70 minute read

biographies

biographies artistes d'art brut

Didier AMBLARD

1965 - | France

Didier Amblard, né à Nancy, grandit en Auvergne. Apprenti, il entre à l’usine puis devient ouvrier dans le bâtiment. « Un soir, ça m’a pris de faire un trait lancé : un fauteuil de train, un repose tête, une paire de lunette à la Dutronc, un habit de moine et une gousse d’ail... » Ainsi découvre-t-il à 16 ans sa passion pour le dessin. Il sera colporteur de sérigraphies sur la Côte d’azur, avant de tomber malade et d’être hospitalisé en psychiatrie. S’essaie à vivre « héréditairement » à Bar-le-Duc, où naît son fils. Et puis il rêve de menuiserie et d’ébénisterie. On le met au travail en ESAT. Il continue de dessiner sur son cahier de croquis et de peindre, il offre et distribue ses travaux dans les structures qui l’accueillent, nul ne s’y intéresse. En 2012, Didier Amblard entre à l’atelier de l’hôpital. Le nouvel hôpital remplace l’ancien, Didier, ulcéré par la destruction de la vieille chapelle (inaugurée en 1857) décide de dessiner son « vieil hôpital », les silhouettes, celles de ses « camarades morts » : ceux « qui ne peuvent pas s’occuper de leurs enfants », ceux qui sont allés droit dans le mur et n’en sont jamais ressortis, coincés dans des angles pointés en direction du ciel, des « coinpatissants ». Avec frénésie, d’un Bic l’autre, il quête afin de sortir du déséquilibre « la structure pour ovaliser la capture ». « Mon vieil hôpital » raconte une histoire, celle des au-delà du village de Kafka, celle de la foule des mal aimés, des ombres informes, des emmurés effacés de la mémoire collective, des disparus du peuple des morts. Des non advenus. Beverly BAKER

1961 - | États-Unis

Beverly Baker crée ses dessins en superposant de manière obsessionnelle des textes trouvés dans une petite sélection de livres et de magazines qu'elle utilise comme matériel de référence. Il est difficile de retrouver trace du langage à la genèse de ses compositions, au final abstraites, car Beverly dessine continuellement sur la même feuille. Elle efface ainsi les mots ou les lettres avec des mots supplémentaires, des lignes et des couleurs. La plupart de ses dessins sont créés au stylo à bille, au crayon de couleur et au marqueur indélébile. Beverly Baker, atteinte du syndrome de Down, est membre depuis 2001 de la Communauté “Latitude Artist” à Lexington, dans le Kentucky, un programme dont la mission est de venir en aide à toutes les personnes, particulièrement celles présentant un handicap. Latitude crée de solides interactions entre ses membres et permet à ses participants de contribuer à la vie culturelle et politique de leur communauté. Elle a été montrée en 2014 à deux reprises à la Maison rouge dans les expositions : Le Mur, oeuvres de la collection Antoine de Galbert et art brut, collection abcd/Bruno Decharme.

Josef BARBIERO

1901 - 1992 | Italie

Joseph Barbiero naît à Trebaseleghe en Vénétie. Deuxième enfant dans une fratrie de huit, Il n’est pas scolarisé car il doit aider son père à nourrir la famille en cultivant son jardin. En 1923, suite à la prise du pouvoir par Mussolini, il quitte l’Italie à l’âge de 22 ans. Après un bref séjour dans le midi de la France, il s’installe à Beaumont dans le Puy de Dôme, près de Clermont-Ferrand. En 1927, il se marie et prend la nationalité française en 1931. Durant toute sa vie professionnelle, il exerce le métier de maçon et a la chance de participer à Clermont aux travaux de restauration des pierres de la basilique Notre Dame du Port et de la cathédrale, bâtie entièrement en pierre volcanique : la lave noire de Volvic. Retraité en 1965, il déploie dans son garage une activité créatrice personnelle qui aboutira à la production de centaines de sculptures et de nombreux dessins et esquisses. Pour les sculptures, essaie terre, ciment, calcaire, grès, plâtre et bois. Mais c’est la pierre de Volvic qu’il choisit comme matériau de prédilection, car il souhaite, selon Jean Lelong, « se mesurer aux sculptures de la cathédrale ». Sa première exposition aura lieu en 1985, 20 ans de sculpture derrière lui. ÉRIC BÉNETTO

1972- | France

Lorsqu’il découvre, en 1989, l’affiche de l’exposition des œuvres du mineur médium Augustin Lesage, Eric Benetto - qui pratique déjà la méditation - comprend qu’il est possible de donner forme à ses visions, de les transmettre. Sa rencontre avec l’Abbé Coutant, devenu peintre grâce à son ami Chaissac, lui confirmera qu’il appartient à cette famille de créateurs. Il exerce, entre deux voyages en Inde, et tout en continuant à dessiner, les métiers les plus divers : cantonnier, sondeur téléphonique, gardien d’usine chimique … Ses œuvres, empruntes d’un mysticisme sourd, fascinent par l’oscillation permanente entre les formes surgies d’une tache et celles, comme récitées, qui chantent en canon l’air entêtant de ses Cosmic Songs et ses Love Songs.

Depuis plusieurs années, Eric vit reclus dans une communauté religieuse près de Lyon et s’est approprié la matière à la fois sombre et translucide de la radiographie - clichés d’IRM assemblés, notamment - sur laquelle il dessine à l’encre de Chine ses motifs empreints de mysticisme, organes réinventés, poétisés, sublimés, maladies conjurées ? Il borde parfois ses compositions pouvant atteindre 1,5 mètre de négatifs photographiques. Eric Benetto convoque littéralement la lumière pour révéler l’épais mystère de ses compositions.

Thérèse BONNELALBAY

1931 - 1980 | France

Née dans l’Hérault d’un père charbonnier, Thérèse part à l’âge de 29 ans vivre à Marseille pour y travailler comme infirmière. Quelques années plus tard, en 1959, elle se marie à l’instituteur Joseph Guglielmi dont elle a deux enfants. Le couple est mu par des convictions politiques, si bien qu’il se rend régulièrement aux réunions du parti communiste. C’est à l’occasion d’un de ses rassemblements, en 1963, que Thérèse esquisse mécaniquement quelques griffures à l’encre sur un brouillon dévoyé. Son mari, saisi par ces formes inhabituelles, l’encourage à poursuivre, si bien que Thérèse, de longues années durant, laisse sa main vaguer sur la surface blanche du papier. D’abord volontiers figuratives, ses productions s’épanouissent progressivement dans une abstraction éthérée où dessin et écriture s’épousent et non plus s’opposent. Croquis, idéogrammes, simulacres, alphabet imaginaire ? L’indécision face à cette création en fait sa force même. Alors que la famille est venue vivre à Ivry-sur-Seine, Thérèse disparaît le 16 février 1980 : elle est retrouvée un mois plus tard, noyée dans la Seine, laissant derrière elle un œuvre extraordinaire. Ses créations, très appréciées par Jean Dubuffet, figurent dans d’importantes collections dont celles de Lausanne et du LaM à Lille. Giovanni BOSCO

1948 - 2009 | Italie

Né en 1948, le sicilien Giovanni Bosco, d’abord berger puis ouvrier dans une carrière de marbre, sombra dans la psychose à la suite de l’assassinat de deux de ses frères. Ses séjours en institution psychiatrique, puis la prison à laquelle il fut condamné un an à la suite, semble-t-il, d’un vol de bétail, ne lui ôtèrent ni son sourire désarmant, ni la propension à transformer son existence démunie en un acte de poésie pure. A Castellamare del Golfo, ses journées furent alors rythmées par les chansons populaires napolitaines et les peintures d’une nventivité rare qu’il exécutait sur les murs de sa ville ou sur des matériaux de fortune. Corps démembrés ou « surmembrés », serpenteaux et homoncules, coeurs céphaliques, mots et signes scandés dans l’intervalle du dessin, tel est l’alphabet pictural de Giovanni Bosco. Lorsque son génie est enfin reconnu, il est emporté par un cancer en 2009. Depuis, des historiens de l’art et autres spécialistes de l’art brut lui ont consacré des journées d’études et des analyses. Un film retraçant les derniers mois de sa vie a été produit par des étudiants qui furent parmi ses derniers véritables amis, tandis qu’un projet de conservation de ses fresques est à l’étude.

Aníbal BRIZUELA

1937 - | Argentine

L’histoire d’Aníbal est une véritable énigme ; aucun membre de sa famille n’a jamais cherché à le contacter. Personnage aussi attachant que mystérieux, il semble arpenter depuis toujours sans jamais l’avoir quittée la vaste propriété de l’hôpital psychiatrique Colonia d’Oliveros, à quelques kilomètres de Rosario en Argentine. On suppose qu’il a 74 ans. Si ce petit homme maigre communique peu, il dessine de façon compulsive. Ses œuvres sont des messages qu’il laisse à différents endroits de l’hôpital. « Ce sont ses oracles » affirme sa curatrice. Pourtant, Anibal n’a jamais répondu à l’invitation de se joindre aux autres patients pour dessiner. Seulement a-t-il accepté de participer à l’exposition de fin d’année de l’atelier, au salon d’Artebacdès en 2005, puis au musée Macro (2007) où des centaines de ses dessins ont été montrés sur un mur de 7 mètres de long. C’est à l’occasion de cette dernière présentation de son œuvre que Brizuela a écrit : « Un jour, je pêchais au bord de la rivière et j’ai vu une soucoupe volante. (…) J’ai regardé ma canne à pêche et lorsque j’ai relevé les yeux, elle n’était plus là. Je n’y ai pas attaché d’importance. » Les dessins d’Anibal Brizuela, tracés au stylo bille de couleur, évoquent le dazibao. Et ceci n’est pas uniquement dû au fait qu’il les affiche volontiers un peu partout dans l’hôpital où il vit. Chargés de références et symboles mystiques ou politiques, ponctués d’allusions à l’actualité, ses dessins très structurés frappent à la fois par leur caractère sibyllin et leur liberté formelle. Raimundo CAMILO

1939 - | Brésil

Né dans le Nordeste du Brésil, en 1939 ou 1943, selon les sources, Raimundo Camilo quitte sa région très jeune pour aller travailler à Rio. Des « travaux d’esclave » comme l’on dit là-bas, dans le bâtiment, dans les cuisines, etc. C’est au cours d’une de ces expériences que se produit la rupture : n’ayant pas été payé par l’un de ses employeurs, il connaît une période d’errance, sans ressource, dans les rues de Rio, qui le mène en 1964 à l’hôpital psychiatrique Colonia Juliano Moreira, qu’il ne quitte alors plus. Il y côtoie un patient qui deviendra la figure de proue de l’art brut brésilien, Arturo Bispo do Rosario ; réminiscence de ses difficultés passées, Raimundo se met à dessiner ses propres billets de banque, à genoux devant son lit, avec des matériaux de fortune, papiers d’emballage, imprimés de l’administration, et en fabriquant d’abord lui-même ses couleurs, avec du café par exemple. La tête qui figure sur le recto représente, selon lui, tantôt un roi, tantôt un bandit en chef, un cangaceiro. Raimundo offre volontiers des billets aux membres du personnel de l’hôpital qu’il apprécie, notamment aux femmes. Il affirme ne pas faire de l’art, mais simplement « son travail ». Depuis quelques années, les autorités culturelles brésiliennes ont pris conscience de l’importance de ses créations ; plusieurs expositions et un catalogue lui ont été consacrés. Entré récemment dans la collection de Lille Métropole, Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut, il a été présenté pour la première fois en Europe par la galerie Christian Berst en 2008, et en 2009 au Salon du dessin contemporain (Paris).

Misleidys CASTILLO PEDROSO

1985 - | Cuba

Misleidys Castillo Pedroso est née en 1985 à Güines, non loin de de la Havane, avec un déficit auditif sévère. Son père quitte le foyer alors qu'elle est encore une toute jeune enfant. La petite fille présentant un retard dans son développement, sa mère la place à cinq ans dans une institution spécialisée. Mais à mesure que les symptômes de l'autisme se précisent, elle doit la quitter. Elle vit alors chez elle, dans un isolement social total hormis les liens qu'elle entretient avec sa mère et son jeune frère. Misleidys montre un attrait particulier pour les crayons de couleur et la peinture à l'eau qu'elle utilise pour se divertir. Un jour, elle a commencé à peindre des silhouettes masculines aux traits de visage marqués et aux muscles saillants. Elle les a dessiné en augmentant progressivement leur taille jusqu'à ce qu'ils dépassent l'échelle humaine et s'est mise à en découper le contour pour le coller sur les murs de sa chambre puis sur ceux des autres pièces de la maison en les appliquant avec des languettes de scotch brun. Au fil du temps, la jeune femme a également peint des faunes, des démons, des animaux et insiste de plus en plus sur les détails anatomiques en représentant les organes en coupe partielle. Ne s'exprimant pour ainsi dire pas sur le sens de sa production, son œuvre, d'une forte présence plastique, reste absolument énigmatique. Son entourage prétend que Misleidys présente également d'exceptionnelles capacités de voyance et de clairvoyance, héritage de sa mère. Rosa CAZHUR

1947 - | Uruguay

Rosa Cazhur est née en 1947 à Durazno dans une ville du centre de l’Uruguay. Enfant déjà, elle dessinait, encouragée par son père puis par son fiancé. Son premier mari, artiste plasticien, lui ayant asséné qu’elle avait perdu toute créativité, Rosa en fut blessée. Ses deux mariages suivants ne furent pas heureux et lorsqu’elle séjourna pour la première fois en 2004, à l’hôpital psychiatrique “Dr. Bernardo Etchepare » dans la région de Montevideo, elle se contentait de répéter les motifs décoratifs appris au Brésil alors qu’elle travaillait comme céramiste. La responsable de l’atelier lui suggéra alors de s’essayer aux techniques libres, elle choisit de travailler les yeux fermés, jusqu’au jour où elle se présenta en s’exclamant « C’est aujourd’hui qu’est née Rosa Cazhur ! ». Depuis 2007, cette femme diagnostiquée bipolaire vit dans une famille d’accueil. Dans sa chambre trop petite pour y installer un bureau, elle place une planche sur son lit pour peindre, avec une finesse dans le trait et une transparence des couleurs aux antipodes des motifs reproduits sur les carreaux de céramique. Elle trace à l’aquarelle des couples, des danseurs, des mères et leur fille, des portraits de femmes, enceintes parfois, des scènes d’accouchement et des proches disparus. Lorsqu’elle en a les moyens, elle peint à l’acrylique.

James Edward DEEDS

1908 - 1987 | États-Unis

Derrière l’œuvre de James Edward Deeds, se cache l’histoire tragique d’un jeune Américain interné de force à l’âge de 17 ans à la suite d’une altercation violente avec son frère, sur décision d’un père excessivement autoritaire. Deeds a passé toute sa vie dans un asile psychiatrique, subissant des traitements aux électrochocs, sans anesthésie, jusqu’à 2 fois par semaine. Ses dessins au crayon et crayon de couleur, aux traits méticuleux, réalisés dans un style désuet sur des feuilles de petit format portant l’en-tête de l’hôpital, illustrent des personnages, des références à la guerre civile, des automobiles et des paysages urbains en milieu rural, un monde imaginaire – celui dans lequel il échappait à la réalité de sa vie brisée. Ses portraits, pourtant, affichent les stigmates de ses traitements aux psychotropes ; en témoignent leurs yeux écarquillés aux pupilles dilatées. Les 140 planches recto verso connues d’Edward Deeds n’ont été attribuées à leur auteur que très récemment. Elles ont été trouvées dans une poubelle dans les années 70 par un garçon de 14 ans qui les a conservées pendant près de 40 ans avant de les céder. Fernand DESMOULIN

1854 - 1914 | France

Les dessins médiumniques de Fernand Desmoulin furent réalisés durant une parenthèse fiévreuse qui ne dura que de 1900 à 1902. La vague du spiritisme qui submergeait l’époque offrit à cet artiste complexe, asphyxié par son activité de peintre et de graveur académique, un souffle libérateur, porteur d’une œuvre médiumnique exceptionnelle, magnétique, parfois violente, à laquelle André Breton lui-même aurait voulu rendre hommage par une publication que seule sa mort empêcha. Freud venait de faire paraître L’Interprétation des rêves tandis que le siècle naissant passait de la conversation avec l’au-delà à l’exploration de l’inconscient. Visage brumeux aux volutes de cheveux, psychisme fiévreux rejetés sur la feuille en fulgurante écriture, lignes sinueuses, trame arachnéenne, oscilloscope mental, l’œuvre de Fernand Desmoulin frappe par son incroyable richesse, par l’intrusion géniale de ce dernier dans ce que Henri Michaux nomme « l’espace du dedans », celui des voix intérieures, témoin virtuel d’une psyché lourde de conflit qui fit de lui le plus novateur des artistes spirites. Une production qui, libérée du carcan normatif de son auteur, rejoint ici l’archipel de l’art brut.

John DEVLIN

1954 - | Canada

John Devlin est né à Halifax, capitale de la province canadienne de la Nouvelle-Ecosse. À 25 ans, il part étudier la théologie au Collège St-Edmond, de l’Université de Cambridge. C’est là qu’il est atteint d’une grave dépression, première d’une série d’épisodes psychotiques qui l’oblige à retourner dans sa ville natale pour y être hospitalisé. Pendant sa longue convalescence, il est obsédé par l’idée de retrouver l’essence même de Cambridge qu’il considère comme la ville idéale. Il consacre alors les 10 années suivantes à produire des centaines de dessins, études et autres plans d’une ville imaginaire et utopique, baptisée Nova Cantabrigiensis, qu’il situe sur une île au cœur du bassin des Mines en Nouvelle Ecosse. Ses esquisses réinventent les bâtiments et les jardins ornementaux de la ville médiévale qui devait le mener à la prêtrise. Toutes sont codées par des symboles, des formules. « Ma théorie c’est que pour un design idéal, il y a un ratio idéal. J’ai recherché une telle constante. J’étais dans une quête faustienne pour découvrir les arcanes de l’ambiance magique de Cambridge. Je pensais que je trouverais le moyen de sortir de la maladie mentale en revivant les moments heureux vécus à Cambridge… Avant que les choses s’effondrent en moi. » John Devlin est notamment obsédé par le ratio 3 : 8, rapport entre le nombre de voyelles et de consonnes dans « Jésus Christ ». Il ira jusqu’à se l’inscrire sur ses ongles des pieds. Après être resté chez ses parents, reclus, John a rejoint une maison communautaire en 1989 à Dartmouth où il vit toujours. Janko DOMSIC

1915 - 1983 | Croatie

On ne sait presque rien de la vie de Janko Domsic avant son arrivée en France, dans les années 1930, ni des circonstances qui l’y ont amené. Il aurait reçu une éducation élémentaire, connu la prison, vécu à Toul et travaillé à la construction de chemins de fer. À Paris, il vit dans la pauvreté, occupant un bout de couloir d’un modeste immeuble près de la place de Clichy. En conflit avec la Sécurité sociale à propos de sa pension, il reproche aussi à certaines personnes de lui avoir volé ses écrits.

Ses dessins, réalisés au crayon de couleur, au stylobille et au feutre associent des figures géométrisées et des textes mêlant français, croate et allemand qui listent des bribes de sa vie, reprennent des extraits de chansons nazies, ont Dieu pour sujet central ; son lexique fait référence à des idées mystiques, au code moral de la franc-maçonnerie, mais aussi à l'économie. Des symboles graphiques forts - le pentagramme, le svatika, le symbole du dollar, la faucille et le marteau communistes le marteau communistes, la croix orthodoxe – et les rayons venus du ciel structurent une œuvre volontairement codée par son auteur et de laquelle se dégage un sentiment de puissance fascinante autant qu’énigmatique.

Pepe GAITÁN

1959 - | Colombie

Pepe Gaitán est issu d’une famille bourgeoise. Son père décède quand il est très jeune. Sa mère qui vit toujours, le reçoit chaque samedi au petit déjeuner pour qu'il lui lise les journaux. Il suit des études de communication sociale et s’intéresse particulièrement à la radio. Il est un temps professeur. En 1975, la curieuse expression « ne mange pas tant de sucreries, si tu ne veux pas attraper des amibes » semble être déclencheur d’un tournant dans sa vie. C'est en effet à partir de ce moment qu'il commence son œuvre. Il passe ses journées dans des bibliothèques, sélectionne avec minutie des textes, les photocopie puis intervient dessus d’abord en rayant la plupart des lettres, puis transforme la page en lui ajoutant des collages et des signes toujours en utilisant une gamme chromatique très choisie. Les échos de formes qui font penser à une codification confèrent à ces œuvres une force géométrique saisissante. Chaque page cache des amibes qu'il nomme pseudopodes. Il vit aujourd’hui seul à Bogotá et dessine sans cesse. Pepe Gaitán a été notamment montré en 2014 dans l’exposition art brut collection abcd / Bruno Decharme à la Maison rouge. Jill GALLIENI

1939 - | France

Née en 1948 d’une mère américaine et d’un père comédien, Jill Galliéni est élevée loin de ses parents avant que son père ne la prenne en charge à sept ans. Depuis toujours, elle crée, à Paris, d'étranges poupées de tissus et, vers l'âge de 30 ans, les prières l'aident à se reconstruire, à chercher comment se sortir d'inextricables situations mentales qui l'empêchaient de vivre. Elle aurait d'abord voulu « dire » par des mots, mais voir une phrase écrite par elle lui était absolument insupportable. Alors, elle a inventé les phrases de prières, toujours les mêmes, des centaines de fois répétées, guirlandes de prières très serrées afin que le sens échappe à tous. Adressées à Sainte-Rita, patronne des causes désespérées, Jill « traite » par ces prières des situations, des personnes, elle-même, etc. Simili d’écriture ou écritures superposées les unes aux autres, c’est selon, l’encre noire ou de couleur emplit feuilles volantes et cahiers ; libérée de toute convention, l’écriture évolue dans différents sens, obéissant à une rythmique propre, suivant des courbes, des diagonales, dessinant, tels des calligrammes, fleurs, maisons, cœurs, ou d’autres formes parfois abstraites. Ces textes saisissants ont récemment été accueillis dans les collections du Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille.

Alexandro GARCIA

1970 - | Uruguay

Alexandro Garcia nous révèle ses visions éthérées dans des dessins d'un graphisme méticuleux qui mêlent cités fantastiques - comme en apesanteur ou sur le point de s'élancer dans l'infini sidéral- aux ballets des constellations venues à leur rencontre. Il y est question d'un ailleurs offert à nos projections et à la colonisation d'une humanité nouvelle : « nous ne sommes pas seuls ». L'expérience de voir un OVNI - appelé avistamiento en Amérique latine- provoque cette créativité chez ce jardinier né à Montevideo (Uruguay) en 1970. C'est sans formation plastique ni connaissance du dessin qu'Alexandro produit ses premières créations à l'aide d'une règle, de marqueurs, de stylos à bille, de crayons à papier sur les supports qui lui tombent sous la main (comme le verso d'un almanach). Son œuvre est à rapprocher de l'art médiumnique dans le sens où s'y exercent, selon lui, des forces dont il ne serait que l'instrument : « je suis un canal qui absorbe les messages du cosmos ». Depuis Magali Herrera et, avant elle, les créateurs issus de la collection du psychiatre brésilien Osorio Cesar, l'Amérique latine ne nous avait pas permis pareille plongée dans les méandres de la création. Exposée pour la première fois en Europe à la galerie Christian Berst en 2010 et présenté à Art Paris et au Salon du dessin contemporain de la même année, cette œuvre figure déjà dans de grandes collections d'art brut. Madge GILL

1882 - 1961 | Grande-Bretagne

Enfant illégitime, Madge Gill, née en 1882 à Londres, est d’abord cachée par sa mère et sa tante, puis placée dans un orphelinat à l’âge de neuf ans. Envoyée au Canada pour travailler dans une ferme, elle rentre en Grande Bretagne à dix-neuf ans, devient infirmière, épouse son cousin dont elle a trois fils. Le second décède et l'année suivante, en 1919, elle accouche d'une petite fille morte-née. Ces épreuves plongent Gill dans une longue maladie qui lui fait perdre l’usage de son œil gauche. Alors que sa tante l'initie au spiritisme, elle s'adonne à la peinture. Travaillant très rapidement, des nuits entières, à la bougie, dans un état voisin de la transe, cette femme hypersensible et réservée refuse de vendre ses œuvres qui appartiennent selon elle à son esprit guide Myrninerest (my innerest, "mon plus intime"). Ses dessins vont du calicot pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres à la carte postale en passant par des formats intermédiaires, le tout travaillé à la plume et à l’encre noire avec quelques rares écarts de couleur. Ce n’est qu’après sa mort, en 1961, qu'on trouve chez elle des centaines de dessins empilés dans des placards ou sous les lits. Figure incontournable de l'art brut qui fascina Jean Dubuffet, Roger Cardinal, Michel Thévoz et tant d'autres, l'œuvre magistrale de Madge Gill est représentée dans les plus importantes collections d'art brut au monde.

Joaquim Vicens GIRONELLA

1911 - 1997 | Espagne

Joaquim Vicens Gironella, l'amoureux du liège, le sculpte, l'épouse, le caresse pour nous livrer des figures étonnantes et détonnantes, puisées dans les méandres de son imaginaire et empruntes des réminescences de son pays natal : la catalogne. Né en 1911 à Agullana près de la frontière française, ses parents artisans bouchonniers lui enseignent le métier; passionné, Joaquim fait l’éloge du liège dans la presse locale. Malgré son éducation rudimentaire, il s’enthousiasme pour l’écriture et rédige pièces de théâtre, poèmes et romans sans trouver d’éditeur. Anti-fasciste et républicain, il s’engage dans la guerre d’Espagne, si bien qu’à la victoire des franquistes il est contraint de s’exiler en France : au cours de sa fuite, il est arrêté et interné un an dans le camp de Baum. A sa libération, il s’installe à Toulouse où il se marie et travaille dans une fabrique de bouchons. En 1941, Joaquim se met à sculpter l’argile mais cette matière ne lui convient pas, il sculpte alors le véritable objet de sa passion : le liège. Sculpture dans la masse, perspective fantasque, membres des personnages disproportionnés, ces originalités qui démultiplient la force expressive de ces oeuvres ne cessent d'interloquer le regardeur, de le subjuguer. L’administrateur de son entreprise, Réné Lajus, remarque ses créations singulières et lui en emprunte quelques unes pour son bureau parisien. Jean Dubuffet, alors marchant de vin, y découvre Gironella à l’occasion d’une commande de bouchons: immédiatement séduit, il organise une exposition qui en préfigure bien d’autres. Guo FENGYI

1942 - 2010 | Chine

Guo Fengyi, artiste découverte récemment, intéresse de façon fulgurante les spécialistes de l'art. Née en 1942 à Xi’an, elle obtient son baccalauréat puis devient technicienne dans une usine de caoutchouc. Néanmoins, souffrant de terribles crises d’arthrite, elle est contrainte de cesser toute activité professionnelle à trente-neuf ans. Pour soulager ses crises, Guo s’initie au Qi-Gong, médecine qui lui ouvre de nouvelles portes, notamment spirituelles. À partir de 1989, en prise à des visions, elle produit de nombreux dessins, d’abord sur les versos de pages de calendriers, ensuite sur du papier de riz. Ces productions, à l’encre de chine et au pinceau, parfois longues de plus de 5 mètres, sont élaborées sans idée préalable, Guo découvre sa création au fur et à mesure qu'elle la dessine. À travers une multitude de traits délicats, se dessinent des formes spectrales, dragons, phenix, visages parfois entremêlés, souriants et sereins, ou au contraire, terriblement inquiétants et monstrueux. Fascinante et originale, l'œuvre de Guo a cette force : elle nous emmène sur des territoires où la sérénité, trop calme, en devient inquiétante et où le monstreux, étrangement, nous est familier.

HASSAN

? - | Sénégal

D’origine sénégalaise, Hassan a élu domicile dans le quartier des entrepôts de vin du port de Barcelone. Secret, parlant peu voire pas du tout, il vit dans la rue à l’écart des autres et semble avoir une trentaine d’années. Au dire d’un « ami », il viendrait d’un petit village et aurait une fille. Dès qu’il a un peu d’argent, il s’achète des piles pour son poste de radio et écoute de la musique. Il dessine sur des planches de caisses de vin, qu’il retaille à la scie et au cutter, des maisons à toit plat, du mobilier fonctionnel d’inspiration géométrique. Il travaille avec minutie, réfléchit longuement, positionne précisément ses instruments avant d’effectuer un tracé. En guise de signature, il se sert de pièces de cuivre qu’il inclut dans le bois, poinçonne et polit. Il conserve dans une valise attachée près de lui ses outils, ses crayons et ses plaques de bois. Il a vendu quatre-vingts pièces à un collectionneur rencontré en 2010. Lorsque celui-ci lui a dit qu’il allait montrer son travail en France, Hassan a répondu d’un geste de la main semblant signifier : « chacun sa route, laissemoi ». Miguel HERNANDEZ

1893 - 1957 | Espagne

Corps emmêlés, « gros cernés d’épais noir pâteux » (Dubuffet), têtes égarées, courbes sinueuses peuplent l’œuvre d’Hernandez qui, à l’écoute de son monde intérieur, accède à des modes de représentations d’une sincérité inouïe. Cette liberté éclatante ne manque pas de séduire Jean Dubuffet et André Breton qui dès 1947 l’exposent au tout jeune Foyer de l’Art Brut. Né près d’Avila (Castille) de parents paysans, Miguel aide aux champs dès l’âge de 10 ans. Rêvant de travailler dans des plantations de café, il s’exile au Brésil à 19 ans. Finalement de retour en Europe, il collabore à une revue anarchiste à Lisbonne, est arrêté, puis rentre en Espagne où son service militaire l’attend ; il est envoyé au Maroc pour combattre. A son retour, il s’installe à Madrid et publie des brochures de propagande contre le franquisme et le stalinisme. Engagé dans la guerre d’Espagne, il est forcé de fuir à la victoire des Franquistes : il part pour la France en compagnie de son épouse mais la renvoie en Espagne lorsqu’il est fait prisonnier en camp de concentration.Il ne la reverra jamais. En 1945, il s’établit à Paris et s’adonne à la peinture. Le visage de sa femme aimée hante inlassablement sa création. Le cri de son déchirement semble parfois percer et distordre l’œuvre : les visages se brouillent, les droites se courbent, les corps se désarticulent tandis que d’autres tableaux, plus sereins, puisent leur terreau dans les réminiscences du monde agricole et le transcendent en un onirisme fabuleux.

Josef HOFER

1939 - | Autriche

Josef Hofer ne parle pas. En revanche, il s’exprime inlassablement par le dessin. Né en 1945, il est élevé reclus dans une ferme en Haute-Autriche car souffrant tout comme son frère d'un retard mental, de difficultés d'audition et d'élocution auxquels s'ajoute, pour Josef, une mobilité réduite, le père a souhaité soustraire ses fils aux moqueries de l'entourage et surtout aux traitements qu'auraient pu leur infliger les occupants nazis puis soviétiques. A la mort du père, en 1982, la mère part vivre avec ses fils à Kirschlag, donnant à Josef l'occasion de contacts sociaux, ainsi que la possibilité de fréquenter un hôpital de jour. Ces changements s'avèrent bénéfiques: Josef prononce même quelques mots. Par la suite, il est pensionnaire d'une institution à Ried, où Elisabeth Telsnig repère son goût pour le dessin et encourage sa créativité. Pepi - c’est ainsi qu’il signe - se regarde, Pepi se raconte. Dans le miroir qu’il se tend et qu’il nous tend, nous assistons, médusés, à l’enfance de l’art. Comme le souligne Michel Thévoz, « Josef Hofer est en état de grâce ». Une grâce érotisée, indomptée, où le corps tente de prendre son essor dans le carcan du cadre. Nudité sensuelle et brute qui perce au travers de son trait sûr et frustre aux couleurs chaudes. Josef Hofer a été montré à deux reprises à la Maison rouge en 2014 dans les expositions : Le Mur, oeuvres de la collection Antoine de Galbert et art brut, collection abcd/Bruno Decharme. Peter KAPELLER

1969 - | Autriche

À la suite d’une violente crise mentale, Kapeller est contraint de renoncer à ses études de chauffagiste. Pris en charge par les services sociaux, il est accueilli dans un appartement communautaire de la ville de Vienne, exigu, au mobilier minimaliste : un lit, un meuble, une étagère et une table. « Je dessine dans mon ghetto », explique-t-il. Le calme de la nuit libère Kapeller, l’invite à une méditation où ses réminiscences (lectures, informations…) affluent et dialoguent pour constituer le véritable terreau de son oeuvre. Alors seulement, lentement, il élabore ses dessins dont la force graphique se double d’une richesse, relevant à la fois du carnet de notes et du journal intime. Certaines oeuvres prennent la forme de lettres de protestation aux administrations. Une exposition lui a notamment été consacrée dans le prestigieux Haus der Kunst à Munich en 2010.

John Urho KEMP

1942 - 2010 | États-Unis

John Urho Kemp obtint une licence en génie chimique et biochimique à l'université de Berkley - Californie - en 1965. Il travailla comme ingénieur chimiste pendant presque deux ans, puis démissionna pour étudier la Scientologie. Pendant les dix années suivantes, il fit tourner un magasin d'antiquités à Los Angeles. Entre autres activités parallèles, il parcourut le monde pour assister à des éclipses solaires et devint un habitué des sources thermales du nord de la Californie. Tout au long de sa vie, John a cherché la révélation à travers la méditation, la métaphysique, les formules mathématiques et les nombres tirés de sa propre histoire qu'il consignait dans un premier temps, au crayon et au stylo, sur des papiers brouillons. La plupart de ses travaux étaient affinés, compilés et mis en forme avant d'être photocopiés pour être distribués et partagés avec le plus grand nombre. Des archives en ligne de ses travaux - poèmes, équations, dessins et collages de 1979 à 2000 - sont en cours d'élaboration. L'on doit le sauvetage et l'archivage de son grand œuvre à son ami le photographe Aram Muksian, soit des milliers de pages, diagrammes, schémas et séquences de chiffres, allant jusqu'à coloniser des liasses interminables de papier d'imprimante à aiguille. Daniel Baumann - commissaire, critique d'art et actuel directeur de la Kunsthalle de Zürich ainsi que de la Fondation Wölfli à Berne - lui a consacré une exposition au 548 Center à NY en 2014. Zdenek KOŠEK

1949 - | République tchèque

Zdenek Košek est d’abord typographe et caricaturiste pour des journaux régionaux. Artiste autodidacte, il commence à produire une peinture de facture plutôt conventionnelle. Dans les années 80 il subit un grave traumatisme dont les conséquences psychiques sont irrévocables. Diagnostiqué psychotique il est mis à la retraite en 1989. Dès lors il va produire une œuvre radicalement différente de ses peintures antérieures. Košek est persuadé qu’il joue un rôle déterminant au sein de la grande ordonnance du monde dont le temps météorologique est le vecteur. « J’étais le maître du monde et j’avais l’énorme responsabilité de résoudre tous les problèmes de l’humanité. Si je ne les résolvais pas, qui d’autre le ferait ? » Il se voit comme une sorte de centrale recevant et émettant sans cesse des multitudes d’informations et pense devoir maîtriser les problèmes météorologiques. « Je ne maîtrisais pas seulement le temps mais aussi la politique, j’ai nommé Vaclav Havel président de la République. [...] Je me croyais immortel ». Il passe ses journées devant sa fenêtre afin de contrôler le temps qu’il fait, notant tout : direction des vents, vol d’oiseaux, changements de température, pensées, etc. Il dessine sur des cahiers d’écolier, sur des cartes d’atlas ou dans de vieux magazines. Ses diagrammes sont un rituel dicté, indispensable, auquel il doit se soumettre au risque d’être responsable d’un chaos irréversible.

Raphaël LÉONARDINI

1970 - | France

Issu d'une famille d'artistes, Raphaël Léonardini s'adonne au dessin dès son plus jeune âge. Il passe sa scolarité à l'École expérimentale de Bonneuilsur-Marne (Centre d'études et de recherches psychanalytiques). Au sortir de l'école, il suit des enseignements en sculpture et dessin avant d'intégrer un CAT de poterie et de fresque. Mais c'est lorsqu'il abandonne ces cadres normatifs que sa création prend son véritable envol : de grandes surfaces saturées de traits noirs ou de couleurs engagent l'œil à caresser doucement l'œuvre avant d'identifier les figures représentées. On assiste alors à la fusion détonante de thèmes qui lui sont chers comme la bande-dessinée – celle des comics américains notamment – mais aussi la mythologie grecque ou égyptienne, l’imagerie gothique, voire médiévale. Le policier new-yorkais y côtoie des armées de momies et des déesses guerrières se transforment parfois en fille de saloon en bas résille jouant du saxophone. Ces univers cohabitent de façon inattendue dans des compositions savantes faites d’architectures labyrinthiques, de colonnes doriques, de cascades de roses, de tours médiévales, le tout ponctué d’inscriptions grecques, égyptiennes, hébraïques ou comme sorties d’un roman de science-fiction. Raphaël réussit admirablement, en mêlant mythes anciens et contemporains, à produire des contes d’un temps nouveau, d’un monde nouveau où l’on distingue parfois l’empreinte tutélaire de son auteur fétiche, Edgar Alan Poe. Alexandre LOBANOV

1924 - 2003 | Russie

A sept ans, Alexandre Lobanov devient, à la suite d'une méningite, sourd et muet. Révolté, souvent agressif, sa famille le fait interner en hôpital psychiatrique à l'âge de vingt-trois ans. Il manifeste les dix premières années une haine et souvent une agitation extrêmes. A partir de 33-35 ans, il se met progressivement à dessiner. Alors, son comportement se transforme. Jadis turbulent et irascible, il se calme et devient plus sociable. Le dessin le distrait et le tranquillise, stabilise son état psychologique.

Toute son activité est désormais axée sur les moments où il est seul à seul avec une feuille blanche et vierge. Souriant, il dessine tout d’abord un cadre, soigneusement, puis « plonge » littéralement dans son monde à part. Une feuille de papier, pour lui, c’est une sorte de « seuil », de « fenêtre », vers quelque chose d’autre. Le comportement de Lobanov s’est tellement stabilisé avec les années qu’il a commencé à bénéficier d’un régime libre. Jusqu'à sa mort, il consacre tout son temps de loisir au dessin. Depuis la rétrospective que lui a consacrée la Collection de l'Art Brut à Lausanne en 2007 et la monographie publiée la même année, Lobanov est considéré comme l'une des figures majeures de l'art brut.

Raphaël LONNÉ

1910-1989 | France

Né dans les Landes en 1910 d'une famille de métayers, il arrête l’école à 12 ans pour travailler la terre. Par la suite, il est tour à tour receveur de tramway, concierge-chauffeur, homme de peine à l’hôpital des enfants, puis, après la guerre, facteur. S’il a toujours manifesté un intérêt pour la musique, il n’a jamais songé à être dessinateur. Ce n’est qu’en 1950, lors d’une séance de spiritisme improvisée qu’il effectue sa première production.Aucune autre séance n’a lieu, mais Lonné, seul, continue de dessiner le soir se concentrant pour entrer en contact avec les esprits qui guident « le mouvement de sa main ». Ces impressionnantes créations spontanées, traversées de courbes et d’arabesques aux traits fins, d’une légèreté confinant à l’allégresse, laissent se profiler quelques formes, femmes, animaux, têtes de chiens, oiseaux… Bien que Lonné lui-même ne sache mettre réellement de nom sur les caprices de son crayon. Découvert par Jean Dubuffet en 1963, Lonné, qui fait partie de la famille des artistes spirites, a toujours refusé de vendre ses œuvres faisant vœux de n’en pas tirer profit. Aujourd’hui, ces productions, devenues des classiques de l’art brut, sont amplement exposées et font l’objet de nombreuses publications. Dwight MAKINTOSCH

1906-1999 - | États-Unis

Dwight Mackintosh commence à créer à la fin de sa vie, après avoir passé 56 années dans des institutions psychiatriques. Ayant manifesté une aptitude pour le dessin, il intègre à 72 ans le Creative Growth Art Center à Oakland. Malgré ce démarrage tardif, il produit une multitude de dessins, peintures, estampes et céramiques. Le travail de Dwight Mackintosh se caractérise par l’omniprésence d’écritures inintelligibles qui semblent couler sur la page, une multiplication des points de vues et une vision « au rayon X ». Ses sujets de prédilection oscillent entre personnages masculins – notamment les « boysses » – des groupes de garçons nus aux joues rouges et aux longs cheveux avec des pénis en érection – bus, trains, anges et animaux fantastiques et des illustrations particulières de vues « avant et après » ablation d’amygdales. Les lignes des contours sont souvent redoublées – peut-être juste pour le plaisir du geste , ou manière de s’affirmer, en tant qu’artiste. L’oeuvre de Mackintosh a été exposée à l’étranger, notamment à la collection abcd à Montreuil, à la Pinacothèque Agnelli de Turin et à la Gavin Brown’s Entreprise à New York.

David MARSHALL

1936 | États-Unis

On sait peu de choses sur David Marshall, excepté qu’il est né à Nassau County (NY) et qu’il a arrêté l’école à 16 ans pour devenir ouvrier agricole, tapissier puis peintre en bâtiment. Choisissant des pierres polies par l’eau des rivières, il les sculptait pour en exprimer toute une population comme autant de témoins, voire de génies aquatiques. Des figures minérales comme la matérialisation de la « mémoire de l’eau » ? Le mystère reste entier, comme l’aura été sa vie.

Son œuvre a été distinguée dès 1983 dans l’ouvrage de référence de Jay Johnson American Folk art of the 20th Century (Ed. Rizzoli) KUNIZO MATSUMOTO

1962 - | Japon

Vivant à Osaka, Kunizo Matsumoto est en charge de la vaisselle dans le restaurant familial. Il collectionne d’une manière compulsive toutes sortes d’imprimés (brochures du théâtre kabuki, catalogues d’expositions, guides, etc.), dont sa chambre est pleine et auxquels personne n’a le droit de toucher. Analphabète, il a créé sa propre langue. Parfois, il recopie des passages de pièces de kabuki. Une fois la page noircie, il lui arrive de continuer à écrire dans l’air, la danse prenant ainsi le relais en une chorégraphie imaginaire. Le soir, quand tous les membres de sa famille sont couchés, il écrit sur le calendrier du restaurant ou remplitdes cahiers dans sa chambre.

Dan MILLER

1961 - | États-Unis

La création acharnée de Dan Miller, qui superpose des couches considérables d’écriture jusqu’à l’illisible, a tant fasciné le public qu’outrepassant la sphère de l'outsider art, elle est entrée dans les collections permanentes du MOMA, à NewYork. Bien que cette œuvre soit formellement très contemporaine, entrant notamment en résonance avec le travail de Pollock et de Cy Twombly, c’est néanmoins hors du débat artistique que Miller invente ses modes d’expression. Né à Castro Valley en 1961, Dan Miller est autiste. Depuis plus de 15 ans il fréquente le Creative Growth Art Center d'Oakland (Californie) et laisse libre cours sans frein aucun à son inventivité. Obsédé par des objets comme des ampoules ou des douilles électriques, par des noms de villes, de gens, par des chiffres, par la nourriture, il décline son monde intérieur en répétant exalté sur le papier les signifiants qui s’y rapportent. Peinture, stylo, crayon, feutre, à l’instar des mots, différents matériaux se chevauchent, créant de subtiles strates chargées d’une force graphique incontestable. Noires et blanches ou de couleurs, ces créations portent en elles un dynamisme rare qui semble raviver - au-delà du cryptage lexical que provoque l’accumulation - le corps de la lettre, la force expressive des mots. Dan Miller a été montré à deux reprises à la Maison rouge en 2014 dans les expositions : Le Mur, oeuvres de la collection Antoine de Galbert et art brut, collection abcd/Bruno Decharme. Edmund MONSIEL

1897 - 1962 | Pologne

Né en Pologne en 1897, Edmund Monsiel quitte l'école sans diplôme et ouvre un petit magasin dans un village que les Allemands lui confisquent en 1942. Il se réfugie chez son frère à Wozuczyn, petite ville de la province de Lublin persuadé que les nazis le recherchent et reste caché dans le grenier pendant 20 ans, jusqu'à sa mort. En 1943, alors que la guerre bat son plein, il commence à dessiner. Ce n'est qu'après sa mort que l'on trouve ses quelques 500 créations «inspirées» de l’iconographie traditionnelle, populaire et religieuse. Des myriades de visages couvrent la totalité de la page, répétition obsédante. Les plus petits sont difficiles à distinguer, quelques fois, jusqu'à 3 000 figures sont représentées sur le même dessin.

Óscar MORALES

1951 - | Chili

Óscar Morales Martínez est né en 1951 à Copiapo, au nord du Chili, au sein d’une famille humble. Son père, était chauffeur dans la Société nationale des mines tandis que sa mère élevait leurs 6 enfants. Óscar, comme ses frères, a grandi dans les rues poussiéreuses de sa ville. Il a pourtant suivi des études primaires et secondaires et depuis l’enfance a manifesté un vif intérêt pour la littérature et les arts. À 17 ans, Óscar est parti faire un service militaire de 3 ans à l’issu duquel il a manifesté de premiers symptômes apparents de schizophrénie paranoïde. Entre 1975 et 1995, il a été interné à plusieurs reprises en hôpital psychiatrique avant de retourner dans sa ville natale. Là, compte tenu de la complexité de sa maladie, Óscar est à nouveau hospitalisé, durablement : « C’était le dernier espoir de salut », dit-il. Alors qu’il était alité, il se souvient avoir commencé à dessiner « dans le ciel » de sa chambre. En 1999, Óscar met au point sa célèbre « Formule de Valence alphabétique et numérique » à partir de laquelle il crée des machines et dessine de manière compulsive des cellules, des noyaux, des atomes et des radios, sur des ordinateurs portables, des couvertures de livre et des feuilles de dessin de différentes tailles. « Je pensais créer quelque chose de noble qui servirait à tout le monde. Cette formule mathématique est d’un haut niveau. Je l’ai inventée pour améliorer et accroître la capacité de l’ordinateur », explique-t-il. Depuis 10 ans, Óscar vit dans le foyer d’un l’hôpital psychiatrique avec six autres patients chroniques.Il participe à divers ateliers : peinture, littérature, radio Albert MOSER

1928 - | États-Unis

Albert Moser, né à Trenton (NJ), est considéré comme autiste. Il a vécu jusqu’à l’âge de 60 ans avec ses parents. Dans sa jeunesse - après avoir été envoyé avec l’armée américaine au Japon - Albert a exercé quantité de petits métiers : laveur d’avions sur une base militaire, vendeur de bonbons... Mais il s’est toujours imaginé photographe. Notamment après avoir suivi quelques cours de photographie à l’Ecole des Arts industriels dans le cadre des formations allouées aux anciens GI. Expérience à la suite de laquelle il se fera fabriquer un tampon avec la mention “photographer” qu’il apposera au dos de ses clichés, à côté de la description méthodique de ses prises de vue. À partir des années 1970 et durant plus de 25 ans, il réalise quelques centaines de panoramiques (allant parfois jusqu’à 360°) à partir de ses clichés développés par un photographe de quartier. Puis, il recompose minutieusement ses paysages urbains dans un format linéaire qu’il colle, photo après photo. Il retrouve les jonctions à l’aide de ciseaux, et les relie avec du scotch transparent, ce qui confère à ses assemblages une qualité plastique, une matérialité rares. Ce qui frappe, outre l’audace poétique, c’est la volonté délibérée de réinventer la réalité saisie dans son objectif. Le paysage se referme sur lui-même comme sur celui qui regarde, en une sorte de vertige optique qui contraste avec l’amplitude du déploiement propre au panoramique. Albert Moser n’a pourtant jamais cherché à exposer. Il gardait enroulées ses compositions les unes dans les autres, au fond d’un sac, sans jamais les montrer. Il aura fallu, pour les découvrir enfin, un extraordinaire concours de circonstances...

Michel NEDJAR

1947 - | France

Michel Nedjar naît troisième d’une famille de 7 enfants. Il se passionne très tôt pour le tissu, confectionne des robes pour les poupées de ses sœurs et accompagne sa grand-mère vendre des fripes (Schmatess) au marché aux Puces. Adolescent, il prend douloureusement conscience de l’horreur de la Shoah, de l’histoire de sa famille, en grande partie victime du nazisme : les poupées tragiques qu’il se met alors à créer en sont la réminiscence. Par la suite, il entreprend plusieurs voyages en Asie et au Mexique où il découvre les poupées magiques kachinas et les momies : « Ce n’était pas mort. Elles avaient leurs costumes, leurs robes collées sur la peau. » C’est à son retour qu’il fabrique ses premières poupées (ses « chairs d’âme ») de cordes, de haillons et de plumes qu’il trempe dans un bain de terre, de teinture et de sang. Autant de cadavres brulés et de corps mutilés. A partir de 1980, sa créativité s’étend au dessin, à la cire et à la peinture. Alors que Dubuffet le découvre et collectionne ses poupées, Nedjar rencontre l’art brut : enthousiaste, il co-fonde - avec Madeleine Lommel et Claire Teller - L’Aracine. Ainsi, Nedjar entre doublement dans l’histoire de l’art, en tant que découvreur d’art brut et, surtout, en tant qu’artiste. Roger Cardinal lui consacre un article de fond dans les Fascicules de l’Art Brut et plus d’une vingtaine de ses travaux rejoignent le Musée national d’art moderne grâce à la donation Cordier. Il est l’artiste brut - même s’il n’appartient plus vraiment à cette catégorie - qui fut le plus exposé à travers le monde ces 30 dernières années. Marilena PELOSI

1957 - | Brésil

D'un trait sombre, sans artifice, Marilena Pelosi fait jaillir dans ses créations complexes et parfois très colorées, une cruelle féerie emplie de symboles dans laquelle le sens se dérobe, défie la raison, la sienne en premier, même si, admet-elle « ce sont les gens normaux qui deviennent fous. Mais comme je ne l'ai jamais été, je ne risque rien. » Née à Rio de Janeiro, Marilena aurait aimé faire les Beaux-Arts : « Heureusement, je n'y suis pas allée, peut-être qu'on m'aurait appris à dessiner correctement ». C'est à l'âge de 16 ans qu'elle commence son activité artistique : à la suite d'une maladie grave, en convalescence, créer lui permet de tuer les journées trop longues. Puis, elle est contrainte de quitter le Brésil pour fuir un mariage forcé avec un prêtre vaudou brésilien. S'ensuit une période d'errance, ponctuée de deux mariages dont elle se relève par la création. Ses dessins, au stylo bille ou au feutre sur du papier ou du calque, représentent bien souvent des femmes, parfois torturées, d'où jaillissent des larmes : les fluides, eaux ou sang, sont omniprésents. La culture de Marinela, transgressée, y est aussi palpable, le catholicisme exubérant et la macumba fiévreuse de son Brésil natal y tournoient jusqu'au délire. Cette œuvre libre et dérangeante d'où sourd une souffrance aigüe nous projette dans un univers illicite, intime et sublime.

Luboš PLNỲ

1961 - | République tchèque

« On repère dans ses dessins organiques, à la fois précis et fantaisistes sur le plan anatomique, un goût presqueinquiétant de la décomposition et de la dissection », écrivait Roxana Azimi en 2012. Luboš Plný est le premier artiste brut à avoir fait l’objet d’une acquisition par le Musée National d’art moderne en 2013. Dans ses travaux à l’encre de Chine retravaillés à l’acrylique et souvent agrémentés de matières organiques, Plný - qui est persuadé que dessiner l’un de ses organes l’amènerait à une forme de méditation sur les limites de son existence physique - livre dans un protocole conjuratoire ses études anatomiques codifi ées à l’extrême. Fils unique d’une mère possessive, Luboš Plný se consacre dès l’enfance à ses deux passions : le dessin et l’anatomie. Il adore disséquer les animaux. Celui qui, lors de son service militaire, fut transféré en hôpital psychiatrique, se mit alors à étudier la littérature médicale et psychiatrique. Fasciné par les corps en décomposition, il passe un diplôme de fossoyeur mais est surtout employé comme modèle à l’Académie des Beaux-Arts de Prague. D’où le tampon avec lequel il « signe » toutes ses oeuvres « Luboš Plný, modèle académique ». Il note également sur ses dessins les jours et le nombre d’heures passés à y travailler. Découverte majeure de l’art brut, Luboš Plný a notamment fait l’objet d’une exposition au Japon en 2012 au Hiroshima City Museum of Contemporary Art et au Hyogo Prefectural Museum of Art de Kobe. Il a été montré à deux reprises à la Maison rouge dans les expositions : Le Mur, oeuvres de la collection Antoine de Galbert et art brut, collection abcd/Bruno Decharme. Josette RISPAL

1946 - | France

« Éloigné des sentiers battus, son art aime les rencontres impossibles et les accouplements les plus risqués de matière » (Laurent Danchin). Le bronze, le verre, le plastique, la terre, Josette Rispal utilise bien à « profusion », comme le souligne Françoise Sagan, les matériaux pour créer cet univers unique et riche de diversité où coquillages, bonbons, flore magnifique, masques translucides et poupées de chiffons se côtoient.

Josette, née à Aurillac (Cantal) en 1946, commence à partir de 1974 à travailler l’argile et découvre, en modelant L’Homme qui se roule de douleur, que la sculpture lui ouvre le monde de l’expression. L’année suivante ses recherches explosent en tous sens : elle sculpte sur laves et utilise le verre. S'ensuivent une créativité prolifique, une multiplication des matériaux, une inventivité débordante de nouvelles techniques. Dès 1977, elle expose à Paris et en Allemagne et sa première rétrospective, en septembre 1983, est suivie de nombreuses expositions internationales.

André ROBILLARD

1931 - | France

Né en 1931, fils d’un garde forestier de la forêt d'Orléans, André est hospitalisé pour troubles mentaux à la fin de son adolescence. Après plusieurs tentatives de remise en liberté, toutes suivies d'échecs, il est recruté comme auxiliaire pour s'occuper de la station d'épuration de l'hôpital, ce qui lui donne un véritable statut social et une certaine autonomie. La même année, il fabrique, à trente-trois ans, son premier fusil qu'un amateur éclairé envoie à Jean Dubuffet : ce dernier le conserve soigneusement dans la collection de la Compagnie de l'Art Brut. Dix ans plus tard, Michel Thévoz, alors conservateur du tout jeune musée de l'Art Brut de Lausanne, fasciné par ce fusil, invite Robillard à poursuivre sa production, ce qu'il fait avec entrain. André puise principalement son inspiration de la télévision. Néanmoins, après une visite à Lausanne au cours de laquelle il est vivement impressionné par l'œuvre d'Auguste Forestier, il élargit ses sujets de prédilection (fusils, mitrailleuses, engins spatiaux...) et réalise une série d’animaux fantastiques et de personnages. Pour ses constructions, il utilise tout ce qui lui tombe sous la main : vieux tuyaux, ficelles, cartouches, boîtes, ampoules, tubes électriques, tissus, plastiques, qu'il assemble avec des clous, du scotch et du fil de fer. Jusqu'à une époque toute récente, il disposait d’un grand hangar atelier, où s’accumulaient les matériaux de récupération. Il y vivait entouré de bêtes (cochon d’Inde, oiseaux, chats, pigeons) et s'y montrait très fier de ses productions, mais sans se considérer pour autant comme un artiste. Vasilij ROMANENKOV

1953 - | Russie

Actuellement jardinier dans le parc d’un hôtel de la banlieue de Moscou, Vasilij Romanenkov est avant tout un créateur prolifique. Sur ses dessins à l'élaboration méticuleuse, il a coutume de dire : « C’est comme si quelqu’un me murmurait quelque chose à l’oreille, comme si quelqu’un dans l’univers me guidait ». Vasilij naît en 1953 à Bogdanovka, un endroit reculé de Russie où beaucoup d’anciennes traditions sont encore très vivaces. Adolescent, il s’installe chez des proches dans les environs de Moscou pour y suivre une formation d’ébéniste, puis, à 22 ans, il se met à dessiner. L’artiste Rotanov, qui découvre son travail, l’encourage à conserver son propre style. Les thèmes qu'explore Vasilij se rapportent aux grandes étapes de la vie, sa création en est la fresque, de la maternité aux funérailles. La minutie de son travail, le choix des tons, souvent sombres, les traits appuyés et sûrs de ces motifs, le soin porté à la composition, d'un équilibre serein, confèrent à ces productions une sagesse ancestrale. Cette œuvre majeure, qui a été sélectionnée pour le Grand Prix Insita 2004 et à laquelle Raw Vision a consacré un article de fond en 2007, figure actuellement dans plusieurs collections d'art brut.

Pedro Alonso RUIZ

? - ? | Espagne

On ne connait que peu de la vie de Pedro Alonso Ruiz, sinon qu'il a exercé le métier de forgeron et qu'il a été interné à l'asile de Tolède pour trouble de la personnalité paranoïaque dans les années 1930. Patient du professeur Lafora, celui ci a conservé plusieurs de ses dessins. Yuichi SAITO

1983 - | Japon

Yuichi Saito fréquente l’atelier de création pour adultes déficients mentaux de Kobo Shu, dans la préfecture de Saitama. Depuis 2002, date à laquelle il a commencé ses travaux, Saito a montré un intérêt unique pour la calligraphie et la production d’oeuvres écrites, à la différence des nombreux artistes de l’atelier qui préfèrent la peinture. Saito écrit les titres de ses émissions de télévision préférées : Pocket Monster, Doraemon, Stray Cops (une version japonaise de Miami Vice), TV Champion, etc., créant méthodiquement chaque oeuvre le jour même où l’émission télévisée est diffusée. Bien que les dessins soient fidèles aux centres d’intérêts de l’artiste, ils ont depuis peu atteint un point d’abstraction visuelle d’une grande intensité. Plus récemment, il trace avec obsession un alphabet unique de « mo », dont les répétitions révèlent ses états émotionnels.

Patricia SALEN

1957 - | France

Née au Québec et après un passage aux Arts décoratifs de Nice, Patricia Salen devient Pandora en 2005. « Les ouvertures temporelles » lui donnent accès à la fois au passé et au futur, mais également à un autre niveau de conscience qui permet l’écriture automatique, et pourtant codifiée, que l’on retrouve dans ses travaux. Ce ne sont plus des corps, mais des champs vibratoires, ce ne sont plus des cerveaux, mais des cartographies cryptées qui recèlent un véritable langage. Elle y exerce, à la manière d’un Zdenek Kozek, une perception cataclysmique. Ce travail hypnotique - pour sybillin qu’il soit au néophyte - n’en est pas moins plastiquement jubilatoire. Phillip SCHÖPKE

1921 - 1998 | Autriche

Les dessins de Schöpke marquent par la brutalité de leur trait. Personnages aux membres disproportionnés, au visage excessivement expressif, sans fard ni manière, on est face à l'être, dénudé. Rencontre troublante. Né en 1921 en Basse-Autriche, la scolarité de Philipp est brève puisque, après avoir redoublé plusieurs fois, il quitte l’école au bout de quatre ans. Il travaille alors en tant que manœuvre et, à vingt ans, intègre l’armée allemande. Là aussi, son séjour est court : au bout de quelques semaines, il est licencié car, selon le médecin militaire, il n’est « même pas capable de lacer ses souliers ». Inapte au service, il est placé en clinique psychiatrique ; il en sort en 1944 et travaille quelques temps dans une fonderie et sur des chantiers avant d’être définitivement interné en 1956. C'est durant des phases d’excitation que Philipp dessine ses personnages -souvent humains, parfois des animaux- auxquels il confère une singulière transparence, laissant parfaitement visible leurs organes intérieurs. Léo Navratil précise que Schöpke « ne veut nullement choquer avec ses dessins, […] il entend au contraire créer quelque chose de très beau » et, effectivement, la beauté, crue, épurée, est au rendez-vous. Plusieurs articles sont consacrés à cette œuvre majeure qui figure désormais dans d'importantes collections d'art brut.

Friedrich SCHRÖDER-SONNENSTERN

1892 - 1982 | Lituanie

Friedrich Schröder-Sonnenstern est né à la frontière germano-russe et a reçu peu d'éducation. Des accusations de vol et un comportement parfois agressif lui valent d'être envoyé dans des maisons de correction et même en hôpital psychiatrique. Il gardera de ces expériences une haine pour l’autorité. Après un certain nombre de petits boulots - dans un cirque et comme diseur de bonne aventure, notamment - Schröder-Sonnenstern tombe malade ; les médecins lui diagnostiquent une démence précoce. Il se tourne alors vers la peinture et le dessin, ayant été introduit à l'art pendant une courte période en prison à une époque antérieure de sa vie.

Au crayon de couleur sur de minces lavis de peinture -pour atteindre la profondeur-, SchröderSonnenstern dessine des caricatures colorées grotesques, des monstres et des animaux. Un immense sentiment de menace et de subversion sadique caractérise tous ses travaux : le grotesque s’épanouit dans un monde mythique sinistre et sexuellement chargé. Son œuvre a attiré l’attention des surréalistes et a connu une certaine notoriété dès les années 60. Günther SCHÜTZENHÖFER

1965 - | Autriche

Né en 1965 à Mölding, près de Vienne, Schützenhöfer a rejoint la Maison des artistes de Guggingen en 1999. Dessinant d’abord sur de très petits formats, il en augmente désormais volontiers le format. Schützenhöfer réfléchit d’abord longuement à ce qu’il va faire avant de se lancer. Lorsqu’il s’exécute, il n’a plus de repentir, son trait, retenu mais sûr, commence par la silhouette du sujet puis se poursuit avec des stries serrées pour le remplissage. Ses créations sont extrêmement déconcertantes, énigmatiques même, et leurs titres, à la fois nous éclairent et repoussent nos cadres traditionnels de la représentation.

José Johann SEINEN

1934 - 2012 | Pays-Bas

José Johann Seinen a produit avec un soin maniaque un œuvre incomparable qui s’apparente à l’inventaire d’une mythologie personnelle où archéologie et science-fiction se mêlent. Un projet vertigineux qui pose également la question du jeu dans l’art. Lorsque ses parents - soupçonnés de collaboration avec les allemands - furent emprisonnés à la fin de la guerre, José et ses cinq frères furent confiés à la garde de leurs grands-parents qui vivaient à Amsterdam. C’est là qu’il commença à dessiner inlassablement : des cahiers conçus comme des livres animés remplis de robots et, déjà, des découpages minutieux et minuscules, petits personnages d’un théâtre intime qu’il faisait évoluer dans des décors dessinés à leur mesure. Jeune adulte, il entra comme employé dans la banque se maria et devint père d’une fille ; femme et enfant le quittèrent à la fin des années 60. José ouvrit ensuite une agence de voyage où il rencontra sa deuxième épouse, Colombienne, avec laquelle il convint de vivre à Amsterdam puis à Bogota, en alternance. Mais il passa le reste de sa vie en Colombie à s’enfermer dans une petite pièce sans confort pour s’évader dans son univers. Très érudit, José connaissait tout de l’Antiquité et possédait une bibliothèque de milliers de livres rares. À sa mort, sa veuve découvrit 22 boites remplies de milliers de dessins d’une grande précision, des accumulations sérielles de personnages ou d’objets, très souvent soigneusement découpés et classés dans des enveloppes : dieux mésopotamiens, édifices grecs et romains, armées entières, poteries surgies d’une fouille archéologique, extraterrestres... Mary T. SMITH

1904 - 1995 | États-Unis

Mary Tillman Smith est née en 1904 dans le sud du Mississippi, troisième de 13 enfants d’une famille de métayers. Elle a travaillé la majeure partie de sa vie dans des fermes et comme cuisinière. Souffrant d’une déficience auditive importante, cette afroaméricaine communiquait peu avec son entourage. Enfant, elle ne se mêlait pas aux autres mais traçait des dessins dans la poussière. Mariée et divorcée à deux reprises, elle a un fils qu’elle élève seule. Vers 1978, après une vie de misère et de souffrance que rien ne prédisposait à la création, Mary Smith prend sa retraite et commence à aménager la cour de sa maison en de nombreux espaces tous décorés de motifs, transcendant ainsi sa condition en établissant un rapport particulier au monde où l’art devient l’intercesseur par excellence de forces qui la dépassent et lui fait retrouver sa dignité. Utilisant des planches de bois ou des tôles comme support, elle peint son quotidien : portraits d’amis, de voisins, figures allégoriques ou animaux de la ferme, la plupart en une ou deux couleurs. Elle ajoute parfois des signes ou des slogans qui marquent sa croyance et son amour de Dieu. Audessus de sa maison, elle place des panneaux diffusant des messages aux automobilistes. Lorsqu’elle décède en 1995, à l’âge de 91 ans, elle laisse un oeuvre d’une force élémentaire unique constitué de quelques centaines de peintures. Des peintures de Mary T. Smith ont été montrées, dès 1988, dans l’exposition Outside the Mainstream: Folk Art in Our Time organisée par le High Museum of Art d’Atlanta.

Harald STOFFERS

1961 - | Allemagne

Entre écriture, partition musicale et composition graphique, les lettres d’Harald Stoffers, par leur rare intensité, invitent tant à la lecture qu’à la contemplation fascinée. Né à Hambourg en 1961, Harald entre à l’institut psychiatrique pour adultes à l’âge de 22 ans où il commence à écrire un seul, parfois plusieurs mots sur de petits morceaux de papier qu’il distribue autour de lui. Par la suite, ces courts messages évoluent en de plus longues lettres adressées à sa « chère maman ». L’écriture se pose alors sur des lignes tracées comme des portées de musique, induisant rythme et musicalité. Parfois Harald déchire savamment ses messages en fines bandes formant à leur tour une lettre qu’il nous appartient de recomposer. L’intérêt pour ses lettres a désormais largement dépassé le seul milieu de l’art brut. Cet oeuvre dense et dansant, auquel Youssef Tabti a consacré un film a été exposé par le Museum of Everyting à la Pinacoteca Agnelli (Turin) cette même année puis en 2012, à la Chalet Society, Exhibition #1 à Paris. En 2014, Harald Stoffers a été monré par la galerie christian berst art brut dans la cadre de l’exposition art brut, masterpieces et découvertes, carte blanche à Bruno Decharme, mais aussi lors de l’exposition inaugurale de sa galerie new yorkaise, Do the Write thing, Reed Between the Lines, et enfin successivement à la Maison Rouge dans la présentation de la collection d’Antoine De Galbert puis celle de Bruno Decharme. Ionel TALPAZAN

1955 - | Roumanie

Selon Ionel Talpazan, ses dessins et sculptures de soucoupes volantes contiennent des informations secrètes sur les systèmes de propulsion des OVNI susceptibles d'intéresser la NASA. Ce qui est sûr, c'est que ses admirables créations multicolores, dont l'ensemble constitue une véritable station inter-galactique, nous projette dans un univers unique, celui de cet homme, qui, enfant, a vu une lumière bleue « extra-terrestre », source de son œuvre. Ionel connaît un parcours mouvementé : né en 1955 près de Bucarest (Roumanie), il perd son frère jumeau peu après leur naissance. Ses parents, en conflit, le confient à son grand-père avant qu'à ses six ans il intègre une famille d'accueil dont la mère se révèle violente et alcoolique. A huit ans, alors qu'il se cache dans des buissons après s'être échappé de la maison, il aperçoit cette étrange lumière bleue qui se meut sans bruit : quatre ans plus tard, il dessine ses premiers OVNI. Adulte, il fuit son pays, traversant le Danube à la nage; reconnu réfugié politique, il s'installe à New-York. Dès lors, Ionel se livre pleinement à sa création, son appartement suffisant à peine à stocker son impressionnante production. Son travail, montré dans de nombreuses galeries aux états-unis, est présent dans plusieurs collections majeures d'art brut.

Miroslav TICHÝ

1926 - 2011 | République Tchèque

Miroslav Tichý a entamé une carrière de peintre, marqué par les influences de Picasso, Matisse et des expressionnistes allemands. La prise du pouvoir par les communistes en 1948 le conduit à revenir dans sa ville natale de Kyjov. Il délaisse la peinture et s'initie, au milieu des années cinquante, à la photographie, qu'il réinvente en construisant ses propres appareils à partir de matériaux qu’il récupère : tubes en carton, boîtes de conserve, verres optiques poncés avec du dentifrice et des cendres de cigarettes… Pendant trente ans, dans l'isolement, il réalise quotidiennement des dizaines de clichés sous ou sur-exposées, ayant pour sujet principal et obsessionnel les femmes de Kyjov. Il développe ses photos comme il peut et les retouche au crayon. Son comportement volontairement marginal lui vaut des difficultés avec les autorités. Il est interné en établissements psychiatriques à plusieurs reprises et finit par être expulsé de son atelier en 1972. Son travail, découvert à la fin des années 90 est rapidement reconnu. Il sera notamment exposé au Kunsthaus de Zurich (2005) et le centre Pompidou à Paris lui a consacré une retrospective en 2008. August WALLA

1936 - 2001 | Autriche

Né en Basse-Autriche, August Walla reste fils unique et vit une relation fusionnelle avec sa mère qui l'élève comme s'il était une fille, espérant ainsi lui épargner d'être enrôlé dans l'armée. Incapable de s'accoutumer à l'école, il est placé dans une institution spécialisée. À l’âge de neuf ans, après avoir vécu pedu le sommeil pendant trois mois, il écrit dans ses cahiers d’école : « Tout ce qui est rouge est diabolique ». Souffre-douleur de ses camarades, il reste sans défenses. À seize ans, après avoir menacé de se suicider et de mettre le feu à sa maison il est interné pendant quatre ans dans un hôpital psychiatrique où on le diagnostique schizophrène. À sa sortie, sa mère se dévoue entièrement à son service. Mais en 1970, August est de nouveau admis en psychiatrie, à l’hôpital de Gugging près de Vienne. Seize ans plus tard, il devient l'un des pensionnaires de la Maison des artistes (Haus der Künstler) créée quelques années plus tôt par le docteur Navratil où il restera jusqu'à la fin de ses jours. Comme Wölfli, Walla a rempli des pages d'écriture et lorsque la feuille de papier s'est révélée trop étroite, il a recouvert les murs de sa chambre de dessins et d'inscriptions. Parfois il peignait sur les arbres ou sur les routes, pour ensuite photographier ses messages avec une caméra repeinte en vert parce qu’il détestait le noir. Walla inventait sans cesse des langages imaginaires inspiré par la lecture de dictionnaires de langues étrangères. Ecriture et dessin sont indissociables dans son œuvre, pétrie de symboles obsessionnels et qui se déroule comme un continuum, dont chaque partie serait inséparable de l’ensemble.

Melvin WAY

1954 - | États-Unis

Lambeaux de papiers récupérés, manipulés, recouverts d’écritures, de chiffres, de formules mathématiques et chimiques, de figures géométriques, de partitions de musique, de rubans adhésifs… La densité graphique des billets graciles de Melvin Way leur confère un magnétisme rare. Ils témoignent de son obsession pour l’espace et le temps, et ses équations semblent vouloir calculer les passerelles qui mènent de l’un à l’autre. Comme une manière de s’en affranchir, d’abolir la place qui nous est assignée par ces concepts et, ainsi, offrir des voies nouvelles à celui qui signe parfois luimême Melvin «Milky» Way. Né en Caroline du sud, Melvin est élevé à Brooklyn par un parent de la famille. Au lycée, passionné par les sciences, il joue de la basse et chante dans un groupe. Alors qu’il engage des études au Technical Career Institut, il est progressivement atteint par d’importants problèmes psychiques. En couple un temps avec une toxicomane, il se consacre par la suite à la musique, puis se retrouve SDF sur l’île de Ward. C’est dans un centre pour sans-abris que, dans les années 80’, l’artiste Andrew Castrucci découvre les dessins de Melvin Way et expose son oeuvre. Melvin griffonne au stylo bille sur de petits bouts de papiers d’innombrables signes, formes, formules sibyllines qu’il chine parfois dans des livres et dont il détient seul la clé. Il travaille plusieurs semaines, parfois plusieurs mois à un dessin puis il le garde dans sa poche ou entre les pages d’un livre et intervient à nouveau dessus des années plus tard. Aujourd’hui, Melvin Way est un créateur salué par des critiques éminents comme Jerry Saltz qui dit de lui qu’il est «un génie mystique visionnaire». Anna ZEMANKOVA

1908 - 1986 | République Tchèque

Née en 1908 à Olomouc en Moravie, Anna montre dès l’enfance un goût prononcé pour le dessin qui, toutefois, se heurte à l’incompréhension de son père : elle devient assistante dentaire. En 1933, elle se marie à un officier, arrête de travailler et se consacre pleinement à son foyer. Le couple a trois fils (dont le premier décède à l’âge de 4 ans), puis, plus tardivement, une fille. Son rôle de mère aimante l’occupe à plein temps. Après la seconde guerre mondiale, la famille déménage à Prague, puis, en 1950, Anna entre en dépression puis, en raison de son diabète, subit l’amputation de ses deux jambes. À plus de 50 ans, – renouant peut-être avec son rêve d’enfant – Anna se met à produire quotidiennement des dessins spontanés d’inspiration végétale, entre 4 h et 7 h du matin, moment où elle a le sentiment de capter des forces magnétiques. Elle ignore, au commencement de l’oeuvre, sa forme fi nale : « Tout marche tout seul », « […] pas besoin de réfléchir ». Ces productions, aux détails saisissants, mues d’un rythme singulier entre spirales, arabesques et formes géométriques, font d’Anna une fi gure majeure de l’art brut. Elle est représentée dans les plus prestigieuses collections, jusqu’à connaître la consécration du pavillon international de la biennale de Venise 2013.

Henriette ZÉPHIR

1920 - 2012 | France

Henriette Zéphir est née en 1920 près de Toulouse. Ses parents travaillant loin de son village d’origine, elle est élevée par ses grands-parents. Bien qu’ayant reçu une éducation religieuse, elle n’est ni pieuse ni pratiquante. Mariée à un Noir Martiniquais en 1941, le couple part pour les Antilles, cependant, au cours du voyage, les jeunes époux sont bloqués à Casablanca, où nait leur première fille. Son mari mobilisé, Henriette reste 2 ans et demi seule au Maroc. Après la guerre, ils rejoignent finalement la Martinique, néanmoins, Henriette ne s’adapte pas, se sent constamment en exil : elle se sépare de son mari vers 1956 et s’installe à Nice. Le 1er mai 1961 se manifeste pour la première fois son «guide», dès lors, Henriette s’adonne à ce qu’elle appelle «l’occulte». L’exigence extrême du guide s’exprime de diverses manières : lors de séances de dessin, le stylo se pose quelque part sur la feuille et ne s’en détache qu’une fois tout l’espace rempli. D’autres fois, il lui impose des séances de prostration, couchée par terre ou à genoux durant des heures, il lui dicte des messages qu’elle doit scrupuleusement noter. Henriette se considère comme l’instrument de ces forces de l’au-delà et paraît circonspecte qu’on puisse qualifier ses productions d’art. Repérées par Jean Dubuffet lui-même, ces créations médiumniques au détail surprenant, aux couleurs osées, à la composition singulière, parfois figurative, mais bien souvent abstraite, où se mêlent courbes, pointes, formes géométriques, furent exposées dès 1967, au Musée des Arts Décoratifs, première exposition d'art brut ouverte au grand public. Carlo ZINELLI

1916 - 1974 | Italie

Carlo, interné en hôpital psychiatrique 24 ans durant, a élaboré une œuvre éblouissante où la répétition des figures construit un théâtre d'ombres au sein duquel se meuvent, en rythme, les protagonistes d'une histoire intérieure Fils de menuisier, né aux environs de Vérone, il perd sa mère à l'âge de deux ans. Après avoir passé son adolescence à travailler à la ferme, il devient apprenti boucher aux abattoirs municipaux de Vérone : là nait son goût exalté pour la musique et la peinture. Enrôle et envoyé en Espagne durant la seconde guerre mondiale, il est rapatrié en 1941 pour raisons médicales. S'ensuit quelques années agitées avant un internement définitif en 1947 à l'hôpital San Giacomo de Vérone pour schizophrénie paranoïde. Animé d'un fort besoin créateur, il recouvre les murs de l'hôpital de graffiti et en 1957 intègre un atelier de peinture et de sculpture nouvellement ouvert. Commence alors une création effrénée. Carlo produit pas moins de 3 000 peintures à la gouache et plusieurs sculptures. Comme pris d'une urgence de poursuivre l'élan créateur, il peint dans la foulée le recto puis le verso des feuilles de papiers. Très rapidement, son œuvre intéresse la critique et fait l'objet d'expositions; Dubuffet lui-même acquiert plusieurs dessins. Décédé en 1974 d'une pneumonie, Carlo a connu de son vivant plusieurs publications et aujourd'hui, alors qu'une fondation lui est dédiée, il est un des artistes d'Art Brut les plus reconnus à travers le monde. Il a été montré dans les giardini de la biennale de Venise 2013 et dans l’exposition art brut collection abcd / Bruno Decharme à la Maison rouge en 2014.

biographies artistes contemporains

Cathryn BOCH

1968 - | France

À l’origine, des cartes routières, des vues aériennes, des relevés topographiques, des plans d’occupation au sol... bref toute une iconographie de repérage, de mesure et d’inscription du territoire. Toute une matérialité codifiée du paysage. C’est là le médium de prédilection de Cathryn Boch. Comme un peintre presse les tubes de couleurs sur sa palette pour obtenir le ton recherché, comme un sculpteur prélève des morceaux du matériau qu’il travaille pour donner corps à une forme, l’artiste use de protocoles spécifiques qui en appellent tour à tour au déchirement et à l’assemblage via une pratique singulière, la couture. Le fil, en ligne ou en épaisseur, lui permet alors d’élaborer la cartographie de toutes sortes de mondes à part, inédits et improbables. Des aplats, des creux, des bosses, des béances, des effractions configurent plaines, vallées et collines imaginaires dans lesquels l’artiste entraîne le regard à la perte de tout repère, de toute identification, de toute réalité. Il faut se laisser aller au pur plaisir de l’inconnu, de la surprise, de la découverte, voire au risque de ne plus jamais retourner au monde ici-bas. L’art de Cathryn Boch est requis par la tentation d’une échappée, d’une forme de fugue hors de soi et du contingent, en quête d’un ailleurs dans les entrailles mêmes du paysage. Plilippe Piguet

Née à Strasbourg, elle travaille et vit à Marseille. Elle est représentée par la galerie Claudine Papillon, à Paris, et a notamment reçu le Prix Drawing Now 2014. Annette MESSAGER

1943 - | France

Après avoir interrompu ses études à la veille de mai 68 Annette Messager réunit ses premières Collections, albums de photos et de sentences extraites de la presse qu'elle annote et modifie. La galerie Germain lui commande en 1971 une œuvre avec de la laine et du tissu, Les Pensionnaires, alignement de moineaux empaillés et emmaillotés dans des tricots recouvert de tissu. Se développant dans le contexte parisien des années 1970, son œuvre, proche de celles d’artistes comme Boltanski, Le Gac, Sarkis, ou Paul-Armand Gette, relève de ces démarches singulières qualifiées de « mythologies individuelles ». Hostiles à tout académisme, comme aussi à une politisation extrême qui avait suivi mai 68, ces artistes prônent la prise en compte de l’élément affectif, imaginaire, voire nostalgique dans l’œuvre. Annette Messager, qui revendique la dimension féminine de son art, intègre l’univers domestique dans lequel le regard masculin a cantonné la femme: travaux à l’aiguille, carnets précieusement intimes, revues de beauté, pour en faire son langage plastique en même temps qu’une critique de la condition féminine. Des Pensionnaires, 1972, à Mes petites effigies, 1988, aux Piques, 1992, son travail affectionne l’esthétique du fragment et révèle un univers de l’intime à l’écoute des mouvements contradictoires de l’inconscient. Elle entame une création continue, qu'elle expose à Munich en 1973 dans une exposition personnelle puis au Musée d'art moderne de la ville de Paris en 1974. Ses travaux sont exposés à l'échelle internationale, avec notamment une exposition à Buenos Aires en 1999 et au Musée d'art moderne de la ville de Paris en 2004. Elle reçut en 2005 le Lion d'or de la 51e Biennale de Venise pour son œuvre Casino.

Simone PELLEGRINI

1972 - | Italie

Simone Pellegrini est en 1972 à Ancona (Italie). En 1999 il obtient son diplôme des Beaux Arts de Urbino, spécialité peinture. En 2003, avec l’exposition personnelle « Rovi da far calce », il commence sa collaboration avec la galerie italienne Cardelli e Fontana à Sarzana dans la province de La Spezia. En 2006 il inaugure sa première exposition personnelle à la galerie Hachmeister de Münster, qui deviendra sa galerie de référence en Allemagne. Il vit et travaille à Bologne. Arnulf RAINER

1928 - | Autriche

Arnulf Rainer est à Baden, près de Vienne. Il fera des études d'architecture à l'Ecole de Villach (19471949), puis suit un enseignement à l'Akademie der bildenden Künste de Vienne (1950). Arnulf Rainer sera cofondateur du Hundsgruppe (« Groupe du chien »), d'inspiration révolutionnaire et surréaliste qui développe un travail existentiel proche de l'Art corporel. Avant 1951, ses oeuvres présentent un univers fantastique, parfois morbide, influencées par les théories surréalistes. Il dessine des oeuvres non figuratives en 1951 (Les yeux fermés). Sa première exposition personnelle est organisée en 1951 (Galerie Kleinmayr, Klagenfurt, Autriche). Il entreprend, l'année suivante, le cycle des Übermalungen, peintures de recouvrement monochromes ; si dans cette dernière série, l'artiste repeint pour partie ses propres toiles, il efface aussi celle des autres avec acharnement (des oeuvres de Van Gogh, Goya, Rembrandt, Vasarely...) Au début des années 60, Arnulf Rainer commence une suite de photographies, autoportraits redessinés qui constitue un répertoire des expressions humaines. Arnulf Rainer s'initie à la gravure en 1965. A la fin de cette même décennie, l'artiste flagelle, écorche, défigure et torture sa propre image (FacesFarces). Ce travail devient l'armature de son oeuvre. L'artiste commence alors la série des masques mortuaires et des cadavres peints. À partir de 1982, Arnulf Rainer commence le cycle des séries des « Hiroshima » et des « Christs stigmatisés ». Dans les années 90 et 2000, il réalise des peintures du Cosmos et recouvre des portraits de stars du cinéma ou de la musique.

AMBLARD ANONYME (ESPAGNE) BAKER BARBIERO BENETTO BONNELALBAY BOSCO BRIZUELA CAMILO CASTILLO PEDROSO CAZHUR DEEDS DESMOULIN DEVLIN DOMSIC GAITAN GALLIENI GARCIA GILL GIRONELLA GUO HASSAN HERNANDEZ HOFER KAPELLER KEMP KOŠEK LÉONARDINI LOBANOV LONNÉ MACKINTOSH MARSHALL MATSUMOTO MILLER MONSIEL MORALES MOSER NEDJAR PELOSI PLNÝ RISPAL ROBILLARD ROMANENKOV RUIZ SAITO SALEN SCHÖPKE SCHRÖDER-SONNENSTERN SCHUTZENHOFER SEINEN SMITH STOFFERS TALPAZAN TICHÝ WALLA WAY ZEMANKOVA ZÉPHIR ZINELLI

catalogues publiés par christian berst art brut catalogues published by christian berst art brut

prophet royal robertson : space gospel texte de pierree muylle, édition bilingue (FR/EN), 2016

josé manuel egea : lycanthropos textes de graciela garcia et bruno dubreuil, édition bilingue (FR/EN), 2016

melvin way : a vortex symphony textes de laurent derobert, jay gorney et andrew castrucci, édition bilingue (FR/EN), 2016

sur le fil par jean-hubert martin texte de jean-hubert martin, édition bilingue (FR/EN), 2016

misleidys castillo pedroso & daldo marte : fuerza cubana textes de karen wong, édition bilingue (FR/EN), 2016

josef hofer : transmutations textes de elisabeth telsnig et philippe dagen, édition bilingue (FR/EN), 2016

franco bellucci : beau comme... texte de gustavo giacosa, édition bilingue (FR/EN), 2016

soit 10 ans : états intérieurs textes de stéphane corréard, édition bilingue (FR/EN), 2015

john urho kemp : un triangle des bermudes textes de gaël charbau et daniel baumann, édition bilingue (FR/EN), 2015

august walla : ecce walla textes de johann feilacher, édition bilingue (FR/EN), 2015

sauvées du désastre : œuvres de deux collections de psychiatres espagnols (1916-1965) textes de graciela garcia et béatrice chemama-steiner, édition bilingue (FR/EN), 2015

beverly baker : palimpseste texte de philippe godin, édition bilingue (FR/EN), 2015

peter kapeller : l'œuvre au noir texte de claire margat, édition bilingue (FR/EN), 2015

art brut masterpieces et découvertes : carte blanche à bruno decharme entretien entre bruno decharme et christian berst, édition bilingue (FR/EN), 2014

pepe gaitan : epiphany texte de johanna calle gregg & julio perez navarrete, édition bilingue (FR/EN), 2014

do the write thing : read between the lines textes de phillip march jones et lilly lampe, édition bilingue (FR/EN), 2014

dan miller : graphein I & II textes de tom di maria et richard leeman, édition bilingue (FR/EN), 2014

paños : prison break texte de pascal saumade, édition bilingue (FR/EN), 2014

le lointain : on the horizon édition bilingue (FR/EN), 2014

james deeds : the electric pencil texte de philippe piguet, édition bilingue (FR/EN), 2013

von bruenchenhein : american beauty texte de adrian dannatt, édition bilingue (FR/EN), 2013

anna zemankova : hortus deliciarum texte de terezie zemankova, édition bilingue (FR/EN), 2013

john devlin : nova cantabrigiensis texte de sandra adam-couralet, édition bilingue (FR/EN), 2013

davood koochaki : un conte persan texte de jacques bral, édition bilingue (FR/EN), 2013

mary t. smith : mississippi shouting textes de daniel soutif et william arnett, édition bilingue (FR/EN), 2013

albert moser : life as a panoramic textes de phillip march jones, andré rouille et christian caujolle, édition bilingue (FR/EN), 2012

jean perdrizet : deus ex machina textes de manuel anceau, josé argémi, jean-gaël barbara & marc décimo, édition bilingue (FR/EN), 2012

josef hofer : alter ego textes de elisabeth telsnig et philippe dagen, tédition bilingue (FR/EN), 2012

pietro ghizzardi : charbons ardents texte de dino menozzi, trilingue (FR/EN/IT), 2011

guo fengyi : une rhapsodie chinoise texte de rong zheng, trilingue (FR/EN/CH), 2011

rentrée hors les normes 2012 : découvertes et nouvelles acquisitions édition bilingue (FR/EN), 2012

carlo zinelli : une beauté convulsive texte par daniela rosi, édition trilingue (FR/EN/IT), 2011

joseph barbiero : au-dessus du volcan texte de jean-louis lanoux, édition bilingue (FR/EN), 2011

giovanni bosco : dottore di tutto textes de eva di sefano et jean-louis lanoux, édition trilingue (FR/EN/IT), 2011

henriette zéphir : une femme sous influence texte de alain bouillet, édition bilingue (FR/EN), 2011

alexandro garcia : no estamos solos texte de thiago rocca, édition trilingue (FR/EN/ES), 2010

back in the U.S.S.R : figures de l’art brut russe 2 texte de vladimir gavrilov, édition bilingue (FR/EN), 2010

harald stoffers : liebe mutti texte de michel thévoz, édition bilingue (FR/EN), 2009

made in holland : l’art brut néerlandais texte de nico van der endt, édition bilingue (FR/EN), 2009

american outsiders : the black south texte de phillip march jones, édition bilingue (FR/EN), 2009

remerciements / acknowledgments

hélène barré, elisa berst, carole billy et la galerie marian goodman, cathryn boch, stéphane corréard, aurélien farina, jonathan frydman, galerie christophe gaillard, benedetta grazioli, phillip m. jones, carmen et daniel klein, chase martin, annette messager, claudine et marion papillon, galerie claudine papillon, simone pellegrini, arnulf rainer.

sans vous - artistes, amis et amateurs, collectionneurs et compagnons de route - la célébration des 10 ans de la galerie n'aurait aucune saveur.

This article is from: