Ils filment la banlieue

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ILS FILMENT LA BANLIEUE Portraits de réalisateurs publiés par Bondy Blog


Yassine Qnia, le cinéma dans la peau Vendredi 27 janvier 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. Plus jeune réalisateur à avoir obtenu l'Aide au Film Court de Cinémas93, Yassine Qnia, 24 ans, est actuellement en compétition au festival Premiers Plans d'Angers. Son court-métrage Fais croquer, fiction comique et sans illusions, revient sur la difficulté de tourner un film dans un quartier. Portrait. Le rire et la plume. Ainsi pourrait-on décrire Yassine Qnia dont le rire en cascades et l’usage du stylo plume surprend. Né à Suresnes (92) en 1987, il déménage régulièrement avec sa sœur unique et ses parents jusqu’à s’installer à Aubervilliers (93), son port d’attache depuis douze ans. Mère femme de ménage, père invalide au chômage, rien ne le prédestinait au cinéma. Au contraire, dit-il, « j’étais fait pour les petites bêtises et le travail sur les chantiers ». Lui qui a été élevé « aux jeux vidéos, aux films, aux séries » est influencé par le cinéma américain. La révélation, il l’a vers 12 ans avec Les Affranchis de Martin Scorsese : « J’ai été frappé parce qu’on filmait un milieu. Les gars c’était tous des ritals, des méditerranéens, c’était plus facile de se dire“voilà, c’est moi ce héros“ ». Pour lui, le cinéma français n’est pas diversifié car « c’est un sport de riche qui n’est pas fait pour les pauvres. Si les gens ne s’orientent pas vers le cinéma c’est parce qu’il faut manger avant tout et s’habiller. » Au pays de ses parents, le Maroc, il pense que les cinéastes sont des privilégiés : « Ils ont beau venir d’un pays sousdéveloppé, je suis sûr qu’ils ont mieux mangé que moi ». Il rêve cependant d’y projeter Fais croquer et d’y tourner un jour un film. Comme en Amérique latine, sa deuxième passion. BEP puis Brevet de Technicien de géomètre-topographe, il fait une année de droit à Paris 8 pour faire plaisir à son père. S’arrête et le regrette un peu « j’aurai dû faire une option Arts pour prendre de l’avance ». Puis c’est l’intérim, le travail sur les chantiers jusqu’à ce jour d’avril 2009 où il fait une grosse bêtise et se dit qu’il ne peut pas continuer comme ça. Avec un ami, il écrit un scénario et atterrit à l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers (OMJA). Là, il bénéficie de deux stages en Amérique latine et réalise le court-métrage Arnaque-moi si tu peux qui remporte un prix à Draguignan. L’OMJA lui propose d’intégrer gratuitement une école privée de cinéma. Il refuse par rapport à sa famille. Se méfie des écoles qui peuvent servir à des élèves et monter la tête à d’autres. Et se forme avec Internet. Jury Jeune au Festival international du court-métrage de ClermontFerrand 2011, il dévore près de 150 films en une semaine : « T’apprendras jamais mieux qu’en regardant des films et en écoutant les réactions du public ». Hakim Zouhani, ancien animateur de l’OMJA devenu producteur, le prend sous son aile pour réaliser Fais croquer. Il


arrête les chantiers, écrit un scénario avec la société Nouvelle Toile puis tourne entre amis, dans son quartier, avec peu de moyens. Sa famille ne comprend pas et se pose des questions « Tu gagnais bien ta vie ». « Tu fais n’importe quoi ». Lui qui a toujours été l’enfant gâté ne reçoit pas de réel soutien. Jusqu’à obtenir l’aide financière de la Seine-Saint-Denis pour finaliser son film. La consécration arrive en novembre 2011 lorsqu’il remporte le Prix du Jury et le Prix du Public du festival Génération Court. « Ce qui va jauger ce que j’ai réussi ou pas, ce sont les gens de chez moi ». Il dit devoir tout à Aubervilliers et à ses amis qui l’ont rendu plus fort. Yassine a peur que les films « de banlieue » deviennent un genre « Dès que tu veux faire un film en banlieue, tu as les producteurs, les diffuseurs qui demandent qu’il y ait un peu de ci, un peu de ça, parce que les gens sont habitués.» Leur absence dans les sélections vient pour lui du fait que certains réalisateurs « ne s’ouvrent pas assez ». Il s’étonne d’être souvent le seul en survêt-basket dans les festivals. « Il faut aller voir ce qui se fait ailleurs sinon t’es mort et même dans tes discours, tu ne seras pas crédible ». Insurgé contre les jeunes cinéastes qui fantasment la banlieue et filment ce qui fait les gros titres, il explique qu’il faut connaître un sujet pour le traiter correctement. La Haine ? « Ça reste un fantasme». Un Prophète ? « C’est bien, ça attire du monde au cinéma mais c’est difficile, tu te dis, “mais alors c’est ça notre image ? C’est ça que je dégage ?“ » Alors, quand on lui demande comment filmer la banlieue, il répond simplement : « Avec pudeur parce que, quoi qu’il arrive, tu lui veux de l’amour. » Claire Diao


Uda Benyamina, l’uppercut cinéma Mercredi 29 février 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. Femme de poigne avant d'être de banlieue, Uda Benyamina signe avec le court-métrage Sur la route du paradis le portrait d'une société française en proie aux expulsions et à la peur de l'Autre. Primé à Dubaï et Tanger, le film était présenté au Gaumont Opéra de Paris. Portrait. Elle

nous

accueille

dans

son

appartement

du

XVIIIe

arrondissement de Paris où elle garde son fils Jassim, deux ans. Manière de vivre loin de l’Essonne où elle a grandi ? Non. Amoureuse de Paris, Uda Benyamina considère qu’elle a le droit d’y habiter comme tout le monde surtout lorsque les filles de banlieue « font moins peur que les mecs. Chez nous, les garçons souffrent plus que les filles ». La révélation de la scène, elle l’a en CM1 lorsque son instituteur leur fait apprendre un texte de Pagnol. « Le jour du casting j’étais malade et le rôle a été donné à un élève qui n’avait pas appris son texte. Comme je le voulais absolument, je l’ai appris par cœur et je suis tombée amoureuse de la comédie. » Née en 1981 à Viry-Chatillon (91), elle est la neuvième d’une famille de treize enfants dont la mère lettrée et le père aujourd’hui reparti au Maroc ne l’ont pas orientée vers le septième art. Au contraire, elle se lance à 16 ans dans un CAP « brushing » et se définit elle-même comme une élève violente. Mais elle participe à des ateliers théâtre : Antigoneau collège (« Créon nous a abandonné, même si je l’ai tapé, on n’a jamais présenté la pièce! ») puis en CAP. En échange d’une coupe de cheveux, un surveillant lui offre le film Œdipe-roi de Pasolini (« une grosse claque ») et le livre Voyage au bout de la nuit de Céline. Pour celle qui pensait être une cancre, c’est la révélation : « Quand je suis arrivée en CAP Coiffure avec ce livre, tous les regards ont changé sur moi. Les profs ne me parlaient plus de la même manière alors je me suis mise à bosser ». Réorientée en seconde littéraire à Corbeil (91), elle obtient son bac avec 20 de moyenne en option théâtre. Aux années lycée où elle rencontre son co-scénariste Malick Rumeau, succèdent les années fac en Arts du Spectacle. Puis l’École Régionale d’Acteurs de Cannes (ERAC). Avec le soutien de la mairie de Viry, elle part trois mois en Russie apprendre la méthode de Stanislavski puis se paye une formation à New York chez Richard Foreman et l’Actors Studio. Après trois ans d’études, elle réalise que les castings ne lui réservent que des rôles « de beurette » : « Il y a 10 ans, ce n’était ni le cinéma, ni le théâtre dans lequel je pouvais me reconnaître. C’était très compliqué d’entrer dans le milieu ». Révoltée par l’injustice qui l’entoure, elle décide de mener ses propres projets.


Marquée par les carrières engagées de Malcolm X, Mohamed Ali ou Spike Lee, elle fonde en 2006 l’association Mille Visages pour valoriser le vivier de compétences et de talents des quartiers populaires. En neuf mois, elle réalise 9 courts-métrages dans une esthétique et un univers qui lui ressemblent. En 2008, elle réunit 60 000€, sollicite le chef opérateur argentin Ricardo Aranovich et réalise son premier courtmétrage, Ma poubelle géante. Fatiguée par le traitement noir et blanc de la banlieue, elle choisit de filmer en couleurs le parcours presque autobiographique d’un jeune qui a du mal à trouver du travail. « Ce que je trouve dommage dans la société française d’aujourd’hui, c’est qu’elle nous renvoie toujours à d’où l’on vient alors que ce n’est pas juste cela qui nous caractérise. » Inspirée par des films tels que Taxi Driver, Freaks ou Il était une fois en Amérique, Uda regrette que la France s’attache trop à sa Nouvelle Vague. «Je pense qu’il faut inventer un nouveau cinéma avec de nouvelles énergies, un nouvel esthétisme. » Même si Les Cahiers du Cinéma consacrent trois pages à Donoma, les nouveaux talents français ont du mal à éclore. Pourtant, grâce au programme Émergence et au Conseil Général de l’Essonne, Uda bénéficie d’un accompagnement à l’écriture. En 2009, elle décroche une aide du CNC, un jeune producteur amoureux de son univers et tourne Sur la route du paradis, primé à l’étranger et sélectionné en compétition nationale du festival de Clermont-Ferrand 2012. Pour celle qui ne sera comédienne que si on lui propose « un beau rôle », le manque de films issus de la banlieue dans les festivals et les palmarès français fait mal. Parce qu’elle ne filme pas la banlieue « mais les gens qui y habitent », Uda rêve d’ouvrir un jour une école artistique gratuite pour transmettre ce qu’elle a pu avoir « et leur faire gagner du temps ». Claire Diao


Hassan Strauss, d’humour en cinéma Samedi 10 mars 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. Elguezar à la ville, Strauss à la scène, Hassan se définit comme un « homme du futur ». Il présentait mercredi au Festival International des Droits de l'Homme de Paris un documentaire sur les relations entre police et population. Hassan Strauss a découvert le quartier des Fauvettes de Neuilly-surMarne (93) à l’occasion du tournage de son filmPolice/Population. À travers différentes interviews d’habitants, il s’intéresse au poste de Délégué à la cohésion Police Population initié par le Plan Banlieue en 2008. « Le fait que ce poste ait été créé prouve qu’il y a un problème.La police dans les quartiers a peur de discuter, de faire son boulot ». La responsable de l’association Ville & Avenir de Neuilly-sur-Marne lui propose ensuite un projet de série tournée dans un hall d’immeuble avec des habitants et Wahid Bouzidi du Jamel Comedy Club. Hassan fonce tête baissée. « Outre le fait de mélanger tous les gens du quartier avec un professionnel, ce projet permet de faire émerger des talents ». Il s’extasie sur les acteurs-nés, dont il a l’impression « qu’ils ont fait ça toute leur vie », et espère produire, avec la société De l’autre côté du périph’, une série professionnelle qui fera la tournée des villes. « Il y a un délire, une culture, dans chaque quartier. Ce ne sont pas les mêmes langages, pas les mêmes survêt’… Ce serait une manière de voir un panel de la banlieue comme jamais tu ne pourrais le voir. » Le quartier d’Hassan est à Aubervilliers. Plus précisément à l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers. « L’OMJA et moi, c’est un peu une histoire d’amour. J’ai grandi dans le milieu associatif depuis la piscine à 3F jusqu’à Génération Court ». Vainqueur de la première édition du festival, Hassan y avait présenté Mon Hall en 2006. Tourné dans son immeuble, le film dépeint avec humour les préjugés que les gens peuvent avoir sur les jeunes. « Le hall d’immeuble est un lieu de vie pour des millions de Français. Il n’y a pas que des jeunes qui fument de la drogue : les gens passent jeter leurs poubelles, le livreur de pizza reste coincé, les mecs se retrouvent après l’école, d’ ‘autres prennent leur courrier… » À l’OMJA, Rachid Kadioui le décrit comme un garçon « brillant». Son passage par l’atelier BD lui permet de trouver ses premiers emplois dans l’animation. Sur France 3, au Maroc et sur la série Etoitékoi des Indivisibles, « les dessins que ma mère refusait que je fasse m’ont finalement permis de gagner ma vie ». Quelques années auparavant, c’est en tant qu’animateur scientifique qu’il travaillait en apprenant la patience: « Tu vois les cités où il y a des émeutes parce que les gens cherchent du travail ? Ils t’envoient, toi, pour faire


des trucs avec des ballons percés, des fusées… alors que les mecs attendent autre chose. C’était vraiment pour les calmer ». La discrimination, Hassan ne l’a pas connue. Sauf lors d’un stage en Productique-Mécanique. Sa bête noire. Bon élève au collège Jean Moulin où son frère aîné l’inscrit en Section Européenne « pour que je réussisse dans la vie », Hassan atterrit dans une classe de filles aujourd’hui docteurs ou stylistes. « Ma hantise, c’était de redoubler ». En 3e, il rencontre un conseiller d’orientation. « Son métier c’est de te dire « Tu veux faire ça ? Non, fais plutôt ça » ». La passion d’Hassan, c’est le dessin. Dans la culture berbère de ses parents, c’est un loisir, pas un travail. Le conseiller l’oriente en Productique-Mécanique où il dessine des boulons toute la journée « avec des mecs qui ont redoublé vingt fois ». Jusqu’en BTS. « Dans Productique-Mécanique, il y a mécanique. Ma mère me disait « Oh non, c’est sale, tu vas travailler dans un garage ! » Maintenant, l’Éducation Nationale appelle ça « ISI » : Initiation aux Sciences de l’Ingénieur. Mes parents auraient aimé : ingénieur ! » Son humour mordant, il le doit à son père, 78 ans, ancien « ingénieur » (PSA, Peugeot…) et à sa mère « astronaute… forcément ». Benjamin d’une fratrie de trois, Hassan est un millésime 1985 né un critérium à la main « pour apprendre à mon père qu’un poulet ne se dessine pas avec quatre pattes». Aujourd’hui marié et père de famille, influencé par des films comme Les aventures du baron de Münchausen, Hassan filme la banlieue tel qu’il est. Avec le sens de l’humour. « Parce que, pour la vivre, il faut avoir du second degré ». Claire Diao


Nicolas Mesdom, homme de cinéma Dimanche 18 mars 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. On peut venir de banlieue et s’appeler Nicolas, réussir la Fémis et couronner son acteur d'un prix d’interprétation au Festival International de court-métrage de Clermont-Ferrand. Il a le regard sage d’un élève autrefois effacé et le phrasé posé d’un jeune homme affranchi des tabous. Nicolas Mesdom, 28 ans, rejette les portraits médiatiques alarmistes de la banlieue et prône l’utopie plutôt que la dénonciation : « On n’arrive plus à rêver au cinéma ». Son rêve à lui naît avec la caméra de ses parents et la quantité de films qu’il regarde adolescent. Né à Montreuil en 1983 de parents médecins, Nicolas est l’aîné d’une fratrie de trois garçons. Le cinéma qui le démarque de ses frères le rapproche de sa grand-mère maternelle, une assistante sociale que la guerre a fait passer à côté du dessin : « C’était une communiste de la banlieue rouge, résistante pendant la guerre. Une figure très imposante, un peu écrasante pour toute la famille, une sorte de Reine Mère». De cet héritage familial que l’on peut situer entre la Belgique et Drancy, Nicolas conserve un rapport affectif à la banlieue teintée de complexe. « Socialement parlant, notre classe n’est pas la même. Il y a une rupture sensible qui est de plus en plus marquée. Quand on est petit, on ne ressent pas la violence et le clivage social. » Cela expliquerai-t-il pourquoi nombre de classes moyennes et aisées quittent la banlieue ? De Bobigny (93) à Livry-Gargan où il a grandi, Nicolas problématise la géographie des classes sociales dans la ville. Un sujet qu’il développe actuellement avec la société de production Les Météores dans un premier longmétrage. Lui qui a souffert au lycée du manque de mélange des élèves s’est peu à peu éloigné de la banlieue. D’abord Boulogne-Billancourt pour un BTS Image (« une ville populaire et une ville aisée séparées par un énorme boulevard ») puis Paris 3 en Licence de cinéma où il fait la rencontre de Charles Tesson, « un super prof partisan du décloisonnement dans le cinéma ». Vient la préparation du concours de la Fémis, une grande école très sélective qui forme aux métiers du cinéma. Dans ses schémas parentaux, faire du cinéma n’était possible « qu’en passant par des concours ». Admis au département Image, il passe quatre années passionnantes rue Francœur. S’il reconnaît qu’élèves et professeurs demeurent très « WASP » (comprenez « Blancs »), Nicolas pense que la Fémis n’a plus l’étiquette élitiste qu’elle a longtemps portée. Pour preuve, l’école a mis en en place des ateliers Égalité des Chances depuis 2008, ouverts aux boursiers et lycéens issus de l’éducation prioritaire. Intègrent-ils vraiment l’école par la suite ? «C’est balbutiant. Le dysfonctionnement ne vient pas forcément de l’école mais des structures à côté, universitaires ou boursières, qui devraient davantage miser sur la capacité des étudiants à l’intégrer ». Hors système scolaire, un sujet d’intégration traverse l’œuvre de Nicolas : l’homosexualité. Son courtmétrage La tête froide, primé à l’édition 2012 du festival de Clermont-Ferrand, sera diffusé par ARTE et TV5 Monde à l’exception du Moyen-Orient (« à cause de la scène du baiser »).


Tourné à Mérignac (Aquitaine) dans le milieu du foot, le film raconte le trouble d’un capitaine d’équipe à l’arrivée d’un nouveau joueur. «Je voulais démonter ce qu’est l’homophobie, la peur de la reconnaissance de soi dans l’autre», raconte celui qui a affirmé son choix en dehors de la banlieue. Le milieu footballistique, propice à l’amitié virile, favorise le récit d’une réalité sociale « qui fait qu’à l’épanouissement de soi s’opposent plusieurs barrages ». Interprété par de vrais joueurs de foot et deux acteurs remarquables, La tête froide soulève la question de l’altérité : « Aujourd’hui, tout le monde a l’air de dire que c’est plus ou moins accepté. On en est extrêmement loin. Il y a des milieux où cela est plus simple que d’autres. » Bientôt projeté au Blanc-Mesnil (93), le film ne laisse personne indifférent. « Que ce soit la famille ou les amis, le regard des autres est dangereux, témoigne Nicolas. Cette situation est extrêmement destructrice. Il faut s’inventer ailleurs, dans un territoire neuf, et ne pas oublier de revenir». Ce retour, Nicolas l’a fait à tâtons avec certains de ses amis d’enfance mais pas avec tous car « on voit dans leur regard que tout s’inverse. C’est comme si cela balayait tout ce qu’on était avant. » Parce que la sexualité n’est pas l’unique définition d’un être, Nicolas filme la banlieue « avec toutes ses nuances » et aime à rappeler qu’elle était jadis « une alternative » ainsi qu’« un pourtour idéologique qui pesait sur le centre ». Claire Diao


Hafid Aboulahyane, un sensible ciné-man Jeudi 5 avril 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. Surnommé Hafid Good durant la Coupe du monde 98 pour avoir trop chanté James Brown, Hafid Aboulahyane est un réalisateur dopé par ses blessures professionnelles. Intérêt Général, son court-métrage d'incitation au vote, est diffusé ce soir dans l'émission Libre Court sur France 3, à 00h45. « J’étais un autiste de l’Éducation nationale. Ce qui m’a sauvé, c’est l’art et la passion. » Ainsi se décrit Hafid Aboulahyane – alias Hafid Good – lorsqu’on l’interroge sur son parcours. Yeux rieurs, énergie débordante, ce réalisateur n’a pas peur de puiser dans ses failles pour expliquer sa force. Dernier d’une famille de quatre enfants (deux sœurs, un frère), Hafid naît en 1978 aux Ulis dans l’Essonne (91). Après un parcours scolaire « catastrophique », il arrête les études en classe de 5e : « Le gouvernement n’a pas conscience de l’ampleur du problème qui s’est amplifié depuis quinze, vingt ans. » Héritier de l’art de la poésie de son village paternel, Hafid est attiré par la comédie. Il se lance dans le théâtre d’impro aux Ulis et à Évry. Réaction de sa famille ? « Le truc classique : “Si tu travailles pas à l’école, tu seras un clochard“. » Après deux-trois ans de formation, « histoire de leur faire plaisir », Hafid suit des cours d’art dramatique au Cours Viriot de Paris et découvre « des textes fabuleux : Molière, Tchekov… ». Inquiets, ses parents l’encouragent néanmoins. Mais le soutien est symbolique. Le père d’Hafid rentre tôt au Maroc et sa mère élève seule ses enfants aujourd’hui éparpillés entre la France et l’étranger. Lui sera le « Tanguy » de la famille et quittera sa mère à l’âge de 30 ans pour s’installer à Paris. En 1999 démarrent les castings et des petits rôles dans Quai n°1, Navarro… Avec un problème récurrent : celui des rôles de racaille et de terroriste post-11 septembre. « Un jour, j’ai pris en flagrant délit une directrice de casting qui glissait mon dossier en dessous de la pile. De là, j’ai commencé à avoir un œil aiguisé pour ce genre de rôles et à écrire mes propres histoires. » Pour réaliser, Hafid a besoin d’une structure. Il crée donc une association (Show sans Frontières) et en 2005, une société de production (HafidGood Production). « Tout ce que j’entreprends, je le fais par rapport à des blessures professionnelles. Si on me dit “Tu seras un bon à rien“, je crée une association. “T’es pas capable de gérer de l’argent“ je crée une boîte de production. “T’es incapable de vendre tes films“, je coproduis avec France Télévisions. » Pour Hafid, le monde du travail est fait de rencontres et de connections : « Entre l’école et la vie, c’est le jour et la nuit. ». Il travaille sans relâche car « rien n’est jamais acquis » et s’énerve de l’hypocrisie des gens : « T’as beau avoir du talent, si t’as pas de réseau, ça ne marchera pas. » Fan de John Cassavettes (« pour sa manière instinctive de diriger les acteurs »), d’Ettore Scola, de Matthieu Kassovitz « ces dernières années » , de Jean Renoir, d’Henri Duparc et de Raoul Peck, Hafid aime réaliser des


comédies sentimentales et interpréter des marginaux. SDF dans son film Le Forum (2007), handicapé dans La marche des crabes (2009)… Ces rôles sont une métaphore de la société d’aujourd’hui : « On est toujours considéré comme le fils d’immigré, le Français d’ailleurs. C’est le pétage de plombs. » Et affirme, tranchant : « La schizophrénie est la grande maladie du XXIe siècle. » Dans son dernier court-métrage intitulé Intérêt Général, Hafid réunit des jeunes femmes et les fait débattre autour de leurs intentions de vote. Intéressé par la citoyenneté depuis son premier court-métrage, Le forum, il se demande comment inciter au vote et écrit un scénario « J’ai eu envie de réunir trois femmes d’origines différentes qui représentent la France d’aujourd’hui et qui n’ont pas pour habitude de s’exprimer ». Tourné en plan-séquence dans un appartement, Intérêt Général souligne le départ en maison de retraite de la grand-mère de l’une des protagonistes. « Nous sommes dans une société où l’individu prime avant tout, c’est un comportement inquiétant. » Lui-même confronté au fait que sa mère reste seule aux Ulis déplore que « même les pays d’Afrique prennent le pli de l’Occident.» Avec sensibilité, Hafid Good filme une banlieue humaine remplie de gens « formidables » et revendique « que les meilleurs talents viennent de là. » Claire Diao


Zangro, cinéaste made in Bordeaux Samedi 19 mai 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. Sylvain Zangroniz, alias Zangro, réalisateur bordelais de 38 ans, est le fondateur de l'association À part ça tout va bien. Tournée au Brésil, sa comédie sur les clichés interculturels, Como a la television, a remporté le grand prix de l'Urban Film Festival de Paris. On parle souvent de centre et d’épicentre entre Paris et sa banlieue en oubliant le reste de la France. « On a l’impression d’être dans un autre pays. On ne peut pas tous partir à Paris mais c’est là-bas que ça se passe » témoigne Zangro, né en 1974 à Cenon (33) où il travaille aujourd’hui. « C’est fou, non ? J’ai fait le tour du monde et je suis revenu au même endroit ». Le tour du monde, il le démarre à l’âge de 5 ans avec sa mère, femme au foyer et son père animateur. Francoespagnols, ses parents partent pour l’Espagne, puis le Maroc, six ans plus tard. Durant cette enfance, pas de touche cinéphile si ce n’est que Zangro voit toujours son père « ramener des comédiens à la maison ». À 16 ans, toute la famille s’exile. Son petit frère et sa grande sœur partent au Canada tandis que sa mère et lui retournent à Floirac (33). Au quartier, l’adolescent noue de nouvelles amitiés qui lui rappellent « un accueil et une chaleur que je ne trouvais pas en France ». Même s’il parle quatre langues, Zangro n’a pas vraiment de « chez soi ». Il devient animateur vidéo dans les quartiers de la rive droite bordelaise, une « ancienne cité ouvrière située à quatre stations de tram de la rive gauche ». En parallèle, il suit « plus ou moins régulièrement» des études mais aspire à intégrer l’armée pour travailler comme Casque Bleu (« un métier d’action et d’aventures »). Sa mère l’en empêche. Il décrochera donc une licence de socio. À 20 ans, Zangro se forme au cadre, « tout seul, comme un Ninja ». Fait des allers-retours à Montreuil auprès de Jean-Michel

Papazian,

documentariste

et

JRI

qui

l’informe que « c’est un boulot galère mais que ça vaut vraiment le coup ». Cet ami lui tend un jour sa caméra et 400 dollars. Zangro part aux États-Unis, rencontre dans le Bronx le danseur de rue Ali Fekhi : « C‘était déjà un mec qui fuyait la France, qui ne se sentait pas très bien », et fait un documentaire sur lui. Pour cet aventurier-voyageur adepte des films de Kubrick, le cinéma n’est pas une fin en soi mais plutôt « un outil pour exprimer un regard ». Jusqu’en 2005, il arrête quatre à cinq fois le métier. Vendeur sur les marchés de Miami, archéologue au Niger et au Burkina Faso… « Je n’étais pas sur les rails du cinéma mais à chaque fois, j’y revenais ».


À 28 ans, il devient formateur vidéo à la maison d’arrêt de Gradignan (33). « Au quartier, c’est la réalité. Tu connais toujours un mec qui y rentre ou qui en sort ». Pendant trois ans, ses premiers films de fiction se tournent entre quatre murs et sont diffusés dans toutes les prisons de France. Pour en avoir montré un à la famille d’un détenu dans l’illégalité, Zangro se fait congédier. Dans le quartier, un copain l’interpelle : « Pourquoi tu fais pas des films sur nous ? ». Le défi est lancé. Avec deux amis, il fonde en 2006 En attendant demain, une association réalisant des sketchs humoristiques diffusés sur le net. Repérés par Bruno Gaccio, Canal Plus leur commande un téléfilm de 3×26 minutes. « Ça a été le branle-bas de combat dans tous les quartiers de Bordeaux. Pour beaucoup de gens, c’était la lumière au bout du tunnel ». L’engouement se transforme alors en « hystérie collective » et le plaisir devient « business ». « C’est là qu’il faut devenir vigilant. Cette hystérie était proportionnelle au vide culturel proposé dans les quartiers. Faire un film était devenu la seule source de reconnaissance ». L’association se dissout et Zangro s’interroge. Mais décide de continuer. Avec l’acteur Hassan Zahi, « le plus pratiquant que je connaisse », rencontré sur un casting, il fonde A part ça tout va bien en 2008, une association audiovisuelle qui aborde « sous l’angle de la comédie, la relation schizophrénique de la France et de l’islam ». Soutenus par le quotidien musulman d’actualités Saphir News, ils créent au Maroc une série intitulée Islam School Welkoum qui remporte un grand succès. Et continuent de produire des courts-métrages, en France comme à l’étranger. Maniant l’humour et la dérision, allant à l’encontre des films « pop corn », Zangro filme la banlieue « avec la banlieue » et estime n’être « qu’une main au service d’un bras », celle de l’équipe d’A part ça. Claire Diao


Rachid Djaïdani, cinéma badaoui Lundi 21 mai 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. Boxeur, auteur, réalisateur, Rachid Djaïdani, 39 ans, a plus d'une corde à son arc. Son premier long-métrage de fiction Rengaine, tourné à Paris, est projeté aujourd'hui à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes. Pour interviewer Rachid Djaïdani, mieux vaut être bien chaussé. Je le rencontre à la sortie du MK2 Beaubourg et de la séance de Matins calmes à Séoul. Hasard ou coïncidence ? Le film coréen retrace les déambulations d’un cinéaste dans la ville comme celles que Rachid a menées dans son film Rengaine. « Si tu savais d’où j’arrive pour faire ce film ! Neuf ans que je suis dans le métro, l’underground, le combat, les rencontres, l’appétit, la faim… ». L’interview se fera en marchant, de Rambuteau à Clichy, pour prendre le pouls de ce qui a rythmé sa vie. Sa

sélection cannoise ? « Nous qui avons toujours été en

quarantaine, arriver à la Quinzaine… ça soulage ». Et pour cause, après neuf ans passé à réaliser Rengaine, Rachid Djaïdani se définit comme un autodidacte faisant du cinéma « RSA : Réaliser sans argent ». Je lui parle du terme « cinéma guérilla » utilisé par Djinn Carrénard pour définir l’expérience Donoma. Il me répond offusqué : « C’est pas nous qui attribuons les termes sauvage, guérilla… Quand je monte avec mon monteur, on n’a pas un logiciel Final Cut sauvage ! Moi, je fais du cinéma. » Lui qui est né en 1974 d’un père algérien ouvrier chez Peugeot et d’une mère soudanaise « chef » de foyer, a grandi à Carrières-sous-Poissy (78). Quatrième d’une famille de onze enfants – dont neuf filles – Rachid est un enfant « pas très costaud » qui manie plutôt l’humour. L’école ? Il n’aime pas ça. « Quand j’étais gamin, je voulais rencontrer Charlemagne – j’étais sûr qu’il était encore vivant – pour lui faire un croche-patte ». Trenteneuf ans plus tard, son opinion est différente. « La plus belle des lumières, c’est la connaissance ». Diplômes de maçon et de plâtrier-plaquiste, il s’essaye à la menuiserie et à la plomberie-chauffagerie avant de se résigner : « J’étais destiné à ce que je suis aujourd’hui, artisan ». Sa carrière artistique, il la démarre dans la beauté du geste de la boxe anglaise. « Un ami de mon père a dit que pour défendre mes sœurs dans la cité et pour que je devienne un homme, il fallait que j’en fasse ». À l’adolescence, les entraînements règlent sa vie. Il devient champion d’Ile-de-France amateur à 17 ans. Sept ans plus tard, il travaille comme vigile sur le tournage de La Haine. Inspiré, Rachid se dit qu’il peut faire du cinéma. « J’ai écrit un scénario avec un ami puis Boumkoeur est devenu un roman. C’est un peu le chemin classique des écrivains de notre génération. On est nombreux à avoir voulu faire du cinéma mais comme on ne sait pas présenter un scénario, nos écrits se


transforment en roman ». Publié en 1999 aux éditions du Seuil, le livre devient un best-seller et Rachid est convié sur le plateau de Bernard Pivot. « C’était super dur qu’on me traite d’écrivain, j’étais boxeur ». Après des petits rôles interprétés dans Ma 6-T va cracker ou la série Police District, il publie deux romans aux éditions du Seuil : Mon nerf en 2004 et Viscéral en 2007. Pourquoi l’écriture ? « L’envie d’exister et de crier. J’aime être à l’heure là où on ne m’attend pas ». En parallèle, il part en tournée avec Peter Brook pour interpréter des pièces de théâtre. Chanceux, lui ? Non. « Tout ce que j’ai gagné, c’est à la sueur de mon front et à la foi en ma lumière que je le dois ». En 2007, il tourne son premier documentaire, Sur ma ligne, soutenu par l’ACID puis Rachid au Texas(2008) et Rachid en Russie (2009) diffusés sur France 4. En 2010, il présente La ligne brune, portrait de la grossesse de sa femme puis signe en 2011 un web-documentaire sur le Ramadan pour Arte, Une heure avant la datte. Ce passage à l’image, il l’explique par une envie « d’être dans le réel » pour ne pas avoir à créer « à la plume chacun des pixels ». Car la production est longue et douloureuse. Trois ans pour un roman, neuf ans pour Rengaine. Est-ce à dire que la création en banlieue soit bloquée par un plafond de verre ? « Non, les plafonds, ils existent pour ceux qui veulent les voir. Le verre, il est fait pour être brisé ». Que dire alors aux jeunes qui pensent ne pas avoir les moyens ? « Regarde les lombaires de ton père, tu verras si lui avait les moyens. La verticalité, c’est le travail ». Nous nous dirigeons vers Film Factory, la société de post-production où est finalisé Rengaine. Entré dans la salle de montage pour valider son DCP, Rachid en ressort une heure plus tard les yeux embués. Il a l’impression de sortir de la maternité. « Ça y est, je l’ai » me répète-t-il plusieurs fois. Devant une tasse de chocolat, je l’interroge sur la banlieue. « Je suis fier d’être un mec de banlieue mais ce mot a été tellement sali que dès l’instant où tu le fais fusionner avec un art, tu tombes dans un art mineur ». Pour lui qui vit à Paris depuis plusieurs années, utiliser ce titre, ce serait comme le voler à « ceux qui sont en train d’éclore ». Considérant que le cinéma actuel basé sur l’écriture de scénario « discrimine énormément », Rachid espère que les institutions créeront, « avec noblesse », une commission de visionnage plutôt que de lecture pour donner la chance aux jeunes de s’exprimer en images plutôt qu’en écriture. Claire Diao


Mohamed « Hamé » Bourokba, du hip-hop au cinéma Jeudi 24 mai 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. Tourné à Gennevilliers, Ce chemin devant moi est le seul court-métrage français en compétition officielle au Festival de Cannes. Réalisé par le rappeur Hamé de La Rumeur, il est la preuve que de nouvelles voix émergent du cinéma. Né à Perpignan en 1975 dans un quartier « pas spécialement bien doté » mais multiculturel, Hamé s’est beaucoup ennuyé. À l’époque, le racisme de cette ville catalane existait plutôt « de façon sourde », lourd héritage « pied-noir et revanchard quant à notre place dans la société ». Avant-dernier d’une famille recomposée de six enfants, il suit une scolarité normale et obtient un Bac scientifique C. Parce que ses parents algériens, ouvrier et femme de ménage, sont analphabètes, lui se considère comme « un enfant de la balle, pas un ‘fils de’, sans piston ni prédisposition mais plutôt destiné à faire le contraire » de ce pourquoi on le connaît. À 17 ans, bac et inscription à la Sorbonne en poche, il décide de « gagner la capitale » où « le hip-hop était très fort, j’avais envie de m’y mêler ». Excité par le bouillonnement culturel parisien, il développe un rapport « compulsif » à la culture, de la Cinémathèque Française au Forum des images, des concerts de hip-hop aux magasins de vinyles. C’est justement à Châtelet, dans la boutique LTD, qu’il rencontre son fidèle partenaire et ami de La Rumeur, Ekoué. À l’époque, Hamé écrit dans un fanzine baptisé De l’encre, nom qu’il donnera plus tard à un téléfilm réalisé avec Ekoué. « Je rappais dans mon coin et j’avais envie de faire vivre ce fanzine ». Ekoué a déjà un groupe constitué de la plupart des membres de La Rumeur et Hamé l’interviewe. De fil en aiguille, il intègre le groupe, les albums, les concerts, les succès. Son rapport à l’écriture est inné, instinctif, parce qu’« il n’y avait pas de livres chez moi ». Ado, ses références cinéphiles se résument à Bud Spencer et Terrence Hill, aux « western spaghettis. Je ne savais même pas ce qu’était la cinéphilie mais j’étais attiré par ce domaine. Mon bac scientifique a au moins eu le mérite de me prouver que cela n’était pas ma voie». À Paris, il étudie les lettres, le cinéma et la sociologie des médias jusqu’en DEA [Master 2, ndlr] car c’est dans l’artistique qu’il se sent le mieux. En parallèle des huit ans de procès que lui intente le Ministère de l’Intérieur pour « diffamation publique envers la police nationale » – et dont il triomphera le 25 juin 2010 – Hamé obtient une bourse et s’exile un an à la New York University. « C’est tombé au bon moment. J’avais besoin de finir de me former. Intégrer l’école de cinéma de Scorsese me faisait rêver ». De retour à Paris, il démarche pendant deux ans des producteurs français. Un jour, Bruno Gaccio lui demande, avec Ekoué, « quelque chose autour du rap ». Diffusé en 2011 sur Canal +, le téléfilm De l’encre est ensuite présenté en festivals à l’occasion de master-classes promues par le CNC. Dans le même temps, Hamé écrit en solo un court-métrage qui reçoit le soutien du CNC et d’Arte. Intitulé Ce chemin devant moi, le film retrace l’histoire d’un grand frère illégitime parti à la recherche d’un petit frère adoré. Interprété par son alter-ego Reda Kateb (« le meilleur acteur de sa génération ») – rencontré dix ans plus tôt à


la Cité U de Nanterre lors d’un hommage à Kateb Yacine – ce film aborde l’illégitimité selon trois niveaux d’étouffement : l’asthme du personnage principal ; la relation qu’il entretient avec sa mère et celle des habitants de banlieue. À Genevilliers, le film a connu un tournage chaotique. « J’ai foiré des scènes, j’ai du réécrire et retourner avec rien, sans argent. J’avais des associés qui m’ont lâché au moment où j’en avais le plus besoin ». Sa sélection à Cannes en compétition officielle est donc une grande surprise. Adepte de Renoir, Rossellini ou Tarkovski, Hamé cherche encore à « trouver mon geste artistique, ma façon à moi de regarder les hommes et le monde ». Regrettant qu’ « il y ait beaucoup plus de raisons de ne pas être enthousiasmé par le cinéma français que de raisons de l’être », Hamé ne trouve pas souvent ce qu’il aimerait voir de la société française. « J’aime quand un film débouche sur une vérité humaine universelle pas quand cela débouche sur quelque chose d’hermétique et de coupé du monde ». Aux jeunes qui aspirent à faire du cinéma, il conseille de « faire pour apprendre réellement ». Et s’engage : « Si sur notre route il nous est possible de donner un coup de pouce, on le fera ». Lui qui ne se demande pas comment filmer la banlieue filme « d’abord des êtres humains, des personnages » qu’il rend « le plus crédible possible », pour ensuite poser « un curseur » sur ce qui lui paraît juste. « Tant pis si c’est cliché, mais honnêtement, je ne pense pas ». Claire Diao


Guillaume Tordjman s’en-va-t’à Cannes Samedi 26 mai 2012 | Posté par Claire Diao | Partager

ILS FILMENT LA BANLIEUE. Tourné en Vendée pendant 12 jours avec des jeunes de l'Essonne, le court-métrage Le commencement, du réalisateur Guillaume Tordjman, 27 ans, est présenté au Palais du Festival de Cannes. Commençons par Le commencement, ce court-métrage produit en 2011 par l’association Mille Visages de ViryChâtillon (91), qui a remporté le festival Banlieuz’arts en avril 2012. Basé sur une histoire d’amour empêchée par des amitiés, Le commencement transpire du naturel de ses comédiens. « J’avais un fil conducteur et les jeunes amenaient leurs textes. C’était un bel échange ». C’est dans une MJC de Limeil-Brevannes (94) que la carrière de Guillaume Tordjmnn débute. Né en 1984 à Créteil, Guillaume grandit dans le 94. Aîné de deux petites sœurs, il pratique le karaté depuis l’âge de 6 ans sur les traces de son père, professeur en la matière. Élève, il fait « pas mal de bêtises » tout en sachant que « l’école, c’est important ». Au lycée, il rate son Bac STI (Sciences et Techniques de l’Ingénieur) mais ne le retente pas. Car Guillaume souhaite déjà être comédien… ou pompier « j’adore partir à l’aventure, aider les autres et faire du sport ». Le sport, justement. Grâce à un brevet d’État de professeur de karaté il obtient l’équivalence du bac. À18 ans, Guillaume s’inscrit au Cours Florent et décroche des aides de sa mairie pour financer sa formation : « Si on ne peut pas rentrer par la petite porte, il faut essayer de rentrer par la fenêtre ». Après trois ans d’études, un agent lui décroche un rôle de… pompier, dans la série SOS 18 de France 3. S’ensuivent plusieurs années de castings et de déceptions. « J’avais un agent qui ne m’a pas compris. Parce que je suis tunisien, français, yougoslave, il m’envoyait sur des rôles de rebeu alors que je peux très bien passer pour un européen ». Délaissant le théâtre, Guillaume se consacre au cinéma. Ses références de films sont essentiellement américaines. « Je ne me reconnais pas dans tant de films français que ça à part Polisse, La Haine… » Adepte de thrillers, de films d’action ou d’humour décalé, Guillaume regrette que les productions françaises ne prennent pas de risques et présentent « soit quelque chose de déjà fait, soit des comédiens super connus ». En 2007, l’association Mille Visages recherche un karatéka pour un spot d’incitation au vote. Le père de Guillaume parle de son fils à l’une des fondatrices, Uda Benyamina. Guillaume décroche le rôle. « Depuis, on ne s’est plus quitté ». Parallèlement, il remporte la Coupe du monde individuelle de karaté shukokaï. Après des stages au sein de Mille Visages, il part trois mois à New York pour améliorer son anglais, tout seul, avec un scénario. «Un ami m’a présenté à une boîte de prod’ qui venait d’ouvrir et qui a adoré mon projet ». Son premier court-métrage, Reflections of reality, est sélectionné à San Francisco. Fan de comics, Guillaume réalise à son retour « avec des potes du métier », Big Little Boss. Prêt de matériel, mère aux fourneaux, « c’est comme ça que, même sans budget, on a fait aboutir le film ». Non-sélectionné en


festival, ce court lui permet néanmoins de rencontrer une société de production avec laquelle il tourne un thriller en huis-clos, Le vernissage. « Meilleur film » de sa filmographie, Le commencement permet à un autre Guillaume (Canet) de devenir parrain de Mille Visages. Espérant que le film circule en festival pour « donner une image artistique et nondélinquante des quartiers », Guillaume souligne : « Dans le 16ème, les histoires d’amour sont pareilles. Peutêtre pas avec les mêmes mots mais avec les mêmes sentiments ». La banlieue, il la filme « avec une caméra » (rires). En tout cas pour donner une autre image de la banlieue. « Pas comme dans Le Droit de Savoir, une émission qui m’a énervée. En 2007 – je pense que c’est ce qui a fait gagner Sarkozy et monter le FN – on ne montrait que des formes de violences dans les cités. On ne voit jamais ce qui se passe derrière et ce qui conditionne les gens qui se comportent comme ça ». Soutenu par sa famille chez qui il loge encore (« ça me met la pression parce que j’ai envie qu’ils soient fiers de moi »), Guillaume a conscience que le cinéma est fait « de rencontres, de travail et de chance » et ne se leurre pas quand à sa position de débutant. «Je n’ai pas encore réussi car je n’en vis pas. Quand j’aurai fait un long-métrage, je pourrai dire que j’ai un pied dedans. Pour l’instant, je n’ai qu’un orteil… »

Claire Diao


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