Disques vifs & mémoires dures

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Disques vifs & Mémoires Dures Clémence Touveron

Mastère design graphique 2014 Mémoire réalisé sous la direction d’Anthony Masure Campus de la Fonderie de l’Image - CNA-CEFAG , 80 rue Jules Ferry - 93170 Bagnolet

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avant-propos Un humain peut-il vivre sans souvenir ? Peut-on exister, vivre, sentir et créer sans se rappeler ? La mémoire est une notion que j'explore depuis un certains temps. C'est une démarche qui m'anime et m'inspire depuis toujours. Ressasser, remuer le passé, revivre, c'est ma manière d'avancer. En vivant la révolution numérique, j'ai essayé de retrouver mes albums photos, mes boites souvenirs, le tangible qui me tenait tant à coeur. Mélanger le numérique au biologique, et le rendre humain, sensible, c'est ce que j'ai cherché à faire en créant cet ouvrage. Je l'ai voulu personnel, archivé à ma manière. Le titre y est gravé, son ensemble est conservé sur une carte mémoire, et en code binaire dans un second livret. En l'ouvrant, peu à peu, peut-être avez-vous pu voir que sa tranche laisse apparaître une photo de ma mémoire. Personnelle, peutêtre un porte bonheur, je ne sais pas. Vous entrez dans ma recherche, dans ma tête, dans mon ordinateur, dans ma mémoire. En multipliant les supports, lui aurai-je offert la meilleure des sauvegardes ?

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Introduction Lors de la Global Futur International Congress 2045 1, l’informaticien Raymond Kurzweil 2, a annoncé que d’ici 30 ans, chacun pourra télécharger son âme sur sa machine. En effet, d’après la 1 • La GF2045 est une conférence visant à assurer la Loi de Moore 3, la puissance des ordinateurs et de leur disque internationale survie de la civilisation humaine, dur double tous les deux ans. Ainsi, d’après ce calcul, il serait et à construire un futur meilleur en possible de « stocker » le cerveau d’un individu. Cependant, peut- se basant sur les nouvelles technologies. on comparer synapses et octets ? La mémoire humaine e-elle 2 • Raymond Kurzweil quantifiable, numérisable ? Est-t-il possible de stocker la mémoire né en 1948, ingénieur informaticien, humaine à l’infini, afin d’avoir pour toujours une trace sûre de nos pour lui la technologie va permettre à l’humain de fusionner avec la souvenirs ? machine, il fait parti du courant transhumaniste.

Notre façon d’utiliser notre mémoire a fondamentalement 3 • La loi de Moore est en faite l’affirchangé depuis l’invention de l’écriture. Socrate 4 affirmait qu’en mation de Gordon Moore, cofondateur de la société Intel. Celle-ci avait prenant l’habitude de noter leurs pensées et de lire celles notées été instaurée dés 1965 et s’avère par d’autres, les gens étaient devenus moins dépendants de leur encore correcte près de 50 ans après. mémoire vivante. L’écriture a cependant permis à certaines civi- 4• Platon, Phèdre, Le mythe de M. Meunier, 1922 [ en lisations de se développer, et leur à permis de laisser une trace. Teuth,Trad. ligne ] http://bit.ly/1d9hpKU Platon en écrivant lui-même a pu nous transmettre ses pensées. C’est cette empreinte, ce souvenir qui permet aujourd’hui à l’humain d’évoluer, nous ne faisons que répéter un schéma que nous avons déjà vécu. La mémoire a été pendant de nombreuses années un bien précieux pour l’humain. À l’ère de l’antiquité, l’Art de la mémoire se développe et permet de retenir une quantité importante d’informations dans son cerveau par des techniques mnémotechniques. Saint Augustin 5 pensait au IVe siècle que la mémoire était « une profondeur vaste et 5 • Saint Augustin, La mémoire et le infinie » et même le « reflet de la puissance de Dieu dans l’Homme ». temps, Livre X et XI des Confessions de Saint Augustin, Bar-le-Duc, Trad. M. Moreau, 1864 - 1872

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Cependant, afin de la rendre toujours plus grande, l’humain n’hésite pas à utiliser au fil de ses innovations des « aides-mémoires ». En créant la technique, l’humain peut inventer d’autres techniques, c’est ainsi que sont apparus les différents médias. Avec l’invention du numérique, il y a eu la création de multiples « mémoires numériques ». Le journaliste Clive Thompson 6 6 • Clive Thompson - "Your Outaffirme qu’Internet est même un « cerveau hors-bord », une board Brain know all", WIRED MAGAZINE, n°15.10, Octobre 2007 extension de nous-même. Avec nos connexions plus ou moins permanentes à Internet, il n’est plus vraiment avantageux d’utiliser notre cerveau pour stocker l’information. De cette manière nous utilisons des prothèses de notre cerveau. La prothèse est par définition la « Pièce, [l’]appareil destiné à reproduire et remplacer aussi fidèlement que possible dans sa fonction, sa forme ou son aspect extérieur un membre, un fragment de membre ou un organe partiellement ou totalement altéré ou absent ». Notre mémoire devient alors un index nous indiquant où l’on peut repérer l’information voulue au moment voulu. Pour Ugo Volli, professeur de sémiotique à Turin, interviewé 7 • Nicole Pignier est Maître de 7 conférences à l'Université de lors d’un entretien avec Michel Lavigne et Nicole Pignier  , Limoges elle y enseigne notam- « Tous les médias ont la particularité de permettre l’expanment la sémiotique du design numérique. Michel Lavigne est sion des textes, des grammaires, même des cultures, au-delà enseignant chercheur dans le de la présence physique de ceux qui produisent le message. multimédia. [...] C’est aussi grâce à l’écriture que la Bible hébraïque, par 8 8 • Nicole Pignier & Michel La- exemple a pu se propager davantage »  . vigne, Mémoires & Internet MEI Les médias ont ainsi permis à l’humain d’étendre son savoir, N°32, Editions de l’Harmattan, de le fixer, et de le mémoriser, et surtout de l’archiver. Les 2010 médias argentiques ont fait place aux médias numériques, plus pratiques et plus puissants et enfin, à Internet et au Web. Internet et les outils numériques sont devenus des mémoires externes, qui stockent l’information de manière numérique. Leur avantage est dans un premier temps leur accessibilité. Avec Internet, chacun peut accéder à du contenu en ligne, muni d’un ordinateur et d’une connexion. D’autre part, l’Internet et le Web permettent d’archiver, de s’archiver très facilement, gratuite9 • Le digital dark age correspond ment, et d’accéder à un espace presque inépuisable. à la potentielle situation future où l’ensemble de nos données pourraient devenir illisibles car sauvegardées sur des supports inutilisables.

Cependant, les mémoires numériques peuvent être défaillantes. En effet, le numérique ne peut être utilisé sans supports, et ceux-ci évoluent constamment. Ces outils qui


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deviennent caducs au bout de quelques années définissent 10 • L’espérento est une propole digital dark age 9. Le numérique ne permet pas toujours sition de langue internationale l’espéranto 10 mondial tant attendu. Comment lire une infor- inventée par Zamenhof en 1887. mation stockée sur un CD-ROM, une disquette, une cassette en 2014 quand nous n’avons plus les lecteurs nécessaires ? D’autre part, les outils numériques sont très fragiles, les CD, les DVD, ont une durée de vie limitée. Une part des informations accumulées aujourd’hui pourraient devenir inaccessibles. Le numérique, ce colosse qui semble changer nos vies, pourrait-il nous faire perdre notre mémoire stockée numériquement ? D’autre part nous avons tendance à utiliser nos archives différemment avec l’apparition d’Internet. Nous stockons sans nous en rendre compte, parfois à notre insu, et nous oublions l’essence de l’archive. L’archive est avant tout un tri. Notre mémoire biologique ne garde pas tout, elle sélectionne.

Nous pouvons ainsi nous poser cette problématique : Comment les prothèses de mémoire modifient-elles la culture de la mémoire ? De quelles manières la mémoire humaine est-elle conditionnée par les usages des médias ? Quelles sont les conséquences des usages d’Internet sur la mémoire humaine ? Comment archiverons-nous demain ? Nous verrons dans une première partie de ce mémoire l’évolution de la culture de la mémoire à l’épreuve du temps, par l’Art de la mémoire chez les orateurs de la Grèce antique, puis l’évolution de la culture de la mémoire face aux médias, et enfin le fait que le numérique est la trace éternelle du passé. Dans un second temps nous aborderons la notion de mémoire numérique, comme une mémoire paradoxale. Dans une première sous-partie nous verrons le numérique comme une mémoire pérenne, le fait qu'il soit un outils qui enregistre tout, mais qui reste un médium fragile. Enfin dans un troisième temps nous verrons de quelle manière nous pourrions archiver dans le futur, nous analyserons d’abord le fait que tout sauvegarder peut nous faire tout oublier, nous verrons le phénomène de l’archivage de soi au sein de la mémoire numérique, puis nous établirons un entretien avec Nicolas Taffin, designer d’interface et enfin nous étudierons l’importance de l’oubli dans la mémoire.

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La culture de la mémoire à l’épreuve du temps La mémoire est d’après le dictionnaire CNRTL 11, la « faculté 11 • Le Centre National de Rescomparable à un champ mental dans lequel les souvenirs proches source Textuelles et Lexicales [en ou lointains, sont enregistrés, conservés et restitués ». Il est ainsi ligne] http://www.cnrtl.fr question de trois mécanismes. Dans un premier temps, la mémoire se sert du mécanisme d’enregistrement, ensuite, elle conserve et enfin, elle peut restituer. Elle utilise donc un code et un encodage. Dans la mémoire humaine, ce code utilise des captations de types sensorielles. Lorsque nous questionnerons la faculté mémorielle dans cette analyse, nous évoquerons la mémoire individuelle au sein de la mémoire collective. Nous poserons la question de la manière dont chacun utilise sa propre mémoire, en rapport avec les prothèses mnésiques, et de quelle manière nous stockons et conservons. La mémoire est avant tout un mécanisme humain. En lien avec le cerveau, elle choisit de garder, ou d’oublier, les choses que le corps vit. Sa donnée est le souvenir. D’autre part, la mémoire fait aussi référence à un second mécanisme, moins humain, la prothèse numérique. Pour un ordinateur, la mémoire est l’ « organe d’enregistrement des données, programmes, résultats, partiels, etc., dans lequel la machine va chercher les informations qui lui sont nécessaires au fur et à mesure du déroulement de son travail » 11. Nous utiliserons pour cette mémoire, la notion de prothèse mnésique.

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La prothèse numérique, celle capable de mémoire, peut-elle remplacer ou soulager la mémoire humaine ? Les médias ont-ils pu remplacer d’une quelconque manière une partie de la mémoire ? La mémoire est-elle capable de destituer ses capacités à une prothèse ? Dans cette première partie historique, nous verrons dans un premier temps l’art qui composait la mémoire, ensuite l’évolution de celle-ci en rapport avec les médias, et enfin, le bouleversement du numérique.


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1. L’Art de la mémoire Le terme de mémoire découle de la déesse de Grèce antique, Mnémosyne 12 (fig .1). Mnémosyne est la fille d’Uranus. D’après le mythe, Zeus l’aima pendant neuf nuits et de leur union naquirent neufs muses. Mnémosyne était connue pour posséder un nombre immense de souvenirs très précis. Ainsi, elle était la personnification de la mémoire. Nous retrouvons donc l’émologie du terme de la « mémoire », et aussi de la « mnémotechnique ». La mnémotechnique apparaît avec le poète Simonide de Céos au Ve Siècle avant J.-C.. Dans la légende rapportée par Cicéron en -54 avant J.-C., suite à la victoire d’un athlète, le poète était invité à un repas. Simonide sortit de la pièce, et le toit s’effondra. Il fut alors le seul rescapé de ce drame. Le désastre fut tel que l’on ne put retrouver les identités des défunts. Simonide se rappela alors de leur place dans la pièce et put leur redonner un nom. La mnémotechnique était alors inventée avec ce premier exemple de la « méthode des lieux ». Cette méthode code les informations à mémoriser et les place dans un lieux précis. Ensuite, lorsque l’on souhaite se souvenir d’une des choses, il suffit de se déplacer mentalement dans le lieu. Cette technique fut alors très largement utilisée par les 12 • (fig .1) Voir Annexes. Dante orateurs grecs qui devaient retenir de longs discours. Gabriel Rossetti, Mnémosyne, En Grèce antique, la mémoire était un art 13. En plus d’être issu v.1875-1881, Delaware Art d’une déesse, le fait de savoir mémoriser était une capacité rare, Museum technique. L’art lui même a à l’époque le signifiant de technique. Frances A. Yates, L’Art de la L’Art de la mémoire était ainsi une capacité physique et mentale, 13 • mémoire, Paris, NRF/Gallimard, une grandeur de l’esprit très honorable. L’écriture, qui est le moyen coll. Bibliothèque des Histoires, de poser sa pensée, n’a quant à elle pas toujours eu les meilleures 1975 critiques. Pour le philosophe grec Socrate, qui n’a rien écrit 14, en prenant l’habitude de noter leurs pensées et de lire celles notées 14 • Socrate n'était qu'un orateur, par d’autres, les humains sont devenus moins dépendants de leur nous avons connaissance de ses pensées grâce à des écrivains mémoire biologique. L’humain ne prenait plus l’habitude d’utiliser comme Platon. 15 son cerveau pour réfléchir  . Cependant l’augmentation du volume 15 • Platon, Le Phèdre, des connaissances a prouvé le contraire. 9/Trad. M. Meunier, 1922

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À Rome vers 80 avant J.-C., l’Art de la mémoire apparaît comme un moyen utilitaire de plaider. C’est à dire que l’art de mémoriser, ainsi que la méthode des lieux étaient vivement enseignées dans les écoles de droit. On distingue dès lors la mémoire naturelle, c’est à dire notre aptitude physique, de la mémoire artificielle, utilisant la méthode des lieux. Ayant remarqué que nous ne mémorisions une image que si celle-ci nous apporte un sentiment, la méthode des lieux évolue. Pour se souvenir des images, les étudiants de droit leur affectaient une particularité. Soit celles-ci étaient magnifiques, ou très laides, très rouge sang, ou noires… Au IVe siècle, Saint Augustin se penche sur la mémoire 5. Il va plus loin que les étudiants romains. Pour lui la mémoire ne contient pas d’image, mais seulement de formes abstraites. Il ajoute même que la langue n’intervient pas dans le souvenir. Saint Augustin fait ainsi une découverte importante pour la mémoire. Il se pose la question de l’oubli. Pour oublier, il faut avoir de la mémoire. Selon lui, pour nous rendre compte que nous avons oublié, il nous reste une trace de cette notion, et donc nous n’avons pas entièrement oublié. Saint Augustin fait inconsciemment référence à la multiplicité des mémoires et à la mémoire modulaire que nous découvrirons bien plus tard. Vers la fin du Ve siècle, les nombreuses batailles, l’effondrement de l’Empire Romain, entraînent la destruction d’une grande partie du patrimoine culturel existant. Seul un petit nombre de documents perdure à cette période de pillage. Nous ne retrouverons certains textes, que des années plus tard. Par exemple les textes de Cicéron ne seront découverts qu’au XVe siècle. Nous avons ainsi un retour à la transmission orale au temps de Charlemagne, qui ne laissent que des archives assez pauvres. Cependant, pour la société, la mémoire reste définitivement la faculté la plus importante. En 1491, pendant la Renaissance, Pierre de Ravenne (fig .2) 16 imagine un alphabet se basant sur des éléments visuels. Il incite les gens apprenant à lire à associer chaque lettre à une initiale, et donc à une personne, à un visage. Ensuite, des images assimi16 • (fig .2) Voir Annexes. Exemple lant chaque lettre à un objet apparaissent. C’est la naissance de d'alphabet en forme d'outils. Les nos abécédaires. Une centaine d’années plus tard, de nouveaux images pour se souvenir ont un sens - Alain Lieury, Le livre de la moyens mnémotechniques voient le jour. En 1602, les premières mémoire, Dunod, 2013 techniques de mémorisation utilisant la main sont inventées.


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Cette méthode incite chacun à poser des images sur des parties de sa main, reprenant ainsi un peu la méthode des lieux, avec comme « palais de la mémoire » sa propre main. Pendant l’ensemble de l’Antiquité, et ce jusqu’à la Renaissance, la mémoire était une faculté très précieuse, c’était elle qui permettait de transmettre le savoir, d’apporter des connaissances et c’était elle qui faisait d’un humain le meilleur des Hommes. En 1825 apparaît la sténographie, plus couramment appelée « sténo » (fig .3) 17. Aimé Paris, un professeur de musique, invente cette méthode permettant d’écrire très rapidement un texte dicté à l’oral. Pour utiliser cette méthode, il est important que l’on connaisse par coeur son encodage. 17 • (fig .3) Voir Annexes. Exemple

De manière plus contemporaine, les spécialistes ont pu déterminer d'écriture Sténographique - Alain que la mémoire possède de nombreuses formes. On caractérise Lieury,Le livre de la mémoire, Dunod, 2013 alors la mémoire épisodique qui permet à chacun de se rappeler des événements de sa vie, elle est constituée des souvenirs qui font que nous sommes un individu à part entière, son autobiographie. D’autre part il existe la mémoire sémantique, qui rassemble notre connaissance générale du sens des mots . Elle n’utilise pas le contexte spatio-temporelle et s’adapte à toute situation. Dans son ouvrage Organization of Memory 18, Endel Tulving nous 18 • Endel Tulving, Organization of Memory, Academic Press, 1972 propose une mémoire individuelle qui se compose d’au moins cinq types. Il existerait la mémoire à court terme, la mémoire procédurale qui porte sur la manière de faire les choses, la mémoire perceptive qui retient les images et les sensations, la mémoire sémantique, qui retient nos connaissances, et enfin la mémoire épisodique, qui interprète nos vécus personnels.

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2. La mémoire et les médias La mémoire est une fonction cognitive ancestrale, qui définit en partie la nature propre de l’humain. Nous considérerons comme média les supports de stockage ou de transmission de données. Depuis la naissance de l’écriture, il y a 6000 ans, la fonction des médias est de permettre l’expansion des textes, des cultures. On peut notamment constater que les cultures qui ont réussi à se développer ont utilisé l’écriture, et de là en ont découlé d’autres médias. On peut poser la question:  y a-t-il culture sans écriture ? Comment utilisons-nous notre mémoire en relation avec les médias ? Michel Serres 18 dans sa conférence sur « Les nouvelles technologies:  révolution culturelle et cognitive » 19 datant du 11 décembre 2007, pose la question de la mémoire au sein des civilisations. 19•  Michel Serres, Conférence à Il explique alors que « la cognition humaine comportait ce que l’on Lille, 11 décembre 2007 à l’occasion des 40 ans de l’INRIA sur les appelait autrefois trois facultés:  la faculté de mémoire, la faculté révolutions culturelles et cogni- d’imagination et la faculté de raison. » Il distingue alors trois révotives engendrées par les nouvelles lutions dans l’évolution de l’humain dont nous avons fait le bilan technologies. [en ligne] http://bit.ly/1f01yTo dans la partie précédente. Il parle alors de « stade oral », de « stade écrit », de « stade imprimé » et de « stade nouveau dans lequel nous venons d’entrer ». Le « stade oral » apparaît dés lors que l’humain a réussi à communiquer avec la parole. C’est à dire depuis que l’Homo sapiens existe. Le « stade oral » utilise le corps humain entier comme support, le cerveau, la gestuelle, la voix afin de traiter, de stocker et d’émettre de l’information. À l’époque de la Grèce Antique, Michel Serres explique que « nous nous réunissions le soir pour entendre chanter les aèdes ». Les aèdes sont à l’ère de la Grèce Antique, des chanteurs qui récitent les épopées en utilisant un instrument à corde semblable au sitar. Nous connaissons tous l’aède Homère qui aurait écrit l’odyssée. Le philosophe ajoute que Homère pourrait ne pas être tout à fait l’auteur de la fameuse Odyssée mais qu’il est celui qui a « porté en écriture l’ensemble des traditions que les aèdes du stade oral avaient réuni ». Il ajoute que « à cette époque là, les aèdes avaient une mémoire considérable puisqu’ils étaient capable de raconter les voyages d’Ulysse sur 3000, 4000 ou 5000 vers » 18•  Michel Serres est né en 1930 à Agen, c’est un philosophe et historien des sciences français.


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Ils avaient ainsi de la mémoire. Ce phénomène perdure, même avec 20 • Albert le Grand est un philol’apparition de la mémoire. Il cite alors Albert Legrand 20 faisant sophe et théologiens du Moyencours à la Sorbonne au Moyen-Âge et ayant des élèves capables de Âge. réciter même des années plus tard les leçons de celui-ci. À l’invention de l’écriture au premier millénaire avant J.-C., apparaît alors le « premier support extérieur au corps humain ». L’Homme invente une écriture signalétique puis abstraite. Nous avons une première fracture au niveau de la faculté mnémonique. Michel Serres insiste alors sur le fait que c’est « la lutte entre Socrate qui ne veut pas écrire et qui fait l’éloge de la parole vivante, contre Platon qui lui veut écrire et qui fait l’éloge de la parole morte, couchée sur le parchemin ». Nous pouvons ainsi faire le lien avec le présent. Nous vivons chaque jour ce moment où nous prenons des notes de peur d’oublier. Nous aurions alors perdu cette faculté de mémoire que l’humain avait acquise lors du « stade oral » de Michel Serres. C’est à la renaissance que se déroule une seconde révolution. Celle-ci concerne l’invention de l’imprimerie. Cette dernière a « fait perdre totalement la mémoire à ses contemporains ». Le philosophe parle alors de Montaigne qui préfère « une tête bien faite qu’une 21 • Michel de Montaigne, livre tête bien pleine » 21. Par cette phrase, Montaigne explique qu’une I, ch. 26, "Sur l'institution des enfants", (1533-1592). [en ligne] « une tête bien pleine » correspond à une personne qui possède http://bit.ly/1gpWUKc beaucoup de savoir, alors que la « tête bien faite » est tout simplement pleine d’intelligence et assimile facilement ce qu’elle peut ignorer. Michel Serres va plus loin, et ajoute que « un historien qui à cette époque veut travailler sur sa discipline est obligé de savoir par coeur [...] la totalité de la bibliothèque car elle n’est pas accessible. Elle n’est accessible qu’en parchemin au Caire, à Rome, à Paris à la Sorbonne et peut être à Oxford. Par conséquent, il est obligé de savoir par coeur. » Il explique ensuite qu’avec l’invention de l’imprimerie au milieu du XVe siècle par Gutenberg, il n’ a plus besoin de connaître par coeur. L’humain n’a besoin que de savoir où trouver l’information, sur quel rayonnage, dans quel livre. C’est ainsi que l’on préfère « une tête bien faite qu’une tête bien pleine ». Ainsi, la mémoire semblait muter en utilisant au fur et à mesure les outils et les innovations. L’écriture fait place au dessin, à l’art manuscrit, la peinture. L’affichage découle de l’imprimerie. Au XIXe siècle, la photographie prend place et devient elle aussi un instrument de mémoire. Ensuite les innovations vont de plus en plus vite, avec le cinéma au début du XXe siècle, puis la radio,

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la télévision en 1940. L’évolution va de même avec la troisième révolution nommée de Michel Serres. Grâce à Internet et le numérique, nous avons accès à « la totalité de l’information », nous n’avons « plus besoin de mémoire ». Il insiste même sur le fait que « nous n’avons plus de mémoire, nous avons perdu la mémoire ». L’humain en évoluant aurait perdu la mémoire. L’une de ses trois facultés de cognition fondamentale et « essentielle au cerveau humain » serait absorbée par les outils que l’humain aurait créés. Michel Serres ajoute que la mémoire « aurait une histoire telle qu’on peut en mesurer la disparition ». Cependant, il est important de comprendre que si l’humain a perdu la mémoire avec le temps, il a forcément gagné quelque chose. Le philosophe prend l’exemple de la bouche. La bouche servait autrefois à prendre la nourriture afin de se nourrir. Avec l’invention de la main, la bouche a perdu cette capacité. Mais grâce à cette perte, elle a acquis un nouveau savoir:  celui de parler. En parlant, et donc en ayant un nouveau moyen de communiquer, l’humain a pu évoluer jusqu’à devenir ce qu’il est aujourd’hui. « C’est parce que nous avons perdu des fonctions données, [...] que nous avons gagné des outils ». Nous avons donc perdu la mémoire. Mais si nous revenons sur l’histoire, ne serait-ce pas parce que l'on a perdu la mémoire que nous avons pu inventer l’écriture, l’imprimerie, etc ? Pour le philosophe, nous avons même été « libérés de l’écrasante obligation de se souvenir » et c’est alors que nos « neurones ont pu être capable de réfléchir travailler à autre chose ». Nous sommes devenus des « têtes biens faites » alors que nous étions des « têtes bien pleines ». Ainsi de cette manière, la mémoire possède donc deux sens. D’un côté elle est cette faculté de l’humain, et de l’autre elle est tous les outils que l’humain a créés pour décharger sa propre mémoire, depuis l’invention du premier média, l’écriture. Nous avons donc perdu la mémoire, faculté de notre cerveau, mais nous l’avons gagnée car nous « l’avons devant nous ». Michel Serres ajoute alors que la faculté dépendant de la cognition humaine semble « dépendre de l’histoire du support ». Pour lui, « les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents. » Maintenant que nous sommes à distance de ces fonctions


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cognitives de stockage, il ne nous reste que l’inventivité. Les révolutions dont parle Michel Serres sont propre à sa pensée. 22 • Clarisse Herrenschmidt est Pour Clarisse Herrenschmidt 22, l’Homme a évolué en suivant trois née en 1946 à Strasbourg, elle est archéologue, historienne de écritures 23 : la langue, le nombre et le code. L’écriture des langues est l'antiquité, philologue et linguiste. apparaît en Mésopotamie et fait référence à la première révolution de Michel Serres. La deuxième écriture de Clarisse Herrenschmidt 23• Clarisse Herrenschmidt, Les trois écritures, édition Gallimard, est autour du nombre. Le nombre apparaît comme une nouvelle Bibliothèque des sciences huentité arithmétique. L’auteur parle alors de la création de la mon- maines, mai 2007 naie en tant que telle, des recherches scientifiques basées sur des calculs. Enfin, la troisième révolution graphique est composée du code. Nous pouvons voir là le lien avec le langage informatique. Le code binaire traduit des données numériques, des nombres, en signes graphiques. Les trois écritures de Clarisse Herrenschmidt peuvent correspondre aux révolutions de Michel Serres. La langue reprend le stade oral, le nombre, le stade écrit, et le code, la révolution numérique. Seul le stade de l’imprimé n’est pas représenté par Clarisse Herrenschmidt, néanmoins nous pouvons rejoindre les deux logiques d’idée.

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3. Le numérique : la trace éternelle du passé Ainsi cette troisième révolution évoquée par Michel Serres nous montre que nous avons trouvé un moyen de décharger notre mémoire. Cependant, Internet n’est pas une révolution si forte, qu’elle apporterait même de nouveaux systèmes. 24 • Roland Barthes est né en 1915 à Cherbourg, mort en 1980, sémiologue et critique littéraire français.

En 1979, Roland Barthes 24 se pose la question de l’essence de la photographie 25. À la mort de sa mère, l’auteur se prend à retrouver des 25 • Roland Barthes, La Chambre photos d’elle. Il se rend malheureusement compte que « aucune ne claire : Note sur la photographie, Cahiers du Cinéma/Gallimard, [lui] paraissait vraiment " bonne ":  ni performance photographique, 1980 ni résurrection vive du visage aimé ». De cette manière il remet en cause la notion de photographie et la trace qu’elle garde du temps. Il semble inéluctable pour lui que la photographie représente toujours un « ça-a-été ». C’est à dire que la captation photographique reprend un moment, ce que l’on peut voir sur la photographie a forcément existé et « été là ». Il va plus loin et l’auteur pense que la photographie, en captant le présent, le vivant, crée une image morte. On fige le présent qui meurt dès lors que la photographie a été prise. De cette manière, la photographie oublie les sentiments. « Qu’est-ce qui va s’abolir avec cette photo qui jaunit, pâlit, s’efface et sera un jour jetée aux ordures [...] Pas seulement la " vie " (ceci fut vivant, posé vivant devant l’objectif), mais aussi, parfois, comment dire ? l’amour. Devant la seule photo où je vois mon père et ma mère ensemble, eux dont je sais qu’ils s’aimaient, je pense:  c’est l’amour comme trésor qui va disparaître à jamais ; car lorsque je ne serai plus là, personne ne pourra plus en témoigner:  il ne restera plus que l’indifférente Nature. » La photographie n’est pour Roland Barthes qu’une image figée et sans sentiment. Il pense même ainsi qu’en prenant une photographie, on « tue » d’une certaine manière le sujet de la photographie. Il pense que « Tous ces jeunes photographes qui s’agitent dans le monde, se vouant à la capture de l’actualité, ne savent pas qu’ils sont des agents de la Mort ». Le rapport à la photographie a beaucoup changé avec le temps. Aujourd’hui, l’abondance de facilités numériques nous


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incitent à prendre et garder plus de photos. Ainsi, la photographie dont parle Roland Barthes était beaucoup plus solennelle, sans émotions, comme une photo d’identité dans le but de figer son image. D’autre part, l’évolution autour des médias a permis d’accroître les facultés des différentes prothèses mnésiques. Cependant, pour Em- 26 •  Souchier Emmanuël, Profesdes Universités Université manuël Souchier 26, « Internet reprend de façon métaphorique les seur Paris-Sorbonne CELSA, Rapport structures d’écritures antérieures », il parle notamment des formes de pouvoir et poétique de l’écrit de « page du livre », du journal. Internet serait même le médium écran. À propos des moteurs de recherche sur l’Internet, Médiation qui relie une famille de médium. La plupart de ces applications qui sociales, systèmes d’informations créent le Web sont fondées sur la mémoire et l’archivage. Chacun et réseaux de communications. du Onzième Congrès natiopeut enrichir des contenus qui sont instantanément archivés, Actes nal des Sciences de l’information le présent devient le passé en « temps réel ». Le numérique nous et de la communication, Université de Metz, 3-5 décembre 1998. amène ainsi un nouveau rapport à la temporalité. p. 401-412 De cette manière, nous pouvons questionner le présent, ainsi que notre futur. Il pose la question de la mémoire collective. Pour évoluer, celle-ci a forcément besoin d’être hiérarchisée et stockée et nécessite une évolution. Il ajoute qu’« à vouloir se souvenir de tout, l’humain deviendrait finalement amnésique car sa mémoire individuelle n’aurait plus le cadre nécessaire à l’appropriation des textes pris dans un enchevêtrement infini ». 27 • Louise Merzeau, Enseignante, médiologue et photographe, Faire

Pour Louise Merzeau 27, la création des médias implique l’exis- mémoire des traces numériques, tence de deux classes d’objets techniques:  ceux qui ont pour but ina-expert.com, 2012, [en ligne] d’être des mémoires externes qui enregistrent les souvenirs, et les http://bit.ly/1p09cOu outils qui servent à l’Homme à prolonger une faculté physique et qui sont eux même des vecteurs mémoriels, comme par exemple le silex taillé. Cependant, l’ensemble de ces objets ont été nommés 28 • Michel Foucault, « L’écriture de comme mémoire du passé, hypomnemata 28, par Michel Foucault. soi » dans Dits et écrits, t2, p. 1237 Il ajoute que « Les hypomnemata au sens technique, pouvaient (1983) Michel Foucault est un philosophe être des livres de compte, des registres publics, des cahiers indivi- français né en 1926 à Poitiers, mort duels servant d’aide-mémoire ». Pour lui l’ensemble de ces objets en 84 à Paris. constituent un vestige du passé, une manière de le fixer dans le temps. De manière plus générale, on peut définir les hypomnemata par toute externalisation de notre mémoire. Ils se composent autant des vestiges d’objets préhistoriques, que de la photographie ou que d’un smartphone aujourd’hui. « Le langage a signifié sans malentendu possible que la mémoire n’est pas un instrument pour l’exploration du

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passé, mais bien plutôt un médium. Le médium du vécu, de même que 29 • Walter Benjamin,« Exhumer le sol terrestre est le médium dans lequel gisent enfouie les villes et se souvenir » extrait d’Images anciennes. » 29 Cette citation de Walter Benjamin nous rappelle que de pensées, traduit de l’allemand par Jean-François Poirier et Jean la mémoire est elle-même un médium, c’est par sa présence que Lacoste, Bourgois, 1998, p. 181 nous prouvons que nous avons vécu. Le langage n’est que la trace W. Benjamin (1892-1940) est un de la mémoire. philosophe, historien et critique Avec l’apparition du numérique, Louise Merzeau précise que « toute de l'art, Allemand. machine à voir, compter, lire, communiquer, mais aussi cuisiner, conduire, contrôler, jouer ou tuer est en même temps une machine qui enregistre et traite de l’information. Des automobiles aux ordinateurs, des caméras aux consoles de jeux, et des téléphones aux appareils électro-ménagers, la mémoire est devenue un composant présent dans tous nos artefacts. » Pour elle nous avons évolué en externalisant notre mémoire, et en l’insérant dans chaque petit objet qui fait notre quotidien de façon pratique. Si l’on garde la théorie de Foucault, chaque objet nous entourant, qu’il comporte de la mémoire ou non, est lui même vestige du passé, et donc porteur de mémoire. Le numérique ne révolutionne pas considérablement notre existence dans le monde, seulement nos façons d’utiliser les choses. Pour Michel Serres, il existe de nombreux liens entre notre relation avec les objets numériques et les légendes anciennes. Il donne l’exemple de la légende chrétienne de Saint-Denis qui après avoir été décapité, a été capable de ramasser sa tête et de la porter jusqu’à l’actuelle ville de Saint-Denis. De cette manière, Michel Serres fait le lien avec le fait que quand l’humain se place devant son ordinateur, il refait le schéma de Saint-Denis, il ajoute même que « c’est votre tête comme celle de Saint-Denis. Parce que dans votre “ tête ” il y a les facultés dont je viens de vous parler, il y a la mémoire, il y a l’imagination, il y a la raison. Vous avez 100 000 logiciels pour faire des opérations que vous ne feriez pas sans “ votre tête ” [...] Vous avez perdu la tête. » « L’Homme moderne est “ sans faculté ” [...] les facultés sont là devant vous. » Si nous observons l’oeuvre du peintre Léon Bonnat datant de 1880 et présentant l’histoire de Saint-Denis (fig .4) 30, Michel Serres nous fait remarqué que l’artiste a ajouté une sorte d’étincelle lumineuse et transparente au niveau de la tête perdue. Ainsi, Saint-Denis tient 30 • (fig. 4) Voir Annexes. Leon bien sa tête entre ses mains, mais semble posséder un fantôme Bonnat, Le martyre de Saint Denis, animé de sa tête sur ses épaules. Ce fantôme, c’est notre cerveau, 1880, Panthéon Paris c’est notre intelligence. Nous avons donc deux têtes.


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Si nous utilisons des références plus scientifique autour du cerveau, nous pouvons retrouver le mécanisme de l’ordinateur. J’ai interrogé pour cela Jamyl Souidi 31, étudiant en troisième année de médecine à la faculté Henri Poincaré de Nancy. Il m’a expliqué que dans le mécanisme de mémoire biologique, une information 31 •  J’ai pu rencontrer cet étudiant alors qu’il étudiait la mémoire dans visuelle va être captée par un récepteur en l’occurrence, les yeux. son caractère biologique et scientiCe récepteur transmet par l’intermédiaire du nerf optique, les fique, nous avons pu échanger sur nos différents savoirs concernant informations visuelles transformées en potentiel d’action, c’est nos études très distinctes à la base. à dire en un signal électrique. Il s’agit d’un encodage. Le signal transmet un message électrique au système nerveux central. Cette information est traitée par différents centres, le lobe occipital s’occupe de l’information visuelle en l’occurrence l’information “ je vois ”. D’autre part, le système limbique a la faculté de décider de l’émotionnel et de la raison. Et l’information va aussi se diriger vers le lobe temporal où siège la mémoire. Là va se former un réseau neuronal qui correspondra à l’information qui sera plus ou moins ancré par rapport à l’intérêt que l’individu porte à cette information, d’où l’utilité du système limbique. Ainsi, la restitution consiste en un mécanisme qui permet au cerveau humain de transformer cette information électrique en une image mentale. Cette image mentale prend forme grâce à différents lobes du cerveau et à différents types de neurones. Ce cheminement, nous permet de visualiser les choses qui nous entourent que nous avons pu enregistrer sous forme électrique. Chaque secondes, des millions d’informations sont traitées, et pour que notre cerveau les garde sur le long terme, il faut rappeler la même information, c’est la période de consolidation. Celle-ci fait place à une phase de stockage par des mécanismes plus complexes, entre autres des liens entre différents neurones. Une information visuelle est alors stockée en potentiels électriques. Dans le documentaire Le ventre notre deuxième cerveau 32, Cécile Deanjean nous explique que notre ventre possède autant de 32 • Cécile Deanjean, Le ventre deuxième cerveau, Arte, neurones que le cerveau d’un chien par exemple. Notre cerveau notre Février 2014 [en ligne] http://bit. nous aide aussi à réfléchir. Il est notamment une partie de notre ly/19WWFtL personnalité, et influe sur nos faits et gestes. Ainsi nous pourrions considérer notre ventre comme une autre extension de notre tête. Michel Serres dans sa conférence analysée plus tôt, insiste sur le fait qu’il « n’existe aucun être vivant dont on ne puisse pas dire qu’il stocke de l’information, qu’il traite de l’information, qu’il émet et qu’il reçoit

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de l’information. » C’est une caractéristique propre au vivant et à notre existence. Nous avons toujours créé et inventé des objets qui utilisent les mêmes procédés que l’humain. Par exemple, un marteau est un outil qui reprend les caractéristique de la main, du bras d’un humain mais en utilisant d’autres matériaux, afin de lui permettre d’être plus fort. L’humain mime le profil des choses de ce monde pour inventer. Nous pouvons facilement faire le lien entre la mémoire biologique et les prothèses numériques. Nous avons décidé d’appeler mémoire tout procédé capable d’enregistrer, conserver et restituer des informations. L’informatique est capable de le faire électroniquement. Deux types de mémoires existent dans un ordinateur, la mémoire centrale et la mémoire de masse. Nous transmettons électriquement des informations, que le cerveau numérique traite et range, ou non dans sa mémoire. Il peut aussi stocker, éliminer, comme le cerveau biologique. D’après Nicole Pignier, au sein de l’ouvrage Mémoires & Internet 8 « Entre autres spécificités (liées au réseau Internet) on peut citer:  - ses capacités à mémoriser des informations que les moteurs de recherche sont susceptibles de proposer aux usagers hors cadre spacio-temporel de l’énonciation. [...] - sa capacité à faire fi des frontières géographiques et, ce faisant à élargir considérablement la disponibilité des textes ; - sa tendance à absorber et à mixer les genres, les types de discours, les médias et les supports d’écriture ; » L’outil Internet est un médium intelligent possédant beaucoup de similitude avec notre cerveau. Dans son livre Internet rend-il bête ? 33 Nicholas Carr pose la question de l’intelligence de l’humain face à l’évolution des facultés externalisées et 33 • Nicholas Carr, Internet rend-il disposées sur nos prothèses mnésiques. Pour lui, le nouveau média bête ? Réaprendre à lire et à pen- autour d’Internet est « l’image même du livre ». Pour nous docuser dans un monde fragmenté (Is Google making us stupid ?), traduit menter, nous utilisons des outils en ligne, des outils à l’écran. La de l’anglais (États-Unis) par Marie- lecture de ceux-ci n’utilise pas la même zone corticale que l’usage France Desjeux, Robert Lafont, du livre. Il en est de même avec la façon de lire. Nous n’appréhenseptembre 2011 dons pas de la même manière une lecture papier qu’une lecture à l’écran. Notre façon d’appréhender le support change alors. Cependant, est-ce que cela change notre instruction et notre compréhension ? La véritable évolution se trouve dans la façon de lire. Ce que nous avons tendance à oublier, c’est que la lecture n’est pas un acte acquis naturellement, c’est une chose que nous avons apprise et inventée avec le temps.


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Pour Nicholas Carr, « Les changements dans la lecture retentissent aussi sur le style de l’écriture, dans la mesure où les auteurs et leurs éditeurs s’adaptent aux nouvelles habitudes et aux nouvelles attentes des lecteurs. » Ainsi la lecture numérique est en général plus courte, plus restreinte, et aussi une lecture enrichie. En effet, celle-ci peut être illustrée de liens hypertextes qui articulent un texte. La lecture peut donc passer d’un texte à un autre, être enrichie d’images, de vidéos, ou de sources. L’auteur a donc à portée de main les outils avec lesquels il a articulé son cheminement. Ainsi, d’un côté le texte est raccourci, mais avec l’ensemble des informations que nous pouvons ajouter à un document, notre relation au texte semble parfois même être grandie.

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L’humain fait d’autre part entièrement confiance au numérique. Nos propres expériences nous le prouvent. Thierry Baccino 34, cite notamment une expérience faite sur deux groupes d’étudiants aux États34 • Thierry Baccino professeur Unis. Ils leur a été demandé de lire et de mémoriser au maximum de psychologie cognitive à l’université Paris 8, (2010). Conférence un document. L’un des deux groupes savait que l’information « Lecture et écriture du futur » à la donnée était stockée sur un ordinateur, et on les a prévenu de la fraBNF. Paris le 21 septembre 2010. gilité de l’informatique, en cas de coupure de courant. L’expérience a prouvé que le groupe sachant que l’information était disponible sur la prothèse mnésique n’a pas réellement retenu le document, mais savait où se trouvait l’information, alors que l’autre groupe l’a correctement mémorisé. Cette expérimentation nous prouve que l’humain ne cherchera pas à mémoriser s’il n’en est pas obligé, et qu’il fait entièrement confiance à la machine. Il préfère ne pas faire d’effort. Nicholas Carr affirme que « Socrate avait raison. En prenant l’habitude de noter leurs pensées et de lire celles notées par d’autres, les gens sont devenus moins tributaires de leur mémoire ». La mémoire a muté de telle sorte que nous pouvons la matérialiser devant nous, dans notre poche, ou sur un serveur au fin fond de la Californie. D’autre part, la perception du passé, du présent et du futur s’est ainsi modifiée dans le dernier siècle, notamment avec l’ère de l’instantané et l’invention d’Internet. Le rapport au souvenir n’est plus le même que dans les générations précédentes. Ainsi, comme Saint-Denis, pour reprendre la pensée de Michel Serres, nous avons réussi à créer une seconde tête que nous plaçons entre nos mains. Nous avons un cerveau hors-bord, une véritable seconde tête. De cette manière, notre « tête bien faite » se dispose biologiquement sur notre corps, alors que notre tête « bien pleine » est composé des outils que nous nous sommes mis à disposition, que ce soit les livres, les mémoires numériques, l’ordinateur ou encore Internet.


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2 Le numérique, une mémoire paradoxale L’invention de l’écriture a permis à un grand nombre de civilisations de perdurer. La mémoire de celles-ci a pu se retrouver dans les millions d’écrits découverts, sur des papyrus, ou sous forme de fresques, de sculptures, de traces. Cependant, ce n’est qu’en 1822 que Champolion a pu faire trace de la civilisation de l’Égypte antique en découvrant le secret de la pierre de Rosette après des années de travail 35. Chateaubriand écrit dans ses Mémoires d’outre tombe, 35 • Histoire de la Pierre de Rosette « L’histoire a fait parallèlement au fond du temps des découvertes [en ligne] www.museechampolimmenses ; les langues sacrées ont laissé lire leur vocabulaire lion-isere.fr/ perdu ; jusque sur les granits de Mezraïm, Champollion a déchiffré ces hiéroglyphes qui semblaient être un sceau mis sur les lèvres du désert, et qui répondaient de leur éternelle discrétion » 36. Il nous 36 • François-René de rappelle comment la mémoire collective d’une civilisation peut Chateaubriand, Mémoires d'outrerester intouchable et perdue pendant des années. Ainsi l’Égypte tombe, édition LGF, réédition 2001 ancienne fut murée, sans voix pendant près de quatorze siècles. Ce schéma nous semble devenu impensable à l’heure d’aujourd’hui. Avec le temps, l’humain a compris qu’il était important d’archiver un maximum de choses, afin de se construire demain. Le numérique nous permet d’avoir le sentiment de pouvoir garder un maximum de choses. « Une mémoire numérique est un dispositif permettant d’enregistrer et de conserver de manière fiable des informations binaires pour pouvoir les relire ultérieurement » 37. Cette citation issue de l’Encyclopaedia 37 • Définition de l’Encyclopaedia [en ligne] http://bit. Universalis nous montre que la mémoire numérique reprend de Universalis ly/1m9M03j manière « fiable » le concept de la mémoire biologique. Le code binaire semble devenu un code universel. Nous possédons des

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disques durs qui grossissent d’année en année, Internet et le cloud computing 42, qui permet à chacun de télécharger sa mémoire numérique sur un disque dur ou serveur à distance, semble rendre notre mémoire infaillible et accessible de partout. Cependant, sa méthode de stockage garde toutes les informations qu’on lui met à disposition, et même parfois bien plus qu’on ne peut croire. D’autre part, l’informatique est aussi vouée à rencontrer certaines difficultés. En effet, il n’est pas rare de voir son ordinateur défaillir ou de ne plus avoir accès à son disque dur. La mémoire numérique peut-elle nous assurer une mémoire pérenne ? Peut-elle être source de stockage solide pour notre génération ? Nous verrons dans cette partie que le numérique est en quelque sorte un médium de pérennité. Cependant, nous découvrirons que le numérique est aussi un trou noir capable d’avaler et de stocker toutes les données, il enregistre tout. Et enfin, nous verrons que le numérique reste un médium fragile.


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1. Le numérique est-il un médium pérenne ? En reprenant l’exemple de l’Égypte Ancienne possédant une mémoire inaccessible pendant des années, nous pouvons nous poser la question du numérique. Comme les hiéroglyphes, le numérique est une écriture, une langue. Les mémoires numériques utilisent la norme mondialement standardisée du code binaire. Le code binaire est une force pour l’outil numérique, car simplement composé d’une suite de 0 et de 1 appelés bits. Ce code fut inventé par John Atanasoff en 1937 et « donna le coup d’envoi au développement des ordinateurs » 38. 38 • Thierry Crouzet, Petite hisde la naissance du Binaire, Depuis la démocratisation des ordinateurs et d’Internet, que l’on toire Owni.fr, 3 juillet 2010 [en ligne] peut situer vers la fin des années 1990, l’humain n’a cessé de dépo- http://bit.ly/1nuHWwg ser des informations sur les différents supports de mémoires qui lui étaient mis à disposition. Pour Thierry Gobert, maître de conférences au laboratoire IRSIC de l’université de Provence, « les outils digitaux furent conçus sur la base de métaphores du cerveau et de la communication. Ils procèdent avec différentes sortes de mémoires dites de travail, à court terme, à long terme, etc. » Pour le site Futura-Science 39, « l’ambition d’Internet 39 • Futura-Science, Internet [en s’exprime en une phrase:  relier entre eux tous les ordinateurs du ligne] http://bit.ly/1gCjSyg monde. » et les « informations du réseau, elles sont accessibles à partir de " lieux " que l’on appelle les sites Internet». Internet est composé de plusieurs types de mémoires. Il y a le world wide Web, plus communément appelé Web, qui est la toile qui comporte l’ensemble des sites Internet, le courrier électronique ou l’e-mail, les serveurs de fichiers dits " ftp " (File Transfer Protocol) et le streaming, qui permet comme la télévision ou la radio de diffuser une information en direct, entre autres. Internet est un gros ordinateur qui fonctionne comme chez soi, c’est à dire que les informations sont stockées sur des disques durs. Ce disque dur est disposé sur ce que l’on appelle des serveurs qui permettent de faire le liens entre les bases de données et la façade accessible d’Internet. Le Web possède une mémoire colossale. Les serveurs d’Internet sont disposés dans ce qu’on appelle les Data

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Center ou centres de traitement de données. Il en existe un grand nombre, les plus connus sont ceux de Google qui d’après un article issu du site Libération datant d’avril 2013, contiennent plus d’un million 40 40 • Morgane Tual, Data Centers de serveurs  . : la donnée écolo liberation.fr, Le Web s’installe bien sur des lieux (fig .5) 41, et n’est pas aussi imma14 avril 2013 [en ligne] http://bit. tériel que l’on pourrait le penser. Le cloud computing 42 ou informaly/1kygcCn tique dans les nuages semble l’être pour ses utilisateurs. Précisons que celui-ci est « une expression imagée désignant un ensemble de technologies matérielles et logicielles qui offrent à un utilisateur ou à une entreprise le moyen d’accéder en libre-service, n’importe quand et n’importe où, à des fichiers personnels, des applications logicielles opérationnelles ou toutes autres ressources numériques 41 • (fig. 5) Voir Annexes. Capture au travers d’une infrastructure réseau fiable et sécurisée ». Pour d'écran d'une visite d'un centre de donnée Google. [en ligne] http:// simplifier, le cloud computing plus communément appelé cloud bit.ly/1iS0iRq est un stockage de données informatiques à distance. Ces données sont en général personnelles, une sorte de disque dur privé sur 42 •  Définition de l’Encyclopaedia Internet. Nous accédons alors à des mémoires dématérialisées. [en ligne] http://bit.ly/1iRZsEj Nous pouvons alors télécharger et stocker automatiquement et rapidement nos données. Ensuite, nous pouvons y accéder avec un ordinateur, une tablette ou un smartphone en se connectant à Internet. Si nous possédons un disque dur disfonctionnant, le cloud permet d’être une mémoire plutôt pérenne. Mais d’autre part, ces fonctionnements et le Web en général possèdent une manière radicale de stockage. Les machines enregistrent tout.


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2. Le numérique enregistre tout Les données enregistrées par nos mémoires numériques sont immenses. Le cache, les cookies, et autres parasites de nos machines invisibles sont nombreux au fil du temps. Il n’y a qu’à voir le projet Clearing 4 Months of Internet Cache (fig .6) 43 , une vidéo impressionnante de Evan Roth, montrant sur papier le nombre d’informations imprimées contenues dans 4 mois de cache sur un navigateur. On peut voir sur la vidéo le jeune homme déverser son “ cache ” dans un énorme compresseur et en sortir un paquet de feuilles impressionnant. Pour Louise Merzeau 44, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, spécialiste dans la mémoire numérique, « Un 43 • (fig. 6) Voir Annexes. Evan Roth, Clearing 4 Months of Interinternaute laisse beaucoup de traces de différentes natures. Nos net Cache”, Vimeo, 2013 [en ligne] comportements en ligne ont considérablement évolué, soit direc- http://vimeo.com/79495041 tement sur Internet, soit lors de toutes sortes de transactions qui 44 •  Anne Francou, Entretien avec intègrent des transferts d’informations numériques ». Elle ajoute Louise Merzeau : quelle présence que « par exemple si on utilise une carte de paiement, une carte numérique ? CRDP de l’académie de Lyon, octobre 2011 [en ligne] de parking, une carte de transport, etc. », « tout ce que l’on fait va http://bit.ly/1nuLQ8c déposer des traces par le fait même du traitement de l’information numérique qui circule. Ces traces sont stockées, enregistrées, dans des durées bien sûr très variables ». Lorsque nous surfons sur Internet, nous laissons trois types de trace. La première est classique, elle concerne les informations que nous avons remplies, et donc laissées intentionnellement. Parmi ces traces, celles-ci comptent les remplissages de formulaires. Dans un deuxième lieu, nous avons les traces « de l’ordre de l’expression et de la communication, de l’échange. » Pour Louise Merzeau,« il s’agit des échanges qu’on a sur le Web, par exemple quand on clique sur les fameux boutons de Facebook. Il suffit d’un petit clic pour dire qu’on apprécie un contenu. » Ce que Louise Merzeau cherche à montrer c’est que l’utilisateur qui clique sur ces contenus, attache sa trace et son identité à ce contenu, sans forcément s’en rendre compte. Puisqu’Internet se souvient de tout, il est difficile de revenir en arrière, et ce geste se transforme en trace numérique. Cependant,

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d’après Louise Merzeau « On reste au niveau de ce qui est volontaire et donc normalement à peu près conscient », mais le problème c’est que l’on ne se rend pas forcément compte que l’on laisse des traces. Enfin, la troisième trace que l’on laisse numériquement est le plus souvent pas forcément intentionnelle. Il s’agit des traces que nous « déposons sans le savoir, en tout cas sans nous en rendre compte et surtout sans le vouloir ». Louise Merzeau parle ici de ce que nous cherchons parfois à cacher, elle cite « Le simple fait d’échanger sur le Web, de se connecter, d’utiliser un moteur de recherche, d’être connecté sur Facebook même sans s’exprimer - les membres de notre réseau voient par exemple qu’on est présent, en tout cas que le compte est ouvert - génère quantité de traces qu’on dépose de manière tout à fait non intentionnelle ». Pour Louise Merzeau, nous ne maîtrisons absolument pas nos traces sur Internet. Le magazine Le Tigre, dans son article « Marc L. Genèse 45 • Raphaël Meltz, Marc L. Genèse d’un buzz médiatique » 45 écrit par le journaliste Raphaël Meltz d’un buzz médiatique, Le Tigre, nous montre combien les traces peuvent petit à petit raconter énorpublié dans le numéro 28 (nov, -déc. 2008), page 36, 37. [en ligne] mément de choses sur nous. La vie de la plupart des individus www.le-tigre.net/Marc-L.html est étalée sur Internet sans même que l’on s’en rende compte. En utilisant la plateforme Google, ils ont simplement enquêté sur une personne. Ici Marc L., ils n’indiquent pas sa réelle identité, mais la quantité d’informations personnelles que le journaliste peut retrouver est assez impressionnant. L’auteur démarre par « Bon anniversaire, Marc. Le 5 décembre 2008, tu fêteras tes vingt-neuf ans ». Il ne connaît pas Marc L., il a trouvé son nom en surfant, puis a simplement fait des recherches sur lui. Très rapidement il accède à des informations privées. Sa date de naissance, la liste de ses voyages, les lieux, le prénom de ses petites amies, son métier, ses soirées, les membres de sa famille, sa sexualité, son statut, son numéro de portable… Il annonce que « Tu sais quoi ? C’est là que j’ai trouvé ton numéro de portable:  06 83 36 ** **. Je voulais vérifier si tu avais gardé le même numéro depuis 2002. Je t’ai appelé, tu as dit:  « Allô ? », j’ai dit:  « Marc ? », tu as dit:  « C’est qui ? », j’ai raccroché. Voilà:  j’ai ton portable. » Le journaliste parle volontairement familièrement à Marc, puisque celui-ci à l’impression de le connaître. Toutes ces informations, le journaliste dit les avoir trouvées sur Flickr, Facebook, et cela malgré le fait que la cible possède plusieurs homonymes. Pour Raphaël Meltz, « évidemment : l’idée qu’on ne fait pas vraiment attention aux informations privées disponibles sur Internet, et que, une


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fois synthétisées, elles prennent soudain un relief inquiétant ». Cet article est ainsi une sorte de leçon à donner à tout un chacun. Internet est un média avec lequel il faut faire attention. Il finit son article en annonçant « Je pense à l’année 1998, il y a dix ans, quand tout le monde fantasmait déjà sur la puissance d’Internet. Le Marc L*** de l’époque, je n’aurais sans doute rien ou presque rien trouvé sur lui. Là, Marc, j’ai trouvé tout ce que je voulais sur toi ». Plus on avance, plus le numérique entre dans nos vies, et surtout dans notre intimité. À l’automne 2013, un projet d’application portant le nom de Shadow fut lancé sur le site de crowdfunding 46 Kickstar- 46 • Le crowdfunding est un ter. Cette application qui a séduit un grand nombre d’internautes, système participatif proposant aux internautes de participer permet à chacun d’enregistrer ses rêves. L’application nous réveille et de financer un projet. Par pendant notre sommeil et nous demande de raconter le rêve que exemple :www.kickstarter.com/ nous sommes en train de faire. C’est ainsi que nos rêves, parole de notre inconscient vont eux aussi finir stockés sur un serveur. Il est important de prendre conscience de la trace que nous laissons sur Internet, afin de garder une part d’intimité. Pour le directeur de l’INA, Emmanuël Hoog 47 Internet donne sans cesse l’impression que 47 • Emmanuël Hoog, Mémoire, tout est mémorisable, que tout reste encré sur les serveurs car le Année zéro, Paris, Seuil, 2009 passé, les traces, sont représentées comme un présent éternel. Il y a ainsi une possibilité de confusion entre le passé et le présent. Peut-on aussi assurer qu’Internet est un médium sans préjudice ?

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3. Le numérique un médium néanmoins fragile Le numérique possède la faculté d’être un outil accessible, grâce au code binaire. Celui-ci est un médium qui semble pérenniser des données en utilisant des serveurs très puissants, et enfin il enregistre toutes les données qui lui sont raccordées numériquement. Cependant, depuis que le numérique existe, la seule chose qui n’a pas changée, c’est son codage. Le numérique utilise des outils en constante évolution. En juin 2014, la radio France Culture pose la question:  « Risquons-nous de perdre notre mémoire numérique ? » 48 et parle notamment du 48 • Michel Alberganti, Risquonsdigital dark age. Il « désigne la situation dans laquelle les donnous de perdre notre mémoire numérique ? Science Publique, nées électroniques seront devenues illisibles en raison de supports France Culture, 07/06/2013 caducs et de formats oubliés ». Pour Marie-Aude Roux, journaliste 49 49 • Marie-Aude Roux, Le numé- au Monde, le digital dark age est « l’âge sombre du numérique »  . rique, passeport vers l’oubli, Le Elle ajoute que « le mot est apparu au milieu des années 1990 en monde, 28/05/2013 [en ligne] référence à l’obscurantisme d’un moyen-âge où la transmission du http://bit.ly/1fB1jK9 savoir fut le fait principal d’érudits reclus dans des monastères ». C’est une éventuelle conséquence qui découlerait du fait que nos données électroniques deviendraient illisibles car stockées sur des supports obsolètes. Notre génération convertie l’ensemble de ses données sur Internet, dans un tel cas, que laisserons-nous aux générations futures ? Le numérique qui se base sur un code et un support, a forcément besoin d’être décodé et d’être lu. Nous possédons des cassettes audio ou vidéo, avec une bande magnétique, mais nous ne possédons plus le magnétophone, le magnétoscope capable de lire le support. De même, les nouveaux ordinateurs ne possèdent plus de lecteurs CD. Que deviennent ces supports lorsqu’on ne peut plus les lire (fig .7)? Les scientifiques et archivistes qui pensent que cette situation risque d’arriver à l’avenir appellent cela le digital dark 49 • (fig.7) Voir Annexes age. Le problème du support caduc intervient dans ce sens, mais Publicité pour une société privée permettant de sauvegarder ses il existe aussi un second handicap au numérique. Le support qui données personnelles dans un for- contient lui même l’information possède une fin de vie. Et la durée mat et sur un support plus récent. de vie de ces objets est très courte, et pourrait même surprendre en s’arrêtant très brusquement. Ainsi, le CD ou le DVD n’auraient une espérance de vie que d’une dizaine d’années. De même, un disque


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dur est voué à ne plus fonctionner, tout comme une clé USB, une carte SD, ou encore le CD-Rom. De plus, les formats évoluent très rapidement, les logiciels sont en perpétuelles mises à jour, et nos ordinateurs ainsi que leurs systèmes d’exploitation évoluent sans cesse. Peut-on imaginer exécuter un logiciel conçu pour nos ordinateurs dans 10, 20, 30 ans ? Le digital dark age aurait la forme d’une ère historique, comme si nous étions voués à perdre l’ensemble de nos données car nous ne pourrions plus y accéder. De cette manière, des données très importantes ont déjà été perdues. La NASA par exemple a perdu des données fondamentales datant des années 1970. Celles-ci sont devenus illisibles bien qu'archivées, nous étions incapables de les déchiffrer. Les chercheurs ont alors été obligés de les rechercher dans les archives des notes personnelles des ingénieurs à la retraite et ont pu retrouver une partie des recherches. 48 D’autre part, nous pouvons aussi perdre des archives disposées sur le Web. D’un côté il y a le problème du serveur, qui reste malgré tout un disque dur et a une espérance de vie. Et d’un autre, le fait qu’Internet soit créé avec des liens hypertextes. En effet, nous nous sommes tous déjà retrouvés face à une page “ error 404, page not (fig. 8) Voir Annexes. Page not found ”. Ces pages sont des liens morts, ou modifiés. Le street artiste 50 • found, Rero, 2011 Rero (fig .8) 50 utilise ce langage pour ses oeuvres disposées dans des lieux oubliés. Pour cette oeuvre “Page not found”, l’artiste a utilisé des vieux livres, pour rappeler les pages d’Internet, qui ne sont 51 • Karin Van der Heiden, À pas “ retrouvées ”. Là où le livre ou le support imprimé demeureront toujours déchiffrables, puisque rien n’interfère entre l’objet et l’individu. Pour Karin Van der Heiden, historienne d’art spécialisée dans l’archive des documents numériques, il ne vaut mieux pas conserver nos données sur des disques durs ou sur Internet 51. Elle ajoute :  « Faites des archives sur papier. Les marchands de technologies ont tout intérêt à rendre leurs produits obsolètes le plus vite possible. Plus on garde de documents numériques, plus on risque de tout perdre. » Le papier est la solution qu’a utilisé David Guez dans son oeuvre. L’artiste numérique pose la question de la pérennité avec ses “ Disques Durs papiers ” (fig .9) 52. Il propose de stocker les données

l’épreuve du temps, Graphisme en France, Centre National des arts plastiques 2010/2011

52 • (fig.9) Voir Annexes. David Guez, Disques Durs Papiers, La jetée de Chris Marker, 2013

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numériques en recréant un fichier papier imprimable en utilisant le code binaire. Ainsi, sur son site Internet, chacun peut envoyer un fichier numérique, qui est automatiquement converti, et nous est renvoyé en code binaire. L’artiste a notamment été plus loin en proposant une version de “La jetée” de Chris Marker, indéchiffrable pour nous, mais stockée sur papier. Il est intéressant de voir un retour au papier, afin de pérenniser le numérique, en sachant que les bibliothèques du monde font le contraire. D’autre part, le numérique est aussi un médium qui ne correspond pas à toutes utilisations. En effet, d’après les recherches de Thierry Baccino 53 en 2010, le rapport papier écran est très différent dans la réflexion, les textes lus sur écran empêchent la concentration et l’assimilation des informations et complexifient la mémorisation. Lors du colloque “ Controverses ” de la série “ Autour du graphisme ” organisée par les étudiants du Mastère en Design Graphique le 8 février 2014, j’ai pu posé une question à Dominique Moulon 54, historien de l’art numérique. Je lui ai demandé s’il y avait un risque autour de 54 • Dominique Moulon est Directeur Artistique, professeur et his- la durabilité de l’oeuvre d’art numérique. Il m’a répondu en m’explitorien de l'art numérique. quant que la création artistique numérique n’a pas été sans poser de questions. Il évoque notamment une oeuvre d’installation de réalité virtuelle qui a gagné le prix Ars Electronica 55 en 1998 par Maurice 55 • Le prix Ars Electronica récom- Benayoun. C’est une installation composée d’un objet en volume pense chaque année les oeuvres sur lequel des images sont projetées. Aujourd’hui, les machines numériques. avec lesquelles l’oeuvre a pu prendre forme n’existent plus, le cube de l’oeuvre lui même n’existe plus non plus. Mais cette oeuvre a été réécrite, avec des machines différentes. L’idée même de l’oeuvre a pu être conservée, et être réactivée. Pour Dominique Moulon, il est nécessaire de documenter l’oeuvre. L’artiste se doit d’expliquer son point de vue, et de faire lui même la conservation de son oeuvre tant qu’il le peut, il doit aussi expliquer si cela change quelque chose de remédiatiser sa création. La documentation permet de dire ce qu’on peut ou pas faire pour ne pas dénaturer une composition. Les oeuvres de Rafael Rozendaal peuvent rencontrer le même problème. L’artiste numérique créé des oeuvres uniquement visibles numériquement et sur Internet. Ainsi le contexte spacio-temporel de ces oeuvres, c’est le Web. Quand il vend ses oeuvres, il vend une URL. Dominique Moulon nous explique 53 •  Thierry Baccino professeur de psychologie cognitive à l’université Paris 8, (2010). Conférence « Lecture et écriture du futur » à la BNF. Paris le 21 septembre 2010.


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que dans le contrat entre l’acheteur et l’artiste, on sait qui doit payer le nom de domaine à l’hébergeur chaque année. Dominique Moulon ajoute que ce problème de durabilité de l’oeuvre d’art existe depuis des années. Dans les années 70 avec le Land Art, la fragilité de l’oeuvre fait qu’il n’en reste que des vidéos. Ces vidéos ont pu intégrer ces oeuvres dans le marché de l’art et laisser des traces réelles. Pour Marie-Aude Roux, « les œuvres liées au numérique portent en elles-mêmes leur propre destruction, tributaires des antidotes de la duplication et de 56 • Marie-Aude Roux, Le numéla migration » 56. De cette manière, le numérique n’a rien d’impéris- rique, passeport vers l’oubli, Le Monde, 28/05/2013 [en ligne] sable, et nous pouvons être amenés à perdre des données. http://bit.ly/1fB1jK9 Dans la revue Usbek & Rica de l’été 2013, Daniel Ichbiah écrit un article sur Le jour où nous perdrons la mémoire 57. Pour lui « en confiant nos biens culturels à des sociétés privées, nous prenons le risque de 57 • Daniel Ichbiah, Le jour où voir s’évaporer les oeuvres qui ont accompagné nos vies. » C’est à nous perdrons la mémoire, Usbek Rica, Numéro 06 Juin - juillet dire que le numérique n’est pas du tout source de sécurité. Il pense &Août 2013 que dans le futur, l’humain est voué à perdre sa mémoire numérique. Il commence sa nouvelle par:  « 2030. Marc se réveille avec une incroyable surprise: la bibliothèque de son néo-Kindle est vide ! ». Il ajoute utopiquement que “des sociétés comme Google, Yahoo ! ou Facebook semblaient parties pour durer indéfiniment. Hélas les aléas de la Bourse sont imprévisibles. » Daniel Ichbiah nous rappelle qu’à la fin des années 1980, « Kodak a mal appréhendé le virage du tout numérique au point de déclarer faillite en janvier 2013. » Il est vrai que personne n’aurait jamais pronostiqué la fin du géant de la photographie argentique. Pour lui « le papier a fait preuve de sa persistance notamment sous la forme des parchemins et des papyrus d’antan, des supports particulièrement résistants”. Il complète son propos en disant que « La solution réside dans la duplication des données ».

Cette prophétie de l’oubli n’est pas sans me rappeler le projet de diplôme de Claire Dubosc, étudiante à l’ESAG Penninghen. « Error 404 » (fig .10) 58, une vidéo qui pose la question de la fermeture de la plateforme de vidéos Youtube. Les utilisateurs de Youtube médiatisent leur vie, Claire Dubosc a donc utilisé les mots clés correspondant aux actions de chacun dans une journée pour faire une suite

58 • (fig. 10) Voir Annexes. Claire Dubosc, "Error 404" [en ligne] http://bit.ly/1g0PHFY

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de vidéos. Au fur et à mesure, les vidéos se perdent, les liens meurent et apparaît le célèbre “ Error 404 ”. Claire Dubosc questionne l’ensemble des données que nous sauvegardons sur ces plateformes privées. Nous pensons pouvoir les stocker, les sauvegarder, mais qu’est ce qui nous l’assure ?


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Ainsi, le numérique possède certes des ambitions de pérennité, mais il n’est pas sans savoir que la plupart des supports qui le composent historiquement sont inutilisables aujourd’hui. De plus le numérique est un support qui enregistre tout, sans trier, sans effacer. Aujourd’hui nous possédons une part très importantes de nos données, de nos archives et donc de notre mémoire de manière numérique. Récemment, les questions autour de l’ADN humain comme support apparaissent. D’après Christophe Dessimoz 59 dans son 59 • Professeur de bio-informatique au Collège universitaire de article “stocker de l’information dans l’ADN ” 60, « La durée de vie Londres, affilié à l’institut eurodes supports actuels étant limitée, la pérennisation des données péen de bio-informatique (EMBLnécessite une maintenance constante et lourde fondée sur des EBI) copies multiples et régulières sur divers supports ». Il ajoute « (qu’) 60 • Christophe Dessimoz, Stocker l’information dans l’ADN, Pour il existe depuis plus de trois milliards d’années un support numé- de la science, Numéro Spéciale n°433, rique universel, compact et stable : l’ADN, la molécule porteuse de Big Bang Numérique, Novembre l’information génétique des organismes vivants ». Pour l’auteur, 2013 l’ADN est un support très stable puisque nous avons pu « retrouver dans des carottes de glace, des gènes datant de 450 000 à 800 000 ans ». C’est pour lui un support aussi très « dense » et universel. En 2010, les expériences du biologiste Craig Venter 61 ont prouvé que l’on 61 • Biologiste Américain pouvait synthétiser en laboratoire de l’ADN humain. Le biologiste né en 1946 a pu séquencer de cette manière le discours de Martin Luther King en mp3, une photo en format Jpeg 2000, ou encore un Pdf. L’information a pu être stockée et restituée sans problème. L’ADN, la base de notre existence pourrait ainsi être envisagé comme la solution à une mémoire pérenne. Le mélange entre le biologique et le numérique n’a pas fini de nous surprendre. Cependant outre le caractère technique de l’archivage, nos façons d’archiver ne sont pas forcément toujours optimales. De quelle manière archiverons-nous demain ?

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3 Archiver demain En 1945, Vannevar Bush écrit « As We May Think » (fig .11) 62. Cet article sera publié en 1945 dans le magazine Atlantic Monthly puis traduit en partie par Charles Monatte sous le nom « Tel que nous pourrions penser ». As We May Think est une projection future de l’utilisation des objets novateurs. En effet, Vannevar Bush était un grand scientifique, directeur du bureau de la recherche scientifique et du développement sous le gouvernement américain du président Roosevelt. Dans cet article, Vannevar Bush projette un futur dans lequel nous utiliserions un système de stockage et de tri d’infor- 62 • (fig. 11) Voir Annexes. Vannemations qui fonctionnerait comme un cerveau humain. Selon lui, var Bush, As we may think, Atlantic Monthly, juillet 1945 de nouvelles manières de penser résulteraient de l’emploi de ces dispositifs qui constitueraient des « EXtensions de nos MEMoires, ou en abrégé, des MEMEX ». D’après l’interprétation de Jean-Gabriel Ganascia 63, spécialiste de la mémoire et de l’intelligence artifi- 63 • Ganascia Jean-Gabriel, « Du cielle, pour Vannevar Bush « les techniques de microfilm autori- néo-st r uct ura l isme supposé de l'hypertextualité », Diogène, seraient bientôt un stockage très dense d’information au point que 2001/4 n°196, p. 9-24, 2001 l’intégralité de l’Encyclopoedia Britannica tiendrait sur un volume inférieur à celui d’une boite d’allumettes et on compresserait une bibliothèque d’un million de livres sur un coin de table de bureau ». De cette manière, Vannevar Bush est à l’origine de l’innovation du stockage numérique. Cependant ce n’est pas tout, Jean-Gabriel Ganascia ajoute que pour Vannevar Bush « une fois emmagasinée, cette information deviendrait accessible à l’aide de quelques mots-clés comme le sont les millions d’abonnés du téléphone avec quelques chiffres [...] Une fois sélectionnés, la plupart des documents contenus dans cette mémoire externe apparaîtront sur un écran, à moins qu’ils ne se soient reproduits par des moyens mécaniques sous forme de sons, paroles ou musiques ». Avec le « MEMEX », un « appareil à usage individuel [...] dans lequel une personne stocke tous ses livres, ses archives, et sa

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correspondance, et qui est mécanisé de façon à permettre la consultation à une vitesse énorme avec une grande souplesse. » Ses idées très précoces ont pu définir de quelle manière l’humain allait changer de comportement, et sa façon d’utiliser sa mémoire avec l’avènement du numérique et d’Internet. Vannevar ajoute même qu’« il s’agit d’un supplément agrandi et intime de sa mémoire ». Pour lui, « la science peut améliorer la manière dont les Hommes produisent, stockent et consultent les dossiers de l’espèce humaine ». L’innovation technique dont parle Vannevar Bush prendra forme quelques dizaines d’années plus tard. Grâce aux prothèses du numérique, que nous pourrons appeler « MEMEX », de la même manière que leur précurseur Vannevar Bush les avait nommées, nous pouvons extraire certaines de nos informations et les décharger numériquement. Pour être plus précis, nous « oublions » plus facilement les informations que nous savons enregistrées sur une prothèse numérique. À nos risques et périls malheureusement. Nous commençons à utiliser de nouvelles pratiques, nous enregistrons nos vies sur les prothèses numériques et Internet. Nous leur offrons nos pensées, nos souvenirs, nos photos, nos dialogues. D’après une étude parue dans la revue Psychological Science, menée par les chercheurs de la Fairfield University aux Etats Unis 64, le fait de prendre 64 • Psychological Science, Eric Eich, 24, 2013 [en ligne] http://bit. des photos nuirait à notre mémoire. L’étude fut observée sur des ly/1daIUUq étudiants dans un musée. Ces derniers avaient pour mission de parcourir le musée et donc de regarder certaines oeuvres. Certains avaient des appareils photographiques, d’autres non. Leurs souvenirs ont été testés le lendemain, et les résultats ont prouvé que ceux qui se souvenaient le moins des oeuvres étaient ceux qui les avaient photographiés. Il s’agit alors d’un problème d’attention, pour Linda Henkel, une des scientifique à l’origine de ce projet « Les gens sortent leurs appareils photo si rapidement, presque sans y penser, pour capturer un moment, qu’on en est à un point où ils oublient même ce qui se passe juste en face d’eux ». Elle achève son argumentaire par l’idée qu’une « accumulation de photos numériques et un manque de rangement découragent beaucoup de gens d’y accéder et de se remémorer les souvenirs qui s’y rattachent. Pour se souvenir, il faut avoir accès aux photos et interagir avec elles, pas simplement les amasser ». Cependant, d’une autre manière, grâce aux nouvelles formes de mémoire, nous pou-


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vons conserver toutes les traces du passé et les proposer comme un éternel présent. Notre cerveau ne retient que l’essentiel et sait où il peut retrouver les informations complémentaires, il est l’index de son propre savoir. Nous verrons dans cette partie de quelle manière, plus nous sauvegardons, moins nous retenons de choses, puis comment nous archivons notre propre mémoire au sein du médium Internet, devenant une mémoire collective, et enfin quelle est la place de l’oubli dans cette nouvelle forme de mémoire.

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1. Tout sauvegarder pour tout oublier Sauvegarder n’est pas archiver. En terme de définition, archiver équivaut à « recueillir, déposer, classer dans une collection d’archives » 65 , et sauvegarder signifie « conserver, maintenir intact quelque 65 • définition issue du TLFI [en ligne] http://atilf.atilf.fr/ chose. » 65. Ainsi, sauvegarder indique le fait de répliquer, de créer une copie exacte d’un document. La copie est donc une réitération, une reproduction, alors que l’archive s’associe à la remémoration. L’archive importe plus de données, de rangement, de tri. Le numérique, Internet et le Web donnent l’impression que tout est mémorisable, et que tout devient mémorable. Cependant, la mémoire est l’organisation collective d’un oubli sélectif. Ainsi, en cherchant à se souvenir de tout, à tout garder, les informations pourraient finir par être oubliées. Il y a une différence entre sauvegarder et archiver. Archiver permet une véritable remémoration, en reposant d’abord sur un choix, un filtrage. Dans son article " Archiver le Web ", Nicolas Thély 66 parle du cas du 66 • Article de Nicolas Thély, Ar- site internet Archive.org. Ce site existe d’après l’initiative du scienchiver le Web, Le tournant numé- tifique Brewster Kahle, ingénieur en informatique. En avril 1996 rique de l’esthétique, publie.net, il donne naissance au site qui deviendra la plus grosse archive coll. «critique & essais » 2012, p. 104-126. d’Internet. Ce site de ressources sauvegarde toutes les pages du Web dans un temps donné (tous les deux mois environ) grâce à la création de robots capables de faire des “ snapshots ” des sites publics. Ensuite, chaque internaute peut accéder à « The Wayback Machine », c’est à dire, une machine qui remonte le temps sur Internet, permettant à chaque site internet d’avoir ses archives suivant les années et un calendrier précis et cela même pour les pages ou sites disparus ou effacés. Pour Nicolas Thély « Archive.org propose aux internautes une expérience similaire à celle du visiteur d’un site archéologique qui découvrait non pas des ruines, mais une accumulation de vestiges de temps différents. » L’idée d’Archive.org est de ne rien perdre des sites internet. Ainsi, si un site change, l’archive de celui-ci existe toujours sur Archive.org. De la même manière que le créateur de Archive. org, Thierry Kuntzel est un artiste qui a énormément travaillé sur la


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notion de souvenirs, de traces 67. Par exemple dans Nostos I 68 (fig .12), l’artiste nous présente une vidéo très lente, sur laquelle nous découvrons des traces bleues sur un fond bleu. Celle-ci se transforment petit à petit en forme, puis en personnage. Ces traces sont la preuve d’un passé, d’un événement enregistré, puis retranscrit par Thierry Kuntzel. En utilisant la vidéo, l’artiste s’intéresse au « processus d’animation et de réanimation des formes et de leur persistance » pense Nicolas Thely, il ajoute qu’il cherchait à « rendre durable quelque chose qui en apparence doit disparaître ».

67 • Title TK Thierry Kuntzel Thierry Kuntzel, Tittle TK, Paris/ Nantes, Éditions Anarchive/ Musée des Beaux-Arts de Nantes, 2006.

Dans l’utilisation d’Internet, tout est à la fois crée et conservé. Que ce soit par la bienveillance d’initiatives comme celle d’Archive. 68 •  (fig. 12) Voir Annexes. Nostos org, ou la multiplicité des serveurs, nous créons et stockons tout I 1979, 45' , 1 Pouce PAL, couleur, Collection Centre automatiquement. Pour Jean-Gabriel Ganascia 63, « Nous dormons silencieux, Georges Pompidou, Paris (France) tous dans une bibliothèque. Internet nous nourrit, beaucoup de connaissances nous permettent de connaître plus de choses ». Mais une bibliothèque peut aussi avoir ses tords. N’oublions pas qu’un livre mal rangé est un livre perdu. Pour l’historien Jean Pierre Rioux 69, « Dans un monde où tout fait mémoire, il n’y a plus de mémoire ». 69 • Arnaud Schwartz et Stephane Le fait de tout sauvegarder nous incite à tout oublier. Pour le pro- Dreyfus, Le numérique est-il une pour la mémoire indifesseur à l’université de Paris VIII, Edmond Couchot 70, l’ensemble menace viduelle et collective ? La-croix. des technologies numériques, qu’il définit par les « ordinateurs, com, 02/01/12 [en ligne] http:// réseaux mondiaux de communication, multimédias, jeux électro- bit.ly/1lGrDHV niques ou dispositifs artistiques » a radicalement modifié notre 70 • Edmond Couchot, conférence rapport au temps, et donc à notre histoire et notre culture. Il parle Temps de l’Histoire et temps uchronique. Penser autrement la notamment du reset, cette « remise à zéro des événements pos- mémoire et l’oubli [en ligne] http:// sible » qui n’existe que « dans la sphère du temps uchronique » bit.ly/1iRSqDO dont parle le professeur. Il ajoute que « tout se passe comme si un réservoir inépuisable de temps était à notre disposition ». Ainsi les nouvelles technologies seraient à l’origine d’une révolution de temps, d’espace et de méthode d’archivage. Nous accédons à une ère où le temps prend une nouvelle dimension, et où l’archive est boulimique d’elle-même : plus nous stockons, plus nous avons envie de le faire.

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2. L'archivage de soi au sein de la mémoire collective « J’ai à moi seul plus de souvenirs que n’en peuvent avoir eu tous les Hommes depuis que le monde est monde et aussi:  Mes rêves sont comme votre veille. [...] Ma mémoire, monsieur, est comme un tas d’ordures. »

Dans sa nouvelle 71, Jorge Luis Borges raconte l’histoire de Funès, un jeune homme qui après s’être fait renversé par un cheval, 71 • Jorge Luis Borgès, Funes ou la mémoire, nouvelle tirée du recueil a été doté d’une mémoire infaillible. Il ajoute même que « D’un Fictions, collection Folio, 1942 coup d’œil, nous percevons trois verres sur une table ; Funès, lui, percevait tous les rejets, les grappes et les fruits qui composent une treille. Il connaissait les formes des nuages austraux de l’aube du trente avril mille huit cent quatre-vingts et pouvait les comparer au souvenir des marbrures d’un livre en papier espagnol qu’il n’avait regardé qu’une fois et aux lignes de l’écume soulevée par une rame sur le Rio Negro la veille du combat de Quebracho. Ces souvenirs n’étaient pas simples : chaque image visuelle était liée à des sensations musculaires, thermiques etc… Il pouvait reconstituer tous les rêves, tous les demi-rêves. Deux ou trois fois il avait reconstitué un jour entier ; il n’avait jamais hésité, mais chaque reconstitution avait demandé un jour entier. ». Dans la nouvelle, certes l’auteur exprime une certaine évolution, voire même de la “magie”, cependant, pour le personnage principal, il s’agit d’un handicap. Celui-ci est obligé de rester cloîtré dans son lit, pour ne pas vivre trop de choses et ainsi de ne pas avoir à se souvenir de toutes ces informations. Les évolutions informatiques concernant l’archivage de la mémoire de chacun tendent cependant vers une archive intégrale. L’outil numérique nous propose aujourd’hui de sauvegarder un maximum de chose. Il nous propose, et parfois même sans notre consentement, de charger sur ses disques durs l’ensemble de nos faits et gestes sur Internet, et en dehors. Comme je l’ai précisé, nous traitons la mémoire individuelle au sein de la mémoire collective. C’est à dire de quelle manière l’individu traite sa mémoire individuelle, afin de garder ses souvenirs.


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Récemment, le site internet Datacoup.com offre soixante-dix euros par année à chaque personne lui offrant ses données personnelles. Notre vie privée se chiffre, et nos données valent de l’argent. Ensuite, le site internet revend les informations à des sociétés privées. Avec le site Datacoup.com, nous offrons volontairement nos données personnelles. Le numérique possède alors trois phénomènes récents de l’archivage de soi. Tel les nouveaux Funès de Jorge Luis Borges, nous utilisons 72 • Jean-Daniel Zeller, Vers l’arle numérique pour tout sauvegarder. Pour Jean-Daniel Zeller 72, ar- chivage totale de soi?, Manuscrit chiviste, dans son manuscrit “Vers l’archivage total de soi ?”, Ces auteur, publié dans "Dans Actes des 12es Journées des Archives phénomènes d’archivage de soi numériques se distinguent par : le de l'Université catholique de Loulifelogging, le quantified Self, et la digital Legacy. Nous pourrions vain Les archives personnelles : acquisition, valorisation leur donner les traductions françaises de journal de vie, le moi enjeux, - 12es Journées des Archives de quantifié et le patrimoine numérique. Pour Marshall Mc Luhan, l'Université catholique de Louvain, « à notre époque électronique, nous endossons l’humanité entière Belgique (2012) comme notre peau » 73, puisque nous étendons notre savoir, nos 73 •Marshall McLuhan : Pour comdonnées, nous les publions sur Internet et nous les réabsorbons. prendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, Bibliothèque Québécoise, Sciences humaines, 1993

« Total Recall », le roman de K. Dick 74 et plus récemment, devenu « Mylifebits » un projet du scientifique Gordon Bell qui permettrait • Philippe K. Dick, Total Recall, à chacun d’enregistrer sa vie, et de créer un avatar qui parlerait à 74 édition Folio, 1952 notre place à nos descendants. Cette utopie fonctionnerait pour le son, l’image fixe et animée, le manifeste, mais ce n’est pas encore le cas pour ce qui nous est accessible par le goût, l’odorat, le toucher. Pour Jean-Daniel Zeller, « le lifelogging a été défini en février 2007 dans un article de Kevin Kelly 75 », qui est fondateur et rédacteur 75 •  Lifelogging, An Inevitability, en chef de Wired Magazine comme : « Enregistrer et archiver toutes blog The Technium, Kevin Kelly, 27 février 2007 les informations de sa vie. Cela comprend tous les textes, toutes les informations visuelles, tous les fichiers audios, toute l’activité média, ainsi que toutes les données biologiques provenant de capteurs sur le corps. Les informations seraient archivées pour le bénéfice du lifelogger, et partagées avec d’autres à des degrés divers, et contrôlées par lui seul. » « Le liffelogging est ainsi une méthode utopiste permettant à chacun de se décharger complètement de sa mémoire. En enregistrant chacune de nos informations du présent, nous pouvons constituer une bibliothèque de données qui deviendra nos souvenirs ». Le « liffelogging » existe déjà d’une certaine manière, avec l’impressionnante quantité d’informations que chaque individu peut

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laisser sur les réseaux sociaux. Avec le projet « Mylifebits », Gordon Bell exprime l’envie de toujours plus libérer d’espace dans notre cerveau. Notre mémoire devient presque un accessoire, elle ferait entièrement partie d’un objet numérique en dehors de notre corps. D’une manière purement technique, Tristan Vey 76, journaliste au 76 • Tristan Vey, Si l'homme était journal Le Figaro nous indique que le projet de Gordon Bel sera doté d'une e-mémoire totale et éternelle, lefigaro.fr 17/01/2011 [en capable d’enregistrer un maximum de chose, il cite:  « Documents ligne] http://bit.ly/1kV7lNK papiers, mails, programmes télévisés ou radio, pages internet visitées, déplacements (grâce au GPS). Micro, caméra et appareil photo tiennent par ailleurs déjà dans un téléphone. Demain, ils tiendront dans un dé, après-demain dans une tête d’épingle. Un simple pin’s sur votre veste permettra de consigner vos conversations, de photographier ou filmer ce que vous voyez. Tous les périphériques numériques que vous utilisez stockeront de manière automatique ce que vous faites. Gordon Bell évoque l’exemple d’un appareil photo (...) (celui-ci) se porte en pendentif et prend des clichés tout seul dès que la luminosité varie ou qu’une personne entre dans une pièce. » Jerry Michalski utilise le lifelogging d’une manière très personnelle. Il décharge son cerveau sur Internet 77 (fig .13), et l’ouvre publiquement au monde. Cet analyste technologique propose à chacun de se promener dans ses pensées, via une arborescence interactive rassemblant près de 160 000 idées et notes prises pendant 10 ans. Ces nouvelles pratiques poussant 77 •  (fig. 13) Voir Annexes. Le chacun à dévoiler ses pensées intimes, peuvent ainsi aider d’autres Webbrain de J. Michalski [en ligne] chercheurs à aller plus loin dans leurs réflexions. Tout comme les http://bit.ly/1gqWeEp premiers écrits, c’est une manière d’évoluer pour Jerry Michalski. Pour Vincenzo Susca et Claire Bardaine au seins de leur ouvrage “Récréations” 78, « la disparition du prix du développement et l’exten78 • Vincenzo Susca et Claire sion des mémoires numériques nous poussent à immortaliser les Bardaine, Récréation, collection détails, mêmes les plus futiles de notre existence, tandis que la Les imaginaires, CNRS éditions, nature connective des nouvelles technologies insiste pour que Paris, 2009 nous les mettions à disposition du public  ». Il est important pour chacun d’en prendre conscience avant de tout disposer en ligne. Le quantified Self, se définit différemment, pour Jean-Daniel Zeller, « contrairement au lifelogging qui s’occupe des données que je perçois ou produis de manière extérieure à moi, le quantified Self s’occupe de capter les données qui concernent mon intérieur. Raison pour laquelle il se concentre principalement sur des données biologiques. Le quan-


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tified self reste avant tout une quête de soi qui finalement, cherche à rendre l’informatique personnelle encore plus personnelle, puisqu’elle vise à se connecter, non plus au village global, mais à ce que l’on a de supposément le plus intime:  son corps. » De cette manière, le “moi quantifié” porte bien son nom, il est composé des données composant notre corps, le fait que nous soyons nous-même de manière physique. Le quantified Self pourrait être à l’origine de certaines avancées médicales, en espérant toujours que ces données ne seront pas vendues à des organismes privés, à des buts marketings. Récemment, des marques sportives n’ont pas hésité à offrir à ses clients la possibilité de capter des données personnelles et physiques via des petits bracelets que l’on pourrait porter continuellement. Ainsi, à l’aide d’une application sur son smartphone, nous pourrions savoir le nombre de pas que nous faisons par jour, le nombre d’heures que nous dormons, notre rythme cardiaque, notre poids. Pour Jean-Daniel Zeller, l’omniprésence de cette pratique « et donc sa facilité d’emploi en tout temps fait oublier que nos données personnelles transitent alors dans le réseau ». Enfin, la digital Legacy, concerne notre patrimoine numérique. Que deviennent nos données après notre mort? Les systèmes numériques avançant très vite, sociologiquement nous n’avons pas toujours réussi à suivre la cadence. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à ne pas savoir comment gérer des héritages numériques. Un grand travail autour des dimensions légales des données de chacun a déjà été mis en place. Par exemple les comptes Google non utilisés, où l’on ne se connecte plus, sont supprimés au bout de 9 mois. Le réseau social Facebook notamment a décidé en 2009 de générer un profil de manière " mémoriale ". Le profil d’un défunt continue dans un premier temps d’être actif, puis un “ ami ” peut signaler le décès. Il reste cependant en ligne, mais n’est plus réellement activé. Se pose la question du deuil en ligne. Avec Facebook, nous continuons d’avoir le défunt en “ amis ” si l’on ne supprime pas son compte, il semble exister, il semble être vivant. La coupure entre le présent et le passé reste ambiguë. Dans l’épisode trois de la série Black Mirror 79, le scénario se déroule Black Mirror, Épisode 3 : The dans le futur proche. Les humains possèdent une puce derrière 79 •  Entire History Of You, Scénario : l’oreille leur permettant d’enregistrer continuellement ce qu’ils Jeff Armstrong, Réalisation : vivent, afin de pouvoir le revivre à l’infini. Le scénario se déroule Brian Welsh , Royaume Uni, 2011 comme dans chaque épisode de la série de manière dramatique.

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Black Mirror nous propose un monde où le numérique est roi. En revivant certains moments de notre vie, nous pouvons mal réinterpréter certaines choses, de cette manière, une puce qui peut sembler pratique, paraît alors néfaste pour la psychologie de l’humain. Le droit à l’oubli semble alors une question fondamentale quand il prend ces proportions. De cette manière, qu’en est-il de la digital legacy concernant les données que nous mettrons dans plusieurs années, lorsque nous userons du lifelogging et du quantified self  ?


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3. Entretien avec Nicolas Taffin, Designer d'interfaces Afin d’approfondir mes recherches sur la façon d’archiver dans le futur, je décide d’interroger Nicolas Taffin. Ce dernier est avant tout designer graphique, notamment pour des plateformes d’applications. Il s’intéresse entre autre aux interfaces, et donc aux archives. Il a contribué notamment à la création du site “Internet Memory”, qui est une “fondation à but non lucratif qui soutient activement la préservation de l’Internet, comme nouveau média, dans une perspective patrimoniale et culturelle”. Clémence Touveron :  Internet est un grand bazar commun, est-il important de décider de « ranger » les informations afin de garder une mémoire collective et pourquoi ? Nicolas Taffin : Stocker/assurer la conservation et Classer/Ranger sont distingués. Du point de vue de l’Internet, c’est aussi intéressant de l’archiver que d’avoir des bibliothèques ou archives d’imprimés et de manuscrits ni plus ni moins. Alors pour vous aider, il est important de préciser qu’Internet est décomposé:  il y a le web (www), l’e-mail, les serveurs de fichiers, de streaming, etc. Beaucoup de choses dans Internet que vous avez intérêt à distinguer sans doute. Attention, le web, donc, déjà est loin d’être un bazar. Il est très organisé sinon vous ne trouveriez rien au bout d’un lien, il y a des serveurs. Internet c’est le symbole de l’organisation même. Afin d’archiver, le web utilise deux politiques qui sont complémentaires :  - La première est sélective:  on maintient une liste de sites intéressants et on les archives de manière ciblée par capture ou bien en réclamant les contenus à leurs éditeurs. - La seconde est exploratoire : on envoie un " robot " dans le web, un crawler qui suit les liens et enregistre tout, au fil de ses pérégrinations. Il respecte certaines règles que les serveurs éditent et qui

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concerne le nombre de requêtes maximum qu’il peut faire par minute. Tout ça donne une archive organisée grâce à des standards et des métadonnées. Au niveau du rangement des archives, des pans entiers sont encore en flottement. Les e-mails, les réseaux sociaux sont peu ou mal archivés. Ceci ne tient pas compte évidement du travail éditorial. Comme vous dites, ce n’est pas parce qu’on a une boite d’e-mails qu’on a une correspondance. Il y a un travail de tri, de sélection, un travail de chercheur et d’éditeur à faire. Mais pour ça il faut déjà des matériaux. Je ne parle pas des réseaux sociaux. La seule archive exhaustive du monde numérique intégrale est en ce moment dans les mains de la police des USA, la NSA qui archive aussi les mails, les appels téléphoniques et SMS. Mais il y a de toute façon toujours eu un lien entre l’archive et le pouvoir. Le tout est de savoir quels en sont les usages possibles. C. T. : Que pensez-vous de l’individualisation des archives, c’est à dire des contenus que chacun crée sur les réseaux sociaux, peuvent-ils créer une mémoire collective ? N.T.:  Vous n’avez sans doute pas d’enfant, mais je me pose souvent la question, car j’ai hérité de livres, de disques, de photos de ma famille… Qu’allez vous faire de votre disque dur de musique et de photos ? La durée de vie d’un disque dur est de 3 à 5 ans en moyenne. Pour la musique sans doute rien, car le streaming va s’imposer et nous ne la posséderons plus du tout. Les films et probablement les livres non plus. Les écrits, de même, s’inscrivent désormais dans un flux qui nous échappe, celui des réseaux sociaux privés. Dans la société de la communication, nous devenons un souffle. Je ne parle pas de dématérialisation (je n’aime pas ce mot, l’industrie de la communication est très matérielle avec ses usines très sales et bruyantes, ses tuyaux, ses terminaux qu’on jette chaque année…). C’est une expropriation ou une concentration de la propriété plutôt qui se met en place… La mémoire est utile et nécessaire.


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En répondant un peu à côté de ma question, Nicolas Taffin me montre une certaine nostalgie du “temps d’avant”, du passé où l’on matérialisait nos souvenirs, et nos biens sur du papier, dans des boites, et non sur un disque dur, ou un serveur à l’autre bout du monde. J’imagine que pour lui, nous allons finir par être noyés dans la masse; les contenus de chacun pourront en effet créer une mémoire collective, mais une mémoire totalement impersonnelle. C.T. :  Le fait qu’Internet soit une source de recherche «dans le présent», n’est-il pas un risque pour les mémoires futures ? Par exemple, il est difficile de retrouver sur un moteur de recherches des publications datant de plus de 2 ans. N.T. : Attention ; c’est une « illusion » pour chercher sur Google par exemple, il faut qu’il ait déjà parcouru le Web et donc c’est déjà le passé. La recherche se fait nécessairement sur le passé, elle nécessite un index. Nous avons une illusion de présent, de temps réel. Le fil Twitter est plus proche du temps réel c’est pour ça qu’on appelle ça un flux. Cette notion de passé/présent me semble intéressante, il y a donc un perpétuel risque de confusion entre le passé et le présent. Mais le passé reste à court terme, puisque avec le temps, et le nombre de visites, un site internet peut se retrouver très loin dans la hiérarchisation de notre recherche Google, voire disparaître. C. T. : Ainsi, Internet est-il alors source d’une mémoire pérenne ? N.T. : Ses zélateurs le disent en tout cas. Les disques durs meurent très vite mais il faut tenir compte de la diffusion si tout le monde sait quelque chose, ça vit donc ça dure. Disons que plus la connaissance est partagée, plus elle vit. On peut penser que le papier est fragile, mais mille exemplaires dans mille bibliothèques peuvent durer plus longtemps que l’unique exemplaire qui reposerait… à la bibliothèque d’Alexandrie. Il y a le fameux texte «ceci tuera cela» 80 de Victor 80 •  Victor Hugo, Ceci Tuera Cela, Notre-Dame De Paris, Livre V, Hugo qui l’explique très bien. 1831

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Victor Hugo dit très exactement « Ceci tuera cela ; le livre tuera l’édifice » dans son roman Notre Dame de Paris, Celui-ci indique que le livre tue l’architecture, par la religion. Le fait que nous imprimions la bible permet à chaque croyant d’avoir le savoir chez lui, et donc de ne plus lire l’histoire sainte sur les murs des églises. Il y a donc le duel perpétuel qui partage ceux qui pensent que l’histoire a du bon de se propager par tous les moyens, et d’autres qui pensent qu’un média ne fait que tuer un autre. C. T. : Le fait que chacun puisse publier un grand nombre d’information ne fait-il pas l’information principale se perde ? L’abondance d’information ne créerait-elle pas une non-information ? 81 • L'in fobésité représente la surcharge d'information à laquelle nous pouvons être confrontés.

N.T.:  Oui, l’infobésité 81 nous perd complètement.

C. T. : Enfin, quelle est la place de l’oubli, est-elle importante ? N.T.:  Nietzche précise “(qu’)on ne détruit jamais que comme créateur», pour créer il faut oublier, la mémoire écrase, mais est-ce dans l’absolu ou l’espace d’un instant, d’une étincelle ? Car sans mémoire on est aussi hagard. De plus, le droit à l’oubli est un débat actuel autour d’Internet. Je crois que l’ordinateur n’est pas l’idéal pour l’oubli. L’archive est un lieu utile, rangé, disponible; on y va ou pas, on est libre, c’est là et on le sait. Finalement j’aime bien cette idée. Un des critères qui fait qu’on archive TOUT plutôt que de choisir, ce n’est pas parce qu’on pense qu’il faut tout apprendre, ou tout savoir c’est parce qu’on considère modestement qu’on ne SAIT PAS ce qui sera important ou intéressant demain. C’est une belle idée qui s’est vérifiée souvent chez les historiens.


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Il fait ainsi le lien de l’oubli, de l’archivage et de la façon dont nous avons de rechercher avec une installation qu’il a réalisé du nom de “Fil rouge du Fil d’A.” en 2008 82 (fig .14). Celle-ci était installée dans une bibliothèque à Troyes. L’installation est composée d’une longue suite de visuels de dix sept kilomètres à l’intérieur du bâtiment. Reprenant des fragments d’ouvrage de la bibliothèque, pris un peu au hasard, mais utilisant des messages en rapport avec l’endroit où se trouve l’image : par exemple des messages de bienvenue dans le sas d’entrée. Dans cette idée de 82 • (fig. 14) Voir Annexes. Fil rouge chemin autour de l’archive, Nicolas Taffin montre l’importance du Fil d'A, Nicolas Taffin, Troyes, du classement, et de la mise en lumière de certains ouvrages, 2008 ainsi que du cheminement au sein d’une recherche. Que ce soit dans une bibliothèque ou sur Internet, l’archivage stocke un maximum d’informations. Dans la notion de mémoire, il y a la notion d’oubli. Pour apprendre une chose, il faut en oublier une autre.

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4. L'absence de l'oubli

83 •  Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann. (Première partie), Bernard Grasset, 1913

« Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s’il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute oeuvre importante, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine. Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul.» 83

Dans son ouvrage « Du côté de chez Swann », Marcel Proust évoque le souvenir, sa manière de disparaître, et de réapparaître. Dans cette partie, l’auteur nous fait part de sa difficulté à se plonger dans ses souvenirs. Il semble l’avoir oublié, quand soudain, le sens du goût remonte à la surface, comme une vague de souvenirs. Revenons au fondamental, qu’est-ce que l’essence de la mémoire ? Qu’est-ce qu’un souvenir ? Comment opère-t-il ? « La mémoire a quelque chose à voir avec le son « re » : retrouver, revenir, reconnaître, retranscrire, reconstituer,remémorer, reproduire. La


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mémoire a quelque chose à voir avec le retour. »84 L’oubli est alors fondamental pour la mémoire. Il est le contraire, et donc l’essence inverse de la mémoire. S’il n’y a pas d’oubli, il n’y 84 •  Nina Ferrer-Gleize, a pas de mémoire. Dans notre introduction, nous évoquions les « Remuer ciel et table », Mémoire réalisé sous la direction d’Anne pensées de Saint Augustin. Celui-ci avait bien compris que si nous Bertrand, 2013, op. cit., p. 92, nous rendions compte qu’il y avait auparavant une mémoire et http://bit.ly/1gr480z donc un oubli, il y avait forcément une trace de cette mémoire quelque part enfoui dans notre cerveau. Les recherches sur l’oubli datant du XXe siècle nous ont montré que celui-ci n’est pas un effacement total, mais aurait plutôt un lien avec la difficulté de récupérer ces informations. Pour Marcel Proust, dans le premier ouvrage de la série « À la recherche du temps perdu », « Notre mémoire et notre coeur ne sont pas assez grands pour pouvoir être fidèles ». Nous ne pouvons nous souvenir de tout et nous ne pouvons nous souvenir objectivement. Le numérique pourrait ainsi être une solution au souvenir parfait, presque omniscient, c’est ce qu’il propose en tout cas. Le numérique stocke toutes les informations que nous lui donnons. Dans la mémoire, il est important de trier, de choisir. Marc Augé 85 insiste sur cette notion et ajoute même que « Le souvenir opère sur fond d’oubli ». Il est important de savoir oublier, de ne pas négliger l’oubli. Pour Marc Augé, il est impossible de parler de « mémoire » sans parler d’« oubli », tout comme la « vie » existe puisque la « mort ». Ces deux notions complémentaires n’existent pas l’une sans l’autre. Il ajoute que « se souvenir ou oublier, c’est faire 85 • Marc Augé, les formes de Payot & Rivages, 1998, un travail de jardinier, sélectionner, élaguer. Les souvenirs sont l’oubli, Paris comme les plantes : il y en a qu’il faut éliminer très rapidement pour aider les autres à s’épanouir, à se transformer, à fleurir ». Il y a presque une notion de « destin » dans un souvenir, certains auront la « chance » d’exister là ou d’autres seront abandonnés, c’est le tri mémoriel. Dans le cas du numérique, c’est tout ou rien. Il tend à archiver de plus en plus, à aller de plus en plus loin, en stockant un maximum d’informations ; il nous invite à sauvegarder tout. Pour Marc Augé, « La mémoire et l’oubli sont solidaires, tous deux nécessaires au plein emploi du temps ». L’humain donne beaucoup d’importance au « devoir de mémoire ». Celui-ci demande, non pas à ceux qui ont vécu l’évènement, mais à leurs descendants, de se souvenir de ce moment colporté. Il s’agit ainsi d’une peur de l’oubli, d’un apprentissage, nous

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évitant de reproduire les même erreurs, de se rendre compte du passé pour mieux recommencer le futur. « L’oubli nous ramène au présent, même s’il se conjugue à tous les temps:  au futur, pour vivre le commencement ; au présent, pour vivre l’instant ; au passé pour vivre le retour ; dans tous les cas, pour ne pas répéter. Il faut oublier pour rester présent, oublier pour ne pas mourir, oublier pour rester fidèle ». L’oubli existe ainsi volontairement, de l’humain vers l’ordinateur, ou de l’humain sur l’humain. Nous pouvons oublier par nous mêmes, et nous pouvons « faire oublier » une information à notre ordinateur. 86 •  Eternal Sunshine of the Spot- Dans le film Éternal Sunshine of the Spotless Mind 86, Michel less Mind, Michel Gondry, film, Gondry fait appel aux machines pour effacer les souvenirs de deux 2004 amants. Tel un ordinateur qui serait formaté, la mémoire des deux personnages principaux est complètement effacée. Utopiquement, 87 •  Photographe Diplômée d’une l’ordinateur prend la place du cerveau biologique, il prend la décilicence en photographie de la Tisch sion, et possède le pouvoir de destruction de “ l’autre ” mémoire. School of the Arts de New York et d’un Master en Arts Visuels de Aujourd’hui, cette fable ne peut encore prendre forme, et heureul’Université de Californie à San sement. Pour Marcel Proust, le temps est le seul capable d’estomper Diego les souvenirs, « Le temps efface tout comme effacent les vagues  ». Après un accident grave arrivé à son frère et lui dégradant une partie de son cerveau, l’artiste Diane Meyer 87 tente de retranscrire ses souvenirs. Elle imagine que les réminiscences de son frère pourraient être comme définitivement altérées, floues, vaporeuses88 (fig .15). Elle fait appel au numérique, à la pixelisation afin de troubler les souvenirs et les altérer. Son travail ne s’arrête pas 88 • (fig. 15) Voir Annexes. New Jersey III, Hand Sewn Archival Ink là car Diane Meyer reproduit cette même hypothèse autour de Jet Print, 2012 la mémoire collective. Et si le mur de Berlin devenait un fichier corrompu sur un serveur  89 (fig .16) ? Et si nous ne pouvions plus y accéder ? Il est important de prendre en compte cette hypothèse, la mémoire numérique est elle aussi une mémoire, il peut lui arriver des accidents, et elle peut se perdre. L’humain a peur de l’oubli. L’Homme a besoin de se sentir plus fort, 89 •  (fig. 16) Voir Annexes. Mauer et de garder un maximum de chose, il est impensable d’oublier Park, Hand Sewn Archival Ink Jet quoi que ce soit. Avec regret, Marcel Proust dit « En moi aussi bien Print, 2012 des choses ont été détruites que je croyais devoir durer toujours… ». Pour combler son oubli, qui agit comme un sentiment d’impuissance, l’humain a sans cesse utilisé les outils à sa disposition. L’utili-


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sation d’Internet comme une archive monumentale est une manière pour l’humain de regrouper un maximum d’information. Comme me l’a indiqué Nicolas Taffin, nous ne sommes pas en mesure de savoir de quoi les historiens futurs vont avoir besoin. Et malheureusement, la question de l’archive est souvent impensée dans le stockage des données, on la pense après. La longévité de l’information, conservée sous forme numérique ne tient pas toujours compte de l’évolution des supports par exemple. Cependant le numérique pose lui même la question de l’oubli. Récemment l’application Snapchat90 a remis en question la durabilité du 90 • Snapchat est une application message. Grâce à cette application, le détenteur d’un smartphone mobile permettant à ses utilisateurs d'envoyer des photos qui peut envoyer un message que le récepteur ne voit qu’une fois, dans s'effacent automatiquement en une durée limitée allant jusqu’à dix secondes. Si la société archive quelques secondes. toutefois les photos sur des serveurs, Snapchat90 nous promet une mémoire temporaire et nous montre qu’il n’est pas forcé de stocker pour faire passer un message.

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CONCLUSION L’humain au cours de son histoire, a cherché sans cesse à laisser une trace de son passage : des sculptures, des murs anciens gravés, en passant par le livre, l’imprimé, ou encore la photographie jusqu’à l’ordinateur et ses dérives numériques. Pour Alain Berthoz 91, « La mémoire n’est 91 • Alain Berthoz, ingénieur pas faite pour se souvenir du passé, elle est faite pour prévenir le et neurophysiologiste f rançais, membre de l'Académie des futur. La mémoire est un instrument de prédiction ». Il est vrai qu’en sciences, né en 1939, propos utilisant le passé et les ressources de ses ancêtres, l’humain a pu se recueillis le 17/09/2003 par JeanPaul Baquiast et Christophe Jacconstruire pour son futur. quemin, Automates intelligents Nos systèmes mnésiques ont évolué avec le temps, passant par de [en ligne] http://bit.ly/1dbxSy9 grandes phases, permettant de décharger nos mémoires. L’invention de l’écriture dans un premier temps, puis l’invention de l’imprimerie, l'avènement des médias, et enfin la révolution numérique. Aujourd’hui la mémoire numérique nous entoure constamment, nous déchargeons littéralement nos pensées, nos mémoires, nos biens sur des supports numériques. Malgré les exercices de l’art de la mémoire poussant à augmenter ses capacités, nos aptitudes sont limitées. En utilisant le numérique comme aide mnésique, nous avons laissé de côté nos utilisations de mémoire biologique. Pour Ugo Volli 8, « que les nouvelles technologies puissent endommager le fonctionnement de la mémoire, la rendant inutile, est un vieil argument qui remonte à la critique de l’écriture par Platon. Et elle est évidemment vraie, comme l’idée que l’usage de l’ascenseur ou du car puisse affaiblir le coeur et les jambes, ou encore comme l’idée que la consommation d’aliments trop sucrés puisse affaiblir les dents. Il semble difficile d’éviter ces conséquences négatives de toute invention qui rend la vie plus confortable. » De cette manière, la culture de la mémoire biologique a fortement évolué au cours de ces derniers siècles. Nous avons complètement changé son utilisation afin de pouvoir agrandir notre champ de réflexion. Nous sommes devenus les « têtes bien faites » de Montaigne en laissant de côté les « têtes bien pleines ». De


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même en se prolongeant sur d’autres supports, la mémoire de chacun a en d’autres formes augmenté de volume en dehors de notre corps. Pour Vincenzo Susca et Claire Bardaine 77 « d’un côté nous étendons notre système nerveux central au-delà des frontières de notre cerveau, et en l’inscrivant dans les mémoires numériques, sur les écrans audiovisuels, dans les espaces de stockage d’informations en ligne… et de l’autre nous le réabsorbons sous forme augmentée grâce aux dispositifs portables tels téléphones mobiles (...). Ceci arrive à la fois naturellement et inconsciemment : nous savons comment repêcher les détails de notre existence (...) mais nous ignorons le processus qui rend cela possible. » Pour l’humain, la mémoire est une faculté cognitive fondamentale, qu’il était important d’agrandir. En disposant du cerveau hors-bord, nous disposons d’une seconde tête, notre ordinateur. Au fil du temps, l’humain a tenté de créer des outils et des médias toujours plus puissants, toujours plus pérennes. Si certains scientifiques se basant sur la loi de Moore peuvent nous assurer que la faculté mémorielle d’une machine double tous les deux ans, il n’en est pas moins que pour l’instant le numérique reste un outil fragile. Nous avons tous eu la mauvaise surprise du disque dur qui tombe en panne, un CD défaillant, ou encore une disquette sans lecteur. Son ancêtre mnésique, le livre a la caractéristique d’être altérable car construit de papier, cependant nous pouvons encore garder la trace de certains d’entre eux datant de plus de 2000 ans. Ainsi, qui du papier ou du support numérique est le plus optimal ? Nous nous rendons parfois compte que le numérique n’a pas encore fait toutes ses preuves. Plusieurs types de rematérialisations ont vu le jour. Nous pouvons désormais nous munir d’imprimantes à Instagram ou à Tweet, nous pouvons éditer et imprimer 92 92 • Des sites privés proposent aux notre Wall Facebook dans un livre . L’humain continue cependant utilisateurs des réseaux sociaux à faire confiance à l’évolution du numérique et utilise son cerveau d'imprimer leurs données, où d'acheter des machines leur per- comme un index. Il connaît les notions nécessaires à la recherche de mettant de le faire. l’information, mais ne possède plus les informations même sur son cerveau. Comme le souligne Paul Virilio 93 : « Il n’y a pas d’acquis sans 93 • P.Virilio, Cybermonde : la poliperte. Quand on invente un objet technique, par exemple l’ascenseur, tique du pire, Textuel, 2010 on perd l’escalier. » Nous ne pouvons cependant pas tout décharger sur la machine. En effet, si celle-ci possède la capacité physique de supporter de la matière mémorielle, elle n’est en aucun cas la capacité de jugement que nous avons, ou de réflexion par elle même. Elle reste le « cerveau hors-bord » de Clive Thompson 6. Si nous ne recherchons pas la connaissance, celle-ci ne viendra pas vers nous. Nos nouvelles manières


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d’archiver nous poussent d’autre part à tout enregistrer. Il est important de réapprendre à trier. Nous possédons énormément d’archives, et nous stockons de plus en plus. Nos nouvelles pratiques nous incitent à enregistrer nos données même les plus intimes. La mémoire numérique utilise des codages bien plus simples que la mémoire biologique. Contrairement au code binaire, la mémoire biologique s’adapte aux contextes, est efficace, intelligente, et surtout est capable d’oublier. La notion d’oubli est fondamentale pour avancer. Elle permet de tout remettre à plat, de se construire simplement, et d’avancer. L’humain s’arme de plus en plus de la machine. L’ ADN humain comme support de mémoire est une des solutions futures pour stocker universellement de l’information, ainsi l’informatique en s’alliant au biologique devient plus solide. Avec les solutions envisagées par les scientifiques, pourrait-on imaginer un système de stockage capable de durer des millions d’années ? Nos données pourraient-elles traverser les civilisations, et même peutêtre voir s’éteindre l’espèce humaine elle même ?

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ANNEXES

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Résumé La capacité des disques durs augmentant d’année en année, il pourrait être possible de télécharger son cerveau sur un ordinateur d’ici 30 ans. Cependant, le cerveau humain n’a rien à voir avec un disque dur. Notre mémoire biologique a changé de comportement ces 15 dernières années. Avec l’arrivée du numérique nous oublions de plus en plus d’informations. Notre cerveau a migré dans notre poche, dans notre smartphone. Cependant, comment les prothèses mnésiques modifient-elles la culture de la mémoire ? La mémoire est une particularité de l’humain très importante pour l'Homme et ce depuis l’antiquité. L’humain a cherché à l’augmenter, et ce en dehors de son corps ; des premiers écrits jusqu’à la naissance d’Internet. Les données de chacun sont rassemblées sur un support tangible. Le numérique est un médium qui possède des particularités pérennes, mais qui peut être fragile. Il possède un grand nombre de supports caducs. De plus, le numérique ne fait pas de place à l’oubli, qui est fondamental dans la mémoire, et enregistre tout. Enfin, les méthodes d’archivages du futur nous amènent de plus en plus à archiver son propre être. La manière d’utiliser notre mémoire a fondamentalement changé, il est important de comprendre que notre cerveau et celui de notre ordinateur ne fonctionnent pas de la même manière. Nous devons savoir trier les données, ainsi que dupliquer nos informations sur des supports différents, et surtout laisser place à l’oubli, au hasard. The hard drive capacity increases every year; it might be possible to download one's brain on a computer within the next 30 years. However, the human brain has nothing to do with a hard drive. Yet, the way we use our biological memory has changed over the past 15 years. With the arrival of digital media, we tend to forget more and more information. Our brain has migrated into our pockets, and into our smartphones. How does the "digital memory" affect the way we use our biological memory ? Memory is an important skill of the human body since antiquity. Mankind has forever tried to increase its capacity since the creation of writing to the digital revolution. Today, data is collected on various tangible supports (smartphones, pads, etc.). Digital is a media that has a huge back-up capacity, but it is fragile. Digital media evolves rapidly and some supports become obsolete such as floppy disks, CDs, etc. However, the data collected on a digital support never disappears contrary to our biological memory. Digital media records everything. In the future the way of archiving can lead us to archive our own being. How we use our memory has fundamentally changed, it is important to understand that the brain and computers do not work alike. We need to know how to select and filter data, and use it wisely, and above all accept to forget, and let go.

mémoire memory

Numérique digital

biologique biological

Oubli oblivion

Archiver to archive

Stocker to store

trace trace

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(fig. 1) Dante Gabriel Rossetti, Mnémosyne, v.1875-1881, Delaware Art Museum


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(fig .2) Exemple d'alphabet en forme d'outils. Les images pour se souvenir ont un sens - issus de : Alain Lieury, Le livre de la mémoire, Dunod, 2013

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(fig .3) Exemple d'écriture Sténographique - Alain Lieury, Le livre de la mémoire, Dunod, 2013

(fig .4) Leon Bonnat, Le martyre de Saint Denis, 1880, Panthéon Paris


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(fig. 5) Capture d'écran d'une visite d'un centre de donnée Google. [en ligne] http://bit.ly/1iS0iRq

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(fig. 6) Evan Roth, Clearing 4 Months of Internet Cache”, Vimeo, 2013 [en ligne] http://vimeo.com/79495041

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(fig.7) Publicité pour une société privée permettant de sauvegarder ses données personnelles dans un format et sur un support plus récent.


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(fig. 8) Page not found, Rero, 2011

(fig. 9) David Guez, Disques Durs Papiers, La jetée de Chris Marker, 2013

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(fig. 10) Claire Dubosc, "Error 404" [en ligne] http://bit.ly/1g0PHFY

(fig. 11) Vannevar Bush, As we may think, Atlantic Monthly, juillet 1945


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(fig. 12) Nostos I 1979, 45' , 1 Pouce PAL, couleur, silencieux, Collection Centre Georges Pompidou, Paris (France)

(fig. 13) Le Webbrain de J. Michalski [en ligne] http://bit.ly/1gqWeEp

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(fig. 14) Fil rouge du Fil d'A, Nicolas Taffin, Troyes, 2008


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(fig. 15) New Jersey III, Hand Sewn Archival Ink Jet Print, 2012

(fig. 16) Mauer Park, Hand Sewn Archival Ink Jet Print, 2012

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Aide mémoire

(d’après les définitions du Trésor de la langue française informatisée)

Archiver Caduc

Recueillir, déposer, classer dans une collection d’archives

Qui menace ruine, vieux, délabré.

Cognition média

Processus d’acquisition de la connaissance

Moyen de transmission d’un message.

Mémoire

1. Faculté comparable à un champ mental dans lequel les souvenirs, proches ou lointains, sont enregistrés, conservés et restitués. 2. Organe d'enregistrement des données, programme, résultats partiels, etc., dans lequel la machine va chercher les informations qui lui sont nécessaires au fur et à mesure du déroulement de son travail.

Mnésique

Qui a trait à la mémoire.

MnémotechniE aider la mémoire.

Art de faciliter les opérations de la mémoire; procédés destinés à

Mnémotechnique

Relatif à la mnémotechnie


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Numérique

Qui concerne des nombres, qui se présente sous la forme de nombres ou de chiffres, ou qui concerne des opérations sur des nombres.

Oubli

Absence ou disparition de souvenirs dans la mémoire individuelle ou collective.

prothèse

Pièce, appareil destiné à reproduire et à remplacer aussi fidèlement que possible dans sa fonction, sa forme ou son aspect extérieur un membre, un fragment de membre ou un organe partiellement ou totalement altéré ou absent.

Sauvegarder ou de quelque chose.

Assurer la protection, la défense de quelqu'un

Stocker 1. Entreposer des matières, des produits, en attendant de les utiliser ou de les mettre en vente; constituer des stocks de marchandises supérieurs à la demande à des fins spéculatives. 2. Conserver une information soit dans une mémoire, soit sur un support magnétique ou autre, en vue d’en faire l’archivage ou de la traiter sur ordinateur. Trace

suite d’empreintes, de marques laissées par le passage de quelqu’un, d’un animal, d’un véhicule; chacune de ces empreintes ou de ces marques.

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Bibliographie Ouvrages • Marc Augé, les formes de l’oubli, Paris, Payot & Rivages, 1998 Cet ouvrage fut fondammental dans mes recherches sur l'oubli. Marc Augé nous présente l'importance de l'oubli dans lasociété d'aujourd'hui. • Roland Barthes, La Chambre claire : Note sur la photographie, Cahiers du Cinéma/Gallimard, 1980 Datant des années 80, il est intéressant de se rendre compte combien notre relation à la photographie à changé avec le temps, notamment dans sa notion d'archive d'un moment passé. • Walter Benjamin, « Exhumer et se souvenir » extrait d’Images de pensées, traduit de l’allemand par Jean-François Poirier et Jean Lacoste, Bourgois, 1998

concernant le numérique et l'humain.

"Internet rend-il bête ?" est posée ici par "l'écriture rend-elle bête.

• François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, édition LGF, réédition 2001

• Nicole Pignier & Michel Lavigne, Mémoires & Internet MEI N°32, Editions de l’Harmattan, 2010

• Philippe K. Dick, Total Recall, édition Folio, 1952

L'ouvrage scientifique "Mémoires & Internet" m'a beaucoup aidé grace à ses nombreuses références du monde d'internet et sa relation aux humains.

• Michel Foucault, L’écriture de soi, dans Dits et écrits, 1983 • Clarisse Herrenschmidt, Les trois écritures, édition Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, mai 2007 Da n s s on é c r it , Cla r is s e Herrenschmidt tente de classer l'évolution humaine en proposant une évolutions sous trois grandes révolutions. • Emmanuël Hoog, Mémoire, Année zéro, Paris, Seuil, 2009

Dans cette citation poétique, Walter Benjamin nous rappelle le fondement de la mémoire.

•  Victor Hugo, Ceci Tuera Cela, NotreDame De Paris, Livre V, 1831

• Jorge Luis Borgès, Funes ou la mémoire, nouvelle tirée du recueil Fictions, collection Folio, 1942

• Thierry Kuntzel, Tittle TK, Paris/ Nantes, Éditions Anarchive/Musée des Beaux-Arts de Nantes, 2006.

Cette nouvelle étonnante de Jorge Luis Borgès nous prouve la fascination de l'humain pour l'action de se souvenir de tout.

• Ma r sha l l McLu ha n , Pou r comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, Bibliothèque Québécoise, Sciences humaines, 1964

• Alain Lieury, Le livre de la mémoire, Dunod, 2013 Le livre de la mémoire est un ouvrage complet sur la notion de mémoire à travers les siècles et les innovations qui en ont découlés. • Nicholas Carr, Internet rend-il bête ? Réaprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté (Is Google making us stupid ?), traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Marie-France Desjeux, Robert Lafont, septembre 2011 Ce livre est à la base de la plupart de mes recherches, Nicholas Carr pose des questions très contemporaines

Marshall McLuhan a réussi à révolutionner de nombreuses notions sur les médias. • Michel de Montaigne, livre I, ch. 26, "Sur l'institution des enfants", (1533-1592). [en ligne] http://bit. ly/1gpWUKc • Platon, Phèdre, Le mythe de Teuth,Trad. M. Meunier, 1922 [ en ligne ] http://bit.ly/1d9hpKU Ce récit conté par Platon, du mythe de Teuth est fondammentale pour ma recherche. La question fondammentale de Nicholas Carr

• Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann. (Première partie), Bernard Grasset, 1913 Le roman de Marcel Proust, nous rappelant sa vie au début du XXe siècle m'a beaucoup aidé à redéfinir la place du souvenir pour l'humain. • Endel Tulving, Organization of Memory, Academic Press, 1972 • Frances A. Yates, L’Art de la mémoire, Paris, NRF/Gallimard, coll. Bibliothèque des Histoires, 1975 Comment ne pas travailler sur la mémoire sans citer Frances A. Yates ? Avec l'Art de la mémoire, l'auteur nous explique entièrement la mémoire des Hommes au fil du temps. • Saint Augustin, La mémoire et le temps, Livre X et XI des Confessions de Saint Augustin, Bar-le-Duc, Trad. M. Moreau, 1864 - 1872 • Vincen zo Susca et Claire Bardaine, Récréation, collection Les imaginaires, CNRS éditions, Paris, 2009 • Paul Virilio, Cybermonde : la politique du pire, Textuel, 2010


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Articles et revues • Paul Baquiast et Christophe Jacquemin, Automates intelligents [en ligne] http://bit.ly/1dbxSy9 • Vannevar Bush, As we may think, Atlantic Monthly, juillet 1945 As we may think est un article très important concernant l'invention de l'hypertexte et d'internet. Datant de 45, celui-ci est essentiel à la fabrication d'une prothèse de mémoire externe. • Thierry Crouzet, Petite histoire de la naissance du Binaire, Owni. fr, 3 juillet 2010 [en ligne] http://bit. ly/1nuHWwg • Christophe Dessimoz, Stocker de l’information dans l’ADN, Pour la science, Numéro Spéciale n°433, Big Bang Numérique, Novembre 2013 • Eric Eich, Psychological Science, 24, 2013 [en ligne] http://bit.ly/1daIUUq • Anne Francou, Entretien avec Louise Merzeau : quelle présence numérique ? CRDP de l’académie de Lyon, octobre 2011 [en ligne] http:// bit.ly/1nuLQ8c • Jean-Gabriel Ganascia, « Du néo-structuralisme supposé de l'hypertextualité », Diogène, 2001/4 n°196, p. 9-24, 2001 • Karin Van der Heiden, À l’épreuve du temps, Graphisme en France, Centre National des arts plastiques 2010/2011  • Daniel Ichbiah, Le jour où nous perdrons la mémoire, Usbek & Rica, Numéro 06 Juin/juillet/août 2013 • Kevin Kelly, Lifelogging, An Inevitability, blog The Technium, 27 février 2007 • Raphaël Meltz, Marc L. Genèse d’un buzz médiatique, Le Tigre, publié

dans le numéro 28 (nov, -déc. 2008), page 36, 37. [en ligne] www.le-tigre. net/Marc-L.html • Louise Merzeau, Faire mémoire des traces numériques, ina-expert.com, 2012, [en ligne] http://bit.ly/1p09cOu  • Nicolas Thély, Archiver le Web, Le tournant numérique de l’esthétique, publie.net, coll. «critique & essais » 2012 • Clive Thompson - "Your Outboard Brain know all", WIRED MAGAZINE, n°15.10, Octobre 2007 • Marie-Aude Roux, Le numérique, passeport vers l’oubli, Le monde, 28/05/2013 [en ligne] http://bit. ly/1fB1jK9 • Arnaud Schwartz et Stephane Dreyfus, Le numérique est-il une menace pour la mémoire individuelle et collective ? La-croix.com, 02/01/12 [en ligne] http://bit.ly/1lGrDHV

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• Emmanuël Souchier, À propos des moteurs de recherche sur l’Internet, Médiation sociales, systèmes d’informations et réseaux de communications. Actes du Onzième Congrès national des Sciences de l’information et de la communication, Université de Metz, 3-5 décembre 1998. • Michel Serres, Conférence à Lille, 11 décembre 2007 à l’occasion des 40 ans de l’INRIA sur les révolutions culturelles et cognitives engendrées par les nouvelles technologies. [en ligne] http://bit.ly/1f01yTo • Jean-Daniel Zeller, Vers l’archivage totale de soi?, Manuscrit auteur, publié dans " 12è Journées des Archives de l'Université catholique de Louvain, Belgique (2012)

• Morgane Tual, Data Centers : la donnée écolo liberation.fr, 14 avril 2013 [en ligne] http://bit.ly/1kygcCn

Films, Vidéos et Reportages

• Tristan Vey, Si l'homme était doté d'une e-mémoire totale et éternelle, lefigaro.fr 17/01/2011 [en ligne] http:// bit.ly/1kV7lNK

•  Black Mirror, Épisode 3 : The Entire History Of You, Scénario : Jeff Armstrong, Réalisation : Brian Welsh , Royaume Uni, 2011

Conférence • Thierry Baccino professeur de psychologie cognitive à l’université Paris 8, (2010). Conférence « Lecture et écriture du futur » à la BNF. Paris le 21 septembre 2010 • Edmond Couchot, conférence Temps de l’Histoire et temps uchronique. Penser autrement la mémoire et l’oubli [en ligne] http:// bit.ly/1iRSqDO

• Evan Roth, Clearing 4 Months of Internet Cache”, Vimeo, 2013 [en ligne] http://vimeo.com/79495041 • Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Michel Gondry, film, 2004 • Le Centre National de Ressource Textuelles et Lexicales [en ligne] h t t p : / / w w w . c n r t l . f r  •  C é c i l e Deanjean, Le ventre notre deuxième cerveau, Arte, Février 2014 [en ligne] http://bit.ly/19WWFtL


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Radio

C ol le c t ion C ent re G e or ge s Pompidou, Paris (France)

• Risquons-nous de perdre notre mémoire numérique ? Michel Alberganti, Science Publique, France Culture, 07/06/2013

•  Diane Meyer, New Jersey III, Hand Sewn Archival Ink Jet Print, 2012 • Diane Meyer, Mauer Park, Hand Sewn Archival Ink Jet Print, 2012 • Page not found, Rero, 2011

Sites internet • www.atilf.atilf.fr/ • www.futura-sciences.com/ • www.google.com/intl/fr/about/ datacenters/inside/streetview/ • www.museechampollion-isere.fr/ • www.universalis.fr/ • www.webbrain.com/user/id/10

Mémoire •  Nina Ferrer-Gleize, « Remuer ciel et table », Mémoire réalisé sous la direction d’Anne Bertrand, 2013 http://bit.ly/1gr480z

Oeuvres visuelles • Leon Bonnat, Le martyre de Saint Denis, 1880, Panthéon Paris • Claire Dubosc, "Error 404" [en ligne] http://bit.ly/1g0PHFY • David Guez, Disques Durs Papiers, La jetée de Chris Marker, 2013 •  Thierry Kuntzel, Nostos I 1979, 45', 1 Pouce PAL, couleur, silencieux,

• Da nt e Ga br iel R os s e t t i , Mnémosyne, v.1875-1881, Delaware Art Museum • Nicolas Taffin,  Fil rouge du Fil d'A, Troyes, 2008


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Table des matières 5 Avant-Propos 7 Introduction 11 La culture de la mémoire à l'épreuve du temps 13 L'art de la mémoire 16 La mémoire et les médias 20 Le numérique : la trace éternelle du passé 29 Le numérique, une mémoire paradoxale 31 Le numérique est-il un médium pérenne ? 33 Le numérique enregistre tout 36 Le numérique un médium néanmoins fragile 43

Archiver demain

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Tout sauvegarder pour tout oublier L'archivage de soi au sein de la mémoire collective Entretien avec Nicolas Taffin, Designer d'interfaces L'absence de l'oubli

63 Conclusion 67 Annexes 69 Résumé 70 Images 82 Aide-mémoire 84 Bibliographie

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Remerciements Ce mémoire n'aurait pas été possible tout d'abord sans l'aide de mon directeur de mémoire Anthony Masure. Je tiens à le remercier pour sa disponibilité sans faille, ses nombreuses connaissances, pour sa patience ainsi que ses précieux conseils. D'autre part je remercie l'ensemble du corps enseignant du Mastère Design Graphique du Campus de la Fonderie de l'Image pour leurs multiples interventions qui m'ont aidé à aboutir à ce projet. Je remercie également Nicolas Taffin pour ses réponses à mes questions, Dominique Moulon pour son intervention, ainsi que Jamyl Souidi pour son savoir médical. Je remercie aussi chaleureusement mes relecteurs, mes parents qui connaissent désormais par coeur mon sujet, et Anthony Prévot pour ses conseils rédactionnels. Enfin je remercie l'ensemble des élèves de la classe de Mastère Design Graphique pour leur soutien, bonne humeur et leur créativité qui ont su nous donner envie d'aller jusqu'au bout.

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Ce mémoire est composé en Corda et AW Conqueror Sans Light, il fut achevé d’imprimer en mars 2014 aux imprimeries Parnascopy de Paris pour la découpe laser.

Mémoire réalisé dans le cadre du Mastère Internationale en Design Graphique pour l’année 2013/2014, du Campus de la Fonderie de l’Image de Bagnolet.

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