Spectres du Cinéma #3 - Eté 2009

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Se faire à voir    Samedi 10 Janvier 2009.    La ville de Lyon, comme bien d’autres dans l’hexagone, est en émoi.    Il y a, dans une rue, les soldes d’hiver qui commencent, et la légère précipitation désordonnée des nombreux passants chargés de sacs qui va avec.    Il y a, dans une rue parallèle, l’effervescence causée par l’une des manifestations de soutien au peuple palestinien une fois encore massivement assassiné par l’armée israélienne sur son propre territoire, dans la bande de Gaza. Venu comme les autres personnes exprimer mon indignation publiquement, je me fonds dans le long cortège ordonné qui serpente dans les artères principales de la ville.    C’est ce jour-là que je choisis pour me rendre au cinéma, à la suite de la manifestation, afin d’aller voir Je veux voir, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.    J’ouvre ici une parenthèse pour constater comme les titres des films que j’ai récemment vus, et qui ont trait aux conflits au Proche-Orient, invitent à d’étranges répétitions pour qui souhaite les évoquer. « Voir Je veux voir », « Dans Dans la vie ». Des répétitions qui invitent, pourquoi pas, à placer son expérience de spectateur en miroir de ces films (et vice-versa), à interroger ainsi la place de ceux-ci très exactement à l’intérieur du réel même du spectateur.    De l’injonction de Catherine Deneuve exprimée en début de film, naît le nom du film, plaçant le « voir » en question. Elle veut voir le Sud Liban après la guerre de l’été 2006, jusqu’à la frontière avec Israël. Caprice de star, solidarité idéologique avec le peuple libanais ? On ne sait. Toutes choses étant, elle sera accompagnée pour cela par l’acteur libanais Rabih Mroué, une équipe de personnel pour la protéger, ainsi que par les cinéastes. Elle a vu, donc, quelque chose. Et nous aussi, spectateurs-manifestants pour la cause palestinienne les yeux fermés, puisque le premier acte que le cinéma requiert de ses spectateurs, c’est de regarder.    Qu’avons-nous vu ? Des images entremêlées, appartenant à, au moins, deux types de régimes.    Il y aurait les images « objectives », celles des ruines par exemple, ou des barbelés à la frontière. Des images documentaires, pas toujours faciles à obtenir, qui demandent autorisations pour être éventuellement produites. Ces images fixent une réalité que Deneuve et Rabih ont vue, ou du moins, qu’ils pouvaient tous deux voir.    Il y aurait les images « subjectives », les quelques séquences où le travail de plasticiens de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige prend soudainement le dessus. C’est l’image brouillée car défilant en gros plan, onirique, de champs de blé, ou le long travelling enregistrant, dans l’obscurité, les lumières tressautantes d’un tunnel. Ces images sont le fait de l’expression artistique des cinéastes qui sont à l’origine du projet. Elles ont été pensées et conçues à l’intention des spectateurs.

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Spectres du Cinéma #3 Été 2009


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