En anglais, on ne dit pas « attends de voir », mais « attends et vois » ; « wait and see ». Comme s’il suffisait d’attendre pour voir, comme si attendre était déjà voir, ou plutôt, comme si voir ne suffisait jamais à combler l’attente, même quand on voit pleinement, en direct, la chose même, en chair et en os. Ainsi, comme le conseillait Hitchcock, nous redisons la même chose, sans l’avoir cherché. Une image ne se voit pas. Jamais. Elle comporte toujours une tension, une intention qui la déborde hors d’ellemême, hors de son cadre. Elle fait sortir le présent de ses gonds. Pas une image juste, pas juste une image, une image toujours « désajustée », du moins quand elle échappe au système technomilitaire, où elle n’existe qu’ajustée, visée, ciblée. Je vois, j’attends Film socialisme, sans avoir la prétention de compter parmi ceux qui l’attendent avec le plus d’impatience ; comme on attend le messie, diton. JLG est un metteur en scène dont on attend les films. S’il en avait été autrement, rien de tout ce cinéma autour de ces bandesannonces n’aurait eu lieu. On est impatient de voir, mais en même temps, tout semble se mettre en place pour que le film ne soit pas vu. « Mon nom empêche mes films d’être vus ». C’est vrai. C’est triste. Et, on peut ajouter, pour faire du Shakespeare, il est triste que ce soit vrai. Hélas, c’est ainsi ; c’est nécessaire ; s’il en était autrement, s’il pouvait en être autrement, il n’y aurait pas de bandesannonces. Les films ne s’annonceraient pas. Ils ne se donneraient pas à penser, à sentir, avant d’avoir été vus. Prévoir, voir avant d’avoir vu, et ne plus voir donc. À chaque art, sa vitesse pour (nous) rendre la vérité, les choses, tout ce dont la vie nous prive. Comme le disait un petit soldat photographe, le cinéma c'est vingtquatre fois la vérité par seconde. C’est la vitesse à laquelle la vérité se donne au cinéma, et s’y prostitue aussi, quand elle ne vit pas sa vie. C’est connu.
QUATRO.
Mais que lui arrivetil donc quand elle se donne trop vite, quand tout un film défile en quelques minutes ? Où passe, où est passée la vérité de Film socialisme quand elle passe, quand elle est passée devant nos yeux à une telle vitesse ? Je ne sais pas ; c’est un peu comme au Louvre, dans Bande à part. Une autre bande, justement, une autre manière d’aller trop vite pour la vérité. Même à 24 images par seconde. Combien d’œuvres, de millénaires, parcourus en quelques minutes ? Les quelques secondes du cent mètres, c’est de la blague à côté. Spectres du cinéma #4 Printemps 201 0
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