le début du système de commande architecturale lorsque l’architecte donne un ordre à son idée de bâtiment. La relation entre l’architecte non-référentiel et l’ingénieur est quelque peu modifiée. L’architecte ne doit plus se contenter de laisser répondre l’ingénieur au concept structurel et à ce dernier de le “faire fonctionner”16. Le résultat peut être insatisfaisant car d’une part il n’est plus du rôle de l’architecte et d’autre part il dévoile deux discours différents : celui


de l’architecte d’un côté et celui de l’ingénieur de l’autre. L’unité ne peut pas exister si la structure n’est pas intégrée dès le départ dans l’ordre architectonique. Le concept structurel doit être dans le système de commande au même rang que la forme, les pièces et les matériaux afin que le tout forme un tout organique. L’ingénieur, lui, a la main mise sur l’emplacement et le dimensionnement exact des éléments de construction, mais pas sur le système structurel en tant que tel. En d’autres termes, l’architecte conçoit le système structurel d’un bâtiment lorsqu’il conçoit un bâtiment. 2.4.4 Le béton, matérialité non-référentielle ? Valerio Olgiati affirme “J’utilise le béton pour presque tous mes projets. Ce matériau me permet de couler une idée dans la pierre sur place. En moulant ainsi une forme, je donne à mes bâtiments une nature organique, tout le contraire du modulaire.”17 Ici encore, on devine sa volonté d’atteindre une matérialité absolue qui l’amènerait vers une abstraction jusqu’à rendre ses architectures mystiques. L’idée, si fondamentale qu’elle soit, doit se figer dans la matière. Intéressons nous au deux schémas suivants (figure 9). L’édifice de gauche présente plusieurs parties dans le tout, une à la base, une pour le tronc et une dernière pour le chapiteau. Ces parties se distinguent non pas par une différence de matériau qu’est le béton mais par des teintes différentes. Notre perception de l’édifice est décomposée et n’est pas celle d’un ensemble unitaire et interdépendant. Tandis que l’édifice de droite correspond au principe de l’architecture non-référentielle. La tour semble être coulé dans un seul et même béton rendant l’ensemble organique comme un corps solide.

17. Olgiati (Valerio), Une conférence de Valerio Olgiati, 2011

Par modulaire, Olgiati fait allusion à ce que nous avons vu précédemment, il confronte une architecture d’addition et donc la construction de modules contrairement t à l’architecture de division qui est la sienne et qu’il vise. Le béton répond alors à ses attentes. Il serait incohérent de construire en béton coulé sur place, un bâtiment basé sur une forme modulaire et composite. La brique peut répondre à cette intention or il serait là aussi incohérent de choisir la brique pour des formes ondulantes et irrégulières. Plus tard, nous confronterons l’utilisation unitaire du béton dans les œuvres de l’architecte d’étude et en quoi elle répond à une certaine abstraction et à une autonomie vis-à-vis du contexte.

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figure 9

2.5 La contradiction Dans quelle mesure, l’architecture non-référentielle s’appuie-t-elle sur la contradiction comme principe ? Commençons alors par définir cette notion. La contradiction implique de prime abord deux parties ou plus qui se nécessitent l’une et l’autre mais pas nécessairement l’une et l’autre en même temps. Aussi, la contradiction n’est pas le synonyme d’une opposition entre deux parties ou plus ni d’une dualité absolue entre deux entités, noire ou blanche, mais la contradiction est à voir plutôt comme quelque chose dans lequel ces deux entités interagissent simultanément. La contradiction ne nécessite pas non plus d’ajouter une tierce partie qui viendrait contraster avec les deux autres et alors produirait une interpellation. 2.5.1 Perturber la lecture interne de l’œuvre architecturale Selon Valerio Olgiati, la contradiction se développe essentiellement depuis l’intérieur d’une architecture. On émettra l’hypothèse dans la suite du mémoire que si un projet devient non-contextuel, c’est parce qu’il crée son propre référentiel, un référentiel intérieur. La contradiction engage un contraste entre l’extérieur et l’intérieur d’un bâtiment. Mais dans cette partie, il est question de la contradiction dans la compréhension des éléments architectoniques. Lorsque nous faisons face à une spatialité, nous sommes contraints, dans le processus d’analyse, à nos antécédents.

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Rudolf Arnheim a théorisé l’aspect visuel de l’architecture et il admet qu’il est impossible pour l’Homme de voir dans sa totalité une oeuvre architecturale, or “en raison de cette limitation de la vision, l’esprit humain doit, pour appréhender un objet tridimensionnel dans sa totalité, dépasser l’information obtenue à partir d’un quelconque angle spécifique”18. Prenons l’exemple d’une colonne qui nous 18. Arnheim (Rudolf), Dynamique de la est familière. La perception de l’un de ses côtés nous invite instinc- forme architecturale, Architecture + Recherches, Pierre Mardaga, 1977, p.115 tivement à percevoir la partie non visible de cette colonne et donc l’entièreté de l’objet (figure 10). Alors l’esprit reconstitue une image tridimensionnelle de l’édifice. Il est courant de penser que le processus d’analyse se déroule sans effort, à tel point que l’on peut aussitôt arriver à une conceptualisation de l’espace total. Maintenant la même personne observe du même point de vue une colonne qui dans sa partie non visible n’est pas familière (figure 11). Alors une contradiction visuelle s’opère. La conceptualisation est faussée. En tant que spectateur d’une architecture, nous devons arpenter les angles de vues et tourner autour de l’œuvre pour élargir notre perception Vectorworks Educational Version de sa totalité. L’observateur est actif dans la contradiction spatiale. Cette dernière est contrôlée par la créativité de l’architecte et par ses compétences. “Je suggère qu’il est important que vous, en tant qu’architecte, compreniez clairement avec vos facultés mentales, que lorsque vous concevez un projet, celui-ci n’est pas entièrement compréhensible par l’intellect du visiteur. Les facultés mentales du visiteur sont incapables de conceptualiser ce qu’il vit.”19 19. Olgiati (Valerio), Breitschmid (Markus), Non-Referential Architecture, USA, Park Books, 2013, p.105

figure 10

figure 11

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2.5.2 La contradiction, engager créativement l’observateur De prime abord, une contradiction implique une différence, une fissure ou une césure entre deux entités, un désaccord apparaît dans l’imaginaire de tout un chacun. Or, en tant que spectateur nous essayons toujours de conceptualiser ce que l’on voit. En effet, faire face à une contradiction implique que l’on essaye de se rattacher à ce que l’on connaît, à ce que l’on comprend. Nous souhaitons toujours comprendre l’inconnu. Par conséquent, la contradiction stimule la créativité des gens. Comme l’architecture doit avoir comme but de rendre les gens créatifs et développer leur imagination alors on peut dire que la contradiction sert à donner du sens à l’architecture. Olgiati tente ici de répondre à une question ; en quoi la contradiction s’ancre dans le processus didactique que l’architecture a sur les gens. Précédemment, nous avons compris que la contradiction dans l’architecture non-référentielle développait la créativité d’une part mais si elle est didactique aussi, c’est parce qu’une fois que le spectateur a résolu la contradiction à laquelle il faisait face, cette dernière devient acquise. Puis, l’architecte doit user de nouvelles contradictions pour alimenter cette créativité. C’est là que les notions de contradiction et de nouveauté interagissent. En d’autres termes, la nouveauté se nourrit de contradictions. 2.5.3 Une contradiction “étrange”, une architecture laide ?

20. Marchand (Bruno), « L’étrange, à la lisière du beau et du laid », in Le Visiteur, n°22, mars 2017, p.97-107

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Si l’architecte non-référentiel considère la contradiction du banal comme un principe clef de son processus, instinctivement, elle renvoie à son esthétisme. Une architecture étrange est-elle à la lisière d’être laide dans la mesure où elle s’éloigne de ce que l’on connaît et donc de ce qui nous rassure ? Sur cette question, Bruno Marchand, dans un article du Visiteur20, s’appuie sur le concept de Sigmund Freud de “L’inquiétante étrangeté”, dans Essais de psychanalyse appliquée concernant notre difficulté d’émettre un jugement esthétique dès lors qu’une œuvre n’est pas simple à décoder. Et Valerio Olgiati nous invite amplement à réfléchir sur ce sujet. Un sentiment de beauté n’est pas synonyme du fait de tout conceptualiser quelque chose, de tout cerner et de tout comprendre de l’objet, ici, d’une architecture. Mais il existe des interactions multiples entre imagination et conceptualisation. Dans la mesure où nous comprenons et où nous conceptualisons dans l’entièreté un projet d’architecture,


alors nous pouvons nous lasser et nous ennuyer. L’énigme esthétique disparaît. L’idée n’est pas non plus de créer des œuvres inaccessibles. L’expérience esthétique ne sera pas contrôlée. La marge de manœuvre sensorielle est donc étroite entre stimuler le spectateur et rendre le bâtiment totalement incompréhensible.

2.6 L’ordre architectonique Le sixième principe que Valerio Olgiati développe concerne celui de l’ordre. En d’autres termes, il explique comment l’idée originelle d’un bâtiment doit et peut prendre forme et toujours sans que cette idée ait un lien quelconque avec le contexte. Olgiati distingue deux façons de réaliser l’ordre, à savoir les méthodes inductives et déductives21. La première méthode permet d’obtenir un ordre à partir d’observations spécifiques c’est-à-dire qu’en fonction des éléments contextuels présents sur le site du projet alors notre méthode va être induite en fonction d’un certain référentiel. En revanche, l’approche déductive doit articuler l’ordre d’un bâtiment à partir d’une formulation originelle d’une idée. Seule la logique déductive correspond alors à celle de l’architecture non-référentielle. Elle est la seule qui a du sens.

21. Olgiati (Valerio), Breitschmid (Markus), Non-Referential Architecture, USA, Park Books, 2013, p.114

À ce stade du mémoire, on peut alors établir trois étapes dans la façon de concevoir une architecture non-référentielle. L’édifice final est déduit d’un ordre architectonique qui est déduit lui-même de l’idée. Le principe d’ordre devient alors le pont entre l’idée et la présence physique d’un bâtiment. L’ordre est donc bien une déduction de l’idée. Les moyens de construction qui forment la matrice d’un bâtiment sont ici des éléments architectoniques primaires à l’architecture : les murs, les ouvertures, les planchers, les toits, les ossatures, les colonnes, etc. Ces éléments vont être au service de l’idée et vont prendre forme dans la construction. Cette relation de causalité montre au fond que l’architecture qui fait fi du contexte n’est pas fortuite, issue d’un hasard ou encore gratuite. L’idée architecturale contrôle ainsi la réalisation physique d’un bâtiment de manière déductive. L’ordre architectonique est issue d’une intention qui est pensée clairement par l’architecte.

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2.7 Donner du sens Le septième et dernier principe énoncé par Olgiati pour atteindre une architecture non-référentielle implique sa manière qu’elle a à donner du sens. Comment peut-elle créer encore de la signification dans un monde vidé lui-même de ses propres significations. Olgiati suggère que le sens devrait être conceptualisé spécifiquement dans chaque projet en raison de l’absence de sens universels. C’est l’idée qui crée du sens au projet et non le contexte. 2.7.1 La signification de l’idée Nous comprenons qu’il existe une attention importante dédiée à l’idée dans la méthodologie de Olgiati pour se détacher du référentiel. Il s’agit d’une idée claire, compréhensible et convaincante pour l’architecte car il va s’y référer sans cesse. Nous avons détaillé plus tôt comment l’idée peut être vecteur d’une forme pour l’édifice. Il s’agit maintenant de parler de sens. L’idée est une intuition pour Olgiati. Il agit comme un auteur de livre qui commencerait son essai par définir le sujet de l’histoire qu’il va raconter, l’essence de son livre, l’essence de son architecture pour l’architecte. Chaque projet possède sa propre idée, sa propre logique interne. On peut se demander, dans notre propos si non-référentialisation rime avec non-signification ? Dans la mesure où les mouvements architecturaux et leurs règles se multiplient et dans le même temps s’affaiblissent alors on peut se demander en quoi une œuvre contemporaine en architecture peut encore avoir du sens si elle est indépendante et autonome et que dit l’architecture de Olgiati ?

“La signification de l’idée elle-même est ce qui est significatif. Cette réponse abrégée est entendue dans son sens le plus concret car l’idée en tant qu’idée, désormais entendue dans le sens de «ce qu’elle est», a reçu peu d’attention dans l’architecture plus récente. Une fois que l’on a compris que c’est l’idée qui doit être mise en avant par rapport à tous les autres idéaux éphémères, Olgiati a établi le terrain pour son architecture qui est centrée sur l’absolu.”22 22. Breitschmid (Markus), The Significance of the Idea, Sulgen, Niggli Verlag Archithese, 2012, p.63

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Cette citation nous informe sur sa manière de travailler. Son architecture est l’idée et l’idée est l’architecture. Il y a une réelle corrélation entre ces deux entités. L’idée est discutée, travaillée jusqu’à ce qu’elle fonctionne en tant que projet. L’idée crée une logique interne à l’édifice et cette logique renvoie à l’architecture de division que nous avons détaillé plus tôt. L’idée forme le tout, et souvent une forme géométrique dans son œuvre qu’il va ensuite diviser. 2.7.2 Une architecture d’auteur Olgiati vise un retour à l’architecte dont le rôle est d’être l’auteur d’une œuvre d’art. Nous vivons dans une société non-référentielle qui a activement tenté de ne croire en rien, de ne plus se baser sur des théories architecturales. Olgiati vise à ne travailler qu’avec peu d’acteurs dans la conception et son but est de pouvoir assumer intimement le chemin de son projet. De manière générale, nous sommes toujours en quête de trouver la vérité et un signification à ce qui nous entoure. Pour Olgiati, une architecture d’auteur est issue d’une idée qui se doit d’être intemporelle. Nous voulons donner du sens à ce que l’on voit. Cette volonté de donner du sens ne peut venir que d’un architecte seul. Olgiati est un architecte autonome comme un auteur de livre.

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Conclusion

23. Ionel (Andra), Non-Referential Architecture : ideated by Valerio Olgiati, written by Markus Breitschmid in Seasoned Modernism. Prudent Perspectives on an Unwary Past, p.258

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En définitive, les sept principes énoncés par Valerio Olgiati sont à percevoir comme des règles et des lignes de conduite qu’établit un architecte pour savoir dans quelle direction aller. L’expérience de l’espace, l’unité, la contradiction, la construction et la contradiction apparaissent comme des principes visant à faire de l’architecture une œuvre d’art, une expérience esthétique. L’architecture non-référentielle est une architecture qui se perçoit à travers une observation pure, conceptuelle et imaginative. Elle ouvre un dialogue avec l’usager. L’architecture non-référentielle parle d’architecture avant tout c’est-à-dire d’elle-même et n’est pas le reflet de données extra-architecturales. Elle est créatrice d’espace. “L’appel à l’universalité et à l’autosuffisance de l’expérience esthétique est la pensée principale que sous-tend l’architecture non référentielle. La principale source d’inspiration de l’architecture est la problématisation de ce que signifie la création d’un espace”23. Dès lors, notre troisième partie va tenter de répondre à notre hypothèse. Si l’architecte non-référentiel n’arrive pas à faire fi totalement de la référence, comment les édifices de Olgiati tendent à devenir des œuvres artistiques, esthétiques et abstraites.


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Chapitre III Déclinaisons référentielles ou comment tendre vers une abstraction architecturale

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“J'admets que c’est un dilemme auquel je fais face tous les jours. Je n’ai pas encore été apte à construire un bâtiment entièrement non-référentiel. À la fin, mon architecture est en quelque sorte une abstraction. Je voudrais dire que mes bâtiments sont des abstractions mais qu’ils rencontrent des contradictions.”1

Avant de poursuivre notre recherche, nous nous devons de définir la notion d’abstraction en architecture. Dans le langage courant, “faire l’abstraction de” signifie d’être capable de s’opposer aux faits concrets et à une réalité vécue2. Dans le domaine de l’art, l’abstraction s’insère dans le mouvement du suprématisme érigé par Malévitch, dès 1915. La peinture abstraite concentre notre attention sur la seule composition de formes, de traits et de couleurs sur un plan. L’art abstrait renvoie à des formes non figuratives, et non narratives. Comme en peinture, l’architecture abstraite, elle, semble chercher à se défaire de toutes significations vis-à-vis de la réalité et à ne rien évoquer d’extérieur autre que la forme architecturale elle-même. L’architecture sera abstraite là où elle se détache de toutes dimensions externes (fonction d’un bâtiment, sa signification politique, sociale ou religieuse, etc.) Elle cherche l’essence de l’architecture. Une architecture abstraite ne donne un sens que par sa forme. En faisant cette déclaration, Valerio Olgiati nous amène vers la dernière phase de notre recherche. Il semble appréhender sa posture par le chemin de l’abstraction. Elle devient une solution au problème de la référence. En effet, en voulant se déconnecter du passé et des traditions, il tend à arriver vers une architecture nouvelle, pure et née d’une idée sans origine mais il fait face à un dilemme. C’est ainsi qu’il distingue l’invention de l’abstraction. L’invention cherche à se détacher de toute référence et se veut comme une architecture purement inventée dont l’origine formelle est méconnue. Elle est l’objectif de l’architecture non-référentielle. Quant à l’abstraction, elle est issue d’un point de départ, d’une généalogie, d’une jonction avec le référentiel du projet, mais réinterprétée “L’abstraction est toujours le discours d’une origine qui s’est ensuite transformée”3.

1. Breitschmid (Markus), “Valerio Olgiati’s ideational inventory”, in El Croquis Valerio Olgiati (1996-2011), n°156, Madrid, 2011, p.17 (traduction personnelle)

2. Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition

3. Breitschmid (Markus), “Valerio Olgiati’s ideational inventory”, in El Croquis Valerio Olgiati (1996-2011), n°156, Madrid, 2011, p.16 (traduction personnelle)

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Ainsi, il nous interroge. Comment la construction d’une abstraction lui permet de tendre vers une architecture non référentielle ? Comment l’abstraction en architecture se traduit-elle ? Cette phase s’appuiera sur quatre projets construits par Valerio Olgiati, nous aidant à détailler et comprendre les outils architecturaux mis en place pour faire de ses édifices, des abstractions dans le paysage. Faire fi du référentiel d’un projet et y renoncer est difficile. Nous devons nuancer son approche en se demandant plutôt comment l’abstraction architecturale entretient, dans sa finalité, différents rapports au référentiel. Il s’agit de décliner cette notion selon trois degrés de référentialisation du projet avec son contexte, la création d’un nouveau référentiel, l’auto-référentialité du projet par sa forme et la neutralité qui découle de cette forme architecturale.

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Olgiati (Valerio), Atelier Bardill, Scharans, Suisse, 2002-2007


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Olgiati (Valério), Villa Além, Alentejo, Portugal, 2014


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Olgiati (Valerio), Ecole, Paspels, Suisse, 1996-1998


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Olgiati (Valerio), Centre des visiteurs du Parc National Suisse, Zernez, Suisse, 2002-2008


3.1 Intériorité architecturale ou un nouveau référentiel

4. Zumthor (Peter), Atmosphères, Birkhäuser, 2008, p.41

Dans son livre Atmosphères, l’architecte Peter Zumthor parle d’intériorité spatiale et des atmosphères mises en place afin de se sentir enveloppé dans un nouveau lieu. Il s’exprime sur l’expérience de la tension entre l’extérieur et l’intérieur, “Seuil, passage, petite ouverture pour se faufiler, transition imperceptible entre intérieur et extérieur, une incroyable sensation du lieu, de la concentration, lorsque soudain cette enveloppe est autour de soi et nous rassemble et nous tient”4. Ce passage décrit plusieurs des projets de Olgiati. La non-référentialité architecturale fait dos au contexte, là où le projet s’implante, elle a besoin de se construire un référentiel propre pour exister. Comment l’architecture non-référentielle construit-elle un nouveau référentiel, d’un référentiel intériorisé ? L’architecture de Valerio Olgiati devient un objet sculptural où son dialogue avec le contexte est franc alors que l’intérieur de l'objet, lui, est libre de s’exprimer. Cette recherche vise à comprendre comment l’architecture non référentielle entretient différentes relations ou provocations avec le référentiel existant. 3.1.1 Séparer l’édifice de son contexte, le seuil Commençons par regarder de plus près le seuil des édifices de notre corpus pour comprendre leurs constitutions. Le seuil est la ligne séparant l’espace public à l’espace privé or dans notre recherche considérons le comme séparant le référentiel du projet et le projet lui-même. Olgiati pense, avec un langage juste et sensible, l’abord de ces bâtiments en prenant soin des transitions. Le travail du seuil est subtil et crée un passage entre deux spatialités. Deux des projets du corpus nous montrent différentes transitions qu’utilise Olgiati pour nous amener dans ses projets.

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Dans le Centre National du Parc Suisse (figure 1), le contraste s’établit entre l’asphalte noir de l’espace public et le socle de béton blanc de l’édifice. Le joint est sans matérialité vide et instaure le détachement du projet à son contexte. L’édifice repose, tel un monument, sur une base solide accessible par un escalier (figure 2) et par une rampe. L’on passe de la rue à un espace semi-public accentué. Ce socle marque l’idée d’indépendance du bâtiment. En effet, le projet se dresse actuellement, sur un terrain localisé près du groupe scolaire de Zernez, de l’autre côté de la route cantonale reliant le col du Fuorn. Avant


le concours, l’édifice devait se situer au cœur de la ville historique de Zernez, proche du Château de Planta-Wildenberg or Olgiati n’a en rien changé un aspect du projet. Cette précision fait le constat que Olgiati crée des édifices aux caractères neutres où le référentiel importe peu. Avec ce soubassement, on peut imaginer que ce projet aurait pu se situer en n’importe quel lieu. Il accentue l’idée d’une architecture-objet. De plus, l’entrée dans le bâtiment est basse avec un linteau à 1.90 m. Olgiati accroît alors la sensation de traverser un mur, épais ici, et de rentrer dans un autre monde, lui, introverti.

figure 1 : Le socle comme mise à distance du contexte

figure 2 : L’ascension dans un autre espace, le socle comme un entre-deux spatial

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Dans la Villa Além, Olgiati n’utilise pas le socle comme un entredeux spatial mais utilise l’escalier comme vecteur de procession et d’ascension architecturale. Nous sommes dans un paysage rural vallonné, au Sud du Portugal et recouvert de chênes-liège anciens où les accès y sont difficiles. Ici, le projet montre une forte autonomie vis-à-vis du paysage. La géométrie des marches et de la villa au loin est mis en tension avec la nature organique des arbres Avec cette procession, l’architecte non-référentiel fait une ode à l’artificialité, l’escalier est mis en scène dans le paysage, l’ascension devient spirituelle (figure 3). La jonction des surfaces entre le sol naturel et les marches de béton est rude. Autant l’escalier de béton que cette forteresse habitée semblent, ici, être posés dans le paysage naturel. L’architecture non-référentielle semble être pensée aussi comme un monument en suspens du temps. Après le seuil, rentrons dans l’intériorité du projet.

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figure 3 : Procession vers le projet, mise en scène des éléments artificiels

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3.1.2 Construire un paysage intérieur

5. Breitschmid (Markus), The Significance of the Idea, Sulgen, Niggli Verlag Archithese, 2012, p.59

6. Fernando Márquez (Cecilia), Levene (Richard), in El Croquis Valerio Olgiati (19962011), n°156, Madrid, 2011, p.23 (traduction personnelle)

figure 4 : Façade Nord

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Une fois le seuil franchi, Olgiati enveloppe le visiteur dans un organisme architectural. Il cherche, dans ce dernier, à perturber les repères de l’usager et à le désorienter. L’idée du projet, dont nous parlons souvent, ne semble pas seulement servir à sa construction mais aussi à sa perception car l’idée doit se poursuivre chez l’observateur. L’observateur désire comprendre le bâtiment et est alors en quête de sens dans la mesure où le bâtiment ne se révèle pas entièrement à première vue. En d’autres termes, ces édifices ont besoin d’être perçus par le corps pour être entièrement appréhendés. L’observateur s’engage intérieurement dans un dialogue dynamique. À ce sujet, Olgiati nous dit que “nous sommes continuellement fascinés par les choses que nous ne saisissons pas pleinement, les choses qui sont indéfinies et qui défient la compréhension [...]”5. En regardant de plus près nos études de cas, il est vrai que Olgiati utilise souvent l’opacité dans ses édifices. On peut y voir une sorte d’intrigue spatiale entraînant une certaine séduction envers le visiteur à rentrer dans ses bâtiments. Dans l’opacité et donc dans l’idée d’intériorité, le visiteur est affecté et donc actif lorsqu’il dit “Je vise un engagement intellectuel des occupants avec mes bâtiments”6. Parcours labyrinthique Dans le Centre des Visiteurs du Parc National Suisse, la simplicité de l’enveloppe du projet peut nous inciter à imaginer aussi une simplicité spatiale interne. Regardons par exemple la façade du bâtiment. Le décalage du coffrage de dix centimètres traduit simplement la présence de trois étages (figure 4). Or Olgiati semble vouloir exercer un jeu entre une clarté externe et une complexité interne. Comment Olgiati crée cette contradiction dans le parcours interne du visiteur. À Zernez, Olgiati remet en question le programme en imaginant six salles d’exposition unitaires, de même surfaces afin qu’il n’y ait aucune hiérarchie entre les salles. C’est l’idée du projet, son ADN. Comment a lieu la jonction entre ces différents espaces ? L’espace n’est qu’un dans le hall et se divise en deux aux étages. S’opère alors un choix pour le visiteur, il devient actif dans la compréhension du bâtiment.


“Lorsque vous entrez dans un bâtiment et qu’un escalier se trouve devant vous, vous sentez nécessairement qu’il y a encore quelque chose en haut. Mais lorsque deux escaliers sont présents dans une pièce, chacun est amené à se demander ce qui se passe. Tous n’arrivent peut-être pas à la même conclusion, mais ils sont poussés à réfléchir, à saisir l’articulation du bâtiment. C’est ce que j’essaie de faire avec mon architecture.”7 7. Valerio Olgiati, Un architecte n’est pas un fournisseur de services, Entretien avec Sonja Lüthi, Société Suisse des Ingénieurs et Architectes, 2010

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Le visiteur commence son parcours dans le hall (a) puis il fait face à un escalier se décomposant en deux escaliers similaires menant vers deux espaces eux, totalement identiques (b) et (c). Depuis ces deux salles, le visiteur fait à nouveau face à la même typologie d’escalier l’amenant vers deux espaces similaires à l’étage 1, (c) et (d). Le visiteur perd ses repères spatiaux. Avec cette stricte répétition géométrique et un escalier non-familier, Olgiati offre d’infinies possibilités de parcourir l’espace. La simplicité extérieure du projet délimitée par une enveloppe épaisse cache une complexité interne basée sur une répétition paradoxale des espaces. De plus, les seules relations directes avec l’extérieur du projet modifient nos propres points de repère. Les quatres fenêtres, situées dans chaques salles, sont scrupuleusement Vectorworks Educational Version identiques et orientées de la même façon, on imagine qu’une déstabilisation est ressentie par le visiteur en fonction de son parcours. En regardant les plans (figure 6), cette mise en tension spatiale n’est figure 5 : Schéma du parcours interne, l’esalors perceptible que de l’intérieur contrairement à la sobriété de calier bilatéral comme vecteur du labyrinthe figure 6 : Plan de l’étage 1 l’enveloppe. Il y a donc bien un contraste entre deux référentiels.

b

c

e

d

a

Etage 0

Etage 1

Etage 2

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Dans la Villa Além, Olgiati ne joue pas précisément sur un élément architectonique comme l’escalier mais il nous englobe dans une intériorité, un extérieur dans un extérieur. Ce projet incite à faire face à soi-même, à faire place au dialogue et à la contemplation silencieuse. On rentre dans un bâtiment qui n’est pas simplement un abri mais avant tout un jardin dans une maison. L’édifice est suspendu dans le temps comme une ruine abandonnée. Il y a un côté sacré et introspectif. En effet, dans ce paysage intense et aride qu’est celui de l’Alentejo, Valerio Olgiati projette de manière simple la délimitation d’un rectangle puis le clôture pour créer un nouveau paysage non pas naturel mais artificiel. Olgiati crée un milieu dans lequel on est enveloppé. Pour renforcer cette enveloppe opaque, les ouvertures des murs vers l’extérieur possèdent des portes coulissantes, de sorte que lorsque nous sommes dans le paysage naturel, nous regardons ce nouveau référentiel artificiel à travers une fenêtre (figure 7). D’après les principes de l’architecture non-référentielle, la spécificité du site n’est pas privilégiée pour être le point de départ du projet. Il s’agit de la formuler une idée en partant d’une forme qui va ensuite créer une logique interne au projet. Dans la Villa Além, Olgiati a le désir premier de concevoir un jardin clos paisible pour une retraite personnelle. Il offrirait un environnement tempéré dans un site soumis à des chaleurs et à des vents extrêmes. Une subtilité de la non référentialisation apparaît ici. Dans cet exemple, l’idée est en opposition au référentiel existant. Le contexte que vient contrer Olgiati s’apparenterait davantage à un contexte météorologique. On peut même se demander si la partie habitable et couverte du projet ne devient pas le second plan de l’architecture tellement la force du geste concerne la cour contenant le jardin enclos. Ce projet fait écho au propos sur la dystopie d’un lieu. La Villa Além est un lieu dystopique dans la figure 7 : Vue extérieure de la Villa Além, Un paysage dans le paysage, photographie de Paulo Catrica

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mesure où il veut contrer le référentiel du lieu mais ne peut exister que grâce à ce lieu. Le ciel, paysage non-référentiel Un point de l’architecture de Olgiati attire notre intention maintenant. Il s’agit de la jonction entre le référentiel extérieur et l’intérieur à travers le rapport au ciel. On constate que la création d’une intériorité induit un contraste entre l’extérieur du projet et son intérieur. Valerio Olgiati utilise des murs d’enceinte opaque dont le nombre limité d’ouvertures avec l’extérieur accentue l’effet de tourner le dos au contexte. Dans l’Atelier Bardill, la seule ouverture donne à voir la place du village. Mais le système de parois coulissantes permet de fermer le projet. La visite personnelle du projet nous a fait prendre conscience de son caractère allant de l’intimité au projet culturel public. À l’origine, le client n’a pas le budget pour construire son atelier sur la surface totale de la parcelle, Olgiati fait alors de cette contrainte, un atout à son projet. L’idée est de construire un cocon créatif, calme et reposant pour le musicien. Cette ambiance a incité l’architecte à projeter l’imposante forme de l’ellipse zénithale (figure 8). Cette ouverture, en plus de servir de contreventement au projet, permet à l’usager de prendre contact avec l’extérieur, le ciel. Olgiati conjugue les contraintes structurelles avec l’idée du projet. On peut y voir dans ce cadre céleste, une volonté de voir le paysage comme celui peint sur les plafonds des églises (figure 10). Toujours dans notre propos, la projection d’un référentiel intérieur se distingue aussi par un contraste lumineux. De l’intérieur, le paysage du village se révèle dans un cadre plus sombre, celui du projet. L’intérieur, lui, depuis la place devient sombre. Ce contraste renforce l’étonnement du pas-

figure 8 : Entrée et cour de l’Atelier Bardill, photographie personnelle figure 9 : Patio vue depuis l’une des trois chambres de la Villa, Archives Olgiati

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figure 10 : Ouverture zénithale depuis la cour de l’une des trois chambres, Villa Além, Archives Olgiati

figure 11 : James Turrell, The Color Inside, 2013, Université du Texas, Austin, photographies de Florian Holzherr

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sant. L’effet de noirceur est aussi visible dans le Centre National du Parc Suisse de Zernez vu précédemment. Si Valerio Olgiati produit une telle séquence zénithale, c’est qu’il y a une volonté de connecter les espaces intérieurs avec un référentiel non-référentiel, c’est-à-dire le ciel. En observant le ciel depuis la cour de l’Atelier Bardill, on imagine que la séquence sera similaire depuis le jardin ou les chambres de la Villa Além. L’observateur a un contact avec le contexte sans se repérer (figure 9). Le labyrinthe utilise ce même principe c’est-à-dire perturber les repères spatiaux tout en ayant le ciel comme seul contact avec l’extérieur. Ces ouvertures zénithales en forme d’ovale et parfois perçues comme des ronds renforcent l’ambiance, religieuse et contemplative des œuvres de Olgiati. La course du soleil rythme l’espace. Si on rapproche l’œuvre architecturale de Olgiati avec les œuvres de l’Art Concret, on peut aussi faire un lien ici avec le travail de l’artiste américain James Turrell. À partir de 1974, il imagine des découpes architecturales dans le ciel à travers sa série Skyspaces8 (figure 11 ). James Turrell cherche à définir un espace intérieur dans le but de maîtriser et de donner matière à la lumière et au ciel. En écho à la posture de Olgiati, Turrell souhaite que “l’architecture de la forme est quelque chose qui [doit tendre] à disparaître. Quand je prépare les murs par exemple, ils doivent être suffisamment parfaits pour qu’on ne les voit pas. Ils n’ont pas de signification”9. En effet, ici, autant l’architecte que l’artiste cherchent à faire du ciel, un élément architectonique. La matière devient la plus neutre pour seulement laisser parler l’espace seul. En fonction des conditions atmosphériques, des couleurs, des saisons, la matérialité du ciel peut évoluer. Les œuvres de la série Skyspaces sont souvent des ouvertures aux formes elliptiques ou circulaires comme celle que l’on retrouve dans les patios des chambres de la Villa Além ou dans la cour de l’Atelier Bardill. Même si les cadrages sont plus grands chez Olgiati, ils invitent aussi à une méditation et à une contemplation. Dans l’intention de créer un paysage intérieur, le ciel a donc une place dans la constitution de l’espace intériorisé. On peut émettre l’hypothèse qu’il donne une certaine temporalité dans des projets qui se veulent intemporels. Peuton deviner ces ouvertures elliptiques depuis l’extérieur ?

8. Galerie Almine Rech, Rencontres 9 Almine Rech/James Turrell, Le regard en suspens, Almine Rech Editions/Editions Images Modernes, Paris, 2005, p. 71

9. Asscher (Carine), James Turrell, Passageways, USA, 1995.

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3.1.3 La forme ne suit pas la forme

10. Sullivan (Louis), The Tall Office Building Artistically Considered, 1896

La dernière phase de cette partie vise à comprendre comment Olgiati met en tension la forme externe de certains de ses projets avec la forme perçue à l’intérieur. Expliquons le titre de cette partie la forme ne suit pas la forme. Cette vision personnelle fait écho à l’idée fonctionnaliste et moderniste du Bauhaus la forme suit la fonction10 où le dessin d’un objet ou d’une architecture devait privilégier avant tout sa fonction. Ici l’architecture de Olgiati ne se veut pas fonctionnaliste mais elle cherche à s’exprimer par la forme car l’idée est vectrice d’une forme. Il vise à une lisibilité perturbée de ce qui nous est familier. Or, ici, il est question de voir en quoi la forme externe ne permet pas de projeter spatialement à l’intérieur du projet. L’atelier pour le musicien Linard Bardill illustre ce que nous mettons en avant. Les règles d’urbanisme, les habitants et l’espace public sont autant de facteurs auxquels l’architecte a dû se plier. C’est pourquoi ce projet s’est construit premièrement sur la base du périmètre de l’ancienne étable démolie (figure 12). Deuxièmement, Valerio Olgiati était contraint de conserver le volume existant au regard du respect de l’architecture traditionnelle (figure 13). De ces contraintes, Olgiati en joue pour rendre le tout anecdotique par sa forme intérieure et par une différence de matérialité radicale avec les chalets environnants (figure 14). Son architecture joue avec la forme banale et typique du logis mais son assemblage lui donne une toute autre propriété. Cette architecture devient analogique. Ce projet semble ici nous montrer deux choses, une réelle difficulté de devenir entièrement non-référentiel, la possibilité de tirer des qualités spatiales qui sortent du familier. Il y a un écho avec l’analogie étudiée précédemment. L’architecture analogue est une architecture qui reprend une typologie contextuelle simple et ordinaire tout en l’altérant pour lui donner une caractéristique étrangère. En d’autres mots, l’analogie est un collage et par conséquent une interprétation d’une référence imagée. Une forme d’intégration dans l’environnement tout en exagérant ou en modifiant un aspect, le mettant à l’écart du contexte. Ainsi nous pouvons admettre que l’architecture non-référentielle de Olgiati repousse les limites du contextualisme et aborde des rapports subtils avec le contexte.

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figure 12 : chalets traditionnels suisse et toit en pente, un périmètre à conserver

figure 13 : toit en pente de l’ancienne étable, un volume à souligner à nouveau

figure 14 : contredire la forme, la forme ne suit pas la forme

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Il y a une contradiction du banal et de la normalité architecturale. Olgiati opère en quelque sorte une abstraction par une distanciation au réel. La contradiction formelle n’est pas un geste gratuit et doit faire partie de l’organisme du tout et lui donner du sens. Reprenons l’exemple de l’Atelier Bardill. Et si ce toit à deux pentes n’était qu’une illusion. Il y a t-il vraiment un toit derrière la forme d’un toit ? L’idée n’est pas d’enlever gratuitement ce toit qui abrite le logis intérieur mais plutôt de se demander si une maison est forcément synonyme d’être uniquement un abri. Tous les espaces d’un logis doivent-ils nécessairement être abrités ? Si la présence d’un toit suffit à couvrir les parties essentielles de l’habitat, pourquoi le reste ne peut-il pas être à ciel ouvert et augmenter alors le confort de l’habitat ? Ici, Olgiati provoque la fonction de ses projets. Il transcende le signe lié à une forme. En définitive, le principe de la contradiction vue dans le deuxième chapitre se veut ici formel dans l’Atelier Bardill. Une forme externe ne suit pas une forme interne. L’architecture cherche cette contradiction formelle pour rendre actif l’observateur et pour développer son imagination de l’architecture. Nous avons approché un premier rapport au contexte de l’architecture non-référentielle, celui de s’y opposer pour sélectionner une partie de paysage, de vide et englober ce nouveau référentiel de manière forte. Maintenant, demandons-nous en quoi la forme, si elle n’est pas le reflet d’une contrainte liée au site, peut-elle devenir auto-référentielle ?

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3.2 La forme autoréférentielle En se détachant de toutes significations externes, l’architecture non référentielle semble trouver une signification à travers sa forme ellemême. Dans l’œuvre de Olgiati, la forme n’est pas la résultante de contraintes liées au contexte mais comme la résultante de l’idée génératrice du projet. Lucan décrit ce processus actuel comme “un déni de tout alignement sur des dispositifs typologiques légués par la tradition.”11 Cette posture tend alors vers une singularité de l’objet et vers une architecture auto-référentielle, une architecture faite d’ellemême et qui existe par elle-même. Valerio Olgiati voit dans la forme, une plus-value culturelle capable de faire avancer la société, “J’ai la conviction que l’architecture est une discipline où la première place revient à la question de la forme, ainsi qu’au message individuel et social exprimé sous cette forme”12. En d’autres termes, Valerio Olgiati porte un intérêt au fait que les observateurs de ses projets soient confrontés à l’idée devenue matière et forme.

11. Lucan (Jacques), “Forme unitaire et monolithisme” in Composition, non-composition, Architecture et théories, XIXe - XXe siècles Chapitre 30 : Opérations contre composition, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009

12. Olgiati (Valerio), Un architecte n’est pas un fournisseur de service, Entretien avec Sonja Lüthi, Société Suisse des Ingénieurs et Architectes, 2010

3.2.1 Le carré comme forme autonome et autoréférentielle Le carré est une figure géométrique que Valerio Olgiati explore souvent dans le plan de ses édifices. Premièrement, d’après, le “Dictionnaire des symboles”13, cette forme est définie comme “anti-dynamique [...]. Il symbolise l’arrêt, ou l’instant prélevé [...], une stagnation voire une stabilisation”13. D’autre part, Olgiati nous donne sa propre définition. Semble-t-il avoir trouvé ici, dans cette géomé-

13. Chevalier, (Jean), Gheerbrant (Alain), Dictionnaire des symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Edition Robert Laffont, Paris 1982

“Mes projets sont, plus ou moins, toujours des carrés. [...] Après tout, le carré est une forme qui est non référentielle et non contextuelle. Le carré est plus une idée du temple, plus lié à luimême, ou s’il est lié à quelque autre chose en dehors de lui, alors cela se passe dans le domaine de l’abstrait.”14 14. Olgiati (Valerio), Conversation with Students, Virginia Tech Architecture Publication, Virginia, 2007, p.55

trie, une forme de non-choix formel ? En effet, le carré est considéré comme étant une forme primaire et élémentaire. Sa prestance symétrique le rend stable. Il n’est pas, en soi, une forme orientée dans un site. Olgiati recours souvent à cette figure à l’idée de la boîte comme concept et semble pouvoir l’aider à atteindre une abstraction archi-

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tecturale. Cette phase vise à comprendre alors l’origine de l’usage du carré chez Olgiati ? S’agit-il plutôt d’une résultante de l’idée directrice ou alors fait-elle suite à un processus de réflexion ?

figure 15 : Carré noir sur fond blanc, Kasimir Malévitch, 80 cm x 80 cm, 1915

15. Kazimir Malévitch, “Du cubisme et du futurisme au suprématisme”, in Écrits 1, De Cézanne au suprématisme, traduction V. et J-C Marcadé, L’Age d’Homme, Lausanne, 1974, p.67

figure 16 : Elévation nord, Ecole de Paspels, photographie de Rasmus Norlander

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L’utilisation de cette forme rejoint celle du minimalisme formel et abstrait des artistes de l’Art Minimal et de l’Art Concret. Les peintres suprématistes dont fait partie Kasimir Malévitch n’utilisent pas les formes pour leurs significations mais parce que, selon eux, les formes n’ont aucunes autres significations qu’elles-mêmes. Tous manipulent la forme pour atteindre son essence. Selon Malévitch, “notre monde de l’art est devenu nouveau, non figuratif et pur. Tout a disparu, est restée la masse du matériau à partir de laquelle va se construire la nouvelle forme”15. L’exemple le plus probant de son oeuvre est le “Carré noir sur fond blanc” (figure 15). Malévitch met la forme au cœur de son sujet, il la met à nu et cherche à la faire exister par elle-même. Tout comme Valerio Olgiati le fait en construction, l’artiste-peintre donne à la peinture une autonomie vis-à-vis de la réalité extérieure. L’architecture est ce qu’elle est, et rien d’autre. Elle cherche à ne parler que d’elle-même. En d’autres termes, le contexte local ici ne sert pas à la compréhension de la forme de l’édifice. Il sera question, ici, de confronter deux projets de notre corpus dont l’usage du carré par Olgiati est clair et prononcé, l’école de Paspels et le Centre des visiteurs du Parc National Suisse de Zernez. En quoi Olgiati approche cette forme simple tout en altérant sa lecture par des jeux combinatoires ou de distorsion de formes ?


L’École de Paspels L’étude du projet de l’École de Paspels va appuyer ici notre propos. Le visiteur ne peut pas seulement faire l’expérience du projet de l’extérieur mais il est amené à cerner le fonctionnement de l’ensemble du projet par le mouvement et donc de l’intérieur. Le projet se détache de son contexte par sa force physique en tant qu’objet compact. Il devient non géoréférencé (figure 16) dans son implantation qui est une pente à la sortie du village de Paspels. L’édifice prend une forme indivisible, non-architecturale voire archaïque comme si l’architecte avait souhaité déposer un monolithe dans ce paysage suisse. Jacques Lucan comparait les projets de Rem Koolhaas comme des “bâtiments qui ne sont plus architecturaux”16 en parlant de son architecture. Il semble en être de même pour ce projet de Olgiati. L’école est en quelque sorte le fruit d’une analogie à un archaïsme minéral comme les galets ou les cristaux. Olgiati n’opère aucun lien avec des types architecturaux mais avec un monde d’avant l’architecture. Nous pouvons émettre l’hypothèse que le bâtiment aurait fonctionné de la même façon dans n’importe quel lieu. Il y a une radicalité entre l’environnement et la densité du béton. Seules les larges baies tantôt carrées, tantôt rectangulaires, en retrait ou au ras de l’enveloppe permettent de lire que cet objet est un édifice habité mais rien ne nous indique qu’il peut s’agir d’une école. Aussi, remarquons que le tracé de la toiture suit la ligne de la pente du terrain. Ce mimétisme formel renforce l’abstraction de l’objet architectural. On oublie presque, par l’évidence analogique, la forme traditionnelle d’un toit. L’intégrité totale et la force de la forme détourne notre attention de cette subtilité.

16. Lucan (Jacques), Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romande, 2016, p. 185

figure 17 : Espace de circulation, distortion interne résultante de la distortion externe Ecole de Paspels, photographie de J. Miguel Verme

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figure 18 : Principe d’étirement

Si Olgiati cherche une simplicité formelle et géométrique dans sa quête non-référentielle, il s’intègre néanmoins dans un contexte temporel, celui de nouveaux moyens technologiques et paramétriques architecturaux. Il part d’un carré pur qu’il vient ensuite Vectorworks Educational Version étirer subtilement par les angles (figure 18). Il opère une distorsion du périmètre du carré perturbant l’orthogonalité de l’ensemble et renverse le banal pour aller vers une étrangeté architecturale. Outre cela, aucune instabilité de la forme n’est lisible car l’école devient un monolithe sans aucune rupture de coffrage entre les étages. Dans le travail qu’entreprend Olgiati sur l’unité architecturale, la Vectorworks Educational Versionexterne entraîne des conséquences sur la manipulation de la forme forme interne. Le tout devient indissociable, et les espaces par leurs imbrications forment un corps autonome et cohérent. Tous les éléments sont interdépendants les uns avec les autres. Il semble qu’on ne peut rien enlever au projet au risque qu’il s’écroule. Dans ce cas, aucune pièce n’est dominante sur une autre dans la mesure où toute la composition découle d’une idée prédéfinie. La symétrie mise en place par l’architecte entre le premier et le deuxième étage nous montre la complexité de la réflexion qui est la base de la composition architectonique. Chacun des étages s’agence de manière différente et pourtant ils suivent une même logique de composition de la forme. Les salles, elles, s’implantent de telle façon à avoir un lien avec l’enveloppe extérieure. Un de leurs murs respectifs est parallèle à l’un des murs de l’enveloppe (figure 19). Ce système géométrique s’inverse entre les deux étages. De la même manière que le parallélisme, Olgiati installe une perpendicularité (figure 19) des murs. Les salles de classe sont alors des formes au sein d’une forme. Elles ont subi des glissements pour s’agrandir jusqu’à venir épouser le périmètre du projet. Le vide créé (figure 20) devient mis en tension par la série de modifications formelles. L’espace en croix de distribution des salles n’est Vectorworks Educational Version pas identique d’un étage à un autre. Dans une même branche de la croix, aucun mur n’est parallèle. L’usager perd ses repère dans ce que Jacques Lucan appelle, une spatialité texturée. En d’autres termes, l’étirement instauré sur l’enveloppe se répercute sur les parois intérieures et donc sur la forme finale du programme. Les déformations n’ont pas seulement un effet sur le comment nous percevons l’édifice. Vectorworks Educational Version Elles sont aussi comme une manière d’affirmer l’unité du bâtiment, sa singularité et sa figure difficilement descriptible (figure 21).

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figure 19 : Principe de parallélisme et perpendiculaires

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figure 20 : Déformation de l’espace distributif

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Vectorworks Vectorworks Educational Educational VersionVersion figure 21 : Des étages interdépendants Etage 1

Etage 2

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Le Centre du Parc National Suisse de Zernez

17. Max Bill, “Konkrete Gestaltung”, 1936, in L’Art concret, Espace de l’Art concret, Mouans Sartoux, 2000, p.22

18. Conversations with Students, Virginia Tech Architecture Publications, Virginia, 2007, p.53 (traduction de l’auteur).

figure 22 : Extrait de “Quinzes variations sur un même thème”, Max Bill, 1935-1938

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Contrairement à une distorsion du périmètre du carré dans l’École de Paspels, Valerio Olgiati vient opter pour une interaction entre deux carrés dans le projet du Centre National du Parc National Suisse. Ce jeu combinatoire de formes fait écho à l’œuvre de l’artiste concret Max Bill qui décrit ses projets comme naissant “de ses propres moyens et suivant ses propres lois”17. Dans ses “Quinzes variations sur un même thème” (figure 22), Max Bill expérimente les formes et leurs règles géométriques pour arriver à une œuvre d’art. Par exemple, en partant d’un triangle équilatéral visible, il arrive, par étapes, à une succession octogonale de cercles. Olgiati affirme lui aussi que ses “bâtiments ressemblent plus à des calculs mathématiques qu’à des compositions”18. Suivant alors à la fois des principes géométriques successifs et la division d’une unité, Olgiati part d’un carré (figure 23), représentant le périmètre du projet avec le socle de l’entrée, qu’il vient ensuite diviser en deux carrés de mêmes tailles. Ceux-ci s’entrecroisent selon un carré venant les lier par leurs diagonales. Un carré de plus petite taille rassemblant la cage d’ascenseur vient s’aligner également sur cette diagonale. Dès lors, une autre géométrie interne apparaît. Le projet devient un organisme indivisible né de tracés régulateurs, de proportions et de rapports d’échelle venant constituer différents sous-espaces. On se rend donc compte que Olgiati n’est pas dans une composition d’éléments mais dans un calcul permettant de trouver une cohésion unitaire au sein même de la forme. Le carré central, en plus de déterminer la largeur de l’escalier central, devient un élément générateur du projet. On peut voir aussi que la première marche de l’escalier s’aligne avec la diagonale de la composition. Toujours sur la base du carré, Olgiati vient jouer avec les lois intrinsèques de cette forme à l’intérieur de l’édifice. Des murs biais créent une nouvelle géométrie. Olgiati vient toujours lier un angle du petit carré central à l’un des angles des deux carrés principaux. L’inclinaison de cette nouvelle géométrie vient créer un vide central en forme de papillon et vient décomposer l’espace à l’intérieur en quatre espaces d’exposition au R+1 et au R+2 (figure 24). Ce vide sert à la fois à accueillir l’espace servant du projet et permet aussi de lier les deux cubes du projet. Cette liaison assure la continuité d’un


parcours tendant vers le labyrinthe que nous analyserons plus tard. Le carré central vient unir les deux carrés majeurs du projet et accentue l’effet de miroir par le double escalier. Olgiati utilise aussi les axes de symétrie des carrés pour positionner les ouvertures. Elles se situent au milieu de chacune des faces de la forme. De plus, à chaque palier, la dernière marche de l’escalier arrive au milieu des baies vitrées. Il y a aussi une corrélation entre la largeur des baies vitrées et la largeur des ouvertures irrégulières permettant de passer de l’escalier à l’espace d’exposition.

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En conclusion, ces deux typologies de programme que sont un musée et une école peuvent paraître complexes à mettre en place. Or Olgiati réussit à épurer au maximum les projets par des espaces répondant soit à des tracés régulateurs du carré pour le musée ou résultant d’une distorsion du carré concernant l’école. L’architecte utilise la richesse géométrique que peut offrir le carré. Il arrive alors à mélanger des proportions régulières et irrégulières en plan. L’usage du carré comme forme primaire et génératrice d’une architecture permet une prise du recul face à l’existant. Ces études de cas apparaissent comme une façon pour l’architecte non-référentiel d’édifier la radicalité de son idée. Cet aspect générique des programmes pose alors une question que nous soulèverons plus tard. L’abstraction ne se traduit-elle pas par une certaine neutralité du bâtiment pouvant accueillir tous les types de programmes ?

figure 23 : Principe géométrique, une composition de carrés

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Vectorworks Educational Version figure 24 : Principe géométrique, une composition de carrés

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3.2.2 L’architecture pensée comme un monument Nous sommes toujours amenés à questionner le rapport qu’entretient Valerio Olgiati avec le référentiel environnant à son architecture. Dans l’Histoire de l’architecture, plusieurs corrélations ont existé entre un bâtiment et son paysage extérieur. Au sujet de l’école de Paspels et de son intégration dans son site, Markus Breitschmid émet à Olgiati trois hypothèses d’intégration d’un projet dans un paysage : il peut exister sur le paysage, dans le paysage ou qu’il soit lui-même un paysage19. Quant à la position de Valerio Olgiati, nous dirons que sa posture semble dépasser cela. Elle vise à projeter des monuments autonomes dans un paysage, qu’il soit urbain ou rural, mais qui deviennent indépendants par rapport à celui-ci. En effet, un bâtiment contextualisé va réagir à un contexte par sa géométrie liée à son environnement, par un style ou être le reflet de ce qui l’entoure. Le bâtiment contextualisé devient, un tant soit peu, une réponse à ce qui existe, ce déjà là. Olgiati, lui, semble opérer différemment. Il se veut non référentiel dans la mesure où il cherche à exprimer son architecture par elle-même seule. À l’opposé de l’architecture contextualisée, Olgiati voit une architecture qui “dérive d’une typologie simple comme les anciens temples ou les anciennes églises chrétiennes qui sont des édifices issus d’une invention”20. Il voit à travers ces typologies de bâtiments, des œuvres qui ne réagissent pas exclusivement à des objectifs contextuels, politiques, économiques, techniques ou fonctionnels mais à une idée non contextuelle et forte, génératrice du projet.

19. Breitschmid (Markus), The Significance of the Idea, Sulgen, Niggli Verlag Archithese, 2012, p.29

20. Idem, p.31

Monumentalité Si l’Autobiographie iconographique de Olgiati rassemble une grande quantité de référence de temples ou d’édifices religieux, c’est qu’il y éprouve une fascination. En quoi sont-elles liées à son œuvre ? Par leur présence, ces édifices vont au-delà du contexte, ils sont une réponse à une idéologie plus qu’à un contexte. La notion de monumentalité renvoie instinctivement à la notion de grande échelle mais concernant l’œuvre de Valerio, nous devons nuancer notre propos. L’abstraction architecturale s’exprime à travers des proportions qui bousculent notre familier. L’échelle sculpturale de ces œuvres par rapport au contexte donne à voir un rapport nouveau au référentiel. Prenons un instant l’exemple de la Villa Além. Valerio Olgiati met

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en scène l’entrée de sa maison secondaire. Il nous amène fortement à percevoir cet édifice comme un temple or ce monument, ici, est habité. Cette maison monumentale vient surplomber la nature aride alentour. Nous entrons dans cet espace comme dans un édifice sacré. Olgiati a dans son esprit la cour des Myrtes de l’Alhambra. Le plan ci-contre (figure 25) montre les différentes entrées orientées au sud et longeant le bassin rectangulaire de marbre. Valerio instaure une composition géométrique et alterne les surfaces végétales et artificielles. Le jardin clos, en occupant les deux-tiers de l’espace, devient l’espace dominant du tout. Les dimensions de la cour participe à une certaine contradiction de l’espace. Le spectateur est-il déjà dans un intérieur, un milieu végétal dans un milieu végétal ? (figure 30) Autour de l’édifice, il n’est pas évident de différencier les parties extérieures des parties intérieures. Seule la cime de l’arbre peut nous donner un indice. (figure 26) La coupe de l’édifice (figure 27), montre la lente procession jusqu’au cœur du logis. Nous évoquions plus tôt, le travail du seuil avec l’escalier accédant à cette maison et Olgiati, ici, semble opérer également une procession interne entre les pièces de jour et de nuit. L’usager doit emprunter un corridor de 40 mètres de longueur (figure 29) menant aux trois chambres au nord. Pour finir, les inclinaisons des murs périphériques, visibles en coupe, procurent à l’édifice un effet sculptural. À l’origine pensé entre l’espace du salon et le jardin pour se protéger des rayons du soleil, Olgiati semble pousser l’idée jusqu’à son paroxysme. L’ensemble des murs d’enceinte montent à hauteur d’un Homme pour ensuite s’incliner selon des angles différents. Il cherche à créer encore ici une unité formelle solide. Notre propos fait écho au principe sur l’unité, vu dans le chapitre 2. La villa Além joue avec des espaces formellement dissonnants dans un tout unitaire, le périmètre rectangulaire. Le schéma ci-contre (figure 28) décompose les formes de la maison et met en avant les disparités spatiales entre chaque espace. L’abstraction se matérialisé par un étonnement des transitions spatiales. Le visiteur doit être surpris et l’incompréhension précède la compréhension des espaces. Dès lors, d’après l’étude de ce projet, nous pouvons admettre que Valerio Olgiati joue avec la grande échelle or là où l’abstraction architecturale apparaît c’est dans son rapport au programme de l’habitat c’est-à-dire être habitée. On peut dire que Valerio Olgiati entretient une tension du banal et du commun avec le monumental.

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figure 25

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figure 26

figure 27

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figure 28

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Intemporalité Aussi un monument est un édifice que l’on associe à son image de permanence, une image qui transcende le temps qui passe. Ainsi, on émet l’hypothèse que la notion de pérennité architecturale semble jouer en faveur de la non référentialité, là où Olgiati ne cherche pas à inscrire son œuvre dans un temps précis. Elle vient à contre-courant du changement perpétuel et rapide de l’architecture contemporaine. Il manifeste une monumentalité vers quelque chose d’immuable. En se détachant des questions programmatiques de ses édifices, il peut alors rendre ses projections intemporelles. D’autant plus que Aldo Rossi a déjà traité le sujet de la permanence architecturale avant Olgiati donc on peut supposer qu’il y a un lien cohérent à faire.

21. Rossi (Aldo), L’Architecture de la ville, traduit par Brun, F., Infolio éditions, 1966

22. Onaner (Can), Aldo Rossi architecte du suspens, MétisPresses, 2016 23. Ortelli (Lucas) “Considérations sur la pérennité en architecture”, in Marchand Bruno, Pérennités, textes offerts à Patrick Mestelan, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2012

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Dans L’Architecture de la ville, Rossi parle de la permanence de la ville comme un passé que nous expérimentons encore21. Il faut comprendre ici que la ville est un échange perpétuel entre l’espace présent et les événements de son passé. Or ce qui rejoint notre propos au sujet d’une éventuelle pérennité de l’architecture de Valerio Olgiati est la notion de typologie, “Le type architectural est le principe non matériel qui perdure dans le temps”22. Dès lors, la typologie d’un édifice se doit de rester invariable temporellement et spatialement. Dans l’article “Considération sur la pérennité en architecture”,23 Lucas Ortelli prend appuie sur la typologie de la maison à cour dont la forme se retrouve désormais de part et d’autre du monde et à traverser les époques jusqu’à aujourd’hui. Dans l’architecture, la forme d’un édifice devient signe d’un programme, d’une géographie, d’un lieu. L’architecture non-référentielle semble chercher à s’extraire de tous ces signes ou enfin à s’en éloigner. Il est en quête d’une certaine neutralité dépassant les mouvements architecturaux qui sous-tend alors vers l’intemporalité.


figure 29 : couloir desservant les espaces de nuit, la lumière au loin vient des oculus situés dans chacune des chambres

figure 30 : vue des entrées dans la Villa Além, au centre le bassin, une ruine habitée

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3.2.3 La forme forte comme outil à l’abstraction

24. Steinmann (Martin), “Augenblicklich, Notes sur la perception des choses en tant que formes”, in Matières, n°3, 1999, p.55

Martin Steinmann, théoricien et architecte suisse conceptualise la notion de forme forte. Il constate que, de toutes les choses qui nous entourent, nous devons distinguer la forme et le signe de cette forme24. Il y a dès lors une dissociation entre, d’un côté, une perception sensitive et immédiate liée aux aspects formels de cette chose et, de l’autre, une perception analogique liée aux signes de notre mémoire et de notre vécu.

“Dans l’architecture contemporaine, on peut constater une tendance à concevoir les bâtiments en tant que corps géométriques simples, clairs, des corps dont la simplicité confère une grande importance à la forme, au matériau, à la couleur, et cela en dehors de toute référence à d’autres bâtiments. [...] Ces projets se caractérisent par la recherche de formes fortes.” 25 25. Steinmann (Martin), “La forme forte. En deçà des signes”, in Faces, n°19, printemps 1991

L’abstraction architecturale n’est pas seulement un dépassement du contexte mais aussi un dépassement du sens de la forme de l’architecture. Les propos de Steinmann font écho à la position de Olgiati, qui, en se voulant non-référentielle, cherche à exprimer son architecture par sa force formelle. La signification d’une forme est en réalité issue de ce qu’en renvoie la société pour en devenir une vérité. Prenons le cas de l’atelier Bardill à Scharans. Depuis le village de Scharans, le projet semble être, par sa forme, l’archétype familier et courant d’une maison que toute personne a pu dessiner dans son enfance. L’hypothèse étant que, dans notre imaginaire collectif, une maison est faite de quatre murs et est abritée d’un toit à deux pentes. Pourtant l’architecte non référentiel semble jouer avec les archétypes architecturaux en procurant de la profondeur et une intrigue perceptive. Olgiati contrebalance la relation entre le signifié c’est-à-dire la maison et le signifiant soit les 4 murs et le toit en pente. Une porte s’ouvre alors dans la normalité. Il existe des formes plus variées d’habiter or la société, l’histoire et les théories ont connoté les formes pour les faire devenir signe de leurs programmes. Cependant, la forme existe par elle-même avant d’être associée en un signe par la société. Dans la conception de l’architecture non-référentielle, un autre as-

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pect nous intéresse là où Martin Steinmann évoque celui de la forme en tant que forme. La forme n’est alors plus une signification mais est un “simple signifiant, qui a son propre effet et qui ne dépend pas à cet égard d’un signifié, même si l’expérience de la forme se transforme par la suite en expérience d’un signe. (Comme le note Roland Barthes : “Dès qu’il y a société, tout usage se transforme en signe de cet usage”26. L’architecture non référentielle est un corps géométrique formé et matérialisé qui se veut sans origine donc sans possibilité d’être interprété par une société. En d’autres termes, l’architecture non-référentielle se veut être une forme qui crée sa propre signification. Valerio Olgiati cherche à nous toucher par la simple présence de la forme sans évoquer notre vécu passé mais par le vécu sur l’instant.

26. Barthe (Roland), Le Neutre au Collège de France (1977-1978), Paris, Traces écrites, Seuil Imec, 2002 p.31

Cette nouvelle perception de la forme chez Valerio Olgiati nous amène à l’apprécier en tant que volumétrie abstraite et dénuée de significations préexistantes. Elle fait valoir uniquement la forme en tant que telle. La monumentalité vient dominer la fonctionnalité. Notre regard nous amène à comprendre que l’intuition ou l’idée de Olgiati est de considérer chaque projet comme un objet, une architecture qui réagit comme une seule entité. Nous parlions plus tôt que Valerio Olgiati pensait son architecture comme un organisme. Dès lors, à regarder l’école et le centre des visiteurs, il semble que rien ne peut être enlevé à leurs formes respectives comme dans un organisme. Et si par besoin, un élément vient à être enlever, il se doit d’être remplacé autre part pour que le tout reste cohérent et solide. Nous pouvons admettre alors que l’architecture non-référentielle dépend d’une méthode rigoureuse qui une fois débutée va se dérouler d’elle-même. L’objet architectural évolue de lui-même par sa propre forme. Valerio Olgiati semble répondre aux besoins de la forme. Dès lors sa posture peut s’approcher d’une neutralité. En quelque sorte, nous pourrions émettre l’hypothèse que le Centre du Parc National Suisse et l’école sont des édifices plutôt générés que conçus.

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3.3 L’abstraction ou la quête d’une neutralité de l’objet

27. Barthe (Roland), Le Neutre au Collège de France (1977-1978), Paris, Traces écrites, Seuil Imec, 2002 p.31

Dans les années 1970 , le sémiologue Barthe s’est orienté vers la notion du Neutre en affirmant qu’il est “ce qui déjoue le paradigme, ou plutôt [...] tout ce qui déjoue le paradigme.” Ici, le paradigme est “l’opposition de deux termes virtuels dont il actualise l’un, pour parler, pour produire du sens”27. Alors, ce recours à un troisième terme neutre modifie l’ordre bilatéral établi. Barthe ne cherche pas une absolue vérité du Neutre mais tente de saisir ses propriétés. Donc se demander comment la neutralité est possible en architecture, c’est savoir comment elle peut échapper à sa propre signification. Aussi, l’architecture peut être perçue comme un langage ayant un sens par ce qu’elle dit de son programme, de son usage, de son rapport à une société d’une certaine époque et de son intégration dans un site. Nous admettons que la neutralité architecturale est difficile à accomplir dans la mesure où une langue est interprétable par la société et donc a un sens. Cette dernière phase de notre propos vise à comprendre en quoi l’architecture de Valerio Olgiati s’approche d’une neutralité architecturale. Ôter toute signification liée au contexte d’une architecture implique des enjeux qu’il soit de neutraliser la forme architecturale afin qu’elle ne soit pas connotées par des objets préexistants et porteuses de significations. La notion de neutralité nous importe ici parce qu’elle évoque un degré de référentialisation d’un édifice vis-àvis d’un contexte. La posture non-référentielle s’en rapproche, là où Olgiati dit considérer l’architecture comme un corps qu’il travaille, qu’il modèle et que nous examinons par nos sens. Plus tôt nous avons expliqué en quoi la forme était générée plutôt que conçue par l’architecte à travers la forme carré. Considérer la neutralité en architecture implique alors aussi comment Valerio Olgiati se positionne de façon neutre c’est-à-dire comment il se retire du projet et répond à l’idée du projet. La neutralité, dans la mesure où elle signifie une forme de non-choix, n’est pas sujette à l’objectivité et donc à l’interprétation d’un projet.

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Nous avons admis plus tôt que Valerio Olgiati déjoue la signification d’une architecture en s’exprimant à travers la forme forte auto référentielle et par la construction d’un paysage intériorisé. Il n’est pas question de considérer les quatre projets étudiés comme des figures


neutres. Il s’agit plutôt d’expliquer en quoi ses projets se neutralisent par la perception extérieur immédiate de l’enveloppe d’un projet par la matérialité des œuvres de notre corpus. 3.3.1 Neutraliser la forme et perturber l’usage Parler de l’enveloppe ou de la surface des édifices de Valerio Olgiati, c’est aussi comprendre en quoi elles participent à la création de l’abstraction architecturale. L’enveloppe d’un bâtiment est instinctivement l’élément qui s’offre à nos yeux en premier. Souvent, l’usage de l’édifice se traduit en façade à l’aide des percements pouvant répondre à des contraintes lumineuses, visuelles et programmatiques. Or Olgiati manipule notre perception avec la surface comme moyen de neutraliser la forme architecturale. Elle n’est pas la conséquence des éléments du programme intérieur, qui pourrait dès lors comprendre l’édifice au premier regard. Dans l’optique d’une neutralité référentielle, c’est la perception sensible d’une architecture qui prédomine sur une perception fonctionnelle du bâtiment. Regardons à nouveau l’une de nos études de cas, l’atelier Bardill. Ce dernier est un édifice fortement ancré dans un village traditionnel des Grisons malgré les photographies qui nous montre le plus souvent que le bâtiment en lui-même. Les chalets avoisinants possèdent des fenêtres, des portes, des matérialités qui leurs sont propres. Or, ayant eu la chance de visiter cet atelier, lorsque l’on s’en approche, l’on se rend compte de la prestance de l’édifice. La matérialité unique, uniforme mais surtout l’absence presque totale d’ouverture accentuent la neutralité de l’édifice. La seule ouverture, donnant sur la place du village et qui nous permet de deviner l’intérieur de l’atelier, est surdimensionnée, elle nous déstabilise dans la compréhension du bâtiment en lui-même. De plus, le client et musicien, Linard Bardill n’avait pas les moyens financiers pour construire un atelier de la surface de l’ancienne étable. Olgiati propose dès lors de séparer la surface totale en deux parties distinctes (figure 31). L’une est la seule pièce chauffée de l’édifice de 65 m². L’autre, de 150 m² devient une cour intérieure de plan presque carré couverte d’une ellipse creuse. Et cette dernière possède, par rapport aux rues et au places du village, une dimension monumentale. Mais Olgiati joue encore avec notre perception car ce n’est qu’une

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Vectorworks Educational Version figure 31 : Plan de l’étage principal, Atelier Bardill

fois à l’intérieur de l’édifice que notre corps peut réellement prendre conscience de l’ampleur spatiale dans laquelle on se trouve. Olgiati provoque l’observateur, il l’interroge visuellement. L’atelier Bardill est une maison libérée, un espace libéré du rôle habituel et familier du refuge dans l’organisation et des exigences théoriques que l’on attendrait d’un abri. Dans l’œuvre de Olgiati, le travail de l’enveloppe opaque permet de lisser la forme. Il est évident qu’il est dans l’obligation d’offrir des apports de lumière sur l’extérieur mais les fenêtres se lisent au second plan.

28. Coudray (Elise), Cousot (Aline), Steiner (Philippe), “Provocation sculptural et ambiguïté architecturale” in Matières, n°15, EPFL, Janvier 2016, p.10

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L’abstraction de l’architecture non-référentielle s’identifie également par une neutralité de l’enveloppe. Les surfaces enveloppantes tendent vers une neutralité là où les projets étudiés semblent se libérer de leurs programmes et de leurs usages respectifs. En d’autres mots, OlVectorworks Educational Version giati semble échapper à la fatalité de la référence programmatique. L’usage s’assujettit à la forme. De l’extérieur, les édifices deviennent énigmatique. L’idée vient transcender le programme par l’utilisation “d’une carcasse inflexible qui serait abstraite de toute fonction si ce n’est d’être érigé en objet platonicien qui atteindrait un caractère intemporel”28. On peut admettre que l’enveloppe périphérique opaque participe alors à rendre l’architecture-objet abstraite. La surface périphérique des projets de Olgiati s’épaissit fortement pour tenir le projet, elle est comparable à la peau humaine, une surface opaque visant à protèger ce qui se passe à l’intérieur.


3.3.2 Le béton ou matérialité neutre Une ode au béton Les récentes photographies de nos études de cas font le constat d’une omniprésence du béton dans l’œuvre de Valerio Olgiati. Ce matériau fait partie intégrante de ses principes non-référentiels. Or, en approfondissant cela, on peut se demander s’ il n’y a pas, dans cet usage du béton, une volonté d’atteindre, une abstraction matérielle. Le jeu plastique qu’opère Olgiati avec le béton telle une pâte qu’il modèle nous apporte un regard nouveau sur ce qu’on appellerait une surface architecturale neutre. Il semble opter pour une conception prenant la forme d’un modelage, comme un sculpteur qui travaille sa matière, entre le plein et le vide. “Le béton permet de réellement modeler un corps ou un espace. Avec le béton, on pense tout simplement différemment qu’avec d’autres matériaux”29. Dès lors, cette citation prouve que l’architecte voit en l’architecture un corps matériel, dans lequel il viendrait creuser les espaces programmatiques. Il travaille la masse en épurant cette dernière le plus possible pour laisser parler la matière seule. Souvent, les architectes cherchent à sublimer un contexte à travers l’assemblage d’une ou de plusieurs matérialités devenant un espace dans un paysage. Olgiati fait de ses édifices des odes au béton, il en tire toutes ces propriétés techniques aussi bien en traction qu’en compression. Le centre des visiteurs de Zernez est significatif dans ce moment de la recherche. La partie en noir, sur la coupe et le plan du projet, représente les murs épais de 55 cm ainsi que les planchers. Si aucun détail n’est visible c’est parce que l’ensemble du bâtiment a été coulé dans un seul bloc de béton, sans joint, ni reprise : un béton isolant pour les murs et un béton normal pour les planchers (figure 32 et 33). Le béton enveloppe l’usager dans tous les plans, il se veut continu. Olgiati fait l’ode du béton là aussi où il fait le choix d’utiliser le béton aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur et aussi bien à l’horizontal qu’à la vertical. Sur la coupe, les traits rouges représente la continuité du béton. La ligne passe aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’ouvrage. Le sol devient mur et le mur devient sol. L’enveloppe du béton est aussi mise en valeur par le retrait en façade des châssis de fenêtre. On aperçoit que les châssis ne sont alors pas visibles depuis l’extérieur. Une ombre vient se créer accentuant l’idée d’un creusement de

29. Olgiati (Valerio), Valerio Olgiati : Paspels, Valerio Olgiati et Alberto Dell’Antonio, Édition Dino Simonett, Zürich, 1998

figure 32 : Vue du hall du Centre des Visiteurs à Zernez

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figure 33 : Coupe du Centre des visiteurs du Parc National Suisse

la forme et de la masse de béton. Olgiati s’approprie ce matériau ordinaire souvent qualifié de froid, rigide, et qui s’est renfermé dans un imaginaire moderniste. Il l’utilise afin de donner un propre langage à son architecture et lui offrir une nouvelle expérience sensitive. Dès lors, le visiteur n’est pas dans une approche intellectuelle pour cerner le bâtiment. Il doit l’expérimenter par les sens que son architecture propose. Nous émettons ici l’hypothèse que le béton ne doit pas être appéhendé seulement comme structure maisVectorworks également comme ornementation architectuEducational Version rale, non liée au contexte mais à la matière seule. Ornementation du béton

30. Olgiati (Valerio), Une conférence de Valerio Olgiati, Birkhäuser, 2011

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Venons-en au traitement du béton qu’utilise notre architecte d’étude pour l’atelier Bardill. Olgiati nous montre, son obsession pour ce matériau et sa manière de penser sa surface. On considère ce projet inscrit dans un contexte où Olgiati joint le travail d’artisans locaux à son projet. En effet, l’édifice est ornementé de reliefs symbolisant le Soleil des Alpes. Les 500 rosettes sont réparties selon trois diamètres différents. L’ornementation n’a ici pas seulement un rôle esthétique, elle souligne aussi l’unité de l’édifice aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur (figure 34). Là encore Olgiati recherche un tout organique indissociable dans sa conception. Les ornements commencent au niveau du sous-sol. À ce propos, Olgiati ajoute qu’il est convaincu “que l’on comprend un bâtiment de la même manière qu’on le ressent. L’idée que les ornements n’existent que là où on les voit est insupportable et incompréhensible”30. L’ornementation devient alors


aussi auto-référentielle, elle ne dépend pas de la limite entre le sol et la façade mais commence là où le projet prend racine c’est-à-dire le sous-sol. L’ornementation est entièrement lié à la forme et non à ce que l’on en perçoit. Cette forme de rosace trouve son origine dans un meuble de bois ancien appartenant à Linard Bardill. Une analogie s’établit alors entre une ornementation dédiée à un mobilier et l’ornementation totale d’un édifice. Cet ornement du béton fait oublier la monumentalité contrastée avec les chalets environnants en intégrant le projet au village et à ses traditions. Des coffrages de bois d’épicéa de largeurs variées ont été taillés par des sculpteurs de la région (figure 35). La fabrication artisanale induit des imperfections de relief en façade. Dès lors, l’édifice renforce son unité par son aspect unique. Le béton a été ensuite coulé sur place par étapes successives. En plus des rosaces, l’enveloppe révèle les traces verticales de l’assemblage des coffrages. Olgiati cherche en quelque sorte, que le visiteur comprenne les étapes de construction. En fonction de la lumière et des heures de la journée, les ombres dynamisent la surface et donnent un relief au béton. Ainsi Valerio Olgiati articule l’ornementation de l’enveloppe externe de façon à ce qu’elle déjoue nos habitudes de perception. Le béton ne devient pas seulement structurel mais une ornementation à part entière. Ici, le Soleil des Alpes nous rappelle un symbole traditionnel or ici le motif par son dessin et par sa multiplication troublante ne semble plus être compris comme un signifiant d’une idée extérieure. Jacques Lucan dit à ce propos que “pour éprouver la présence immé-

figure 34 : Vue de la surface intérieure de l’Atelier Bardill figure 35 : Coffrage sculpté de manière artisanale

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31. Lucan (Jacques), Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romande, 2016, p. 131

diate des matériaux, leur fulgurance, pour ne pas être distrait par d’autres rumeurs, mieux vaut avoir affaire à des formes simples”31. Dès lors, on admet que l’enveloppe accentue l’abstraction de l’architecture non-référentielle et qu’elle contraste avec le contexte environnant au travers d’un certain minimalisme. L’ornementation homogénéise la surface et implique une pureté perceptive. Olgiati s’approprie le béton et l’ornementation tout en les libérant de leurs significations stylistiques et symboliques où l’enjeu est de rendre la perception la plus immédiate possible. Enfin, on peut se demander si la neutralité de la perception ne s’explique pas aussi par la monochromie de la matière, dans les édifices de Valerio Olgiati. Monochromie

32. Ad Reinhardt, Iris Time, n°7 (1963), in catalogue Collection Art moderne, Paris : Centre Pompidou, 2006, p. 537

L’utilisation franche du béton renvoie tout d’abord au deuxième et quatrième principe de l’architecture non-référentielle parlant de l’unité et de construction. Mais la monochromie s’explique davantage en comparaison avec la préoccupation des artistes de l’Art Minimal dont nous avons parlé précédemment en introduction de ce chapitre. En effet, l’unicité colorimétrique renvoie au tableau Carré noir sur fond blanc peint par Malévitch. Plus tard, l’artiste ultime, Reinhardt, en quête de neutralité décrit l’une de ses oeuvres Dernière peinture n°6 (figure 36) comme “pure, abstraite, non objective, atemporelle, sans espace, sans changement, sans référence à autre chose, désintéressée, un objet conscient de luimême, idéal, transcendant, oublieux de tout ce qui n’est pas l’art.”32 Cette description dépeint notre propos juqu’alors en terme d’architecture non-référentielle. Être neutre impliquerait alors de considérer l’architecture comme un corps. Il rejette le signe en faisant abstraction de son usage et du programme pouvant devenir le signe de ce corps. L’architecture non-référentielle en se voulant la plus neutre perceptiblement ne fait référence à rien d’autres qu’à elle-même. Comme l’oeuvre de Malévitch ou Reinhardt, les bâtiments de Valerio Olgiati sont des aplats abstraits d’une seule et même couleur dans un milieu. Si on émet l’hypothèse que construire une abstraction architecturale, c’est se positionner de manière neutre alors il faut se demander comment la matière devient elle-même neutre. C’est là que la monochromie entre en jeu. Cette dernière permet que forme et fond ne fassent qu’un. Elle a un fort pouvoir d’abstraction. Elle

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permet d’homogénéiser les surfaces, de purifier la forme, d’unifier le projet. Cette mono-matérialité du béton participe à la création d’une ambiance intérieure. Il épure l’espace pour vivre une expérience spatiale amplifiée. Prenons l’exemple des couloirs de l’école de Paspels (figure 37), le vide résultant de la distorsion des salles de classe attire notre attention. Les murs, les sols, les plafonds sont faits et revêtus du même béton. La matière englobe les élèves, il en fait l’expérience par le mouvement dans la mesure où elle est omniprésente. Il n’y a aucune ornementation en plus, si ce n’est que la matière devienne elle-même une ornementation. Deux couleurs principales prédominent dans les édifices de Valerio. La première varie entre le gris et le blanc aussi bien dans l’école de Paspels (figure 38) que dans le centre des visiteurs du Parc national Suisse (figure 39). Tandis que la deuxième s’approche des couleurs terreuses, ocre et rouge, comme dans la Villa Além (figure 40) et dans l’atelier Bardill (figure 41). À la manière dont Olgiati faisait référence au Taj Mahal dans son Autobiographie iconographique, on peut émettre l’hypothèse qu’Olgiati souhaite une sorte d’apparition dans le paysage avec les couleurs claires et blanches. On pourrait penser que ses oeuvres architecturales se serait construitent d’elle-même et seraient les fruits de leurs idées respectives et pures. Néanmoins les couleurs ocre et brune sont, elles, davantages liées au contexte car elles semblent être plus ancrées dans le sol. Au-delà de la simple utilisation du béton, Valerio Olgiati veut prôner un retour au béton architectonique, c’est-à-dire pas seulement comme un revêtement mais comme un réel élément structurant le tout. Il l’adapte, tel un peintre, avec des dosages et des compositions variables. Enfin, lorsque Olgiati affirme qu’ “un tel mur (de béton teinté dans la masse) a quelque chose qu’un mur crépi - que je n’apprécie pas moins - n’a pas : il est transparent d’une certaine manière. S’il était coupé dans un autre plan, il ne serait pas différent”33. Cette dernière nous invite à considérer la matière comme une entité transparente. En utilisant une même teinte, une même matière, une même matérialité aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur et aussi bien à l’horizontale qu’à la verticale, on peut considérer que la neutralité de l’architecture non-référentielle se justifie par une disparition de la matière.

figure 36 : Dernière peinture n°6, Ad Reinhardt, 1960, 153 x 153, Huile sur toile

figure 37 : Couloir et escalier de l’étage 0 et de l’étage 1 de l’Ecole de Paspels

33. Diener (Roger), entretien avec Martin Steinmann, 14 mars 1997, cité dans Martin Steimann, “Diesseits der Zeichen” in Stadtansichten, Zurich, gta, 1998

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figure 38

figure 40

figure 39

figure 41


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Conclusion

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Le regard porté sur l’architecture non-référentielle de Valerio Olgiati, nous a conduit à appréhender sa vision à travers différents chemins. De prime abord, nous pouvions considérer la terminologie non-référentielle comme radicale, sans origine, sans signes extérieurs et sans autre définition qu’elle-même. Or cette recherche nous a amenés à nuancer la qualification de son architecture, à la confronter avec sa théorie et enfin à comprendre comment Olgiati répondait à la non-référentialisation dans son œuvre architecturale. Lorsque Olgiati affirme que son architecture “ne peut pas être un objet issu de rien” dans notre citation introductive, il faut comprendre qu’en tant qu’architecte, son héritage culturel a influencé son profil qui dès lors n’est pas neutre. Avant d’avancer ces principes qui vont définir comment une architecture peut se détacher de la référence, il y a avant tout un contexte présent et passé. La crise de la science moderne a profondément changé notre rapport à l’art de construire. Les théories universelles ont fait de la géométrie et des nombres, des sciences absolues oubliant la spécificité propre à chaque contexte. Dans un passé plus proche, la société a perdu ses repères géographiques là où la mondialisation et la globalisation ont tenté d’uniformiser l’architecture. Olgiati s’inscrit alors dans ce monde en perte de référentiel. D’autres part, les mouvances unificatrices architecturales se perdent pour laisser place à des architectures singulières propres à chacun. Le monde est non-référentiel en revanche les individus, qui le composent, n’ont pas perdu leurs repères individuels. Les autobiographies iconographiques illustrent cette pluralité d’obsessions, d’héritages passés personels d’environnements familiaux, de points de vues, de règles et alors de références. Ces dernières deviennent autonomes et individuelles comme“des spectres privés dans une période d’incertitude collective” pour reprendre les mots de Jacques Lucan. L’analogie apporte une première réponse à notre problématique et à la question de la fatalité de la référence. L’architecture non-référentielle vient puiser dans des références interprétées comme non-historique pour troubler et perturber le présent. Olgiati dissocie le signe de la forme pour écarter toutes références préexistantes. La référence devient alors un vecteur décisif pour l’architecture non-référentielle.

Lucan (Jacques), Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romande, 2016, p.237

Dans cette quête de non-référentialisation, Olgiati énonce ses sept dispositifs par un discours qui se veut à l’image de notre société. Ces derniers visent à donner une définition à son architecture et à

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lui donner un sens. L’expérience de l’espace, l’unicité, la nouveauté, la construction, la contradiction, l’ordre et enfin le fait de donner du sens à une architecture figurent comme des principes universels. Chaque œuvre architecturale sera le fruit d’une articulation et d’une actualisation de ces dispositifs. Ces règles nous permettent alors de cerner que l’architecture non-référentielle se détache du référentiel en devenant architectonique. L’architecture ne répond pas au contexte dans la mesure où elle répond à elle-même. Les références extra-architecturales n’influencent pas la finalité d’une architecture car elle ne doit traiter que d’éléments qui la constitue c’est-à-dire son essence architectonique. Finalement, son architecture trouve son centre de gravité à travers la formulation d’une idée directrice, vectrice d’une forme. L’architecture non-référentielle vise à devenir un organisme constitué d’éléments architectoniques interdépendants les uns par rapport aux autres. L’unicité de son œuvre ne prend son sens que par sa prestance formelle et les contradictions qu’elle engendre. Affirmer que l’architecture n’a pas d’autres choix que d’être purement architectonique dans le monde non-référentiel, nous a conduit à la troisième partie, celle de comprendre comment son architecture joue avec le contexte, le provoque et établit différentes postures avec celui-ci. L’écriture constructive de Olgiati s’approche d’une œuvre d’art abstraite sur fond blanc. Les édifices étudiés se veulent d’abord comme créateurs de leur propre référentiel, un paysage intérieur dans un paysage extérieur. Les bâtiments sont parfois pensés comme un objet, une sculpture habitée, un corps esthétique visant à rendre la forme auto-référentielle et interdépendante en gommant son cadre. L’architecture ne cherche à s’exprimer qu’à travers ses éléments architectoniques c’est-à-dire sa constitution organique, son essence et ce avec quoi elle s’édifie. L’abstraction architecturale s’identifie aussi par son enveloppe unitaire de béton. Expérimenter l’architecture de Olgiati, c’est pénétrer dans la matière, dans la texture et parfois dans une ornementation. Par sa matérialité et la perturbation de la lecture du programme, l’abstraction construite vise une certaine neutralité nous demandant si l’architecture non-référentielle n’est pas une architecture du silence. Au terme de ce mémoire, nous sommes dans une phase de rupture sur ce que l’on pensait connaître de l’architecture, de sa référentialisation et son intégration dans un contexte. L’architecture doit peut-être re-

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considérée comme le premier des arts. Appréhender l’architecture comme Valerio Olgiati l’aborde permet de se reconfronter à l’essence même de la discipline. Elle ne doit être le reflet que d’elle-même. L’architecture ne doit parler que d’architecture. Or, penser à nouveau l’architecture comme un art voire comme une œuvre d’art abstraite peut nous questionner. Nous avons démontré que l’architecture de Valerio Olgiati se voulait indépendante et libre de toute contraintes or l’architecture doit-être un art utile répondant toujours à un programme et a une fonction. Si notre discipline vise à considérer l’architecture comme un art que l’on habite et que l’on expérimente avec notre corps, comment l’architecture non-référentielle considère-telle encore la place de l’usager ? Est-ce que l’Homme a encore sa place dans un espace pensé comme une oeuvre d’art, comme une spatialité aseptisée ? Peut-on vivre dans un espace pensé comme un objet et comme une sculpture ? De nouvelles perspectives s’offrent à nous.

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Annexes

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Entretien entre Antonio Mazzolai (étudiant en Master à l’Accademia di Architettura di Mendrisio) et Clément Chivot (étudiant en Master à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg) CC : S’agit-il d’un atelier que Valerio Olgiati propose aux étudiants pendant la période de licence ou de master à l’Accademia ? AM : En réalité, il s’agit des deux, nous avons l’opportunité à Mendrisio soit de le prendre pendant la dernière année de licence ou en première année de master ainsi que pour le diplôme. Il y a en revanche une sélection pour intégrer son atelier et les étudiants de master sont prioritaires. Il y a en moyenne 18 étudiants chaque année or face au virus, les choses ont changé cette année. Maintenant, son atelier n’est constitué que de 8 étudiants. Ces derniers sont sélectionnés avec leurs portfolios car c’est un atelier d’architecture très prisé. La première année de licence connait une nouvelle organisation avec Valerio. Quand j’étais en première année à l’Accademia, il y avait 5 professeurs et chacun des architectes avait des assistants. Maintenant, Olgiati est devenu l’architecte en chef des premières années et a décidé qu’il y aurait 10 professeurs sans assistants. CC : Pourquoi as-tu choisi cet atelier à l’Accademia ? AM : J’ai décidé de l’intégrer car je pense vraiment que c’est une personne d’une grande qualité à l’Accademia. Son approche est complètement différente des autres professeurs que j’ai eu avant. Je ne suis pas un grand admirateur de Valerio Olgiati… enfin je veux dire que j’apprécie son architecture mais qu’elle est très différente des autres. J’ai vu ce choix comme un challenge personnel et une opportunité pour moi d’apprendre une nouvelle méthode. CC : En effet, mon travail de recherche ne vise pas à défendre ou à critiquer son œuvre mais à la comprendre et à en prendre du recul. Il y a des contradictions entre ses propos théoriques et pratiques mais je veux les analyser et à travers son enseignement, tu me permet d’explorer encore plus sa posture architecturale Venons-en au déroulé de son atelier. Quelles sont les principales étapes qui rythment son atelier avec ses étudiants ?

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AM : La première semaine, nous devions présenter une image qui expliquerait notre posture de projet. En d’autres mots, il n’agit pas d’une lecture littérale de cette image. Par exemple, si j’avais choisi de faire une villa, l’image de référence ne doit pas être une villa traditionnelle, ce n’est pas ça du tout ! CC : En réalité, cette étape fait écho à son exercice de son Autobiographie iconographique. N’est-ce pas ? AM : Oui en effet, je pense aussi à son livre The Images of Architects. C’est une image qui évoque quelque chose et donc quand vous la présenter lors de la première critique, nous devons expliquer précisément ce que cette image signifie pour nous et quel type d’architecture elle peut éveiller et se développer. Par exemple dans mon cas, il s’agissait d’une image d’un photographe italien. Elle reflétait le paysage d’une campagne au Nord de l’Italie où j’ai décidé d’implanter mon projet de villa. J’avais envie à travers cette image, de souligner la totale horizontalité de ce paysage rural. Cette image doit avoir en quelque sorte un sens métaphysique avec ce paysage vide. CC : Mais si je comprends bien votre approche architecturale, à travers cette image, n’est donc pas historiciste ? Peux-tu m’en dire plus ? AM : En réalité, je dirais que tout dépend de l’image que tu choisis avec Olgiati mais je conçois ce type d’image comme une évocation d’une sensation, d’un ressenti ou d’une atmosphère. Comme je le disais avant, l’image n’est pas à traduire littéralement. Il peut s’agir d’un effet de lumière ou d’ombre tu vois. En soit, c’est quelque chose qui doit faire débuter une discussion avec lui. CC : Puis après cette présentation de cette image, qu’arrive t-il ensuite ? AM : Après la première semaine et cette discussion avec Valerio, nous commençons seulement à penser au projet d’une manière très schématique. En fait, nous ne le voyons que durant les critiques intermédiaires principalement. Et ce que j’ai trouvé très important pour moi ce semestre, c’est cette relation avec les assistants. Au début, c’était assez dur pour moi de me lancer dans le projet. A vrai dire, tout au long du semestre, j’ai été en difficulté dans la conception. Je conti-

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nuais toujours à penser la typologie de la villa et sa relation avec le paysage d’une manière encore trop académique. J’essayais toujours de trouver une justification de ce que je voulais, de ce que je dessinais et de ce que je montrais à Valerio. Je dirais que son approche est non conventionnelle. CC : D’ailleurs en parlant d’ approche non-conventionnelle, comment ce passe le choix du site et du programme dans son atelier ? Comment amorce-t-il la notion de contexte ? D’après mes souvenirs de la critique finale, je me souviens que tu avais présenté le projet d’une ferme dans une campagne au Nord de Padoue ? Est-ce un lieu que tu as déduit de ton image ? AM : Non, en réalité, c’est l’inverse, j’ai choisi l’image car j’étais déjà focalisé sur ce type de paysage. J’ai oublié de te dire ce qui se passait en réalité le premier jour de l’atelier pour que tu comprennes mieux. Avant de présenter sa propre image, l’ensemble de l’atelier est divisé en trois parties et c’est comme une loterie. On tire une thématique, un motto. Chaque assistant dirige un groupe et donc une thématique. Ma thématique était Villa et deux autres étaient Seascape et Tree. CC : Venons-en à une question importante que nous devons éclaircir. Quand Olgiati parle d’architecture non-référentielle, comment définirais-tu cette notion ? S’agit-il d’un rejet du contexte soit le site ou alors d’établir un projet sans références ? Il y a une grande nuance. AM : Je te dirais que cette notion n’est pas à prendre au sens littéral. Prend l’exemple de ces images dans son Autobiographie iconographique. Il prend parfois l’exemple d’un temple et la typologie du temple n’est en soit pas reliée aux alentours et au paysage directement. Une architecture ne doit pas nécessairement être liée à quelque chose qui existe ou qui doit être ce qu’elle est. J’ai sous les yeux le livre de Markus Breitschmid The Significance of the Idea, que tu as du lire où il explique ce dont on parle en ce moment. Selon Olgiati, il y a deux relations qui lient un projet avec son site. L’architecture qui réagit avec son lieu et celle qui est en totale opposition. En revanche son œuvre architecturale est en quelque sorte liée à son site. Prend l’exemple de la couleur du béton qui varie selon ses projets et donc selon le lieu. Je te dirais aussi qu’il est clair que quand nous faisions

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le projet, il était directement lié au paysage. D’ailleurs, Valerio Olgiati était content que l’on fasse cela. Il n’était pas critique envers ma vision. Or, il ne voulait pas que notre projet ait une relation traditionnelle avec le paysage. La ferme que j’ai proposée n’est pas du tout une réinterprétation des fermes traditionnelles du Nord de l’Italie. Être non-référentielle, c’est se détacher de la tradition d’un site pour inventer une chose nouvelle mais qui peut avoir une relation avec le paysage. CC : Que peux-tu me dire au sujet de la signification d’une idée dans le processus architectural ? D’après mes lectures, je la vois comme une ligne directrice que l’architecte doit suivre scrupuleusement. AM : Oui c’est vrai, c’est un point fixe que nous devons suivre. Mon erreur lors de ma première critique a été de trop me référer aux fermes traditionnelles du paysage car pour moi, c’est ma façon de voir l’architecture. J’essayais de réinterpréter cela pour avancer. En revanche l’enjeu, ici, était de partir d’une feuille blanche. Et le paysage était comme ma première étape, une sorte de memory. Alors, en partant de cela, j’ai écrit mon idée. Ce n’est pas référentiel dans la mesure ou on ne cherche pas quelque chose de similaire dans les alentours. CC : Et dirais-tu alors que son architecture peut-être considérée comme formelle ? AM : Laisse-moi voir … je ne sais pas si Olgiati serait content que l’on dise que son architecture est purement formelle. La forme naît d’une idée et cette idée naît, elle, de différentes relations avec le contexte. Prenons mon exemple de ferme encore. La Cascina a corte est la typologie d’architecture rurale de Lombardie, dans la vallée du Pô. Elle a la particularité d’avoir une trame forte et présente d’ouvertures et de dimensions différentes tournées sur le paysage. On y lit alors cette volonté de s’ouvrir sans limites à l’infini sur l’extérieur. Donc le premier point que j’ai développé est la forme circulaire de mon projet. Le cercle ne donne aucune direction au paysage. Je ne souhaite imposer aucune direction dans la lecture du paysage. Quant à l’empreinte de mon projet sur le sol, je n’ai pas souhaité, comme la Cascina a Corte, avoir tout le bâtiment reposant solidement sur le sol. Cela aurait été trop référentiel et une réinterprétation.

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CC : Sincèrement, j’ai attiré l’attention sur la forme non conventionnelle de ta ferme. Il y avait quelque chose de très aérien et très poétique dans ta proposition. Maintenant passons à la théorie non-référentielle de Olgiati et plus précisément de la prise en compte dans son enseignement de ces 7 principes ? AM : En réalité, je ne sais pas … Tu sais son livre bleu est une synthèse de tout ce dont il croit en architecture mais la plupart de son enseignement est du cas par cas avec les projets de chacun. Au milieu du semestre, lorsque j’étais en panique totale, j’ai demandé ce qu’était vraiment une idée aux assistants. Ils m’ont répondu, “Antonio, on ne sait pas comment t’expliquer une définition de l’idée de ton projet d’une meilleure façon que toi-même. Quand tu as une idée, tu la reconnais car le concept devient clair, précis.” Mais il faut savoir qu’à une semaine de la critique finale, beaucoup d’étudiants n’avaient pas d’idée précise. Et c’est assez normal dans cet atelier. Nous avons fait beaucoup de tests; environ deux par semaines parce que nous devons envoyer notre projet le jeudi aux assistants et ensuite le vendredi nous représentons notre projet soit à Valério, soit à nouveau aux assistants. C’était intense car presque chaque semaine, je changeais de projet. Je me souviens que dans les premières semaines, mon idée était de penser la villa comme une promenade, d’avoir cette procession spatiale lente au travers de la promenade. Mais avec du recul, ce n’était pas une idée car il n’y avait aucun rapport avec le paysage. J’ai dû alors changer mon idée. J’ai alors choisi de faire une ferme où les espaces privés des fermiers et les espaces de travail fonctionnaient tous les deux dans un ensemble. CC : Ne trouves-tu pas qu’il y a, dans sa posture architecturale, des contradictions ? AM : Il aime l’ambiguïté en architecture, c’est certain. Il y a déjà de la confusion dans l’absence d’images dans son livre. Il sépare son propos de la pratique. Sa conception de l’architecture est née d’une réaction à tous les systèmes de règles, de dogmes architecturaux modernistes à suivre auparavant. Je pense alors que pour comprendre Valerio, il faut parler de post-modernisme des années 80. Valerio est parti de là, il a étudié pendant cette période. Aussi, pour lire l’architecture de Valerio, il faut déjà comprendre celle de son père, Rudolf Olgiati,

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un architecte moderniste suisse. Sa relation avec son père était du genre très compliqué et je pense qu’il en a souffert de cette puissance moderniste qu’il lui tournait autour depuis son enfance. Il ne voulait pas savoir ce qui était juste ou faux en architecture. Olgiati a vraiment souffert des règles en architecture et cela se ressent sur son enseignement. En disant si une architecture est belle, moche, vraie ou fausse, etc. on exclut de nombreux aspects de l’architecture et ça l’a réduit. Son livre explique vraiment quelque chose dans la mesure où ses 7 principes proposent la manière la plus simple de comprendre son architecture. La contradiction fait que si on suit ses 7 principes alors on crée une architecture référentielle car on suit des règles. On se réfère à ces règles. CC : Merci pour ton point de vue, c’est assez intéressant de creuser ce sujet. Comme tu le sais, la troisième partie de mon mémoire va traiter de mon approche personnelle du sujet que je traite. Si Olgiati cherche en quelque sorte à faire abstraction des références littérales et de la tradition du contexte, je me demande si son architecture, quant à elle, ne devient pas une abstraction ? La question de la matérialité unique en béton m’intrigue et c’est pourquoi je voulais discuter de son usage constant du béton avec toi. AM : Il faut voir le béton comme une matérialité pratique. C’est facile d’adapter ce matériau à l’idée. Il ne pense pas qu’une forme doit être faite de béton, que c’est comme ça et voilà. Il ne pense pas à la matérialité en premier, ce n’est pas comme ça ! Aussi dans le béton, il n’y a pas de règle à suivre comme la pierre ou la brique où de nombreux facteurs entrent en jeu comme les joints, la taille, etc. Le béton devient une matière abstraite. Par exemple, si tu projette dans ta tête un espace, il est facile de le retranscrire totalement en béton dans la réalité. Il y a une grande intimité entre l’idée et l’usage du béton. CC : Le béton devient en quelque sorte une pâte à modeler. Aussi, grâce à cet usage Olgiati part d’un tout qu’il va ensuite diviser pour construire le vide. Cela nous invite à parler d’unité du bâtiment. Olgiati nous dit que l’unité vient par une architecture de division d’une forme et non l’addition de plusieurs formes. AM : Oui, je pense la même chose que toi. Olgiati refuse une architecture qui est accidentelle dans le sens où quand on commence

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réellement à penser à une architecture, nous commençons par une complexité. Donc je veux dire, qu’il y a toujours une forme principale dans son architecture, le cube, le parallélépipède rectangle, le cercle, etc. Il crée une unité formelle, un lien fort. En d’autres mots, Valerio ne pense pas les espaces les uns après les autres, il pense à l’unité avant tout. Traditionnellement, on pense à l’architecture avec des diagrammes tu vois …… on pense à l’entrée, puis avec quel espace elle doit être liée, etc. A la fin, on se retrouve avec un résultat d’espaces différents et d’addictions différentes. Son architecture est une déduction de son idée et uniquement de son idée. C’est à travers cela qu’il arrive à l’unité et à l’unicité de la forme. Entretien entre Vittoria di Giunta (étudiante en Master à l’Accademia di Architettura di Mendrisio) et Clément Chivot (étudiant en Master à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg) CC : Premièrement, avec le recul de l’atelier de Olgiati, comment définirais-tu désormais une architecture non-référentielle. C’est un peu contradictoire dans la mesure où il se réfère à des images du passé de temples anciens ou encore à des paysages de son enfance ? Comment s’est séquencé la conception de ton projet dans l’atelier ? VG : L’architecture non-référentielle est basée sur une idée. Cette idée produit une forme et un sens. L’idée est un big bang du projet ... Elle doit être claire et logique et tout le monde doit pouvoir la comprendre. Les images qu’il sélectionne sont souvent anciennes, elles reflètent une condition d’une société, d’une communauté. Une image n’est pas là pour cacher une super philosophie derrière elle. Par exemple, si les fermes dans les montagnes suisses ont été construites par les fermiers, l’idée principale derrière était de construire des architectures pour survivre dans la montagne et abriter les animaux. Ce sont alors des architectures honnêtes et pures. Toutes les images que choisit Olgiati cachent une idée derrière. Elles sont le fruit d’une force physique. Quand on définit une idée avant un projet, tout est holistique c’est-à-dire que tout sera lié à cette idée. CC: Veux-tu dire par holistique que tout ce qui suivra dans la conception sera dépendent de l’idée ?

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VG : Oui ! Il doit y avoir une cohérence forte entre l’idée primitive et le résultat architectural. Le processus de l’atelier ne commence pas véritablement par les images mais plutôt par une thématique que nous devons tirer au sort. Elle deviendra le motto pour tout le semestre. Il y a trois mottos par semestre, et nous avions le choix entre Seascape (paysage marin), Villa (maison) et Tree (arbre). Un motto à des propriétés propres comme le choix d’un site, d’une typologie ou encore d’une échelle du projet. Un motto est quelque chose que nous devons développer tout au long du semestre, il est une source d’investigation pour le développement de notre projet. Tous les paramètres du projet comme le site, le programme font partie des choix auxquels chaque élève devra faire face individuellement en développant ses propres interprétations du motto. Il faut lire, se renseigner, étudier, faire de la recherche autour de ce motto. Me concernant, j’ai tiré au sort le thème Tree. Alors je me suis demandé, qu’est-ce qu’un arbre pour moi? Plusieurs possibilités se sont offertes à moi. Je devais développer un projet qui a la structure d’un arbre ? L’arbre comme élément majeur d’un site ? Ou s’agit-il d’une typologie qui vient de la morphologie d’un arbre. Selon moi, l’arbre rimait avec le parc, autour de la dystopie de l’arbre. Mon idée était alors de créer un jardin. C’est une manière d’honorer l’arbre Au début, j’ai pensé aux jardins persans situés dans les déserts tels des oasis mais mon analogie était trop évidente. L’enjeu de l’atelier est de construire la nouveauté et de remettre en question les éléments architectoniques. Alors à l’opposé de la Villa Além, construite par mon professeur dans un site désertique, j’ai créé un jardin clos au cœur d’un centre urbain historique, celui de Berlin. À quoi peut ressembler un paradis dans une ville ? Construire un parc, aujourd’hui, dans un contexte urbain est un cadeau que l’on fait à la société. Je voulais alors créer un parc secret et souterrain par rapport à ce qui l’entoure. Il était question d’exprimer un lieu à travers le jardin. La forme du jardin dans un cratère en béton permet de l’extérieur de percevoir une unité et de l’intérieur cela permet la projection d’un paysage autonome où le visiteur est désorienté mais où son esprit est captivé par ce nouvel écosystème naturel. Je voulais créer aussi une sorte de contemplation de ce paysage introvertie. Voilà l’idée de mon projet. CC : Que penses-tu du travail sur l’intériorité qu’opère Valerio Olgiati dans ces projets comme celui qu’il opère dans la villa Além ?

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J’émet l’hypothèse qu’en visant une décontextualisation de son architecture, il vise la construction d’un nouveau référentiel qui serait un référentiel introverti et tourné sur l’intérieur. VG : Je pense qu’il y a deux questions à se poser ici ? Tout d’abord qu’est ce qu’un paysage intérieur et ensuite en quoi ce dernier sert à exprimer une idée de projet. Je reprends l’exemple de mon projet ici. Du moment où je voulais créer un jardin et où ce jardin cherche à exprimer un lieu, ce jardin devait prendre la forme d’un cratère. C’est une vision très personnelle car j’avais en tête l’Etna en Sicile, là d’où je viens. Le jardin, en réalité, est un élément très individuel car toutes les personnes ont leurs propres visions du jardin. En France, il y a davantage l’idée d’un espace infini comme les champs de lavande en Provence. Lorsque vous créez un jardin, vous créez votre propre paradis, votre unique version du jardin. Mon projet est non-référentiel car je vise à créer ma propre vision d’un jardin dans une ville européenne qui ne conçoit pas les jardins de la même manière qu’en Sicile par exemple. Je me suis sentie très libre et moi-même dans cet atelier car j’ai cherché à construire quelque chose de fort à la suite de mon idée. Et au final le projet paraît libre et personnel. Olgiati ne nous influence pas à faire nos projets comme lui. Je dirais qu’il nous enseigne à définir notre propre style de vie et à le concevoir sous la forme d’une architecture cohérente. CC : Que peux-tu me dire de ou des images que tu as choisies au début de ton projet ? VG : J’ai commencé avec deux images en réalité qui décrivent mon projet. L’une représente un oasis en Algérie car la typologie de l’arbre m’a inspiré à créer un parc et à le rendre introverti. Cette image possède une nouvelle dimension et une profondeur en s’isolant du contexte. Pour les gens du désert, l’oasis représente l’idée d’un paradis …. quelque chose d’extrême par rapport à ce qu’il voit dans le désert. J’ai essayé de dégager l’ambiance de cette image c’est-à-dire le contraste de température entre la chaleur intense du désert et la fraîcheur de l’oasis. L’oasis est en réalité l’opposé de son référentiel. C’ est un lieu dystopique. Un lieu dystopique est un lieu qui se détache de son contexte mais en même temps, il lui fait écho. Sans désert, l’oasis ne serait pas un jardin paradisiaque.

135


La deuxième image était un arbre japonais prenant place dans un vase car j’ai imaginé mon jardin dans une ville. Dans une ville, la plupart de ce qui nous entoure est artificiel et si on prend Central Park à New-York, c’est une déclaration à l’artificialité d’une certaine façon. Cette image représente donc un espace naturel dans un espace artificiel. L’arbre devient une sculpture plutôt qu’un arbre qui pousse dans une forêt. Pour donner de l’importance à l’arbre, il faut le contraster avec des éléments opposés.

136


Antonio Mazzolai

Vittoria Di Giunta

Coupe

Coupe

Plan masse

Élévation

L’horizon comme paysage

Jardin intérieur

Vue générale de la ferme

Coupe

137


Table des illustrations

138


Chapitre I •

Fig. 1, La Città Analoga, Aldo Rossi, Eraldo Consolascio, Bruno Reichlin and Fabio Reinhart, Archivio La Biennale di Venezia, 1976, disponible sur : https://artsandculture.google.com/asset/ la-citt%C3%A0-analoga-aldo-rossi-eraldo-consolascio-brunoreichlin-and-fabio-reinhart/RwH7wJvh4bND-Q [consulté le 12/12/2020]

Fig. 2 : Portrait de Valerio Olgiati, photographie de Christian Grund, disponible sur : https://www.bmr-fotografen.ch/de/artists/christian-grund/149/1869/ [consulté le 3/01/2021]

Fig. 3 : La ville du Globe captif, Delirious New York, Zoé Zenghelis, 1972, peinture acrylique et gouache sur papier, 31.2 x 44 cm disponible sur : https://metronocstrat.wordpress. com/2011/12/11/manifeste-archipel-resistant/ [consulté le 5/01/2021]

Fig. 4 : Maison “Dado”, Rudolf Olgiati, Flims, Suisse, 1935-1968, maquette extraite de l’exposition Die Sprache der Architektur disponible sur : https://www.archdaily.com/299355/the-language-of-architecture-at-eindhoven-university-of-technology-exploring-rudolf-olgiatis-work [Consulté le 01/12/2020]

Fig. 5 : Maison “Las Caglias”, Rudolf Olgiati, Flims, Suisse, 1959-1960, maquettes extraite de l’exposition Die Sprache der Architektur disponible sur : https://www.archdaily. com/299355/the-language-of-architecture-at-eindhoven-university-of-technology-exploring-rudolf-olgiatis-work [Consulté le 01/12/2020]

Fig. 6 : Plan du soubassement de l’agence de Valerio Olgiati et du rez-de-chaussée de la maison familiale construite par Rudolf Olgiati, disponible sur : https://archello.com/project/office-of-valerio-olgiati [Consulté le 15/11/2020]

Fig. 7 : Casa Radulff , Rudolf Olgiati, Flims, Suisse, disponible sur : https://primarystructure.net/rudolf-olgiati-column/ [Consulté le 01/12/2020]

139


Fig. 8 : Céline Flagship Store, Valerio Olgiati, Miami, USA, disponible sur : https://divisare.com/projects/393092-valerio-olgiati-mikael-olsson-celine-flagship-store [Consulté le 15/11/2020]

Fig. 9 : Fontana Monumentale, Aldo Rossi, Segrate, 1965 disponible sur : https://www.ordinearchitetti.mi.it/en/mappe/itinerari/edificio/1870/48-aldo-rossi-e-milano/galleria [Consulté le 13/11/2020]

Fig. 10 : Aldo Rossi, Cimetière San Cataldo, Modène, 19711978, photographie de Can Onaner disponible sur : https:// journals.openedition.org/crau/500 [Consulté le 13/11/2020]

Fig. 11 : représentation personnelle

Fig. 12 : Autobiographie iconographique disponible sur : https:// issuu.com/vincent_nadeau/docs/olgiati_et_la_r__f__rence_ mod [Consulté le 03/10/2020]

Fig. 13 : document personnel à Vittoria Di Giunta

Fig. 14 : document personnel à Vittoria Di Giunta

Fig. 15 : document personnel à Vittoria Di Giunta

Fig. 16 : document personnel à Vittoria Di Giunta

Fig. 17 : document personnel à Vittoria Di Giunta

Chapitre II

140

Fig. 1 : Experience of Space, Valerio Olgiati, disponible sur : https://archello.com/story/82585/attachments/photos-videos/7 [Consulté le 16/09/2020]

Fig. 2 : Experience of Space, Valerio Olgiati, disponible sur : https://divisare.com/projects/388714-valerio-olgiati-andrea-avezzu-experience-of-space [Consulté le 16/09/2020]


Chapitre III •

P. 76-77 : Atelier Bardill, Photographie de Hisao Suzuki, Scan in El Croquis, Valerio Olgiati 1996-2011

P. 78-79 : Villa Além, Photographie de Hisao Suzuki, Scan in El Croquis, Valerio Olgiati 1996-2011

P. 80-81 : Ecole de Paspels, Photographie de Hisao Suzuki J. Miguel Verme, Scan in El Croquis, Valerio Olgiati 1996-2011

P. 82-83 : Centre des visiteurs du Parc National Suisse, Photographie de Hisao Suzuki et J. Miguel Verme, Scan in El

Croquis, Valerio Olgiati 1996-2011

Fig. 1 : Centre des visiteurs du Parc National Suisse, Photographie de Hisao Suzuki et J. Miguel Verme, disponible sur : https:// divisare.com/projects/222882-valerio-olgiati-visiting-center-swiss-national-parc [Consulté le 07/01/2021]

Fig. 2 : Centre des visiteurs du Parc National Suisse, Photographie de Hisao Suzuki et J. Miguel Verme, disponible sur : https:// divisare.com/projects/222882-valerio-olgiati-visiting-center-swiss-national-parc [Consulté le 07/01/2021]

Fig. 3 : Villa Além, Photographie de Paulo Catrica, disponible sur : https://www.wsj.com/articles/villa-alem-a-castle-in-thesky-1472752800 [Consulté le 06/09/2020]

Fig. 4 : Centre des visiteurs du Parc National Suisse, Photographie de J. Miguel Verme, disponible sur : https://afasiaarchzine. com/2015/10/valerio-olgiati-21/ [Consulté le 07/01/2021]

Fig. 5 : représentation personnelle

Fig. 6 : représentation personnelle

Fig. 7 : Villa Além, Archives Valerio Olgiati disponible sur : https://archello.com/story/30553/attachments/photos-videos/9 [Consulté le 07/01/2021]

141


142

Fig. 8 : photographie personnelle

Fig. 9 : Villa Além, Archives Valerio Olgiati disponible sur : https://archello.com/story/30553/attachments/photos-videos/9 [Consulté le 07/01/2021]

Fig. 10 : Villa Além, Archives Valerio Olgiati disponible sur : https://www.milkdecoration.com/la-villa-alem-a-alentejo/ [Consulté le 07/01/2021]

Fig. 11 : The Colour Inside, James Turrell, 2013 disponible sur : https://www.archdaily.com/560974/the-color-inside-overlandpartners-james-turrell-skyspace [Consulté le 05/01/2021]

Fig. 12 : représentation personnelle

Fig. 13 : représentation personnelle

Fig. 14 : représentation personnelle

Fig. 15 : Carré noir sur fond blanc, K. Malévitch, 1915, disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carr%C3%A9_noir_ sur_fond_blanc [Consulté le 23/12/2020]

Fig. 16 : Ecole de Paspels, Archives Olgiati, disponible sur : https://vostok1.tumblr.com/post/70834426536/subtilitas-valerio-olgiati-school-paspels [Consulté le 05/01/2021]

Fig. 17 : Ecole de Paspels, Archives Olgiati, disponible sur : https://archello.com/story/49816/attachments/photos-videos/5 [Consulté le 23/12/2020]

Fig. 18 : représentation personnelle

Fig. 19 : représentation personnelle

Fig. 20 : représentation personnelle

Fig. 21 : représentation personnelle


Fig. 22 : Extrait de “Quinzes variations sur un même thème”, Max Bill, 1935-1938, disponible sur : https://www.kollerauktionen.ch/fr/328654-0068-1181-max-bill.-quinze-variationssu-1181_439071.html?RecPos=8 [Consulté le 28/12/2020]

• •

Fig. 23 : représentation personnelle Fig. 24 : représentation personnelle

Fig. 25 : représentation personnelle

Fig. 26 : représentation personnelle

Fig. 27 : représentation personnelle

Fig. 28 : représentation personnelle

Fig. 29 : Couloir, Villa Além, disponible sur : https://www. ignant.com/2019/02/20/villa-alem-valerio-olgiatis-ownconcrete-ark-in-alentejo/ [Consulté le 15/03/2020]

Fig. 30 : Jardin intérieur, Villa Além, disponible sur : https:// www.ignant.com/2019/02/20/villa-alem-valerio-olgiatis-ownconcrete-ark-in-alentejo/ [Consulté le 15/03/2020]

Fig. 31 : représentation personnelle

Fig. 32 : Centre des visiteurs du Parc National Suisse, Photographie de Hisao Suzuki et J. Miguel Verme, Scan in El Croquis,

Valerio Olgiati 1996-2011

Fig. 33 : représentation personnelle

Fig. 34 : Vue intérieure de l’Atelier Bardill, disponible sur : https://www.subtilitas.site/search/atelier+bardill [Consulté le 11/01/2020]

Fig. 35 : Coffrage bois, disponible sur : https://www.subtilitas. site/search/atelier+bardill [Consulté le 11/01/2021]

143


Fig. 36 : Dernière peinture n°6, Ad Reinhardt, 1960, 153 x 153 cm, Huile sur toile, disponible sur : https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cezqj9 [Consulté le 03/01/2021]

Fig. 37 : Couloir de l’Ecole de Paspels, photographie de J. Miguel Verme, Scan in El Croquis, Valerio Olgiati 1996-2011

Fig. 38 : Extrait de façade, Ecole de Paspels, disponible sur : https://www.subtilitas.site/post/112173544389/valerio-olgiati-school-paspels-1998-prev-2 [Consulté le 11/01/2021]

Fig. 39 : Extrait de façade, Centre des visiteurs du Parc National Suisse, Photographie de Hisao Suzuki et J. Miguel Verme, Scan

in El Croquis, Valerio Olgiati 1996-2011

144

Fig. 40 : Extrait de façade, Villa Além, disponible sur : https:// www.archilovers.com/projects/148241/gallery?1228047 [Consulté le 12/01/2021]

Fig. 41 : Extrait de façade, Atelier Bardill, disponible sur : https://www.dezeen.com/2012/03/25/atelier-bardill-by-valerio-olgiati/ [Consulté le 11/01/2021]


145


Bibliographie

146


Livres •

Breitschmid (Markus), Olgiati (Valerio), Non-Referential Architecture, Zürich, Park Books, 2013

Breitschmid (Markus), The Significance of the Idea, Sulgen, Niggli Verlag Archithese, 2012

Barthe (Roland), Le Neutre au Collège de France (1977-1978), Paris, Traces écrites, Seuil Imec, 2002

Olgiati (Valerio), Une conférence de Valerio Olgiati, Birkhäuser, 2011

Lucan (Jacques), Conversation avec Martin Steinmann, Matière d’art, architecture contemporaine en Suisse, Birkhauser et Centre Culturel Suisse, juillet 2001

Lucan (Jacques), Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romande, 2016

Mosco (Valerio Paolo), Naked Architecture, Skira, 2012

Perez-Gomez (Alberto), L’architecture et la crise de la science moderne, Architecture + Recherches, Pierre Mardaga, 1983

Rossi (Aldo), The Architecture of the City, MIT Press, Cambridge, Mass, 1982

Sigel (Paul), Théories de l’architecture, Taschen, Bibliotheca Universalis, 2015

Steinmann (Martin), La forme forte, Ecrits 1972-2002, Birkhäuser-Verlag für Architektur, 2003

Zumthor (Peter), Penser l’architecture, Birkhäuser, Deuxième édition augmentée, 2014

Zumthor (Peter), Atmosphères, Birkhäuser, 2008

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Fernando Márquez (Cecilia), Levene (Richard), El Croquis Valerio Olgiati (1996-2011), n°156, Madrid, 2011

Revues et articles

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Cortés (Juan Antonio), “Afinadas discordancias”, in El Croquis Valerio Olgiati (1996-2011), n°156, Madrid, 2011

Nivet (Soline), « Radicalement neutre ? », in D’architectures, n°191, mai 2010, p.29-47

«Olgiati, Valerio, 1958-», in Domus, novembre 2013, n°974, p.44-47

Marchand (Bruno), « L’étrange, à la lisière du beau et du laid », in Le Visiteur, n°22, mars 2017, p.97 à 107

Coudray (Elise), Cousot (Aline), Steiner (Philippe), « Provocation sculptural et ambiguïté architecturale » in Matières, n°15, EPFL, Janvier 2016

Vuilleumier-Scheibner (Jana) «Histoire de carrés », in Matières, n° 10, Avril 2012, p.50 à 59

Caruso (Adam), “Whatever Happened to Analogue Architecture.” in AA, Londres, 2009, p.74

Steinmann (Martin), “Augenblicklich, Notes sur la perception des choses en tant que formes”, in Matières, n°3, 1999, p.55 à 65

Ortelli (Lucas) “Considérations sur la pérennité en architecture”, in Marchand Bruno, Pérennités, textes offerts à Patrick Mestelan, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2012

2G, Valerio Olgiati, n°37, 2006, Barcelone, p.144

El Croquis, Valerio Olgiati 1996-2011, n°156, Madrid, 2011


Travaux universitaires •

Généreux (Laurent), Lamenta (Stéphanie), Simard (Denis), Watchman (Mélanie), Etude d’une pensée constructive d’architecte, Atelier Bardill, Valerio Olgiati, 2002-2007, Université de Laval, Semestre 1, 2014

Texereau (Paul), Minimalisme - entre éthique et esthétique, Ensa Nantes, Architecture et aménagement de l’espace, sous la direction de Marie-Paule Halgand, 2015

Garcia (Ludivine, Abstraction géométrique et architecture, Felice Varine : quand la peinture joue avec l’espace, sous la direction de Dominique Dussol, Université de Pau et des Pays de l’Adour, 2013

Lain (Richard), Minimalisme architectural, la forme de l’éthique, Ensa Marseille, sous la direction de Yvann Pluskwa, 2014

Bondaty (Alice), Vers une non-architecture : la possibilité d’un neutre en architecture, Architecture,aménagement de l’espace, 2017

Articles publiés sur Internet •

Kurt (Hermann), “Valerio Olgiati construit en béton”, in Bulletin du ciment, Décembre 2000, ETH Bibliothek [Consulté le 9 janvier 2021], Disponible en ligne : https://www.e-periodica. ch/cntmng?pid=bci-001:2000:68::113

Vinnitskaya (Irina), “The Language of Architecture at Eindhoven University of Technology: Exploring Rudolf Olgiati’s Work”, in Archdaily, Décembre 2012, [Consulté le 1 décembre 2020] Disponible en ligne : https://www.archdaily. com/299355/the-language-of-architecture-at-eindhoven-university-of-technology-exploring-rudolf-olgiatis-work

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Onaner (Can), « Aldo Rossi et le temps suspendu », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine [En ligne], 28 | 2013, mis en ligne le 12 septembre 2017, [Consulté le 07 janvier 2021]. Disponible en ligne : http://journals.openedition.org/ crau/500

Nadeau (Vincent), «L’Autobiographie iconographique de Valerio Olgiati - ou la transcendance du référent en architecture» Issuu [En ligne], mis en ligne le 11 février 2016, [Consulté le 02 novembre 2020] Disponible en ligne : https://www.quart.ch/ wp-content/uploads/2020/06/Valerio_Olgiati_E_ES.pdf

Coudray (Elise), Cousot (Aline), Steiner (Philippe), “Provocation sculptural et ambiguïté architecturale” in Matières, n°15, EPFL, Janvier 2016, mis en ligne le 11 avril 2019, [Consulté le 14 juillet 2020] Disponible en ligne : https://issuu.com/alinecousot/docs/19_rendufinal_coudray_cousot_steine

Filmographie

150

Olgiati on ‘one idea’, [Consulté le 6 juillet 2020], Disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=XHp1y0GMDzk

Valerio Olgiati in Scharans, Graubünden, for Swiss musician Linard Bardill, [Consulté le 02 novembre 2020] Disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=2JIucNyRUc8

Rudolf Olgiati : Die Sprache der Architektur, [Consulté le 15 octobre 2020] Disponible en ligne : https://www.youtube.com/ watch?v=cPn4lLikuU4

The Construction of Villa Além [Consulté le 11 juin 2020] Disponible en ligne : https://villaalemfilm.com/about


151


Table des matières

152


Remerciements

4

Avant-Propos

6

Introduction

12

Chapitre I Être non-référentiel ou contextualiser la non-référentialisation

20

1.1 La crise du contexte

1.1.1 Universalité de la théorie face à la pluralité de la pratique

21

1.1.2 La mondialisation comme vecteur non-référentiel

24

1.1.3 “L’après postmodernité, monde non-référentiel”

27

1.2 Valerio Olgiati ou un contexte familiale et un enseignement

1.2.1 L’influence de son père, Rudolf Olgiati

29

1.2.2 L’analogie comme processus architectural

34

1.3 Aller au-delà de la référence

1.3.1 Autobiographie iconographique ou l’image de référence

40

1.3.2 De l’image au projet d’architecture, entretiens d’étudiants de

44

Valerio Olgiati

Chapitre II Valerio Olgiati ou comment penser l’architecture non-référentielle

48

2.1 L’expérience de l’espace 2.1.1 Une conception de l’architecte

49

2.1.2 Comment définir une intention architecturale ?

50

2.1.3 L’expérience spatiale, une expérience cognitive

50

2.1.4 Des espaces non-référentiels, des espaces dissonants

52

2.1.5 Privilégier la forme sur la matérialité

53

2.2 L’unité 2.2.1 Penser l’unité architecturale dans un monde divisé

53

2.2.2 Un principe architectural remis en question

54

2.2.3 Une architecture indépendante

55

2.2.4 Comment édifier structurellement l’unité ?

56

153


2.3 La nouveauté 57

2.3.1 Un principe délicat à accomplir

59

2.3.2 Être nouveau, engager créativement l’observateur

60

2.3.3 Être nouveau, être à la mode

60

2.3.4 “La nouveauté en architecture est issue de l’architecture en elle-

même”

2.4 La construction 61

2.4.1 Purifier la lecture

62

2.4.2 Une formulation de l’architecte

62

2.4.3 Un concept structurel initié par l’architecte

63

2.4.4 Le béton, matérialité non-référentielle ?

2.5 La contradiction 64

2.5.1 Perturber la lecture interne de l’oeuvre architecturale

66

2.5.2 La contradiction, engager créativement l’observateur

66

2.5.3 Une contradiction “étrange”, une architecture laide ?

2.6 L’ordre architectonique 67

2.7 Donner du sens 68

2.7.1 La signification de l’idée

69

2.7.2 Une architecture d’auteur

Chapitre III Déclinaisons référentielles ou comment tendre vers une abstraction architecturale

72

3.1 Intériorité architecturale ou nouveau référentiel 84

3.1.1 Séparer l’édifice de son contexte, le seuil

88

3.1.2 Construire un paysage intérieur

94

3.1.3 La forme ne suit pas la forme

3.2 La forme autoréférentielle

154

97

3.2.1 Le carré comme forme autonome et autoréférentiel

105

3.2.2 L’architecture pensée comme un monument

110

3.2.3 La forme forte comme outil à l’abstraction


3.3 L’abstraction ou la quête d’une neutralité de l’objet

3.3.1 Neutraliser la forme et perturber l’usage

113

3.3.2 Le béton ou matérialité neutre

115

Conclusion

122

Annexes

126

Table des illustrations

138

Bibliographie

146

155


156


157


Dans son livre théorique Architecture Non-Référentielle, l’architecte Valerio Olgiati introduit son concept de non-référentialisation qualifiant son architecture idéale. Olgiati interpelle, il questionne et semble faire un diagnostic du monde dans lequel nous évoluons, un monde non-référentiel. Comment l’architecte Valerio Olgiati instaure-t-il le concept de non-référentialisation dans son œuvre architecturale ? La terminologie non-référentielle paraît radicale de prime abord dans la mesure où la référence est inévitable pour l’architecte. Ce dernier pense son projet en partant d’une origine. Ce projet ne s’intègre pas sur une page blanche mais bel et bien dans un contexte réel existant. Chaque édifice réagit plus ou moins intimement avec un référentiel et son environnement. La forme d’une architecture est significative dans un contexte donné, elle fait corps avec le lieu où elle s’implante et s’appréhende dans un milieu. En revanche, notre récit tentera de comprendre la manière de concevoir un ouvrage en faisant abstraction des composantes qui le lient à un contexte. Notre hypothèse est de dire que la non-référentialisation et la mise à l’écart du contexte est impossible dans son entièreté. Il n’existerait pas une architecture non-référentielle, mais plutôt des tensions variables plus ou moins intenses entre un projet d’architecture et son référentiel. La problématique du mémoire tend vers une deuxième hypothèse. Si les projets de Valerio Olgiati s’inscrivent bel et bien dans un lieu et ne traduisent pas une fracture totale avec le contexte, son architecture tend à être abstraite en instaurant un rapport de force entre un édifice et son référentiel.

Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg


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