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N° 2114 ______

ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME LÉGISLATURE

EnregistrĂ© Ă  la PrĂ©sidence de l’AssemblĂ©e nationale le 9 juillet 2014.

RAPPORT D’INFORMATION DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Rùglement PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opĂ©rations en cours

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. YVES FROMION et GWENDAL ROUILLARD, Députés.

——

(1)

La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


La mission d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opĂ©rations en cours est composĂ©e de : MM. Yves Fromion et Gwendal Rouillard, rapporteurs ; MM. Jean-Jacques Candelier, Philippe Folliot, Charles de La VerpilliĂšre, Christophe LĂ©onard, Philippe Meunier, François de Rugy et Jean-Michel VillaumĂ©, membres.


— 3 —

SOMMAIRE ___ Pages

INTRODUCTION .........................................................................................................

11

PREMIÈRE PARTIE LA RÉORGANISATION ENGAGÉE DE NOS FORCES PRÉPOSITIONNÉES EN AFRIQUE : « POUR QUE TOUT RESTE COMME AVANT, IL FAUT QUE TOUT CHANGE » ? ................. 13 I. NOTRE DISPOSITIF MILITAIRE EN AFRIQUE, QUI A FAIT LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ LORS DES OPÉRATIONS RÉCENTES, EST EN COURS DE RESTRUCTURATION .........................................................................

15

A. UN DISPOSITIF MILITAIRE AUJOURD’HUI CONFIGURÉ POUR DEUX MISSIONS PRINCIPALES : OPÉRATIONS ET COOPÉRATION ...............

15

1. Un rĂ©seau de points d’appui au service d’une double mission : opĂ©rations et coopĂ©ration ...........................................................................................................

15

a. Cartographie du dispositif militaire français en Afrique......................................

15

i. Des bases permanentes : les prépositionnements de droit .........................................

16

ii. Des opĂ©rations extĂ©rieures qui s’installent dans la durĂ©e : les prĂ©positionnements « de fait » ..............................................................................................................

18

iii. Des opérations extérieures appelées à rester ponctuelles ........................................

23

iv. Des missions de permanence Ă  la mer ..................................................................

23

b. La double vocation de notre dispositif permanent en Afrique : opérations et coopération .......................................................................................................

26

i. Une sectorisation du continent africain pour les actions de coopération......................

27

ii. Une sectorisation du continent africain pour la prĂ©paration et la conduite d’opĂ©rations

28

iii. Des missions parfois confondues ........................................................................

29

2. Les opĂ©rations Serval et Sangaris ont montrĂ© l’efficacitĂ© de cette architecture, en complĂ©ment de capacitĂ©s de projection rapide ................................................

31

a. L’importance des prĂ©positionnements pour la rĂ©activitĂ© des forces .....................

31

i. Les prépositionnements ont joué un rÎle clé dans le déclenchement des opérations Serval et Sangaris en 2013 ................................................................................

31

ii. Les prĂ©positionnements ne permettent toutefois d’intervenir dans une crise majeure que s’ils s’articulent avec un dispositif de projection rapide de forces .....................

33


— 4 — iii. Les opĂ©rations Serval et Sangaris ont montrĂ© l’importance d’une bonne articulation entre les forces conventionnelles et les forces spĂ©ciales ........................................

34

b. L’importance de liens Ă©troits de partenariat pour susciter la mobilisation des États africains ...................................................................................................

38

B. UNE RESTRUCTURATION PLANIFIÉE DE NOTRE DISPOSITIF PERMANENT EN AFRIQUE ..............................................................................

38

1. Le nouveau schéma de notre dispositif permanent en Afrique : maintien de toutes les implantations et déplacement du centre de gravité vers la bande sahélo-saharienne .................................................................................................

41

a. Un rĂ©amĂ©nagement sans abandon de notre rĂ©seau de points d’appui permanents, marquĂ© par la montĂ©e en puissance de la CĂŽte d’Ivoire et la rĂ©duction envisagĂ©e de notre prĂ©sence au Gabon et Ă  Djibouti ..........................................

41

i. L’orientation gĂ©nĂ©rale retenue par le Gouvernement : un maintien de la prĂ©sence française sur tous ses principaux points d’appui actuels, au prix de rĂ©amĂ©nagements et d’une rĂ©duction globale d’effectifs .................................................................

41

ii. Un dĂ©placement, de Libreville Ă  Abidjan, de la base opĂ©rationnelle avancĂ©e (BOA) chargĂ©e de la zone de responsabilitĂ© principale (ZRP) pour les opĂ©rations en Afrique de l’Ouest ...........................................................................................

44

b. La « régionalisation » de notre dispositif dans la bande sahélo-saharienne..........

47

i. Le schéma général : un maillage étroit dans une vaste région enclavée ......................

48

ii. Le centre de gravitĂ© : N’Djamena au Tchad...........................................................

50

2. L’ambitieuse manƓuvre de restructuration a dĂ©butĂ©, non sans se heurter aux difficultĂ©s liĂ©es aux opĂ©rations en cours ..............................................................

55

a. Planification et Ă©tat d’avancement de la manƓuvre de rĂ©amĂ©nagement...............

56

i. Au sein du dispositif permanent : une restructuration rapide des Forces françaises au Gabon, futurs ÉlĂ©ments français au Gabon ..........................................................

56

ii. Au sein de la bande sahĂ©lo-saharienne : consolidation des bases de Gao et de N’Djamena .....................................................................................................

60

b. Les difficultĂ©s rencontrĂ©es dans la mise en Ɠuvre de la manƓuvre de restructuration du dispositif permanent et de rĂ©gionalisation dans la bande sahĂ©lo-saharienne..............................................................................................

62

i. D’inĂ©vitables rĂ©ticences dans les bases permanentes appelĂ©es Ă  subir une forte dĂ©flation .........................................................................................................

62

ii. La « régionalisation » du dispositif militaire français dans la bande sahélosaharienne : un retard lié à la situation au Mali ....................................................

65

3. Un point d’attention majeur : le sort de Djibouti ..................................................

66

a. Un point d’appui du plus haut intĂ©rĂȘt stratĂ©gique pour la France.........................

66

i. Une situation géostratégique exceptionnelle ...........................................................

66

ii. Un point d’appui indispensable dans une zone de plus en plus instable en gĂ©nĂ©ral, et de plus en plus menaçante pour les intĂ©rĂȘts français en particulier ..........................

68

b. Un projet de déflation massif, qui repose à ce stade sur un objectif strictement quantitatif et non sur une analyse fonctionnelle préalable ..................................

79

i. Des plans de restructuration entiÚrement guidés par un objectif chiffré de déflation, sans analyse fonctionnelle préalable ...................................................................

79


— 5 — ii. Un calendrier trop hñtif pour permettre une manƓuvre habile ..................................

80

c. Un projet de dĂ©flation intenable Ă  missions et responsabilitĂ©s constantes, qui remet sĂ©rieusement en cause la crĂ©dibilitĂ© de notre dispositif en Afrique de l’Est ..................................................................................................................

82

i. Quatre scénarios élaborés par les Forces françaises stationnées à Djibouti pour répondre à la commande qui leur a été adressée ...................................................

82

ii. Dans toutes les hypothÚses, des scénarios intenables à missions et responsabilités constantes .......................................................................................................

87

d. Un scénario alternatif, permettant de concilier la contrainte capacitaire générale et la crédibilité de nos forces .............................................................................

92

i. Un format minimal viable Ă  1 300 personnels .........................................................

92

ii. Un calendrier à « desserrer » ...............................................................................

94

II. LA RESTRUCTURATION PLANIFIÉE VISE À PERMETTRE À LA FRANCE DE CONSERVER SON INFLUENCE ET À SES FORCES LEUR RÉACTIVITÉ OPÉRATIONNELLE DANS UNE AFRIQUE QUI CHANGE ......

97

A. C’EN EST FINI DE « LA PRÉSENCE POUR LA PRÉSENCE » ..................

97

1. Du point de vue des États africains : la prĂ©sence de « bases » Ă©trangĂšres ne fait pas toujours l’objet d’un consensus national .......................................................

97

a. Certaines réticences des opinions publiques africaines conduisent à privilégier une « empreinte » militaire légÚre et discrÚte.....................................................

97

b. Les États africains tendent dĂ©sormais Ă  rechercher aussi d’autres contreparties Ă  la prĂ©sence française que la protection d’un pays (ou d’un rĂ©gime) ...................

99

2. Du point de vue de la France : nous n’avons plus ni les moyens, ni l’intĂ©rĂȘt, de maintenir un fort volume de forces sur le continent africain ...............................

99

a. La France n’a plus les moyens d’entretenir l’« armĂ©e d’Afrique » ......................

99

i. Des contraintes financiĂšres ..................................................................................

99

ii. Des contraintes capacitaires ................................................................................ 101

b. La France a-t-elle toujours intĂ©rĂȘt Ă  ĂȘtre prĂ©sente sans avoir les moyens d’influer sur le cours des Ă©vĂ©nements ? Le double risque de la prĂ©sence militaire sans moyens consĂ©quents d’intervention ............................................. 110 i. Que la France soit accusĂ©e de ne pas prĂ©venir toutes les crises : le « syndrome rwandais » ...................................................................................................... 110 ii. Que les partenaires de la France se dĂ©faussent sur elle de leurs responsabilitĂ©s .......... 111

B.

LE DISPOSITIF MILITAIRE FRANÇAIS EN AFRIQUE DOIT RÉPONDRE AVANT TOUT AUX BESOINS ET AUX DEMANDES DES ÉTATS AFRICAINS.............................................................................................. 111 1. Les menaces Ă©voluent et appellent en consĂ©quence une adaptation du dispositif français dans une logique de « dĂ©fense de l’avant » ............................................ 111 a. Des menaces de toute nature sur le continent africain, relevant des « risques de la faiblesse » ..................................................................................................... 111 i. Des menaces clairement terroristes ....................................................................... 114 ii. Des mouvements centrifuges Ă  connotation ethnique .............................................. 114


— 6 — iii. Des organisations criminelles ............................................................................. 116 iv. Des conflits communautaires non maĂźtrisĂ©s .......................................................... 116 v. Une tendance globale Ă  l’affichage d’un islam de plus en plus radical ....................... 117

b. Des menaces essentiellement transfrontaliĂšres ................................................... 118 i. Du fait de la porositĂ© gĂ©nĂ©rale des frontiĂšres .......................................................... 118 ii. Du fait de la continuitĂ© des composantes ethniques de part et d’autre des frontiĂšres .... 119 iii. Du fait de l’existence de « sanctuaires » rebelles ................................................... 119 iv. Pour les pays dotĂ©s d’une façade maritime, du fait de moyens trĂšs faibles au service de l’action de l’État en mer ............................................................................... 122 v. MĂȘme Boko Haram semble portĂ© Ă  Ă©largir sa zone d’action ..................................... 122

c. Un risque de « jonction » entre les diffĂ©rents mouvements rebelles .................... 125 d. Des menaces sur la stabilitĂ© de certains rĂ©gimes et leurs consĂ©quences sur la sĂ©curitĂ© de l’ensemble de l’Afrique ................................................................... 127 i. Des fragilitĂ©s tenant Ă  la structure politique de certains États .................................... 127 ii. Des fragilitĂ©s plus profondes, tenant Ă  des dĂ©sĂ©quilibres sociaux que la croissance dĂ©mographique risque d’aggraver ...................................................................... 129

2. La coopĂ©ration avec les États africains pour traiter ces menaces constitue dĂ©sormais la principale source de lĂ©gitimitĂ© de notre prĂ©sence en Afrique ......... 133 a. Les dirigeants des États de la rĂ©gion conscients de ces menaces ......................... 133 i. Dans les paroles : une prise de conscience ............................................................. 133 ii. Dans les actes : cette volontĂ© politique se traduit par des efforts concrets, plus ou moins aboutis .................................................................................................. 136

b. Compte tenu de ses moyens plus limitĂ©s que jadis, la coopĂ©ration militaire française prend de nouvelles formes, marquĂ©es par une recherche d’efficience accrue ............................................................................................................... 141 i. La coopĂ©ration structurelle : un atout français en Afrique, dĂ©sormais configurĂ© dans une logique de partenariat plutĂŽt que de substitution ............................................ 143 ii. La coopĂ©ration opĂ©rationnelle : la raison d’ĂȘtre des « pĂŽles opĂ©rationnels de coopĂ©ration Ă  vocation rĂ©gionale » ..................................................................... 155

SECONDE PARTIE PRÉSENCE ET INTERVENTION MILITAIRES NE DOIVENT PAS RÉSUMER NOTRE POLITIQUE AFRICAINE .......... 159 I. LE SUIVI DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES EN COURS MONTRE LES LIMITES DES CAPACITÉS FRANÇAISES D’INTERVENTION DANS LES CRISES AFRICAINES ............................................................................................... 159 A. L’OPÉRATION SERVAL AU MALI : UN SUCCÈS INDÉNIABLE, QU’IL EST URGENT D’EXPLOITER SUR LE PLAN POLITIQUE POUR NE PAS PERDRE L’AVANTAGE ACQUIS EN 2013 ........................................... 159 1. L’indĂ©niable succĂšs militaire de l’intervention française ..................................... 159 a. Un dĂ©fi logistique permanent ............................................................................. 159 i. Dans la phase « aiguĂ« » des opĂ©rations, en 2013 ..................................................... 160


— 7 — ii. Dans la phase actuelle des opĂ©rations, dont le pivot est la base de Gao ..................... 162

b. Une mission de contre-terrorisme qui est loin d’ĂȘtre achevĂ©e ............................. 167

2. Une prise de relais indĂ©niablement insuffisante par les autoritĂ©s maliennes et la communautĂ© internationale – l’ONU et l’Europe ................................................ 174 a. Un processus de « rĂ©conciliation nationale » en retard, si ce n’est en panne ........ 174 i. Les avancĂ©es de juin 2013, avec l’accord de Ouagadougou ...................................... 174 ii. Un processus Ă©lectoral trĂšs satisfaisant ................................................................. 174 iii. Atermoiements et vicissitudes dans les discussions engagĂ©es depuis juin 2013 ......... 175 iv. La dĂ©convenue des forces maliennes en mai 2014 ................................................. 179

b. Les lenteurs de l’Europe .................................................................................... 181 i. Le Mali : un thĂ©Ăątre correspondant particuliĂšrement bien aux savoir-faire et Ă  la doctrine d’« approche globale » de l’Union europĂ©enne ........................................ 181 ii. Les avancĂ©es rĂ©alisĂ©es par l’EUTM Mali .............................................................. 182 iii. Un bilan tout en contrastes de la formation des GTIA maliens avec la dĂ©faite des FAMa en mai 2014 .......................................................................................... 185

c. Les inquiĂ©tantes difficultĂ©s rencontrĂ©es dans la montĂ©e en puissance de la MINUSMA....................................................................................................... 185 i. Un mandat assez robuste, quoi que feignent d’en croire certains ............................... 186 ii. Un dĂ©ploiement largement facilitĂ© par la force Serval et la prĂ©sence antĂ©rieure de la MISMA ......................................................................................................... 186 iii. Une gĂ©nĂ©ration de forces assez dĂ©cevante ............................................................ 187 iv. Un risque majeur : la « bunkerisation dans le luxe » (relatif)................................... 188

d. Une conséquence regrettable : un frein au désengagement des forces françaises . 189

B. L’OPÉRATION SANGARIS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : UNE OPÉRATION DES PLUS DÉLICATES ................................................... 190 1. La force Sangaris a fait au mieux avec les moyens qu’elle a en sa possession .... 191 a. Deux ennemis, peut-ĂȘtre sous-estimĂ©s ab initio : les « ex-SĂ©lĂ©ka » et les « antibalaka » ............................................................................................................ 191 i. Des ex-SĂ©lĂ©ka encore combatifs ........................................................................... 191 ii. Des anti-balaka difficiles Ă  contrĂŽler .................................................................... 193

b. Une mission dont l’action est limitĂ©e par ses faibles moyens .............................. 195 i. Un concept d’opĂ©ration calibrĂ© a minima, pour une opĂ©ration « coup de poing » ponctuelle ....................................................................................................... 195 ii. En dĂ©pit d’un renfort, des moyens limitĂ©s pour un territoire difficile Ă  contrĂŽler......... 196 iii. Des contraintes liĂ©es indirectement au mode de financement des opĂ©rations extĂ©rieures ...................................................................................................... 200

c. L’instrumentalisation confessionnelle du conflit : un Ă©pineux facteur de complication ..................................................................................................... 201


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d. Un rĂ©sultat sĂ©curitaire contrastĂ© ......................................................................... 201 i. Bangui est pacifiĂ©e, et relĂšve dĂ©sormais d’une opĂ©ration de gendarmerie plutĂŽt que d’une opĂ©ration militaire .................................................................................. 201 ii. La province Ă©chappe encore largement au contrĂŽle de l’État .................................... 208

2. Une prise de relais indĂ©niablement insuffisante par les autoritĂ©s centrafricaines et la communautĂ© internationale – la CEEAC, l’ONU et l’Union europĂ©enne ... 211 a. Un État qui tarde Ă  se reconstituer ...................................................................... 212 i. Les autoritĂ©s de transition enregistrent quelques succĂšs ........................................... 212 ii. Les forces de sĂ©curitĂ© centrafricaines restent trĂšs faibles ......................................... 214

b. La dĂ©solante incurie de l’Europe ........................................................................ 215 i. Une mission ambitieuse lancĂ©e Ă  l’initiative de la France ......................................... 215 ii. Une gĂ©nĂ©ration de force des plus poussives ........................................................... 216

c. Les difficultés rencontrées par les forces africaines ............................................ 218 i. Des difficultés financiÚres et capacitaires ............................................................... 219 ii. Le rÎle du Tchad ............................................................................................... 221

d. Les grands dĂ©fis qui se prĂ©sentent pour une opĂ©ration de maintien de la paix de l’ONU .............................................................................................................. 223 i. Des attentes trĂšs importantes ................................................................................ 223 ii. Des incertitudes pesant sur la gĂ©nĂ©ration de forces ................................................. 225

II.

NOTRE PRÉSENCE ET NOS INTERVENTIONS MILITAIRES GAGNERAIENT À S’INSCRIRE DANS LE CADRE D’UNE POLITIQUE AFRICAINE GLOBALE, PARTENARIALE, COHÉRENTE ET ASSUMÉE ..... 227 A. LES ÉTATS AFRICAINS NE POURRONT ASSURER LEUR SÉCURITÉ QUE DANS LE CADRE DE COOPÉRATIONS, OÙ LA FRANCE PEUT JOUER UN RÔLE DE PREMIER PLAN........................................................... 227 1. Des efforts substantiels de renforcement des forces armĂ©es et des forces de sĂ©curitĂ© africaines, qui constituent autant d’occasions de partenariats « gagnant-gagnant » avec la France ..................................................................... 227 a. La plupart des pays africains planifient le renforcement de leurs forces armĂ©es et leurs forces de sĂ©curitĂ© .................................................................................. 227 i. Des efforts de dĂ©veloppement des effectifs des forces armĂ©es ................................... 227 ii. Des efforts de renforcement capacitaire ................................................................ 229 iii. Le renforcement de la fonction de renseignement ................................................. 230 iv. AmĂ©liorer l’organisation de l’action de l’État en mer ............................................. 231

b. La France dispose d’atouts de premier plan pour accompagner les États africains dans leurs efforts ................................................................................ 233 i. Parce que la France peut « capitaliser » l’hĂ©ritage de la coopĂ©ration des annĂ©es passĂ©es : les liens particuliers qui unissent les responsables militaires africains et français .......................................................................................................... 233 ii. Parce que la France dispose d’atouts pour renouveler et enrichir cette relation particuliĂšre ..................................................................................................... 233


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2. Les États d’Afrique subsaharienne mettent l’accent sur la coopĂ©ration internationale pour l’organisation de leur sĂ©curitĂ©, et la France a un rĂŽle Ă  jouer dans cette organisation ......................................................................................... 240 a. L’Union africaine et les sous-rĂ©gions sont appelĂ©es Ă  jouer un rĂŽle de plus en plus important dans les opĂ©rations en Afrique ................................................... 240 i. Un dĂ©ploiement progressif des forces de l’Union africaine, dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ© ....................................................... 240 ii. Un dĂ©ploiement que la France peut accompagner ................................................... 242

b. Des accords de pĂ©rimĂštre plus rĂ©duit complĂštent utilement l’architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ© .......................................................................... 244 i. Une multiplication d’accords de coopĂ©ration de dĂ©fense .......................................... 244 ii. Une occasion pour la France d’apporter un appui dĂ©cisif......................................... 244

B. LA FRANCE A INTÉRÊT À METTRE EN ƒUVRE UNE POLITIQUE AFRICAINE GLOBALE, PARTENARIALE, COHÉRENTE ET ASSUMÉE .............................................................................................................. 245 1. La France n’a ni les moyens ni l’ambition d’ĂȘtre le « gendarme de l’Afrique » : dĂšs lors, son action doit s’articuler de façon pragmatique avec celle de ses partenaires ............................................................................................................ 245 a. L’action de la France gagne Ă  s’inscrire dans un cadre partenarial, si possible multilatĂ©ral ....................................................................................................... 245 i. La stratĂ©gie politique gĂ©nĂ©rale : une approche multilatĂ©rale de la gestion des crises africaines ........................................................................................................ 245 ii. Le cadre d’action pratique : une recherche pragmatique d’effets de levier au moyen de partenariats ................................................................................................. 250

b. Des partenaires europĂ©ens Ă  sensibiliser plus en amont aux enjeux de la sĂ©curitĂ© en Afrique......................................................................................................... 251 i. Un dĂ©fi difficile Ă  relever, compte tenu du faible enthousiasme des EuropĂ©ens Ă  prendre toutes leurs responsabilitĂ©s en Afrique .................................................... 251 ii. Un dĂ©fi indispensable Ă  relever compte tenu des moyens (notamment financiers) qu’il est possible de mobiliser par le biais de l’Union europĂ©enne.................................. 253

2. La prĂ©sence et les interventions militaires de la France gagneraient Ă  s’inscrire dans une approche plus globale, plus cohĂ©rente et mieux assumĂ©e d’une vĂ©ritable politique africaine.................................................................................. 254 a. Assurer le « service aprĂšs-vente » des interventions, en dĂ©veloppant une doctrine cohĂ©rente intĂ©grant toutes les phases d’une crise : dĂ©tection/intervention/stabilisation/normalisation .............................................. 254 i. Intervenir suffisamment tĂŽt : dĂ©tecter prĂ©cocement les crises .................................... 255 ii. Savoir passer de l’intervention Ă  la stabilisation : le contre-exemple de la Libye, l’enjeu de Serval et de Sangaris ......................................................................... 255 iii. De la stabilisation Ă  la normalisation, savoir gĂ©rer les difficultĂ©s rencontrĂ©es en « sortie de crise » : le cas de la CĂŽte d’Ivoire ....................................................... 255

b. DĂ©velopper la connaissance de l’Afrique et les liens de solidaritĂ© ...................... 256 i. Entretenir les savoirs et les savoir-faire de personnels de la DĂ©fense « accoutumĂ©s » Ă  l’Afrique ........................................................................................................ 256


— 10 — ii. Entretenir plus largement, une connaissance des sociĂ©tĂ©s et des systĂšmes politiques africains ......................................................................................................... 258

c. Entretenir des liens institutionnels avec les forces de sĂ©curitĂ© africaines ............. 260 d. Mettre sans complexe en cohĂ©rence l’ensemble des outils de la coopĂ©ration et de l’influence .................................................................................................... 261

TRAVAUX DE LA COMMISSION ......................................................................... 263 CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. YVES FROMION, RAPPORTEUR ............................................................................................................ 283 ANNEXES ...................................................................................................................... 287 ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS......................................................................................................... 287 ANNEXE 2 : LISTE DES DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LES RAPPORTEURS......................................................................................................... 289 ANNEXE 3 : PRINCIPALES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES PRÉVUES EN AFRIQUE ..................................................................................................................... 297


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INTRODUCTION La mission d’information dont le prĂ©sent rapport prĂ©sente les conclusions s’inscrit pleinement dans le cadre de l’exercice, par notre commission, de ses prĂ©rogatives de contrĂŽle de l’action du Gouvernement. En effet, le champ d’investigation fixĂ© Ă  cette mission comprend deux grands ordres de dĂ©cisions prises par le Gouvernement, qui sont de la plus haute portĂ©e pour l’action et l’organisation de notre dĂ©fense nationale : – celle d’engager nos forces au Mali et en RĂ©publique centrafricaine, qui font de 2013 une des annĂ©es oĂč l’engagement de nos forces aura Ă©tĂ© des plus soutenu dans leur histoire rĂ©cente ; – celle de procĂ©der Ă  un remaniement complet et profond de notre dispositif militaire en Afrique. Cette seconde dĂ©cision vise Ă  mettre en Ɠuvre les orientations formulĂ©es en termes gĂ©nĂ©raux par le Livre blanc de 2013 sur la dĂ©fense et la sĂ©curitĂ© nationale, qui prĂ©voit qu’« une conversion de [nos] implantations sera rĂ©alisĂ©e afin de disposer de capacitĂ©s rĂ©actives et flexibles, Ă  mĂȘme de s’adapter aux rĂ©alitĂ©s et besoins Ă  venir du continent ». Le rapport annexĂ© Ă  la loi de programmation militaire pour les annĂ©es 2014 Ă  2019 apporte certaines prĂ©cisions. Il prĂ©voit ainsi une « rĂ©duction de 1 100 emplois dans les forces prĂ©positionnĂ©es et les outre-mer engagĂ©e dĂšs 2014 ». Il indique Ă©galement qu’« en accord avec les États concernĂ©s, la France maintiendra en Afrique des forces dĂ©ployĂ©es dans la bande sahĂ©lo-saharienne et sur les façades est et ouest africaines afin de contribuer activement Ă  la sĂ©curitĂ© de ce continent », prĂ©cisant que « ces dĂ©ploiements seront adaptĂ©s afin de disposer de capacitĂ©s rĂ©actives et flexibles en fonction de l’évolution des besoins ». Il ajoute enfin que « des actions de coopĂ©ration structurelle et opĂ©rationnelle permettront la consolidation des capacitĂ©s militaires et des architectures de sĂ©curitĂ© sous-rĂ©gionales africaines dans le cadre de l’Union africaine et, le cas Ă©chĂ©ant, la mise en Ɠuvre des rĂ©solutions des Nations unies et la protection des ressortissants français ». Ces deux sujets sont intrinsĂšquement liĂ©s : nos interventions sur le sol africain s’appuient sur notre dispositif prĂ©positionnĂ©, lequel en retour contribue Ă  la prĂ©vention des crises dans le cadre de notre politique de coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense. C’est la raison pour laquelle la mission d’information a fait le choix de les traiter conjointement. La premiĂšre partie du prĂ©sent rapport a ainsi pour objet d’analyser les vues et les dispositions du Gouvernement pour la rĂ©organisation de notre dispositif africain Ă  la lumiĂšre, d’une part, des premiers retours d’expĂ©rience et des perspectives d’évolution concernant nos opĂ©rations


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extĂ©rieures les plus rĂ©centes et, d’autre part, de l’évolution des menaces sur le continent africain. Qu’il s’agisse de la prĂ©sence ou de l’intervention des forces françaises ou bien de la coopĂ©ration, les rapporteurs ont pu constater que l’on en revenait toujours Ă  la question de savoir quelle est, aujourd’hui, la « politique africaine » de la France. Cette question principale renvoie en effet Ă  plusieurs autres interrogations : – quel rĂŽle la France s’assigne-t-elle dans les diffĂ©rentes sous-rĂ©gions de l’Afrique ? Quels intĂ©rĂȘts doit-elle y dĂ©fendre, et selon quelles modalitĂ©s ? – de quoi les Africains eux-mĂȘmes sont-ils demandeurs, qu’il s’agisse des États, de l’Union africaine et de ses sous-rĂ©gions ? – quel est le jeu des autres acteurs s’intĂ©ressant Ă  l’Afrique, qu’il s’agisse des EuropĂ©ens, de l’Union europĂ©enne et des États-Unis, de l’Organisation des Nations unies ou d’autres puissances, souvent qualifiĂ©es d’« Ă©mergentes » ? La seconde partie du prĂ©sent rapport a ainsi pour objet de contribuer Ă  dresser un bilan aussi objectif que possible de l’état des forces en prĂ©sence sur le continent africain, afin d’apprĂ©cier la place de la France dans ce jeu tantĂŽt coopĂ©ratif, tantĂŽt concurrentiel. Seule une telle apprĂ©ciation peut en effet donner une idĂ©e de ce que peut ĂȘtre, aujourd’hui, une vĂ©ritable « politique africaine » pour la France.


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PREMIÈRE PARTIE LA RÉORGANISATION ENGAGÉE DE NOS FORCES PRÉPOSITIONNÉES EN AFRIQUE : « POUR QUE TOUT RESTE COMME AVANT, IL FAUT QUE TOUT CHANGE » ? Pourquoi l’Afrique ? Plus de cinquante ans aprĂšs l’accession des pays d’Afrique Ă  l’indĂ©pendance, la France doit-elle encore y entretenir un dispositif militaire et y mener des interventions ? La rĂ©ponse est assurĂ©ment affirmative, mais pas pour n’importe quelles raisons. La France a non seulement toute lĂ©gitimitĂ© pour dĂ©fendre en Afrique ses intĂ©rĂȘts et ceux de ses amis et alliĂ©s. Plus encore, non seulement elle le peut, mais on pourrait mĂȘme dire qu’elle le doit : elle le doit Ă  elle-mĂȘme, pour protĂ©ger ses ressortissants et assumer les responsabilitĂ©s que lui confĂšrent son statut international et son aspiration Ă  l’autonomie stratĂ©gique, comme elle le doit Ă  ses partenaires africains. Mais si la France a la responsabilitĂ© d’intervenir dans la gestion des crises africaines et d’entretenir un dispositif militaire permanent permettant soit de les prĂ©venir, soit de les traiter de la façon la plus rĂ©active, ce n’est : – ni Ă  raison du fait que certains pays africains se sont trouvĂ©s placĂ©s un temps sous sa souverainetĂ©. Comme l’a fait observer aux rapporteurs le professeur Bertrand Badie : reconnaĂźtrait-on un droit de regard Ă  la Russie sur les affaires des États qui se sont sĂ©parĂ©s d’elle en 1991 au seul motif de ce passĂ© ? – ni Ă  des fins mercantilistes : il suffit pour s’en convaincre de se rappeler que mĂȘme dans les grands pays africains francophones, les parts de marchĂ© de la France ont Ă©tĂ© divisĂ©es par deux en une quinzaine d’annĂ©es (1). En revanche, la lĂ©gitimitĂ© de la prĂ©sence de la France en Afrique et de ses interventions dans la gestion des crises africaines rĂ©side ailleurs : – tel est l’intĂ©rĂȘt de la France, pour sa propre sĂ©curitĂ© et celle de ses ressortissants, y compris dans une logique de « dĂ©fense de l’avant » contre la menace terroriste ; – telle est la responsabilitĂ© de la France envers ceux de ses partenaires africains avec lesquelles elle a tissĂ©, et continue d’entretenir sous des formes sans cesse renouvelĂ©es, d’étroits liens de coopĂ©ration. (1) Pour une analyse dĂ©taillĂ©e de l’érosion continue des parts de marchĂ©s des entreprises françaises en Afrique, notamment au profit de « grands pays Ă©mergents » comme la Chine, on pourra utilement se rapporter au rapport intitulĂ© « L’Afrique est notre avenir », rĂ©digĂ© en 2013 par nos collĂšgues sĂ©nateurs Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel au nom du groupe de travail sur la prĂ©sence de la France dans une Afrique convoitĂ©e.



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I. NOTRE DISPOSITIF MILITAIRE EN AFRIQUE, QUI A FAIT LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ LORS DES OPÉRATIONS RÉCENTES, EST EN COURS DE RESTRUCTURATION

Sur la base des orientations trĂšs gĂ©nĂ©rales fixĂ©es par le Livre blanc, et dans le cadre des objectifs quantitatifs fixĂ©s par la loi de programmation militaire 2014-2019 – notamment en matiĂšre de dĂ©flation d’effectifs outre-mer et Ă  l’étranger –, le Gouvernement a entamĂ© une manƓuvre de reconfiguration du dispositif militaire en Afrique. Les rapporteurs se sont donc attachĂ©s Ă  Ă©tudier l’état actuel de ce dispositif, Ă  analyser son utilitĂ© au regard du dĂ©roulement des deux opĂ©rations extĂ©rieures les plus rĂ©centes – les opĂ©rations Serval au Mali et Sangaris en RĂ©publique centrafricaine –, Ă  Ă©tudier le nouveau schĂ©ma proposĂ© pour ce dispositif ainsi que ses modalitĂ©s de mise en Ɠuvre, pour Ă©valuer son adĂ©quation aux menaces actuelles et aux besoins de nos partenaires africains. A. UN DISPOSITIF MILITAIRE AUJOURD’HUI CONFIGURÉ POUR DEUX MISSIONS PRINCIPALES : OPÉRATIONS ET COOPÉRATION 1. Un rĂ©seau de points d’appui au service d’une double mission : opĂ©rations et coopĂ©ration

Pour apprĂ©cier l’état actuel de notre dispositif militaire en Afrique, on pourrait s’en tenir Ă  une dĂ©finition limitĂ©e de ce pĂ©rimĂštre, correspondant aux seules bases permanentes Ă©tablies sur le fondement d’accords de coopĂ©ration de dĂ©fense et oĂč sont stationnĂ©es des forces prĂ©positionnĂ©es. Les rapporteurs ont prĂ©fĂ©rĂ© faire le choix de considĂ©rer la prĂ©sence militaire française en Afrique dans son ensemble, comme un tout cohĂ©rent, qui comprend non seulement les prĂ©positionnements, mais Ă©galement les forces dĂ©ployĂ©es au titre d’opĂ©rations extĂ©rieures, parfois depuis plusieurs dĂ©cennies, ainsi que nos forces de souverainetĂ©, les moyens consacrĂ©s par la Marine nationale Ă  entretenir une prĂ©sence Ă  la mer au large des cĂŽtes africaines, ainsi que la base d’Abou-Dhabi, dont le fonctionnement est liĂ© Ă  celui de notre base de Djibouti. a. Cartographie du dispositif militaire français en Afrique Le dispositif militaire français en Afrique, ainsi compris, s’articule autour de quatre types de dĂ©ploiements : – des prĂ©positionnements, que ce soit de droit ou de fait – tel est le cas lorsque des opĂ©rations extĂ©rieures se poursuivent dans le temps et que les forces qui y sont affectĂ©es voient leurs missions Ă©voluer pour devenir assimilables Ă  celles d’un prĂ©positionnement « classique » ;


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– des opĂ©rations extĂ©rieures appelĂ©es Ă  rester ponctuelles ; – des forces de souverainetĂ© ; – des missions de prĂ©sence Ă  la mer. i. Des bases permanentes : les prĂ©positionnements de droit Aux termes des accords de coopĂ©ration et de dĂ©fense conclus avec plusieurs pays africains, la France entretient des forces prĂ©positionnĂ©es au sein de bases permanentes en trois points du continent : – au SĂ©nĂ©gal, avec les ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal (EFS) basĂ©s Ă  Dakar ; – au Gabon, avec les Forces françaises au Gabon (FFG) basĂ©es pour l’essentiel Ă  Libreville ; – Ă  Djibouti, avec les Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti (FFDj). Par ailleurs, comme les rapporteurs ont pu le constater sur place, la nouvelle base française d’Abou-Dhabi fonctionne « en vases communicants » avec, notamment, celle de Djibouti : leurs moyens peuvent basculer rapidement d’un point Ă  l’autre. À ce titre, il est donc utile de prendre en compte les Forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU) dans l’analyse du dispositif africain. Toutefois, ces forces prĂ©positionnĂ©es n’ont ni les mĂȘmes effectifs, ni exactement les mĂȘmes missions. Le tableau ci-aprĂšs prĂ©sente leurs effectifs. LES EFFECTIFS DES FORCES PRÉPOSITIONNÉES Implantation

Forces

Libreville (Gabon) Dakar (SĂ©nĂ©gal) Djibouti (Djibouti) Abou-Dhabi (Émirats arabes unis)

Forces françaises au Gabon ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal Forces françaises Ă  Djibouti Forces françaises aux Émirats arabes unis

Effectif approximatif

900 350 1 900 745

Source : informations recueillies par les rapporteurs lors de leurs déplacements.

S’agissant de leurs missions, il faut souligner que ces forces relĂšvent de deux catĂ©gories fonctionnelles de bases : – soit des « bases opĂ©rationnelles avancĂ©es » (BOA), comme celles de Libreville, de Djibouti et d’Abou-Dhabi ; – soit des « pĂŽles opĂ©rationnels de coopĂ©ration Ă  vocation rĂ©gionale » (POC), comme celui de Dakar. La diffĂ©rence entre ces deux catĂ©gories est moins juridique – toutes deux reposent sur des accords de coopĂ©ration en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense prĂ©voyant le stationnement de forces de prĂ©sence – que fonctionnelle. Elle rĂ©side


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en effet dans l’activitĂ© des forces : celle des ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal est centrĂ©e « Ă  plein-temps » sur la coopĂ©ration, tandis que les FFG ont une mission d’intervention qui peut primer sur leurs activitĂ©s de coopĂ©ration (cf. l’encadrĂ© ci-aprĂšs). Au demeurant, cette distinction est relativement rĂ©cente, puisque ce n’est qu’à compter de 2011, lorsque les Forces françaises du Cap Vert (FFCV) sont devenues les ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal (EFS), que cette nouvelle dĂ©nomination a correspondu Ă  un changement profond : ce qui Ă©tait traditionnellement une force de prĂ©sence a Ă©tĂ© converti en implantation militaire française consacrĂ©e principalement Ă  la coopĂ©ration. Cette restructuration a conduit notamment Ă  la dissolution du 23e bataillon d’infanterie de marine (23e BIMa). LES FORCES FRANÇAISES AU GABON : UNE BASE OPÉRATIONNELLE AVANCÉE (BOA) Lors de leur dĂ©placement au Gabon, les rapporteurs ont pu se rendre sur les diffĂ©rentes installations des Forces françaises au Gabon, pour en Ă©tudier la configuration, les missions et l’activitĂ©. 1. Un volume de forces limitĂ© Avec un effectif d’environ 900 militaires, les FFG constituent le plus important « rĂ©servoir de capacitĂ©s » de la France sur la cĂŽte occidentale de l’Afrique. Elles sont en effet armĂ©es principalement par : – le 6e bataillon d’infanterie de marine (BIMa), qui comprend notamment une compagnie parachutiste, une compagnie amphibie (qui participe Ă  des exercices dans le cadre de la mission Corymbe) et une composante blindĂ©e lĂ©gĂšre (avec six vĂ©hicules) ; – un dĂ©tachement de l’aviation lĂ©gĂšre de l’armĂ©e de terre, qui possĂšde quatre hĂ©licoptĂšres de manƓuvre Puma ; – un dĂ©tachement de l’armĂ©e de l’air, dotĂ© notamment d’un Transall et d’un CASA ; – un groupement de soutien de base de dĂ©fense ; – un dĂ©tachement logistique implantĂ© au Cameroun, au port de Douala. Comme le colonel Éric Rousselle, adjoint interarmĂ©es au commandant des FFG, l’a expliquĂ© aux rapporteurs, les FFG constituent une base opĂ©rationnelle avancĂ©e dotĂ©e d’une panoplie complĂšte de capacitĂ©s en nombre juste suffisant dans une posture rĂ©ellement opĂ©rationnelle, suivant une logique qu’il rĂ©sume ainsi : « de tout, un peu ». 2. Des infrastructures intĂ©ressantes Les FFG disposent de plusieurs infrastructures : – une base principale situĂ©e Ă  Libreville : le camp « de Gaulle ». Lors de leur dĂ©placement sur ce camp, les rapporteurs ont pu noter que si l’emprise avait l’inconvĂ©nient d’avoir une superficie relativement limitĂ©e – l’ambassadeur lui-mĂȘme observe que les militaires y sont « un peu Ă  l’étroit » –, elle n’en prĂ©sentait pas moins l’avantage d’ĂȘtre peu coĂ»teuse Ă  entretenir. En effet, elle appartient au patrimoine de la RĂ©publique française – qui ne verse donc aucun loyer – et sa compacitĂ© en limite les coĂ»ts de fonctionnement ; – sur l’aĂ©roport de Libreville, la base aĂ©rienne « Guy Pidoux », qui accueille le dĂ©tachement aĂ©rien des FFG. Les rapporteurs ont pu constater sur place le format trĂšs rĂ©duit de cette base, qu’il avait Ă©tĂ© envisagĂ© en 2008 de dĂ©velopper ; – non loin de Libreville, une installation d’entraĂźnement au combat en forĂȘt gabonaise relevant du centre d’aguerrissement outre-mer (CAOM) des FFG. Lors de leur dĂ©placement sur ce site, les rapporteurs ont pu mesurer la qualitĂ© des installations et de la


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formation qui y est dĂ©livrĂ©e, tant Ă  des militaires français qu’à des stagiaires africains entraĂźnĂ©s par les FFG au titre de leur mission de coopĂ©ration ; – une base de format trĂšs limitĂ©, le camp N’Tchorere implantĂ© Ă  Port-Gentil dans le cadre de l’opĂ©ration Requin visant Ă  assurer la protection de 3 000 ressortissants français lors d’un Ă©pisode de tensions politiques et sociales locales. Aujourd’hui armĂ©e par 32 personnels, cette base assure une prĂ©sence trĂšs rĂ©duite et sert d’installation d’aguerrissement au combat en mangrove ; – une « mission logistique » (MISLOG) dĂ©tachĂ©e au port de Douala, au Cameroun. ArmĂ©e par dix militaires seulement, elle est configurĂ©e de façon Ă  assurer le ravitaillement par la mer des FFG et des forces opĂ©rant en Afrique centrale – notamment la force Sangaris –, tout en assurant une certaine « discrĂ©tion » Ă  cette prĂ©sence française sur le sol camerounais : il a Ă©tĂ© indiquĂ© aux rapporteurs que les accords conclus avec le Cameroun limitent Ă  16 personnels l’effectif de ce dĂ©tachement, et leur interdisent le port de l’uniforme ; – un complexe de manƓuvre et de tir situĂ© sur les monts Mokekou. Bien qu’il soit situĂ© Ă  seulement 380 km de Libreville, ce complexe est assez difficile d’accĂšs : pour l’atteindre, il faut 10 heures de trajet en 4x4, et deux jours en convoi, et si sa piste d’atterrissage a pu ĂȘtre Ă©tendue Ă  1 000 mĂštres par le 25e rĂ©giment du gĂ©nie de l’air, elle n’est pas extensible dans la mesure nĂ©cessaire pour l’accueil de l’A400M. Toutefois, ce complexe, partagĂ© avec les forces armĂ©es gabonaises, est en voie de dĂ©veloppement et prĂ©sente l’intĂ©rĂȘt d’offrir une zone de manƓuvres et de tirs trĂšs Ă©tendue. Comme l’ambassadeur de France l’a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs, l’intĂ©rĂȘt de ces infrastructures tient Ă  ce que « la France y est chez elle » : soit elles appartiennent en propre Ă  l’État, soit elles sont mises Ă  la disposition des FFG par les Gabonais, qui accordent de grandes facilitĂ©s aux forces françaises. En effet, les accords de partenariat exemptent les FFG de toute taxe et de tout loyer ; de mĂȘme, le commandement des FFG juge « trĂšs pratique » la facilitĂ© accordĂ©e par la partie gabonaise permettant aux Français de se dĂ©placer armĂ©s sur le territoire gabonais. On notera par exemple que le Gabon n’exige aucune taxe assise sur les mouvements d’avions, alors que les Espagnols qui viennent renforcer les forces françaises (les rapporteurs ont d’ailleurs pu bĂ©nĂ©ficier du C-130 espagnol pour leurs propres dĂ©placements de Libreville Ă  Bangui) sont soumis Ă  ces taxes. 3. Une prĂ©sence apprĂ©ciĂ©e des Gabonais, trĂšs attachĂ©s Ă  la relation bilatĂ©rale Tant les responsables politiques et militaires gabonais rencontrĂ©s par les rapporteurs que l’ambassadeur de France et le commandement des FFG ont insistĂ© sur la grande qualitĂ© de la relation de coopĂ©ration franco-gabonaise en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense.

ii. Des opĂ©rations extĂ©rieures qui s’installent dans la durĂ©e : les prĂ©positionnements « de fait » Certaines forces françaises sont prĂ©sentes depuis longtemps – parfois plusieurs dĂ©cennies – sur le continent africain au titre d’opĂ©rations extĂ©rieures, tout en ayant vu leurs missions Ă©voluer au point d’ĂȘtre assimilables Ă  celles d’une base opĂ©rationnelle avancĂ©e accueillant les prĂ©positionnements « de droit » prĂ©citĂ©s. Tel est le cas notamment des forces des opĂ©rations Licorne en CĂŽte d’Ivoire, et Épervier au Tchad. La diffĂ©rence entre ces deux catĂ©gories de bases est ainsi d’ordre juridique, bien plus que fonctionnel. En effet, comme les rapporteurs ont pu l’observer lors de leur dĂ©placement en CĂŽtĂ© d’Ivoire, la force Licorne fonctionne


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aujourd’hui comme un prĂ©positionnement « de fait ». Sa mission n’est plus limitĂ©e la sĂ©curisation de la CĂŽte d’Ivoire, et son activitĂ© est celle d’un prĂ©positionnement classique : coopĂ©ration, rĂŽle de « rĂ©servoir de capacitĂ©s » pour les opĂ©rations extĂ©rieures menĂ©es dans la rĂ©gion – Ă  l’image de Serval –, etc. Comme il a Ă©tĂ© rappelĂ© aux rapporteurs, en application du Livre blanc de 2013, les missions de l’opĂ©ration Licorne ont d’ailleurs Ă©tĂ© expressĂ©ment Ă©tendues Ă  deux nouveaux domaines : – « participer sur ordre aux opĂ©rations nationales dans la sous-rĂ©gion avec un volume d’une unitĂ© de combat » ; – « contribuer au soutien des opĂ©rations dans la sous-rĂ©gion ». Les cartes et le graphique ci-aprĂšs illustrent l’évolution des activitĂ©s et des moyens de l’opĂ©ration Licorne. LES ZONES D’INTERVENTIONS RÉCENTES DE LA FORCE LICORNE

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Licorne).


— 20 — LE RÔLE DE LA FORCE LICORNE DANS L’OPÉRATION SERVAL

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Licorne).

L’ÉVOLUTION DES MOYENS DE LA FORCE LICORNE

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Licorne).


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L’encadrĂ© ci-aprĂšs prĂ©sente l’organisation et les missions du second de ces prĂ©positionnements « de fait » : l’opĂ©ration Épervier au Tchad. N’DJAMENA ET SES « SATELLITES » (FAYA-LARGEAU ET ABÉCHÉ) : LA FORCE ÉPERVIER, AU TCHAD L’opĂ©ration Épervier, opĂ©ration extĂ©rieure en cours au Tchad depuis 1986, peut ĂȘtre vue comme un prĂ©positionnement « de fait » au regard non seulement de sa durĂ©e, mais surtout du volume des forces, de ses missions et de son activitĂ©. 1. Les moyens de la force Épervier ● Ces moyens sont rĂ©partis sur trois sites principaux : – l’essentiel des 950 personnels constituant l’effectif de la force est concentrĂ© sur la base Adji KosseĂŻ Ă  N’Djamena, sur laquelle les rapporteurs se sont rendus. Cette base est attenante Ă  l’aĂ©roport de N’Djamena, constituĂ©e d’une « zone de vie » placĂ©e sous le seul contrĂŽle de la France, et d’une zone technico-opĂ©rationnelle partagĂ©e avec les forces armĂ©es tchadiennes ; – 20 personnels sont prĂ©sents en permanence Ă  Faya-Largeau, au sein d’une concession sĂ©parĂ©e par une dune de la piste de l’aĂ©roport local, dans une zone dont les rapporteurs ont pu apprĂ©cier sur place Ă  la fois l’intĂ©rĂȘt stratĂ©gique (du fait de sa position de « verrou » Ă  l’est, vers la frontiĂšre du Tchad avec la Lybie) comme la rudesse des conditions d’installation et de vie. Ce dĂ©tachement sert de simple point d’appui aux opĂ©rations menĂ©es par la force Épervier et il n’a pas la masse critique nĂ©cessaire pour mener seul des opĂ©rations ; – 100 personnels sont affectĂ©s Ă  AbĂ©chĂ©, oĂč une vaste concession sert Ă  stocker les moyens logistiques (tentes, carburant, nourriture) nĂ©cessaires Ă  l’accueil d’une compagnie renforcĂ©e (150 Ă  200 hommes) pour d’éventuelles opĂ©rations. Encore placĂ©e sous le statut d’OPEX, cette force est armĂ©e par des dĂ©tachements en mission de quatre mois, seul le commandant de la force et son adjoint restant un an sur place.


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Organisation de la force Épervier

Source : EMA (commandement de la force Épervier).

● Le dĂ©placement des rapporteurs sur diffĂ©rentes installations de l’opĂ©ration Épervier leur a permis de relever plusieurs points d’attention concernant l’organisation de la base KosseĂŻ : – les accords de partenariat sur le fondement desquels cette base a Ă©tĂ© concĂ©dĂ©e Ă  la France sont trĂšs succincts : de ce fait, les rĂšgles d’occupation des diffĂ©rents espaces de la zone technico-opĂ©rationnelle ne sont pas toujours claires. Si, comme le prĂ©sident de la RĂ©publique du Tchad Idriss DĂ©by Itno en a Ă©mis le souhait, ces accords devaient ĂȘtre renĂ©gociĂ©s, cette discussion offrirait une occasion de clarifier ces rĂšgles ; – avec la montĂ©e en puissance de l’armĂ©e de l’air tchadienne (qui dispose dĂ©sormais de douze chasseurs, d’une dizaine d’hĂ©licoptĂšres et d’une flottille gouvernementale), certaines zones sont saturĂ©es. Tel est notamment le cas des parkings, pour l’occupation desquels le dialogue est parfois « tendu » entre Tchadiens et Français. Ce manque d’espace conduit Ă  parquer parfois des avions de façon imbriquĂ©e, ce qui complique (et ralentit) considĂ©rablement les manƓuvres nĂ©cessaires Ă  leur mise en Ɠuvre ; – le prĂ©sident DĂ©by a Ă©voquĂ© l’idĂ©e de construire un nouvel aĂ©roport international Ă  proximitĂ© de N’Djamena, et de fermer l’actuel. Cela aurait pour consĂ©quence que la base KosseĂŻ devrait dĂ©mĂ©nager, ce qui entraĂźnerait de trĂšs lourdes dĂ©penses d’infrastructures. 2. Les missions de la force Épervier La force Épervier a plusieurs missions : ● la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts français au Tchad, et notamment l’évacuation des ressortissants français et europĂ©ens en cas de nĂ©cessitĂ©. Le colonel Paul Peugnet,


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commandant de la force Épervier, a rappelĂ© aux rapporteurs que cela avait Ă©tĂ© le cas en fĂ©vrier 2008, et que cela pourrait l’ĂȘtre de nouveau dans l’hypothĂšse, qui n’est pas improbable, oĂč la succession du prĂ©sident DĂ©by ne serait pas parfaitement organisĂ©e ; ● le recueil du renseignement, notamment au moyen de patrouilles de recherche en profondeur depuis les trois emprises de la force, et grĂące aux moyens de renseignement d’origine Ă©lectromagnĂ©tique (ROEM) et de renseignement d’origine « image » (ROIM) offerts par l’utilisation de « pods reco » sur les Rafale de la force. De plus, la direction du renseignement militaire loue les services d’une sociĂ©tĂ© luxembourgeoise qui lui fournit des avions Cesna 208 Caravan – une offre alternative française pourrait utilement sĂ©curiser cette opĂ©ration d’externalisation, compte tenu de la sensibilitĂ© de la matiĂšre. Aux termes des accords franco-tchadiens de coopĂ©ration technique, le renseignement recueilli est partagĂ© avec les Tchadiens, et les Français mĂšnent frĂ©quemment des missions de reconnaissance et d’acquisition de renseignement Ă  leur profit : lorsque la demande tchadienne est Ă©tayĂ©e par des indices suffisamment prĂ©cis, les rĂ©sultats peuvent ĂȘtre trĂšs substantiels. Ainsi, rĂ©cemment, 3 000 orpailleurs ont Ă©tĂ© dĂ©tectĂ©s ; ● l’appui aux opĂ©rations menĂ©es par la France dans la rĂ©gion. À ce titre, la force Épervier a contribuĂ© Ă  armer les premiers Ă©lĂ©ments de la force Serval en 2013 (avec son groupement « terre »), ainsi que ceux de la force Sangaris (avec le mĂȘme groupement, intĂ©grĂ© au GTIA Dragon). En mai 2014, Épervier avait ainsi rĂ©alisĂ© 800 missions de Rafale (4 500 heures), 220 missions de ravitailleur C 135 (1 300 heures) et 44 missions de C 130 (630 heures) au profit de Serval, et projetĂ© au Mali un Ă©tat-major tactique (du 21e RIMa), une compagnie motorisĂ©e (du 1er REC), un matĂ©riel de transport d’engin roues-canon (Pon-ERC - du 1er REC) et une section d’appui mortier (du 3e RAMa) ; ● la coopĂ©ration avec les forces tchadiennes, qui se traduit notamment par un soutien en matiĂšre de transport et par des cessions de carburant (6 000 m3 par an) et de divers matĂ©riels au profit des Tchadiens.

iii. Des opĂ©rations extĂ©rieures appelĂ©es Ă  rester ponctuelles ● Deux « vĂ©ritables » opĂ©rations extĂ©rieures sont en cours, mobilisant 3 800 personnels environ Ă  ce jour : – l’opĂ©ration Serval au Mali (depuis 2013), avec un effectif en dĂ©croissance, s’établissant aujourd’hui Ă  1 800 personnels mais appelĂ© Ă  se stabiliser autour d’un millier d’hommes, basĂ©s essentiellement Ă  Gao et Tessalit ; – les opĂ©rations Boali puis Sangaris en RĂ©publique centrafricaine : l’opĂ©ration Boali avait Ă©tĂ© lancĂ©e en soutien Ă  la mise en place de la force multinationale africaine en Centrafrique (FOMUC) avec 400 personnels environ, et Sangaris a pris son relais, avec 2 000 hommes Ă  ce jour. ● Il faut Ă©galement tenir compte de la prĂ©sence des forces spĂ©ciales, dĂ©ployĂ©es au Sahel dans le cadre de la task force Sabre, sur l’effectif desquelles le ministĂšre de la DĂ©fense ne communique pas. iv. Des missions de permanence Ă  la mer La France entretient actuellement une prĂ©sence Ă  la mer dans trois zones : la MĂ©diterranĂ©e, l’ocĂ©an Indien, et le Golfe de GuinĂ©e.


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‱ La mission Corymbe dans le Golfe de GuinĂ©e La mission Corymbe est un dispositif naval mis en place en 1990, qui assure la prĂ©sence permanente d’un bĂątiment français, au moins, dans le Golfe de GuinĂ©e. Comme l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, l’a indiquĂ© aux rapporteurs, « Corymbe reprĂ©sente une mission prioritaire pour la France », compte tenu des enjeux maritimes qui s’y attachent, de l’influence qu’elle peut en tirer, du nombre de ressortissants « que l’on ne peut extraire que par la mer » ainsi que du caractĂšre « crisogĂšne » de la rĂ©gion. Surtout, « la mer est le milieu le plus adaptĂ© pour couper les flux de trafics de drogue, de cigarettes, d’armes etc. qui nourrissent les mouvements rebelles Ă  terre ». En effet, le Golfe de GuinĂ©e offre un « large panel de crises maritimes » : pĂȘche illĂ©gale, drogue, et surtout la piraterie, phĂ©nomĂšne de plus en plus prĂ©gnant et marquĂ© par « des modes d’action de plus en plus violents, professionnels ». Ainsi, alors qu’auparavant, les attaques visaient surtout des supply ships et que les pirates s’en prenaient aux valeurs mais pas aux hommes, dĂ©sormais, les pĂ©troliers sont attaquĂ©s. Les trois attaques de pĂ©troliers les plus rĂ©centes, avec transfert de la cargaison, provenaient du NigĂ©ria, sans qu’il soit Ă©tabli Ă  ce stade si les pirates Ă©taient en lien ou non avec Boko Haram. De plus, on compte 75 000 ressortissants français Ă©tablis sur les cĂŽtes du Golfe de GuinĂ©e : les opĂ©rations d’évacuation des ressortissants (RESEVAC) constituent donc un enjeu maritime. Enfin, pour certaines opĂ©rations menĂ©es Ă  terre, la seule voie de ravitaillement possible est la mer. Tel a Ă©tĂ© le cas par exemple en 2011 en CĂŽte d’Ivoire, quand le prĂ©sident Laurent Gbagbo avait coupĂ© les voies terrestres d’approvisionnement de la force française Licorne, dĂ©ployĂ©e dans le pays. Face Ă  ces enjeux sĂ©curitaires, l’objet principal de la mission Corymbe consiste Ă  maintenir sur place une capacitĂ© d’évacuation immĂ©diate. Mais la permanence Ă  la mer permet de traiter aussi d’autres problĂšmes : – la piraterie, avec des avions de patrouille maritime et des frĂ©gates ; – l’alimentation logistique des troupes Ă  terre, comme par exemple au Mali ou en RĂ©publique centrafricaine, via le port de Douala, par des bĂątiments militaires ou des moyens civils affrĂ©tĂ©s mais escortĂ©s par la marine ; – la lutte contre la drogue et l’immigration illĂ©gale ; – la lutte contre la « pĂȘche illĂ©gale intensive », pour laquelle les États cĂŽtiers ont besoin de nos moyens afin d’embarquer leurs inspecteurs, comme cela a Ă©tĂ© le cas par exemple pour l’arraisonnement rĂ©cent d’un chalutier russe au large de Dakar.


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Les enjeux sĂ©curitaires de la zone ont ainsi conduit Ă  renouveler la mission Corymbe – on en est Ă  la 125e mission –, armĂ©e surtout de porte-hĂ©licoptĂšres et de bĂątiments de projection et de commandement (BPC). ‱ La prĂ©sence française dans l’OcĂ©an indien Comme l’amiral Bernard Rogel l’a rappelĂ© aux rapporteurs, l’ocĂ©an Indien comprend « quatre des sept points obligĂ©s du trafic maritime », d’oĂč une « forte mobilisation mondiale » que traduisent les opĂ©rations Ocean Shields, Atalanta, etc. La piraterie n’a pas disparu, mais elle est nettement rĂ©duite. Dans cette zone, la France dispose : – Ă  Djibouti (au titre des forces de prĂ©sence), d’un hub de renforcement logistique (armĂ© par 60 personnels) et de commandos de marine, pour lesquels Djibouti est une « zone d’entraĂźnement remarquable ». Le hub est ouvert Ă  d’autres puissances, ce qui en renforce la capacitĂ© d’influence. Le tout combine ainsi un point d’appui efficace et une capacitĂ© d’aĂ©rolargage Ă  la mer, qui fait de la France, parmi les puissances europĂ©ennes, « le seul pays capable de traiter des cas comme ceux du Ponant, du Tanit et du CarrĂ© d’as » ; – au sein des forces de souverainetĂ© Ă  Mayotte et Ă  La RĂ©union, de points d’appuis « trĂšs limitĂ©s », rĂ©duits Ă  de « simples hubs logistiques et portuaires » (103 marins et 11 civils) ; – Ă  Abou-Dhabi (au titre des forces de prĂ©sence), un hub logistique et portuaire armĂ© par 14 marins. Selon l’amiral Rogel, pour ce qui est des forces de souverainetĂ©, « le dispositif français est insuffisant » au regard des « Ă©normes enjeux » : une zone Ă©conomique exclusive (ZEE) « immense », des pĂȘches illĂ©gales, de la piraterie, de la prospection illĂ©gale de pĂ©trole (1), etc. Compte tenu des moyens disponibles, « il nous est impossible de tenir la ZEE : on s’en tient Ă  mener des opĂ©rations coup de poing » contre les thoniers notamment, mais cela laisse entier notre « vrai problĂšme de surveillance des frontiĂšres maritimes ». Le dispositif est marquĂ© par « des rĂ©ductions temporaires de capacitĂ©s partout » notamment concernant les patrouilleurs, ce que le report du programme BATSIMAR de 2014 Ă  2020 risque d’aggraver. Ainsi, on peut prĂ©senter les effectifs complets de notre dispositif militaire en Afrique, compris au sens large, comme le fait le tableau suivant.

(1) Le 9 septembre 2013, le « Pacific Falcon » navire de recherche sismique de pavillon singapourien et le navire de pĂȘche « Storm West » de pavillon norvĂ©gien ont Ă©tĂ© interceptĂ©s par la frĂ©gate de surveillance « NivĂŽse » en ZEE Bassas da India / Europa. Ces deux navires travaillaient de concert, en exploration sismique, a priori pour une sociĂ©tĂ© de capitaux europĂ©ens. Le « Pacific Falcon » a indiquĂ© avoir demandĂ© l’autorisation au Mozambique de mener ces explorations, prĂ©textant ne pas connaitre la ZEE revendiquĂ©e française. Il n’a pu produire la preuve de ce qu’il avançait.


— 26 — LES EFFECTIFS FRANÇAIS EN AFRIQUE HORS OPÉRATIONS EXTÉRIEURES « PONCTUELLES »

Effectif (environ) base opérationnelle avancée 900 pÎle opérationnel de coopération à vocation régionale 350 base opérationnelle avancée 1 900

Implantation

Statut

Libreville (Gabon) Dakar (SĂ©nĂ©gal) Djibouti (Djibouti) N’Djamena, AbĂ©chĂ© et Faya-Largeau (Tchad) Abidjan (CĂŽte d’Ivoire) sous-total Abou-Dhabi

OPEX Épervier (depuis 1986)

La Réunion et Mayotte Golfe de Guinée sous-total total

OPEX Licorne (depuis 2002) bases permanentes + OPEX de longue durĂ©e base opĂ©rationnelle avancĂ©e forces de souverainetĂ© (forces armĂ©es de la zone sud de l’ocĂ©an Indien – FAZSOI) mission Corymbe effectifs permanents autour de l’Afrique tout compris

950 450 4 550 745 1 900 320 2 965 7 515

NB : 260 marins français participent Ă©galement Ă  l’opĂ©ration europĂ©enne Atalanta de lutte contre l’insĂ©curitĂ© maritime au large de la Corne de l’Afrique. Source : informations recueillies par les rapporteurs lors de leurs dĂ©placements.

Il faut prĂ©ciser que l’on ne peut pas additionner les effectifs des forces françaises Ă©tablies en permanence en Afrique et ceux des forces qui y sont dĂ©ployĂ©es en opĂ©rations extĂ©rieures « ponctuelles » – 3 800 personnels environ pour les opĂ©rations Serval et Sangaris. En effet, une partie des personnels dĂ©ployĂ©s en opĂ©ration extĂ©rieure est issue des forces prĂ©positionnĂ©es. Ainsi, le lancement d’une opĂ©ration nouvelle a pour effet de « dĂ©garnir » les effectifs prĂ©positionnĂ©s, tant « de droit » – par exemple, le groupement « terre » de Libreville a Ă©tĂ© envoyĂ© en RĂ©publique centrafricaine – que « de fait » – par exemple, le groupement « terre » de N’Djamena envoyĂ© lui aussi en RCA. b. La double vocation de notre dispositif permanent en Afrique : opĂ©rations et coopĂ©ration Le dispositif militaire permanent de la France en Afrique, qui repose sur les prĂ©positionnements, sert Ă  mettre en Ɠuvre deux politiques distinctes : – une politique de coopĂ©ration opĂ©rationnelle ; – une politique de prĂ©sence en vue d’éventuelles interventions. À ce titre ont Ă©tĂ© identifiĂ©es deux structures administratives distinctes mais superposĂ©es : – les « zones de responsabilitĂ© principale » (ZRP) au titre des interventions, dont les forces titulaires sont compĂ©tentes pour la prĂ©paration et la conduite d’opĂ©rations ;


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– les « zones de responsabilitĂ© principale » au titre de la coopĂ©ration, qui correspondent aux sous-rĂ©gions africaines. i. Une sectorisation du continent africain pour les actions de coopĂ©ration Au titre de la politique de coopĂ©ration, le continent africain est sectorisĂ© en zones de responsabilitĂ© principale correspondant aux sous-rĂ©gions institutionnelles calquĂ©es largement sur les communautĂ©s Ă©conomiques rĂ©gionales. Pour l’Afrique francophone subsaharienne, il s’agit de : – la CommunautĂ© Ă©conomique du dĂ©veloppement des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en Afrique occidentale, la ZRP « coopĂ©ration » concernĂ©e s’étendant toutefois aussi sur la Mauritanie, qui n’est pas membre de la CEDEAO ; – la CommunautĂ© Ă©conomique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) en Afrique centrale. Cette sectorisation a Ă©tĂ© choisie et mise en Ɠuvre entre 2005 et 2007 au motif qu’elle correspond presque exactement Ă  l’architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ© (AAPS), qui fait une large place aux structures sous-rĂ©gionales. L’ARCHITECTURE AFRICAINE DE PAIX ET DE SÉCURITÉ (AAPS) L’Architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ© (AAPS) a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en 2002, sous la tutelle de l’Union africaine et des CommunautĂ©s Ă©conomiques rĂ©gionales. L’AAPS est un cadre constituĂ© d’accords lĂ©gislatifs formels, d’institutions et de processus de dĂ©cision, qui rĂ©gissent ensemble la prĂ©vention, la gestion et la rĂ©solution des conflits en Afrique. Ses composantes essentielles sont le Conseil de paix et de sĂ©curitĂ©, le Groupe des sages, la Force africaine en attente, le Fonds africain pour la paix et le systĂšme continental d’alerte rapide. Une Ă©valuation de l’AAPS rĂ©alisĂ©e en 2010 a saluĂ© les progrĂšs constants enregistrĂ©s depuis 2002. Cependant, le fonctionnement de certaines composantes reste partiel et l’architecture dans son ensemble demeure largement dĂ©pendante du financement extĂ©rieur.

Ainsi, depuis 2007, un commandement français a Ă©tĂ© dĂ©signĂ© pour chaque ZRP « coopĂ©ration », avec Ă  sa tĂȘte un officier gĂ©nĂ©ral. Comme le montre la carte ci-aprĂšs, il a Ă©tĂ© choisi de confier ces fonctions : – pour la ZRP « coopĂ©ration » correspondant Ă  la CEDEAO et Ă  la Mauritanie, au commandement des Forces françaises du Cap Vert (FFCV), devenues en 2011 les ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal (EFS) ; – pour la ZRP « coopĂ©ration » correspondant Ă  la CEEAC, au commandement des Troupes françaises au Gabon (TFG), devenues en 2007 les Forces françaises au Gabon (FFG).


— 28 — LES ZONES DE RESPONSABILITÉ PRINCIPALE AU TITRE DE LA COOPÉRATION

Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises au Gabon).

ii. Une sectorisation du continent africain pour la prĂ©paration et la conduite d’opĂ©rations Au titre de la prĂ©paration et de la conduite des interventions, des zones de responsabilitĂ© principale « intervention » ont Ă©tĂ© dĂ©finies et attribuĂ©es aux forces de prĂ©sence ou de souverainetĂ© de la zone, comme le montre la carte ci-aprĂšs. Ainsi, une ZRP « intervention » couvrant Ă  la fois la CEDAO et la CEEAC – ainsi que la Mauritanie – a Ă©tĂ© dĂ©limitĂ©e en 2011 dans le cadre de la restructuration des forces de prĂ©sence programmĂ©e par le Livre blanc de 2008. Les Forces françaises au Gabon ont alors Ă©tĂ© choisies pour ĂȘtre la base opĂ©rationnelle avancĂ©e qui en constitue le pivot ; leurs missions ont Ă©tĂ© revues en ce sens.


— 29 — LES ZONES DE RESPONSABILITÉ PRINCIPALE AU TITRE DES INTERVENTIONS

Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises au Gabon).

iii. Des missions parfois confondues La relative complexitĂ© de l’analyse de notre dispositif militaire actuel en Afrique, tient Ă  ce que les mĂȘmes bases peuvent cumuler une ZRP « coopĂ©ration » et une ZRP « intervention ». Tel est le cas des Forces françaises au Gabon, dont les missions cumulent : – des fonctions qui relĂšvent de la politique de coopĂ©ration Ă  l’échelle de la ZRP « coopĂ©ration » correspondant Ă  la CEEAC ; – des fonctions qui relĂšvent de la prĂ©paration et de la conduite des opĂ©rations dans la ZRP « intervention » dans l’Afrique de l’Ouest. La carte ci-aprĂšs illustre cette superposition de fonctions.


— 30 — LES ZRP « COOPÉRATION » ET « INTERVENTION » EN AFRIQUE DE L’OUEST

Dakar (EFS)

Libreville (FFG)

Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises au Gabon).

LES MISSIONS DES FORCES FRANÇAISES AU GABON En plus des ZRP « coopĂ©ration » et « intervention » dont elles sont le pivot, les Forces françaises au Gabon entretiennent et animent un Centre d’aguerrissement outre-mer (CAOM) qui sert Ă  l’entraĂźnement des forces françaises. Le schĂ©ma ci-aprĂšs prĂ©sente ainsi l’étendue de leurs missions actuelles :

Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises au Gabon).


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Les diffĂ©rents dĂ©placements des rapporteurs ont permis de mettre en lumiĂšre certaines limites dans la mise en Ɠuvre pratique de l’articulation thĂ©orique des diffĂ©rentes zones de responsabilitĂ© actuelles : ● Lors de l’opĂ©ration Serval, c’est l’état-major des ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal qui a armĂ© le noyau de la force projetĂ©e, et non celui des Forces françaises au Gabon, alors mĂȘme que le Mali relevait de leur ZRP « intervention ». ● Si le fait de confier aux mĂȘmes forces une double mission de coopĂ©ration et d’intervention est pleinement justifiĂ© par l’impĂ©ratif d’optimisation des moyens militaires français prĂ©sents sur le sol africain, il n’en demeure pas moins que l’une de ces missions peut prendre le pas sur l’autre. Ainsi, selon les indications fournies aux rapporteurs par le commandement des Forces françaises au Gabon, la mobilisation d’une large partie des capacitĂ©s des FFG – y compris son Ă©tat-major – au profit de l’opĂ©ration Sangaris se traduit par une nette rĂ©duction du volume de formations offertes aux Gabonais et aux autres pays de la mĂȘme ZRP « coopĂ©ration ». 2. Les opĂ©rations Serval et Sangaris ont montrĂ© l’efficacitĂ© de cette architecture, en complĂ©ment de capacitĂ©s de projection rapide

Comme l’ont montrĂ© les opĂ©rations rĂ©centes, le dispositif prĂ©positionnĂ© en Afrique n’offre Ă  la France de capacitĂ©s d’intervention dans des crises majeures que s’il est combinĂ© avec des capacitĂ©s de projection rapide et d’entraĂźnement de nos partenaires africains. a. L’importance des prĂ©positionnements pour la rĂ©activitĂ© des forces i. Les prĂ©positionnements ont jouĂ© un rĂŽle clĂ© dans le dĂ©clenchement des opĂ©rations Serval et Sangaris en 2013 Lors de son audition par les rapporteurs, le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major de l’armĂ©e de terre, a procĂ©dĂ© Ă  une analyse approfondie de l’utilitĂ© des prĂ©positionnements pour la rĂ©activitĂ© des forces françaises, c’est-Ă dire pour leur capacitĂ©, d’une part, Ă  intervenir « au coup de sifflet » dans une crise et, d’autre part, Ă  accueillir des renforts dans des conditions les rendant opĂ©rationnels dans de trĂšs brefs dĂ©lais. Le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre s’est exprimĂ© dans les termes suivants : « j’observe, dans un cas comme dans l’autre, que ce sont des forces de prĂ©sence de notre dispositif en Afrique qui sont intervenues en toute urgence, avec un certain succĂšs d’ailleurs ». Pour l’opĂ©ration Serval, Ă  partir du 12 janvier 2013 du Tchad, de CĂŽte d’Ivoire et du SĂ©nĂ©gal, les unitĂ©s qui y Ă©taient prĂ©positionnĂ©es ont convergĂ© vers le Mali. Constituant un « groupement tactique de circonstance », en liaison avec les forces spĂ©ciales et avec le soutien de l’armĂ©e de l’air, elles ont « sĂ©curisĂ© les milliers de ressortissants français et Ă©trangers et contribuĂ© Ă  arrĂȘter puis Ă  repousser l’offensive djihadiste ». En RĂ©publique centrafricaine, « compte tenu de l’urgence de la situation humanitaire, c’est peu


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ou prou le mĂȘme scĂ©nario qui s’est dĂ©roulĂ© avec un succĂšs comparable Ă  celui obtenu au Mali ». ComposĂ©e Ă  partir du dĂ©tachement prĂ©sent dans le cadre de l’opĂ©ration Boali, « agrĂ©geant des unitĂ©s venues de Libreville, du Tchad, puis un peu plus tard de Djibouti, et commandĂ© par un Ă©tat-major armĂ© par les forces françaises du Gabon », l’opĂ©ration Sangaris « a permis d’éviter que le pire ne se produise en Centrafrique ». Il a aussi fait valoir que « cette libertĂ© dont dispose la France de pouvoir agir avec ses forces terrestres partout oĂč elle l’estime nĂ©cessaire, Ă  partir de bases dissĂ©minĂ©es sur les points du globe qui lui sont stratĂ©giques reste donc un atout de tout premier ordre, et mĂȘme un facteur de puissance qui la caractĂ©rise et qui lui est enviĂ© par ses AlliĂ©s ». Pour le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre, « nos forces prĂ©positionnĂ©es restent naturellement les mieux placĂ©es pour intervenir en premier, et faire face Ă  l’urgence absolue car elles disposent pour cela d’atouts difficilement remplaçables », parmi lesquels il relĂšve notamment : – la stabilitĂ© de leur base logistique ; – la permanence de leurs moyens de commandement ; – et la prĂ©sence en nombre adaptĂ© d’unitĂ©s Ă©quipĂ©es et entraĂźnĂ©es. Ces avantages font de ces forces « des outils opĂ©rationnels Ă  l’efficacitĂ© Ă©prouvĂ©e ». L’expĂ©rience des opĂ©rations Serval et Sangaris montre ainsi Ă  ses yeux que « l’excellente connaissance d’un milieu humain complexe et changeant et d’un environnement gĂ©ographique exigeant, qu’elles acquiĂšrent au fil du temps au contact du continent, constituent un gage d’efficacitĂ© inapprĂ©ciable ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces forces prĂ©positionnĂ©es ont Ă©tĂ© dans le passĂ©, et continuent Ă  ĂȘtre aujourd’hui, employĂ©es prioritairement pour rĂ©agir lorsque la situation sĂ©curitaire d’un pays africain impose que nous mettions Ă  l’abri nos ressortissants, avec ceux des pays qui nous le demandent. Et le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux de conclure que « la protection des 270 000 citoyens français rĂ©sidant sur le continent africain, et les obligations que nous avons dans ce domaine vis-Ă -vis des ressortissants Ă©trangers, en particulier europĂ©ens et nord-amĂ©ricains, imposent que nous disposions de forces implantĂ©es et structurĂ©es pour pouvoir assumer ce volet essentiel de notre dĂ©fense ». Lors de leurs dĂ©placements auprĂšs des forces prĂ©positionnĂ©es, les rapporteurs ont pu Ă©tudier en dĂ©tail la façon dont l’ensemble de ces forces ont contribuĂ© au lancement des opĂ©rations Serval et Sangaris. Il en ressort que, dans le « fuseau ouest » de la bande sahĂ©lo-saharienne, les installations de la force Licorne ont indiscutablement jouĂ© un rĂŽle crucial dans l’armement des premiers Ă©lĂ©ments de la force Serval, en raison des capacitĂ©s du camp de Port-BouĂ«t, vĂ©ritable base logistique de la sous-rĂ©gion. Les installations


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de Dakar ont Ă©galement servi, dans une moindre mesure. Selon l’état-major de l’armĂ©e de terre, Dakar en effet « offre une possibilitĂ© de variantement dans l’accĂšs Ă  la bande sahĂ©lo-saharienne avec des capacitĂ©s un peu moindres », la « plateforme » Ă©tant jugĂ©e « moins pratique » que celle d’Abidjan. Par ailleurs, si les Forces françaises au Gabon n’ont pas Ă©tĂ© sollicitĂ©es, c’est parce qu’elles Ă©taient alors utilisĂ©es alors comme rĂ©serve opĂ©rative de la sous-rĂ©gion, oĂč la RĂ©publique centrafricaine Ă©tait entrĂ©e dans sa phase d’instabilitĂ©. Pour ce qui est du « fuseau est » de la bande sahĂ©lo-saharienne, le port de Douala au Cameroun est vu comme la meilleure « porte d’accĂšs Ă  l’Est de la bande sahĂ©lo-saharienne et Ă  la RĂ©publique centrafricaine » ainsi que pour le Tchad, notamment car il existe une ligne de chemin de fer permettant de rallier N’Djamena. Pour l’état-major de l’armĂ©e de terre, « vu sous l’angle logistique et des voies de communication, Libreville est beaucoup moins pratique ». S’agissant enfin de l’Afrique de l’Est, Djibouti constitue Ă  l’évidence un point d’intĂ©rĂȘt stratĂ©gique majeur. ii. Les prĂ©positionnements ne permettent toutefois d’intervenir dans une crise majeure que s’ils s’articulent avec un dispositif de projection rapide de forces L’étude des mouvements d’unitĂ©s nĂ©cessaires Ă  la constitution des forces Serval et Sangaris montre clairement que toutes les forces prĂ©positionnĂ©es en Afrique, si elles ont Ă©tĂ© et sont capables d’intervenir avec un Ă©lĂ©ment de commandement et un Ă©lĂ©ment de combat, ne permettent pas de constituer davantage qu’un sous-groupement tactique interarmes (SGTIA), appuyĂ© par l’armĂ©e de l’air et Ă©ventuellement les forces spĂ©ciales. Les prĂ©cisions fournies aux rapporteurs par l’état-major de l’armĂ©e de terre le confirment : « compte tenu des tĂąches ancillaires, aucun de ces thĂ©Ăątres ne peut projeter un groupement tactique interarmes (GTIA) complet sans renforcement d’unitĂ©s de force-protection ». C’est pourquoi, devant les rapporteurs, le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a estimĂ© que l’action des unitĂ©s prĂ©positionnĂ©es « ne suffit cependant pas toujours Ă  Ă©teindre les foyers de crise les plus brĂ»lants ». C’est lĂ  que rĂ©side tout l’intĂ©rĂȘt d’une bonne articulation entre ces unitĂ©s et le dispositif « GuĂ©pard nouvelle gĂ©nĂ©ration », « que le Livre blanc interarmise en Ă©chelon national d’urgence, ce qui consiste justement Ă  mettre sur pied une capacitĂ© d’intervention rapide, capable dans des dĂ©lais trĂšs brefs d’intervenir en premier ou de renforcer une force prĂ©-dĂ©ployĂ©e dans l’urgence ». Le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux a fait valoir que « l’armĂ©e de terre consacre d’ailleurs des ressources substantielles pour conditionner les matĂ©riels, Ă©quiper le personnel, et surtout prĂ©parer Ă  l’engagement ces unitĂ©s constituĂ©es ». Il en a conclu Ă  la nĂ©cessitĂ© de conserver un Ă©quilibre satisfaisant entre le dispositif prĂ©positionnĂ© et l’échelon national d’urgence : « ne pas utiliser Ă  bon escient le GuĂ©pard nouvelle gĂ©nĂ©ration reviendrait presque Ă  dĂ©soptimiser un


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systĂšme pourtant conçu pour rentabiliser au mieux l’emploi de ressources comptĂ©es », concluant : « je considĂšre donc pour ma part que l’engagement de forces prĂ©-positionnĂ©es est parfaitement complĂ©mentaire avec l’emploi du GuĂ©pard qui a vocation Ă  ĂȘtre dĂ©clenchĂ© sitĂŽt que la situation opĂ©rationnelle exige un renforcement ». L’équilibre de notre dispositif militaire en Afrique et sa crĂ©dibilitĂ© vis-Ă -vis des pays dans lesquels nos forces sont stationnĂ©es et avec lesquels nous avons des accords de dĂ©fense repose d’ailleurs sur une certaine permanence de la prĂ©sence de ces unitĂ©s dans leur base. Le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a fait observer aux rapporteurs que cette synergie a Ă©tĂ© « bien observĂ©e par nos alliĂ©s, en particulier britanniques mais aussi amĂ©ricains », qui voient qu’elle permet « d’augmenter la rĂ©activitĂ© des forces (forces acclimatĂ©es et forces en alerte sont toutes disponibles Ă  48 heures) et d’atteindre rapidement la masse critique nĂ©cessaire pour obtenir un effet tactique ». LE DISPOSITIF GUÉPARD NOUVELLE GÉNÉRATION Preuve de sa pertinence, le dispositif GuĂ©pard nouvelle gĂ©nĂ©ration a Ă©tĂ© engagĂ© huit fois, en tout ou partie, au cours de l’annĂ©e 2013. La rĂ©activitĂ© et la qualitĂ© du dispositif sont reconnues internationalement. Il garantit au CEMA des modules parfaitement cohĂ©rents (Ă©lĂ©ments numĂ©risĂ©s au format organique, respect de la doctrine, donnĂ©es logistiques intĂ©grĂ©es, stocks prĂȘts, etc.), Ă  100 % de leur capacitĂ© opĂ©rationnelle et certifiĂ©s en ce sens par l’armĂ©e de terre, dans des dĂ©lais contractuels. VĂ©ritable boĂźte Ă  outils, le dispositif permet de choisir les modules adaptĂ©s aux besoins prĂ©cis de l’opĂ©ration (OAP, action amphibie, engagement blindĂ©, chaĂźne logistique adaptĂ©e au type de manƓuvre, etc.), ce dispositif couvrant l’ensemble du spectre des capacitĂ©s opĂ©rationnelles disponible dans l’armĂ©e de terre. Le GuĂ©pard garantit ainsi Ă  la fois des effectifs et des Ă©quipements efficaces, disponibles et soutenus. Le dispositif a Ă©tĂ© adaptĂ© aux nouveaux besoins de l’échelon national d’urgence, tout en conservant les principes qui en fondent l’efficacitĂ©. Source : État-major de l’armĂ©e de terre.

iii. Les opĂ©rations Serval et Sangaris ont montrĂ© l’importance d’une bonne articulation entre les forces conventionnelles et les forces spĂ©ciales L’articulation des forces spĂ©ciales – dont certains Ă©lĂ©ments sont dĂ©ployĂ©s en Afrique dans le cadre de la task force Sabre – et des forces conventionnelles, y compris prĂ©positionnĂ©es, ressort de l’expĂ©rience des opĂ©rations Serval et Sangaris comme l’un des Ă©lĂ©ments-clĂ©s de la rĂ©ussite d’une opĂ©ration en gĂ©nĂ©ral, et de la rĂ©activitĂ© des forces dans la premiĂšre phase de l’opĂ©ration en particulier. En effet, ces deux composantes partagent le mĂȘme thĂ©Ăątre, concourant Ă  un objectif stratĂ©gique commun, mĂȘme si elles agissent dans un rĂ©fĂ©rentiel de missions et de partenariats parfois diffĂ©rents. Et, comme l’état-major de l’armĂ©e de terre l’a indiquĂ© aux rapporteurs, « dans les microconflits africains, les forces spĂ©ciales ont offert des capacitĂ©s de rĂ©action et des moyens complĂ©mentaires de ceux des forces conventionnelles, pour la sauvegarde de nos ressortissants, mais aussi par des actions multiformes allant du conseil et de la formation de troupes


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Ă©trangĂšres jusqu’à l’action coercitive ». Tel a Ă©tĂ© le cas en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, lors de l’opĂ©ration Artemis, ou plus rĂ©cemment en RĂ©publique de CĂŽte d’Ivoire. Il ressort des entretiens et des observations des rapporteurs que la coordination entre forces conventionnelles et forces spĂ©ciales n’a pas toujours Ă©tĂ© simple, mais qu’elle a atteint un haut degrĂ© d’efficacitĂ© avec les opĂ©rations Serval et Sangaris. Ainsi, dans la bande sahĂ©lo-saharienne (BSS), les forces spĂ©ciales et conventionnelles font la dĂ©monstration de leur complĂ©mentaritĂ© : – dans les objectifs tactiques : contre-terrorisme pour les forces spĂ©ciales, appui des forces africaines et gestion de l’environnement humain pour les forces conventionnelles ; – dans les modes d’action : « effets de double lame », complĂ©mentaritĂ© logistique, partage de ressources matĂ©rielles, notamment pour ce qui concerne les moyens d’intelligence, surveillance et reconnaissance (ISR) et d’aĂ©romobilitĂ©. Le gĂ©nĂ©ral commandant des opĂ©rations spĂ©ciales (GCOS), GrĂ©goire de Saint-Quentin, a d’ailleurs indiquĂ© que cette articulation constituait l’un des sujets de rĂ©flexion les plus actuels ; un colloque se tiendra d’ailleurs bientĂŽt sur le sujet. Pour lui, « le « fait forces spĂ©ciales » est avĂ©rĂ© aujourd’hui » : la loi de programmation militaire 2014-2019 le prend en compte, il est intĂ©grĂ© au dispositif gĂ©nĂ©ral de dĂ©fense, et le GCOS est consultĂ© sur tous les dĂ©ploiements opĂ©rationnels. Le gĂ©nĂ©ral GrĂ©goire de Saint-Quentin a relevĂ© que d’incontestables progrĂšs ont Ă©tĂ© accomplis depuis quinze ans dans la conception et l’emploi de l’outil que constituent les forces spĂ©ciales, notamment au grĂ© de leur utilisation sur le sol africain. On observe ainsi une « trajectoire ascendante dans la comprĂ©hension de ce que les forces spĂ©ciales apportent, ou ne sont pas faites pour apporter ». Pour lui, la relation entre forces spĂ©ciales et forces conventionnelles a « mĂ»ri sur le terrain », et l’opĂ©ration Serval a marquĂ© Ă  cet Ă©gard « un tournant ». Le Mali constituait en effet un « contexte d’emploi idĂ©al » : tous les modes d’action des forces spĂ©ciales ont Ă©tĂ© mis en Ɠuvre, Ă  l’exception des savoirs faire maritimes. Commandant de la force Serval, il a constatĂ© qu’au dĂ©but de cette opĂ©ration, il y a eu un moment oĂč forces spĂ©ciales et forces conventionnelles « se sont marchĂ©s sur les pieds », car le poste de commandement interarmĂ©es de thĂ©Ăątre (PCIAT) n’était pas encore en mesure d’assurer la coordination – il avait Ă  organiser en parallĂšle l’action militaire, le dĂ©fi logistique et l’appui intense Ă  fournir Ă  la MISCA – mais peu Ă  peu, l’articulation est devenue « totalement fluide ». Selon le GCOS, l’articulation entre les forces spĂ©ciales et les forces conventionnelles ressort clarifiĂ©e de l’opĂ©ration Serval :


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– forces spĂ©ciales et forces conventionnelles ont des « modes d’emploi diffĂ©rents, pour des buts diffĂ©rents », tout en partageant un thĂ©Ăątre et un Ă©tat final recherchĂ©. « Ce qui a pu semer le trouble dans le passĂ©, c’est qu’on pensait que la force opĂ©rationnelle terrestre (FOT) et les forces spĂ©ciales Ă©taient faites pour remplir la mĂȘme mission ». Et ce n’est pas une question de valeur militaire : « la composante terrestre dans l’AmettetaĂŻ n’a pas Ă©tĂ© moins valeureuse que les forces spĂ©ciales ! » ; – le cadre d’emploi des forces spĂ©ciales, leur « espace-temps » et les « partenariats nouĂ©s » ne sont pas les mĂȘmes que ceux de la force opĂ©rationnelle terrestre. Il faut « dĂ©passer les chicailleries de villages gaulois » et Ă©viter de « superposer les forces ». En vĂ©ritĂ©, le rĂŽle des forces spĂ©ciales consiste Ă  « ouvrir les portes » et celui de la force opĂ©rationnelle terrestre Ă  « rĂ©duire l’adversaire » (au moins dans premiĂšre phase d’une opĂ©ration comme Serval) : « Ă  partir du moment oĂč l’on comprend cela, il n’y pas d’opposition entre forces spĂ©ciales et forces conventionnelles » ; – loin d’ĂȘtre Ă  opposer, forces spĂ©ciales et forces conventionnelles se sont rĂ©vĂ©lĂ©es complĂ©mentaires au Mali, notamment parce que « l’action des forces spĂ©ciales en matiĂšre de contre-terrorisme ne serait pas possible sans Serval en back-up ». Certes, les forces spĂ©ciales sont « prioritaires dans l’allocation des moyens » (par exemple pour se faire attribuer un hĂ©licoptĂšre de combat quand un de ceux qu’elles ont en propre est indisponible), mais cela fonctionne « parfois dans les deux sens ». Serval fournit un soutien indispensable aux forces spĂ©ciales. La « clĂ© du thĂ©Ăątre malien est en effet la rapiditĂ© », face Ă  des groupes armĂ©s terroristes « furtifs » ; le rĂŽle des forces spĂ©ciales est ainsi de « bondir de base en base pour s’approcher de la cible », ce qui suppose que Serval les accueille temporairement. La montĂ©e en puissance des forces spĂ©ciales planifiĂ©e par le Livre blanc de 2013 offre ainsi une occasion historique d’aller plus loin encore dans la recherche d’une meilleure articulation entre forces spĂ©ciales et forces conventionnelles, articulation qui passe par la mise en place de partenariats Ă©troits entre certaines unitĂ©s conventionnelles – notamment celles qui opĂšrent le plus en Afrique – et les diffĂ©rentes composantes des forces spĂ©ciales. L’encadrĂ© ci-aprĂšs prĂ©sente le dĂ©tail de ces enjeux. L’ARTICULATION ENTRE FORCES SPÉCIALES ET FORCES CONVENTIONNELLES, Y COMPRIS SUR LE TERRAIN AFRICAIN, DANS LE CADRE DU RENFORCEMENT DE NOS FORCES SPÉCIALES PRÉVU PAR LE LIVRE BLANC Le Livre blanc et la LPM prĂ©voient de porter les effectifs des forces spĂ©ciales de 3000 Ă  4000 hommes. Pour le gĂ©nĂ©ral GrĂ©goire de Saint-Quentin, « une non-dĂ©flation dans la DĂ©fense aujourd’hui, c’est dĂ©jĂ  de la discrimination positive, alors une augmentation, c’est vraiment bien ». Pour conduire celle-ci, « on ne raisonne pas en termes de ressource Ă  dĂ©penser », mais suivant d’autres paramĂštres : – « si on a obtenu cette reconnaissance, c’est que le saut qualitatif entrepris est rĂ©ussi et qu’il a mĂȘme crĂ©Ă© des attentes : on ne va pas passer du qualitatif au quantitatif » :


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aussi, l’idĂ©e de « basculer une unitĂ© existante dans les forces spĂ©ciales » serait une erreur conduisant Ă  une perte de qualitĂ©, « car il faut une gĂ©nĂ©ration pour acquĂ©rir la culture forces spĂ©ciales ». En outre, « il y a plusieurs points sur lesquels nous ne sommes dĂ©jĂ  pas totalement bien Ă©quipĂ©s : il ne servirait Ă  rien de recruter sans dĂ©lai 1 000 hommes de plus sans pouvoir les Ă©quiper de matĂ©riels adĂ©quats » ; – la ligne directrice consiste plutĂŽt Ă  « densifier ce que nous avons », et Ă  « rĂ©pondre Ă  des capacitĂ©s insuffisantes ». Il est ainsi prĂ©vu de : 1./ augmenter les moyens de commandement ; 2./ renforcer les unitĂ©s de forces spĂ©ciales, notamment Ă  travers un effort en ressources humaines qui devra ĂȘtre consacrĂ© Ă©galement au soutien opĂ©rationnel. L’un des principaux points faibles actuels des forces spĂ©ciales rĂ©side en effet dans leur capacitĂ© Ă  gĂ©nĂ©rer une bonne disponibilitĂ© technique de leurs hĂ©licoptĂšres, cet Ă©quipement Ă©tant indispensable pour crĂ©er l’effet de surprise sur grandes Ă©longations- : l’effort portera ainsi, entre autres, sur le renforcement des maintenanciers du 4° rĂ©giment d’hĂ©licoptĂšres des forces spĂ©ciales (4e RHFS). 3./ Ă©largir le spectre des capacitĂ©s utilisĂ©es en opĂ©rations spĂ©ciales ; Certaines capacitĂ©s « n’ont pas besoin d’ĂȘtre dĂ©tenus en propre par les forces spĂ©ciales ». L’idĂ©e gĂ©nĂ©rale consiste donc Ă  « abonner » des unitĂ©s conventionnelles pour qu’elles travaillent rĂ©guliĂšrement avec des unitĂ©s appartenant aux forces spĂ©ciales. Les commandants des unitĂ©s conventionnelles « jouent le jeu », car ces partenariats « tirent le niveau vers le haut ». L’intĂ©rĂȘt, pour les forces spĂ©ciales, rĂ©side en ce qu’elles peuvent ainsi s’entraĂźner avec des personnels « dont elles ont besoin pour les opĂ©rations spĂ©ciales, mais qui n’ont pas besoin de faire partie des forces spĂ©ciales ». Dans cette optique, il s’agit pour le COS d’identifier ce que les armĂ©es peuvent lui apporter comme compĂ©tences et comme capacitĂ©s. Le COS n’a nullement l’intention de se poser en « 4e armĂ©e » – d’ailleurs, mĂȘme aux États-Unis oĂč les forces spĂ©ciales sont trĂšs autonomes, elles s’appuient sur les trois armĂ©es. Il faut Ă©galement Ă©viter un « risque de course Ă  l’échalote », qui consisterait Ă  ce que les unitĂ©s qui coopĂšrent avec le COS deviennent dĂ©raisonnablement ambitieuses dans l’expression de leurs besoins d’équipements. Autre enjeu : il faut progresser dans l’harmonisation des Ă©quipements entre les armĂ©es pour les unitĂ©s qui participent aux forces spĂ©ciales : elles gagneraient Ă  ce que leurs Ă©quipements entrent en dotation « de façon synchronisĂ©e », et qu’ils soient « interchangeables et interopĂ©rables ».

En outre, il ressort des observations des rapporteurs que l’un des grands progrĂšs accomplis avec la task force Sabre tient Ă  une meilleure articulation des forces spĂ©ciales et de la DGSE, avec un effort d’intĂ©gration et de partage du renseignement dans une dynamique contre-terroriste. Cette « dynamique interagences » a Ă©tĂ© l’un des grands enjeux de Sabre, et cet enjeu sera encore plus crucial avec le traitement des problĂšmes potentiels dans des zones de conflit oĂč il y a beaucoup plus de nationaux français qu’au Sahel.


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b. L’importance de liens Ă©troits de partenariat pour susciter la mobilisation des États africains Dans leur rapport sur l’opĂ©ration Serval au Mali, nos collĂšgues Christophe Guilloteau et Philippe Nauche (1) ont bien mis en exergue la capacitĂ© d’entraĂźnement dont a fait preuve la France auprĂšs de ses partenaires africains pour la gĂ©nĂ©ration, relativement rapide, de la force de la CEDEAO dite Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), ainsi que du Tchad, dont l’appui a Ă©tĂ© dĂ©terminant lors des combats dans l’Adrar des Ifoghas. Les rapporteurs ont pu constater que l’implication de la France avait eu le mĂȘme effet, dans une certaine mesure, en RĂ©publique centrafricaine pour la mise en place rapide de la Mission internationale de soutien Ă  la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA), force de la CEEAC. L’habitude qu’ont nos partenaires africains de travailler avec les forces françaises prĂ©positionnĂ©es, ainsi que la longue histoire de coopĂ©ration militaire entre la France et ces pays – qui fait qu’aujourd’hui encore, une grande part des responsables politiques et militaires africains ont Ă©tĂ© formĂ©s en France – ont Ă©tĂ© dĂ©terminantes dans cette mobilisation. À ce titre, le dĂ©ploiement de la MISMA et de la MISCA aux cĂŽtĂ©s, respectivement, des forces Serval et Sangaris au Mali et en RĂ©publique centrafricaine met en lumiĂšre un rĂ©sultat particulier de notre longue tradition de coopĂ©ration franco-africaine : la confiance entre nos forces armĂ©es. B. UNE RESTRUCTURATION PERMANENT EN AFRIQUE

PLANIFIÉE

DE

NOTRE

DISPOSITIF

● Les deux dĂ©placements en Afrique de l’Ouest ont permis aux rapporteurs de recueillir des informations concrĂštes sur les projets de rĂ©organisation du dispositif militaire français en Afrique. SchĂ©matiquement, cette rĂ©organisation s’analyse en deux manƓuvres coĂŻncidentes dans leur calendrier mais obĂ©issant Ă  deux logiques distinctes : – une manƓuvre de « rĂ©gionalisation » du dispositif militaire français dans la bande sahĂ©lo-saharienne (BSS) ; – une manƓuvre de rĂ©organisation des bases françaises Ă©tablies Ă  titre permanent sur la cĂŽte occidentale du continent. ● Au cours de leurs travaux, les rapporteurs se sont attachĂ©s Ă  essayer de comprendre quelles caractĂ©ristiques font un « bon » prĂ©positionnement. Ils ont ainsi passĂ© en revue les sites possibles et leurs potentialitĂ©s respectives. Il en

(1) AssemblĂ©e nationale, rapport d’information n° 1288 de MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’opĂ©ration Serval au Mali, juillet 2013.


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ressort que si l’on devait rĂ©sumer la principale caractĂ©ristique attendue d’un site de prĂ©positionnement, la notion centrale serait celle de « rĂ©activitĂ© ». Pour qu’une base permette Ă  une force prĂ©positionnĂ©e d’ĂȘtre rĂ©active, c’est-Ă -dire de pouvoir se dĂ©ployer pour contribuer Ă  la gestion d’une crise tout en accueillant, le cas Ă©chĂ©ant, des moyens de renfort projetĂ©s depuis la mĂ©tropole ou transfĂ©rĂ©s depuis d’autres prĂ©positionnements, celle-ci doit rĂ©unir plusieurs conditions : – une localisation permettant la projection dans les directions les plus probables des crises avec le minimum d’élongation ; – des points d’entrĂ©e et de sortie du continent, voire de la sous-rĂ©gion, aisĂ©ment accessibles, utilisables et sĂ©curisĂ©s ; – une acceptabilitĂ© politique de la prĂ©sence française de la part du pays hĂŽte et de la population locale ; – des capacitĂ©s d’entraĂźnement ; – des opportunitĂ©s d’actions bilatĂ©rales ou multilatĂ©rales en matiĂšre de coopĂ©ration : formation, entraĂźnement, accompagnement en opĂ©rations ; – un degrĂ© suffisant de stabilitĂ© politique. Le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a rĂ©sumĂ© ces critĂšres devant les rapporteurs dans les termes suivants : notre « dispositif de prĂ©sence » doit ĂȘtre « articulĂ© autour de bases opĂ©rationnelles avancĂ©es offrant Ă  l’est, au centre et Ă  l’ouest du continent de bons points d’entrĂ©e et de sortie de thĂ©Ăątres, qui soient stratĂ©giquement bien positionnĂ©es pour couvrir nos zones d’intĂ©rĂȘts et dont les implantations garantissent un emploi flexible et rĂ©actif des unitĂ©s qui y sont dĂ©ployĂ©es ». ● Au regard de ces critĂšres, Abidjan prĂ©sente aujourd’hui selon l’état-major de l’armĂ©e de terre « un maximum de garanties », dans la mesure oĂč elle est « idĂ©alement situĂ©e Ă  l’entrĂ©e de l’Afrique de l’Ouest, permettant Ă  une force prĂ©positionnĂ©e de pouvoir intervenir indiffĂ©remment au cƓur de la bande sahĂ©lo-saharienne ou, en s’appuyant sur le dispositif Corymbe, dans tous les pays du golfe de GuinĂ©e, du SĂ©nĂ©gal au Gabon ». De mĂȘme, Dakar constitue Ă©galement « un site favorable, mĂȘme si notre libertĂ© d’action y est plus contrainte politiquement ». Suivant les mĂȘmes critĂšres, quatre sites avancĂ©s aux portes du Sahel permettraient « de se rapprocher notablement de la zone des probables opĂ©rations contre les groupes armĂ©s terroristes » mĂȘme s’ils constituent « un dĂ©fi logistique » : NĂ©ma (en Mauritanie), Gao (au Mali), Agadez ou Arlit (au Niger) et Zouar (au Tchad). Lors de son audition, le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux a ajoutĂ© que « l’intĂ©rĂȘt de conserver des forces terrestres Ă  N’DjamĂ©na, au cƓur de


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la bande sahĂ©lo-saharienne, et surtout Ă  Djibouti, sur la façade est s’impose d’évidence » au regard des critĂšres prĂ©citĂ©s. En Afrique centrale, Douala et Bangui reprĂ©sentent « un binĂŽme de sites trĂšs complĂ©mentaires » permettant « un accĂšs raisonnable » au cƓur de cette sous-rĂ©gion « peu pĂ©nĂ©trable ». Devant les rapporteurs, le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a Ă©galement citĂ© le site de Libreville parmi ceux qui « offrent des potentialitĂ©s intĂ©ressantes ». Enfin, Djibouti constitue pour nos armĂ©es le principal point accessible en Afrique de l’Est, trĂšs majoritairement anglophone. En outre les Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti sont rĂ©guliĂšrement mises Ă  contribution en appui des pays de la sous-rĂ©gion engagĂ©s dans les opĂ©rations de maintien de la paix, notamment la mission de l’Union africaine en Somalie (gĂ©nĂ©ralement appelĂ©e AMISOM, acronyme de l’anglais African Union Mission in Somalia). Devant les rapporteurs, le chef d’état-major de la marine a considĂ©rĂ© que dans la rĂ©organisation des prĂ©positionnements, « l’important n’est pas toujours l’effectif de troupes maintenues, mais la conservation de points d’entrĂ©e qui permettent d’intervenir rapidement (« rĂ©ussir la 1re intervention ») ». Selon lui, en effet, une projection immĂ©diate suffit Ă  assurer l’évacuation de nos ressortissants et Ă  donner un coup d’arrĂȘt au dĂ©veloppement d’une crise, comme cela a Ă©tĂ© le cas au Mali. À cet Ă©gard, « Douala est plus pratique qu’Abidjan comme hub logistique car elle est reliĂ©e Ă  un rĂ©seau ferroviaire satisfaisant, mais pas forcĂ©ment pour les projections aĂ©riennes ». Pour lui, de façon gĂ©nĂ©rale, notre « stratĂ©gie de multiplication des hubs » suppose d’avoir des capacitĂ©s d’action : quelques compagnies prĂ©sentes Ă  terre, et un dispositif de renfort par projection. Il a soulignĂ© l’intĂ©rĂȘt qu’il y a Ă  pouvoir dĂ©ployer de tels renforts par la mer, rappelant ce qui a Ă©tĂ© fait en la matiĂšre dans le cadre de l’opĂ©ration Licorne en CĂŽte d’Ivoire : « on a embarquĂ© tout sur des bĂątiments de projection et de commandement (BPC) et des bĂątiments de transport et de soutien (BTS), ce qui a permis de renforcer le dispositif sans que cela puisse ĂȘtre vu par le prĂ©sident Laurent Gbagbo comme une provocation qu’il aurait pu saisir ». En tout Ă©tat de cause, si l’on n’a pas de capacitĂ© de renforcement par mer ou par air, il faut « un gros dispositif Ă  terre ». Or, en la matiĂšre, la France a l’avantage de disposer de points d’appui que les autres n’ont pas, Ă  l’exception des Britanniques et des AmĂ©ricains Ă  Diego Garcia – Ă  ceci prĂšs nĂ©anmoins que leur base y est « trĂšs peu ouverte aux autres » puissances. Comparant les avantages relatifs des diffĂ©rentes implantations, l’amiral Bernard Rogel a estimĂ© que « si on avait eu Ă  choisir entre Abou-Dhabi et Djibouti, on aurait prĂ©fĂ©rĂ© Djibouti », car Abou-Dhabi est « en zone de conflit potentiel » : « Djibouti est beaucoup plus intĂ©ressant, d’autant que la France y est accueillie dans des conditions favorables depuis trĂšs longtemps ».


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1. Le nouveau schéma de notre dispositif permanent en Afrique : maintien de toutes les implantations et déplacement du centre de gravité vers la bande sahélo-saharienne

Les dĂ©placements des rapporteurs au SĂ©nĂ©gal, en CĂŽte d’Ivoire et au Gabon, ainsi qu’à Djibouti et aux Émirats arabes unis, leur ont permis d’étudier sur place l’organisation de tous les points d’appui des forces de prĂ©sence françaises en Afrique et autour de l’Afrique, d’en observer l’organisation et le fonctionnement, afin d’analyser la portĂ©e et la cohĂ©rence d’ensemble des Ă©volutions prĂ©vues. a. Un rĂ©amĂ©nagement sans abandon de notre rĂ©seau de points d’appui permanents, marquĂ© par la montĂ©e en puissance de la CĂŽte d’Ivoire et la rĂ©duction envisagĂ©e de notre prĂ©sence au Gabon et Ă  Djibouti i. L’orientation gĂ©nĂ©rale retenue par le Gouvernement : un maintien de la prĂ©sence française sur tous ses principaux points d’appui actuels, au prix de rĂ©amĂ©nagements et d’une rĂ©duction globale d’effectifs Selon les indications fournies sur le terrain aux rapporteurs, la rĂ©organisation de notre dispositif militaire permanent en Afrique suivrait les grandes lignes suivantes : – maintien du pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration (POC) de Dakar et de sa zone de responsabilitĂ© principale (ZRP) au titre de la coopĂ©ration ; – transformation de la base opĂ©rationnelle avancĂ©e (BOA) de Libreville en « simple » POC, sur le modĂšle de Dakar, avec pour seule zone de responsabilitĂ© principale sa ZRP actuelle au titre de la coopĂ©ration ; – transfert de Libreville Ă  Abidjan de la fonction de base opĂ©rationnelle avancĂ©e (BOA) pour la zone de responsabilitĂ© principale au titre des opĂ©rations, dont le pĂ©rimĂštre est inchangĂ©. L’objectif de la manƓuvre est donc triple : – maintenir le rĂ©seau de nos points d’appui ; – convertir certaines implantations ; – rĂ©duire les effectifs de l’ensemble. La carte ci-aprĂšs reprĂ©sente l’état final recherchĂ©.


— 42 — LE NOUVEAU SCHÉMA DE NOTRE DISPOSITIF MILITAIRE PERMANENT EN AFRIQUE

Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises au Gabon).

Selon les informations fournies sur place aux rapporteurs, la manƓuvre de rĂ©duction globale et de redĂ©ploiement des effectifs pourrait suivre le calendrier et les modalitĂ©s potentielles dĂ©crites par le tableau ci-aprĂšs.


LE SCÉNARIO ENVISAGÉ POUR LA RÉDUCTION GLOBALE ET LE REDÉPLOIEMENT DES EFFECTIFS

Libreville (Gabon)

Dakar (Sénégal)

Djibouti (Djibouti)

Abidjan (Cîte d’Ivoire)

Abou-Dhabi (Émirats arabes unis)

Évolution pour l’ensemble des prĂ©positionnements

effectif

Ă©volution

Statut avant la réforme

dénomination de la force fonction Statut aprÚs la réforme dénomination de la force

Forces françaises aux ÉlĂ©ments français au ÉlĂ©ments français au Forces françaises Ă  Forces françaises en Émirats arabes unis Gabon (EFG) SĂ©nĂ©gal (EFS) Djibouti (FFDj) CĂŽte d’Ivoire (FFCI) (FFEAU) POC POC BOA BOA BOA 900 450 450 350 350 – 550

350 350 350 350 350 inchangé

1 950 1 950 1 600 1 100 950 – 1000

0 450 550 800 800 + 800

BOA : base opérationnelle avancée POC : pÎle opérationnel de coopération à vocation régionale Source : informations recueillies par les rapporteurs lors de leurs déplacements et précisions fournies par le cabinet du ministre de la Défense.

750

750 750 750 750 inchangé

3 950 3 950 inchangĂ© 3 700 – 250 3 350 – 350 3 200 – 150 – 750

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fonction Évolution des effectifs 2013 2014 2015 2016 2017 Ă©volution totale :

Forces françaises aux Forces françaises au ÉlĂ©ments français au Forces françaises Ă  (pas d’implantation Émirats arabes unis Gabon (FFG) SĂ©nĂ©gal (EFS) Djibouti (FFDj) (FFEAU) permanente) BOA POC BOA BOA


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ii. Un dĂ©placement, de Libreville Ă  Abidjan, de la base opĂ©rationnelle avancĂ©e (BOA) chargĂ©e de la zone de responsabilitĂ© principale (ZRP) pour les opĂ©rations en Afrique de l’Ouest Le nouveau schĂ©ma de dĂ©ploiement de notre dispositif permanent en Afrique prĂ©voit la crĂ©ation d’une base opĂ©rationnelle avancĂ©e Ă  Abidjan, chargĂ©e de la zone de responsabilitĂ© principale (ZRP) pour les opĂ©rations en Afrique de l’ouest, qui incombait jusqu’à prĂ©sent aux Forces françaises au Gabon. La nouvelle base opĂ©rationnelle avancĂ©e d’Abidjan n’est pas crĂ©Ă©e ex nihilo : elle reprend les installations utilisĂ©es aujourd’hui par l’opĂ©ration Licorne. De mĂȘme, les nouvelles Forces françaises en CĂŽte d’Ivoire que l’on crĂ©e sont issues de la pĂ©rennisation de notre force dĂ©jĂ  prĂ©sente sur place, mais qui jusqu’alors ne relevait juridiquement que d’une opĂ©ration extĂ©rieure, Licorne. Pourquoi ce transfert de la base opĂ©rationnelle avancĂ©e de Libreville Ă  Abidjan ? Deux principaux ordres d’arguments ont Ă©tĂ© avancĂ©s devant les rapporteurs pour justifier cette manƓuvre : – l’intĂ©rĂȘt de conserver en CĂŽte d’Ivoire un point d’appui important mĂȘme aprĂšs que la force Licorne a rempli l’essentiel de son mandat, compte tenu tant des potentialitĂ©s offertes par le site d’Abidjan (port en eaux profondes, infrastructures aĂ©roportuaires) que de la qualitĂ© retrouvĂ©e des relations franco-ivoirienne ; – l’intĂ©rĂȘt d’approfondir nos capacitĂ©s de coopĂ©ration, dont le modĂšle du pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration crĂ©Ă© Ă  Dakar a montrĂ© qu’elles gagnaient Ă  faire l’objet de structures plus spĂ©cialisĂ©es que les forces de prĂ©sence classiques. C’est en substance ce qu’a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air, en expliquant qu’alors que le dispositif s’articulait principalement, pour l’armĂ©e de l’air, en deux points d’appui – Djibouti et le Gabon – et une opĂ©ration extĂ©rieure – Épervier au Tchad –, « les relations avec la RĂ©publique de CĂŽte d’Ivoire font qu’on dĂ©place des capacitĂ©s de Libreville vers Abidjan ». Les cartes ci-aprĂšs illustrent l’intĂ©rĂȘt stratĂ©gique d’Abidjan.


— 45 — L’INTÉRÊT STRATÉGIQUE D’ABIDJAN

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Licorne).


— 46 — L’INTÉRÊT STRATÉGIQUE D’ABIDJAN

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Licorne).

Par ailleurs, comme l’a bien soulignĂ© le gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, dans la dĂ©flation globale qui est planifiĂ©e « suivre une logique de rĂ©duction homothĂ©tique serait absurde : mieux vaut concentrer le dispositif ». D’oĂč le choix, pour l’armĂ©e de l’air, de ne laisser au Gabon qu’un Fennec, qui peut servir Ă  l’appui feu et Ă  l’évacuation d’autoritĂ©s, pour pouvoir se concentrer en une implantation lĂ©gĂšre en CĂŽte d’Ivoire, et conserver Ă  Dakar la petite escale que l’on y possĂšde. La rĂ©duction du format de la prĂ©sence française au Gabon est le corollaire de la consolidation de notre prĂ©sence en CĂŽte d’Ivoire. Cette rĂ©duction est clairement assumĂ©e par le Gouvernement : il ne s’agit pas d’une simple rĂ©duction des moyens positionnĂ©s Ă  Libreville, mais d’un transfert de compĂ©tence pour une zone de responsabilitĂ© principale « opĂ©rations », qui se traduit mĂȘme par un changement de dĂ©nomination des Forces françaises au Gabon, qui deviennent de simples « ÉlĂ©ments français au Gabon » sur le modĂšle des ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal. Les missions de notre base de Libreville Ă©voluent elles aussi explicitement : conformĂ©ment Ă  son nouveau statut de pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration (POC), l’essentiel de leurs missions consistera dĂ©sormais Ă  offrir des programmes de coopĂ©ration opĂ©rationnelle aux pays de sa zone de responsabilitĂ© principale « coopĂ©ration », c’est-Ă -dire ceux de la CEEAC.


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b. La « régionalisation » sahélo-saharienne

de

notre

dispositif

dans

la

bande

Les deux dĂ©placements des rapporteurs en Afrique de l’Ouest leur ont permis de faire le tour de l’ensemble des implantations militaires françaises dans la bande sahĂ©lo-saharienne, d’étudier les modalitĂ©s envisagĂ©es de leur reconfiguration et d’analyser, site par site, les potentialitĂ©s de chaque point d’appui pour les forces françaises dans le nouveau schĂ©ma d’organisation rĂ©gionale de ces forces. À la diffĂ©rence du rĂ©seau de points d’appui cĂŽtiers prĂ©sentĂ© prĂ©cĂ©demment, le dĂ©ploiement militaire français dans la bande sahĂ©lo-saharienne n’a pas vocation Ă  ĂȘtre permanent : il reste et restera rĂ©gi par le statut des opĂ©rations extĂ©rieures. L’accent mis sur le Sahel dans le dĂ©ploiement des forces françaises en opĂ©rations extĂ©rieures se justifie par les enjeux sĂ©curitaires de la zone, qui constituent une menace directe pour les intĂ©rĂȘts français. Le Sahel reprĂ©sente en effet, selon les termes de l’état-major de l’armĂ©e de terre, « une zone de confrontation, mais aussi un trait d’union ayant une incidence, non seulement sur le plan sĂ©curitaire, mais aussi Ă©conomique et migratoire ». L’instabilitĂ© libyenne, les risques d’un « « arc terroriste » allant des Shebabs Ă  Boko-Haram, de la corne de l’Afrique Ă  la Mauritanie », montrent – malheureusement – la pertinence de l’accent mis par la France sur la bande sahĂ©lo-saharienne dans ses efforts de sĂ©curisation de l’Afrique. Le Sahel reprĂ©sente ainsi « une zone d’effort en raison de la concentration des fragilitĂ©s et des risques de dĂ©bordement contraires aux intĂ©rĂȘts français ». Devant les rapporteurs, le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain a rĂ©sumĂ© la place du Sahel en ces termes : « le Sahel est aujourd’hui notre principale prĂ©occupation car la menace islamiste y est, pour une partie, plus localisable et les derniers dĂ©veloppements montrent que des rĂ©sultats peuvent ĂȘtre obtenus ». Pour autant, il est bon de souligner que l’accent mis sur la bande sahĂ©lo-saharienne ne doit pas ĂȘtre vu comme ayant pour corollaire un abandon des ambitions françaises dans le reste de l’Afrique. Comme le relĂšve le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain, nos succĂšs au Sahel sont des « succĂšs limitĂ©s car les questions de fond ne sont pas en voie de solution et l’influence islamiste se dĂ©veloppe dans des États comme le SĂ©nĂ©gal ». Pour forcer le trait et bien marquer le caractĂšre temporaire de la concentration de nos forces dans la bande sahĂ©lo-saharienne, il souligne que « le Sahel n’est qu’une pĂ©ripĂ©tie », la menace ayant tendance Ă  s’étendre au-delĂ  de la bande sahĂ©lo-saharienne. C’est pourquoi les rapporteurs tiennent Ă  souligner l’intĂ©rĂȘt qu’il y a Ă  ne pas dĂ©laisser les autres zones de crise, cette prĂ©occupation Ă©tant partagĂ©e par les autoritĂ©s militaires. Comme l’a prĂ©cisĂ© en effet l’état-major de l’armĂ©e de terre, notre effort particulier dans la bande sahĂ©lo-saharienne « ne signifie pas pour autant un abandon de l’Afrique centrale » : notre capacitĂ© d’intervention Ă  partir du Gabon et de Djibouti, demain Ă  partir de la CĂŽte d’Ivoire, « reste importante ».


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i. Le schĂ©ma gĂ©nĂ©ral : un maillage Ă©troit dans une vaste rĂ©gion enclavĂ©e ‱ L’état actuel des forces dĂ©ployĂ©es en opĂ©ration extĂ©rieure Le dispositif français dans la bande sahĂ©lo-saharienne s’articule aujourd’hui autour de deux points d’appui principaux : – Bamako puis Gao, oĂč se concentrent les forces de l’opĂ©ration Serval, dont l’effectif s’établissait Ă  la date du passage des rapporteurs Ă  1 800 hommes environ ; – N’Djamena, oĂč est basĂ© l’essentiel des forces de l’opĂ©ration Épervier depuis 1986, avec prĂšs de 950 hommes. Ces bases disposent d’un rĂ©seau de points d’appui « satellites », c’est-Ă -dire de bases de format rĂ©duit oĂč la force est prĂ©sente en permanence : Tessalit au Nord-Est du Mali (avec quelques dizaines de personnels), Faya-Largeau (20 hommes) et AbĂ©chĂ© (100 militaires) respectivement au Nord et Ă  l’Est du Tchad. De plus, le dispositif français dans la bande sahĂ©lo-saharienne est complĂ©tĂ© par d’autres points d’appui de format moyen, mais essentiels Ă  la conduite des opĂ©rations : – un dĂ©ploiement des forces spĂ©ciales dans le cadre de la task force Sabre, entrepris Ă  la suite de la prise otage d’Arlit en 2010 en vue d’entretenir une « capacitĂ© de rĂ©ponse dans la rĂ©gion » et dont les effectifs et les implantations ne font pas l’objet de communications publiques ; – un dĂ©ploiement (prĂ©sentĂ© comme temporaire) de l’armĂ©e de l’air sur l’aĂ©roport de Niamey, au Niger, oĂč quelques dizaines de personnels opĂšrent les drones français, y compris les deux premiers Reaper livrĂ©s Ă  la France. ‱ La manƓuvre de « rĂ©gionalisation » de ces dĂ©ploiements 1./ Le Gouvernement a annoncĂ©, et commence Ă  mettre en Ɠuvre, une manƓuvre dite de « rĂ©gionalisation » de ce dispositif, consistant, globalement, Ă  regrouper les diffĂ©rents dĂ©ploiements actuels dans la bande sahĂ©lo-saharienne en une seule et mĂȘme opĂ©ration extĂ©rieure, avec un commandement unifiĂ©. Cette manƓuvre de rĂ©gionalisation poursuit Ă  un double objectif : – adapter l’organisation des forces Ă  une menace dĂ©sormais transfrontaliĂšre et s’étendant Ă  l’échelle de la bande sahĂ©lo-saharienne tout entiĂšre ; – optimiser les moyens français dĂ©ployĂ©s, pour tenir compte de la contrainte budgĂ©taire et capacitaire dĂ©coulant du Livre blanc de 2013.


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2./ Comme le ministre de la DĂ©fense l’a dĂ©jĂ  indiquĂ© Ă  la commission, le dispositif sahĂ©lo-saharien « rĂ©gionalisĂ© » comptera ainsi 3 000 hommes environ, incluant les forces spĂ©ciales. SchĂ©matiquement, ils seront rĂ©partis de la façon suivante : – 1 300 personnels Ă  N’Djamena au Tchad, qui armeront essentiellement un groupement « air » (dotĂ© de chasseurs et de tous les moyens nĂ©cessaires Ă  la constitution d’un hub logistique aĂ©rien), un groupement « terre » renforcĂ©, et un groupement de renseignement ; – 1 100 personnels Ă  Gao au Mali, armant principalement un groupement « terre » ; – 250 Ă  300 personnels Ă  Niamey, qui resterait un pĂŽle de renseignement majeur, tout en devenant Ă©galement un hub aĂ©rien utilisable tant par l’aviation de transport que par l’aviation de combat ; – des effectifs rĂ©duits dans un rĂ©seau de points d’appui secondaires, avec notamment Tessalit au Nord-Est du Mali, Faya-Largeau et AbĂ©chĂ© respectivement au Nord et Ă  l’Est du Tchad ; – des effectifs non-permanents sur d’autres points d’appui utilisĂ©s dans le cadre d’opĂ©rations ponctuelles menĂ©es en coopĂ©ration avec les forces locales, tels qu’Arlit au Nord du Niger ou Zouar au Nord-Ouest du Tchad, Ă  proximitĂ© des frontiĂšres nigĂ©riennes et libyennes. L’INTÉRÊT D’UN POSITIONNEMENT À GAO Pour l’état-major de l’armĂ©e de terre, « Gao semble ĂȘtre le meilleur stationnement d’importance pour pouvoir durer dans la zone ». ● Le site prĂ©sente « certaines amĂ©nitĂ©s d’un point de vue opĂ©ratif » : – du point de vue gĂ©opolitique : il est « placĂ© idĂ©alement sur la ligne de fracture entre populations nomades et sĂ©dentaires » ; – du point de vue politico-militaire : il s’agit d’un centre administratif d’importance dans le Nord du Mali ; – du point de vue de la mobilitĂ© : le site constitue un « point clĂ© » puisqu’il est le « verrou de la zone sud du Sahara ». Il est en effet situĂ© sur l’une des deux voies d’accĂšs du Sahara central vers l’AlgĂ©rie (l’axe Bamako-Niamey-Gao-Reggane-BĂ©char-Oran / GardhaiaAlger) avec l’axe Agadez-Tamanrasset-Alger. Il Ă©tait d’ailleurs identifiĂ© comme tel durant le temps de la prĂ©sence française oĂč une Compagnie Saharienne stationnait Ă  Gao ; – du point de vue tactique : il est difficile d’envisager d’avoir des bases plus au nord sans tenir Gao, sauf Ă  possĂ©der immĂ©diatement une flotte de vecteurs tactiques lourds (comme l’A400M) pouvant se poser Ă  Tessalit ou Ă  Kidal ; – du point de vue logistique : Gao possĂšde un aĂ©roport tactique et il est desservi par la voie fluviale Bamako-Gao ainsi que par une route goudronnĂ©e depuis la capitale. De ce fait, « la comparaison de coĂ»t logistique avec une autre base est Ă  Ă©valuer mais il n’est pas certain que la diffĂ©rence soit fondamentale ». ● Ainsi, selon l’état-major de l’armĂ©e de terre, « Gao constitue prĂ©cisĂ©ment le meilleur compromis gĂ©ographique entre les impĂ©ratifs logistiques – Ă©loignement du Sea Port


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Of Debarkation (SPOD) mais prĂ©sence d’une piste en dur et d’infrastructures suffisantes – et les zones d’engagements opĂ©rationnels », principalement le Nord-Est malien. Gao s’articule ainsi avec des points d’appui secondaires. Le maintien d’une base avancĂ©e Ă  Tessalit (« une plateforme « relais » ») permet « d’agir efficacement dans la zone frontiĂšre avec l’AlgĂ©rie ainsi que dans l’Adrar des Ifoghas avec des Ă©longations raisonnables pour un soutien temporaire ». Cette base trĂšs avancĂ©e vers le nord ne permettrait d’y dĂ©ployer durablement nos forces qu’au prix d’un investissement logistique important que les armĂ©es ne sont pas en mesure de supporter : multiplication des vecteurs logistiques aĂ©riens, des effectifs associĂ©s, crĂ©ation d’infrastructures d’accueil, de maintenance, renforcement notoire des moyens de sĂ©curitĂ© dans une zone trĂšs instable. Par ailleurs, Ă©tant donnĂ© le format extrĂȘmement rĂ©duit de la force Serval aujourd’hui, « contrainte par un budget d’opĂ©rations extĂ©rieures en forte diminution », ce recentrage vers le nord induirait un vide sĂ©curitaire dans les rĂ©gions de Gao, Ansongo, Menaka et Tombouctou, que ni la MINUSMA ni les Forces armĂ©es maliennes « ne sont encore en mesure de contrĂŽler de maniĂšre complĂštement autonome ». De mĂȘme, un redĂ©ploiement au plus prĂšs des points d’entrĂ©e cĂŽtier rendrait impossible toute action militaire efficace dans le Nord du Mali oĂč se concentre la menace, « sauf encore une fois Ă  un coĂ»t exorbitant en hommes et en moyens de projection, principalement aĂ©riens ». ● Le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air a prĂ©cisĂ© aux rapporteurs, concernant l’utilitĂ© de Gao, qu’« il ne faut certes pas multiplier les implantations », mais que « l’esprit de flexibilitĂ© commande de pouvoir disposer de plusieurs plots ». De toute façon, les distances sont tellement longues, « qu’il faut travailler sur plusieurs pays ».

3./ Ainsi, le dispositif « rĂ©gionalisĂ© » dans la bande sahĂ©lo-saharienne s’articulera en un rĂ©seau dense de points d’appui. Comme l’a indiquĂ© aux rapporteurs le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air, le corollaire de la mise en place d’un rĂ©seau de plots aĂ©riens, c’est une « logique de concentration des moyens Ă  Lyon » pour les fonctions qui peuvent ĂȘtre assurĂ©es depuis la France. Ainsi, Ă  Mont-Verdun, « la salle y a Ă©voluĂ©, avec des gens qui font de la dĂ©fense aĂ©rienne sous l’autoritĂ© du Premier ministre, et d’autres qui font de la gestion de thĂ©Ăątre sous l’autoritĂ© directe des postes de commandement interarmĂ©es de thĂ©Ăątre (PCIAT) de N’Djamena et de Bamako, ainsi que du poste de commandement de l’opĂ©ration EUFOR RCA en GrĂšce ». « On optimise ainsi les moyens en jonglant avec les mĂȘmes personnels pour gĂ©rer les mĂȘmes moyens, au profit de plusieurs opĂ©rations » ; en effet, les chasseurs stationnĂ©s Ă  N’Djamena opĂšrent autant au Mali, actuellement au profit de l’opĂ©ration Serval, qu’en RĂ©publique centrafricaine, au profit de l’opĂ©ration Sangaris. ii. Le centre de gravitĂ© : N’Djamena au Tchad Le choix a Ă©tĂ© fait de centraliser Ă  N’Djamena le commandement du dispositif militaire français « rĂ©gionalisĂ© » dĂ©ployĂ© dans la bande sahĂ©lo-saharienne. Lors de leur dĂ©placement au Tchad, les rapporteurs ont pu constater l’avancĂ©e des travaux entrepris Ă  cette fin au sein de la base principale de l’actuelle opĂ©ration Épervier, la base KosseĂŻ Ă  N’Djamena.


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N’Djamena possĂšde en effet une position stratĂ©gique : placĂ©e Ă  l’est de la bande sahĂ©lo-saharienne, elle constitue un point de dĂ©part trĂšs utile pour les moyens aĂ©riens destinĂ©s Ă  intervenir non seulement dans cette bande, mais aussi en Afrique centrale, comme le montrent l’encadrĂ© et la carte ci-aprĂšs. À ce titre, il s’agit d’un prĂ©positionnement des plus utiles. « RÉGIONALISATION » OU « SAHÉLISATION » ? Comme l’a trĂšs bien fait observer aux rapporteurs le colonel Paul Peugnet, commandant de la force Épervier, il ne faudrait pas confondre « rĂ©gionalisation » et « sahĂ©lisation », or ces deux logiques sont Ă  l’Ɠuvre concomitamment dans la manƓuvre en cours. En effet : – la manƓuvre prĂ©vue revient Ă  organiser les forces terrestres suivant une zone de responsabilitĂ© correspondant bien Ă  la bande sahĂ©lo-saharienne : on peut dans leur cas parler de « sahĂ©lisation » ; – en revanche, s’agissant des forces aĂ©riennes ou du moins de l’aviation de combat, la logique suivie relĂšve davantage d’une « rĂ©gionalisation » au sens plus vaste renvoyant Ă  l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne qu’à une stricte « sahĂ©lisation » du dispositif. En effet, la zone couverte par N’Djamena dĂ©passe la bande sahĂ©lo-saharienne. C’est d’ailleurs lĂ  un de ses principaux avantages, qu’a fait valoir aux rapporteurs l’ambassadrice de France au Tchad : N’Djamena permet Ă  l’aviation de combat de « traiter » Ă  la fois la bande sahĂ©lo-saharienne et l’Afrique centrale, comme l’opĂ©ration Sangaris l’a montrĂ© et comme la carte ci-aprĂšs l’illustre. N’Djamena, au carrefour de la bande sahĂ©lo-saharienne et de l’Afrique centrale

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Épervier).


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Rayon d’action d’un Rafale couplĂ© Ă  un C 135 depuis N’Djamena

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Épervier).

NĂ©anmoins, comme l’a fait valoir aux rapporteurs le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air, si Épervier constitue indĂ©niablement « un point d’appui essentiel », N’Djamena n’est pas moins « loin du Mali : ce sont des missions de sept Ă  neuf heures de Mirage ou de Rafale ». D’oĂč le choix d’une seconde implantation aĂ©rienne majeure dans la bande sahĂ©lo-saharienne, Ă  Niamey au Niger, et ce d’autant que le prĂ©sident de la RĂ©publique nigĂ©rienne, Mahamadou Issoufou, s’est dĂ©clarĂ©, lorsqu’il a reçu les rapporteurs, pleinement opposĂ© aux groupes armĂ©s rebelles et ouvert Ă  la coopĂ©ration avec la France. Comme l’a prĂ©cisĂ© le gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, il est possible de dĂ©ployer facilement trois avions de chasse Ă  Niamey, le parking nouvellement construit permettant d’accueillir un ravitailleur en permanence et tous nos drones y Ă©tant concentrĂ©s (deux Harfang et deux Reaper). « Les Reaper y rendent d’ailleurs un formidable service ». Niamey peut ainsi accueillir deux composantes : d’une part, une composante chasse ; d’autre part, une composante dite ISR (intelligence, surveillance et reconnaissance) qui fait en quelque sorte sa « spĂ©cialitĂ© », avec non seulement les drones mais aussi les C160 Gabriel et les Atlantique 2, que la base peut accueillir.


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Preuve supplĂ©mentaire de l’intĂ©rĂȘt de cette base, le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air a fait valoir qu’il suffit pour s’en convaincre de rappeler que les AmĂ©ricains et les Britanniques cherchent Ă  « s’y mettre dans nos chaussons ». Ainsi, la bande sahĂ©lo-sahĂ©lienne sera couverte par deux hubs aĂ©riens Ă©quipĂ©s pour l’aviation de classe et la logistique : – Niamey dans le « fuseau ouest » de la bande sahĂ©lo-saharienne, reliĂ© Ă  la mer par Abidjan pour ses approvisionnements ; – N’Djamena dans le « fuseau est » de la bande, reliĂ© Ă  la mer par Douala. En revanche, selon les prĂ©cisions fournies aux rapporteurs, il n’est pas envisagĂ© de transformer la piste d’aviation de Gao de sorte qu’elle puisse accueillir des chasseurs : tout au plus pourrait-elle ĂȘtre rallongĂ©e pour faciliter certaines opĂ©rations logistiques, notamment pour accueillir des A400M. Lors de leurs dĂ©placements, les rapporteurs ont pu constater avec quelle efficacitĂ© les forces françaises Ă©taient capables de mettre en place les infrastructures nĂ©cessaires au dĂ©ploiement des « plots » aĂ©riens indispensables pour la conduite des opĂ©rations. À cet Ă©gard, il y a lieu de saluer la qualitĂ© du travail accompli par le « groupement d’appui aux opĂ©rations » de l’armĂ©e de l’air basĂ© Ă  Bordeaux, le 25e rĂ©giment de gĂ©nie de l’air (25e RGA) et le groupement tactique des communications (GTSIC). Selon les termes du gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, ce sont « trois unitĂ©s de l’ombre, indispensables » : « ils sont partout, tout le temps dĂ©ployĂ©s (un peu trop : c’est tendu) ». NIAMEY : LE PÔLE « RENSEIGNEMENT » DU DISPOSITIF SAHÉLO-SAHÉLIEN Lors de leur dĂ©placement au Niger, les rapporteurs ont pu se rendre sur la base française installĂ©e sur l’aĂ©roport international de Niamey, pour en Ă©tudier la configuration et l’activitĂ© ainsi que les premiers rĂ©sultats donnĂ©s par les drones Reaper rĂ©cemment livrĂ©s Ă  la France. 1./ Une implantation nouvelle, utilement placĂ©e au cƓur de la bande sahĂ©losaharienne La base aĂ©rienne française de Niamey est installĂ©e sur l’emprise de l’aĂ©roport international de Niamey : elle est ainsi co-localisĂ©e avec une base militaire nigĂ©rienne et une base aĂ©rienne amĂ©ricaine. La base française a Ă©tĂ© initialement installĂ©e pour accueillir des drones, et elle est en cours de rĂ©amĂ©nagement en vue de pouvoir accueillir Ă©galement des avions de chasse, des Atlantique 2 et des ravitailleurs C-135. Cette base accueillait, au jour du dĂ©placement des rapporteurs, 270 personnels militaires français et 18 contractuels amĂ©ricains, employĂ©s en vue de permettre l’appropriation progressive des Reaper par les Français. La dite base amĂ©ricaine, qui opĂšre elle aussi des drones de surveillance, pourrait ĂȘtre dĂ©placĂ©e au centre du pays, Ă  Agadez. Comme le chargĂ© d’affaires des États-Unis l’a indiquĂ© aux rapporteurs, il s’agit en tout cas d’une demande des autoritĂ©s nigĂ©riennes, qui y voient un moyen de dĂ©velopper des infrastructures dans une rĂ©gion centrale du pays. Si des discussions sont en cours entre les États-Unis et le Niger concernant les conditions de sĂ©curisation de cette nouvelle base, les Français y voient un avantage : dans la lignĂ©e de l’excellente collaboration qu’ils entretiennent avec les AmĂ©ricains au Niger et compte tenu


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du fait que les deux forces sont armĂ©es de Reaper, il serait envisageable de rendre interopĂ©rables la base française de Niamey et une future base AmĂ©ricaine d’Agadez. Ainsi, un drone français pourrait, en cas de problĂšme technique ou simplement afin de maximiser la distance qu’il peut couvrir en un vol (son playtime Ă©tant limitĂ© Ă  17 heures de vol), atterrir sur une base amĂ©ricaine – et vice-versa. Contrairement aux AmĂ©ricains, qui opĂšrent un grand nombre de drones et ont donc centralisĂ© une large partie des fonctions de pilotage et d’exploitation aux États-Unis, les Français opĂšrent Ă  Niamey une structure dont il faut souligner la lĂ©gĂšretĂ© et la souplesse. En effet, les fonctions de pilotage, de guidage, de lecture, de description et d’analyse sont effectuĂ©es directement sur le thĂ©Ăątre. Il en rĂ©sulterait pour les Français une rĂ©activitĂ© supĂ©rieure Ă  celle des AmĂ©ricains. 2./ Un Ă©quipement considĂ©rablement amĂ©liorĂ© avec la livraison des Reaper Les rapporteurs ont pu profiter de leur dĂ©placement sur la base de Niamey pour Ă©tudier les avantages procurĂ©s par l’acquisition, un temps controversĂ©e, de deux drones Reaper livrĂ©s Ă  Niamey et qui y ont effectuĂ© leur premier vol en condition opĂ©rationnelle le 19 janvier 2014. Leur mise en service opĂ©rationnelle a Ă©tĂ© validĂ©e le 23 fĂ©vrier, et seules deux restrictions restent Ă  lever, concernant l’utilisation de certaines technologies laser et de certains moyens de gĂ©olocalisation. La comparaison des images fournies par le Reaper et par le Harfang suffit Ă  convaincre de l’intĂ©rĂȘt qu’il y avait, pour les forces, Ă  s’équiper de drones modernes de moyenne altitude et de longue endurance (MALE). Le commandement de la base comme les personnels qui opĂšrent ces systĂšmes de drones se sont dits trĂšs satisfaits de ce nouvel outil. InterrogĂ©s sur l’« europĂ©anisation » souvent Ă©voquĂ©e des capteurs embarquĂ©s par ces vecteurs, ils se montrent sceptiques : selon eux, si l’on peut regretter que ce soient les AmĂ©ricains qui aient « fixĂ© les standards » en la matiĂšre, aucun industriel europĂ©en ne maĂźtrise suffisamment ces technologies pour offrir aux forces les mĂȘmes capacitĂ©s. Le Reaper tel qu’il est Ă©quipĂ© aujourd’hui permet en effet d’analyser trĂšs prĂ©cisĂ©ment des cibles Ă  11 kilomĂštres de distance. Ils ont fait valoir Ă©galement que les drones Reaper pourraient trĂšs aisĂ©ment ĂȘtre armĂ©s, et donc trĂšs rapidement ĂȘtre employables si, un jour, les autoritĂ©s politiques françaises dĂ©cidaient de briser le « tabou » pesant sur les drones armĂ©s. Avec l’achat de drones amĂ©ricains, armant une base co-localisĂ©e avec une base amĂ©ricaine qui, par ailleurs, emploie 18 contractuels amĂ©ricains, il n’était pas illĂ©gitime de se demander si les renseignements français Ă©taient dĂ»ment protĂ©gĂ©s contre tout risque de captation – le principe d’autonomie stratĂ©gique exigeant une parfaite Ă©tanchĂ©itĂ© dans la circulation des informations sensibles recueillies par les drones français. Les responsables français de la mise en Ɠuvre de ces appareils ont assurĂ© aux rapporteurs que les dispositifs techniques utilisĂ©s garantissaient la sĂ©curitĂ© des donnĂ©es captĂ©es par ces deux drones. 3./ Une base dont l’amĂ©nagement et le fonctionnement sont relativement coĂ»teux Outre le coĂ»t des liaisons satellitaires nĂ©cessaires Ă  l’exploitation des drones, la base de Niamey a un coĂ»t assez Ă©levĂ©, du fait : – des importants travaux d’infrastructures rĂ©alisĂ©s au fur et Ă  mesure de sa montĂ©e en puissance : construction d’une zone consacrĂ©e aux Reaper, construction d’un « plot chasse » pour accueillir les Mirage et les Rafale, construction de parkings, amĂ©lioration des « zones vies » initialement dimensionnĂ©es pour quelques dizaines de personnels seulement, etc.. Des « travaux de Romains », pour reprendre les termes utilisĂ©s devant les rapporteurs ;


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– d’autres travaux d’infrastructures rendus nĂ©cessaires par la configuration des emprises concĂ©dĂ©es par le Niger. Les emprises françaises sont en effet « dispersĂ©es au sein d’une base poreuse », comme l’a expliquĂ© le commandant du dĂ©tachement français, du fait du souhait des autoritĂ©s nigĂ©riennes que soient sĂ©parĂ©es les zones opĂ©rationnelles et les zones de vie. Il en rĂ©sulte des coĂ»ts de surveillance et de sĂ©curisation d’autant plus Ă©levĂ©s que si les NigĂ©riens sont censĂ©s assurer la dĂ©fense de l’emprise militaire au sein de laquelle sont insĂ©rĂ©es les emprises françaises, il ressort des entretiens qu’ils sont parfois « lents » Ă  rĂ©agir aux menaces. Les Français sont donc tenus d’entourer leurs emprises de systĂšmes dĂ©fensifs propres. Afin de rĂ©duire au maximum les coĂ»ts de fonctionnement et d’investissements affĂ©rents Ă  cette base, une mutualisation de davantage de fonctions avec les AmĂ©ricains a Ă©tĂ© recherchĂ©e. D’ailleurs, ces derniers opĂ©reraient certaines missions au profit de la direction du renseignement militaire (DRM) française. 4./ Un instrument de coopĂ©ration opĂ©rationnelle poussĂ©e avec le Niger La partie nigĂ©rienne trouve dans son accord avec la partie française des avantages substantiels, en matiĂšre de coopĂ©ration opĂ©rationnelle notamment : – le renseignement recueilli est systĂ©matiquement partagĂ© avec les forces nigĂ©riennes. Les rapporteurs ont d’ailleurs pu constater que des officiers nigĂ©riens avaient leur poste auprĂšs des officiers français et suivaient ainsi le processus de renseignement « en temps rĂ©el » ; – la France s’est engagĂ©e Ă  ce que le dĂ©tachement français opĂšre un vol de drone toutes les trois semaines au profit des NigĂ©riens ; – les forces françaises mĂšnent des opĂ©rations conjointes avec les forces nigĂ©riennes ; – si les accords franco-nigĂ©riens donnent Ă  la France le droit de mener seule des opĂ©rations sur le territoire nigĂ©rien, y compris en y pratiquant des frappes, il a Ă©tĂ© indiquĂ© aux rapporteurs que, dans la pratique, le commandement français se donne pour ligne de conduite de s’en tenir Ă  une logique d’appui aux NigĂ©riens. Il demande ainsi systĂ©matiquement l’avis des autoritĂ©s militaires nigĂ©riennes avant d’engager une opĂ©ration. Une « boucle courte » de concertation a Ă©tĂ© mise en place Ă  cet effet avec le chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es du pays hĂŽte. Il est Ă  noter qu’en cela, la coopĂ©ration franco-nigĂ©rienne est nettement plus Ă©troite que la coopĂ©ration amĂ©ricano-nigĂ©rienne. En effet, comme l’a confirmĂ© le chargĂ© d’affaires des États-Unis, s’il arrive aux forces amĂ©ricaines de communiquer certaines informations aux NigĂ©riens – parfois Ă  leur demande –, le partage de renseignement n’a rien de systĂ©matique, et les officiers nigĂ©riens n’ont pas d’accĂšs aux installations amĂ©ricaines d’opĂ©ration des drones. Le chargĂ© d’affaires y voit « un enjeu de protection des sources et des secrets, sur lequel la bureaucratie amĂ©ricaine est tatillonne ». Comme il l’a fait observer, « de toute façon, les États-Unis ont bien d’autres moyens de surveillance que les drones », et « en tout Ă©tat de cause, la modeste capacitĂ© d’intervention des forces nigĂ©riennes ne leur permettrait certainement pas d’exploiter pleinement toutes les informations que les États-Unis seraient susceptibles de leur fournir ». 2. L’ambitieuse manƓuvre de restructuration a dĂ©butĂ©, non sans se heurter aux difficultĂ©s liĂ©es aux opĂ©rations en cours

Les dĂ©placements effectuĂ©s par les rapporteurs leur ont permis de faire le point de l’état d’avancement de la manƓuvre de reconfiguration de notre


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dispositif permanent en Afrique ainsi que de la manƓuvre de rĂ©gionalisation de notre dispositif en opĂ©ration extĂ©rieure dans la bande sahĂ©lo-saharienne. a. Planification et Ă©tat d’avancement de la manƓuvre de rĂ©amĂ©nagement i. Au sein du dispositif permanent : une restructuration rapide des Forces françaises au Gabon, futurs ÉlĂ©ments français au Gabon ‱ Le plan de restructuration des Forces françaises au Gabon : une mise en Ɠuvre rapide Le dĂ©placement des rapporteurs Ă  Libreville leur a permis de faire le point sur la planification de la manƓuvre tendant Ă  transformer les Forces françaises au Gabon, aujourd’hui base opĂ©rationnelle avancĂ©e (BOA) en ÉlĂ©ments français au Gabon tenant un pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration (POC). Il en ressort que dans la planification de cette manƓuvre, a Ă©tĂ© retenu un calendrier trĂšs serrĂ© : l’essentiel des transformations seront opĂ©rĂ©es dĂšs l’étĂ© 2014, alors mĂȘme qu’une part consĂ©quente des moyens des Forces françaises au Gabon arme encore la force Sangaris dĂ©ployĂ©e en RĂ©publique centrafricaine. Le schĂ©ma ci-aprĂšs prĂ©sente la planification de cette manƓuvre. MANƒUVRE DE TRANSFORMATION DES FORCES FRANÇAISES AU GABON EN ÉLÉMENTS FRANÇAIS AU GABON

Source : commandement des Forces françaises au Gabon.


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Les consĂ©quences de cette manƓuvre sur les ressources humaines en rendent la mise en Ɠuvre complexe. En effet, comme l’a expliquĂ© l’adjoint interarmĂ©es (AIA) du commandant des Forces françaises au Gabon, le « court prĂ©avis » laissĂ© au commandement pour organiser cette manƓuvre a conduit Ă  modifier substantiellement le plan annuel de mutations pour 2014. Le tableau ci-aprĂšs montre bien la rapiditĂ© de la dĂ©flation engagĂ©e. DÉFLATIONS PLANIFIÉES DES EFFECTIFS DES FORCES FRANÇAISES AU GABON

Source : commandement des Forces françaises au Gabon.

Il n’est prĂ©vu ni dĂ©flation pour les 11 personnels civils d’État de la base - les dĂ©flations portant uniquement sur les personnels militaires -, ni mouvement de « civilianisation » de postes : contrairement Ă  ce qui a Ă©tĂ© fait Ă  Dakar, il n’y a pas de transformation de postes de personnels militaires en postes civils. Il n’est pas prĂ©vu non plus de recourir massivement aux externalisations. Les effectifs de personnels civils de recrutement local seront rĂ©duits. Fait notable, les Forces françaises au Gabon disposent aujourd’hui d’infrastructures qui, certes, appartiennent en propre Ă  la France, mais que les responsables locaux jugent Ă©troites – les rapporteurs ont d’ailleurs pu le constater sur place. En consĂ©quence, la rĂ©duction de l’empreinte militaire française au Gabon n’aura que marginalement des consĂ©quences sur les infrastructures : la petite base de Port-Gentil est appelĂ©e Ă  ĂȘtre rĂ©trocĂ©dĂ©e, ainsi que certaines installations de logements et de loisirs Ă  Libreville, pour beaucoup louĂ©es par les Forces Ă  des bailleurs locaux privĂ©s.


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Le maintien de l’essentiel des infrastructures actuellement occupĂ©es par les Forces françaises au Gabon a plusieurs consĂ©quences. Certaines sont Ă  juger favorablement : – Ă  moyen ou long terme, il facilite une Ă©ventuelle remontĂ©e en puissance de cette base, si le besoin s’en faisait sentir dans les annĂ©es Ă  venir. Les rapporteurs jugent trĂšs favorablement le fait d’éviter des cessions d’emprises, souvent irrĂ©versibles, et toujours perçues comme des marques d’« abandon » ; – Ă  court terme dĂ©jĂ , l’absence d’opĂ©rations immobiliĂšres Ă  mener constitue un facteur de complication en moins pour la conduite de la manƓuvre de restructuration. D’autres consĂ©quences sont moins avantageuses : – les Ă©conomies dĂ©gagĂ©es n’en sont que plus limitĂ©es ; – le maintien des infrastructures ne contribue pas Ă  rĂ©duire la charge de travail du groupement de soutien de la base, alors que celui-ci devra rĂ©duire trĂšs significativement ses effectifs. La mission logistique de Douala verra elle aussi ses effectifs lĂ©gĂšrement rĂ©duits : elle emploie aujourd’hui 10 personnels civils de recrutement local et neuf militaires ; l’effectif de ces derniers devrait ĂȘtre ramenĂ© Ă  huit. De plus, un projet d’externalisation Ă  l’Économat des armĂ©es – Ă©tablissement public placĂ© sous la tutelle du ministĂšre de la DĂ©fense – est en cours d’examen. Compte tenu des accords de coopĂ©ration et de dĂ©fense passĂ©s entre la France et le Cameroun, qui prĂ©voient que cette mission logistique a un caractĂšre militaire, il faudra en tout Ă©tat de cause y maintenir un personnel militaire. ‱ Les mesures prises Ă  Abidjan pour accueillir la future base opĂ©rationnelle avancĂ©e : des travaux Ă  moindre coĂ»t Lors de leur dĂ©placement sur les emprises de l’actuelle force Licorne, appelĂ©es Ă  ĂȘtre dĂ©volues aux futures Forces françaises en CĂŽte d’Ivoire, les rapporteurs ont pu constater que les installations de la force Licorne – dĂ©tenues pour la plupart par la France depuis l’indĂ©pendance du pays – Ă©taient tout Ă  fait adaptĂ©es Ă  l’accueil d’une force plus importante. La force Licorne dispose en effet d’installations intĂ©ressantes sur l’ensemble du territoire ivoirien, et particuliĂšrement Ă  Abidjan, au camp de Port-BouĂ«t, dont les rapporteurs ont pu apprĂ©cier Ă  la fois l’étendue et la localisation stratĂ©gique, dont tĂ©moignent les cartes ci-aprĂšs. Ainsi, les travaux nĂ©cessaires Ă  l’accueil de la nouvelle base opĂ©rationnelle avancĂ©e (BOA) d’Abidjan seront limitĂ©s.


— 59 — LES INSTALLATIONS DE LA FORCE LICORNE SUR LE TERRITOIRE IVOIRIEN

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Licorne).

LES POTENTIALITÉS DU CAMP DE PORT-BOUËT – VUE D’ENSEMBLE

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Licorne).


— 60 — LES POTENTIALITÉS DU CAMP DE PORT-BOUËT – PRÉSENTATION FONCTIONNELLE

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Licorne).

ii. Au sein de la bande sahĂ©lo-saharienne : consolidation des bases de Gao et de N’Djamena ‱ Gao, un dĂ©fi logistique Lors de leur dĂ©placement Ă  Gao, les rapporteurs ont pu constater les efforts faits pour permettre l’installation dans la durĂ©e des forces françaises sur ce site dont l’intĂ©rĂȘt stratĂ©gique a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© plus haut. La comparaison de ce qu’ils ont vu sur le terrain avec la description que faisaient de la mĂȘme base nos collĂšgues Christophe Guilloteau et Philippe Nauche dans leur rapport prĂ©citĂ© suffit Ă  se convaincre de l’ampleur des progrĂšs qui ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s en quelques mois dans l’amĂ©nagement de cette base. Le principal dĂ©fi, dans le fonctionnement de cette base, tient Ă  l’organisation des flux logistiques, compliquĂ©s notamment par les Ă©longations et les conditions de transport. La carte ci-aprĂšs prĂ©sente l’activitĂ© du bataillon logistique « Camargue » de la base de Gao.


— 61 — L’ACTIVITÉ DU BATAILLON LOGISTIQUE « CAMARGUE » DE LA BASE DE GAO

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

Selon le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air, rien de concret n’est prĂ©vu Ă  ce stade pour l’allongement de la piste de Gao : la France a construit une piste en latĂ©rite, qui ne permet aujourd’hui de poser que des avions de transport tactique et des hĂ©licoptĂšres. L’ONU aurait un projet d’allongement de la piste, mais rien ne semble dĂ©cidĂ©. « Les travaux seraient lourds : allongement, Ă©largissement, protection, etc. ». NĂ©anmoins, « cela nous aiderait
 ». ‱ N’Djamena, un point d’appui central en cours de renforcement À N’Djamena, les rapporteurs ont pu constater sur place que d’importants travaux d’infrastructures avaient Ă©tĂ© engagĂ©s sur la base KosseĂŻ en vue de l’accueil des 300 personnels supplĂ©mentaires que cette emprise devrait recevoir en application du plan de « rĂ©gionalisation » de notre dispositif sahĂ©lo-saharien. Les rapporteurs ont portĂ© une attention particuliĂšre Ă  la question des approvisionnements des principaux points d’appui du futur dispositif sahĂ©lo-saharien unifiĂ©, Gao et N’Djamena. S’il est Ă©vident que N’Djamena offre une trĂšs apprĂ©ciable possibilitĂ© de rayonnement Ă  l’aviation de chasse, bien au-delĂ  de la bande sahĂ©lo-saharienne, il n’en demeure pas moins que cette position est relativement enclavĂ©e. En effet, il faut plus de 30 jours pour acheminer du fret par voie maritime depuis la France jusqu’à N’Djamena, comme le montre la carte ci-aprĂšs. De ce


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fait, les liaisons par voie aĂ©rienne (militaire ou civile) sont indispensables pour l’acheminement du fret urgent. DURÉE DES ACHEMINEMENTS STRATÉGIQUES POUR N’DJAMENA

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Épervier).

b. Les difficultĂ©s rencontrĂ©es dans la mise en Ɠuvre de la manƓuvre de restructuration du dispositif permanent et de rĂ©gionalisation dans la bande sahĂ©lo-saharienne i. D’inĂ©vitables rĂ©ticences dans les bases permanentes appelĂ©es Ă  subir une forte dĂ©flation ‱ Les difficultĂ©s rencontrĂ©es au Gabon Le dĂ©placement au Gabon a permis de faire le point sur la façon dont a Ă©tĂ© perçue, tant par les autoritĂ©s gabonaises que par les militaires français, l’annonce de la rĂ©duction planifiĂ©e du format de notre prĂ©sence militaire. L’ambassadeur de France a exposĂ© aux rapporteurs les trois principales « lignes rouges gabonaises » dans cette affaire :


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– la premiĂšre Ă©tait d’ordre diplomatique : le Gabon tenait Ă  ce que les forces françaises demeurent dirigĂ©es par un officier gĂ©nĂ©ral, ce qui ne posait pas de problĂšme particulier pour la partie française ; – la deuxiĂšme Ă©tait d’ordre Ă©conomique : la forte rĂ©duction des effectifs français Ă  Libreville n’est pas sans impact sur la vie Ă©conomique locale, comme le dĂ©crit l’encadrĂ© ci-aprĂšs. Des garanties auraient Ă©tĂ© fournies pour Ă©viter le licenciement d’employĂ©s locaux de nationalitĂ© gabonaise ; – la troisiĂšme Ă©tait d’ordre opĂ©rationnel : les forces armĂ©es gabonaises craignaient de perdre un appui important pour la dĂ©fense de leur pays et pour la modernisation de leurs armĂ©es. Toutefois, les nouvelles missions des ÉlĂ©ments français au Gabon, axĂ©es principalement sur la coopĂ©ration opĂ©rationnelle, sont de nature Ă  les rassurer. Les rapporteurs ont pu approfondir la discussion sur ces thĂšmes avec le commissaire gĂ©nĂ©ral Jean-Felix Sockat, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre gabonais de la DĂ©fense. Celui-ci leur a dĂ©clarĂ© que les autoritĂ©s gabonaises, bien entendu, « prenaient acte » de la dĂ©cision française, tout en soulignant avec force qu’à son avis personnel, « ce n’est pas au dĂ©triment des armĂ©es qu’il faut faire des Ă©conomies : la paix n’a pas de prix, mais elle a un coĂ»t ». Quoi qu’il en soit, et pour ce qui concerne la partie gabonaise, il a indiquĂ© aux rapporteurs qu’« aprĂšs cinquante ans de coopĂ©ration avec le 6e bataillon d’infanterie de marine », ce n’était pas sans « nostalgie » qu’il voyait disparaĂźtre cette unitĂ©. Et de conclure toutefois avec une certaine philosophie : « mais aprĂšs tout, qu’y a-t-il de plus permanent que le changement ? ». Il a surtout soulignĂ© la « forte implication des Forces françaises au Gabon dans le tissu local », relevant au passage que le quartier qui environne le camp De Gaulle est communĂ©ment appelĂ© « quartier De Gaulle »  Il a saluĂ© toutefois le maintien d’une structure militaire française consacrĂ©e Ă  la coopĂ©ration opĂ©rationnelle, estimant qu’avec celle-ci, « on ne peut pas parler de dĂ©sengagement ». L’IMPACT ÉCONOMIQUE DE LA PRÉSENCE DES FORCES FRANÇAISES AU GABON Selon les Ă©valuations fournies aux rapporteurs par le groupement de soutien des Forces françaises au Gabon, le budget annuel de fonctionnement des forces a un impact non nĂ©gligeable sur la vie Ă©conomique locale. Ce budget s’élĂšve pour 2014 Ă  16,6 millions d’euros de dotation, auxquels il convient d’ajouter 20,2 millions d’euros au titre des opĂ©rations extĂ©rieures. Certes, la totalitĂ© de ces fonds ne revient pas Ă  l’économie gabonaise. Mais selon les Ă©valuations du groupement de soutien, l’impact sur l’économie gabonaise peut ĂȘtre estimĂ© en 2014 Ă  28,7 millions d’euros, au titre notamment des dĂ©penses suivantes : les salaires des personnels civils de recrutement local – qu’ils soient employĂ©s par la base sur son budget ou par le Cercle Pompidou, qui les finance sur ses recettes propres – ; les loyers versĂ©s pour la location de 200 appartements ; les achats locaux effectuĂ©s par la base ; les achats locaux effectuĂ©s Ă  titre privĂ© par les personnels de la base et leurs familles ; une part des soldes des


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personnels en mission de courte durĂ©e ; et les achats locaux du Cercle Pompidou pour son approvisionnement et son soutien gĂ©nĂ©ral. En outre, le lycĂ©e français risque, selon l’ambassadeur, de perdre plusieurs professeurs car une part non nĂ©gligeable d’entre eux sont recrutĂ©s parmi les conjoints des militaires français. Surtout, la base fait vivre une communautĂ© de 1 181 Français, dont 288 familles avec 473 enfants.

Plus gĂ©nĂ©ralement, un certain nombre des interlocuteurs des rapporteurs, Ă  l’image du gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain, ont soulignĂ© « l’importance manifeste » de Libreville « dans une zone oĂč l’avenir de certains pays, comme l’énorme RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, reste plein de menaces ». En outre, comme les rapporteurs ont pu le constater eux-mĂȘmes lors de leur dĂ©placement au Centre d’aguerrissement outre-mer (CAOM) spĂ©cialisĂ© en milieu forestier Ă©quatorial, le Gabon constitue un terrain idĂ©al pour former les unitĂ©s aux particularitĂ©s au combat en zone de forĂȘts profondes, qui, selon le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain, constituent encore « des zones d’action possibles ». ‱ Les difficultĂ©s rencontrĂ©es Ă  Djibouti La dĂ©flation envisagĂ©e Ă  Djibouti a un impact d’autant plus fort sur la vie locale qu’à la diffĂ©rence du Gabon, cet État dispose de peu de ressources par habitant, et que les FFDj n’en contribuent que davantage Ă  la vie Ă©conomique et sociale locale. Le meilleur exemple de l’impact qu’aura leur forte dĂ©flation sur le contexte local est la rĂ©trocession de l’hĂŽpital Bouffard, dont l’encadrĂ© ci-aprĂšs prĂ©sente les enjeux. Dans un rĂ©cent rapport public thĂ©matique, la Cour des comptes avait montrĂ© que le fonctionnement de cet hĂŽpital en faisait un vĂ©ritable outil d’aide au dĂ©veloppement et de rayonnement, plutĂŽt qu’une structure de soutien sanitaire strictement adaptĂ©e aux besoins des forces françaises. DĂšs lors, sa rĂ©trocession prĂ©vue dĂšs 2015 par le traitĂ© de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense signĂ© entre la France et Djibouti le 21 dĂ©cembre 2011, entraĂźne la perte d’un avantage prĂ©cieux pour la population djiboutienne.


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LE CAS PARTICULIER DE L’HÔPITAL BOUFFARD DE DJIBOUTI Le service de santĂ© des armĂ©es entretient Ă  Djibouti le groupe mĂ©dico-chirurgical Bouffard au profit des 3 000 militaires français basĂ©s dans cette RĂ©publique. Ce vĂ©ritable centre hospitalier permanent, « en dur », de 56 lits, est le dernier des hĂŽpitaux militaires actifs outre-mer. Avec un budget annuel de plus de 16 millions d’euros, il emploie 79 militaires (dont 45 permanents) et 75 civils de recrutement local. Il a produit prĂšs de 12 000 journĂ©es d’hospitalisation en 2008, soit un taux d’occupation des lits faible (54 %), comparable nĂ©anmoins Ă  celui des hĂŽpitaux militaires de mĂ©tropole. L’hĂŽpital Bouffard consacre 20 % de son activitĂ© au soin des militaires français et de leurs familles. La plus grande partie est remboursĂ©e par la caisse de sĂ©curitĂ© sociale militaire. 16 % de l’activitĂ© se font au profit des civils djiboutiens qui peuvent payer le tarif « adaptĂ© » mis en place en 2004 mais qui n’est que faiblement recouvrĂ© (0,35 million d’euros sur 1,7 million d’euros effectivement facturĂ©s, correspondant Ă  une activitĂ© dont le coĂ»t rĂ©el est estimĂ© Ă  2,6 millions d’euros). Le solde reste Ă  la charge du service de santĂ© qu’il s’agisse de l’activitĂ© de l’hĂŽpital consacrĂ©e aux forces armĂ©es djiboutiennes et de leurs familles qui sont soignĂ©es gratuitement (50 %) ou rĂ©alisĂ©e au profit de la population civile djiboutienne qui ne peut payer le tarif adaptĂ© (14 %). L’hĂŽpital Bouffard est donc avant tout une structure de coopĂ©ration civile et militaire, qui s’inscrit dans un protocole diplomatique et financier entre la France et Djibouti. L’aide civilo-militaire rĂ©alisĂ©e au profit de la population civile djiboutienne est comptabilisĂ©e dans la contribution annuelle totale versĂ©e au gouvernement djiboutien. En revanche, les soins fournis gratuitement aux militaires et gendarmes djiboutiens et Ă  leurs familles ne sont pas pris en compte, ni mĂȘme portĂ©s Ă  la connaissance des autoritĂ©s djiboutiennes alors qu’ils peuvent ĂȘtre valorisĂ©s Ă  plus de huit millions d’euros. Le service de santĂ© des armĂ©es ne doit pas supporter l’ensemble des coĂ»ts de fonctionnement de cette structure. D’un point de vue militaire en effet, un simple centre mĂ©dical interarmĂ©es « renforcĂ© », rĂ©servĂ© aux seuls militaires français et Ă  leurs familles, pourrait suffire. DĂšs lors, les charges correspondant aux soins pour les militaires djiboutiens devraient faire l’objet d’une convention de remboursement avec le ministĂšre français des Affaires Ă©trangĂšres, en raison de la dimension exclusivement politique de cette action. Les charges supportĂ©es au profit de la population civile djiboutienne (plus de 4,5 millions d’euros) pourraient faire l’objet d’une dĂ©claration pour le calcul de l’aide publique au dĂ©veloppement. Cour des comptes, rapport public thĂ©matique « MĂ©decins et hĂŽpitaux des armĂ©es », octobre 2010.

ii. La « rĂ©gionalisation » du dispositif militaire français dans la bande sahĂ©lo-saharienne : un retard liĂ© Ă  la situation au Mali AprĂšs les Ă©vĂ©nements survenus dans le Nord en mai 2014, qui ont vu le MNLA et d’autres groupes rebelles alliĂ©s prendre le contrĂŽle de plusieurs localitĂ©s du Nord, le dĂ©sengagement de la force a Ă©tĂ© suspendu, et les effectifs prĂ©sents Ă  Gao ont mĂȘme Ă©tĂ© renforcĂ©s par une centaine de personnels supplĂ©mentaires. Le ministre de la DĂ©fense s’en est d’ailleurs expliquĂ© devant la commission (1). De mĂȘme, la « bascule » du poste de commandement interarmĂ©es de thĂ©Ăątre de l’opĂ©ration Serval, planifiĂ©e pour la fin du premier semestre 2014, a Ă©tĂ© (1) Audition du 27 mai 2014.


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suspendue pour plusieurs semaines, sans qu’une nouvelle Ă©chĂ©ance prĂ©cise soit explicitement fixĂ©e. Ainsi, l’insĂ©curitĂ© persistante dans le Nord du Mali a pour effet de retarder la manƓuvre de rĂ©gionalisation du dispositif français dĂ©ployĂ© dans la bande sahĂ©lo-saharienne. 3. Un point d’attention majeur : le sort de Djibouti

À l’occasion de leurs diffĂ©rents dĂ©placements auprĂšs de toutes les forces françaises stationnĂ©es en Afrique, les rapporteurs ont pu prendre la mesure des difficultĂ©s comme des opportunitĂ©s que prĂ©sente le vaste plan de rĂ©organisation en cours. Mais si, dans la plupart des cas, les difficultĂ©s mises en lumiĂšres semblent pouvoir ĂȘtre rĂ©glĂ©es sans remettre en cause les lignes directrices de ce plan de restructuration, le cas de Djibouti leur est apparu tout Ă  fait spĂ©cifique. Il s’agit en effet – encore – aujourd’hui de notre principal point d’appui dans notre dispositif outre-mer et Ă  l’étranger, et la dĂ©flation envisagĂ©e soulĂšve de trĂšs rĂ©elles difficultĂ©s. De sĂ©rieux doutes sont exprimĂ©s, de façon argumentĂ©e, sur la crĂ©dibilitĂ© du dispositif qu’il est envisagĂ© d’y maintenir, tant du point de vue de la protection des intĂ©rĂȘts français dans une zone particuliĂšrement dangereuse - l’attentat du 24 mai revendiquĂ© par le groupe terroriste Shebab l’a montrĂ© -, que du point de vue de la capacitĂ© de la France Ă  honorer sa signature, c’est-Ă -dire Ă  mettre en Ɠuvre les moyens militaires qu’elle s’est engagĂ©e Ă  maintenir Ă  Djibouti dans le cadre du nouvel accord de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense a. Un point d’appui du plus haut intĂ©rĂȘt stratĂ©gique pour la France i. Une situation gĂ©ostratĂ©gique exceptionnelle Tous les interlocuteurs des rapporteurs, tant Ă  Paris qu’à Djibouti, se sont accordĂ©s Ă  souligner l’intĂ©rĂȘt stratĂ©gique d’une implantation Ă  Djibouti. Ainsi, pour l’amiral Marin Gillier, directeur de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, Djibouti est « un positionnement extraordinaire », qu’il n’est « pas imaginable de quitter », car « il a toujours Ă©tĂ© et restera stratĂ©gique ». Il a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs : « je ne connais pas d’autre endroit dans le monde oĂč la gamme de nos intĂ©rĂȘts soit aussi large pour un emplacement aussi rĂ©duit ». D’ailleurs, 95 % des Ă©changes extracommunautaires français se font par voie maritime, et de plus en plus vers l’Asie, tandis que 30 % du pĂ©trole transportĂ© dans le monde passe au large de Djibouti, comme le montre la carte ci-aprĂšs. De mĂȘme, le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain, ancien officier des troupes de marine et ancien conseiller pour les questions de sĂ©curitĂ© Ă  la prĂ©sidence de CĂŽte d’Ivoire et Ă  celle du Gabon, a fait valoir aux rapporteurs que Djibouti Ă©tait « la porte de l’ocĂ©an Indien » et offrait « une


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possibilitĂ© d’agir rapidement dans une zone qui a toujours Ă©tĂ© fortement convoitĂ©e », et qui « reste une zone Ă  risques ». DJIBOUTI, UN POINT DE CONTRÔLE STRATÉGIQUE DU TRAFIC MARITIME MONDIAL

Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises à Djibouti).

L’ambassadeur de France Ă  Djibouti a ajoutĂ© devant les rapporteurs que l’intĂ©rĂȘt d’une prĂ©sence française devait s’apprĂ©cier Ă  la lumiĂšre d’une analyse prospective portant sur les dix Ă  quinze ans Ă  venir. Or, Ă  cet Ă©gard, Djibouti possĂšde des atouts apprĂ©ciables : si son territoire est exigu, son dĂ©veloppement Ă©conomique est rapide et il n’est pas improbable que des gisements d’hydrocarbures soient dĂ©couverts dans la rĂ©gion. Il convient aussi de noter que c’est au large de Djibouti que se trouve le principal nƓud de cĂąbles sous-marins de tĂ©lĂ©communications desservant l’Afrique de l’Est : presque tout Internet en Afrique de l’Est passe ainsi par Djibouti, ce qui constitue un enjeu autant Ă©conomique que sĂ©curitaire. En tout Ă©tat de cause, selon l’expression employĂ©e plusieurs fois devant les rapporteurs, Djibouti dispose d’atouts qui lui permettraient d’ĂȘtre une sorte de « Singapour de l’Afrique de l’Est ». L’ambassadeur a d’ailleurs estimĂ© que « Djibouti a toutes les cartes en main pour ĂȘtre la premiĂšre puissance maritime de l’Est de l’Afrique », et que les autoritĂ©s djiboutiennes, auparavant peu sensibles aux enjeux de dĂ©fense maritime – on dit souvent que Djibouti Ă©tait « un port qui regarde vers la terre » – sont « de plus en plus impliquĂ©es » dans les efforts faits pour sĂ©curiser la rĂ©gion, notamment dans le cadre des opĂ©rations Atalanta et Ocean Shield. Pour l’ambassadeur, en outre, la dĂ©gradation de la situation sĂ©curitaire dans le Golfe de GuinĂ©e plaide en faveur de


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la sĂ©curisation d’une seconde voie, par l’Est de l’Afrique, pour assurer l’approvisionnement de l’Europe depuis l’Asie et le Moyen-Orient. ii. Un point d’appui indispensable dans une zone de plus en plus instable en gĂ©nĂ©ral, et de plus en plus menaçante pour les intĂ©rĂȘts français en particulier Djibouti a longtemps Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme « un havre de paix dans une rĂ©gion instable ». Si l’instabilitĂ© gĂ©nĂ©rale de la rĂ©gion n’est pas Ă  dĂ©montrer, l’attentat survenu le 24 mai 2014 contre un lieu frĂ©quentĂ© par les ressortissants occidentaux – notamment les Français – et revendiquĂ© par les Shebabs conduit Ă  penser que dĂ©sormais, Djibouti comme le reste des pays voisins reprĂ©sente une zone de risques pour les intĂ©rĂȘts et les ressortissants français. L’ambassadeur de France a d’ailleurs soulignĂ© que cette menace terroriste, « extrĂȘmement prĂ©sente », a ceci de particulier qu’elle « vise expressĂ©ment la France, soit Ă  travers ses implantations stratĂ©giques, soit Ă  travers ses intĂ©rĂȘts et ses ressortissants ». ‱ Djibouti, pivot d’une rĂ©gion instable oĂč les intĂ©rĂȘts français sont particuliĂšrement menacĂ©s Dans la Corne de l’Afrique, la menace prend schĂ©matiquement deux formes principales : – des groupes terroristes actifs notamment au YĂ©men (avec Al-QaĂŻda dans la PĂ©ninsule arabique) et en Somalie (avec notamment les Shebabs) ; – les actes de piraterie perpĂ©trĂ©s au large de la Corne de l’Afrique.


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1./ La piraterie Comme le montre la carte ci-aprĂšs, la piraterie constitue une menace croissante au large de la Corne de l’Afrique depuis les annĂ©es 2000. ÉVOLUTION DU RAYON D’ACTION DES PIRATES ENTRE 2005 ET 2010

Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises à Djibouti).

Plusieurs opĂ©rations internationales ont Ă©tĂ© menĂ©es en vue de maĂźtriser la menace maritime dans la Corne de l’Afrique. Il s’agit des opĂ©rations : – Atalanta, premiĂšre opĂ©ration maritime de l’Union europĂ©enne, lancĂ©e le 11 dĂ©cembre 2008 dans le Golfe d’Aden et le bassin somalien, en vue de « contenir » la piraterie ; – EUCAP NESTOR, opĂ©ration civile de l’Union europĂ©enne visant notamment Ă  renforcer les capacitĂ©s des États de la Corne de l’Afrique en matiĂšre de surveillance maritime ;


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– Ocean Shield, contribution de l’OTAN aux activitĂ©s internationales de lutte contre la piraterie au large de la Corne de l’Afrique et dans le Golfe d’Aden. Si, selon l’ambassadeur de France, ces opĂ©rations ont connu un succĂšs incontestable, il est Ă  craindre « qu’une rĂ©duction trop rapide de leur format ne conduise Ă  une reprise de la piraterie ». DĂšs lors, Djibouti reste un point d’appui indispensable dans ce dispositif. 2./ La menace terroriste Sans entrer dans une analyse dĂ©taillĂ©e des conflits dans la Corne de l’Afrique, les rapporteurs tiennent Ă  souligner que cette zone devient une rĂ©gion Ă  haut degrĂ© de risque, y compris terroriste. Les principales menaces sont les suivantes : – Al-QaĂŻda dans la PĂ©ninsule arabique (AQPA), dont les bases principales se situent au YĂ©men, en face des cĂŽtes djiboutiennes ; – les Shebabs, groupe armĂ© djihadiste dont l’épicentre est la Somalie. Au YĂ©men, comme le prĂ©sente en dĂ©tail l’encadrĂ© ci-aprĂšs, la menace tient Ă  la fois aux faiblesses de l’État central – encore marquĂ© par la division du pays durant la guerre froide et les ambitions des tenants de l’ancien prĂ©sident Ali Abdallah Saleh –, les divisions tribales et les fortes positions d’AQPA. Selon les informations fournies Ă  Djibouti par les autoritĂ©s compĂ©tentes, la sociĂ©tĂ© Total a beaucoup investi au YĂ©men, et se trouve dĂ©sormais en position de grande vulnĂ©rabilitĂ© : elle est dĂ©sormais contrainte de passer des arrangements de toute nature avec certaines tribus pour Ă©viter le sabotage de ses installations.


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LA SITUATION SÉCURITAIRE AU YÉMEN, FACE À DJIBOUTI 1. GĂ©nĂ©ralitĂ©s La culture tribale et le poids de l’histoire politique et religieuse yĂ©mĂ©nite ont forgĂ© une situation extrĂȘmement complexe. Les conflits d’intĂ©rĂȘts claniques, les luttes d’influence, les dettes d’honneur, les revendications religieuses et une rĂ©unification pas encore finalisĂ©e dans un contexte de « printemps arabe » sont autant de facteurs de troubles et tensions qui rendent extrĂȘmement difficile le rĂšglement de la crise yĂ©mĂ©nite. Le 18 mars 2013 a Ă©tĂ© marquĂ© par le dĂ©but de la confĂ©rence pour le dialogue national et la rĂ©daction d’une nouvelle Constitution, mais ses avancĂ©es sont lentes : six mois de retard, report des Ă©lections lĂ©gislatives de fĂ©vrier 2014 repoussĂ©es Ă  fĂ©vrier 2015, et prorogation d’un an du mandat du prĂ©sident Hadi. 2. Situation sĂ©curitaire actuelle Les islamistes continuent Ă  conquĂ©rir des territoires tout en maintenant la pression terroriste sur Aden. Le Sud indĂ©pendantiste manifeste rĂ©guliĂšrement son opposition au pouvoir central. Ces manifestations mobilisent plusieurs milliers de personnes et sont souvent durement rĂ©primĂ©es. De plus, ces deux menaces collatĂ©rales continuent Ă  monter en puissance : les Houtistes Ă©tendent leur zone d’action en tentant de contrĂŽler les accĂšs vers l’Arabie et de gagner un accĂšs Ă  la mer. La situation gĂ©nĂ©rale peut ĂȘtre caractĂ©risĂ©e ainsi : – islamisme radical, conflits tribaux (Nord, Saada), insurrections armĂ©es (Sud, Taez) ; – activisme d’AQPA dans le Sud et Sud-Ouest ; – affrontements chiites / sunnites dans le Nord. – multiplication des assassinats, enlĂšvements et attaques Ă  Sanaa, y compris contre du personnel diplomatique occidental et japonais ; – sabotages contre des infrastructures gaziĂšres et Ă©lectriques, y compris par des tirs de roquettes, ce qui conduit la sociĂ©tĂ© Total Ă  dĂ©ployer une « bulle de sĂ©curitĂ© » mobilisant 1 500 hommes, selon les indications fournies aux rapporteurs ; – manifestations des indĂ©pendantistes sudistes Ă  Aden : rĂ©pression lourde ; – influence persistante du prĂ©sident Saleh, restĂ© au pouvoir pendant 33 ans jusqu’au mouvement dit des « printemps arabes ». Il reste un acteur d’influence et aujourd’hui de dĂ©stabilisation interne Ă  la vie du pays. Sa famille et ses alliĂ©s dĂ©tiennent encore des postes clĂ©s du pays et compliquent la tĂąche du nouveau prĂ©sident, Abd Rabbo Mansour Hadi. MalgrĂ© des influences extĂ©rieures reconnues (Iran, Irak, Arabie Saoudite), beaucoup de YĂ©mĂ©nites considĂšrent qu’il s’agit avant tout d’un conflit privĂ© au sein de la confĂ©dĂ©ration Hacheb mettant en scĂšne le chef de cette confĂ©dĂ©ration tribale et les deux demi-frĂšres (l’ex-prĂ©sident et le gĂ©nĂ©ral Ali Moshem). Dans un contexte de printemps arabe, les jeunes et la rue ont cru profiter de l’occasion pour faire changer la situation, comme le prouvent les nombreuses manifestations parfois extrĂȘmement violentes. Les implications rĂ©gionales et internationales de cette crise, essentiellement interne, sont telles que personne ne peut laisser le YĂ©men suivre la voie de la Somalie. La communautĂ© internationale est donc trĂšs prĂ©sente et ne mĂ©nage pas ses efforts pour trouver une solution acceptable par toutes les parties en prĂ©sence qui s’évertuent Ă  poser des conditions inacceptables par la partie adverse. 3. RĂŽle des forces françaises Ă  Djibouti – alerte RESEVAC, avec une attention particuliĂšre pour les employĂ©s de la sociĂ©tĂ© Total ; – coopĂ©ration avec les garde-cĂŽtes et, possiblement, avec les forces spĂ©ciales. Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement des Forces françaises Ă  Djibouti).


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En Somalie, la dĂ©liquescence de l’État depuis une vingtaine d’annĂ©es a laissĂ© le champ libre au dĂ©veloppement de groupes armĂ©s, parmi lesquels les Shebabs se distinguent aujourd’hui par la violence de leurs actions. Comme certains observateurs l’ont fait remarquer aux rapporteurs, le fait que les 20 000 hommes de l’AMISOM et les 26 000 hommes des forces armĂ©es somaliennes ne parviennent pas Ă  venir Ă  bout des Shebabs ne peut s’expliquer que par un soutien extĂ©rieur significatif apportĂ© Ă  ce mouvement. La provenance de ces soutiens reste Ă  Ă©tablir, la question pouvant ĂȘtre posĂ©e de savoir quelle puissance rĂ©gionale a le moins intĂ©rĂȘt Ă  ce que la Somalie retrouve une stabilitĂ© qui lui rendrait son rayonnement rĂ©gional. La carte ci-dessous prĂ©sente schĂ©matiquement cet environnement sĂ©curitaire instable. DJIBOUTI ET SON ENVIRONNEMENT

Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises à Djibouti).

‱ Djibouti n’est plus un « havre de paix » L’attentat dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© du 24 mai 2014 a montrĂ© que le territoire djiboutien Ă©tait lui aussi touchĂ© par la vague d’insĂ©curitĂ© qui frappe la rĂ©gion. Compte tenu de la concentration d’intĂ©rĂȘts français Ă  Djibouti et sur la rive opposĂ©e de la mer Rouge, il peut donc paraĂźtre imprudent de « baisser la garde ».


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Tant le ministre djiboutien des Affaires Ă©trangĂšres que celui de la DĂ©fense, comme le chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es djiboutiennes et le directeur de la sĂ©curitĂ© nationale se sont dits conscients du fait que la prĂ©sence de forces Ă©trangĂšres sur leur sol prĂ©sentait Ă  la fois des avantages et des inconvĂ©nients. En effet, si ces forces contribuent Ă  la dĂ©fense du territoire, elles n’en constituent pas moins une cible privilĂ©giĂ©e pour les groupes armĂ©s djihadistes qui prĂ©sentent la RĂ©publique de Djibouti comme l’alliĂ©e privilĂ©giĂ©e des Occidentaux. Toutefois, comme le ministre des Affaires Ă©trangĂšres l’a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs, « de deux maux, il faut choisir le moindre
 ». Selon les observateurs français et djiboutiens spĂ©cialisĂ©s, cet attentat porte la marque des Shebabs. Ceux-ci auraient fait de Djibouti une sorte de « sanctuaire », et il conviendrait de maintenir auprĂšs des autoritĂ©s djiboutiennes une prĂ©sence suffisamment forte pour qu’elles ne soient pas incitĂ©es Ă  adopter vis-Ă -vis des Shebabs une sorte de « posture ATT » (cf. supra). Pour ces observateurs, la menace que reprĂ©sentent les Shebabs peut ĂȘtre caractĂ©risĂ©e de la façon suivante : – le groupe tend probablement Ă  se servir de Djibouti comme d’une base arriĂšre, tant pour sa logistique que pour l’organisation de son financement ; – les combattants sont Ă  la fois « furtifs et agressifs » : « la menace est bien rĂ©elle, il y a danger Ă  Djibouti » ; – le groupe est « imprĂ©visible » : « on les attendait depuis deux ans, ils n’ont frappĂ© que le 24 mai, et encore, avec peu d’efficacitĂ© » (outre les deux kamikazes, l’attaque a fait un mort et une vingtaine de blessĂ©s) ; – les Shebabs « semblent rester dans une logique assez ethnique » : ils sont les hĂ©ritiers des tribunaux islamiques de la guerre civile somalienne, qui s’érigeaient en « barriĂšre » contre l’occidentalisation. Or il y a une forte communautĂ© somalienne Ă  Djibouti : une forme d’irrĂ©dentisme peut dĂšs lors nourrir un nationalisme Ă  connotation islamique. La question de savoir si les Shebabs ont nouĂ© des liens avec les autres groupes armĂ©s rebelles, terroristes ou djihadistes de la rĂ©gion reste ouverte. NĂ©anmoins, il ressort des informations fournies aux rapporteurs que : – au YĂ©men, l’interconnexion entre les mouvements tribaux et Al-QaĂŻda dans la PĂ©ninsule arabique (AQPA) est avĂ©rĂ©e ; – les Shebabs et AQPA entretiennent des liens financiers, Ă©changent des pratiques permettant de perfectionner leurs mĂ©thodes et coopĂšrent en matiĂšre de logistique ; – le ministre des Affaires Ă©trangĂšres a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs que les Shebabs auraient fait « allĂ©geance » Ă  Al-QaĂŻda ;


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– les liens entre les Shebabs et les auteurs d’actes de piraterie sont moins clairs, les vues exposĂ©es devant les rapporteurs par les ministres djiboutiens des Affaires Ă©trangĂšres et de la DĂ©fense n’étant pas totalement concordantes sur ce point. Le ministre de la DĂ©fense, notamment a insistĂ© sur le fait que les motivations des pirates seraient essentiellement financiĂšres, alors que celles des Shebabs seraient principalement idĂ©ologiques. Il convient en outre de rappeler que la situation intĂ©rieure de Djibouti est encore marquĂ©e, parfois, par des incidents sĂ©rieux opposant des Ă©lĂ©ments du Front pour la restauration de l’unitĂ© et la dĂ©mocratie (FRUD) et l’armĂ©e nationale. L’encadrĂ© ci-dessous relate le dernier de ces Ă©vĂ©nements. TROUBLES INTÉRIEURS À DJIBOUTI Au lendemain de la commĂ©moration du 37e anniversaire de l’indĂ©pendance des violents affrontements ont eu lieu. Selon des informations Ă©manant du Front pour la restauration de l’unitĂ© et la dĂ©mocratie (FRUD), plusieurs accrochages ont eu lieu entre l’armĂ©e gouvernementale et les combattants du FRUD dans la journĂ©e du 28 juin 2014, dans les Mablas (district de Tadjourah). Le 1er accrochage a eu lieu vers 6 heures du matin, aux environs de Galeila oĂč se trouve un camp militaire de l’AND ; un autre affrontement s’est dĂ©roulĂ© Ă  DĂ©bel, non loin de Garbanaba, un vĂ©hicule de l’armĂ©e a Ă©tĂ© dĂ©truit, deux morts et trois blessĂ©s parmi les soldats de l’AND. Partis du Camp de Galeila, les militaires ont affrontĂ© les combattants du FRUD Ă  Sismo toujours dans les Mablas de 14 heures Ă  18 heures, un soldat tuĂ© et quatre autres ont Ă©tĂ© blessĂ©s. Une vingtaine de militaires ont fui le combat et sont rentrĂ©s chez eux. Le FRUD, de son cĂŽtĂ©, ne dĂ©plore aucune perte. On apprend aussi que l’armĂ©e nationale djiboutienne a interrompu les festivitĂ©s de la commĂ©moration du 37e anniversaire de l’indĂ©pendance et a envoyĂ© plusieurs dĂ©tachements Ă  Galeila pour faire face aux Ă©lĂ©ments du FRUD. Source : dĂ©pĂȘche prĂ©sentĂ©e aux rapporteurs par le commandement des Forces françaises Ă  Djibouti

‱ Les Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti ne contribuent pas seulement Ă  la sĂ©curitĂ© de Djibouti, mais aussi Ă  celle de toute la rĂ©gion

Le ministre djiboutien des Affaires Ă©trangĂšres a fait valoir aux rapporteurs que la prĂ©sence des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti constituait un Ă©lĂ©ment de stabilitĂ© qui bĂ©nĂ©ficie non seulement Ă  la RĂ©publique de Djibouti - « peu de pays dans la rĂ©gion peuvent se targuer d’une telle protection que celle que la France fournit Ă  Djibouti » -, mais Ă©galement Ă  l’ensemble de la rĂ©gion. Notamment, selon lui, le fait que les contingents djiboutiens dĂ©ployĂ©s en Somalie dans le cadre de l’AMISOM soient gĂ©nĂ©ralement vus comme efficaces est Ă  rapporter au fait qu’ils ont Ă©tĂ© formĂ©s et accompagnĂ©s sur le terrain par les Forces françaises Ă  Djibouti, agissant au titre de leur mission de coopĂ©ration. Il a ainsi conclu que « la prĂ©sence militaire française Ă  Djibouti est cruciale pour toute la rĂ©gion ».


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Le ministre a Ă©galement ajoutĂ© que cet Ă©lĂ©ment de sĂ©curitĂ© constituait un atout pour le dĂ©veloppement de Djibouti et, partant, de son hinterland, notamment l’Éthiopie. Il a ainsi Ă©voquĂ© de grands projets d’infrastructures en cours d’étude - en matiĂšre de pipelines, de rĂ©seaux de fibres optiques, etc. -, soulignant que « la sĂ©curitĂ© apportĂ©e par la France est un atout pour attirer des capitaux : cela fait partie d’un continuum entre sĂ©curitĂ© et dĂ©veloppement ». Il n’est pas inutile de relever que sur les 51 opĂ©rations conduites par les forces françaises prĂ©positionnĂ©es depuis 30 ans, 36 l’ont Ă©tĂ© avec une participation des FFDj. ‱ Une relation de complĂ©mentaritĂ© – et non de substituabilitĂ© – avec les Forces françaises aux Émirats arabes unis Lors de son audition, l’amiral Marin Gillier – directeur de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense et ancien commandant des Forces françaises aux Émirats arabes unis – a fait valoir aux rapporteurs que c’est Djibouti qui « donne de la profondeur stratĂ©gique aux Forces françaises aux Émirats arabes unis ». Il a rappelĂ© qu’« Abou-Dhabi, ce n’est pas la « base Sarkozy » que certains ont dite : l’idĂ©e d’une telle base remonte au prĂ©sident François Mitterrand ». C’est en effet Ă  la suite de la Guerre du Golfe qu’a Ă©tĂ© entamĂ©e la nĂ©gociation d’une implantation permanente dans la pĂ©ninsule arabique. Il a fallu alors de longues nĂ©gociations, mais trois raisons au moins militaient pour les conduire Ă  leur terme : la rĂ©gion est une zone de dĂ©veloppement, une zone de crispation, ainsi qu’une zone dont ne saurait se dĂ©sintĂ©resser une puissance qui a encore vocation Ă  ĂȘtre mondiale. S’installer Ă  Abou-Dhabi est donc selon l’amiral une excellente idĂ©e d’un point de vue stratĂ©gique, qui ne remet pas en cause l’utilitĂ© de Djibouti, au contraire : « cette petite base a une vocation rĂ©gionale, mais pas de profondeur stratĂ©gique : elle est Ă  15 minutes de vol des chasseurs iraniens... ». C’est une raison d’ĂȘtre supplĂ©mentaire de Djibouti : « les Forces françaises aux Émirats arabes unis ne tiennent qu’avec la profondeur stratĂ©gique offerte par Djibouti ». La carte ci-aprĂšs illustre cette position stratĂ©gique de complĂ©mentaritĂ©.


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Source : état-major des armées (commandement des Forces françaises à Djibouti).

Devant les rapporteurs, le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air a lui aussi soulignĂ© que s’il y a une « vraie cohĂ©rence » entre Djibouti et Abou-Dhabi, il y a quand mĂȘme deux Ă  trois heures de vol entre les deux bases : les deux dispositifs ne sont donc « pas totalement substituables ». Un Mirage et un Rafale peuvent dans certains cas assurer ce vol sans ravitaillement en vol, mais tout dĂ©pend de la configuration de l’avion. ‱ Une concurrence internationale dans laquelle la France perd du terrain au profit de puissances amies, mais aussi au profit de concurrents moins coopĂ©ratifs En se rendant sur place, les rapporteurs ont pu mesurer l’ampleur des convoitises que suscite l’implantation française Ă  Djibouti – signe, s’il en fallait, de l’intĂ©rĂȘt stratĂ©gique de cette position. Lors de son audition, le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air a d’ailleurs insistĂ© sur la lutte d’influence, voire la concurrence, qui s’opĂšre Ă  Djibouti entre diffĂ©rentes puissances. Selon lui, « il faut bien voir la concurrence : Djibouti attire... Pourquoi s’en retirer ? ». 1./ Les AmĂ©ricains D’ores et dĂ©jĂ , comme l’ambassadeur l’a soulignĂ© devant les rapporteurs, « nous ne sommes plus les plus nombreux Ă  Djibouti : les AmĂ©ricains ont des effectifs supĂ©rieurs ». Ils entretiennent en effet un dĂ©tachement Ă  Djibouti depuis


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la guerre du Golfe, et ont installĂ© leurs propres bases Ă  partir de 2002, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. DĂ©sormais, leurs forces comptent plusieurs milliers d’hommes, et ils utilisent la piste de dĂ©tournement construite par les Français Ă  Chabelley pour opĂ©rer notamment des drones. Cette coopĂ©ration est appelĂ©e Ă  s’intensifier : un rĂ©cent accord amĂ©ricano-djiboutien pĂ©rennise la prĂ©sence amĂ©ricaine pour vingt ans et permet l’extension des bases amĂ©ricaines, moyennant une redevance annuelle relevĂ©e de 38 Ă  68 millions de dollars – Ă  comparer aux 30 millions d’euros versĂ©s par la France. Aujourd’hui, les deux tiers des mouvements aĂ©riens militaires dans le ciel de Djibouti sont le fait des AmĂ©ricains, et le tiers restant des Français ; il y a cinq ans, la proportion Ă©tait inverse. Certes, pour l’heure, il s’agit pour les AmĂ©ricains d’une simple base d’appui pour le combat contre Al-QaĂŻda au YĂ©men et dans une moindre mesure en Somalie, mais on note : – que les forces amĂ©ricaines commencent Ă  mener dans la rĂ©gion des actions de coopĂ©ration opĂ©rationnelle, notamment au Somaliland et au Puntland ; – que, selon les informations fournies aux rapporteurs, les AmĂ©ricains restent trĂšs discrets sur les activitĂ©s de certaines de leurs bases implantĂ©es Ă  Djibouti, mĂȘme si la coopĂ©ration franco-amĂ©ricaine sur le terrain djiboutien est par ailleurs d’excellent niveau. Au demeurant, cette implantation s’inscrit dans un mouvement d’extension de la prĂ©sence amĂ©ricaine en Afrique, que les rapporteurs ont pu constater Ă©galement au Niger, ainsi que de façon moins visible mais tout aussi rĂ©solue dans d’autres pays. Selon les termes employĂ©s par le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air, les AmĂ©ricains le font certes, pour l’heure, « avec humilitĂ©, car ils la connaissent mal » et en s’appuyant sur le dispositif français. Mais leurs intentions Ă  moyen terme sont claires : « ils ont tendance Ă  dĂ©velopper les infrastructures » – par exemple sur le terrain de Chabelley, sur lequel la France les a accueillis, et qu’ils proposent aujourd’hui de dĂ©velopper –, alors que, « dans le mĂȘme temps, nous-mĂȘmes rĂ©duisons notre empreinte ». Aussi, « le risque est rĂ©el que dans dix ans, les Djiboutiens parlent non plus Français mais Anglais : l’ambassadeur amĂ©ricain en fait le pari... ». Le commandement des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti a toutefois soulignĂ© que s’agissant des AmĂ©ricains, il serait rĂ©ducteur de voir leur implantation Ă  Djibouti comme une simple concurrence. En effet, des complĂ©mentaritĂ©s peuvent ĂȘtre recherchĂ©es entre nos deux dispositifs, dans le cadre de notre partenariat stratĂ©gique. D’ores et dĂ©jĂ , des patrouilles aĂ©riennes mixtes sont organisĂ©es, et il serait envisageable d’entendre ce mode de fonctionnement Ă  d’autres vecteurs – par exemple les moyens aĂ©roterrestres ou le transport aĂ©rien tactique. De mĂȘme, le partage de certaines bases serait Ă  l’étude : sous rĂ©serve que toutes les garanties de notre autonomie puissent ĂȘtre rĂ©unies, ce


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co-basing reprĂ©sente pour le commandement des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti une « option intĂ©ressante » pour les deux parties. 2./ Les autres puissances Selon les informations fournies aux rapporteurs, l’Italie aurait installĂ© le 13 fĂ©vrier 2014 une base « logistique » pouvant accueillir 300 personnels, destinĂ©e Ă  soutenir l’action de gendarmes et de forces spĂ©ciales en Somalie notamment. Elle verserait pour cette implantation une redevance annuelle de 22 millions d’euros. Par ailleurs, le Japon entretient Ă  Djibouti son unique dĂ©ploiement militaire Ă  l’étranger depuis 1945. Il se dit aussi que les Britanniques auraient engagĂ© des discussions avec le gouvernement djiboutien. Surtout, selon les informations fournies aux rapporteurs, la Russie, qui a signĂ© en 2014 un traitĂ© de coopĂ©ration avec Djibouti, chercherait « discrĂštement » Ă  implanter une base aĂ©roportuaire Ă  Djibouti. De mĂȘme, la Chine aurait demandĂ© au gouvernement djiboutien le bĂ©nĂ©fice d’un quai Ă  usage permanent et exclusif : il ne s’agit certes que de simples facilitĂ©s portuaires, mais il convient de souligner que de telles facilitĂ©s ne sont accordĂ©es jusqu’à prĂ©sent qu’aux Français. En tout Ă©tat de cause, le ministre djiboutien des Affaires Ă©trangĂšres a reconnu que son gouvernement cherchait Ă  diversifier ses partenariats en matiĂšre de dĂ©fense, et ce pour deux raisons principales : – il observe que « la France se retire petit Ă  petit » de Djibouti ; – il souligne l’intĂ©rĂȘt Ă©conomique de tels partenariats : les redevances versĂ©es par les puissances Ă©trangĂšres reprĂ©sentent un montant consĂ©quent au regard du budget de l’État, qui ne dĂ©passe pas 380 millions d’euros par an. Il a rĂ©sumĂ© cette « rente gĂ©ostratĂ©gique » en une formule : « nous n’avons pas de pĂ©trole, mais nous sommes bien placĂ©s
 ». Selon lui, cette diversification des partenariats de dĂ©fense s’est opĂ©rĂ©e en quatre temps : – un point de dĂ©part : la lutte contre la piraterie et le terrorisme, dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2000 ; – puis un « temps d’évolution » des menaces qui, avec l’instabilitĂ© grandissante au Moyen-orient (le « YĂ©men en Ă©bullition », les « printemps arabes », etc.), a conduit les puissances concernĂ©es Ă  envisager une prĂ©sence plus pĂ©renne ; – ensuite, un « phĂ©nomĂšne d’émulation » : de nouvelles puissances s’intĂ©ressent Ă  la rĂ©gion oĂč les États-Unis commencent Ă  s’implanter, et Djibouti s’impose comme une position stratĂ©gique d’autant plus intĂ©ressante, que les autres points d’appui envisageables dans la rĂ©gion sont soit instables (comme le YĂ©men


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ou l’Éthiopie), soit risquent de le devenir (comme BahreĂŻn pour les États-Unis). Pour le ministre, des puissances comme la Turquie ou la Chine voient dans une implantation Ă  Djibouti un moyen d’ouvrir Ă  leurs produits les marchĂ©s est-africains ; – enfin, il a soulignĂ© l’importance des derniers accords passĂ©s avec les États-Unis, notant que la prĂ©sence amĂ©ricaine y est mieux acceptĂ©e qu’à BahreĂŻn (oĂč, selon son homologue, la prĂ©sence de la 5e flotte amĂ©ricaine ne ferait pas l’objet d’un consensus national au sein d’une population majoritairement chiite), qu’au Qatar et mĂȘme qu’en Arabie saoudite. b. Un projet de dĂ©flation massif, qui repose Ă  ce stade sur un objectif strictement quantitatif et non sur une analyse fonctionnelle prĂ©alable Le dĂ©placement des rapporteurs auprĂšs des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti leur a permis d’étudier les diffĂ©rents scĂ©narios envisagĂ©s pour leur restructuration, dans le cadre de la rĂ©organisation gĂ©nĂ©rale de notre dispositif militaire permanent en Afrique. Tous les scĂ©narios en cours d’étude rĂ©pondent Ă  un objectif, fixĂ© comme but Ă  atteindre : rĂ©duire les effectifs de 1950 Ă  950 personnels. Pour les rapporteurs, quel que soit le nouveau format qui sera retenu pour les Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti, la mĂ©thode retenue fait peser deux grands risques sur la cohĂ©rence opĂ©rationnelle du rĂ©sultat obtenu : – elle a pour point de dĂ©part un objectif chiffrĂ© de dĂ©flation, et non une analyse des besoins et des ressources disponibles ; – son calendrier est particuliĂšrement rapide, ce qui risque de conduire Ă  des dĂ©flations relativement « faciles » Ă  opĂ©rer, plutĂŽt qu’à des choix efficients. i. Des plans de restructuration entiĂšrement guidĂ©s par un objectif chiffrĂ© de dĂ©flation, sans analyse fonctionnelle prĂ©alable Le nouveau schĂ©ma retenu pour notre dispositif de prĂ©sence prĂ©voit une trĂšs forte rĂ©duction des effectifs des Forces françaises Ă  Djibouti, qui passeraient de 1950 Ă  950 personnels, sans pour autant ĂȘtre transformĂ©es en simple pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration (POC) comme c’est le cas pour les Forces françaises au Gabon. De plus, l’amiral Bernard Rogel a indiquĂ© aux rapporteurs qu’en application des orientations du Livre blanc qui prĂ©voient de rĂ©duire de trois Ă  deux le nombre de zones de permanence Ă  la mer, la marine nationale proposait de rĂ©duire le dispositif français dans la Corne est de l’Afrique plutĂŽt qu’en MĂ©diterranĂ©e ou dans le Golfe de GuinĂ©e. C’est pour lui un « risque prenable », d’autant que la marine marchande y applique dĂ©sormais les techniques de risk management control. Si l’objectif de dĂ©flation est clairement affichĂ©, les choix quant Ă  la composition des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti dans leur nouveau format


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n’ont pas encore Ă©tĂ© annoncĂ©s. Il semble acquis que les bases opĂ©rationnelles avancĂ©es de Djibouti et d’Abidjan comporteront des Ă©lĂ©ments des forces spĂ©ciales dĂ©ployĂ©s Ă  titre permanent, mais les autres Ă©lĂ©ments de la composition de ces bases restent Ă  dĂ©finir dĂ©finitivement. L’objectif consistant Ă  rĂ©duire l’effectif des forces de prĂ©sence en Afrique Ă  3 300 hommes dĂ©coule du Livre blanc et de la loi de programmation militaire : on peut donc admettre qu’il n’est susceptible d’ĂȘtre modifiĂ© qu’à la marge. En revanche, Ă  la connaissance des rapporteurs, la cible de dĂ©flation spĂ©cifique aux Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti n’a pas fait Ă  ce jour l’objet d’un arbitrage ministĂ©riel dĂ©finitif : elle n’est donc en rien immuable. Il s’agit pour l’heure de simples hypothĂšses Ă©tudiĂ©es par les Ă©tats-majors. Or la mĂ©thode consistant Ă  fixer d’abord la cible de dĂ©flation, pour n’étudier qu’ensuite les missions, les besoins et les ressources disponibles, est discutable, et ce Ă  deux Ă©gards : – ce que certains des interlocuteurs des rapporteurs ont appelĂ© le « non-remplacement d’un militaire sur deux » ne saurait tenir lieu de rĂ©flexion sur les moyens que la France doit conserver dans la Corne de l’Afrique pour assumer ses responsabilitĂ©s et prĂ©server ses intĂ©rĂȘts. C’est lĂ , en quelque sorte, « poser l’équation Ă  l’envers » ; – les personnels servant Ă  Djibouti, pourtant rĂ©guliĂšrement engagĂ©s en opĂ©rations extĂ©rieures, ont le sentiment que leur force est, en quelque sorte, la « variable d’ajustement » dans la rĂ©organisation de notre dispositif africain. ii. Un calendrier trop hĂątif pour permettre une manƓuvre habile ‱ La mauvaise articulation du cadencement de la dĂ©flation avec le calendrier politique local comme avec le temps que nĂ©cessite une telle manƓuvre Le cadencement envisagĂ© pour la rĂ©duction des effectifs des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti est trĂšs rapide : 350 suppressions de postes dĂšs 2015, 500 en 2016 et 150 en 2017. Ce calendrier paraĂźt en dĂ©calage avec, Ă  la fois : – le calendrier Ă©lectoral local, l’élection prĂ©sidentielle d’avril 2016 Ă©tant susceptible de rendre nĂ©cessaire un certain relĂšvement du degrĂ© de vigilance des forces françaises, ne serait-ce que pour la protection de nos 6 000 ressortissants ; – le temps nĂ©cessaire aux reconversions d’infrastructures, reconversions qui seraient indispensables pour rĂ©duire les coĂ»ts d’entretien et de gardiennage des dix emprises des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti. En effet, ces emprises s’étendent sur 400 hectares, 290 000 mÂČ de surface hors Ɠuvre dĂ©veloppĂ©e (SHOD) active, et des projets majeurs sont indispensables Ă  la conduite des rĂ©organisations et des rĂ©ductions d’effectifs. À titre d’exemple, la


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rĂ©trocession de l’hĂŽpital militaire Bouffard ne sera possible que lorsqu’un centre mĂ©dico-chirurgical interarmĂ©es (CMCIA) aura Ă©tĂ© construit pour assurer le soutien mĂ©dical des forces restantes ; – le calendrier des manƓuvres des ressources humaines. Ne serait-ce que pour opĂ©rer 350 dĂ©flations en 2015, il faut Ă©laborer un rĂ©fĂ©rentiel des effectifs en organisation (REO) et adapter en consĂ©quence le plan de mutation annuel de l’annĂ©e 2014. Or, faute d’analyses fonctionnelles et de choix capacitaires prĂ©alables Ă  la fixation des cibles de dĂ©flation, l’élaboration d’un tel REO est Ă  peu prĂšs impossible, sauf Ă  pratiquer des rĂ©ductions homothĂ©tiques ou sans cohĂ©rence dans les effectifs. Aussi, comme l’on dit les gestionnaires de cette manƓuvre aux rapporteurs, « une rĂ©forme ça se programme, et faute de savoir quelles fonctions supprimer, on est donc bloquĂ©s dans l’élaboration du REO ». En somme, le calendrier retenu pour la dĂ©flation des effectifs peut ĂȘtre qualifiĂ© de hĂątif, en ce qu’il risque de conduire Ă  des choix sans cohĂ©rence. ‱ Le temps de la concertation n’est pas du temps perdu Les rapporteurs soulignent que compte tenu de l’anciennetĂ©, de la densitĂ© et de la qualitĂ© des liens qui unissent la France Ă  la RĂ©publique de Djibouti, et qui ont Ă©tĂ© renouvelĂ©s par la signature d’un nouveau traitĂ© de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense le 21 dĂ©cembre 2011, il serait difficilement concevable qu’un plan dĂ©finitif de dĂ©flation massive des effectifs des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti n’ait pas fait l’objet, Ă  tout le moins, d’une information approfondie de la partie djiboutienne. Or les rapporteurs n’ont pas tirĂ© le sentiment de leurs entretiens avec les ministres djiboutiens des Affaires Ă©trangĂšres et de la DĂ©fense que les autoritĂ©s djiboutiennes aient Ă©tĂ© Ă©troitement associĂ©es aux discussions en cours. Nonobstant l’intĂ©rĂȘt qu’une telle association aurait pour la qualitĂ© des relations bilatĂ©rales, l’expĂ©rience des Ă©volutions rĂ©centes des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti conduit Ă  penser qu’une rĂ©forme est plus efficace si elle est prĂ©parĂ©e en amont avec notre partenaire africain. En effet, selon les informations recueillies par les rapporteurs aux Émirats arabes unis et Ă  Djibouti, lorsqu’il s’est agi d’armer les nouvelles Forces françaises aux Émirats arabes unis, la partie française avait initialement fait le choix d’y transfĂ©rer le 5e rĂ©giment interarmes d’outre-mer (5e RIAOM), historiquement implantĂ© Ă  Djibouti, sans mener suffisamment en amont de concertations avec la partie djiboutienne. C’est alors au dernier moment, qu’au plus haut niveau de l’État, la RĂ©publique de Djibouti a fait connaĂźtre ses vifs regrets de voir dĂ©localiser ce rĂ©giment, dont est d’ailleurs issu son actuel chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es, et c’est ainsi dans une certaine imprĂ©paration que les plans français ont dĂ» ĂȘtre modifiĂ©s, ce qui a finalement conduit Ă  transfĂ©rer la 13e demi-brigade de la LĂ©gion Ă©trangĂšre Ă  Abou-Dhabi.


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Il ressort de cette expĂ©rience que la bonne marche d’une manƓuvre de restructuration de cette importance gagne Ă  faire l’objet d’une concertation en amont avec notre partenaire africain. c. Un projet de dĂ©flation intenable Ă  missions et responsabilitĂ©s constantes, qui remet sĂ©rieusement en cause la crĂ©dibilitĂ© de notre dispositif en Afrique de l’Est i. Quatre scĂ©narios Ă©laborĂ©s par les Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti pour rĂ©pondre Ă  la commande qui leur a Ă©tĂ© adressĂ©e Plusieurs scĂ©narios ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s par le commandement des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti pour rĂ©pondre dans les dĂ©lais impartis au scĂ©nario de dĂ©flation qui est envisagĂ© pour ces forces. Ils ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s en dĂ©tail aux rapporteurs lors de leur dĂ©placement Ă  Djibouti. ‱ Quatre scĂ©narios formalisĂ©s L’état-major des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti, pour rĂ©pondre Ă  la commande qui lui a Ă©tĂ© passĂ©e, a Ă©laborĂ© quatre « modes d’action » diffĂ©rents, dont les encadrĂ©s ci-aprĂšs prĂ©sentent le dĂ©tail : – scĂ©nario n° 1 : maintien de l’équilibre interarmĂ©es qui fait aujourd’hui la cohĂ©rence et la crĂ©dibilitĂ© des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti ; – scĂ©nario n° 2 : centrer l’activitĂ© des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti sur les forces spĂ©ciales, au dĂ©triment des autres composantes ; – scĂ©nario n° 3 : prĂ©server avant tout les capacitĂ©s de « fulgurance aĂ©rienne » des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti, au dĂ©triment principalement de leur composante terrestre ; – scĂ©nario n° 4 : prĂ©server en prioritĂ© les capacitĂ©s de « contrĂŽle du terrain » des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti, au dĂ©triment principalement de leur composante aĂ©rienne. SCÉNARIO N° 1 : MAINTIEN DE L’ÉQUILIBRE INTERARMÉES ● Avantages : – flexibilitĂ© – polyvalence des capacitĂ©s – maintien du caractĂšre interarmĂ©es des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti – prĂ©servation, en mode trĂšs dĂ©gradĂ©, de la plupart des capacitĂ©s et du contrat opĂ©rationnel actuels – plein emploi des facilitĂ©s exceptionnelles d’entraĂźnement pour tous – maintien de la premiĂšre place vis-Ă -vis des nouvelles nations prĂ©sentes ● InconvĂ©nients : – dispersion des efforts


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– risque de tensions entre les diffĂ©rentes composantes pour une ressource en effectifs extrĂȘmement comptĂ©e ● Risques : – limitation de l’efficacitĂ© du dispositif, rĂ©sultant d’un « effet d’échantillonnage » – sacrifice des acteurs de management et de support SCÉNARIO N° 2 : DES FORCES FRANÇAISES STATIONNÉES À DJIBOUTI CENTRÉES SUR LES FORCES SPÉCIALES

● Avantages : – bon ratio effectifs / efficacitĂ©, du moins en apparence – rĂ©activitĂ© – prĂ©cision des effets ● InconvĂ©nients : – coĂ»ts d’entraĂźnement plus Ă©levĂ©s que pour les forces conventionnelles – besoin de crĂ©er en parallĂšle un pĂŽle de coopĂ©ration, activitĂ© qui est trĂšs Ă©loignĂ©e du cƓur de mĂ©tier des forces spĂ©ciales – besoin d’un dĂ©tachement de maintenance RECAMP - GUEPARD ● Risques : – absences et activitĂ©s « centripĂštes », du fait des projections rĂ©guliĂšres propres Ă  l’activitĂ© des forces spĂ©ciales – incapacitĂ© Ă  assumer de maniĂšre robuste et permanente la « clause de sĂ©curitĂ© » prĂ©vue par le traitĂ© de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense – insuffisance lors des RESEVAC – risque de confusion, Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment, entre le cƓur de mĂ©tier des forces spĂ©ciales et celui des forces conventionnelles, ce qui irait Ă  rebours des efforts entrepris et des progrĂšs accomplis en ce sens depuis quinze ans SCÉNARIO N° 3 : PRIORITÉ À LA « FULGURANCE AÉRIENNE » ● Avantages : – bon rapport effectif / efficacitĂ© – rentabilisation de l’existant ● InconvĂ©nients : – faible capacitĂ© de coopĂ©ration avec les Africains, leurs armĂ©es de l’air Ă©tant nettement moins dĂ©veloppĂ©es que leurs armĂ©es de terre – besoin d’un dĂ©tachement de maintenance RECAMP - GUEPARD ● Risques : – incapacitĂ© Ă  assumer la clause de sĂ©curitĂ© de maniĂšre robuste – insuffisance lors des RESEVAC – acceptabilitĂ© incertaine pour la partie djiboutienne


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SCÉNARIO N° 4 : PRIORITÉ AUX CAPACITÉS DE « CONTRÔLE DU TERRAIN » ● Avantages : – proximitĂ© des forces Épervier et Licorne – conservation d’un ratio MCD (1)/MLD (2) Ă©conome – capacitĂ©s de RESEVAC immĂ©diates – mutualisations possibles avec les forces françaises aux Émirats arabes unis – entretien du parc RECAMP garanti ● InconvĂ©nients : – besoin d’une patrouille opĂ©rationnelle (PO), ce qui suppose d’avoir des moyens de soutien, de guidage etc. qui dĂ©passent 50 personnels de l’armĂ©e de l’air – nĂ©cessitĂ© de coupler le dispositif avec des moyens aĂ©romobiles ● Risques : – « dĂ©crochage » par rapport aux capacitĂ©s amĂ©ricaines prĂ©sentes Ă  Djibouti, essentiellement aĂ©ronavales Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement des Forces françaises Ă  Djibouti).

Les rapporteurs tirent en conclusion de l’étude de ces scĂ©narios que le maintien d’un Ă©quilibre interarmĂ©es est particuliĂšrement souhaitable, car il fait la spĂ©cificitĂ© de la prĂ©sence française Ă  Djibouti en comparaison des autres dĂ©ploiements Ă©trangers, ainsi que la crĂ©dibilitĂ© de notre seul point d’appui, relativement isolĂ©, sur la cĂŽte est de l’Afrique. Par ailleurs, les rapporteurs ont pu constater que les Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti Ă©taient Ă©quipĂ©es de Mirage 2000, qui ne sont pas aussi polyvalents que les Rafale des Forces françaises aux Émirats arabes unis. De ce fait, les sept Mirage 2000 de Djibouti ne sont pas interchangeables : certains sont configurĂ©s pour l’appui au sol et d’autres pour la police de l’air. Cette spĂ©cificitĂ© rĂ©duit les marges de manƓuvre dans la rĂ©duction de la flotte des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti, sauf Ă  les remplacer par des Rafale. ‱ Une alternative fondamentale : « sacrifier » soit la composante aĂ©rienne, soit la composante terrestre Comme l’a soulignĂ© le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale pour toute base opĂ©rationnelle avancĂ©e, « l’enjeu consiste Ă  pouvoir disposer d’unitĂ©s de manƓuvre dont la crĂ©dibilitĂ© et l’efficacitĂ© reposent sur leur composition ». C’est la raison pour laquelle l’état-major de l’armĂ©e de terre plaide en faveur du « prĂ©positionnement dans chacune des bases opĂ©rationnelles avancĂ©es d’un groupement tactique interarmes constituĂ© de son Ă©tat-major et d’au moins deux unitĂ©s de manƓuvre avec leurs appuis ». Tout en reconnaissant que « ce ne sera pas chose facile eu Ă©gard aux contraintes budgĂ©taires actuelles et aux objectifs de dĂ©flation affichĂ©s par la loi de programmation militaire », le gĂ©nĂ©ral Ract Madoux a jugĂ© devant les rapporteurs qu’« une capacitĂ© infĂ©rieure fragiliserait la cohĂ©rence du dispositif de prĂ©sence en (1) Missions de courte durĂ©e (quatre mois). (2) Missions de longue durĂ©e (deux ou trois ans).


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sous-dimensionnant en deçà du raisonnable ses moyens d’agir ». Pour replacer la nouvelle dĂ©flation des effectifs outre-mer dans une perspective de plus grand recul historique, il a rappelĂ© qu’il s’agit « d’un nouvel effort de rĂ©duction qui s’inscrit dans un processus dĂ©butĂ© en 2008 et qui s’est dĂ©jĂ  traduit pour l’armĂ©e de Terre par la diminution d’environ 50 % de ses forces de prĂ©sence dont le volume est passĂ© en six ans de 3 400 Ă  1 700 postes ». Aussi, concernant Djibouti, l’armĂ©e de terre estime impĂ©ratif de conserver une empreinte terrestre significative « au titre de la consolidation sous-rĂ©gionale » – marquĂ©e notamment par l’instabilitĂ© en Somalie – et du maillage de la zone moyenne orientale, Ă  laquelle participent Ă©galement les Forces françaises aux Émirats arabes unis. La « transformation continue de Djibouti » participe Ă©galement de la restructuration en cours au Proche et Moyen Orient ; elle « est pleinement partie prenante des planifications relatives au Golfe arabo-persique » et pour autant, les forces terrestres basĂ©es Ă  Djibouti « sont plus que jamais investies dans la coopĂ©ration opĂ©rationnelle rĂ©gionale », voire dans l’engagement opĂ©rationnel en Afrique comme l’atteste la participation actuelle du 5e RIAOM Ă  l’opĂ©ration Sangaris. Et le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre de conclure : « il me semble primordial de conserver Ă  Djibouti une rĂ©elle capacitĂ© opĂ©rationnelle aĂ©roterrestre qui complĂšte le dispositif français en lui confĂ©rant sa cohĂ©rence et sa continuitĂ© jusqu’à l’extrĂ©mitĂ© est de l’arc sahĂ©lien ». Or la rĂ©duction du 5e RIAOM d’un effectif de 709 personnels actuellement Ă  un effectif de 290 militaires reviendrait Ă  en faire, selon le commandement des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti, une « compagnie de type Vigipirate », ce qui prĂ©senterait plusieurs risques : – une incapacitĂ© Ă  un engagement opĂ©rationnel, y compris pour la dĂ©fense de l’intĂ©gritĂ© territoriale de la RĂ©publique de Djibouti ; – la disparition de la puissance de feux moyenne et longue portĂ©e (mortiers et canons de 155 mm) ; – le cantonnement du GTIA Ă  des missions de sĂ©curisation des emprises, qui nĂ©cessitent 70 personnels au minimum, et donc la perte de l’essentiel de ses capacitĂ©s de rĂ©action ; – des dĂ©lais de renforcement trĂšs longs (plusieurs semaines) ; – une capacitĂ© d’évacuation des ressortissants qui serait, au mieux, « Ă  peine suffisante ».


— 86 — LE FORMAT DU 5e RIAOM DANS DES FORCES FRANÇAISES STATIONNÉES À DJIBOUTI LIMITÉES À 950 PERSONNELS

Source : Commandement des Forces françaises à Djibouti.

Le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air, quant Ă  lui, a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs que le cas de Djibouti est une « source d’inquiĂ©tude » pour l’armĂ©e de l’air. En effet, la France est liĂ©e Ă  Djibouti par des accords de dĂ©fense, « y compris aĂ©rienne », rĂ©cemment renĂ©gociĂ©s « et qui nous paraissent importants ». Or compte tenu de l’importante dĂ©flation planifiĂ©e, deux options sont selon lui envisageables : – soit rĂ©duire le dispositif de l’armĂ©e de l’air et conserver un dispositif terrestre d’un volume important ; – soit garder un « petit dispositif terrestre (300 personnels) » et conserver une prĂ©sence aĂ©rienne significative. En tout Ă©tat de cause, l’armĂ©e de l’air rĂ©duira son dispositif Ă  Djibouti : aujourd’hui, celui-ci combine des Mirage 2000 d’attaque au sol et de dĂ©fense aĂ©rienne, mais demain, seule la capacitĂ© de dĂ©fense aĂ©rienne sera maintenue. Si le choix est fait de conserver 275 aviateurs sur place, l’armĂ©e de l’air peut y maintenir quatre Mirage 2000, ce qui est suffisant pour « conserver nos capacitĂ©s de police du ciel », y compris de Search and Rescue ainsi qu’il est prĂ©vu par les accords de dĂ©fense. À l’inverse, si le dispositif aĂ©rien Ă©tait rĂ©duit Ă  40 aviateurs, « on pourra seulement poser deux avions en escale ».


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Pour l’armĂ©e de l’air, plusieurs raisons existent ainsi pour « conserver un bon point d’appui » Ă  Djibouti : – les accords de dĂ©fense : avec moins de 275 aviateurs, on ne peut pas assurer la mission de dĂ©fense aĂ©rienne prĂ©vue par les accords. Aussi, « renoncer Ă  cette mission, c’est dĂ©noncer le traitĂ© de dĂ©fense ». C’est le seul endroit dans le monde oĂč la France « assure la mission rĂ©galienne de dĂ©fense aĂ©rienne en lieu et place du Gouvernement » de la nation hĂŽte. Certes, le traitĂ© stipule dĂ©sormais que la France « participe Ă  » la mission de dĂ©fense aĂ©rienne, et non plus l’« assure », mais ce changement sĂ©mantique n’a pour l’heure pas de portĂ©e concrĂšte ; – la qualitĂ© des pistes : la base a accĂšs Ă  une piste partagĂ©e avec les civils, mais a aussi construit (aux frais de la France) le terrain de Chabelley, sur lequel « lorgnent » les États-Unis (qui y ont dĂ©jĂ  10 drones), les Britanniques et les Italiens (qui voudraient y installer les leurs) ; – l’accueil souhaitable de drones : lorsque la France se sera dotĂ©e de davantage de drones, « c’est Ă  Djibouti qu’on les positionnera de prĂ©fĂ©rence », car ils pourraient « rayonner sur une zone intĂ©ressante, y compris pour la lutte anti-piraterie ». Ces drones seraient utiles soit en mission de courte durĂ©e, dans une logique d’opĂ©ration extĂ©rieure, soit en force prĂ©positionnĂ©e ; – le caractĂšre stratĂ©gique de la rĂ©gion, qui plaide en faveur du maintien d’« un dispositif marin et aĂ©rien fort » ; – pour les forces terrestres, « Djibouti a surtout l’intĂ©rĂȘt de permettre l’entraĂźnement ». Or avec l’A400M, « on pourra amener le personnel Ă  former et le fret en un seul vol », ce qui permettrait de rĂ©duire le dispositif terrestre. Toutefois, pour les rapporteurs, cette hypothĂšse n’est envisageable que dans le long terme. En effet, comme le leur a fait observer le chef d’état-major des armĂ©es, du fait des rĂ©ductions de cibles capacitaires et des dĂ©calages calendaires prĂ©vus dans les programmes d’armement par la loi de programmation militaire, ce n’est qu’à partir de 2025 que la France possĂ©dera une flotte suffisante d’A400M. ii. Dans toutes les hypothĂšses, des scĂ©narios intenables Ă  missions et responsabilitĂ©s constantes Pour les rapporteurs, s’enfermer dans un objectif de dĂ©flation extrĂȘmement ambitieux pour notre seul point d’appui sur la cĂŽte est de l’Afrique prĂ©sente un double risque : d’une part, aviver des tensions entre les armĂ©es, alors mĂȘme que l’interarmĂ©eisation est une tendance structurante de nos armĂ©es depuis deux dĂ©cennies au moins ; et, d’autre part, en rester Ă  un format de toute façon insuffisant pour respecter les engagements pris envers la RĂ©publique de Djibouti et protĂ©ger nos intĂ©rĂȘts dans la rĂ©gion.


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‱ Intenables pour le respect du traitĂ© liant la France Ă  la RĂ©publique de Djibouti

Les rapporteurs ont mis Ă  profit leur dĂ©placement pour faire le point sur la mise en application du traitĂ© de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense conclu entre la RĂ©publique française et la RĂ©publique de Djibouti le 21 dĂ©cembre 2011 – l’encadrĂ© ci-aprĂšs en prĂ©cise les stipulations. Un rĂ©cent Ă©change de notes faisant office de notification des instruments de ratification a permis son entrĂ©e en vigueur. Il appelle la nĂ©gociation de quatre accords techniques, dans l’attente de laquelle les conventions conclues en application du prĂ©cĂ©dent accord de dĂ©fense demeurent en vigueur. Il en ressort une spĂ©cificitĂ© majeure : alors que, dans le mouvement de renĂ©gociation de ses accords de dĂ©fense en Afrique, la France s’est fixĂ© pour principe de ne plus conclure de clause de garantie automatique, Djibouti est le seul État avec lequel une telle clause existe encore. Ainsi, il est prĂ©vu que « la RĂ©publique Française s’engage Ă  contribuer Ă  la dĂ©fense de l’intĂ©gritĂ© territoriale de la RĂ©publique de Djibouti ». Cette stipulation peut faire l’objet d’exĂ©gĂšses diverses, plus ou moins Ă©loignĂ©es de l’esprit du traitĂ© et des spĂ©cificitĂ©s Ă©videntes d’une telle clause dans l’évolution du droit international en la matiĂšre. En effet, pour justifier des dĂ©flations qui conduiraient Ă  rĂ©duire au-delĂ  du raisonnable notre dispositif, on pourrait arguer du fait que « contribuer Ă  la dĂ©fense » ne signifie pas « assurer seul la dĂ©fense ». De mĂȘme, si le traitĂ© comporte des stipulations expresses concernant la police du ciel, on ne saurait le lire comme restreignant Ă  ce domaine les garanties offertes par la partie française : dĂšs lors, il serait difficile d’invoquer ce traitĂ© pour justifier le maintien d’une composante aĂ©rienne des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti sans justifier dans le mĂȘme mouvement celui d’une composante terrestre. Mais pour les rapporteurs, pacta sunt servanda, et le traitĂ© ne peut ĂȘtre lu autrement que comme un engagement de la France Ă  maintenir Ă  Djibouti un volume de forces suffisant pour remplir sa mission. Les rapporteurs ont d’ailleurs notĂ© que ni le ministre djiboutien des Affaires Ă©trangĂšres, ni son collĂšgue chargĂ© de la DĂ©fense et pas plus le chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es ne l’entendaient autrement. LE TRAITÉ DE COOPÉRATION EN MATIÈRE DE DÉFENSE CONCLU ENTRE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET LA RÉPUBLIQUE DE DJIBOUTI SignĂ© le 21 dĂ©cembre 2011 Ă  Paris, conclu pour une durĂ©e de dix ans renouvelable par tacite reconduction, il fait exception au principe d’abandon d’une garantie de sĂ©curitĂ© de la part de la France en prĂ©cisant les formes de la participation de la France Ă  la dĂ©fense de l’intĂ©gritĂ© territoriale de Djibouti : – contribution Ă  la dĂ©fense de l’intĂ©gritĂ© territoriale de la RĂ©publique de Djibouti ; – participation Ă  la police de l’espace aĂ©rien djiboutien ; – participation Ă  la surveillance des eaux territoriales.


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Le traitĂ© affirme notre engagement Ă  aider au renforcement des forces armĂ©es djiboutiennes pour rendre, Ă  terme, Djibouti moins dĂ©pendant de l’aide française pour dĂ©fendre son propre territoire. Il fixe les facilitĂ©s opĂ©rationnelles accordĂ©es aux forces françaises stationnĂ©es, qui constituent notre plus importante base militaire Ă  l’étranger. L’annexe II prĂ©cise les conditions du soutien mĂ©dical apportĂ© par la partie française aux forces annĂ©es djiboutiennes. L’emprise de l’hĂŽpital mĂ©dico-chirurgical Bouffard sera rĂ©trocĂ©dĂ©e en 2015, en l’état, Ă  la RĂ©publique de Djibouti dans des conditions dĂ©terminĂ©es d’un commun accord par les Parties. L’annexe III concerne l’engagement financier de la France Ă  l’égard de la RĂ©publique de Djibouti, au titre de la prĂ©sence des forces françaises stationnĂ©es : une contribution forfaitaire de 30 millions d’euros par annĂ©e civile, libĂ©ratoire de tout impĂŽt. Il convient de rappeler que Djibouti demeure un partenaire incontournable en matiĂšre de coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense compte tenu de sa position stratĂ©gique qui offre Ă  la France une plate-forme unique dans la rĂ©gion. Le nouvel accord de partenariat de dĂ©fense permet ainsi de consolider notre dispositif de coopĂ©ration afin de rĂ©pondre aux nouvelles ambitions djiboutiennes. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le partenariat franco-djiboutien souffre d’un manque d’implication de la partie djiboutienne, tant sur le plan financier qu’humain. La dynamique d’appropriation des projets demeure assez lente mais l’équipe de coopĂ©rants s’efforce d’impliquer notre partenaire de façon plus concrĂšte et Ă©nergique. À cet effet, la nouvelle organisation des projets mise en place Ă  l’étĂ© 2013, reposant sur trois pĂŽles majeurs : la modernisation des armĂ©es, la formation des armĂ©es et le projet marine, donne entiĂšre satisfaction. Il est Ă  signaler que, nonobstant l’article 21 du TraitĂ©, les accords particuliers sur la surveillance maritime et la police du ciel signĂ©s en fĂ©vrier 1991 ont Ă©tĂ© provisoirement maintenus en vigueur, dans l’attente de la conclusion de nouveaux accords ad hoc. Source : direction de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense.

‱ Intenables pour la crĂ©dibilitĂ© de notre prĂ©sence en Afrique de l’Est

Le contrat opĂ©rationnel des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti a Ă©tĂ© Ă©tabli le 19 juillet 2012. Comme le prĂ©sente l’encadrĂ© ci-aprĂšs, il s’articule autour de quatre fonctions stratĂ©giques principales : – la connaissance et l’anticipation : recueil de renseignement dans la zone de responsabilitĂ© principale des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti en lien avec divers relais, ce que Djibouti assure aujourd’hui « sans difficultĂ© » ; – la protection : contribution Ă  la dĂ©fense du territoire de Djibouti, ce qui est assurĂ© avec les moyens actuels, mais ne pourrait l’ĂȘtre dans la durĂ©e en cas d’aggravation de la situation sĂ©curitaire qu’au prix d’un renforcement de la protection passive des infrastructures et des personnels ; – la prĂ©vention : actions classiques de coopĂ©ration opĂ©rationnelle et soutien aux forces djiboutiennes par le groupement de soutien de la base de dĂ©fense, y compris en matiĂšre d’alimentation. Cette fonction est assurĂ©e avec les moyens actuels « sans trop de difficultĂ©s », mais la rĂ©duction des crĂ©dits de soutien pourrait crĂ©er des tensions en la matiĂšre ;


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– l’intervention, que ce soit au profit de la RĂ©publique de Djibouti, en matiĂšre de protection des ressortissants français, ou en participant Ă  des opĂ©rations françaises hors de Djibouti. MalgrĂ© leur caractĂšre vieillissant, les matĂ©riels disponibles sont en nombre juste suffisant pour armer un GTIA, ce qui permet aux Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti de remplir cette mission. Les Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti ont ainsi contribuĂ© Ă  armer la force Sangaris, dĂ©ployĂ©e en RĂ©publique centrafricaine, par un dĂ©tachement du 5e RIAOM que les rapporteurs ont rencontrĂ© Ă  Bambari. Ils ont ainsi pu constater Ă  la fois que l’aguerrissement de ces troupes Ă  Djibouti Ă©tait trĂšs utile sur un thĂ©Ăątre comme la Centrafrique, et que cette projection ne remet pas en cause la capacitĂ© des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti Ă  assurer les obligations dĂ©coulant pour la France du traitĂ© de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense. Toutefois, ce contrat opĂ©rationnel impose de maintenir un minimum de forces sur le territoire djiboutien. Or, contrairement Ă  ce que les rapporteurs ont pu constater Ă  Abou-Dhabi, oĂč le tissu industriel et commercial est robuste et oĂč la nation hĂŽte soutient les forces françaises, on ne peut pas miser Ă  Djibouti sur une externalisation massive des fonctions de soutien pour rĂ©duire les effectifs. DĂšs lors, il ressort clairement des Ă©valuations prĂ©sentĂ©es par l’état-major des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti qu’un effectif limitĂ© Ă  950 personnels, forces spĂ©ciales et soutiens compris, ne permettrait en aucun cas aux Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti de remplir leur contrat opĂ©rationnel. LE CONTRAT OPÉRATIONNEL DES FORCES FRANÇAISES STATIONNÉES À DJIBOUTI 1./ La connaissance et l’anticipation Mission permanente de recueil du renseignement d’intĂ©rĂȘt militaire dans la zone de responsabilitĂ© principale (ZRP) : – maintenir une veille-alerte renseignement en liaison avec les personnels français ; – apporter l’expertise liĂ©e Ă  la connaissance de l’environnement et de l’évolution des pays de la ZRP au moyen de reconnaissances et de contacts avec les organisations internationales et les personnels français. CapacitĂ©s requises : ROIM, ROEM, ROHUM. RĂ©sultat : contrat tenu sans difficultĂ©s majeures.


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2./ La protection : – protection aĂ©rienne ; – protection des zones aĂ©ronautiques ; – protection du port de Djibouti ; – protection de points sensibles ; – protection du personnel ; – soutien de la nation hĂŽte. RĂ©sultat : pour l’heure, contrat tenu sans difficultĂ©s majeures, mais mesures de renforcement nĂ©cessaires surtout en cas de dĂ©gradation sĂ©curitaire. 3./ La prĂ©vention : ● Mission de prĂ©sence dans la ZRP (et hors ZRP) et de coopĂ©ration militaire opĂ©rationnelle rĂ©gionale : – soutien aux forces armĂ©es de la ZRP (DIO, DIT, expertise militaire) ; – entraĂźnement ; – soutien Ă  l’engagement opĂ©rationnel ; – actions civilo-militaires (200 000 euros par an). Le graphique ci-aprĂšs en prĂ©sente les rĂ©sultats depuis plusieurs annĂ©es.


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● Soutien des forces : – participer Ă  l’entraĂźnement et Ă  l’aguerrissement des forces françaises avec des capacitĂ©s d’accueil et de soutien ; – capacitĂ© alimentation : - 4 000 personnels sur 20 jours en vivres - 2 600 personnels supplĂ©mentaires avec le stock de sĂ©curitĂ© sur 10 jours. – capacitĂ© hĂ©bergement comprise entre 600 et 720 personnels, Ă  laquelle s’ajoute une capacitĂ© de 450 personnels sous module 150 GuĂ©pard ; – soutenir les forces françaises stationnĂ©es ou de passage (dans les mĂȘmes volumes que dĂ©taillĂ©s ci-dessus) Ă  Djibouti. RĂ©sultat : contrat tenu avec difficultĂ© du fait de tensions sur les crĂ©dits de soutien 4./ L’intervention ● Mission d’intervention dans la RĂ©publique de Djibouti : – dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts français et mettre en Ɠuvre l’accord de partenariat dĂ©fense ; – concourir Ă  la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts français en RDD et en particulier Ă  la sĂ©curitĂ© des ressortissants français, UE ou ayants droit ; – participer Ă  la dĂ©fense de l’intĂ©gritĂ© territoriale de la RDD, dans le cadre de l’accord de dĂ©fense entre la RDD et la RĂ©publique française, en y conduisant une opĂ©ration limitĂ©e. ● Mission d’intervention hors de la RĂ©publique de Djibouti : – participer Ă  une opĂ©ration limitĂ©e dans la sous-rĂ©gion ; – constituer une rĂ©serve opĂ©rationnelle pour renforcer une opĂ©ration existante. RĂ©sultat : contrat tenu avec quelques ruptures Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement des Forces françaises Ă  Djibouti).

d. Un scĂ©nario alternatif, permettant de concilier la contrainte capacitaire gĂ©nĂ©rale et la crĂ©dibilitĂ© de nos forces i. Un format minimal viable Ă  1 300 personnels Tout en intĂ©grant la contrainte d’optimisation des moyens clairement Ă©noncĂ©e par le chef d’état-major des armĂ©es le jour mĂȘme de son entrĂ©e en fonction, et rappelĂ©e par lui devant la commission lors de son audition du 1er avril dernier, l’état-major des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti a Ă©tudiĂ© le format minimal requis pour pouvoir continuer Ă  remplir correctement son contrat opĂ©rationnel et les obligations dĂ©coulant du traitĂ© de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense, c’est-Ă -dire assurer une cohĂ©rence entre les missions, les capacitĂ©s et les effectifs de la force. Il en ressort que l’effectif minimal requis s’établit Ă  1 300 personnels. Encore est-il Ă  noter que dans ce scĂ©nario, les capacitĂ©s des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti seraient sĂ©rieusement rĂ©duites. Les graphiques ci-aprĂšs montrent, par exemple, les rĂ©ductions de capacitĂ©s que subirait le 5e RIAOM, perdant notamment toute capacitĂ© d’artillerie de longue portĂ©e.


— 93 — STRUCTURE ACTUELLE DU 5e RIAOM

Source : commandement des Forces françaises à Djibouti.


— 94 — STRUCTURE DU 5e RIAOM DANS L’HYPOTHÈSE D’UN FORMAT DE 1 300 HOMMES POUR FORCES FRANÇAISES STATIONNÉES À DJIBOUTI

Source : commandement des Forces françaises à Djibouti.

ii. Un calendrier Ă  « desserrer » Afin de pouvoir mener de façon cohĂ©rente les opĂ©rations d’infrastructures nĂ©cessaires pour adapter les emprises au nouveau format des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti, de piloter de façon fine la manƓuvre des ressources humaines, d’associer mieux le partenaire djiboutien Ă  ces changements et faire face au regain de tensions que marque l’attentat du 24 mai dernier, l’état-major des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti considĂšre qu’un cadencement de la rĂ©forme en trois temps serait avisĂ© : – temps 1 (2014-2015), temps de la conception : simultanĂ©ment suivre le « chemin de ralliement » Ă  la cible de 1900 personnels et participer Ă  l’identification des pertes capacitaires ultĂ©rieures ; – temps 2 (2016-2017), temps de la configuration (shaping) : consolider les composantes essentielles en faisant notamment effort sur la rationalisation des infrastructures et sur la manƓuvre des ressources humaines ; – temps 3 (2018-2019), temps de l’exĂ©cution : finaliser l’optimisation du soutien, diminuer les moyens spĂ©cialisĂ©s, poursuivre la recherche des mutualisations (notamment avec les AmĂ©ricains Ă  Djibouti et avec les Forces françaises aux Émirats arabes unis).


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Bien entendu, les rapporteurs ne possĂšdent pas les compĂ©tences spĂ©cialisĂ©es nĂ©cessaires pour Ă©mettre un avis technique qui relĂšve de l’état-major des armĂ©es et de la dĂ©cision du Gouvernement. Il n’en demeure pas moins que le schĂ©ma proposĂ© ainsi dĂ©crit leur semble Ă  la fois plus convaincant et plus prudent que la mĂ©thode consistant Ă  fixer ab initio un objectif de dĂ©flation trĂšs massif pour notre principal point d’appui, relativement isolĂ© dans une zone aussi sensible. Les rapporteurs considĂšrent en outre que loin d’inciter Ă  aller plus vite dans la dĂ©flation de Djibouti, la dĂ©gradation rĂ©cente de la situation sĂ©curitaire doit plutĂŽt inciter Ă  la prudence. En tout Ă©tat de cause, elle rend parfaitement lĂ©gitime une rĂ©vision de l’objectif de dĂ©flation envisagĂ© pour l’heure. Il faut souligner qu’un tel ajustement resterait trĂšs marginal : il ne porterait que sur 350 personnels, soit Ă  peine 1 % du nombre de dĂ©flations Ă  opĂ©rer d’ici 2019. L’enjeu se situe, en quelque sorte, « dans l’épaisseur du trait ». La rĂ©vision de la loi de programmation militaire prĂ©vue pour l’annĂ©e 2015 pourrait d’ailleurs constituer l’occasion de prendre en compte cet ajustement.



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II. LA RESTRUCTURATION PLANIFIÉE VISE À PERMETTRE À LA FRANCE DE CONSERVER SON INFLUENCE ET À SES FORCES LEUR RÉACTIVITÉ OPÉRATIONNELLE DANS UNE AFRIQUE QUI CHANGE A. C’EN EST FINI DE « LA PRÉSENCE POUR LA PRÉSENCE »

Comme il a Ă©tĂ© rappelĂ© aux rapporteurs lors de leur dĂ©placement au SĂ©nĂ©gal, Dakar comptait encore prĂšs de 20 000 militaires français pour une population de moins de 400 000 habitants en 1960 ; les ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal ont aujourd’hui un effectif de 350 personnels, et la ville compte plus d’un million d’habitants. Cet exemple, certes particuliĂšrement marquĂ©, montre bien comment la prĂ©sence française en Afrique a Ă©voluĂ© avec le temps. 1. Du point de vue des États africains : la prĂ©sence de « bases » Ă©trangĂšres ne fait pas toujours l’objet d’un consensus national

a. Certaines rĂ©ticences des opinions publiques africaines conduisent Ă  privilĂ©gier une « empreinte » militaire lĂ©gĂšre et discrĂšte Lors de leurs dĂ©placements, les rapporteurs ont pu mesurer combien le dĂ©ploiement de bases Ă©trangĂšres pouvait faire l’objet d’une approche politique trĂšs prudente dans certains pays, y compris parmi ceux qui sont rĂ©solument engagĂ©s dans la lutte contre les groupes armĂ©s terroristes. Tel est par exemple le cas au Niger, oĂč le dĂ©ploiement français a Ă©tĂ© calibrĂ© suivant une logique d’« empreinte lĂ©gĂšre », cohĂ©rente avec la politique des autoritĂ©s politiques nigĂ©riennes. Il ressort en effet des entretiens conduits sur place que si les autoritĂ©s politiques et militaires nigĂ©riennes sont conscientes de l’intĂ©rĂȘt de leur pays Ă  coopĂ©rer de façon Ă©troite avec la France, et donc d’accepter la prĂ©sence de forces françaises sur son territoire, ils n’en restent pas moins trĂšs prudents sur le plan politique. L’impression gĂ©nĂ©rale pourrait ĂȘtre rĂ©sumĂ©e ainsi : pour fructueuse qu’elle soit techniquement, la coopĂ©ration militaire franco-nigĂ©rienne est encore en voie d’ĂȘtre assumĂ©e politiquement. L’entretien des rapporteurs avec le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale Ă©tait rĂ©vĂ©lateur Ă  cet Ă©gard. Le prĂ©sident a rappelĂ© qu’il avait regrettĂ© publiquement que l’AssemblĂ©e nationale du Niger n’ait pas Ă©tĂ© consultĂ©e sur l’installation d’élĂ©ments militaires français sur le sol nigĂ©rien, ce qui a Ă©tĂ© « mal pris par l’exĂ©cutif ». Il s’agit, selon lui, d’une divergence portant sur des questions de transparence dans les procĂ©dures, plutĂŽt que sur des questions de fond : estimant « qu’il faut prĂ©server l’unanimitĂ© des forces politiques sur de tels sujets », il a affirmĂ© que ni la majoritĂ© parlementaire ni l’opposition ne voyaient aucun inconvĂ©nient – au contraire – Ă  la prĂ©sence de dĂ©tachements français et amĂ©ricains au Niger, ni n’avaient de « remontrances » Ă  faire Ă  la France. Il a ainsi


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dĂ©clarĂ© : « le contexte nous oblige Ă  accepter la prĂ©sence et l’aide Ă©trangĂšre ». Pour lui, cependant, un dĂ©bat parlementaire sur le dĂ©ploiement d’élĂ©ments français et amĂ©ricains, au-delĂ  mĂȘme d’une vertueuse transparence dĂ©mocratique, aurait permis « une meilleure appropriation des enjeux par les politiques et les militaires nigĂ©riens, rendant ainsi plus acceptable la prĂ©sence des Français et des AmĂ©ricains ». Il a ainsi fait valoir que les parlementaires pouvaient jouer un rĂŽle de relais entre les hautes autoritĂ©s politiques du pays et l’opinion publique. Pour lui, « ce n’est pas la transparence mais au contraire la non-transparence qui crĂ©e des tensions inutiles », ce qui plaide en faveur de ce que les dĂ©bats sur la sĂ©curitĂ© et la dĂ©fense « soient le plus publics possible ». Un point particulier paraĂźt focaliser les rĂ©ticences : l’emploi du terme de « bases » pour dĂ©signer les implantations des dĂ©tachements français et amĂ©ricains. Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de la DĂ©fense a reconnu que certains acteurs politiques « faisaient feu de tout bois » sur ce sujet, notant que la France n’était pas plus visĂ©e que les États-Unis. En tout Ă©tat de cause, les autoritĂ©s nigĂ©riennes font preuve d’une grande discrĂ©tion quant Ă  la coopĂ©ration de dĂ©fense qu’elles mĂšnent avec la France et les États-Unis : les accords franco-nigĂ©riens en la matiĂšre sont tenus en partie secrets Ă  la demande de la partie nigĂ©rienne, et le Niger s’est montrĂ© particuliĂšrement vigilant Ă  ce que les effectifs dĂ©ployĂ©s demeurent Ă  la fois : – peu nombreux : un premier projet de formatage du dĂ©tachement amĂ©ricain a ainsi Ă©tĂ© rejetĂ© ; – peu visibles, ce qui explique par exemple l’insertion des dĂ©tachements Ă©trangers dans une base nigĂ©rienne, et qui peut contribuer Ă  expliquer que les NigĂ©riens plaident en faveur du dĂ©placement de la base amĂ©ricaine Ă  Agadez, loin de la capitale. Le chargĂ© d’affaires des États-Unis a partagĂ© cette analyse devant les rapporteurs, rappelant que le prĂ©sident Issoufou avait promis Ă  l’opinion publique qu’il n’y aurait pas de « bases » Ă©trangĂšres, mais de simples dĂ©ploiements de forces Ă©trangĂšres au sein de bases nigĂ©riennes. Pour lui, la prĂ©sence militaire Ă©trangĂšre demeure une question sensible au Niger : mĂȘme si l’opposition n’y est pas dĂ©favorable, et mĂȘme s’il faut saluer la clairvoyance du prĂ©sident lorsque la crise libyenne a mis en lumiĂšre et aggravĂ© la menace pesant sur le Niger, une « population peu Ă©duquĂ©e est souvent sensible aux arguments de ceux qui dĂ©noncent une « guerre des infidĂšles contre l’islam », menĂ©e Ă  l’aide de « drones assassins » ». Une attention particuliĂšre mĂ©rite en effet d’ĂȘtre portĂ©e Ă  tout Ă©lĂ©ment susceptible d’affecter la stabilitĂ© politique du pays, pour deux raisons principales : – le Niger a dĂ©jĂ  une longue histoire d’instabilitĂ© politique, avec, en moyenne depuis son indĂ©pendance, une nouvelle Constitution tous les huit ans et un coup d’état tous les quatorze ans ;


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– il est confrontĂ© Ă  une vĂ©ritable « bombe dĂ©mographique » que les structures Ă©ducatives et le marchĂ© de l’emploi ne suffisent pas Ă  contenir. b. Les États africains tendent dĂ©sormais Ă  rechercher aussi d’autres contreparties Ă  la prĂ©sence française que la protection d’un pays (ou d’un rĂ©gime) Les accords de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense conclus par la France avec ses partenaires africains ne prĂ©voient pas tous les mĂȘmes contreparties au dĂ©ploiement ou au prĂ©positionnement de forces françaises. Ainsi, le traitĂ© franco-djiboutien de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense stipule que « la partie française s’engage Ă  verser Ă  la partie djiboutienne, au titre de la prĂ©sence des forces françaises stationnĂ©es, une contribution forfaitaire de 30 millions d’euros par annĂ©e civile libĂ©ratoire de tout impĂŽt, taxe, droit de douane, prĂ©lĂšvement et redevances », cette contribution n’incluant pas toutefois certains droits particuliers, comme les redevances portuaires. D’aprĂšs les impressions recueillies sur place par les rapporteurs, les intentions exprimĂ©es par certains États, comme le Tchad, de renĂ©gocier les accords qui les lient Ă  la France en matiĂšre de coopĂ©ration de dĂ©fense pourraient ĂȘtre motivĂ©es par un souci de « retour financier » plus important. Pour les rapporteurs, si de telles demandes devaient ĂȘtre adressĂ©es Ă  la France, il conviendrait de faire le bilan des aides de toute nature fournies par la France aux forces armĂ©es des pays hĂŽtes – il y a d’ailleurs presque Ă  paradoxe Ă  ce que la France fournisse encore 6 000 m3 de carburant par an Ă  un État qui, comme le Tchad, est devenu entre-temps producteur de pĂ©trole et dispose d’une raffinerie. 2. Du point de vue de la France : nous n’avons plus ni les moyens, ni l’intĂ©rĂȘt, de maintenir un fort volume de forces sur le continent africain

a. La France n’a plus les moyens d’entretenir l’« armĂ©e d’Afrique » i. Des contraintes financiĂšres ‱ Un objectif de dĂ©flation, dĂ©coulant du Livre blanc de 2013 et de la loi de programmation militaire 2014-2019 Le Livre blanc de 2014 prĂ©voit, « s’agissant de l’Afrique, une conversion de ces implantations [qui] sera rĂ©alisĂ©e afin de disposer de capacitĂ©s rĂ©actives et flexibles ». Le rapport annexĂ© Ă  la loi de programmation militaire pour les annĂ©es 2014 Ă  2019 a traduit cette orientation en objectif quantitatif de dĂ©flation : « une rĂ©duction de 1 100 emplois dans les forces prĂ©positionnĂ©es et les outre-mer engagĂ©e dĂšs 2014 ». Ainsi, les effectifs des forces de prĂ©sence seront ramenĂ©s de 3 800 Ă  3 300 militaires. Selon les prĂ©cisions fournies aux rapporteurs, cet objectif quantitatif intĂšgrerait les personnels des forces spĂ©ciales appelĂ©s Ă  ĂȘtre dĂ©ployĂ©s au


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sein des bases opĂ©rationnelles avancĂ©es, mais pas ceux de la task force Sabre, qui demeure une opĂ©ration extĂ©rieure. Concernant les dĂ©ploiements français dans la bande sahĂ©lo-saharienne, comme le commandement de la force Épervier l’a indiquĂ©, il y a une vĂ©ritable « pression sur les effectifs : rĂ©duire le dispositif sahĂ©lo-saharien Ă  3 000 personnels est difficile, compte tenu de la longue liste de missions qui seront assignĂ©es Ă  cette force ». C’est ce qui justifie, par exemple, la rĂ©duction du format de la concession d’AbĂ©chĂ©, dont l’effectif passerait d’une centaine Ă  une quarantaine de personnels et dont la superficie serait abandonnĂ©e pour moitiĂ©. L’idĂ©e directrice consiste Ă  rĂ©duire l’emprise, aujourd’hui dimensionnĂ©e pour pouvoir accueillir des renforts significatifs, en renonçant Ă  cette fonction – qui fait pourtant aujourd’hui une partie de l’intĂ©rĂȘt de cette position Ă  l’Est du Tchad, prĂšs de la frontiĂšre soudanaise. Les soixante effectifs ainsi Ă©conomisĂ©s pourront ĂȘtre redĂ©ployĂ©s vers des fonctions de renseignement et de dĂ©minage. Par ailleurs, le Livre blanc prĂ©voit de rĂ©duire de trois Ă  deux le nombre de zones de permanence Ă  la mer. Comme l’a confirmĂ© aux rapporteurs le chef d’état-major de la marine : « MĂ©diterranĂ©e, ocĂ©an Indien ou Golfe de GuinĂ©e : il y aura un choix Ă  faire
 », et ce d’autant qu’une permanence Ă  la mer « mobilise trois frĂ©gates, or le format de la Marine est passĂ© de 24 Ă  18 puis de 18 Ă  15 frĂ©gates ». L’amiral Bernard Rogel a ajoutĂ© que par ailleurs, « l’action de l’État en mer n’a pas suffisamment Ă©tĂ© prise en compte dans les travaux de la commission du Livre blanc, axĂ©s sur la dĂ©fense plutĂŽt que sur la sĂ©curitĂ© ». ‱ Des moyens limitĂ©s pour l’accueil des Ă©lites africaines au sein de nos Ă©coles militaires Lors de leurs dĂ©placements, les rapporteurs ont pu faire un double constat concernant la formation des officiers africains : – dans les gĂ©nĂ©rations qui occupent actuellement ou ont occupĂ© des postes Ă©levĂ©s dans la hiĂ©rarchie militaire, la plupart des militaires ont Ă©tĂ© formĂ©s au sein des Ă©coles françaises, Ă  l’image du gĂ©nĂ©ral Mouhamadou Lamine Keita, ancien chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des Forces armĂ©es sĂ©nĂ©galaises, issu de la promotion Bir Hakeim de l’École spĂ©ciale militaire de Saint-Cyr. Ces officiers ont souvent accĂ©dĂ© Ă  de hautes fonctions militaires et parfois politiques, tout en conservant un attachement particulier Ă  la France, attachement qui constitue l’un de nos atouts majeurs sur le continent ; – pour les gĂ©nĂ©rations les plus jeunes, en revanche, le nombre de places disponibles dans les Ă©coles françaises a drastiquement diminuĂ©. Devant les rapporteurs, le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air a vivement regrettĂ© cette situation. Selon lui, notre « vraie plus-value », quand nos forces


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opĂšrent dans huit pays totalement souverains y compris en matiĂšre de maĂźtrise de l’air, c’est que tous les chefs d’état-major des armĂ©es de l’air de ces pays sont issus des rangs de notre École de l’Air. Cela joue surtout pour les officiers et les pilotes, « qui offrent un bon levier d’influence », laquelle a Ă©tĂ© « la clef du succĂšs dans la bande sahĂ©lo-saharienne ». Mais aujourd’hui, « pour des Ă©conomies de bouts de chandelle (quelques millions d’euros), on a rĂ©duit la voilure » : les budgets concernĂ©s ont Ă©tĂ© divisĂ©s par deux, car c’est la France qui prenait Ă  sa seule charge les coĂ»ts affĂ©rents Ă  la formation des officiers africains. Il en rĂ©sulte un « effet d’éviction » : nombre d’Africains voudraient se former en France, mais faute de capacitĂ©s d’accueil, ils vont en Chine... Pour le gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, « l’effet se fera sentir dans quelques annĂ©es ». Le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a fait le mĂȘme constat devant les rapporteurs : « c’est pour des raisons d’économie que l’on accueille moins de stagiaires africains en France ». Pour lui, toutes les Ă©coles nationales Ă  vocation rĂ©gionale n’ont pas encore atteint le mĂȘme niveau de formation que les Ă©coles françaises ou amĂ©ricaines, et en tout Ă©tat de cause, accueillant des officiers de pays voisins, elles ne permettent pas, pour les Africains, le « grand brassage, enrichissant, que permet la formation dans les Ă©coles françaises » et, pour la France, de dĂ©velopper des « relais d’influence » qui constituent un « atout construit dans la durĂ©e », « utile en cas de crise pour amĂ©liorer notre rĂ©activitĂ© ». Pour le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux, « il faut donc faire les deux : accueil et formation sur place », et faute de moyens suffisants, on pourrait se contenter d’un niveau de type « Ă©cole d’état-major » en Afrique, et conserver des capacitĂ©s d’accueil dans nos Ă©coles, y compris au Centre des hautes Ă©tudes militaires (CHEM). ii. Des contraintes capacitaires Les rapporteurs ont pu observer que les femmes et les hommes qui ont participĂ© aux opĂ©rations Serval et Sangaris se disent trĂšs satisfaits des Ă©quipements rĂ©cents de l’armĂ©e de terre. Ce constat est partagĂ© par le chef d’état-major de cette armĂ©e, qui a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs que « l’enseignement majeur rĂ©side dans la justesse et la pertinence des choix faits dans le domaine capacitaire ». Pour lui, ces opĂ©rations extĂ©rieures rĂ©centes montrent « que nous avons eu raison de prĂ©server l’intĂ©gralitĂ© du spectre capacitaire. Au Mali par exemple, toutes les composantes ont Ă©tĂ© employĂ©es, depuis les plus lĂ©gĂšres parachutĂ©es pour saisir l’aĂ©roport de Tombouctou jusqu’au plus blindĂ©es avec les VBCI et l’AMX 10 RC, l’effort tactique Ă©tant portĂ© par le segment mĂ©dian dont l’avenir dĂ©pend Ă©troitement du lancement du programme SCORPION dĂšs 2014. Notons Ă©galement que les technologies modernes qui dotent nos matĂ©riels les plus rĂ©cents apportent sur le terrain une supĂ©rioritĂ© tactique incontestable, dĂ©jĂ  observĂ©e en Afghanistan ». Globalement, « en termes de performance intrinsĂšque, les matĂ©riels sont globalement bien adaptĂ©s aux terrains africains ». Mais il n’en demeure pas moins que tant au Mali qu’en RĂ©publique centrafricaine, certains points d’attention concernant les matĂ©riels terrestres,


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aĂ©roterrestres et aĂ©riens ont Ă©tĂ© mis en lumiĂšre ou confirmĂ©s lors des opĂ©rations Serval et Sangaris. ‱ Concernant les matĂ©riels terrestres et aĂ©roterrestres des forces conventionnelles 1./ L’obsolescence bien connue de certains matĂ©riels, notamment au sein des unitĂ©s prĂ©positionnĂ©es La plupart de ces limites sont bien connues : elles tiennent Ă  la vĂ©tustĂ© de certains matĂ©riels. Selon le gĂ©nĂ©ral Bernard Barrera, commandant de la brigade Serval en 2013, les matĂ©riels anciens sont certes rustiques, mais leur maintien en condition opĂ©rationnelle est « de plus en plus exigeant ». Le CAESAR et le VBCI « ont trĂšs bien tenu », et le raid en VBCI sur la katibat du MUJAO Ă  Aguelhoc aurait Ă©tĂ© impossible en vĂ©hicule de l’avant blindĂ© (VAB). Le gĂ©nĂ©ral Ă©tait moins inquiet pour ses unitĂ©s prĂ©sentes dans le sud, car elles Ă©taient Ă©quipĂ©es de VBCI, que pour celles prĂ©sentes dans le nord, armĂ©es d’AMX 10 RC et de VAB. S’agissant de nos parcs blindĂ©s mĂ©dians, le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a d’ailleurs estimĂ© que ces capacitĂ©s « atteignent d’ailleurs un seuil devenu critique ». Il en va de mĂȘme de l’ensemble des matĂ©riels d’ancienne gĂ©nĂ©ration, qui nĂ©cessitent des opĂ©rations de maintenance plus rĂ©pĂ©titives, ce qui limite la capacitĂ© opĂ©rationnelle en restreignant l’emploi des Ă©quipements. Sur un plan technique, les distances introduisent des ruptures de charges qui allongent les dĂ©lais d’intervention et d’acheminement logistique, dĂ©jĂ  grevĂ© par les camions VTL (vĂ©hicule de transport logistique), objets de restrictions techniques d’emploi en vitesse et en charge, compte tenu de leur Ăąge. Bien qu’apprĂ©ciĂ©e pour leurs performances remarquables, les porteurs polyvalents terrestres (PPT) projetĂ©s au Mali ne couvrent pas encore tous les besoins compte tenu de leur faible nombre. La politique retenue par d’armĂ©e de terre est de relever systĂ©matiquement les VTL par des PPT au rythme des livraisons industrielles. Enfin, l’environnement trĂšs Ă©prouvant de la bande sahĂ©lo-saharienne (sable, poussiĂšre, chaleur, etc.) « pousse le matĂ©riel Ă  ses limites » et « rĂ©vĂšle la faiblesse de conception de certains Ă©lĂ©ments », comme les hĂ©licoptĂšres Caracal. Surtout, les rĂ©centes opĂ©rations ont montrĂ© la nĂ©cessitĂ© de rendre interopĂ©rables les Ă©quipements de forces prĂ©positionnĂ©es et celles du dispositif GuĂ©pard nouvelle gĂ©nĂ©ration. Or, aujourd’hui, il ressort des observations des rapporteurs, confirmĂ©es par les prĂ©cisions que leur a fournies l’état-major de l’armĂ©e de terre, que les forces prĂ©positionnĂ©es ne bĂ©nĂ©ficient que de matĂ©riels anciens, voire obsolĂštes, y compris en matiĂšre de moyens de transmission et de vĂ©hicules. Il en rĂ©sulte un frein Ă  la numĂ©risation des thĂ©Ăątres d’opĂ©ration africains. Cette situation a conduit l’armĂ©e de terre Ă  prendre la dĂ©cision de numĂ©riser aussi ses forces prĂ©positionnĂ©es, en planifiant le dĂ©ploiement du systĂšme FELIN (fantassin Ă  Ă©quipement et liaisons intĂ©grĂ©s). Pour les rapporteurs, Ă  terme, il serait logique d’appliquer Ă©galement le programme SCORPION Ă  ces


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forces prĂ©positionnĂ©es, dans la mesure oĂč elles ont vocation Ă  armer des GTIA en complĂ©mentaritĂ© avec les forces assurant l’échelon national d’urgence. Lors de son audition par les rapporteurs, le gĂ©nĂ©ral Bernard Barrera a estimĂ© que si le dispositif GuĂ©pard a fait la preuve de son efficacitĂ©, l’opĂ©ration Serval avait aussi montrĂ© qu’il n’est pas « calibrĂ© pour tous les thĂ©Ăątres ». Par exemple, le systĂšme de radio HF CARTHAGE porte Ă  100 ou 200 kilomĂštres, ce qui est trĂšs nettement insuffisant pour des Ă©longations telles que celles de l’opĂ©ration Serval. Aussi, « on a dĂ» compenser avec des moyens lĂ©gers, nĂ©cessitant des « rĂ©flexes africains » : contact toutes les deux heures, mais pas de contact permanent ». La brigade Serval a aussi pu s’appuyer sur les moyens des unitĂ©s aĂ©riennes, mieux Ă©quipĂ©es, mais sans que cela pallie tout Ă  fait nos « dĂ©faillances claires en moyen satellitaires ». En quelque sorte, entre les unitĂ©s de l’armĂ©e de l’air et la composante « terre » de la brigade Serval, « les uns manquaient de moyens radio et de systĂšmes d’information et de commandement (SIC), les autres de vĂ©hicules pour porter les leurs ! ». Une partie des difficultĂ©s a pu ĂȘtre levĂ©e en faisant venir des VAB ML et des VAB VĂ©nus d’Afghanistan et en les employant plus prĂšs que d’habitude des zones de combat. Aussi, pour le gĂ©nĂ©ral Bernard Barrera, l’expĂ©rience de l’opĂ©ration Serval permet de penser qu’il faudrait centraliser les moyens SIC des forces d’alerte GuĂ©pard en France et permettre aux unitĂ©s de s’entraĂźner avec, plutĂŽt que les disperser en prĂ©positionnement lĂ  oĂč l’on n’interviendra peut-ĂȘtre pas. Cela correspond d’ailleurs au schĂ©ma retenu pour la prĂ©paration opĂ©rationnelle sur les VAB ML et VĂ©nus, qui s’effectue en France. En tout Ă©tat de cause, ces Ă©quipements sont « indispensables pour le rĂ©sultat obtenu », et la « numĂ©risation de l’espace de bataille » est « rĂ©ussie au niveau de la brigade et du GTIA : elle a permis que l’on ne soit pas surpris ». Ce rĂ©sultat est aussi Ă  rapporter au fait que les personnels avaient certes Ă©tĂ© formĂ©s Ă  ces matĂ©riels en Afghanistan mais que la brigade avait fait le pari judicieux de s’entraĂźner Ă©galement Ă  des configurations de thĂ©Ăątres diffĂ©rentes. 2./ Les difficultĂ©s rencontrĂ©es dans le dĂ©ploiement des drones tactiques Le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux a Ă©galement soulignĂ© l’insuffisance des moyens de renseignement, notamment en drones tactiques. Pour lui, « l’immensitĂ© des zones Ă  couvrir pose Ă©galement un dĂ©fi en termes de renseignement, que le drone permet de relever ». Il relĂšve que « dans ce domaine, les opĂ©rations en cours n’invalident absolument pas le besoin exprimĂ© par l’armĂ©e de terre de dĂ©ployer ses propres drones tactiques SDTI ; ceci pour garantir la satisfaction la plus complĂšte possible d’un besoin de renseignement de portĂ©e tactique que les moyens actuels dĂ©ployĂ©s sur les thĂ©Ăątres ne permettent de couvrir qu’à hauteur de 20 % ». Cela plaide en faveur du renforcement et de la modernisation rapides de nos capacitĂ©s en matiĂšre de drones tactiques. Le drone tactique a en effet une vocation diffĂ©rente de celle du drone MALE, et « au fond du dĂ©sert, on a trĂšs


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rarement les drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) Ă  disposition ». Or notre systĂšme actuel de drone tactique, le SDTI, n’a pas Ă©tĂ© dĂ©ployĂ© au Mali, car « il fallait choisir des prioritĂ©s », suivant une logique de gage : le dĂ©ploiement d’un module de SDTI et des 40 personnels nĂ©cessaires devrait ĂȘtre compensĂ© par le retrait d’une capacitĂ© du mĂȘme volume. Pourtant, l’armĂ©e de terre dispose de quatre lanceurs et de 18 SDTI Ă  Chaumont, dont un module prĂȘt Ă  partir, et « l’intĂ©rĂȘt du drone tactique n’est pas Ă  dĂ©montrer ». De mĂȘme, l’armĂ©e de terre plaide depuis plusieurs semaines pour une meilleure surveillance de l’axe vital pour nos convois qui mĂšne de Gao Ă  Aguelhoc, oĂč s’est produit rĂ©cemment une attaque-suicide avec pour rĂ©sultat quatre morts et 10 blessĂ©s dans le contingent tchadien d’Aguelhoc. Le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre demande donc un module SDTI Ă  Tessalit au moins. « Tout le monde est d’accord, mais on attend que ça se fasse, en partie Ă  cause de cette logique du « gage » de chaque moyen nouveau par des suppressions ». Le SDTI Ă©tant vieillissant, comme en tĂ©moignent ses coĂ»ts croissants de maintien en condition opĂ©rationnelle, il est prĂ©vu de le remplacer par un systĂšme plus moderne, pour lequel « tout est budgĂ©tĂ© ». Reste Ă  en passer par une procĂ©dure d’appel d’offres, rendue obligatoire « du fait des rĂšgles europĂ©ennes ». On relĂšvera que, dans la perspective du remplacement du SDTI, a Ă©tĂ© mis en place un partenariat opĂ©rationnel franco-britannique autour du Watchkeeper. Dans ce cadre, quinze sous-officiers français ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© formĂ©s au Watchkeeper aux cĂŽtĂ©s des britanniques en Afghanistan ; il serait d’ailleurs utile de rĂ©pĂ©ter cet exercice au Mali, ce pour quoi le Royaume-Uni est « demandeur ». Les Britanniques sont en train de terminer le dĂ©veloppement du Watchkeeper, et ils se montrent « trĂšs ouverts » : leur premier dĂ©ploiement en Afghanistan se fait avec des Ă©quipes françaises. Ce partenariat opĂ©rationnel prend place dans un ensemble d’échanges franco-britanniques qui reposent sur les « intĂ©rĂȘts croisĂ©s majeurs » qu’ont nos deux armĂ©es. Ainsi, un Ă©lĂ©ment britannique vient en septembre se former au VBCI et au CAESAR au Mali : « les militaires britanniques aimeraient beaucoup en ĂȘtre dotĂ©s ». 3./ L’usure prĂ©maturĂ©e des matĂ©riels Concernant les matĂ©riels, le gĂ©nĂ©ral Bretrand Ract Madoux a expliquĂ© aux rapporteurs que l’« on a du trĂšs moderne (par exemple : l’hĂ©licoptĂšre Tigre), et du trĂšs ancien (par exemple : le VAB, la Peugeot P4, etc.) ». Or les moyens modernes sont en « petit nombre », et sont donc sur-employĂ©s : « jusqu’à quatre fois leur potentiel annuel nominal ». Les armĂ©es sont donc confrontĂ©es Ă  une « sur-usure rapide du matĂ©riel ». Les Ă©longations, en outre, supposent de la mobilitĂ©, et donc des hĂ©licoptĂšres ; or ceux-ci sont sur employĂ©s. En Afrique « il n’y a pas de rĂ©serve » ; schĂ©matiquement, tous les hĂ©licoptĂšres sont soit en opĂ©ration, soit en rĂ©paration. Ainsi, « l’équilibre est trĂšs instable ». De plus, les conditions d’emploi sont « trĂšs compliquĂ©es » : on parle de conditions « abrasives ». MĂȘme en


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RĂ©publique centrafricaine, le sable se double d’une pellicule de silice qui infiltre tous les Ă©quipements. L’usure prĂ©maturĂ©e des Ă©quipements actuels « impose de ne pas perdre de temps dans les programmes de renouvellement ». Or l’opĂ©ration d’ensemble SCORPION, dont c’est prĂ©cisĂ©ment l’objet, a dĂ©jĂ  pris « plusieurs annĂ©es de retard » : « il faut absolument le lancer cet Ă©tĂ© ». L’enjeu devient crucial : si « SCORPION n’est pas lancĂ© cet Ă©tĂ©, c’est une trahison de toute la loi de programmation militaire pour l’armĂ©e de terre ». « Qui commande paie : quand on envoie des hommes, il faut les Ă©quiper ». 4./ Les difficultĂ©s de financement de la prĂ©paration opĂ©rationnelle des personnels aux opĂ©rations africaines, et les risques qui s’y attachent Le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux est revenu sur les enseignements des opĂ©rations Serval et Sangaris concernant la prĂ©paration opĂ©rationnelle des personnels aux opĂ©rations en Afrique. Le bilan qu’il en fait est contrastĂ© : si nos forces ont atteint un niveau de professionnalisme excellent, les moyens consacrĂ©s Ă  leur prĂ©paration sont Ă  peine suffisants pour espĂ©rer maintenir ce niveau. Selon lui, on constate aujourd’hui une « qualitĂ© de soldats que l’armĂ©e française n’a pas eue depuis trĂšs longtemps » : « les AmĂ©ricains et les Britanniques le reconnaissent ». On atteint « un niveau remarquable ». Les responsables militaires britanniques qui se sont dĂ©placĂ©s au PCIAT Serval l’ont d’ailleurs dit : « nous vous admirons et nous vous envions ». Cela montre selon lui que malgrĂ© la contrainte financiĂšre, les forces ont rĂ©ussi Ă  mettre en place un systĂšme qui fonctionne parfaitement, de la formation Ă  la prĂ©paration opĂ©rationnelle. Depuis l’Afghanistan, il y avait « un seul domaine dans lequel on piĂ©tinait un peu » : la manƓuvre rapide, « qui frappe fort, par surprise » : Serval l’a exigĂ©, « et on a rĂ©ussi ». LES MISES EN CONDITION DES FORCES L’Afghanistan y a contribuĂ©, ainsi que les efforts de prĂ©paration et d’équipement de nos soldats. Les mises en condition avant projection pour les OpĂ©rations Serval et Sangaris ont Ă©tĂ© calquĂ©es sur celle mise en place pour l’Afghanistan. La prĂ©paration des troupes qui prennent l’alerte GuĂ©pard a Ă©tĂ© formalisĂ©e sur ces mĂȘmes principes. La qualitĂ© de la prĂ©paration opĂ©rationnelle reste donc Ă  un haut niveau d’exigence. Les mises en condition avant projection sont la prioritĂ© de la prĂ©paration opĂ©rationnelle car elles conditionnent la capacitĂ© de l’armĂ©e de terre Ă  rĂ©pondre au contrat opĂ©rationnel. L’effort est donc maintenu au niveau nĂ©cessaire. Source : Ă©tat-major de l’armĂ©e de terre.

Tout le paradoxe de la situation tient Ă  ce qu’en matiĂšre de prĂ©paration des forces, les perspectives sont aussi inquiĂ©tantes que l’état des lieux est satisfaisant. Pour le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre, « des ressources comptĂ©es font que l’effort portĂ© sur les stages de mise en condition avant projection (MCP),


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dans un contexte de fort engagement, dĂ©grade la prĂ©paration opĂ©rationnelle gĂ©nĂ©rique des forces non projetĂ©es. Cela est significatif en ce qui concerne les crĂ©dits dĂ©diĂ©s Ă  l’entretien programmĂ© des matĂ©riels mais aussi ceux consacrĂ©s aux munitions ». Le maintien de ces capacitĂ©s et du niveau de savoir-faire « est placĂ© au cƓur des objectifs de la loi de programmation militaire : on ne cherche pas Ă  faire mieux, on cherche Ă  maintenir ce niveau malgrĂ© les contraintes budgĂ©taires ». « On tire sur la ficelle en matiĂšre de conditions de vie, de tracasseries administratives (LOUVOIS...) et on atteint le moral par des dissolutions, mais les hommes se comportent extrĂȘmement bien en OPEX ». Le gĂ©nĂ©ral Barrera a partagĂ© ce constat, l’étayant d’observations concrĂštes. Il a fait observer aux rapporteurs que les parcs en service permanent (PSP) sont de plus en plus rĂ©duits, et ce d’autant que le meilleur matĂ©riel est systĂ©matiquement projetĂ© en opĂ©ration – ce qui est d’ailleurs « normal ». Ainsi, les unitĂ©s s’entraĂźnent sur des parcs centralisĂ©s, mais si le principe de centralisation concernait hier seulement les matĂ©riels « majeurs » (VAB, etc.), il s’étend aujourd’hui de plus en plus aux armes individuelles et autres Ă©quipements lĂ©gers. Il en coĂ»te donc de « grandes gesticulations pour arriver au minimum de prĂ©paration opĂ©rationnelle exigible », ce qui non seulement est lourd en « paperasserie », mais encore a un « impact sur le moral ». Pour le gĂ©nĂ©ral, le niveau de prise de conscience de ces difficultĂ©s n’est « pas suffisant ». ‱ Concernant les matĂ©riels aĂ©riens Si les opĂ©rations Serval et Sangaris avaient confirmĂ© les insuffisances dĂ©jĂ  connues de certaines de nos capacitĂ©s aĂ©riennes, l’action des forces françaises dans la bande sahĂ©lo-saharienne a en outre mis en lumiĂšre de nouvelles insuffisances. 1./ L’aviation de transport Parmi les insuffisances capacitaires dĂ©jĂ  connues, la plus souvent mise en avant est celle qui concerne les capacitĂ©s de notre aviation de transport. Comme le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre l’a notĂ©, « l’immensitĂ© des zones Ă  couvrir, qui s’impose comme un profond dĂ©nominateur commun sur [le] continent [africain], oblige nos forces Ă  se scinder en de nombreux dĂ©tachements qui doivent souvent opĂ©rer de façon autonome, loin les uns des autres ». Tel est par exemple le cas de l’opĂ©ration Sangaris, comme les rapporteurs ont pu l’observer Ă  Bangui et Ă  Bambari : les 2 000 soldats français sont actuellement dĂ©ployĂ©s sur onze sites rĂ©partis sur un territoire grand comme la France et la Belgique rĂ©unies, et dont le maillage routier est principalement composĂ© par des chemins forestiers. « Cette rĂ©alitĂ© pose un dĂ©fi colossal en termes de mobilitĂ© : compte tenu de la dispersion des unitĂ©s, des Ă©longations et de l’état du rĂ©seau routier, notre facultĂ© Ă  nous dĂ©placer prend en Afrique une dimension bien plus importante que sur d’autres thĂ©Ăątres, au point qu’elle limite la manƓuvre ».


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Aussi, relever le dĂ©fi de la conduite des opĂ©rations dans un milieu naturel aussi peu propice « impose de disposer de moyens de transport aĂ©rien et de vecteurs de transport terrestre en nombre. Ce constat est d’autant plus valable pour la logistique, dans laquelle le soutien sanitaire occupe une place centrale, tant son efficacitĂ© repose sur la permanence des moyens et la briĂšvetĂ© des dĂ©lais d’intervention ». Ces limites se traduisent par des contraintes pesant sur l’agilitĂ© de la force : « nous devons admettre qu’au Mali comme en Centrafrique, la limite de nos moyens de transport aĂ©rien et de notre logistique terrestre contraint les choix opĂ©rationnels en tenant parfois le commandement militaire sur place Ă  l’impossible ». Le gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air, a confirmĂ© ce constat et soulignĂ© un facteur aggravant : la rĂ©novation des avions de transport tactique C130 « immobilise des appareils ». Elle est nĂ©cessaire pour les mettre au niveau des normes aĂ©ronautiques internationales, ainsi que pour amĂ©liorer leur capacitĂ© tactique – elle doit permettre par exemple aux C130 de ravitailler en vol les hĂ©licoptĂšres Caracal, notamment pour les forces spĂ©ciales, car l’A400M, dont le cahier des charges prĂ©voyait pourtant cette capacitĂ©, n’en sera pas capable pour des raisons techniques dirimantes. Or une telle capacitĂ©, « qui ne coĂ»te que 30 millions d’euros », donnerait des Ă©longations trĂšs supĂ©rieures aux opĂ©rations des forces spĂ©ciales, « qui sont aujourd’hui limitĂ©es et les groupes armĂ©s djihadistes le savent bien ! ». En outre, comme le relĂšve le gĂ©nĂ©ral GrĂ©goire de Saint-Quentin, mĂȘme si la rĂ©novation des C130 ne doit ĂȘtre achevĂ©e qu’en fin de programmation, elle est indispensable pour disposer d’un avion de transport d’assaut utile sur de petits terrains, oĂč l’A400M « ne fera pas le travail du Transall ou du C130 ». Selon le gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, pour de grandes OPEX, la France aura toujours besoin d’affrĂštements (tel Ă©tait le cas pour l’opĂ©ration Serval, qui a nĂ©cessitĂ© 10 500 tonnes de fret), mais pour le volume moyen engagĂ© dans les opĂ©rations extĂ©rieures « moyennes », « l’A400M amĂ©liorera d’autant plus les choses, qu’il partira de France et permettra d’acheminer de lourds frets ». 2./ Les capacitĂ©s de ravitaillement en vol Pour le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air, le « principal point de vigilance, ce sont les ravitailleurs ». Avec un nombre suffisant de ravitailleurs disponibles, « on pourrait supprimer trois chasseurs Ă  N’Djamena et les laisser en alerte Ă  St-Dizier, mais ils ne peuvent couvrir rapidement l’Afrique qu’avec des ravitailleurs ». S’agissant du programme MRTT (multi-role transport tanker – avion multirĂŽles de ravitaillement en vol et de transport) destinĂ© Ă  assurer le renouvellement de notre flotte de ravitailleurs, l’armĂ©e de l’air aurait obtenu l’engagement d’une commande ferme avant la fin de l’annĂ©e 2014, avec donc deux livraisons Ă  partir de 2018 – le gĂ©nĂ©ral Denis Mercier faisant toutefois observer : « deux appareils seulement sur la pĂ©riode de programmation militaire


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en cours... ». L’armĂ©e de l’air a « acceptĂ© une configuration moins Ă©voluĂ©e, en rĂ©duisant ses ambitions » notamment en matiĂšre de liaison satellitaire et de fonction cargo. « Mais il nous faut absolument la configuration « dissuasion », avec les capacitĂ©s d’effacement des donnĂ©es qui correspondent ». L’armĂ©e de terre en a Ă©galement grand besoin, dans un premier temps en configuration « palette », et avec un retrofit ultĂ©rieur en version cargo. Il est donc absolument nĂ©cessaire que les discussions commerciales engagĂ©es avec l’industriel aboutissent le plus rapidement possible. 3./ Les drones Comme l’a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs le gĂ©nĂ©ral commandant des opĂ©rations spĂ©ciales, « on rattrape le retard avec le Reaper », qui est un « game changer » et ce d’autant que cette technologie s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable dans l’éventail des moyens de renseignement utilisĂ©s pour la prĂ©paration et le suivi de toute opĂ©ration du type de celles que conduisent nos forces dans la bande sahĂ©lo-saharienne et en RĂ©publique centrafricaine. En la matiĂšre, pour l’heure, la coopĂ©ration avec les États-Unis est trĂšs utile : « les forces spĂ©ciales n’auraient pas pu mener toutes leurs opĂ©rations de l’hiver passĂ© dans les mĂȘmes conditions sans leur appui », qui prend la forme d’heures de vol de drones fournies aux Français. Cette coopĂ©ration s’opĂšre dans une « logique win-win », car les États-Unis y trouvent leur intĂ©rĂȘt : d’une part, parce que les modalitĂ©s de leur intervention sont ainsi « conformes aux orientations du discours de West Point du prĂ©sident Obama » et, d’autre part, parce que le partenariat franco-amĂ©ricain facilite le partage d’informations. Mais il y a une « question d’indĂ©pendance nationale : il nous faut une plus grande capacitĂ© en matiĂšre de drones pour pouvoir mener une opĂ©ration de type Sabre en autonome ». 4./ Les difficultĂ©s de l’hĂ©licoptĂšre Caracal en milieu sahĂ©lien Les rapporteurs ont pu constater sur place que les hĂ©licoptĂšres Caracal supportent trĂšs mal les chaleurs et la poussiĂšre du climat sahĂ©lien, au point que leurs turbines, pourtant prĂ©vues pour durer 3 000 heures, doivent ĂȘtre changĂ©es beaucoup plus rĂ©guliĂšrement. Il a ainsi Ă©tĂ© indiquĂ© aux rapporteurs que leur « espĂ©rance de vie » observĂ©e dans la bande sahĂ©lo-saharienne Ă©tait comprise entre 60 et 106 heures. Cette dĂ©faillance a un double prix : – financier : chaque turbine coĂ»tant 850 000 euros, le coĂ»t induit en maintien en condition opĂ©rationnelle est trĂšs Ă©levĂ© ; – opĂ©rationnel : le rythme de ces opĂ©rations d’entretien pĂšse sur la disponibilitĂ© technique des appareils. À tout le moins, le marchĂ© de MCO de cet appareil mĂ©riterait d’ĂȘtre adaptĂ© en consĂ©quence.


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Le gĂ©nĂ©ral GrĂ©goire de Saint-Quentin a indiquĂ© aux rapporteurs que ce problĂšme n’avait pas Ă©tĂ© dĂ©couvert au moment de l’opĂ©ration Serval : il a Ă©tĂ© identifiĂ© dĂšs 2006, et documentĂ© par une fiche d’incident Ă©tablie dans le cadre des opĂ©rations au Tchad en 2008. Le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air a dĂ©clarĂ© que ces dĂ©faillances ne devaient toutefois pas conduire Ă  porter un jugement exagĂ©rĂ©ment nĂ©gatif sur la qualitĂ© de cet Ă©quipement, faisant valoir : – que les hĂ©licoptĂšres lourds sont trĂšs utiles ; – que le Caracal n’était pas prĂ©vu pour ĂȘtre utilisĂ© dans ces conditions extrĂȘmes de sable fin, et que les armĂ©es travaillent avec l’industriel concernĂ© Ă  un crash program ; – que si l’on avait d’emblĂ©e menĂ© ces programmes d’amĂ©lioration – « ce que l’on n’a pas fait pour des raisons financiĂšres de court terme » –, on aurait Ă©vitĂ© un coĂ»t important de renouvellement des turbines : « on aurait gagnĂ© de l’argent Ă  investir plus tĂŽt ! C’est l’effet paradoxal de la gestion actuelle » ; – que le Caracal Ă©tait conçu pour des missions de Search and Rescue, pas pour opĂ©rer en permanence. « C’est l’utilisation qui a changĂ© : c’est naturel ». L’armĂ©e de l’air rencontre d’ailleurs actuellement le mĂȘme problĂšme avec l’ACCS (Air Command and Control System, systĂšme de commandement et de conduite OTAN qui est en cours d’acquisition) : « il Ă©tait fait pour de la dĂ©fense aĂ©rienne, mais on va l’utiliser aussi pour planifier et conduire les opĂ©rations aĂ©riennes, or ses bases de donnĂ©es n’intĂšgrent pas toute l’Afrique et l’Afrique du Nord-Moyen Orient (ANMO) ». ‱ Concernant certains autres matĂ©riels des forces spĂ©ciales Des discussions approfondies avec le commandement et les hommes du dĂ©tachement de la task force Sabre ont permis de mettre en lumiĂšre les forces et les faiblesses du dispositif, notamment en matiĂšre d’équipements : – les batteries Ă©quipant les vĂ©hicules de patrouille ont une faible autonomie, du fait d’un rythme d’utilisation trĂšs soutenu et de conditions climatiques extrĂȘmes, avec des Ă©carts de tempĂ©rature de 50°C ; – les procĂ©dures de validation des matĂ©riels entraĂźnent des retards dans l’appropriation des matĂ©riels les plus rĂ©cents, difficilement compatibles avec l’exigence de haute technicitĂ© qui est le propre des forces spĂ©ciales. Ainsi, 80 mitrailleuses MAG-58, pourtant en service depuis 56 ans dans 80 pays, sont en attente de validation auprĂšs de la direction gĂ©nĂ©rale de l’armement (DGA) depuis 18 mois ; les personnels Ă©voquent des retards du mĂȘme ordre concernant un lance-grenades automatique de 40 mm, dĂ©jĂ  en service dans plusieurs armĂ©es Ă©trangĂšres. Par ailleurs, certaines procĂ©dures conduisent Ă  des incohĂ©rences : ainsi, un modĂšle rĂ©cent de mitrailleuse Ă  canons rotatifs est mis en dotation pour les fusiliers commandos marins, mais pas encore pour la composante « terre » des


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forces spĂ©ciales. Les personnels rencontrĂ©s par les rapporteurs ont regrettĂ© que la DGA n’ait pas mis en place des procĂ©dures plus souples pour les forces spĂ©ciales, soulignant que leurs homologues amĂ©ricains disposent d’une structure d’acquisition propre Ă  ces forces ; – la Peugeot P4 SAS prĂ©sente deux faiblesses majeures : d’une part, elle est dotĂ©e d’une Ă©lectronique fragile, ce qui fait qu’un tiers du parc est en permanence indisponible ; d’autre part, elle n’est pas assez rapide pour concurrencer les 4x4 Toyota utilisĂ©s par les groupes armĂ©s djihadistes ou terroristes, qui rĂ©ussissent Ă  atteindre une vitesse de 180 km/h dans le dĂ©sert. Le remplacement du VLTT P4 par le VPS (« vĂ©hicule patrouille spĂ©ciale » de Panhard) est programmĂ© pour une durĂ©e couvrant deux pĂ©riodes de programmation militaire, pour 165 exemplaires. Le lancement de l’appel d’offres serait « imminent ». Pour les rapporteurs, il convient toutefois de veiller Ă  ce que les rythmes de livraison prĂ©vus soient tenus. En effet, ce type de programmes peu porteur en hautes technologies connaĂźt parfois des dĂ©calages calendaires dus, au moins en partie, Ă  une certaine inertie dans le suivi des programmes. Pourtant, les personnels des forces spĂ©ciales rencontrĂ©s par les rapporteurs estiment que le remplacement des P4 est « une urgence », car « l’usure des matĂ©riels actuels rend les choses inquiĂ©tantes ». Le GCOS a d’ailleurs consenti des efforts pour limiter le nombre de versions du VPS afin de rĂ©duire les coĂ»ts : on est passĂ© de six Ă  trois versions. b. La France a-t-elle toujours intĂ©rĂȘt Ă  ĂȘtre prĂ©sente sans avoir les moyens d’influer sur le cours des Ă©vĂ©nements ? Le double risque de la prĂ©sence militaire sans moyens consĂ©quents d’intervention i. Que la France soit accusĂ©e de ne pas prĂ©venir toutes les crises : le « syndrome rwandais » Vingt ans aprĂšs l’opĂ©ration Turquoise au Rwanda, qui a vu la France accusĂ©e – injustement – d’une coupable passivitĂ© face Ă  une crise survenant dans un pays oĂč elle entretenait un rĂ©seau de coopĂ©rants militaires, la question peut lĂ©gitimement se poser de savoir s’il n’existe pas, au plan politique, des « risques de la prĂ©sence ». L’ambassadeur de France au Gabon a utilisĂ© cette expression pour Ă©voquer la situation du dĂ©tachement des Forces françaises au Gabon installĂ© Ă  Port-Gentil. Il y avait Ă©tĂ© installĂ© en 1992 en vue de protĂ©ger les ressortissants français, qui auraient pu ĂȘtre pris Ă  partie violemment Ă  l’occasion des turbulences sociales qui agitaient alors la rĂ©gion. Mais les effectifs actuels de ce dĂ©tachement sont, selon l’ambassadeur, nettement insuffisants pour qu’il puisse avoir une action dĂ©terminante en cas de crise. Que se passerait-il alors si un Ă©vĂ©nement sĂ©curitaire se produisait Ă  Port-Gentil ? Pour l’ambassadeur, le plus probable est que les quelques militaires français prĂ©sents recevraient pour instruction de « se


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barricader », au risque d’ĂȘtre tĂ©moins d’exactions qu’ils n’auraient pas les moyens de faire cesser. ii. Que les partenaires de la France se dĂ©faussent sur elle de leurs responsabilitĂ©s L’expĂ©rience de la gestion des crises malienne et centrafricaine de 2013 montre que si la France Ă©tait indĂ©niablement la mieux placĂ©e pour rĂ©agir en urgence Ă  ces crises, grĂące Ă  son rĂ©seau de prĂ©positionnements, on peut voir dans l’attitude des EuropĂ©ens une forme de dĂ©sintĂ©rĂȘt pour la sĂ©curitĂ© de pays qu’ils considĂšrent comme relevant d’une zone d’influence strictement française, quelles que soient les menaces que la dĂ©stabilisation de ces pays fait peser pour l’Europe entiĂšre. À cet Ă©gard, le maintien de bases françaises peut apporter une explication – ou, tout du moins, servir de prĂ©texte – au peu d’allant des EuropĂ©ens dans la gestion des crises africaines. B. LE DISPOSITIF MILITAIRE FRANÇAIS EN AFRIQUE DOIT RÉPONDRE AVANT TOUT AUX BESOINS ET AUX DEMANDES DES ÉTATS AFRICAINS

La reconfiguration de notre dispositif permanent ainsi que la rĂ©organisation de nos dĂ©ploiements en opĂ©ration extĂ©rieure dans la bande sahĂ©lo-saharienne doivent rĂ©pondre, du point de vue opĂ©rationnel, Ă  une double « nouvelle donne » : – sur le continent africain, la menace Ă©volue rapidement, Ă  mesure que se rĂ©vĂšlent ce qu’il est dĂ©sormais convenu d’appeler les « risques de la faiblesse » ; – les États africains ne se placent plus, Ă  l’égard de la France, dans une posture de demande de protection, mais d’expression de besoins de coopĂ©ration, ce qui modifie profondĂ©ment les modalitĂ©s de la prĂ©sence et des interventions françaises sur le continent. 1. Les menaces Ă©voluent et appellent en consĂ©quence une adaptation du dispositif français dans une logique de « dĂ©fense de l’avant »

Comme la prĂ©sidente de la commission de la DĂ©fense et des affaires Ă©trangĂšres de l’AssemblĂ©e nationale du Burkina Faso l’a dit, en un mot, Ă  la dĂ©lĂ©gation : « la sous-rĂ©gion est dans une situation oĂč, Ă  tout moment, quelque chose peut arriver ». a. Des menaces de toute nature sur le continent africain, relevant des « risques de la faiblesse » Lors de son audition, M. Philippe Errera, directeur chargĂ© de la dĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques (DAS) du ministĂšre de la DĂ©fense a estimĂ© le concept de « risques de la faiblesse » est le plus pertinent pour l’analyse des crises africaines.


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À court terme, la crise malienne illustre selon lui les vulnĂ©rabilitĂ©s qui progressent avec les mutations de l’Afrique : expansionnisme religieux, explosion des trafics, djihadisme, etc. Ces phĂ©nomĂšnes sont distincts mais s’articulent et interagissent. Ils se superposent Ă  des faiblesses politiques et institutionnelles locales, concernant les États comme leurs organisations sous-rĂ©gionales. Un continuum Ă©merge dans ces diffĂ©rents types de menaces, du Golfe de GuinĂ©e jusqu’à la Libye, voire jusqu’en Irak et en Syrie. Soit un contexte « toujours crisogĂšne ». D’oĂč « le risque rĂ©el pour les intĂ©rĂȘts français et europĂ©ens » de voir se constituer un État terroriste aux portes de l’Europe, qui a suffi en soi Ă  justifier l’intervention au Mali. Il en va de mĂȘme pour la sĂ©curitĂ© maritime : il y a un « risque d’atteinte majeure aux intĂ©rĂȘts europĂ©ens, ignorĂ© jusqu’à il y a cinq ans », car il s’agit d’axes d’approvisionnements vitaux pour l’Europe. Si le nombre d’incidents peut paraĂźtre stable depuis cinq ans, l’annĂ©e 2013 a Ă©tĂ© marquĂ©e par un pic et l’annĂ©e 2014 « a plutĂŽt mal commencĂ© ». Certes, dans la Corne de l’Afrique, une rĂ©ponse militaire classique a amĂ©liorĂ© la situation, mais elle n’est pas transposable au Golfe de GuinĂ©e, car les modes d’action des fauteurs de troubles sont diffĂ©rents – ils opĂšrent souvent dans les eaux territoriales, faisant fonds sur la « faiblesse des forces locales » et leur « corruption ». À moyen terme, pour M. Philippe Errera, les « dĂ©fis de l’émergence » vont accentuer les risques. Au nombre de ces dĂ©fis, il cite notamment : – l’urbanisation, qui devrait conduire Ă  un accroissement de 300 millions du nombre d’urbains en Afrique Ă  l’horizon 2030 ; – les Ă©carts de richesse intra et inter Ă©tatiques, avec toutes les consĂ©quences qu’ont le chĂŽmage et les mouvements dĂ©mographiques induits ; – des systĂšmes politiques « usĂ©s par l’exercice du pouvoir » et « minĂ©s par corruption », l’amĂ©lioration en cours Ă©tant certes avĂ©rĂ©e, mais restant « trop lente » au regard des mouvements sociaux ; – les risques de contestation sociale, du type des « printemps arabes », qui ne se traitent pas par une rĂ©ponse militaire de notre part. Le Livre blanc de 2013 avait d’ailleurs consacrĂ© des dĂ©veloppements thĂ©oriques approfondis Ă  ces « risques de la faiblesse ».


— 113 — L’ANALYSE DU LIVRE BLANC DE 2013 SUR LES « RISQUES DE LA FAIBLESSE » Que la faiblesse d’un État puisse devenir une menace est un fait nouveau d’importance stratĂ©gique : pendant des siĂšcles, la faiblesse a d’abord Ă©tĂ© vue par les plus puissants comme une opportunitĂ© pour Ă©tendre leur territoire et accroĂźtre leur domination. Il n’en va plus de mĂȘme dĂšs lors que les progrĂšs du droit et l’aspiration lĂ©gitime des peuples Ă  disposer d’eux-mĂȘmes font de la souverainetĂ© des États le principe organisateur de l’ordre international. Que des États se rĂ©vĂšlent incapables d’exercer leurs responsabilitĂ©s rĂ©galiennes, et ce sont les bases mĂȘmes de l’ordre international sur lequel nous fondons notre propre sĂ©curitĂ© qui sont menacĂ©es. Les risques et les menaces auxquels ils ne savent pas faire face sur leur territoire peuvent rapidement dĂ©border et affecter notre propre sĂ©curitĂ©. Un État qui ne contrĂŽle plus ses frontiĂšres et son territoire peut devenir un sanctuaire pour des groupes criminels, un espace de transit des trafics, ou une base arriĂšre de groupes terroristes permettant Ă  ceux-ci de dĂ©velopper leur action Ă  grande Ă©chelle. Alimentant la criminalitĂ© et les mouvements rebelles dans les zones oĂč elles se dĂ©veloppent, ces activitĂ©s peuvent ĂȘtre Ă  l’origine de conflits interĂ©tatiques. L’ordre international requiert de chaque État qu’il assure la garde du territoire sur lequel il exerce sa souverainetĂ© non seulement pour le compte de son peuple, mais aussi pour celui de la communautĂ© internationale. La premiĂšre dĂ©cennie du XXIe siĂšcle aura montrĂ© que la dĂ©faillance de nombre d’États Ă  exercer les fonctions essentielles de la souverainetĂ© est un phĂ©nomĂšne durable et rĂ©pandu. Cette dĂ©faillance concerne des États de niveau de dĂ©veloppement et de taille diverse, sur la totalitĂ© ou sur une partie de leur territoire. Elle affecte par exemple des zones Ă©loignĂ©es de la capitale Ă©chappant au contrĂŽle du pouvoir central, comme au Sahel, au YĂ©men, au Pakistan et en Afghanistan. Quand ces bouleversements frappent des pays Ă  l’unitĂ© fragile, oĂč les frontiĂšres issues de la dĂ©colonisation recouvrent une grande diversitĂ© ethnique, linguistique ou religieuse, sans qu’un projet national fort ait pris le relais de la lutte contre le colonisateur, la probabilitĂ© que survienne une guerre civile augmente encore. Pour l’Europe et la France, ce dĂ©fi politique et humanitaire est aussi un enjeu stratĂ©gique. Beaucoup des États concernĂ©s se trouvent en effet aux portes de l’Europe, en Afrique, un continent qui est aujourd’hui Ă  la croisĂ©e des chemins. Si l’Afrique subsaharienne confirme dans les prochaines dĂ©cennies un dĂ©collage Ă©conomique qui a Ă©tĂ© marquĂ©, dans les cinq derniĂšres annĂ©es par une croissance annuelle de 5 %, le continent peut devenir un des moteurs de la croissance du monde et contribuer fortement Ă  la prospĂ©ritĂ© europĂ©enne. L’intĂ©rĂȘt croissant de nombreuses puissances Ă©mergentes (BrĂ©sil, Chine, Inde et les pays du Golfe) pour l’Afrique - dont la population dĂ©passera la population chinoise d’ici 2030 - ne se limite plus aux seuls produits Ă©nergĂ©tiques et aux matiĂšres premiĂšres. Il illustre cette prise de conscience du potentiel africain. Cependant, l’Afrique subsaharienne est Ă©galement une zone de grandes fragilitĂ©s. De 2003 Ă  2012, une dizaine de pays ont Ă©tĂ© secouĂ©s par des crises politiques ou des guerres civiles, et la majoritĂ© des casques bleus des Nations unies y sont dĂ©ployĂ©s, parfois depuis plus de dix ans. Selon que les espaces non gouvernĂ©s ou Ă  faible gouvernance reculeront ou au contraire s’étendront, ce sont deux avenirs bien diffĂ©rents qui se profileront Ă  l’horizon des vingt prochaines annĂ©es. Nulle part, sans doute, l’éventail des possibles n’est aussi ouvert que sur le continent africain. Les risques de la faiblesse sont plus insidieux que les menaces de la force, car ils n’ont pas le caractĂšre tangible des conflits traditionnels de puissance et leur impact se


— 114 — manifeste tardivement, quand la communautĂ© internationale est confrontĂ©e Ă  un dĂ©ficit d’ordre qu’elle doit tenter de combler dans l’urgence. Elle est alors placĂ©e devant le dilemme de laisser le chaos s’installer, ou au contraire, en intervenant, de prendre le risque de focaliser sur elle les hostilitĂ©s, sans pouvoir s’appuyer sur des partenaires nationaux solides. Dans le nouveau paysage stratĂ©gique, il est donc d’autant plus important d’identifier les risques de la faiblesse le plus tĂŽt possible, afin d’y parer avant qu’ils n’aient produit leurs effets les plus dĂ©vastateurs.

i. Des menaces clairement terroristes La menace terroriste est omniprĂ©sente, notamment dans la bande sahĂ©lo-saharienne. Elle est d’autant plus complexe Ă  traiter qu’elle est le fait de groupes armĂ©s terroristes, de groupes armĂ©s djihadistes et de groupes armĂ©s rebelles qui sont : – de natures diffĂ©rentes : certains sont plus « professionnalisĂ©s » que d’autres, dont les moyens restent plus rudimentaires ; – d’origines diffĂ©rentes : certains ont une base territoriale et ethnique clairement localisĂ©e, tandis que d’autres appartiennent Ă  des mouvements djihadistes internationaux, dont les sources de financement, les bases d’entraĂźnement et les approvisionnements sont allogĂšnes Ă  l’Afrique sub-saharienne ; – porteurs de revendications diffĂ©rentes : djihadistes pour les uns, autonomistes voire indĂ©pendantistes pour d’autres ; – plus ou moins « politisĂ©s », certains Ă©tant mus par un projet religieux ou politique clair, d’autres donnant davantage l’impression que le djihadisme sert parfois de « raison sociale » Ă  des organisations intĂ©ressĂ©es surtout par des trafics en tous genres (narcotiques, biens de contrebande, ĂȘtres humains, etc.). ii. Des mouvements centrifuges Ă  connotation ethnique Les ethnies les plus souvent prĂ©sentĂ©es comme susceptibles de contester l’autoritĂ© de l’État dans la bande sahĂ©lo-saharienne sont les Touaregs et les Toubous. Si les Toubous – ethnie nomade prĂ©sente du Nord du Tchad au Nord du Niger, en passant par la Libye – ont pris part aux rĂ©bellions qu’a connues le Niger dans les annĂ©es 1990, le dĂ©placement des rapporteurs au Tchad a permis de constater que le prĂ©sident Idriss DĂ©by Itno rĂ©ussit, pour l’heure et par divers moyens, Ă  s’assurer leur allĂ©geance et Ă  les faire contribuer au « verrouillage » de la frontiĂšre libyenne. S’agissant des Touaregs, la prĂ©sidente de la commission des Affaires Ă©trangĂšres et de la dĂ©fense du Burkina Faso a dĂ©clarĂ© que ce groupe ethnique portait de façon rĂ©currente des revendications au moins autonomistes dans la plupart des États sur le territoire desquels il est implantĂ©. Selon elle, c’est au Niger


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que leur cas doit ĂȘtre traitĂ© avec le plus d’attention, pour la double raison que c’est le pays oĂč ils sont en plus grand nombre (deux Ă  trois millions) et qu’ils occupent une rĂ©gion proche de la frontiĂšre sud de la Libye, particuliĂšrement instable. Elle n’en a pas moins fait valoir que le danger qu’ils peuvent reprĂ©senter n’est pas strictement proportionnel Ă  leur nombre : mĂȘme un groupe trĂšs minoritaire peut constituer une menace terroriste. LE FACTEUR ETHNIQUE DANS LA STABILITÉ DES ÉTATS AFRICAINS : UN RÔLE TRÈS VARIABLE D’UN PAYS À L’AUTRE Il ressort des entretiens conduits dans l’ensemble des pays visitĂ©s que le poids des divisions ethniques n’a pas la mĂȘme importance dans la comprĂ©hension des diffĂ©rentes sociĂ©tĂ©s africaines et des conflits. 1. Un exemple de pays oĂč le facteur ethnique semble jouer un rĂŽle quasi-nul : le SĂ©nĂ©gal L’ambassadeur de France au SĂ©nĂ©gal a insistĂ© devant les rapporteurs sur le fait que, dans ce pays, la question ethnique constitue « totalement un non-sujet », estimant que le SĂ©nĂ©gal n’est pas atteint par la « gangrĂšne ethniciste que l’on rencontre ailleurs ». 2. Des pays oĂč les fractures ethniques sont dĂ©terminantes dans l’équilibre (ou le dĂ©sĂ©quilibre) social et institutionnel : les cas du Mali et du Tchad À l’inverse de ce qui est constatĂ© au SĂ©nĂ©gal, l’ambassadeur de France au Mali a soulignĂ© l’importance des fractures ethniques dans la vie sociale et politique malienne. Pour lui, « la grille de lecture la plus pertinente des problĂšmes du Mali est strictement ethnique, et non politique ». Cinquante ans de conflits ayant crĂ©Ă© entre les Bambara et les Touaregs une sorte de haine rĂ©ciproque et tenace. L’ambassadeur a d’ailleurs fait observer que le territoire malien se trouvait Ă  cheval de part et d’autre de l’une des grandes fractures qui structurent la gĂ©ographie humaine mondiale : celle qui sĂ©pare le monde arabo-musulman de l’Afrique noire, et qui suit une ligne ouest / est, de la Mauritanie au Tchad. Dans un tel contexte, si les mĂ©canismes Ă©lectoraux sont indĂ©niablement indispensables Ă  un fonctionnement dĂ©mocratique des institutions, ils ne sont pas toujours suffisants Ă  assurer le fonctionnement d’une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique stable. En effet, les ethnies du Sud du Mali – composant le groupe des Bambaras – sont largement plus nombreuses que celles du Nord : il en rĂ©sulte que les populations du Nord, ne reprĂ©sentant que 10 % environ du corps Ă©lectoral mĂȘme si elles occupent les deux tiers du territoire, peuvent se trouver marginalisĂ©es dans le jeu politique, ce qui ne va pas dans le sens de la rĂ©solution du conflit malien. Comme l’ambassadeur l’a fait observer, le prĂ©sident Ibrahim Boubacar Keita (IBK) s’est d’ailleurs appuyĂ© essentiellement sur l’électorat du Sud pour assurer son Ă©lection ; on retiendra Ă  cet Ă©gard qu’il a prononcĂ© la plupart de ses discours Ă©lectoraux en langue Bambara, ce qui ne peut pas ĂȘtre vu comme une façon de s’adresser Ă  l’ensemble du corps Ă©lectoral. S’agissant du Tchad, l’attachĂ© de dĂ©fense a expliquĂ© qu’en dĂ©pit de l’apparente soliditĂ© du rĂ©gime en place, les logiques ethniques restent ainsi plus fortes que les logiques institutionnelles. Selon lui, certaines hautes autoritĂ©s demeurent placĂ©es dans une « relation de vassalitĂ© » envers le clan noble des Zaghawas – il est Ă  noter que le prĂ©sident Idriss DĂ©by Itno lui-mĂȘme provient lui-mĂȘme d’un clan relativement moins bien considĂ©rĂ©, celui des Bideyats. Cela contraint le pouvoir Ă  entretenir des clientĂšles, ce qui limite la capacitĂ© de l’État Ă  mettre en Ɠuvre l’authentique ambition de dĂ©veloppement Ă©conomique qui anime le prĂ©sident.


— 116 — 3. Des pays qui essaient, parfois avec succĂšs, de composer avec les divisions ethniques, voire de les dĂ©passer, pour constituer un espace politique aussi cohĂ©rent que possible. Le cas du Niger paraĂźt aux rapporteurs particuliĂšrement intĂ©ressant Ă  cet Ă©gard. En effet, la composition ethnique de ce pays n’est pas moins fragmentĂ©e que celle du Mali, et il a lui aussi connu des rĂ©bellions touarĂšgues. Mais, sans entrer ici dans une analyse trĂšs approfondie de sociologie politique du pays, il ressort des divers entretiens sur place que les autoritĂ©s politiques du Niger ont menĂ© une politique de rĂ©conciliation et d’intĂ©gration, plutĂŽt que de clientĂ©lisme, pour juguler les tensions interethniques. L’action de la Haute AutoritĂ© pour la consolidation de la paix, comme la dĂ©signation de Touaregs Ă  des postes importants - y compris Ă  la primature - a permis, tout en respectant un fonctionnement dĂ©mocratique, de trouver un Ă©quilibre interethnique viable. Les diffĂ©rentes autoritĂ©s nigĂ©riennes rencontrĂ©es par les rapporteurs – tant au sein de l’exĂ©cutif que parmi les parlementaires – se sont montrĂ©es optimistes sur ce point, faisant valoir notamment que : – l’urbanisation facilite les mĂ©tissages ; – l’ethnicisme est devenu « tabou » dans le discours politique.

iii. Des organisations criminelles Trafics en tout genre, y compris d’humains, et « organisation » des migrations illĂ©gales vers l’Europe ont pris d’autant plus d’importance dans certaines rĂ©gions sahĂ©liennes, notamment au Niger, que l’instabilitĂ© de la Libye depuis 2011 a mis un terme aux flux traditionnels de travailleurs maliens et nigĂ©riens qui trouvaient Ă  s’employer comme saisonniers dans ce pays. On retiendra par exemple que selon l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure de l’ambassade de France au Niger, 70 % des migrants illĂ©gaux interpellĂ©s Ă  Lampedusa sont passĂ©s par Agadez, au Niger, oĂč le transit des clandestins constitue la principale activitĂ© Ă©conomique locale – avec tout ce que cela implique : complicitĂ© de certains fonctionnaires, corruption, racket, etc. iv. Des conflits communautaires non maĂźtrisĂ©s Les dĂ©placements des rapporteurs dans diffĂ©rents pays de la bande sahĂ©lo-saharienne leur ont permis de mesurer l’intensitĂ© des tensions rĂ©sultant des difficultĂ©s de cohabitation de certaines ethnies. La vĂ©ritable vendetta sĂ©vissant entre Touaregs et Peuls au Mali comme au Niger, liĂ©e Ă  des conflits de territoires exacerbĂ©s par la pression dĂ©mographique, en est un bon exemple. Comme l’a expliquĂ© le prĂ©sident de la Haute AutoritĂ© Ă  la consolidation de la paix du Niger, la montĂ©e des tensions entre Peuls et Touaregs est en bonne partie liĂ©e Ă  la croissance dĂ©mographique du Niger – 3,3 % d’accroissement naturel par an, avec prĂšs de huit enfants par femme, ce qui constitue le taux de fĂ©conditĂ© le plus Ă©levĂ© du monde. En effet, Ă  mesure que les Zarma et les SonghaĂŻ (ethnies sĂ©dentaires de cultivateurs) Ă©tendent leurs zones de cultures sur les territoires traditionnellement utilisĂ©s comme zones de pĂąturage par les Peuls (ethnie nomade de pasteurs),


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ceux-ci sont repoussĂ©s vers l’ouest, jusqu’au Mali, oĂč ils ne peuvent assurer leur sĂ©curitĂ© qu’en s’armant face aux Touaregs. v. Une tendance globale Ă  l’affichage d’un islam de plus en plus radical Les interlocuteurs des rapporteurs dans l’ensemble des pays oĂč ils se sont rendus s’accordent Ă  constater une tendance globale Ă  l’affichage d’un islam de plus en plus radical, moins « tolĂ©rant » que la pratique traditionnelle locale, notamment sous l’effet du prosĂ©lytisme wahhabite. Ce poids croissant du facteur religieux prĂ©sente un risque majeur : celui d’ouvrir la voie Ă  une instrumentalisation confessionnelle des conflits, dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre en RĂ©publique centrafricaine. En ont tĂ©moignĂ© notamment les reprĂ©sentants et reprĂ©sentantes de la communautĂ© française Ă©tablie au Niger, pour certains depuis plusieurs dĂ©cennies. Le prĂ©sident Mahamadou Issoufou, comme plusieurs interlocuteurs de la dĂ©lĂ©gation, a d’ailleurs dĂ©clarĂ© qu’il avait lui-mĂȘme Ă©tĂ© surpris de la tournure interconfessionnelle soudainement prise par le conflit centrafricain. SIMPLE « RETOUR DU RELIGIEUX » OU RADICALISATION ISLAMISTE ? Comme l’ambassadeur de l’UE au Niger l’a fait observer, la dĂ©mocratisation du Niger a produit Ă  cet Ă©gard un effet paradoxal : le rĂ©gime administratif de licence qui permettait d’encadrer les organisations religieuses ayant Ă©tĂ© supprimĂ©, l’État est dĂ©sormais « dĂ©bordĂ© » par la multiplication des associations islamiques, au point que l’on assiste Ă  une sorte de « concurrence sonore » entre muezzins. Les autoritĂ©s tiennent Ă  dissocier deux tendances : d’une part, le retour du religieux dans la vie sociale et, d’autre part, la radicalisation de l’islam. Ils reconnaissent que la premiĂšre existe, mais ont tendance Ă  nier la seconde. MĂȘme si les renseignements gĂ©nĂ©raux essaient de surveiller les mosquĂ©es, les moyens technologiques – prĂȘches des imans « minoritaires » tĂ©lĂ©visĂ©s ou diffusĂ©s par tĂ©lĂ©phone portable – dĂ©passent leurs capacitĂ©s d’action. Il est Ă  noter que le financement Ă©tranger de ses associations islamiques reste marginal, concentrĂ© sur quelques grands projets de bĂątiments et travaux publics. Le ministre nigĂ©rien de l’IntĂ©rieur a d’ailleurs estimĂ© devant la dĂ©lĂ©gation que l’islam traditionnel, dont les imams sont nommĂ©s par les chefs de village, constituait le meilleur rempart du Niger contre l’islamisme radical et que s’il existe bien un islam wahhabite importĂ©, il est cantonnĂ© aux villes et reste « marginal et contrĂŽlĂ©, moins par l’État d’ailleurs que par la sociĂ©tĂ© civile elle-mĂȘme ». Le discours est sensiblement le mĂȘme au Burkina Faso, oĂč le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de la DĂ©fense a assurĂ© que ses services « passaient au filtre » les prĂȘcheurs venus de l’extĂ©rieur lors de l’examen des demandes de visas et les suivait assidĂ»ment – sans donner toutefois d’apprĂ©ciation sur le nombre de prĂȘcheurs qui pourraient passer clandestinement les frontiĂšres burkinabĂ©es, qui ne sont pas Ă©tanches – et qu’un dispositif administratif ad hoc avait Ă©tĂ© mis en place pour suivre les financements Ă©trangers destinĂ©s Ă  des organisations religieuses. Les services compĂ©tents de l’ambassade de France ont une apprĂ©ciation moins optimiste de ce phĂ©nomĂšne : tout en reconnaissant que l’adhĂ©sion Ă  l’islam reste un peu « superficielle » dans un pays encore profondĂ©ment marquĂ© par l’animisme, ils relĂšvent que des financements saoudiens et qataris viennent irriguer les organisations islamiques, notamment en finançant la construction de mosquĂ©es, le fonctionnement d’écoles coraniques et une aide humanitaire particuliĂšrement bien accueillie par une population majoritairement pauvre. Le prĂ©sident de la commission des Affaires Ă©trangĂšres et de la dĂ©fense de l’AssemblĂ©e nationale du Faso a confirmĂ© aux rapporteurs l’existence de financements


— 118 — « occultes » pour certaines mosquĂ©es, tout en soulignant que les autoritĂ©s s’attachaient « beaucoup Ă  cultiver des liens entre les diffĂ©rentes communautĂ©s religieuses, afin qu’elles vivent en bonne intelligence ». La menace que reprĂ©sente un certain prosĂ©lytisme islamiste radical est perceptible dans tous les pays de la bande sahĂ©lo-saharienne oĂč se sont rendus les rapporteurs. Elle a Ă©tĂ© systĂ©matiquement mise en avant par leurs interlocuteurs, y compris au SĂ©nĂ©gal, traditionnellement rĂ©putĂ© pour sa grande tolĂ©rance religieuse. Comme le prĂ©sident du groupe d’amitiĂ© SĂ©nĂ©gal-France Ă  l’AssemblĂ©e nationale l’a rappelĂ© aux rapporteurs, LĂ©opold SĂ©dar Senghor Ă©tait chrĂ©tien, et si 95 % des SĂ©nĂ©galais sont musulmans, les mariages mixtes sont trĂšs frĂ©quents, et d’autant plus aisĂ©s que ni la conversion du conjoint ni l’éducation musulmane des enfants ne sont obligatoires. La manƓuvre d’approche des organisations islamiste est souvent la mĂȘme : les quartiers pauvres et les jeunes urbains en situation de dĂ©crochage scolaire ou universitaire constituent une clientĂšle sensible Ă  l’aide matĂ©rielle apportĂ©e par ces organisations, dont l’idĂ©ologie progresse d’autant plus facilement que les confrĂ©ries structurant traditionnellement l’islam dans ces pays peuvent paraĂźtre en dĂ©calage par rapport aux grands changements sociaux Ă  l’Ɠuvre, explosion dĂ©mographique et urbanisation aussi rapide que mal ordonnĂ©e. Pour l’ambassadeur de l’UE au Niger, les reprĂ©sentations Ă©trangĂšres n’ont donc d’autre choix que de travailler avec les chefs religieux dans les domaines qui intĂ©ressent l’action extĂ©rieure des EuropĂ©ens – le mariage forcĂ©, la scolarisation des filles, etc. – avec cette double difficultĂ© que : 1./ l’islam sunnite Ă©tant peu hiĂ©rarchisĂ©, les imams et les chefs de village qui dĂ©tiennent un pouvoir religieux ne sont pas toujours sur la mĂȘme ligne ; 2./ qu’en discutant avec les religieux, les EuropĂ©ens leur offrent une sorte de reconnaissance comme acteurs lĂ©gitimes dans le jeu politique national. L’ambassadeur des États-Unis au Niger s’est montrĂ© plutĂŽt pessimiste sur la question. Pour lui, le salafisme progresse au Niger comme il le fait, Ă  petits pas, dans l’ensemble du monde musulman depuis 40 ans, et si les vues d’Al-QaĂŻda sont globalement rejetĂ©es par la population, il suffit d’une poignĂ©e de radicaux dĂ©terminĂ©s et bien soutenus pour dĂ©stabiliser gravement un pays comme le Niger. En tout Ă©tat de cause, tant les reprĂ©sentants diplomatiques que les reprĂ©sentants des Français Ă©tablis au Niger s’accordent Ă  dire que l’on voit de plus en plus de femmes voilĂ©es, que la priĂšre de 16 heures est dĂ©sormais admise comme une raison valable de refuser un rendez-vous de travail, et qu’un phĂ©nomĂšne d’autocensure est observable parmi les femmes.

b. Des menaces essentiellement transfrontaliĂšres Le Premier ministre du Niger – lui-mĂȘme Touareg – a rĂ©sumĂ© la situation en ces termes : « on ne choisit pas ses voisins
 ». Il apparaĂźt en effet clairement qu’en Afrique, aujourd’hui, la menace n’est pas contenue par les frontiĂšres. i. Du fait de la porositĂ© gĂ©nĂ©rale des frontiĂšres Les frontiĂšres interĂ©tatiques dans la bande sahĂ©lo-saharienne et en Afrique sub-saharienne prĂ©sentent la particularitĂ© d’ĂȘtre unanimement dĂ©crites comme « poreuses », en dehors de quelques check-points sur quelques pistes. On relĂšvera Ă  titre d’exemple que, selon les services de l’ambassade de France au Burkina Faso, une ligne de 500 kilomĂštres de la frontiĂšre malienno-burkinabĂ©e est dĂ©pourvue de tout poste frontiĂšre, et que les postes existants ne disposent pas de plus d’un litre d’essence par jour.


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De mĂȘme, le chef d’état-major de la MINUSMA a reconnu dĂšs le mois de mars 2014 que la zone du Mali frontaliĂšre de l’AlgĂ©rie constituait une « zone grise » du point de vue sĂ©curitaire, car aucune force ne s’y projette. Pour lui, les raisons en sont diverses : manque de moyens adaptĂ©s aux distances en question, « manque d’envie », autres prioritĂ©s, etc. Il reconnaissait nĂ©anmoins qu’une action le long de la frontiĂšre algĂ©rienne, Ă©tait indispensable pour « couper les liens du « chĂąteau fort » du Tigharghar avec le Nord ». Cette porositĂ© est mise Ă  profit par les groupes armĂ©s djihadistes, terroristes ou rebelles. Au Niger, par exemple, les rapporteurs ont pu constater que les autoritĂ©s locales Ă©taient particuliĂšrement prĂ©occupĂ©es par l’implantation au Sud du pays des bases arriĂšres de Boko Haram. ii. Du fait de la continuitĂ© des composantes ethniques de part et d’autre des frontiĂšres Le fait que les frontiĂšres Ă©tatiques recoupent rarement celles (d’ailleurs souvent floues, et fluctuantes au grĂ© des Ă©volutions dĂ©mographiques) zones ethniques complique leur surveillance et contribue Ă  internationaliser les problĂšmes sĂ©curitaires. Tel est le cas, par exemple, Ă  la frontiĂšre nigĂ©ro-nigĂ©riane : mĂȘme entre un pays francophone et un pays anglophone, la continuitĂ© de l’ethnie Haoussa entre le Nord du Nigeria, foyer de Boko Haram, et le Sud du Niger facilite les mouvements de Boko Haram. De mĂȘme, les autoritĂ©s nigĂ©riennes, tant civiles que militaires, ont insistĂ© devant les rapporteurs sur le fait que de part et d’autre de leur frontiĂšre avec le Mali, on retrouvait les mĂȘmes populations et les mĂȘmes rivalitĂ©s tribales. Le cas le plus marquant de groupe ethnique prĂ©sent sur plusieurs pays et ayant jouĂ© un rĂŽle dans plusieurs rebellions est celui des Touaregs, auxquels les rapporteurs consacrent plusieurs dĂ©veloppements infra. iii. Du fait de l’existence de « sanctuaires » rebelles Du fait de frontiĂšres poreuses, des groupes armĂ©s peuvent aisĂ©ment opĂ©rer dans un pays depuis un autre – ou depuis une rĂ©gion mal contrĂŽlĂ©e par un autre pays –, abritant des sortes de « sanctuaires » rebelles. Deux types de pays ou de rĂ©gions de ce type ont Ă©tĂ© mentionnĂ©s lors de leurs dĂ©placements : – des États qui prĂ©sentent ce que l’on a dĂ©fini plus haut comme les « risques de la faiblesse ». Les cas de la Libye et du Nord du Mali en constituent des exemples souvent citĂ©s. La RĂ©publique centrafricaine semble aussi avoir longtemps servi de refuge aux rebelles tchadiens ;


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– des États qui, sans ĂȘtre dĂ©pourvus d’appareils de sĂ©curitĂ© puissants, ont pu ĂȘtre vus comme ayant jouĂ© un rĂŽle ambigu vis-Ă -vis de certains groupes armĂ©s rebelles, djihadistes ou terroristes : le cas de l’AlgĂ©rie est le plus souvent citĂ© (que ce soit Ă  juste titre ou non) par plusieurs responsables civils et militaires de pays sub-sahariens. ‱ Les consĂ©quences de la situation de la Libye sur la sĂ©curitĂ© de la bande sahĂ©lo-saharienne S’agissant du Sud de la Libye, les prĂ©occupations sont particuliĂšrement fortes au Niger. Le prĂ©sident Issoufou a rappelĂ© aux rapporteurs qu’il avait – en vain – appelĂ© l’attention des autoritĂ©s française, lors du dĂ©clenchement de l’opĂ©ration Harmattan, sur le double danger que faisait peser un renversement du rĂ©gime Khadhafi sans solution de rechange viable : – d’une part, la montĂ©e en puissance des salafistes ; – d’autre part, la « somalisation » du pays, c’est-Ă -dire la dissolution complĂšte de l’État. Pour lui, ces deux dangers Ă©taient plus graves que la menace que pouvait faire peser le rĂ©gime du colonel Khadhafi ; et Ă  son sens, ces deux risques se sont aujourd’hui rĂ©alisĂ©s. Les autoritĂ©s nigĂ©riennes font valoir qu’un nombre important de cadres d’Al-QuaĂŻda au Maghreb islamique (AQMI) sont issus de la rĂ©gion de Benghazi – les CyrĂ©nĂ©ens Ă©tant selon lui le deuxiĂšme vivier de recrutement d’AQMI, aprĂšs les Saoudiens – et seraient tentĂ©s par une politique expansionniste dans l’ensemble du Sahel s’ils prenaient le contrĂŽle de la Libye. Le directeur de cabinet du ministre nigĂ©rien des Affaires Ă©trangĂšres fait quant Ă  lui remonter l’instabilitĂ© libyenne Ă  une pĂ©riode antĂ©rieure au renversement du rĂ©gime Khadhafi. Pour lui, l’État n’a jamais existĂ© en Libye : des rĂ©gions comme Mistrata ou la CyrĂ©naĂŻque ont toujours jouĂ© un jeu politique assez autonome – dĂ©veloppant des liens avec le Qatar et la Turquie notamment – et le Sud de la Libye a toujours Ă©tĂ© ouvert Ă  tous types de trafics. Il ajoute d’ailleurs que les Libyens du Nord n’ont jamais considĂ©rĂ© les populations du Sud de la Libye, notamment les Toubous, comme des Libyens Ă  part entiĂšre, et que les populations issues du Niger et du Tchad qui avaient Ă©migrĂ© de longue date en Libye et en sont revenues Ă  la chute du rĂ©gime Khadhafi ont de grandes difficultĂ©s d’assimilation, au point qu’elles sont considĂ©rĂ©es comme Ă©trangĂšres de chaque cĂŽtĂ© de la frontiĂšre. L’ambassadeur amĂ©ricain au Niger a en outre soulignĂ© le risque de tentation sĂ©cessionniste des Toubous en Libye, oĂč ils sont moins intĂ©grĂ©s qu’au Niger et moins liĂ©s au pouvoir central qu’au Tchad. Aussi, la stratĂ©gie prĂ©sentĂ©e Ă  la dĂ©lĂ©gation par le prĂ©sident Issoufou consiste-t-elle Ă  essayer de « verrouiller » le principal corridor de passage entre le Sud de la Libye et le Niger – la passe de Salvador – afin de protĂ©ger de toute incursion massive non seulement le Niger, mais tous les États situĂ©s plus au sud.


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Les responsables maliens rencontrĂ©s par les rapporteurs partagent les mĂȘmes analyses. Selon le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, l’instabilitĂ© de la Libye a « de grandes rĂ©percussions sur le Nord du Mali », oĂč « ce sont, Ă  tous moments, incursions et escarmouches ». Le directeur chargĂ© de la dĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques s’est dit « trĂšs prĂ©occupĂ© » par la situation en Libye : selon lui, « il n’y a pas de solution immĂ©diate ». MĂȘme si le gĂ©nĂ©ral Haftar parvient Ă  « construire quelque chose », « cela mettra beaucoup de temps », en dĂ©pit de l’appui de l’Égypte et de l’AlgĂ©rie, car « la tĂąche est immense ». En outre, la reconstitution d’un État – ou, du moins, d’un minimum viable d’autoritĂ© publique dans la « zone utile » du pays (la bande cĂŽtiĂšre de 100 kilomĂštres de profondeur oĂč se concentrent 90 % de la population) ne rĂšglera pas le problĂšme du Sud de la Libye. MĂȘme sous le colonel Khadafi, ni l’État ni l’armĂ©e n’y Ă©taient prĂ©sents, et c’est aujourd’hui un havre pour les groupes armĂ©s djihadistes et les groupes armĂ©s terroristes. Selon la dĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques, AmĂ©ricains, Britanniques et Italiens sont « concentrĂ©s avant tout sur l’armĂ©e rĂ©guliĂšre », et portent donc leurs efforts sur Tripoli et Benghazi : « on a beaucoup de mal Ă  les intĂ©resser Ă  ce qui se passe dans le Sud ». Ils sont conscients des menaces, mais dans l’allocation des ressources (heures de drones, etc.), « le Sud libyen passe toujours en arriĂšre-plan, d’autant qu’ils ont l’impression que les Français peuvent traiter cela par le Niger et le Tchad ». Le but poursuivi par la France consiste donc Ă  « s’assurer d’un contrĂŽle un peu meilleur des frontiĂšres ». Pour cela, les opĂ©rations françaises dans le Nord du Tchad permettent d’ĂȘtre au plus prĂšs, et plusieurs pays coopĂšrent : le Niger, la Tunisie (des coopĂ©rations ponctuelles se mettent en place avec leurs forces spĂ©ciales), l’AlgĂ©rie, le Tchad, etc. Les Occidentaux disposent de trĂšs peu de leviers qui pourraient ĂȘtre actionnĂ©s en vue de « responsabiliser » les Libyens : « nous n’avons aucun interlocuteur lĂ©gitime et capable de s’engager pour les dizaines de groupes d’ex-miliciens ». Le mĂȘme problĂšme se pose d’ailleurs dĂ©jĂ  pour nos programmes de formation : il est difficile de trouver un responsable ministĂ©riel stable, et plus encore d’identifier les soldats Ă  former. ‱ Les consĂ©quences du jeu de l’AlgĂ©rie sur la sĂ©curitĂ© de la bande sahĂ©lo-saharienne Le prĂ©sident de la Haute AutoritĂ© Ă  la consolidation de la paix du Niger a Ă©galement soulignĂ© le rĂŽle clĂ© de l’AlgĂ©rie, estimant que « le vrai danger est lĂ  ». Le directeur de cabinet du ministre nigĂ©rien des Affaires Ă©trangĂšres, de la coopĂ©ration, de l’intĂ©gration africaine et des NigĂ©riens Ă  l’extĂ©rieur est allĂ© plus loin, en indiquant aux rapporteurs que du point de vue de la sĂ©curitĂ© des frontiĂšres,


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l’évolution politique intĂ©rieure de l’AlgĂ©rie est vue comme prĂ©occupante par la plupart de ses voisins, qui auraient trouvĂ© des avantages Ă  un renouvellement plus rapide de la classe politique algĂ©rienne. iv. Pour les pays dotĂ©s d’une façade maritime, du fait de moyens trĂšs faibles au service de l’action de l’État en mer La faiblesse des moyens consacrĂ©s par les États cĂŽtiers Ă  la surveillance de leurs façades maritimes – qui, selon les observateurs, Ă©tait loin de constituer pour eux une prioritĂ© jusqu’à une date rĂ©cente – laisse la voie largement libre Ă  divers trafics. À titre d’exemple, on retiendra que faute de moyens consacrĂ©s Ă  la police des mers, les pĂȘches illĂ©gales au large du SĂ©nĂ©gal sont Ă©valuĂ©es Ă  400 000 tonnes par an, soit autant que les pĂȘches lĂ©gales : la surpĂȘche ainsi induite conduit Ă  l’épuisement de la ressource halieutique. Plus largement, le chef d’état-major de la marine a expliquĂ© que le Golfe de GuinĂ©e offre un « large panel de crises maritimes » : pĂȘche illĂ©gale, drogue, et surtout la piraterie, phĂ©nomĂšne de plus en plus prĂ©gnant et marquĂ© par « des modes d’action de plus en plus violents, professionnels ». Les trois attaques de pĂ©troliers les plus rĂ©centes, avec transfert du pĂ©trole, provenaient du NigĂ©ria, sans qu’il soit Ă©tabli Ă  ce stade si les pirates Ă©taient en lien ou non avec Boko Haram. v. MĂȘme Boko Haram semble portĂ© Ă  Ă©largir sa zone d’action MĂȘme dans le cas de Boko Haram, qui centrait initialement ses actions et ses revendications sur le seul Nord du NigĂ©ria (l’État de Borno) et son fonctionnement fĂ©dĂ©ral, la menace est dĂ©sormais perçue comme transfrontaliĂšre. Le prĂ©sident Issoufou a Ă©voquĂ© sa « prĂ©occupation » quant au risque de « contagion » de Boko Haram : le mouvement a Ă©tabli des bases arriĂšre dans les pays de la rĂ©gion et pourrait y nourrir des dĂ©bordements. De mĂȘme, le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale du Niger a dĂ©crit Boko Haram comme une organisation « insaisissable » : faute de chefs clairement identifiĂ©s et dotĂ©s d’une rĂ©elle autoritĂ© sur la nĂ©buleuse de groupes se revendiquant du « label » Boko Haram, il est difficile de cerner les intentions de cette mouvance, et plus encore d’entamer des nĂ©gociations. Reste cependant que, pour le prĂ©sident, la volontĂ© de Boko Haram de « s’accaparer » une zone recouvrant le Nord du Nigeria, le Sud du Niger (notamment la rĂ©gion de Diffa), la corne nord du Cameroun et le lit du lac Tchad est manifeste. Le ministre nigĂ©rien de l’IntĂ©rieur a partagĂ© devant les rapporteurs cette prĂ©occupation : pour lui, les 40 000 rĂ©fugiĂ©s nigĂ©rians qui ont franchi la frontiĂšre nigĂ©rienne – longue de 1 500 kilomĂštres et particuliĂšrement poreuse – comptent parmi eux des Ă©lĂ©ments de Boko Haram qui se servent du Niger comme base arriĂšre, mais selon lui, s’ils n’ont pas lancĂ© d’attaque au Niger mĂȘme, c’est plutĂŽt parce qu’ils n’en ont pas encore la capacitĂ© que parce qu’ils n’en ont pas la volontĂ©. Les forces de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure procĂšdent ainsi tous les jours Ă  des arrestations. Les renseignements fournis Ă  N’Djamena vont dans le mĂȘme sens :


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Boko Haram a tendance Ă  Ă©largir sa zone d’opĂ©rations Ă  l’ensemble de la rĂ©gion du lac Tchad, et plus seulement Ă  y Ă©tablir des bases arriĂšre. Les cartes ci-aprĂšs illustrent le caractĂšre rĂ©gional de cette menace, dans la bande sahĂ©lo-saharienne et, plus largement, dans le reste de l’Afrique de l’Ouest.

Source : commandement des Forces françaises au Gabon.


— 124 — AFRIQUE DE L’OUEST : TURBULENCES POLITIQUES

Source : commandement des Forces françaises au Gabon.

AFRIQUE CENTRALE : FRICTIONS AUX FRONTIÈRES

Source : commandement des Forces françaises au Gabon.


— 125 — CENTRE DE GRAVITÉ DES OPÉRATIONS D’ÉVACUATION DE RESSORTISSANTS

Source : commandement des Forces françaises au Gabon.

Ainsi, loin de contenir la menace, l’existence de frontiĂšres a donc plutĂŽt tendance Ă  compliquer l’organisation de la rĂ©ponse Ă  y apporter. Le ministre malien de la DĂ©fense a d’ailleurs dĂ©clarĂ© que dans le Sahel, les zones frontaliĂšres sont les moins sĂ»res : toutes les menaces et tous les trafics trouvent d’aprĂšs lui des soutiens au sein des communautĂ©s habitant ces zones. c. Un risque de « jonction » entre les diffĂ©rents mouvements rebelles MĂȘme si les diffĂ©rents groupes rebelles ne font pas pleinement cause commune, il ressort des informations recueillies par les rapporteurs que la communautĂ© d’intĂ©rĂȘts qui les lie les conduit Ă  se rapprocher de plus en plus, au grĂ© d’alliances de circonstance faisant craindre une jonction des rĂ©bellions dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Certains des interlocuteurs rencontrĂ©s estiment que les diffĂ©rents groupes rebelles n’ont pas encore opĂ©rĂ© de jonction opĂ©rationnelle, et qu’il existe des obstacles sĂ©rieux Ă  leur rapprochement. Ainsi, les services compĂ©tents de l’ambassade de France au Tchad font valoir que les diffĂ©rents groupes rebelles d’Afrique de l’Ouest n’ont ni idĂ©ologie ni racines ethniques communes, et que leur recrutement fait une large place Ă  des « bandits opportunistes » – donc potentiellement concurrents –, sur lesquels les chefs des groupes rebelles n’ont pas toujours une influence certaine. De mĂȘme, leurs homologues au Niger estiment que la proximitĂ© entre Boko Haram et AQMI ne dĂ©passe pas actuellement le stade


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de la communautĂ© d’intĂ©rĂȘts, et que si Boko Haram a une large assise sociale dans sa zone d’influence du fait de son action « caritative », AQMI y est vu comme un mouvement « importĂ© » d’AlgĂ©rie. Dans le mĂȘme sens, toujours au Niger, le prĂ©sident Haute AutoritĂ© Ă  la consolidation de la paix a estimĂ© que pour l’heure, les divers trafiquants de la zone sahĂ©lo-saharienne ne font pas cause commune avec les djihadistes. Toutefois, d’autres interlocuteurs des rapporteurs se sont montrĂ©s plus pessimistes. Ainsi, l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure de l’ambassade de France au Niger leur a indiquĂ© que des complicitĂ©s Ă©taient avĂ©rĂ©es entre Boko Haram et le mouvement pour l’unicitĂ© du djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), qui mutualisent certains de leurs entraĂźnements, opĂšrent des financements croisĂ©s, et se sous-traitent certaines opĂ©rations. Il ne faut pas non plus exclure l’hypothĂšse qu’un groupe composĂ© d’élĂ©ments relativement autonomes, comme Boko Haram, puisse ĂȘtre instrumentalisĂ© par des Ă©lĂ©ments extĂ©rieurs. De mĂȘme, pour le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre burkinabĂ© de la DĂ©fense, on perçoit des tentatives de jonction entre AQMI et Boko Haram, ce qui constitue « un trĂšs mauvais signe ». Selon les services compĂ©tents de l’ambassade de France au Burkina Faso, un membre d’Ansaru (groupe affiliĂ© Ă  Boko Haram) aurait participĂ© aux attentats perpĂ©trĂ©s le 23 mai 2013 par le MUJAO – alors alliĂ© Ă  AQMI au Mali – Ă  Agadez et Arlit sous le nom d’« opĂ©ration Abou Zeid », en rĂ©fĂ©rence au chef militaire d’AQMI au Mali. De mĂȘme, les groupes armĂ©s djihadistes actifs au Mali compteraient un nombre important de NigĂ©rians. De plus, selon l’état-major de Serval, des mouvements de rapprochement ont Ă©tĂ© observĂ©s depuis le mois de janvier 2014 entre AQMI et Al-Mourabitoune au Mali. En outre, le prĂ©sident nigĂ©rien Issoufou a indiquĂ© que, selon ses renseignements, des groupes armĂ©s djihadistes faisaient mouvement vers la RĂ©publique centrafricaine. En tout Ă©tat de cause, pour la plupart des interlocuteurs des rapporteurs, la communication entre les diffĂ©rents groupes armĂ©s terroristes (groupes armĂ©s terroristes) ou djihadistes (groupes armĂ©s djihadistes) est d’autant plus aisĂ©e que la rĂ©gion est traditionnellement le lieu : – de trafics internationaux en tous genres : drogue, armes, cigarettes, etc. – de conflits transfrontaliers entre diffĂ©rents groupes ethniques : Arabes, Touaregs, Toubous. Comme le prĂ©sident de la commission de la DĂ©fense et des affaires Ă©trangĂšres de l’AssemblĂ©e nationale burkinabĂ©e l’a fait valoir, mĂȘme s’il n’y a pas encore de preuves d’une jonction entre Boko Haram et les mouvements touaregs au plan opĂ©rationnel, le risque d’une telle jonction devait ĂȘtre pris au sĂ©rieux : – en mutualisant leurs capacitĂ©s, les groupes armĂ©s rebelles, djihadistes ou terroristes verraient leur pouvoir de nuisance croĂźtre, ce qui compliquerait considĂ©rablement la lutte contre le terrorisme dans toute la sous-rĂ©gion ;


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– l’internationalisation d’un conflit initialement circonscrit au NigĂ©ria peut donner Ă  Boko Haram une envie de « surenchĂšre » : les services compĂ©tents de l’ambassade de France au Tchad ont d’ailleurs fait valoir aux rapporteurs que, de ce point de vue, Boko Haram avait rĂ©ussi une sorte de « coup mĂ©diatique international » avec l’enlĂšvement de plus de 200 lycĂ©ennes. DĂšs lors, pour les pays occidentaux, le risque est de « mordre Ă  l’hameçon » en prenant trop directement le contrĂŽle de la lutte contre Boko Haram, car cela exposerait les ressortissants occidentaux Ă  tous les risques imaginables. LES « CONNEXIONS » EXISTANT ENTRE LES DIFFÉRENTS GROUPES ARMÉS REBELLES, TERRORISTES OU DJIHADISTES

« Aujourd’hui, l’ennemi de la bande sahĂ©lo-saharienne est affaibli et dĂ©sorganisĂ©. Mais il n’est pas vaincu. Il reste dĂ©terminĂ© et dangereux. Il s’est adaptĂ©, pour dĂ©fier nos capacitĂ©s de renseignement, de mobilitĂ© et d’action. Et la bande sahĂ©lienne ne devient qu’une partie d’un ensemble plus vaste, avec des ramifications au Nord et au Sud : du SĂ©nĂ©gal Ă  Djibouti en passant par le Mali, le Sud de l’AlgĂ©rie, le Niger, le Sud de la Libye et le Tchad, cet autoroute du trafic en tout genre – narco, armes, ĂȘtres humains, prosĂ©lytisme – est aussi celui du djihadisme, qui se finance ainsi. La jonction opĂ©rationnelle avec Boko Haram, au NigĂ©ria, ou les Shebabs somaliens qui frappent Ă  Djibouti n’est pas avĂ©rĂ©e, mais les connexions existent. Nous sommes face Ă  un dĂ©fi majeur, qui concerne la sĂ©curitĂ© de l’Europe ». GĂ©nĂ©ral Pierre de Villiers, chef d’état-major des armĂ©es, allocution aux auditeurs de l’Institut des hautes Ă©tudes de la dĂ©fense nationale (IHEDN), 19 juin 2014

d. Des menaces sur la stabilitĂ© de certains rĂ©gimes et leurs consĂ©quences sur la sĂ©curitĂ© de l’ensemble de l’Afrique Si les rapporteurs n’ont pas consacrĂ© l’essentiel de leurs travaux Ă  l’étude de la situation politique interne de chaque pays dans lequel ils se sont rendus - travail qui relĂšve davantage de la compĂ©tence de la commission des Affaires Ă©trangĂšres -, ils ne sauraient ignorer les consĂ©quences que pourraient avoir Ă  court terme, sur la situation sĂ©curitaire de l’ensemble de la rĂ©gion, les fragilitĂ©s de certains rĂ©gimes. i. Des fragilitĂ©s tenant Ă  la structure politique de certains États En la matiĂšre, les apparences peuvent ĂȘtre trompeuses : le cas du Tchad le montre. Il ressort des diffĂ©rents entretiens menĂ©s au Tchad que si le prĂ©sident Idriss DĂ©by a rĂ©ussi Ă  assurer Ă  son pays, depuis 2008, une pĂ©riode historiquement inĂ©dite de stabilitĂ© et de relative prospĂ©ritĂ©, il le doit Ă  sa capacitĂ© Ă  maintenir en permanence un Ă©quilibre subtil entre les diffĂ©rents groupes ethniques dans la rĂ©partition du pouvoir et des richesses du Tchad. Aussi, selon certains observateurs avisĂ©s, la stabilitĂ© du pays ne semble-t-elle pas assurĂ©e en cas de nouveau choc – dĂ©stabilisation consĂ©cutive Ă  une crise dans un pays voisin, avivement de conflits ethniques, succession non prĂ©parĂ©e, etc. Compte tenu de la porositĂ© des frontiĂšres, du caractĂšre transfrontalier de la menace et de l’utilisation par les groupes rebelles et les groupes armĂ©s


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djihadistes/groupes armĂ©s terroristes de bases arriĂšre dans les pays voisins de leurs zones d’opĂ©rations, la dĂ©stabilisation d’un rĂ©gime peut avoir des consĂ©quences lourdes : 1./ sur la sĂ©curitĂ© de l’ensemble des États de la rĂ©gion ; 2./ sur l’équilibre du dispositif militaire français en Afrique (notamment dans le cas du Tchad, point d’appui central pour toutes nos opĂ©rations aĂ©riennes). Pourtant, il n’est pas exagĂ©rĂ© de dire qu’en Afrique francophone et dans la bande sahĂ©lo-saharienne, la stabilitĂ© de chacun intĂ©resse la sĂ©curitĂ© de tous. LA STABILITÉ DU TCHAD Tant au cours de leurs dĂ©placements dans plusieurs pays que lors des auditions qu’ils ont menĂ©es Ă  Paris, les rapporteurs se sont attachĂ©s Ă  Ă©tudier les perspectives politiques du Tchad, appelĂ© Ă  accueillir le centre de gravitĂ© du dispositif français dans la bande sahĂ©lo-saharienne. Il en ressort que le prĂ©sident DĂ©by rĂ©ussit Ă  maintenir dans les cercles dirigeants un certain Ă©quilibre entre les diffĂ©rents groupes ethniques. Il est lui-mĂȘme est issu des ethnies du Nord-Est, mais son chef d’état-major gĂ©nĂ©ral est quant Ă  lui Arabe, et le ministre dĂ©lĂ©guĂ© Ă  la DĂ©fense vient du Sud du pays. Cependant, le programme de modernisation de l’ArmĂ©e nationale tchadienne – mis en Ɠuvre depuis 2011 avec l’appui de la France et poursuivi aprĂšs une interruption lors de l’engagement des forces tchadiennes au Mali – n’a pas encore produit tous ses effets. Ainsi, l’organisation des forces armĂ©es serait encore largement guidĂ©e par des considĂ©rations ethniques, plus qu’opĂ©rationnelles. En tĂ©moigne le fait que la Direction gĂ©nĂ©rale du service de sĂ©curitĂ© des institutions de l’État (DGSSIE), qui en constitue l’élite et possĂšde l’essentiel des Ă©quipements et des compĂ©tences, est formĂ©e Ă  partir des ethnies dont est issu le prĂ©sident, et que l’armĂ©e nationale tchadienne ne constitue pas un vĂ©ritable « creuset » interethnique. Par ailleurs, des rumeurs persistantes courent sur l’état de santĂ© du prĂ©sident, mĂȘme si celui-ci reste, selon l’ambassadrice de France, en pleine possession de ses grands moyens intellectuels, et que la dĂ©lĂ©gation de la commission qu’il avait reçue en dĂ©cembre 2013 l’avait mĂȘme trouvĂ© impressionnant par ses analyses claires, Ă©tayĂ©es et prospectives. Dans ces conditions, le risque ne peut pas ĂȘtre Ă©cartĂ© qu’un groupe ethnique ou un autre soit un jour tentĂ© de dĂ©poser le prĂ©sident DĂ©by pour s’assurer de prendre une sorte de « revanche », ou de conserver le pouvoir Ă  long terme. En tout Ă©tat de cause, un rĂ©gime dans lequel 2,5 % de la population domine le reste du pays doit consentir des efforts permanents pour assurer sa stabilitĂ©. Ainsi, le prĂ©sident de la RĂ©publique, les ministres, les parlementaires et mĂȘme les membres de la Commission Ă©lectorale nationale indĂ©pendante (CENI) consacrent une large part de leur temps Ă  des tournĂ©es en province dont l’objet est de « verrouiller » les Ă©quilibres politiques. En outre, les rapporteurs ont eu le sentiment que le prĂ©sident DĂ©by ne tire pas autant d’avantages qu’il aurait pu l’escompter de sa politique Ă©trangĂšre, pour les raisons suivantes : – son intervention au Mali, Ă  l’appel de la France, est vue par une partie de l’opinion et des observateurs comme lui ayant procurĂ© peu de « retours sur investissement », notamment en matiĂšre financiĂšre. La France a fourni un appui matĂ©riel mais pas d’aide financiĂšre Ă  cette opĂ©ration, et les retombĂ©es pour le Tchad de la confĂ©rence des bailleurs qui s’est tenue Ă  Addis-Abeba peuvent Ă  juste titre ĂȘtre vues comme trĂšs modeste, avec seulement six Ă  sept millions d’euros de primes Ă  l’homme, contre 50 millions d’euros pour les pays de la CEDEAO ; – sa posture dans la crise centrafricaine a Ă©tĂ© contestĂ©e : s’il a bien adressĂ© aux puissances rĂ©gionales et occidentales des signaux visant Ă  les alerter sur les risques pesant sur les musulmans du pays, ceux-ci n’ont pas Ă©tĂ© entendus. Le fait que les ex-SĂ©lĂ©ka ont Ă©tĂ© dĂ©sarmĂ©s avant les milices chrĂ©tiennes, ainsi que les images tĂ©lĂ©visĂ©es de mosquĂ©es


— 129 — attaquĂ©es, ont marquĂ© l’opinion publique tchadienne dans un sens peu favorable au prĂ©sident. Le risque, dans une telle situation, est qu’un chef d’État ne puisse plus justifier son action devant son opinion publique qu’en faisant porter la responsabilitĂ© des troubles Ă  une puissance Ă©trangĂšre, par exemple Ă  la France. Certains observateurs centrafricains se disent d’ailleurs « pas loin de croire » que la situation devenant intenable pour le contingent tchadien en RĂ©publique centrafricaine, le prĂ©sident DĂ©by s’est saisi d’un prĂ©texte pour le retirer du pays ; – si ses relations avec le prĂ©sident soudanais Omar Hassan Ahmed el-Bechir se sont amĂ©liorĂ©es en apparence, le prĂ©sident DĂ©by aurait de solides raisons de continuer Ă  rester vigilant compte tenu du risque, plusieurs fois avĂ©rĂ© dans l’histoire du Tchad, de voir des groupes armĂ©s prendre le contrĂŽle du pays par l’est ; – ses nĂ©gociations avec le Fonds monĂ©taire international dans le cadre du programme de rĂ©duction de dette des pays pauvres n’avancent pas rapidement. En effet, le FMI fixe une condition Ă  son aide : l’interdiction pour les pays bĂ©nĂ©ficiaires de s’endetter Ă  des taux « non-concessionnels » (c’est-Ă -dire aux conditions de marchĂ©). Or, en vue du sommet de l’Union africaine qui doit se tenir Ă  N’Djamena l’an prochain, le prĂ©sident a trouvĂ© auprĂšs des Chinois ou des « pĂ©tromonarchies » du Golfe des fonds destinĂ©s Ă  financer d’importants projets d’infrastructures, fonds allouĂ©s dans des conditions incompatibles avec les critĂšres du Fonds monĂ©taire international (FMI). Pour toutes ces raisons, et compte tenu du poids de l’armĂ©e dans le fonctionnement du rĂ©gime, certains observateurs tchadiens et Ă©trangers ne se montrent guĂšre optimistes sur la stabilitĂ© du Tchad en cas de dĂ©part du prĂ©sident DĂ©by sans pĂ©riode de transition permettant d’« organiser la relĂšve ». Le risque serait grand qu’une succession non prĂ©parĂ©e conduise Ă  une « pĂ©riode de chaos ». Compte tenu de son implantation au Tchad, la France ne peut pas se dĂ©sintĂ©resser de cette question.

Ainsi, les autoritĂ©s civiles et militaires des pays visitĂ©s dans la bande sahĂ©lo-saharienne s’accordent Ă  dire qu’ils font face Ă  des groupes rebelles qui ont la double particularitĂ© : – s’agissant de leurs motivations (leur « agenda ») : d’entremĂȘler, dans des proportions variables, des revendications politiques (djihadisme international ou sĂ©paratisme local) et des prĂ©occupations Ă©conomiques (trafics en tous genres) ; – s’agissant de leur organisation, de ne pas ĂȘtre suffisamment unifiĂ©s pour permettre l’établissement d’un dialogue entre les gouvernements et les mouvements rebelles. Tel est le cas, par exemple, les mouvements rebelles dans le nord du Mali comme des ex-SĂ©lĂ©ka en RĂ©publique centrafricaine. ii. Des fragilitĂ©s plus profondes, tenant Ă  des dĂ©sĂ©quilibres sociaux que la croissance dĂ©mographique risque d’aggraver Sans chercher Ă  entreprendre une Ă©tude approfondie des sociĂ©tĂ©s africaines, qui s’éloignerait du cƓur de compĂ©tences de notre commission, les rapporteurs ont souhaitĂ© Ă©tudier les facteurs sociologiques qui peuvent expliquer la multiplication rĂ©cente des crises en Afrique et les difficultĂ©s rencontrĂ©es dans leur rĂšglement.


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‱ La « dĂ©composition des sociĂ©tĂ©s » en « sociĂ©tĂ©s guerriĂšres » Lors de son audition, le professeur Bertrand Badie a soulignĂ© d’emblĂ©e que « l’on a souvent une lecture complĂštement faussĂ©e des problĂšmes africains, d’oĂč de mauvaises rĂ©ponses » aux conflits africains. Une pente naturelle nous porte Ă  projeter, par un rĂ©flexe de pensĂ©e, l’expĂ©rience longue de continent europĂ©en sur un autre continent. Or, s’il y a en Europe un lien intime entre guerre et construction de l’État, ce lien ne s’observe pas en Afrique. 1./ Les faiblesses du « lien social » dans les pays d’Afrique sub-saharienne Comme M. Bertrand Badie l’a expliquĂ©, « ce qui est belligĂšne en Afrique, c’est la dĂ©composition des sociĂ©tĂ©s », citant en exemple, notamment, les zones rurales du Niger et le Nord du Mali : – si l’on entend par « lien social » tout ce qui crĂ©e de la solidaritĂ©, et permet des Ă©changes entre individus se spĂ©cialisant dans une activitĂ©, force est de constater que « le lien social est faible en Afrique », Ă  la diffĂ©rence de ce qui existe en Europe oĂč les structures sociales sont depuis longtemps solides (Ă©mergence des villes surclassant les fĂ©odalitĂ©s, creuset de la modernitĂ©, etc.). En l’absence de lien social, « des substituts se dĂ©veloppent : les liens tribaux, le lien religieux, ou la relation de clientĂšle ». L’Afrique n’est en soi pas plus tribale que le reste du monde, mais faute de sociĂ©tĂ©, « il faut bien quelque chose pour faire ersatz de tissu social ». Le sous-dĂ©veloppement en est le terreau : les diffĂ©rentes Ă©tudes sur les « enfants-soldats » ont bien montrĂ© que c’est lĂ  trop souvent le seul statut social accessible Ă  enfants sans moyen de subsistance ; – Ă  de rares exceptions prĂšs, il n’y a pas de « contrat social », de « vouloir-vivre ensemble », en Afrique. Peut-on dĂšs lors construire une dĂ©mocratie sans contrat social ? Pour les analystes pessimistes cela, au mieux, demande beaucoup de temps. Pour les observateurs optimistes, des circonstances particuliĂšres peuvent crĂ©er un dĂ©sir de vivre ensemble ; – « la construction de l’État y a Ă©chouĂ© » : l’Afrique est marquĂ©e par des situations presque gĂ©nĂ©ralisĂ©es d’États faillis. De ce fait, « l’autoritĂ© s’organise sur des modes de substitution » : soit la clientĂšle (le « donnant-donnant » comme structure d’autoritĂ©), soit, plus frĂ©quemment, l’autoritarisme. 2./ La banalisation de la « sociĂ©tĂ© guerriĂšre » Pour le professeur Bertrand Badie, il y a un lien de plus en plus fort entre ces trois manquements et la banalisation de la « sociĂ©tĂ© guerriĂšre » : « au lieu d’ĂȘtre un conflit qui oppose, la guerre crĂ©e des conditions de subsistance ». Ainsi, la guerre crĂ©e des liens sociaux que le dĂ©faut de sociĂ©tĂ© et d’État ne permet pas de constituer, en instaurant :


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– une Ă©conomie de guerre ; – un systĂšme d’ordre public ; – une forme de protection sociale : la guerre est par exemple une « petite sĂ©curitĂ© sociale » pour les enfants soldats ; – un systĂšme d’intĂ©gration des flux transnationaux. Il y a ainsi des liens entre structures mafieuses, structures de guerre, et structures d’autoritĂ©. « Il en rĂ©sulte une pente vers la guerre permanente ». Les cas de la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo depuis son indĂ©pendance et de la Somalie depuis vingt-cinq ans en tĂ©moignent. M. Bertrand Badie a aussi soulignĂ© que mĂȘme au Tchad, « si les Ă©vĂ©nements se sont calmĂ©s, la sociĂ©tĂ© guerriĂšre est lĂ  ». Au Tchad comme dans d’autres États, des chefs de guerre vainqueurs deviennent chef d’État : « il y a confusion totale entre sociĂ©tĂ© de guerre et État ». 3./ La « greffe » du facteur religieux Le dĂ©veloppement du djihadisme en Afrique peut se comprendre sous l’angle d’une recherche de substitution Ă  un lien social dĂ©faillant. Les djihadistes - par exemple les associations wahhabites au Sud du Tchad - opĂšrent des distributions de richesses aux populations, en contrepartie de leur allĂ©geance. « Le facteur religieux est certes un moteur, mais sans problĂšme social sous-jacent, ce moteur n’irait pas trĂšs loin ! ». ‱ L’impact prĂ©visible de la croissance dĂ©mographique en Afrique Lors de son audition, le professeur Jean-François Bayart a prĂ©sentĂ© aux rapporteurs des Ă©lĂ©ments d’analyse prĂ©cis sur l’impact de la croissance dĂ©mographique en Afrique. Pour lui, avant tout, il faut prendre ses distances avec l’idĂ©e de « bombe dĂ©mographique Ă  retardement », pour plusieurs raisons : – la dĂ©mographie peut ĂȘtre aussi un facteur d’opportunitĂ© Ă©conomique ; – les prĂ©visions dĂ©mographiques ne se vĂ©rifient pas toujours : on prĂ©disait un « naufrage dĂ©mographique » du Maghreb au dĂ©but du XXe siĂšcle ! Pourtant, on a connu une transition dĂ©mographique rapide dans trois rĂ©gimes diffĂ©rents : 1./ le Maroc, avec une politique malthusienne en matiĂšre scolaire ; 2./ l’AlgĂ©rie, avec un rĂ©gime militaire ; 3./ la Tunisie, avec un rĂ©gime autoritaire mais laĂŻc et ouvert Ă  l’éducation des femmes. Les dĂ©mographes ont montrĂ© que cette transition dĂ©mographique rapide est l’effet, entre autres, de l’émigration : elle permet l’importation rapide de modĂšles familiaux occidentaux ; a contrario, en Égypte, les migrants ont importĂ© des modĂšles natalistes arabes ;


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– contrairement Ă  une idĂ©e souvent avancĂ©e, l’islam n’est pas toujours un frein Ă  une politique de maĂźtrise des naissances : ce sont d’autres facteurs culturels qui jouent ; – il y a un dĂ©calage de perception : « les Occidentaux pensent en termes d’insĂ©curitĂ© dĂ©mographique, les NigĂ©riens – par exemple – pensent en termes de sĂ©curitĂ© dĂ©mographique ». En consĂ©quence, les programmes de contraception sont vĂ©cus comme insĂ©curisants, d’oĂč des effets paradoxaux voire pervers. La seule chose qu’on sache, c’est qu’il y a des phĂ©nomĂšnes d’autorĂ©gulation des naissances avec quelques constantes : – l’éducation des femmes (mĂȘme en Iran) y contribue, or l’école en Afrique est « en voie de destruction » ; – le dĂ©veloppement d’infrastructures de santĂ© publique, afin que l’enfant ne soit pas une garantie pour les vieux jours de ses parents. En tout Ă©tat de cause, quelle que soit l’évolution de la dĂ©mographie africaine, il y aura peu d’impact sur les migrations : les flux migratoires d’Afrique vers la France sont « dĂ©risoires », alors mĂȘme que notre « politique de prohibition » de l’immigration nous coĂ»te trĂšs cher. La croissance dĂ©mographique peut constituer une « opportunitĂ© Ă©conomique et culturelle, y compris sur le mode migratoire », mais ceux qui tentent « l’aventure » en Europe sont prĂ©cisĂ©ment ceux qui sont dĂ©jĂ  bien formĂ©s. L’immense masse des jeunes dĂ©scolarisĂ©s tentera d’autres aventures : – militaire, car la guerre fournit un statut social : vie d’adulte, femmes, etc. autant d’élĂ©ments que la paix ne leur procure pas. « La guerre est pour eux un moyen d’affirmation sociale » ; – migratoire, vers les pays africains qui possĂšdent davantage de ressources que les autres : le Ghana, le Nigeria, la CĂŽte d’Ivoire, etc. Or ces flux suscitent des conflits sur la question de l’immigration, comme l’a montrĂ© le cas de la CĂŽte d’Ivoire. Les migrations y ont « activĂ© » la question fonciĂšre, et « embrayĂ© » sur la crise ivoirienne, dont les ressorts tenaient aux questions de droit de propriĂ©tĂ© et de droit de vote – et non Ă  des questions ethniques. On assiste Ă  des phĂ©nomĂšnes de « ruĂ©e vers la mine » : des camps de mineurs recrĂ©ent des communautĂ©s Ă©conomiques et sociales dont les anthropologues observent qu’elles transcendent les diffĂ©rences ethniques ou religieuses. Il en allait de mĂȘme pour les EuropĂ©ens en AmĂ©rique, avec d’ailleurs des taux de retour Ă  peu prĂšs constants, et assez importants (plus ou moins 25 %). On peut donc s’attendre Ă  une reconfiguration de l’Afrique, mais dans un cadre interĂ©tatique et non Ă©tatique comme cela a Ă©tĂ© le cas dans l’histoire des migrations en France. « Le Niger ou le Mali sont Ă  l’Afrique ce que la LozĂšre ou la CorrĂšze ont Ă©tĂ© Ă  la France ». La diffĂ©rence tient Ă  ce que dans une France


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unifiĂ©e, existaient des mĂ©canismes de redistribution et de pĂ©rĂ©quation. Il y a davantage de tensions Ă  attendre lorsque ces migrations ont lieu dans un cadre interĂ©tatique, mais ces tensions peuvent aussi ĂȘtre crĂ©atrices : « il ne faut pas en avoir une vision misĂ©rabiliste ou passĂ©iste ». 2. La coopĂ©ration avec les États africains pour traiter ces menaces constitue dĂ©sormais la principale source de lĂ©gitimitĂ© de notre prĂ©sence en Afrique

a. Les dirigeants des États de la rĂ©gion conscients de ces menaces i. Dans les paroles : une prise de conscience ‱ Une prise de conscience de l’importance de politiques de sĂ©curitĂ©, accrue depuis la crise malienne L’ensemble des responsables politiques (membres de l’exĂ©cutif comme parlementaires) et militaires rencontrĂ©s par les rapporteurs ont clairement affirmĂ© ĂȘtre conscients des menaces pesant sur la sĂ©curitĂ© de leur pays, et dĂ©cidĂ©s Ă  lutter contre elles. Il ressort de l’ensemble des entretiens que la crise malienne a jouĂ©, Ă  cet Ă©gard, un effet de dĂ©clencheur dans cette prise de conscience. Tel est notamment le cas au Mali mĂȘme, oĂč M. Karim Keita, prĂ©sident de la commission de la DĂ©fense nationale, de la sĂ©curitĂ© et de la protection civile de l’AssemblĂ©e nationale, a dĂ©clarĂ© que l’ensemble des parlementaires Ă©taient dĂ©sormais pleinement conscients de la rĂ©alitĂ© des menaces, et dĂ©sireux de prendre leur part Ă  une vĂ©ritable politique de prĂ©vention des troubles. Le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale malienne a quant Ă  lui saisi l’occasion de son entretien avec les rapporteurs pour formuler une demande d’assistance technique de l’AssemblĂ©e nationale française, faisant valoir que la nouvelle lĂ©gislature malienne compte une proportion trĂšs importante de nouveaux dĂ©putĂ©s – environ 120 sur 147 –, qui sont soucieux d’exercer pleinement leurs fonctions, notamment en matiĂšre de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, mais n’ont ni l’expĂ©rience et ni les savoir-faire nĂ©cessaires. D’ailleurs, cette prise de conscience dĂ©passe l’épicentre de la bande sahĂ©lo-saharienne : ainsi, au SĂ©nĂ©gal, le ministre-conseiller diplomatique du prĂ©sident de la RĂ©publique a soulignĂ© que si son pays ne comptait pas parmi les cinq États les plus concernĂ©s par la menace terroriste – ceux du « G5 » : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Tchad et Niger –, il n’en prenait pas moins au sĂ©rieux cette menace. Pour lui, si cette derniĂšre ne doit pas ĂȘtre surestimĂ©e – pour Ă©viter tout risque de psychose –, elle ne doit pas non plus ĂȘtre sous-estimĂ©e et appelle, au-delĂ  des interventions ponctuelles comme l’opĂ©ration Serval, « un combat de longue haleine » et des efforts de prĂ©vention auxquels son pays entend prendre toute sa part. Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de la DĂ©fense du Niger a d’ailleurs dĂ©clarĂ© aux rapporteurs que la prise de conscience des enjeux sĂ©curitaires


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favorisĂ©e par la crise malienne avait permis d’amĂ©liorer encore la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense entre la France et le Niger. Quant aux autoritĂ©s centrafricaines rencontrĂ©es, elles ont paru tout Ă  fait lucides sur l’état du pays et les causes de la dĂ©liquescence de l’État. La prĂ©sidente Catherine Samba-Panza a semblĂ© particuliĂšrement volontaire dans son intention de redresser la structure Ă©tatique, militaire et administrative du pays. Sa luciditĂ©, comme celles du Premier ministre et du ministre de la DĂ©fense, ne s’arrĂȘtent pas au diagnostic et Ă  la recherche des causes des maux qui frappent leur pays : ils se sont montrĂ©s tout Ă  fait conscients des faibles moyens dont ils disposent pour redresser la situation. ‱ Une mobilisation politique de haut niveau Les rapporteurs ont pu constater que dans la plupart des pays concernĂ©s, les enjeux de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure comme extĂ©rieure font l’objet d’une attention soutenue au plus haut niveau politique. Le plus souvent, c’est la prĂ©sidence de la RĂ©publique qui assure un pilotage direct et centralisĂ© de ces questions. Ainsi, au SĂ©nĂ©gal, il ressort des entretiens que le chef de l’État suit lui-mĂȘme, Ă  un niveau de dĂ©tail trĂšs Ă©levĂ©, les projets de rĂ©forme des forces armĂ©es et des services de renseignement, le ministĂšre de la DĂ©fense ayant davantage pour rĂŽle d’assurer le lien entre l’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es et le ministĂšre en charge des finances. On notera en revanche de l’implication des plus hautes autoritĂ©s de l’État dans les affaires de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© est perçue comme moins marquĂ©e en CĂŽte d’Ivoire. Si les observateurs rencontrĂ©s par les rapporteurs dans ce pays reconnaissent que le rythme trĂšs soutenu des sommets de la CEDAO - 16 sommets depuis janvier 2012 - a conduit le prĂ©sident Ouattara Ă  s’investir davantage dans les affaires internationales, ils notent que son implication personnelle dans le processus de rĂ©forme du secteur de sĂ©curitĂ© (RSS) est parfois vue comme moindre. Pourtant, le prĂ©sident est ministre de la DĂ©fense en titre, et les attaques simultanĂ©es des camps d’Akouedo (Ă  l’ouest d’Abidjan) et d’Abengourou en aoĂ»t 2012 – perpĂ©trĂ©es, selon l’ambassadeur de France, par des Ă©lĂ©ments liĂ©s au Front populaire ivoirien (FPI) et opĂ©rant Ă  partir de bases arriĂšre situĂ©es au Ghana – ont mis en Ă©vidence les menaces pesant encore sur la sĂ©curitĂ© du pays. M. Guillaume Soro, actuel prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale et ancien secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du mouvement rebelle des Forces nouvelles de CĂŽte d’Ivoire, s’est montrĂ© quant Ă  lui plus sensible aux questions de sĂ©curitĂ©, et son appui en la matiĂšre est prĂ©cieux au prĂ©sident Ouattara. Il est Ă©galement Ă  noter que lors de leurs Ă©changes avec les parlementaires africains membres des commissions chargĂ©es de la DĂ©fense, les rapporteurs ont pu constater une certaine unanimitĂ© des responsables politiques sur ces questions. Cette unanimitĂ© a Ă©tĂ© particuliĂšrement soulignĂ©e par le prĂ©sident de la commission de la DĂ©fense de l’AssemblĂ©e nationale malienne, qui a fait valoir que


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les membres de cette commission, y compris ceux qui sont Ă©lus dans le Nord, Ă©taient unanimes sur les questions de « souverainetĂ© nationale » et de DĂ©fense. ‱ Un dĂ©passement de l’habitude qui consistait Ă  opposer l’effort de dĂ©veloppement Ă  l’effort de dĂ©fense Sur place, les rapporteurs ont entendu, par exemple chez les NigĂ©riens, un discours qui tend Ă  rĂ©futer toute opposition entre sĂ©curitĂ© et dĂ©veloppement : mĂȘme si des arbitrages budgĂ©taires doivent ĂȘtre faits entre les dĂ©penses de politique de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© d’une part, et les dĂ©penses liĂ©es au dĂ©veloppement d’autre part, souvent au dĂ©triment de ces derniĂšres, ces deux impĂ©ratifs sont vus comme intrinsĂšquement liĂ©s. Le prĂ©sident Issoufou a rĂ©sumĂ© cette vision Ă  peu prĂšs en ces termes : Ă  court terme, pas de dĂ©veloppement possible sans sĂ©curitĂ©, et Ă  long terme, pas de sĂ©curitĂ© possible sans dĂ©veloppement. Le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale du Niger a d’ailleurs ajoutĂ© que « sans forces armĂ©es, pas de consolidation possible de la dĂ©mocratie ». Pour lui, il s’agit de « dĂ©passer des clichĂ©s, et accepter qu’il faut d’abord renforcer l’État pour permettre le dĂ©veloppement ». Le prĂ©sident de la RĂ©publique du Niger a rĂ©sumĂ© cette position politique en la prĂ©sentant comme la « politique des « trois D » : dĂ©fense, dĂ©mocratie, dĂ©veloppement ». À cet Ă©gard, les NigĂ©riens, les BurkinabĂ©s comme les Ivoiriens ont regrettĂ© que les politiques d’ajustement structurel qui leur ont Ă©tĂ© imposĂ©es dans les annĂ©es 1990 les aient contraints Ă  rĂ©duire les moyens allouĂ©s Ă  leurs forces de sĂ©curitĂ©. On note que cette rĂ©duction pouvait ĂȘtre motivĂ©e aussi par la crainte des gouvernants qu’une armĂ©e trop puissante soit tentĂ©e de renverser le pouvoir en place. Le discours est sensiblement le mĂȘme Ă  Bamako, oĂč le ministre de la DĂ©fense d’alors a dĂ©clarĂ© qu’il serait bon, de son point de vue, d’articuler davantage les actions de coopĂ©ration en matiĂšre Ă©conomique et les actions de coopĂ©ration en matiĂšre de sĂ©curitĂ©. RĂ©futant toute opposition de principe ou toute hiĂ©rarchisation entre le renforcement de la sĂ©curitĂ© et les nĂ©cessaires efforts de dĂ©veloppement, il a fait valoir que de larges zones du Mali pourraient ĂȘtre mieux exploitĂ©es qu’aujourd’hui, et que c’est prĂ©cisĂ©ment l’insĂ©curitĂ© qui empĂȘche pour l’heure les entrepreneurs nationaux et internationaux d’y rĂ©aliser les investissements nĂ©cessaires – investissements qui sont lourds et coĂ»teux, notamment dans les secteurs minier et gazier. Pour lui, il faut voir l’action de l’État comme visant Ă  enclencher une dynamique de « cercle vertueux » : la sĂ©curisation du territoire permettrait d’en exploiter mieux les ressources, et les revenus qui en dĂ©couleraient pour les Maliens contribueraient Ă  la stabilitĂ© du pays. Le ministre a d’ailleurs regrettĂ© que les industriels français ne rĂ©pondent pas aux dĂ©marches d’approche que font auprĂšs d’eux les autoritĂ©s maliennes.


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‱ Un renoncement – au moins affichĂ© – Ă  la « stratĂ©gie ATT » non-coopĂ©rative et contre-productive d’échange de bons procĂ©dĂ©s avec les rebelles

Il ressort des travaux des rapporteurs que certains responsables politiques, Ă  la suite de la crise malienne, ont pu rompre avec la stratĂ©gie qui a pu ĂȘtre celle d’Amadou Toumani TourĂ© au Mali en son temps : conclure un pacte tacite de non-agression avec des groupes armĂ©s prĂ©sents sur leur territoire. Ainsi, sans attendre que leur pays soit lui-mĂȘme dĂ©stabilisĂ© par les groupes armĂ©s venus de l’étranger, les autoritĂ©s nigĂ©riennes ont engagĂ© un vaste mouvement de repĂ©rage et d’arrestation des activistes de Boko Haram prĂ©sents sur leur sol, mĂȘme si ceux-ci n’y ont pas encore commis d’attentats (Ă  ce stade, il s’agirait de simples « rĂšglements de comptes » entre NigĂ©rians prĂ©sents au Niger). ii. Dans les actes : cette volontĂ© politique se traduit par des efforts concrets, plus ou moins aboutis Dans plusieurs des pays dans lesquels les rapporteurs se sont dĂ©placĂ©s, la volontĂ© politique de renforcer l’appareil sĂ©curitaire s’est traduite par des actes concrets, sur les plans financier, capacitaire, opĂ©rationnel ou politique. ‱ Des efforts financiers 1./ Des efforts budgĂ©taires Certains États ont consenti d’importantes ressources budgĂ©taires en matiĂšre de dĂ©fense. Ainsi, les autoritĂ©s nigĂ©riennes ont fait valoir aux rapporteurs qu’elles avaient doublĂ© le budget de la DĂ©fense nigĂ©rien en 2012 et 2013, soulignant que cet effort avait Ă©tĂ© fait au dĂ©triment d’autres postes de dĂ©pense. Par ailleurs, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre nigĂ©rien de la DĂ©fense a indiquĂ© que ses services travaillaient Ă  la mise en place d’un outil de programmation pluriannuelle des ressources et des dĂ©penses affectĂ©es Ă  la DĂ©fense, sur le modĂšle des lois de programmation militaire françaises. Des lois de ce type existaient au Niger avant 2013, mais le pays y avait renoncĂ© car le dispositif s’était avĂ©rĂ© peu opĂ©rationnel. La prise de conscience accrue de la menace a ainsi relancĂ© l’idĂ©e de mettre en chantier une programmation militaire pluriannuelle cohĂ©rente et efficace. 2./ Des efforts de bonne gestion Plus largement, dans l’ensemble des pays oĂč se sont dĂ©placĂ©s les rapporteurs, ils ont pu constater une sensibilitĂ© tout Ă  fait aiguĂ« des responsables politiques et militaires Ă  l’intĂ©rĂȘt qu’ont les États de payer correctement et rĂ©guliĂšrement les membres de leurs forces de sĂ©curitĂ© – ce qui n’avait pas toujours Ă©tĂ© le cas par le passĂ©. L’enjeu est double :


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– le bon fonctionnement de l’administration de la DĂ©fense contribue Ă  rendre saine et efficace l’articulation entre le pouvoir politique et les autoritĂ©s militaires, gage de stabilitĂ© pour les États concernĂ©s ; – lorsque la composition ethnique des forces armĂ©es ne correspond pas Ă  celle des rĂ©gions oĂč elles sont dĂ©ployĂ©es, que ce soit en opĂ©rations intĂ©rieures ou extĂ©rieures, le risque est grand que des militaires mal (ou pas) payĂ©s aient tendance Ă  trouver leurs moyens de subsistance dans des actions de prĂ©dation sur les ressources locales, ce qui ne peut ĂȘtre, in fine, que contre-productif, en rendant les populations locales hostiles aux forces armĂ©es. Ainsi, selon les observateurs Ă©trangers rencontrĂ©s par les rapporteurs au Niger, une part de l’effort budgĂ©taire consenti au profit de la DĂ©fense dans ce pays est judicieusement consacrĂ©e Ă  amĂ©liorer la « politique sociale » du ministĂšre - paiement rĂ©gulier des soldes, mais aussi amĂ©lioration des conditions de logement et du systĂšme de pensions. Cet effort est associĂ© Ă  la recherche d’une plus grande intĂ©gritĂ© dans les pratiques du haut-commandement et du ministĂšre en gĂ©nĂ©ral. Les progrĂšs seraient tout Ă  fait apprĂ©ciables depuis 2011, et le chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es est jugĂ© « particuliĂšrement intĂšgre » par les observateurs Ă©trangers avertis. Le cas du Niger est riche d’enseignements : en effet, la rĂ©pression par l’armĂ©e de la derniĂšre rĂ©bellion qui a sĂ©vi dans le Nord en 2009, menĂ©e par les Touaregs et les Toubous notamment, avait Ă©tĂ© jugĂ©e brutale et avait inspirĂ© aux populations locales une dĂ©fiance particuliĂšrement vive vis-Ă -vis des militaires, au point que, selon les observateurs Ă©trangers, les autoritĂ©s nigĂ©riennes « en Ă©taient venues Ă  se mĂ©fier de leurs propres militaires, et Ă  Ă©viter de les envoyer dans le Nord ». La politique d’assainissement du fonctionnement et des pratiques des forces armĂ©es vise ainsi Ă  amĂ©liorer les relations des militaires nigĂ©riens avec les populations du Nord. En cela, elle contribue directement Ă  la stratĂ©gie nigĂ©rienne consistant Ă  « verrouiller » la frontiĂšre avec la Libye et l’AlgĂ©rie pour limiter les phĂ©nomĂšnes de « contagion » terroriste. En effet, dans des zones vastes oĂč les frontiĂšres sont poreuses, le concours des populations locales est indispensable. 3./ Des efforts de reconstruction des services de sĂ©curitĂ©, mĂȘme en RĂ©publique centrafricaine Les rapporteurs ont pu constater qu’en dĂ©pit des immenses difficultĂ©s qu’elle traverse, la RĂ©publique centrafricaine elle aussi consent un certain effort budgĂ©taire au profit de ses forces armĂ©es et de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure. En effet, le Premier ministre a prĂ©sentĂ© aux rapporteurs comme une prioritĂ© de la politique de son gouvernement la sĂ©curisation de la route de Douala et la remise en Ă©tat de marche de l’administration fiscale, Ă  commencer par le guichet de douane centrafricain Ă  Douala et les rĂ©gies financiĂšres, afin que la RĂ©publique centrafricaine puisse bĂ©nĂ©ficier rapidement de rentrĂ©es fiscales douaniĂšres. Cet effort s’est traduit par un renouvellement complet des fonctionnaires occupant les postes concernĂ©s, leurs prĂ©dĂ©cesseurs ayant « trop de collusions avec divers groupes armĂ©s », et un renforcement des contrĂŽles sur l’action des fonctionnaires


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nouvellement nommĂ©s. Selon les observateurs Ă©trangers rencontrĂ©s par les rapporteurs, le paiement des soldes des militaires, des gendarmes et des policiers constitue la prioritĂ© des autoritĂ©s de la transition en matiĂšre budgĂ©taire. Une instruction ministĂ©rielle a ainsi Ă©tĂ© prise pour organiser le dĂ©ploiement de la police et de la gendarmerie Ă  Bangui et, d’aprĂšs le Premier ministre, l’État a consacrĂ© une part de ses faibles ressources Ă  des dĂ©penses de formation et d’équipement – notamment en uniformes – de ces forces. Les rĂ©sultats sont toutefois limitĂ©s : si la police et la gendarmerie ont rĂ©ussi Ă  reconstituer une force de 6 000 Ă  7 000 hommes, le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano a indiquĂ© que celle-ci montait en puissance Ă  Bangui, mais de façon encore « trop lente », et restait « moins lisible » en province. La prĂ©sidente Samba-Panza a elle-mĂȘme reconnu que les forces armĂ©es centrafricaines (FACA) n’étaient encore dĂ©ployĂ©es que « timidement ». ‱ Des efforts capacitaires et organisationnels dans les forces armĂ©es Les pays oĂč se sont dĂ©placĂ©s les rapporteurs planifient tous un renforcement de leurs forces armĂ©es, que ce soit du point de vue des effectifs, ou de celui des Ă©quipements (cf. infra). ‱ Des efforts de projection des forces en opĂ©rations extĂ©rieures La plupart des pays dans lesquels se sont rendus les rapporteurs, comme par exemple le Niger et le Burkina Faso, participent activement aux opĂ©rations multinationales menĂ©es dans la rĂ©gion, que ce soit sous la banniĂšre de l’Union africaine et de ses sous-rĂ©gions, ou sous celle de l’ONU. Ils y trouvent un double intĂ©rĂȘt : – ces engagements servent les intĂ©rĂȘts de leurs forces armĂ©es, dans la mesure oĂč ils contribuent Ă  leur aguerrissement et ouvrent droit Ă  des financements internationaux dont les montants sont trĂšs attractifs pour des armĂ©es disposant de faibles ressources (en valeur absolue) ; – face Ă  des menaces rĂ©gionales, les responsables politiques et militaires conçoivent ces engagements comme des opĂ©rations de « dĂ©fense de l’avant » pour le bĂ©nĂ©fice de leur propre sĂ©curitĂ©. InterrogĂ©s sur les vellĂ©itĂ©s que l’on a pu prĂȘter au gouvernement nigĂ©rien de rappeler en 2012-2013 son contingent dĂ©tachĂ© Ă  l’ONUCI, le PrĂ©sident de la RĂ©publique comme l’ensemble des responsables militaires nigĂ©riens ont dĂ©clarĂ© que cette hypothĂšse avait Ă©tĂ© envisagĂ©e lorsque le Niger a acceptĂ© de participer Ă  la MISMA, car l’effectif des forces nigĂ©riennes n’étant pas suffisant pour assurer ces deux missions Ă  la fois. Toutefois, Ă  la demande des Ivoiriens – selon lesquels les militaires nigĂ©riens sont apprĂ©ciĂ©s dans le pays –, ainsi dans le souci de mĂ©nager le moral des troupes – pour lesquelles la participation Ă  une opĂ©ration de maintien de la paix procure de substantiels avantages –, le Niger a prĂ©fĂ©rĂ© augmenter l’effectif de ses forces armĂ©es que se dĂ©sengager de CĂŽte d’Ivoire.


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Il faut noter que ces efforts conduisent certains États africains Ă  des taux de projection de leurs forces trĂšs importants. Ainsi, Ă  titre d’exemple, l’attachĂ© de dĂ©fense de l’ambassade de France au Gabon, le colonel Lionel Paillot, a fait valoir aux rapporteurs qu’avec 750 hommes en opĂ©ration extĂ©rieure sur un effectif total de 12 000, les forces armĂ©es gabonaises affichent un taux de projection de 6 %, alors que ce taux, pour les armĂ©es françaises, ne dĂ©passe pas 3,6 %. Pour lui « il faut rester conscient de ce que l’on demande au Gabon un effort de projection, en termes relatifs, supĂ©rieur au nĂŽtre ». ‱ Des initiatives politiques Plusieurs interlocuteurs ont Ă©galement soulignĂ© les initiatives politiques prises par les États africains pour rĂ©pondre aux menaces sĂ©curitaires auxquelles ils sont confrontĂ©s. 1./ Des initiatives prises par les exĂ©cutifs La mobilisation des chefs d’État et des gouvernements pour traiter la menace terroriste se traduit Ă  la fois, au niveau national, par des efforts de consolidation de l’autoritĂ© de l’État et, au niveau international, par une intense activitĂ© diplomatique. ● Au niveau national, parmi les efforts prĂ©sentĂ©s aux rapporteurs, on retiendra par exemple que le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale malienne a fait valoir que le prĂ©sident Ibrahim Boubacar Keita (IBK) avait, dĂšs sa campagne Ă©lectorale, ouvert un dialogue avec les populations du Nord – il a notamment Ă©tĂ© le premier candidat Ă  se rendre Ă  Kidal. De façon plus convaincante, le prĂ©sident a Ă©galement Ă©voquĂ© l’adoption d’une loi instituant une commission « vĂ©ritĂ©, justice et rĂ©conciliation » (1), soulignant que le processus de rĂ©conciliation doit permettre de « rendre compte des actes qui ont portĂ© des dommages Ă  l’honneur du pays ». L’apprĂ©ciation de l’ambassadeur de France sur la portĂ©e des efforts de rĂ©conciliation entre le Nord et le Sud du Mali est toutefois plus modĂ©rĂ©e. De mĂȘme, la lutte contre la propagation de l’islamisme radical est Ă©galement prĂ©sentĂ©e comme Ă©tant Ă  l’ordre du jour. Tel est le cas par exemple au Niger : comme l’a indiquĂ© le ministre de l’IntĂ©rieur, le Niger a crĂ©Ă© en 2013 un « conseil islamique », sur le modĂšle de ce qui existe en Mauritanie, avec pour objectif de mieux encadrer la pratique religieuse en consolidant l’organisation coutumiĂšre de cette religion au Niger. Les rapporteurs ont toutefois Ă©tĂ© interpellĂ©s par certains de leurs interlocuteurs, qui estiment que l’action de certains États contre le danger islamiste reste insuffisante. Tel est le cas, par exemple, du prĂ©sident du groupe d’amitiĂ© SĂ©nĂ©gal-France de l’AssemblĂ©e nationale du SĂ©nĂ©gal, qui juge « tout Ă  fait insuffisante » la vigilance de l’État et de la sociĂ©tĂ© civile vis-Ă -vis de cette menace, faisant valoir qu’en dĂ©pit du principe de laĂŻcitĂ© inscrit dans la (1) Cette Commission est composĂ©e de 15 membres, Ă©lus pour un mandat de trois ans. Elle remplace l’ancienne Commission nationale « dialogue et rĂ©conciliation » (CDR).


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Constitution sĂ©nĂ©galaise, une pratique « aussi inconstitutionnelle que dangereuse » veut que les rĂ©unions de commission commencent par la rĂ©citation de versets du Coran. Pour lui, de telles pratiques constituent « le vrai terreau de l’islamisme ». ● En matiĂšre internationale, l’implication des chefs d’État et des gouvernements est perceptible. Si certaines mĂ©diations ne donnent pas les succĂšs escomptĂ©s – par exemple celle entreprise par le prĂ©sident burkinabĂ© entre les parties du conflit malien –, et si le foisonnement des espaces de discussion – G5, dialogues bilatĂ©raux, initiatives sous-rĂ©gionales, etc. – peut donner une impression d’enchevĂȘtrement parfois peu productif, il n’en demeure pas moins qu’aux yeux des observateurs Ă©trangers, les autoritĂ©s africaines s’impliquent de plus en plus dans la recherche d’un rĂšglement sous-rĂ©gional des problĂšmes sĂ©curitaires. Et ce Ă  tel point que, par exemple, certains acteurs et certains observateurs ont pu estimer que le prĂ©sident nigĂ©rien Ă©tait de plus en plus perçu par l’opinion publique du Niger comme donnant une dominante trĂšs « sĂ©curitaire » Ă  l’exercice de son mandat ; quant au prĂ©sident du Burkina Faso, il a reconnu lui-mĂȘme devant les rapporteurs ĂȘtre « accaparĂ© » par la politique extĂ©rieure, notant au passage que l’unanimitĂ© politique de son pays sur ces questions lui confĂšre Ă  la fois une importante marge de manƓuvre et une certaine obligation de rĂ©sultat. 2./ Le rĂŽle des parlementaires ● Au Mali, le prĂ©sident de la commission de la DĂ©fense nationale, de la sĂ©curitĂ© et de la protection civile de l’AssemblĂ©e nationale a dĂ©clarĂ© que la commission qu’il prĂ©side entendait non seulement exercer pleinement ses pouvoirs de contrĂŽle sur les affaires de dĂ©fense, mais Ă©galement mener un travail de soutien Ă  la refondation des forces armĂ©es. À cette fin, il entend Ă©tablir un cadre d’échanges constants avec le ministre de la DĂ©fense, et aller au contact des troupes, sur le terrain, afin de les assurer du soutien de la reprĂ©sentation nationale. Si ces dĂ©clarations restent Ă  confirmer dans les faits et dans la durĂ©e, il n’en est pas moins qu’elles constituent la marque d’un changement de posture au regard du passĂ© rĂ©cent. Lorsque les rapporteurs ont rencontrĂ© les membres de la commission de la DĂ©fense et de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure de l’AssemblĂ©e nationale nigĂ©rienne, ceux-ci leur ont dĂ©clarĂ© leur intention d’intensifier leurs activitĂ©s de contrĂŽle parlementaire sur les questions de dĂ©fense et d’organisation des forces armĂ©es, ne serait-ce que pour s’assurer de la bonne exĂ©cution d’un budget qui croĂźt sensiblement – Ă  la mesure des menaces. Dans les pays oĂč les parlementaires ont eu Ă  se prononcer sur l’opportunitĂ© que leurs forces armĂ©es soutiennent ou non les opĂ©rations françaises au Mali, il n’est pas rare que les dĂ©cisions aient Ă©tĂ© prises Ă  l’unanimitĂ©, comme cela a Ă©tĂ© le cas, par exemple, au Niger. ● Le rĂŽle que peuvent jouer les parlementaires dans la stabilisation des pays de la rĂ©gion a Ă©tĂ© soulignĂ© par les dĂ©putĂ©s de plusieurs pays, et


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particuliĂšrement au Burkina Faso – ce qu’a par ailleurs confirmĂ© le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de la DĂ©fense de ce pays. La prĂ©sidente de la commission des Affaires Ă©trangĂšres et de la dĂ©fense de l’AssemblĂ©e nationale burbinabĂš a insistĂ© sur le rĂŽle des parlementaires dans la stabilisation de la sous-rĂ©gion, rĂŽle qui selon elle est double : – au niveau national, dans des États dont le maillage administratif territorial est souvent lĂ©ger (voire insuffisant) et dont la composition ethnique est hĂ©tĂ©rogĂšne et parfois marquĂ©e d’une dynamique centrifuge, les parlementaires assurent un lien entre, d’une part, le pouvoir central et, d’autre part, les diffĂ©rents territoires et les diverses populations ; en ce sens, « l’unitĂ© nationale en Afrique tient beaucoup aux parlementaires » et « le Parlement y a un rĂŽle essentiel dans la construction de l’État » ; – Ă  l’échelle sous-rĂ©gionale, la « diplomatie parlementaire » a selon elle un rĂŽle dĂ©terminant Ă  jouer dans la coordination des États de la sous-rĂ©gion. La prĂ©sidente a indiquĂ© que les parlementaires burkinabĂ©s s’attachaient Ă  envoyer systĂ©matiquement des dĂ©lĂ©gations auprĂšs des autres Parlements de la sous-rĂ©gion Ă  l’occasion de chaque ouverture de session, et Ă  dĂ©velopper des contacts interparlementaires rĂ©guliers. Elle a regrettĂ© que ces contacts restent insuffisants aujourd’hui et plaidĂ© en faveur de leur intensification. Elle a Ă©galement estimĂ© que le parlement de la CEDEAO et le ComitĂ© interparlementaire de l’Union Ă©conomique et monĂ©taire ouest-africaine (UEMOA), composĂ©s de reprĂ©sentants des parlements nationaux, avaient un rĂŽle Ă  jouer dans l’intensification de ces contacts. b. Compte tenu de ses moyens plus limitĂ©s que jadis, la coopĂ©ration militaire française prend de nouvelles formes, marquĂ©es par une recherche d’efficience accrue Comme l’ont soulignĂ© devant les rapporteurs les coopĂ©rants militaires français prĂ©sents en CĂŽte d’Ivoire, l’organisation de notre dispositif en Afrique doit concilier deux logiques diffĂ©rentes : – une logique de coopĂ©ration, dans le long terme, qui vise Ă  rendre les États africains capables de maĂźtriser leurs territoires et d’agir ensemble contre les menaces transfrontiĂšres ; – une logique d’intervention, qui doit mettre la France en mesure d’intervenir en urgence pour la gestion des crises (comme elle l’a fait avec les opĂ©rations Serval et Sangaris). Pour eux, il ressort des interventions passĂ©es que si la coopĂ©ration est largement acceptĂ©e par les pays hĂŽtes et leurs opinions publiques, les interventions peuvent produire des effets plus contrastĂ©s : aprĂšs une premiĂšre phase de soulagement – que l’on a vu trĂšs dĂ©monstrative au Mali en 2013 –, la lĂ©gitimitĂ© de la France, voire les buts qu’elle poursuit, ne tardent pas, parfois, Ă  ĂȘtre remis en question par divers acteurs politiques, sincĂšrement ou non. À cet Ă©gard, le cas de


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Serval est Ă©loquent : les parlementaires maliens se sont ouvertement interrogĂ©s devant les rapporteurs sur les motivations de la position française vis-Ă -vis des Touaregs et du contrĂŽle de Kidal. En outre, si l’opĂ©ration Serval a Ă©tĂ© unanimement saluĂ©e par les responsables politiques rencontrĂ©s, on note que la crise malienne et l’indispensable recours Ă  la France sont vus par de nombreux acteurs, notamment militaires, comme une preuve assez humiliante des faiblesses de leurs armĂ©es nationales et de leur capacitĂ© Ă  rĂ©agir aux crises dans le cadre de la CEDEAO. Chacun des États dans lesquels se sont dĂ©placĂ©s les rapporteurs a la France pour partenaire privilĂ©giĂ© pour l’élaboration et la mise en Ɠuvre de sa politique de dĂ©fense. Cette coopĂ©ration prend plusieurs formes : – partout, des coopĂ©rants militaires français sont placĂ©s auprĂšs des responsables locaux. Il ressort des discussions que ce dispositif est trĂšs apprĂ©ciĂ© des États hĂŽtes, et constitue pour la France un moyen efficace et relativement peu coĂ»teux d’influence et de connaissance des thĂ©Ăątres africains ; – lĂ  oĂč des forces françaises sont dĂ©ployĂ©es, elles font bĂ©nĂ©ficier les forces armĂ©es locales de leur action. Tel est le cas, par exemple, du dĂ©tachement de renseignement au Niger : des officiers nigĂ©riens sont intĂ©grĂ©s aux Ă©quipes qui exploitent les renseignements produits par les drones. Tel est aussi le cas, plus largement, pour l’ensemble des forces prĂ©positionnĂ©es ou en opĂ©ration extĂ©rieure, qui participent Ă  des exercices conjoints avec les forces locales, le cas Ă©chĂ©ant dans un cadre multinational plus large comme avec l’exercice Flintlock 2014 au Niger. Comme le montre le schĂ©ma ci-aprĂšs, la coopĂ©ration prend ainsi deux formes : – la coopĂ©ration dite « structurelle », qui relĂšve de la compĂ©tence du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres et dont le pilotage est assurĂ©, Ă  Paris, par la direction de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense (DCSD) et, sur le terrain, par les attachĂ©s de dĂ©fense ; – la coopĂ©ration dite « opĂ©rationnelle », qui, pour ce qui concerne sa dimension militaire, relĂšve de la compĂ©tence du ministĂšre de la DĂ©fense et dont le pilotage est assurĂ©, Ă  Paris, par le sous-chef d’état-major chargĂ© des relations internationales et, sur le terrain, par les commandants des forces.


— 143 — COOPÉRATION STRUCTURELLE ET COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE

Source : direction de la coopération de sécurité et de défense.

i. La coopĂ©ration structurelle : un atout français en Afrique, dĂ©sormais configurĂ© dans une logique de partenariat plutĂŽt que de substitution Comme l’a soulignĂ© l’amiral Marin Gillier, directeur de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense, la coopĂ©ration structurelle a pour but de renforcer les structures des États partenaires, dans une relation d’égal Ă  Ă©gal : il ne s’agit pas de gestion de crise, mais de soutenir la mise en place « d’institutions rĂ©galiennes pĂ©rennes ». La direction de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense (DCSD) met en Ɠuvre cette politique. ‱ Le rĂ©seau des coopĂ©rants animĂ© par la direction de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense Les schĂ©mas ci-aprĂšs rappellent que la DCSD a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e, en 2009, dans le but de crĂ©er un continuum entre les actions de coopĂ©ration menĂ©es en matiĂšre militaire et en matiĂšre de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure.


— 144 — LA CRÉATION DE LA DCSD

Source : direction de la coopération de sécurité et de défense.

LES MOYENS DE LA DCSD (2012)

Source : direction de la coopération de sécurité et de défense.

La DCSD a ainsi pour mission d’animer et de piloter les actions de coopĂ©ration structurelle, dont la cohĂ©rence avec les autres actions de coopĂ©ration doit ĂȘtre assurĂ©e par chaque ambassade, la plupart d’entre elles disposant Ă  cette fin d’un attachĂ© de dĂ©fense et d’un attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure. Ces actions de coopĂ©ration structurelle, comme le montrent les schĂ©mas ci-aprĂšs, prennent diffĂ©rentes formes : aide directe, conseil, formation, assistance dans le suivi des contrats d’armement, missions d’expertise, etc.


— 145 — L’ACTIVITÉ DE LA DCSD

Source : direction de la coopération de sécurité et de défense.

LE RÉSEAU ANIMÉ PAR LA DCSD

Source : direction de la coopération de sécurité et de défense.

Il est Ă  noter que les moyens allouĂ©s Ă  la coopĂ©ration structurelle sont concentrĂ©s aux trois quarts sur l’Afrique, tant du point de vue des dĂ©penses engagĂ©es que des personnels dĂ©ployĂ©s en mission de coopĂ©ration.


— 146 — RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES MOYENS DE LA DCSD

Source : direction de la coopération de sécurité et de défense.

‱ Les prioritĂ©s de la politique de coopĂ©ration structurelle concernant l’Afrique

Lors de son audition par les rapporteurs, l’amiral Marin Gillier a estimĂ© que longtemps, la programmation annuelle de coopĂ©ration structurelle pour l’Afrique a Ă©tĂ© assez routiniĂšre. Deux raisons ont conduit la DCSD Ă  « changer la donne » : – la contrainte budgĂ©taire : la DCSD disposait en 2014 de 89 millions d’euros sur le programme 105 « Action extĂ©rieure de l’État », contre 95 millions d’euros en 2013 ; et sur le programme 249 « SolidaritĂ© Ă  l’égard des pays en dĂ©veloppement », pour lequel « on ne connaĂźt le total qu’en fin d’annĂ©e, cela fluctue autour de cinq Ă  sept millions d’euros par an ». Globalement, les crĂ©dits ont diminuĂ© de 50 % depuis la crĂ©ation de la DCSD en 2007, et l’effectif de la coopĂ©ration structurelle a Ă©tĂ© divisĂ© par deux depuis 1995 (la DCSD a aujourd’hui 278 coopĂ©rants militaires) ; – les retours d’expĂ©rience du Mali et de la RĂ©publique centrafricaine. En effet, le Mali Ă©tait considĂ©rĂ© comme « « la » dĂ©mocratie du Sahel » et a reçu Ă  ce titre plus d’un milliard d’euros en quelques annĂ©es ; pourtant, en 2013, l’État s’est Ă©croulĂ© trĂšs rapidement. Pourquoi une aide aussi massive et diversifiĂ©e n’a-t-elle pas Ă©vitĂ© cet Ă©croulement ? Quatre raisons principales sont avancĂ©es : – la corruption : le nĂ©potisme, l’absence de volontĂ© de rĂ©forme du rĂ©gime, l’absence totale de soutien politique aux armĂ©es, voire une mĂ©fiance vis-Ă -vis de celles-ci, que l’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs pays d’Afrique (on retiendra


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qu’en RĂ©publique centrafricaine, quatre des six derniers chefs d’État avaient Ă©tĂ© renversĂ©s par coup d’état militaire) ; – des raisons administratives : les Ă©chelons de commandement « n’avaient ni l’envie ni les moyens d’intĂ©grer les savoir-faire que l’on voulait leur enseigner » ; en outre, il y avait parfois, au sein des armĂ©es, des Ă©carts de niveau de vie trĂšs Ă©levĂ©s entre le commandement et les hommes, ce qui ne contribuait pas Ă  la solidaritĂ© des forces ; – des facteurs ethniques, qui ont poussĂ© Ă  surreprĂ©senter certaines ethnies au sein des forces armĂ©es et de leur commandement, parfois pour des raisons ne tenant pas seulement Ă  la qualitĂ© professionnelle des intĂ©ressĂ©s ; – « la redondance de l’assistance internationale » : il y avait au Mali de multiples financements pour les mĂȘmes projets, ce qui nourrissait la corruption. Par ailleurs, les Maliens mettaient en compĂ©tition des bailleurs internationaux. De plus, la coopĂ©ration internationale a souvent un biais anti-sĂ©curitaire voire antimilitaire (reposant sur l’idĂ©e que « tout cela est du nĂ©ocolonialisme »). Sur la base de ce constat, la DCSD a identifiĂ© quatre axes d’efforts concernant son action en Afrique : 1./ Un axe interne : la DCSD met en place une programmation budgĂ©taire nouvelle. Elle a rĂ©uni les diffĂ©rentes directions gĂ©ographiques du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres pour identifier leurs prioritĂ©s (lutte antiterroriste ; renforcement d’un État qui entre dans un processus dĂ©mocratique, comme la GuinĂ©e Bissau, etc.), et fait de mĂȘme avec le ministĂšre de la DĂ©fense et celui de l’IntĂ©rieur. Ensuite, une fois la synthĂšse faite de ces prioritĂ©s, la DCSD envoie des tĂ©lĂ©grammes diplomatiques Ă  tous les postes avec l’exposĂ© de ces prioritĂ©s et un appel Ă  projets entrant dans ces prioritĂ©s, sans dichotomie IntĂ©rieur / DĂ©fense. Ensuite, la DCSD arbitre. « C’est un processus vertueux du point de vue financier, mais aussi du point de vue politique : on intĂšgre ainsi les prioritĂ©s de tous les ministĂšres ». 2./ Trois axes externes : – « sollicitation » : il faut que le pays soit demandeur, faute de quoi, l’action de la France perdra en efficacitĂ© du fait d’effets d’aubaine ; – « appropriation » : « la Françafrique, c’était de la coopĂ©ration de substitution, qui arrangeait tout le monde ; la logique a totalement changĂ© ». Et le but est de passer « de l’appropriation Ă  l’autonomisation » : il faut qu’aprĂšs la coopĂ©ration dans un domaine, l’administration concernĂ©e soit autonome. C’est dans l’intĂ©rĂȘt de la France que d’avoir des États africains autonomes : « on Ă©vitera des risques (terroriste, drogue) et on aura des opportunitĂ©s Ă©conomiques ; la France n’y perdra rien en influence ».


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– « contractualisation » : avec des administrations « parfois corrompues et pas toujours imprĂ©gnĂ©es du sens de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral », mieux vaut Ă©tablir clairement un « contrat d’accompagnement, avec engagements rĂ©ciproques et critĂšres de gestion ». Tous les six mois, chaque projet fait l’objet d’un comitĂ© de pilotage : « quand le partenaire ne remplit pas les critĂšres prĂ©vus, on l’évoque au plus haut niveau politique, et on fait valoir que si le projet n’est pas prioritaire pour l’État partenaire, il ne peut pas l’ĂȘtre pour la France ». Deux fois dĂ©jĂ , la DCSD s’est dĂ©sengagĂ©e d’un projet. Elle fait toutefois preuve de la souplesse nĂ©cessaire, comme au Niger par exemple. ParticuliĂšrement en Afrique, la DCSD essaie « d’avoir une vision globale, dĂ©veloppant des liens entre sĂ©curitĂ©, gouvernance et dĂ©veloppement ». L’amiral Marin Gillier a ainsi citĂ© l’exemple du projet « Appui Ă  la coopĂ©ration transfrontaliĂšre au Sahel » (ACTS). Il s’agit d’un projet dual de gestion des frontiĂšres initiĂ© par le sommet de l’ÉlysĂ©e, avec le Mali, le Niger et le Burkina, avec l’appui du G5 (Mauritanie et Tchad seront ainsi impliquĂ©s), et la CEDEAO a Ă©tĂ© sollicitĂ©e mais s’est dite non intĂ©ressĂ©e. Le projet s’appuie beaucoup sur les populations, d’oĂč un accent mis sur le dĂ©veloppement, et d’oĂč la mobilisation d’acteurs divers : États-Unis, Programme des Nations unies pour le dĂ©veloppement (PNUD), Banque mondiale, Japonais, Canadiens, Direction gĂ©nĂ©rale de la mondialisation, etc. En effet, les Japonais, du fait de rĂšgles constitutionnelles contraignantes, ne peuvent pas appuyer directement la France, mais ils contribuent au PNUD. Les Canadiens, eux, financent directement les actions de coopĂ©ration menĂ©es par la DCSD : ils ont ainsi allouĂ© 750 000 euros pour acheter des vĂ©hicules ACMAT pour la surveillance des frontiĂšres au Nord de la Mauritanie. Cet exemple est typique d’une coopĂ©ration « qui est internationale et pas uniquement sĂ©curitaire ». ‱ L’action des coopĂ©rants militaires français en Afrique À chacun de leurs dĂ©placements, les rapporteurs se sont attachĂ©s Ă  entendre les coopĂ©rants militaires français en poste dans les pays concernĂ©s. Il en ressort que ce dispositif prĂ©sente un indĂ©niable caractĂšre « gagnant-gagnant », tant pour la France que pour les pays hĂŽtes. En effet, il permet Ă  la France : – d’apporter aux États concernĂ©s un appui d’autant plus efficace que les coopĂ©rants sont insĂ©rĂ©s directement dans les cabinets, Ă©tats-majors et services oĂč ils sont affectĂ©s, sous l’uniforme du pays hĂŽte ; – de conserver ainsi des leviers d’influence Ă  un coĂ»t trĂšs modĂ©rĂ© ; – de bĂ©nĂ©ficier d’un accĂšs privilĂ©giĂ© Ă  la connaissance des pays concernĂ©s, tant pour ce qui concerne leurs dirigeants civils et militaires que pour ce qui est des caractĂ©ristiques de ces thĂ©Ăątres, et de « capitaliser » ainsi une connaissance de l’Afrique dont les rapporteurs souligneront plus loin l’importance.


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Pour les pays hĂŽtes, le fait de pouvoir bĂ©nĂ©ficier de l’expertise française constitue un indĂ©niable bĂ©nĂ©fice, et ce Ă  deux Ă©gards : – non seulement pour mener Ă  bien les rĂ©formes qu’ils entreprennent dans leurs forces armĂ©es ; – mais aussi pour progresser dans l’adoption de pratiques et d’habitudes communes, ce qui contribuera Ă  amĂ©liorer la coordination et l’interopĂ©rabilitĂ© de leurs forces respectives au sein des forces multinationales auxquelles elles sont de plus en plus souvent appelĂ©es Ă  contribuer. L’encadrĂ© suivant prĂ©sente l’action des coopĂ©rants français au Tchad, qui peut lĂ©gitimement ĂȘtre prĂ©sentĂ© comme Ă©tant d’ores et dĂ©jĂ  une rĂ©ussite de notre politique de coopĂ©ration. Il convient en effet de rappeler que l’armĂ©e nationale tchadienne, qui a largement fait la preuve de son efficacitĂ© lors des opĂ©rations qu’elle a menĂ©es au Mali en 2013, a bĂ©nĂ©ficiĂ© de façon continue du soutien de la coopĂ©ration française pendant plusieurs dĂ©cennies, et ce dans une logique d’appropriation progressive des compĂ©tences. En effet, comme l’attachĂ© de dĂ©fense Ă  N’Djamena, le colonel Michel de Mesmay, l’a indiquĂ© aux rapporteurs, la France entretenait il y a une vingtaine d’annĂ©es 200 coopĂ©rants militaires au Tchad, qui assuraient jusqu’à l’instruction Ă©lĂ©mentaire des recrues ; aujourd’hui, cette prĂ©sence a pu ĂȘtre rĂ©duite Ă  un effectif de 14 coopĂ©rants, chargĂ©s de fonctions d’expertise dans des domaines que l’armĂ©e nationale tchadienne a identifiĂ©s comme recelant encore des marges de progression. LA COOPÉRATION STRUCTURELLE AVEC LE TCHAD Comme l’attachĂ© de dĂ©fense au Tchad l’a rappelĂ© aux rapporteurs, la coopĂ©ration de dĂ©fense avec le Tchad s’inscrit dans le temps long : elle remonte Ă  plus d’un siĂšcle. En outre, la coopĂ©ration opĂ©rationnelle et la coopĂ©ration structurelle s’y articulent particuliĂšrement bien, dans la mesure oĂč le Tchad intervient militairement de plus en plus frĂ©quemment, et oĂč les troupes françaises y sont dĂ©ployĂ©es au titre de l’opĂ©ration Épervier depuis 1986. Le but de la coopĂ©ration y est clairement d’accompagner la montĂ©e en puissance des armĂ©es tchadiennes en diffusant la doctrine française, de façon Ă  tisser des liens entre les deux armĂ©es. Le budget allouĂ© Ă  la coopĂ©ration structurelle atteint 12 millions d’euros par an, auxquels on peut agrĂ©ger les 53 millions d’euros de dons et d’aides diverses fournis par la force Épervier. Les rapporteurs ont ainsi pu faire le point, avec chacun des coopĂ©rants, sur les principaux projets en cours, qui concernent : – l’appui au pilotage des restructurations, assurĂ© par un coopĂ©rant placĂ© en qualitĂ© de conseiller chargĂ© des restructurations auprĂšs du chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la mise en Ɠuvre du programme de modernisation des forces annoncĂ© en 2011 par le prĂ©sident DĂ©by, et se dĂ©cline en six sous-projets : la logistique, le renseignement, la formation, la reconversion, la gestion des ressources humaines et l’appui au commandement ; – en matiĂšre d’appui au commandement, l’effort est portĂ© sur la formation (c’est-Ă -dire la sĂ©lection pour l’école de guerre et l’enseignement de la langue française), des Ă©tudes, et la liaison avec les armĂ©es. La principale difficultĂ©, comme dans un certain nombre d’armĂ©es africaines, tient Ă  ce que des rĂ©formes trop brutales aient des rĂ©percussions nĂ©gatives sur la stabilitĂ© de l’outil de dĂ©fense ;


— 150 — – en matiĂšre d’armement, l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale n’est pas de chercher Ă  « placer » des matĂ©riels français Ă  tout prix et ce, d’une part, parce que l’offre industrielle française est globalement trop sophistiquĂ©e pour les besoins tchadiens (sauf en matiĂšre de vĂ©hicules de type Bastion ou de porte chars) et, d’autre part, parce que certains industriels comprennent encore mal les besoins des Africains – ainsi, Eurocopter n’a pas rĂ©ussi Ă  vendre de Fennec, faute de pouvoir intĂ©grer Ă  son offre un volet de formation adaptĂ© ; – en matiĂšre de renseignement, un coopĂ©rant français apporte une aide technique Ă  la montĂ©e en puissance des deux principaux services de la direction gĂ©nĂ©rale du renseignement militaire tchadienne : le service action, et le service exploitation. Cela passe par des Ă©changes quasi-quotidiens au plus haut niveau des autoritĂ©s de l’État ; – en matiĂšre de logistique, le coopĂ©rant français compĂ©tent a pour mission principale d’aider les responsables tchadiens Ă  prendre pleinement conscience de l’importance de maintien en condition et du ravitaillement, ce qui est « encore trĂšs difficile », d’autant que la France pourvoi Ă  un certain nombre de soutiens. Les deux principaux enjeux tiennent Ă  la complexitĂ© des procĂ©dures de gestion des fonds publics tchadiens, et au suivi de l’utilisation « nominale » des matĂ©riels fournis au Tchad ou acquis par lui ; – un coopĂ©rant aide Ă  la restructuration de la garde nationale nomade tchadienne (GNNT). Forte de 4 000 hommes dotĂ©s de pick-up, de chameaux (pour les deux tiers des moyens de dĂ©placement) et de chevaux, cette garde a longtemps Ă©tĂ© employĂ©e comme supplĂ©tive de l’ArmĂ©e nationale tchadienne. Le but du projet de coopĂ©ration consiste donc Ă  la recentrer sur ses missions de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, afin notamment de contribuer au rĂšglement des conflits entre nomades et sĂ©dentaires, avivĂ©s par la pression dĂ©mographique et la dĂ©sertification ; – en matiĂšre de coopĂ©ration sanitaire, plusieurs projets sont en cours, consistant notamment Ă  amĂ©liorer l’équipement de l’hĂŽpital militaire tchadien. Ils se heurtent toutefois Ă  plusieurs difficultĂ©s : le manque de moyens de tĂ©lĂ©communication, qui limite le recours Ă  la tĂ©lĂ©mĂ©decine et Ă  la formation Ă  distance (MOOC), ainsi qu’un taux de retour trĂšs faible des Tchadiens qui vont faire leurs Ă©tudes de mĂ©decine Ă  l’étranger (10 % environ), ce qui prive le pays et ses forces armĂ©es d’une ressource en personnels mĂ©dicaux qui leur serait utile. Une autre difficultĂ© tient Ă  ce que la partie tchadienne n’a pas encore l’habitude de programmer les dĂ©penses nĂ©cessaires au maintien en condition opĂ©rationnelle des Ă©quipements sanitaires parfois complexes (tels les scanners) qui lui sont fournis, alors que la France a dĂ©sormais pour politique de ne plus prendre Ă  sa charge les contrats d’entretien de ces matĂ©riels ; – concernant la formation, un coopĂ©rant appuie la restructuration de l’enseignement militaire. Sur les dix Ă©coles militaires tchadiennes, cinq fonctionnent dĂ©jĂ  de façon satisfaisante. L’enjeu de ce projet de coopĂ©ration consiste principalement Ă  mettre en place une Ă©cole de spĂ©cialisation et de perfectionnement pour les officiers, afin d’amĂ©liorer la cohĂ©rence de l’encadrement, notamment aprĂšs l’intĂ©gration d’anciens rebelles dans les forces armĂ©es. La France se trouve en la matiĂšre en concurrence avec les États-Unis, qui essaient eux aussi de dĂ©velopper leur influence par le biais de la formation des cadres, sans toutefois parvenir Ă  ce jour Ă  faire reculer l’influence française ; – la rĂ©forme des forces armĂ©es passant par un processus de dĂ©flation appelĂ© Ă  concerner 5 000 personnels environ, un projet d’aide Ă  la reconversion, notamment vers le secteur agropastoral, a Ă©tĂ© mis en place avec un certain succĂšs, grĂące Ă  l’appui d’un coopĂ©rant français. 100 anciens militaires se sont ainsi reconvertis Ă  ce jour. La principale difficultĂ© rencontrĂ©e tient au financement de ce projet, assurĂ© par l’Union europĂ©enne. En effet, sur les cinq millions d’euros promis, 86 % n’ont toujours pas Ă©tĂ© engagĂ©s, 13,8 % l’ont Ă©tĂ© en frais de fonctionnement, et 0,2 % seulement en actions concrĂštes de formation.


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‱ Un outil majeur et prometteur : les Ă©coles nationales Ă  vocation rĂ©gionale (ENVR)

À chacun de leurs dĂ©placements, les rapporteurs se sont attachĂ©s Ă  visiter les Ă©coles nationales Ă  vocation rĂ©gionale (ENVR) dĂ©ployĂ©es sur le continent avec l’appui de la France. La carte ci-dessous prĂ©sente le rĂ©seau des ENVR. LE RÉSEAU DES ENVR

Source : direction de la coopération de sécurité et de défense.

Ces Ă©coles appartiennent Ă  leurs pays hĂŽtes, et sont soutenues par la France par deux biais : – des contributions financiĂšres, qui alimentent le budget des Ă©coles au mĂȘme titre que d’autres contributions d’États africains, de partenaires Ă©trangers ou d’organisations internationales ; – la mise Ă  disposition de quelques coopĂ©rants, placĂ©s Ă  des postes-clĂ©s comme celui de directeur des Ă©tudes. Les rapporteurs sont trĂšs convaincus de l’utilitĂ© et de l’efficience de l’outil que constitue ce rĂ©seau d’écoles nationales Ă  vocation rĂ©gionale, et ce pour plusieurs raisons : – en accueillant des stagiaires de diffĂ©rents pays africains, il contribue Ă  forger une culture commune parmi les cadres africains repĂ©rĂ©s comme


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prometteurs (ils sont recrutĂ©s aux ENVR sur concours, dans le cadre de quotas nationaux) ; – cette formule permet Ă  la France de conserver un levier d’influence apprĂ©ciable et Ă  moindre coĂ»t, Ă  l’heure oĂč elle n’a plus les moyens de former en masse les officiers africains dans ses propres Ă©coles. D’ailleurs, avec 2 400 stagiaires par an, le rĂ©seau des ENVR permet de diffuser les doctrines et les savoir-faire beaucoup plus largement que la politique d’accueil d’officiers africains dans nos Ă©coles ne le permettait, mĂȘme au temps oĂč les ressources disponibles Ă©taient moins comptĂ©es qu’aujourd’hui ; – en dĂ©veloppant des stages d’étude en français, mais aussi dans d’autres langues (l’anglais et le portugais principalement), ce rĂ©seau d’école offre la possibilitĂ© Ă  la France de rayonner au-delĂ  des pays avec lesquels elle partage les liens historiques les plus Ă©troits. Les rapporteurs ont pu apprĂ©cier la qualitĂ© de l’enseignement dispensĂ© au sein de ces Ă©coles. Notamment, ils ont suivi les stagiaires d’une ENVR, l’École d’état-major de Libreville, qui ont effectuĂ© un dĂ©placement Ă  Saumur pour mettre en pratique leurs compĂ©tences sur le systĂšme de simulation de champ de bataille Janus – et ce, avec succĂšs, selon le colonel Alexandre Maresca, directeur des Ă©tudes de l’école. L’expĂ©rience de l’École d’état-major de Libreville montre d’ailleurs la richesse de l’échange entre les Ă©coles françaises et les ENVR. Ce sont en effet nos partenaires africains qui ont apportĂ© Ă  l’école de Saumur des scĂ©narios tactiques correspondant Ă  des zones d’engagement possibles en Afrique – comme la rĂ©gion des grands lacs –, alors que les Français utilisent encore, dans le cadre de Janus, des scĂ©narios tactiques mĂ©tropolitains, terrain sur lequel il est aussi probable que souhaitable qu’ils aient moins Ă  intervenir dans un futur proche. C’est donc avec satisfaction que les rapporteurs ont appris de l’amiral Marin Gillier que ce mĂȘme systĂšme Janus allait pouvoir ĂȘtre installĂ© au Gabon, possiblement au sein du nouveau pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration des ÉlĂ©ments français au Gabon, avec le soutien d’un coopĂ©rant compĂ©tent pour l’exploitation et le soutien de ce systĂšme. Ce dĂ©ploiement, d’ailleurs peu coĂ»teux, contribuera Ă  renforcer encore la qualitĂ© de la formation dispensĂ©e au sein de l’École d’état-major de Libreville, tout en offrant aux ÉlĂ©ments français au Gabon une capacitĂ© supplĂ©mentaire, cohĂ©rente avec leur nouvelle mission. Les encadrĂ©s ci-aprĂšs prĂ©sentent le fonctionnent et l’activitĂ© des deux ENVR installĂ©es au Mali.


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Source : ambassade de France au Mali, attaché de défense.


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Source : ambassade de France au Mali, attaché de défense.


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ii. La coopĂ©ration opĂ©rationnelle : la raison d’ĂȘtre des « pĂŽles opĂ©rationnels de coopĂ©ration Ă  vocation rĂ©gionale » Les dĂ©placements des rapporteurs auprĂšs des ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal – pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration (POC) en activitĂ© – et des Forces françaises au Gabon – appelĂ©es Ă  devenir un POC sous le nom d’ÉlĂ©ments français au Gabon – ont permis de faire le point sur cet outil nouveau qu’est le pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration. L’accent mis sur la coopĂ©ration est cohĂ©rent avec les orientations du sommet de l’ÉlysĂ©e de dĂ©cembre 2013 consacrĂ© aux relations de la France avec les pays d’Afrique : le dĂ©veloppement des POC va donc dans le sens des orientations de ce sommet. ‱ L’intĂ©rĂȘt de la formule du pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration Ă  vocation rĂ©gionale Comme le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre l’a soulignĂ© devant les rapporteurs, dans le cadre des contraintes fixĂ©es par le Livre blanc, la transformation d’une base opĂ©rationnelle avancĂ©e telle que celle de Libreville en POC « est conforme au principe de strict besoin opĂ©rationnel sans perte irrĂ©parable du lien de coopĂ©ration rĂ©gionale et de la capacitĂ© d’influence militaire française ». Ces structures spĂ©cialisĂ©es semblent donc « bien adaptĂ©es Ă  l’objectif visĂ© » : « Ă  moindre coĂ»t, elles permettent d’entretenir un flux constant de formation au profit des armĂ©es africaines de proximitĂ©, de maintenir un contact soutenu avec les autoritĂ©s militaires locales, tout en Ă©tant capables d’agrĂ©ger les renforcements ponctuels venus de mĂ©tropole ». Concernant leur fonctionnement et sur un plan strictement militaire (hors contexte diplomatique ou politique), leur viabilitĂ© est conditionnĂ©e selon le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux par un bon ratio permanents-tournants et par le maintien de capacitĂ©s de prĂ©paration opĂ©rationnelle (les centres d’aguerrissement de l’outre-mer et de l’étranger - CAOME) au profit des armĂ©es africaines comme de nos propres forces. ‱ Une formule qui a montrĂ© son succĂšs Ă  Dakar Le dĂ©placement des rapporteurs leur a permis de mesurer, avec quelques annĂ©es dĂ©jĂ  de recul, l’impact de la transformation des Forces françaises du Cap Vert en ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal, Ă©tude d’autant plus intĂ©ressante que la mĂȘme transformation est envisagĂ©e pour Libreville. Il en ressort que le bilan de cette transformation est jugĂ© positif. Certes, comme l’attachĂ© de dĂ©fense l’a indiquĂ© aux rapporteurs, la dissolution du 23e bataillon d’infanterie de marine a Ă©tĂ© « vĂ©cu comme un dĂ©sengagement, voire un traumatisme pour les officiers sĂ©nĂ©galais qui Ă©taient habituĂ©s Ă  sa prĂ©sence » : ils avaient avec les Forces françaises du Cap Vert un rapport « plus affectif ».


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L’ambassadeur de France a relevĂ© lui aussi que le nouvel outil que constitue le pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration demandait « un temps d’appropriation par nos partenaires ». L’ambassadeur a toutefois jugĂ© que le POC de Dakar constituait dĂ©sormais « un trĂšs bel outil », et que les demandes de formation adressĂ©es par les États de la sous-rĂ©gion dĂ©passaient mĂȘme le volume d’offre disponible. Il a surtout soulignĂ© que, selon lui, la formule du POC avait fait ses preuves Ă  plusieurs Ă©gards, notamment Ă  la lumiĂšre de son rĂŽle dans l’opĂ©ration Serval : – la transformation de forces de prĂ©sence en simple pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration n’a pas privĂ© la France de capacitĂ©s de rĂ©action rapide. En effet, c’est depuis Dakar que les travaux sur la planification, la conduite et le commandement de cette opĂ©ration avaient Ă©tĂ© menĂ©s en amont, et ce sont bien les EFS qui ont fourni Ă  la force Serval son « noyau clĂ© » ; – dĂ©diĂ© « Ă  temps plein » Ă  la coopĂ©ration et forts de personnels spĂ©cialisĂ©s en la matiĂšre, la structure et les moyens du pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration ont permis d’assurer un accompagnement des contingents africains de la MISMA en aval de leur formation Ă  Dakar, comme cela a Ă©tĂ© le cas pour les contingents togolais, sĂ©nĂ©galais, tchadiens, bĂ©ninois et burkinabĂ©s. Pour ce faire, le pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration a les moyens de mettre en place des dĂ©tachements de liaison avancĂ©s (DLA) qui assurent trois missions : 1./ l’aide aux contingents africains pour certaines opĂ©rations techniques, comme le guidage aĂ©rien ou le rĂ©glage des tirs d’artillerie ; 2./ la coordination avec les unitĂ©s françaises ; 3./ un retour d’informations utile pour les forces françaises ; – le pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration permet d’exploiter toutes les potentialitĂ©s logistiques offertes par le site de Dakar, et notamment ses infrastructures portuaires et aĂ©roportuaires. Ainsi, l’ambassadeur a rappelĂ© aux rapporteurs qu’une large part du matĂ©riel destinĂ© Ă  armer la force Serval a transitĂ© par le port de Dakar, et non par celui d’Abidjan. De plus, l’aĂ©roport de Dakar s’est avĂ©rĂ© utile lorsque ceux de Bamako et de Niamey ont Ă©tĂ© saturĂ©s, du fait de leur faible capacitĂ© d’accueil. Enfin, les infrastructures des EFS permettent de prĂ©positionner des matĂ©riels, soit au titre du dispositif guĂ©pard pour ce qui est destinĂ© aux forces françaises, soit au titre du processus de RECAMP pour ce qui est destinĂ© aux forces africaines. Ce constat a Ă©tĂ© pleinement partagĂ© devant les rapporteurs par le gĂ©nĂ©ral Louis Duhaut, commandant des ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal. Il leur a exposĂ© les bĂ©nĂ©fices du pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration dans les termes suivants : 1./ Une nouvelle dimension opĂ©rationnelle qui privilĂ©gie le continuum coopĂ©ration (formation) engagement opĂ©rationnel. Pour le pays-hĂŽte, le partenariat de coopĂ©ration opĂ©rationnelle avec la France prend une orientation diffĂ©rente et plus enrichissante, dĂ©diĂ©e Ă  la constitution et Ă  la consolidation des capacitĂ©s militaires locales. Pour les autres pays de la zone de responsabilitĂ©


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principale (ZRP), le pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration augmente les capacitĂ©s de coopĂ©ration bilatĂ©rale. La composition interarmĂ©es du POC, Ă  base essentiellement de cadres et de militaires du rang expĂ©rimentĂ©s, permet de dĂ©livrer des instructions Ă  la carte dans la durĂ©e et en s’appuyant sur un catalogue de rĂ©fĂ©rence. Les interactions avec les forces armĂ©es de la ZR, sous couvert des missions diplomatiques et des attachĂ©s de dĂ©fense sont nombreuses et variĂ©es (sous la forme de dĂ©tachements d’instruction opĂ©rationnelle (DIO), de dĂ©tachements d’instruction technique (DIT) et du soutien cadre aux exercices 
). La capacitĂ© Ă  armer le noyau-clĂ© d’un PCIAT est maintenue, ainsi que la capacitĂ© Ă  prendre le commandement opĂ©ratif d’une force venue en renfort. L’opĂ©ration Serval a illustrĂ© cette capacitĂ©. 2./ Un Ă©chelon rĂ©gional de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle qui facilite le continuum sĂ©curitĂ©-dĂ©fense portĂ© par la CEDEAO. L’action du pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration rayonne dans l’ensemble des pays de la zone de responsabilitĂ© du COMELEF, en soutien de l’implication des attachĂ©s de DĂ©fense et des missions de coopĂ©ration militaire. Ce rayonnement bĂ©nĂ©ficie Ă©galement au pays-hĂŽte. La constitution d’un rĂ©seau de correspondants dans tous ces pays donne une vĂ©ritable dimension d’échelon opĂ©ratif de coopĂ©ration au POC qui propose au niveau stratĂ©gique, notamment, les apprĂ©ciations de synthĂšse pour la rĂ©gion et les points particuliers de renseignements collectĂ©s lors des dĂ©tachements d’instruction. De plus, le pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration conduit son action selon une approche globale garantissant toute la cohĂ©rence et la coordination nĂ©cessaires avec la coopĂ©ration structurelle (voire autres coopĂ©rations). Il apporte son concourt, en soutien des autoritĂ©s civiles et des services de l’État vernaculaires (et non en complĂ©ment ou en substitution). Ceci se fait notamment dans le domaine de « l’action de l’État en mer (AEM) » et dans le domaine de la sĂ©curitĂ© civile (les pompiers des ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal interviennent rĂ©guliĂšrement en soutien des forces de sĂ©curitĂ© ivoiriennes, prioritairement dans les quartiers jouxtant les entreprises des EFS). 3./ Une prĂ©sence militaire française maintenue, aussi bien sous la forme des bĂątiments et aĂ©ronefs en relĂąche opĂ©rationnelle (capacitĂ© de transit), que sous la forme de capacitĂ©s stationnĂ©es Ă  demeure ou en alternance ; c’est le cas de l’Atlantique 2 placĂ© sous contrĂŽle opĂ©rationnel du commandant des ÉlĂ©ments français pour certaines missions. Par ailleurs, le pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration fournit un point d’appui stratĂ©gique pour la mission Corymbe et pour la prĂ©paration opĂ©rationnelle des forces qui trouvent au SĂ©nĂ©gal un terrain d’instruction et de manƓuvre de qualitĂ© (par exemple, liens entre les Ă©coles d’application de ThiĂšs et de Draguignan). 4./ Une nouvelle Ă©conomie. Le concept de pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration s’inscrit dans la logique globale du dispositif permanent des forces armĂ©es en Afrique et contribue Ă  l’effort budgĂ©taire demandĂ© aux armĂ©es. Dans le


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domaine des ressources humaines, son organisation doit notamment rĂ©pondre au double compromis du volume seuil et de la rĂ©partition optimale entre les postes de longue et de courtes durĂ©es (sachant que la confiance et la connaissance rĂ©ciproques nĂ©cessitent de maintenir, sans doute plus qu’ailleurs, certains personnels deux ou trois ans en poste).


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SECONDE PARTIE PRÉSENCE ET INTERVENTION MILITAIRES NE DOIVENT PAS RÉSUMER NOTRE POLITIQUE AFRICAINE Comme le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain l’a fait valoir devant les rapporteurs, « rĂ©flĂ©chir sur le dispositif militaire et les interventions françaises en Afrique, c’est in fine rĂ©flĂ©chir sur la politique africaine de la France ». C’est sous cet angle que les rapporteurs ont menĂ© leurs travaux. I. LE SUIVI DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES EN COURS MONTRE LES LIMITES DES CAPACITÉS FRANÇAISES D’INTERVENTION DANS LES CRISES AFRICAINES

ConformĂ©ment au mandat que leur a confiĂ© la commission, les rapporteurs ont consacrĂ© une part importante de leurs travaux au suivi des deux opĂ©rations extĂ©rieures majeures en cours sur le sol africain : les opĂ©rations Serval au Mali et Sangaris en RĂ©publique centrafricaine. Ce suivi prĂ©sente un double intĂ©rĂȘt : d’une part, il s’inscrit dans le cadre du nĂ©cessaire contrĂŽle parlementaire des opĂ©rations dont la prolongation a Ă©tĂ© votĂ©e par le Parlement ; d’autre part, l’expĂ©rience de ces opĂ©rations est riche d’enseignements, Ă  la fois sur les capacitĂ©s de nos armĂ©es et sur l’articulation de l’action de la France avec celle de ses partenaires sur le continent africain. Comme le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre l’a fait valoir aux rapporteurs, il s’agit de deux opĂ©rations « totalement diffĂ©rentes » : la mission des forces françaises diffĂšre, et la nature de l’ennemi aussi. Au Mali, « l’ennemi veut nous porter des coups, et nous avons des partenaires ». En RĂ©publique centrafricaine, « nous cherchons Ă  sĂ©parer deux camps, qui restent calmes en prĂ©sence des soldats français (et relativement calmes en prĂ©sence de la MISCA) ». A. L’OPÉRATION SERVAL AU MALI : UN SUCCÈS INDÉNIABLE, QU’IL EST URGENT D’EXPLOITER SUR LE PLAN POLITIQUE POUR NE PAS PERDRE L’AVANTAGE ACQUIS EN 2013 1. L’indĂ©niable succĂšs militaire de l’intervention française

a. Un dĂ©fi logistique permanent SchĂ©matiquement, nos armĂ©es ont Ă©tĂ© conçues pendant plusieurs dĂ©cennies en vue de mener des opĂ©rations de guerre de haute intensitĂ© avec des capacitĂ©s massives sur des thĂ©Ăątres europĂ©ens relativement compacts, la prĂ©sence outre-mer et Ă  l’étranger restant plus lĂ©gĂšre. Une opĂ©ration comme Serval les place dans une position tout Ă  fait diffĂ©rente : les forces françaises ont eu Ă  mener des combats de


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haute intensitĂ©, notamment dans l’Adrar des Ifoghas, sur un thĂ©Ăątre immense et avec des capacitĂ©s relativement limitĂ©es, donc dispersĂ©es. Il en ressort que la logistique prend une place cruciale dans le succĂšs de ce type d’opĂ©rations, que ce soit dans la phase aiguĂ« des combats, ou dans la phase de stabilisation qui s’ensuit. i. Dans la phase « aiguĂ« » des opĂ©rations, en 2013 Les rapporteurs ne reviendront pas en dĂ©tail sur le dĂ©roulement de l’opĂ©ration Serval, qui a dĂ©jĂ  fait l’objet du rapport d’information prĂ©citĂ© de nos collĂšgues Christophe Guilloteau et Philippe Nauche. Ils soulignent que, comme ce rapport d’information le montrait en dĂ©tail, l’opĂ©ration Serval peut ĂȘtre vue comme l’archĂ©type de ce que les militaires appellent une opĂ©ration « log-driven », c’est-Ă -dire une action dans laquelle les moyens logistiques sont dĂ©terminants – il convient de souligner Ă  cet Ă©gard que l’opĂ©ration Serval peut ĂȘtre vue comme un grand succĂšs logistique. Selon les explications fournies aux rapporteurs par l’adjoint aux soutiens interarmĂ©es du commandant de la force Serval, ce dĂ©fi logistique a aujourd’hui quatre aspects majeurs : – les Ă©longations sont considĂ©rables, comme le montrent les cartes ci-aprĂšs ; – les conditions climatiques et mĂ©tĂ©orologiques ont pour consĂ©quence une usure trĂšs rapide des matĂ©riels et des personnels, ce qui appelle la mise en place de moyens de maintenance et de soutien de l’homme considĂ©rables par leur volume ; – les ressources locales Ă©tant limitĂ©es, particuliĂšrement dans le Nord, le dispositif de soutien ne peut pas ĂȘtre aussi largement externalisĂ© que sur d’autres thĂ©Ăątres, et les possibilitĂ©s d’approvisionnement local sont trĂšs rĂ©duites : les flux logistiques sont donc constants et intenses, au point que les logisticiens ont Ă©voquĂ© devant les rapporteurs des « flux d’entretien tyranniques pour l’eau et le carburant ».


— 161 — LES ÉLONGATIONS AU MALI

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

Le gĂ©nĂ©ral Bernard Barrera, qui commandait alors la brigade Serval, est revenu sur les consĂ©quences que ces contraintes logistiques ont fait peser sur la conduite des opĂ©rations. Pour lui, Serval Ă©tait marquĂ©e par un « dĂ©sĂ©quilibre avant » : dans la premiĂšre guerre du Golfe, « on a attendu six mois pour se lancer », alors que la logique de Serval est totalement diffĂ©rente : « entrer en premier et foncer : on y est formĂ©s, c’est une belle opĂ©ration, c’est le rĂȘve de tous les officiers ». La force a toutefois « eu de la chance : elle a eu une pĂ©riode d’échauffement, dans la mesure oĂč Tombouctou a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© sans un coup de fusil ». Cette pĂ©riode a Ă©tĂ© « utile car on Ă©tait trĂšs limite en eau, en carburant, en munitions, etc. ». Ainsi, les deux semaines sans combat ont permis de mettre en place les flux et d’acheminer depuis la France les approvisionnements nĂ©cessaires, en ajustant les dotations initiales. Le gĂ©nĂ©ral a lui aussi soulignĂ© que la logistique a Ă©tĂ© dĂ©terminante, et « au niveau des moyens logistiques stratĂ©giques, la situation Ă©tait tendue », car : – la France manque de vecteurs aĂ©riens stratĂ©giques ; – le thĂ©Ăątre manquait aussi de plateformes : la premiĂšre question que se posait le commandement Ă©tait : y a-t-il une piste ? Comment assurer l’alimentation en carburant ? Il a donc fallu augmenter la capacitĂ© pĂ©troliĂšre locale dans certaines zones, et la crĂ©er ex nihilo Ă  Tombouctou et Gao, oĂč la piste Ă©tait d’ailleurs « trĂšs difficile ». Le 17e rĂ©giment du gĂ©nie parachutiste (17e RGP) et le 25e rĂ©giment du gĂ©nie de l’Air (25e RGA) ont rĂ©ussi Ă  remettre en Ă©tat les pistes de Gao et de Tessalit.


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NĂ©anmoins, le commandement ne pouvait pas compter seulement sur les avions pour assurer la logistique : ceux-ci ont en effet connu des problĂšmes de disponibilitĂ© et des ruptures capacitaires. Dans le climat malien, il Ă©tait impossible d’effectuer plus de six Ă  sept vols par jour avec un Transall. D’oĂč l’importance des trains de camions : « ils apportaient tout, sauf besoins d’urgence », comme, par exemple, lorsque menaçait un manque de munitions pendant la bataille de l’AmettetaĂŻ. Or, pour rallier Tessalit depuis Gao, il fallait trois jours
 et ce d’autant que les camions de la logistique sont « Ă  bout de souffle » : « les porteurs ont tenu en limite ». L’acheminement des approvisionnements et des piĂšces de rechange s’en est donc trouvĂ© compliquĂ©. En outre, la chaleur n’était pas sans effet sur l’emploi des missiles, les tempĂ©ratures maximales Ă©tant parfois proches d’ĂȘtre atteintes, ce qui imposait de prendre des mesures particuliĂšres d’amĂ©nagement des dĂ©pĂŽts de munitions. Par ailleurs, le soutien sanitaire a « monopolisĂ© tous les moyens disponibles », avec notamment quatre antennes chirurgicales avancĂ©es. Toutefois, si « personne n’est mort faute de soins », « la golden hour n’était pas assurĂ©e ». Ce qui vaut pour les moyens humains vaut aussi pour les approvisionnements en produits pharmaceutiques : « le premier mois, on Ă©tait trĂšs lĂ©gers
 ». ii. Dans la phase actuelle des opĂ©rations, dont le pivot est la base de Gao Le dĂ©placement des rapporteurs Ă  Bamako et Ă  Gao leur a permis d’étudier sur le terrain les contraintes logistiques pesant sur l’opĂ©ration Serval dans sa phase actuelle, marquĂ©e Ă  la fois par la poursuite de la lutte antiterroriste et la dĂ©flation progressive de la force. Ainsi, les logisticiens doivent assurer de maniĂšre concomitante le renouvellement des matĂ©riels et des hommes projetĂ©s dans le cadre de l’opĂ©ration Serval, le soutien des opĂ©rations menĂ©es sur le vaste territoire du Mali, et le dĂ©sengagement d’une partie des matĂ©riels et des effectifs conformĂ©ment au plan de dĂ©sengagement progressif de la force, dont le poids logistique est jugĂ© « trĂšs important ». ‱ Une contrainte supplĂ©mentaire : assurer les rotations et le dĂ©sengagement progressif de la force Au moment du dĂ©placement des rapporteurs au Mali, le dĂ©sengagement de la force Serval Ă©tait planifiĂ© avec prĂ©cision, et dĂ©jĂ  entamĂ©, comme le montre le graphique ci-aprĂšs. ConformĂ©ment au mandat assignĂ© Ă  cette force par les rĂ©solutions des Nations unies, l’objectif fixĂ© consistait Ă  en stabiliser l’effectif autour de 1 100 personnels (hors forces spĂ©ciales) chargĂ©s de missions « coup de poing » de lutte antiterroriste, en complĂ©ment de l’action des Forces armĂ©es maliennes (FAMa) et de la Mission multidimensionnelle intĂ©grĂ©e des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Ce contingent sera basĂ© pour l’essentiel Ă  Gao, les dĂ©flations devant peser principalement sur les effectifs encore prĂ©sents Ă  Bamako.


— 163 — LA PROGRESSION DU DÉSENGAGEMENT DE LA FORCE SERVAL AU PREMIER TRIMESTRE 2014 – EFFECTIFS

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

Il faut insister sur l’importance logistique de cette manƓuvre de dĂ©sengagement : en mars 2014, 230 des 410 matĂ©riels dont l’évacuation Ă©tait planifiĂ©e avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© retirĂ©s du thĂ©Ăątre malien, comme le montre le schĂ©ma ci-aprĂšs. Majoritairement rapatriĂ©s depuis Gao, ces matĂ©riels parcourent 2 500 kilomĂštres par voie routiĂšre jusqu’au port d’embarquement d’Abidjan ; chaque convoi, essentiellement externalisĂ©, dure 35 jours (aller – retour). LA PROGRESSION DU DÉSENGAGEMENT DE LA FORCE SERVAL AU PREMIER TRIMESTRE 2014 – MATÉRIELS

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

‱ Une consĂ©quence notable : le coĂ»t humain et financier d’une logistique « hors normes » dans l’opĂ©ration Serval

Les rapporteurs relĂšvent que les personnels du bataillon logistique de Gao (bataillon « Camargue ») qu’ils ont rencontrĂ©s jugent « extrĂȘmement tendus » les flux logistiques, qui reposent principalement sur l’organisation de convois routiers. Il faut au minimum trois jours pour rallier Gao depuis Bamako, et les


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conditions de sĂ©curitĂ© sur le territoire leur imposent de composer des « caravanes blindĂ©es autonomes pendant sept jours », constituĂ©es pour moitiĂ© de vĂ©hicules de commandement et de soutien. Comme le reconnaĂźt le commandement de la force, « beaucoup repose sur l’endurance du soldat logisticien » ; Ă  titre d’exemple, les rapporteurs relĂšvent que ceux qui assurent les convois de Bamako Ă  Gao ne disposent que de quatre jours de temps de rĂ©cupĂ©ration sur la base de Gao – temps pendant lequel ils doivent par ailleurs assurer le maintien en condition opĂ©rationnelle de leurs matĂ©riels roulants – et que la tendance est Ă  la baisse de la durĂ©e de ces temps de rĂ©cupĂ©ration. Ces conditions particuliĂšres expliquent qu’une part trĂšs importante des effectifs dĂ©ployĂ©s est constituĂ©e de logisticiens. Sur les 1 000 personnels environ de la base de Gao, le bataillon logistique en compte 400. Ce ratio « logisticiens / effectifs totaux » de 40 % est particuliĂšrement Ă©levĂ© : pour l’opĂ©ration Sangaris, il ne dĂ©passe pas 12 %, selon les indications fournies aux rapporteurs Ă  Gao. Et encore, l’effectif du bataillon logistique est jugĂ© « minimal » par le commandement. Pour rĂ©pondre Ă  ce dĂ©fi, le dispositif logistique de la force Serval est majoritairement dĂ©ployĂ© Ă  Bamako et Gao, comme le montre la carte ci-aprĂšs. L’aĂ©roport de Bamako permet de rĂ©ceptionner les ressources destinĂ©es Ă  la force : c’est ainsi le point d’appui logistique d’entrĂ©e de thĂ©Ăątre, de mĂȘme qu’un hub qui permet de faire transiter des ressources vers les autres opĂ©rations de la sous-rĂ©gion (Épervier au Tchad, Licorne en CĂŽte d’Ivoire, Sabre pour les forces spĂ©ciales dans la rĂ©gion). Le centre de gravitĂ© du contingent français est situĂ© Ă  Gao, plate-forme Ă  partir de laquelle sont soutenues toutes les opĂ©rations de la force Serval. Le dispositif logistique est aussi composĂ© de plots de ravitaillements dans la rĂ©gion de Gao ou vers la frontiĂšre algĂ©rienne. Ces plots sont destinĂ©s Ă  assurer un soutien de proximitĂ© au profit des dĂ©tachements isolĂ©s (1). Ils ont la particularitĂ© de disposer d’une piste, ce qui permet de procĂ©der Ă  des ravitaillements par voie aĂ©rienne ou d’effectuer des Ă©vacuations sanitaires par le CASA NURSE de l’armĂ©e de l’air. Chacun de ces plots est dotĂ© des diverses ressources (eau, carburant, etc.) leur garantissant une autonomie de fonctionnement d’au minimum quinze jours. Ils servent ponctuellement de point de ravitaillement aux forces spĂ©ciales, en particulier Ă  Tessalit et Ă  Tombouctou.

(1) Notamment les dĂ©tachements de liaison et d’appui (DLA) et les dĂ©tachements d’appui opĂ©rationnel (DAO) français placĂ©s auprĂšs des FAMa, de l’EUTM et de la MINUSMA, composĂ©s de 32 personnels français.


— 165 — LE DISPOSITIF LOGISTIQUE DE SERVAL

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

Le dĂ©placement des rapporteurs Ă  Gao leur a Ă©galement permis de faire le point sur les conditions de sĂ©curisation des convois. En effet, les menaces existant sur les axes logistiques – qu’illustre la carte ci-aprĂšs – contraignent la force Ă  doter les convois logistiques d’un important Ă©lĂ©ment de protection.


— 166 — LA MENACE SUR LES AXES LOGISTIQUES

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

L’ARMEMENT DES CONVOIS ADAPTÉ À LA MENACE

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

Ces observations factuelles ne doivent pas ĂȘtre interprĂ©tĂ©es comme une remise en question des choix opĂ©rĂ©s. En effet, comme le colonel Paul Peugnet, commandant de la force Épervier, l’a fait valoir aux rapporteurs, la comparaison des ratios


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soutenants / soutenus prĂ©sente plusieurs limites mĂ©thodologiques, dans la double mesure oĂč : – ils sont commandĂ©s par les conditions du thĂ©Ăątre, qu’il s’agisse des conditions gĂ©ographiques (les Ă©longations, le climat, etc.) ou des conditions Ă©conomiques, le tissu industriel et commercial local permettant ou non de procĂ©der Ă  des externalisations ; – la logistique ne doit pas ĂȘtre vue comme une composante subalterne de la force, mais bien comme un « facteur de puissance » en projection. Plus gĂ©nĂ©ralement, le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air a estimĂ© que les fonctions de soutiens sont « trĂšs liĂ©es Ă  l’opĂ©rationnel » et que si l’on a rĂ©duit les effectifs de personnels considĂ©rĂ©s comme des « soutiens » en France, cela a pour consĂ©quence regrettable de rĂ©duire considĂ©rablement le vivier disponible pour les missions de courtes durĂ©es ou les projections en opĂ©rations extĂ©rieures en Afrique. Un juste Ă©quilibre reste Ă  trouver, et « l’on arrive au bout de la logique permettant de rĂ©duire les effectifs en France pour les conserver en Afrique ». b. Une mission de contre-terrorisme qui est loin d’ĂȘtre achevĂ©e Le dĂ©placement des rapporteurs au Mali leur a permis de faire le point sur la situation sĂ©curitaire du Nord du pays un an aprĂšs les principales actions de force de l’opĂ©ration Serval, et six mois aprĂšs l’élection d’Ibrahim Boubacar KeĂŻta Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique. ‱ Une situation sĂ©curitaire marquĂ©e par une menace terroriste permanente Tous les interlocuteurs rencontrĂ©s s’accordent sur un constat : la situation sĂ©curitaire reste imprĂ©visible dans le Nord du Mali, et la tendance est Ă  la reprise des incidents. Pour le commandement de Serval, « la menace terroriste reste permanente ». En outre, comme l’a soulignĂ© le prĂ©sident de la commission de la DĂ©fense nationale, de la sĂ©curitĂ© et de la protection civile, M. Karim Keita, la sĂ©curitĂ© du territoire n’est que relative : en dehors des grandes villes, les forces de sĂ©curitĂ© n’ont pas encore Ă©tabli de maillage territorial consĂ©quent. Ainsi, comme le gĂ©nĂ©ral Vianney Pillet, chef d’état-major de la MINUSMA, l’a dĂ©clarĂ© Ă  la mission, il ressort des observations de l’ONU que le mois de fĂ©vrier 2014 avait Ă©tĂ© le plus intense en incidents depuis la fin des opĂ©rations initiales de l’opĂ©ration Serval.


— 168 — PRINCIPAUX « ÉVÉNEMENTS SÉCURITAIRES » DU PREMIER TRIMESTRE 2014 AU MALI

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

Selon les renseignements fournis aux rapporteurs en mars 2014, tant par les forces de la MINUSMA que par celles de l’opĂ©ration Serval et par les services compĂ©tents de l’ambassade de France, on observait dĂ©jĂ  une aggravation de la situation sĂ©curitaire avec le redĂ©ploiement de groupes armĂ©s djihadistes ou terroristes dans trois foyers principaux : – prĂšs du Niger et autour de Gao : reconstitution du MUJAO autour d’un noyau d’une centaine de combattants qui se fondent trop aisĂ©ment dans la population pour que le contingent de 850 militaires nigĂ©riens qui y stationne sous la banniĂšre de la MINUSMA n’en vienne Ă  bout ; – dans le massif du Tigharghar : repositionnement d’élĂ©ments d’AQMI dans une zone qui constitue un vĂ©ritable « chĂąteau fort », trĂšs difficile d’accĂšs pour la MINUSMA ; – dans la rĂ©gion de Tombouctou et prĂšs de la frontiĂšre algĂ©rienne, divers groupes se constituent, et si la plupart sont en pourparlers avec Bamako, ils n’en reprĂ©sentent pas moins une menace. L’effectif de ces groupes Ă©tait alors Ă©valuĂ© Ă  un niveau relativement limitĂ© – 400 Ă  600 combattants selon le commandement de l’opĂ©ration Serval – et


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ils Ă©taient gĂ©ographiquement circonscrits. Pour le chef d’état-major de la MINUSMA, des moyens du format de ceux de l’opĂ©ration Serval auraient suffi Ă  les dĂ©truire. Toutefois, Ă  dĂ©faut d’action d’envergure contre eux, ils restent imprĂ©visibles, et selon le commandement de l’opĂ©ration Serval, ils se sont adaptĂ©s en adoptant des modes d’action asymĂ©triques – on retiendra notamment la croissance des occurrences de tirs de roquettes et de poses d’engins explosifs improvisĂ©s, que prĂ©sente le graphique ci-aprĂšs –, suivant une tactique de harcĂšlement face Ă  la puissance de feu française. Il s’agit donc d’un ennemi furtif, pugnace et bien adaptĂ©, maintenant une pression forte sur la population. LA MENACE DE PLUS EN PLUS PRÉGNANTE DE TIRS DE ROQUETTES

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

Selon les analyses de l’état-major de la force Serval prĂ©sentĂ©es aux rapporteurs en mars 2014, les mois Ă  venir devaient ĂȘtre marquĂ©s par la poursuite des tendances suivantes : – la poursuite et une intensification des actions « asymĂ©triques », avec une progression rapide des « savoir-faire » des groupes armĂ©s djihadistes / groupes armĂ©s terroristes : avec des techniques de plus en plus « militaires », cette menace ne peut ĂȘtre traitĂ©s que par les forces armĂ©es ; – une reconstitution progressive des groupes djihadistes ou terroristes et leur rapprochement ;

armés

rebelles,

– des tentatives de harcĂšlement des FAMa, de la MINUSMA et des forces de Serval, visant Ă  les contraindre Ă  se concentrer sur la protection de leurs emprises, au dĂ©triment de leur capacitĂ© de dĂ©ploiement. Cette analyse est largement confirmĂ©e par les Ă©vĂ©nements qui se sont produits deux mois aprĂšs le dĂ©placement des rapporteurs, Ă  Kidal et dans sa rĂ©gion, dont le Mouvement national pour la libĂ©ration de l’Azawad (MNLA), le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) et le Haut Conseil pour l’unitĂ© de


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l’Azawad (HCUA) ont pris le contrĂŽle Ă  la faveur d’une attaque concertĂ©e lors du premier dĂ©placement dans cette ville du Premier ministre malien. Les Ă©vĂ©nements de mai 2014 ont ainsi montrĂ© la capacitĂ© des groupes armĂ©s rebelles, terroristes ou djihadistes Ă  reprendre du terrain. ‱ Une menace difficile Ă  Ă©valuer La multiplicitĂ© des groupes armĂ©s rebelles, terroristes ou djihadistes opĂ©rant au Nord du Mali complique l’apprĂ©ciation de la menace, comme en tĂ©moigne l’encadrĂ© ci-aprĂšs. « COSMOGONIE » DES GROUPES ARMÉS REBELLES, TERRORISTES OU DJIHADISTES OPÉRANT AU NORD DU MALI D’aprĂšs les renseignements fournis aux rapporteurs, les principaux groupes rebelles, terroristes ou djihadistes en prĂ©sence sont les suivants : 1./ Le Mouvement national de libĂ©ration de l’Azawad (MNLA) est, schĂ©matiquement, travaillĂ© par cinq tendances : – une tendance pro-algĂ©rienne, reprĂ©sentĂ©e par Mohamed Ag Najim (lui-mĂȘme possĂ©dant la nationalitĂ© algĂ©rienne), qui vit largement du trafic de drogue ; – une tendance plus proche de Ouagadougou, reprĂ©sentĂ©e par Bilal Ag Acherif, qui joue actuellement la carte du Maroc et ne donne pas dans le trafic de drogue. Elle repose toutefois sur la mĂȘme base tribale que le courant de Mohamed Ag Najim (la classe dominante des Ifoghas), ce qui Ă©vite entre eux toute hostilitĂ© marquĂ©e ; – le clan de Menaka, dirigĂ© par Bajan Ag Hamatou, particuliĂšrement hostile au MUJAO (trois de ses fils ont Ă©tĂ© tuĂ©s dans leurs luttes) et aux Peuls. Assez proche du pouvoir de Bamako, il nourrit une certaine rancƓur envers les autres cadres du MNLA qui ne sont pas venus le soutenir quand celui-ci Ă©tait en difficultĂ© ; – la branche des Imrad, tribu qui cherche Ă  ravir aux Ifoghas le contrĂŽle de Kidal. Cette branche est liĂ©e aux Forces armĂ©es maliennes (FAMa) et joue la carte de Bamako contre les Ifoghas et, accessoirement, contre les Peuls. C’est d’ailleurs un Imrad, le gĂ©nĂ©ral Ag Gamou, qui a combattu le plus au sein des FAMa lors de la crise de 2012-2013 ; – une tendance arabe, constituĂ©e de membres de tribus arabes infĂ©odĂ©es Ă  des Touaregs. 2./ Le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), qui se structure en deux tendances : – l’une, portant des revendications politiques classiques d’autonomie, est prĂ©sente de Tombouctou Ă  Gao ; – l’autre, concentrĂ©e au nord de Tombouctou, est constituĂ©e d’ethnies diffĂ©rentes et tend Ă  se radicaliser dans ses revendications politiques au contact du MNLA, ainsi qu’à dĂ©velopper diverses activitĂ©s lucratives, qui vont du trafic de drogue Ă  diverses actions de prĂ©dation – c’est, aux termes d’un observateur averti, le « clan du business ». Le MAA dans son ensemble est plus Ă©loignĂ© du gouvernement de Bamako que ne l’est le MNLA et, au sein mĂȘme du MAA, la faction du Nord l’est encore plus. 3./ Le Haut Conseil pour l’unitĂ© de l’Azawad (HCUA), issu d’une dissidence du MNLA et dirigĂ© par Mohamed Ag Intalla avec le soutien de son pĂšre, l’Amenokal Intalla Ag Attaher, chef traditionnel des Touaregs Ifoghas. C’est ce mouvement qui, par peur de perdre le contrĂŽle de la rĂ©gion de Kidal sous l’effet de ciseaux formĂ© par les forces françaises d’une part, et par les ambitions des Imrads d’autre part, a retournĂ© ses alliances pendant la


— 171 — campagne de 2013. Renonçant Ă  toute revendication indĂ©pendantiste, il rĂ©clame aujourd’hui l’autonomie de l’Azawad et entretient des relations avec le gouvernement de Bamako. 4./ Al-Mourabitoune, qui rĂ©sulte du rapprochement de deux mouvements : – le MUJAO, pour ceux de ses Ă©lĂ©ments qui n’ont Ă©tĂ© ni dĂ©truits ni dispersĂ©s par l’opĂ©ration Serval, jouissant d’une bonne implantation dans les populations locales (dont ils sont originaires) et vivant essentiellement de narcotrafics, pour lesquels ils auraient Ă©tabli des liens d’affaires avec Boko Haram ; – un groupe de dissidents d’AQMI, dĂ©nommĂ© « El-Mouaguiine Biddam » emmenĂ©s par Mokhtar Belmokhtar. 5./ AQMI, mouvement « historique » qui demeure une rĂ©fĂ©rence idĂ©ologique clairement identifiĂ©e – ce qui lui permet de rallier d’anciens Ă©lĂ©ments d’Ansar Dine. Quoiqu’elle ait subi de lourdes pertes en hommes en en matĂ©riels lors de la campagne de 2013, AQMI reprendrait toutefois pied dans la vallĂ©e de l’AmettetaĂŻ. Selon le commandement de l’opĂ©ration Serval, les groupes armĂ©s djihadistes et les groupes armĂ©s terroristes ont tendance Ă  intensifier leur coopĂ©ration. Le dĂ©but de l’annĂ©e 2014 aurait notamment Ă©tĂ© marquĂ© par un rapprochement entre AQMI et Al-Mourabitoune, hĂ©ritier du MUJAO.

Il est Ă©galement Ă  noter que la perception de la menace diffĂšre profondĂ©ment selon que l’on se place du point de vue des autoritĂ©s de Bamako ou de celui des autoritĂ©s françaises ou internationales (MINUSMA). Ainsi, le MNLA et le Haut Conseil pour l’unitĂ© de l’Azawad (HCUA) sont considĂ©rĂ©s par les autoritĂ©s politiques de Bamako – y compris les parlementaires – comme des « terroristes », ou Ă  tout le moins comme le « cheval de Troie » des djihadistes au Mali. À l’inverse, mettant en avant le fait que ces mouvements sont signataires de l’accord de Ouagadougou du 18 juin 2013, la France et l’ONU ne les considĂšrent pas comme des ennemis, le chef d’état-major de la MINUSMA prĂ©cisant nĂ©anmoins qu’ils sont envisagĂ©s comme une menace potentielle en cas d’échec des nĂ©gociations. Le commandement de l’opĂ©ration Serval note toutefois que sur le terrain, il est « difficile de faire le tri » entre les signataires des accords de Ouagadougou et les autres groupes armĂ©s rebelles, djihadistes et terroristes. ‱ Un dĂ©fi opĂ©rationnel pour la force Serval : la lutte contre les groupes armĂ©s terroristes Comme l’a expliquĂ© aux rapporteurs le commandement de la force Serval, l’objectif principal de celle-ci est dĂ©sormais de maintenir sur les groupes armĂ©s terroristes une pression suffisante pour contenir leur tentative actuelle de reprise de terrain, les affaiblir et les « user ». 1./ À cette fin, la force conduit plusieurs types d’actions : – des patrouilles permanentes autour des villes de Tombouctou, d’Asongo, de Gao, de Kidal et d’Aguelhok notamment, que ce soit de façon autonome ou en fournissant un appui français aux patrouilles menĂ©es par les FAMa et la MINUSMA, au moyen de dĂ©tachements de liaison et d’appui (DLA)


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et de dĂ©tachements d’appui opĂ©rationnel (DAO). Comme il a Ă©tĂ© expliquĂ© aux rapporteurs, ces patrouilles ont un double intĂ©rĂȘt : d’une part, elles permettent de sĂ©curiser les zones concernĂ©es et, d’autre part, elles offrent des occasions de recueillir du renseignement d’origine humaine qui peut ĂȘtre prĂ©cieux, ne serait-ce que pour la sĂ©curisation des emprises françaises ; – des « actions d’influence », qui prennent diverses formes : key leader engagement (c’est-Ă -dire : action d’influence auprĂšs des personnalitĂ©s locales) ; low level engagement (ce qui revient, schĂ©matiquement, Ă  maintenir une prĂ©sence lĂ©gĂšre auprĂšs des populations afin de « couper leurs liens avec les groupes armĂ©s terroristes en luttant contre le « c’était mieux avant » »), et diverses actions de communication visant Ă  faciliter l’acceptation de la prĂ©sence française par les populations locales ; – des actions ponctuelles, dĂ©crites aux rapporteurs comme « intel-led », c’est-Ă -dire consistant Ă  exploiter rapidement un renseignement recueilli. À titre d’exemple, il leur a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© une action qui a consistĂ©, en dĂ©cembre 2013, Ă  saisir plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium, composant chimique pouvant servir d’explosif ; – de plus vastes « opĂ©rations d’ensemble », mettant en Ɠuvre toute la gamme de moyens interarmĂ©es dont dispose la force Serval pour des actions de reconnaissance et/ou de frappe menĂ©es Ă  l’échelle du sous-groupement tactique interarmes (SGTIA) ou d’une section, pour 15 Ă  20 jours. De telles opĂ©rations sont menĂ©es notamment dans le massif du Tigharghar ; – des « opĂ©rations ciblĂ©es », consistant le plus souvent Ă  traiter une cible identifiĂ©e soit par les moyens de renseignement auxquels a accĂšs la force Serval, soit par la DGSE. 2./ Le commandant de la force Serval a soulignĂ© devant les rapporteurs qu’un des dĂ©fis dans la lutte antiterroriste tient Ă  l’importance du renseignement, qu’il soit d’origine humaine (ROHUM) ou Ă©lectromagnĂ©tique (ROEM), faisant systĂ©matiquement l’objet d’une vĂ©rification par des moyens de renseignement d’origine « image » (ROIM). Afin d’optimiser l’emploi des moyens de renseignement et l’efficacitĂ© du traitement des informations, l’organisation de la force Serval repose sur une « boucle courte multicapteurs » mise en Ɠuvre depuis Gao par un sous-groupement de renseignement multicapteurs (SGRM). Selon le commandement, cette organisation nouvelle « a fait toutes ses preuves », l’intĂ©gration du renseignement et de l’opĂ©rationnel au niveau du thĂ©Ăątre constituant une « nouveautĂ© » qui « produit des rĂ©sultats ». Cette « boucle courte » a pour principe : – de piloter plusieurs capteurs au plus prĂšs du thĂ©Ăątre, les sources prĂ©sentĂ©es aux rapporteurs Ă©tant les suivantes : 1./ des sources « 3D », avec notamment un drone tactique dotĂ© d’une autonomie d’une heure et d’une portĂ©e de


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10 kilomĂštres ; 2./ des sources dites « 4D », c’est-Ă -dire des capteurs Ă©lectromagnĂ©tiques (Ă©coute de communications radios, dĂ©tection de « bulles GSM », etc.) ; 3./ des moyens de recherche humaine, dits pour certains « 2D » (il s’agit notamment de patrouilles dans des zones dĂ©signĂ©es comme intĂ©ressantes), et pour d’autres « 5D », c’est-Ă -dire consistant Ă  anticiper les actions des groupes armĂ©s terroristes en exploitant des sources humaines, y compris lors de l’interrogatoire des prisonniers ; – de croiser ces informations afin d’identifier clairement la menace et de dĂ©finir la rĂ©ponse la plus efficiente Ă  lui apporter. Les entretiens conduits par les rapporteurs ont toutefois permis de mettre en lumiĂšre certaines limites et voies d’amĂ©liorations envisageables de ce dispositif : – alors que 70 % des communications interceptĂ©es sont Ă©noncĂ©es en langue Bambara, et une part significative en TamachĂšque, la force ne dispose pas d’interprĂštes pour ces langues : l’intĂ©rĂȘt des Ă©coutes se limite dĂšs lors Ă  observer, d’une part, leur frĂ©quence et les liens qui s’établissent et, d’autre part, « Ă  observer l’ambiance, au ton de la voix »  Le commandement reconnaĂźt que l’absence de locuteurs du Bambara et du TamachĂšque constitue une « vraie contrainte ». – le dĂ©cloisonnement du renseignement n’est pas encore complet. S’il a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© par le commandement que la situation s’était « amĂ©liorĂ©e », les responsables de l’intĂ©gration du renseignement n’en ont pas moins dit, en apartĂ© aux rapporteurs, que certaines unitĂ©s restaient « un peu cachottiĂšres ». Par ailleurs, il ressort des entretiens que la population du Nord du Mali reste « peu bavarde, par peur des reprĂ©sailles, les moins prudents d’entre eux ayant dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©liminĂ©s par les groupes armĂ©s terroristes ». De plus, le partage du renseignement avec les Maliens ne se heurte pas Ă  une mauvaise volontĂ© d’une partie ou d’une autre, mais aux techniques particuliĂšres des services compĂ©tents des FAMa qui, selon les responsables français compĂ©tents, font reposer leur dispositif sur l’exploitation de « rumeurs », mĂ©ritant frĂ©quemment d’ĂȘtre vĂ©rifiĂ©es avant de pouvoir ĂȘtre exploitĂ©es par les services français. 3./ Pour ce qui est du traitement des cibles ainsi dĂ©signĂ©es, le GTIA Vercors, basĂ© Ă  Gao, qui constitue le « fer de lance » de l’opĂ©ration Serval, disposait de 553 personnels au jour oĂč les rapporteurs sont allĂ©s Ă  leur rencontre. Son commandement le dĂ©crit comme une « boĂźte Ă  outils » dotĂ©e d’une gamme complĂšte de capacitĂ©s – une compagnie d’infanterie, un escadron blindĂ© lĂ©ger, un groupement de commandos parachutistes, etc. – mais en volume trĂšs comptĂ©. Le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a estimĂ© que l’« on manque de certains moyens pour retrouver notre libertĂ© d’action sans prise de risque pour nos soldats ». Outre le cas des drones tactiques dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©, le gĂ©nĂ©ral Ract Madoux a jugĂ© qu’il serait utile Ă  la force Serval de disposer de capacitĂ©s d’artillerie CAESAR : « en binĂŽme avec un drone, on tire Ă  40 kilomĂštres avec un total effet de surprise, mĂȘme de nuit ».


— 174 — 2. Une prise de relais indĂ©niablement insuffisante par les autoritĂ©s maliennes et la communautĂ© internationale – l’ONU et l’Europe

a. Un processus de « rĂ©conciliation nationale » en retard, si ce n’est en panne i. Les avancĂ©es de juin 2013, avec l’accord de Ouagadougou Les autoritĂ©s de Bamako avaient conclu le 18 juin 2013 avec deux groupes touaregs – le Mouvement national de libĂ©ration de l’Azawad (MNLA) et le Haut Conseil pour l’unitĂ© de l’Azawad (HCUA) – un accord nĂ©gociĂ© Ă  Ouagadougou, sous les auspices de M. Blaise CompaorĂ©, prĂ©sident du Burkina Faso. Cet accord visait Ă  pacifier la rĂ©gion – sans pour autant comporter d’engagement en matiĂšre de dĂ©sarmement des rebelles – avant la tenue des Ă©lections et la conclusion d’un « accord global et dĂ©finitif de paix ». Aux termes de cet accord, les Forces armĂ©es maliennes devraient entreprendre « dans les meilleurs dĂ©lais » un « dĂ©ploiement progressif » dans la rĂ©gion de Kidal ; le gouvernement malien avait alors dĂ©ployĂ© prĂšs de 200 hommes au plus vite et avant les Ă©lections. L’accord prĂ©voyait aussi que les forces rebelles touarĂšgues seraient « cantonnĂ©es », mais cette notion de cantonnement, et l’implantation desdits cantonnements, restaient des points d’achoppement entre les parties, conduisant Ă  un blocage de l’application de l’accord. Celui-ci stipulait qu’en tout Ă©tat de cause la MINUSMA sera dĂ©ployĂ©e dans la rĂ©gion de Kidal afin d’éviter toute confrontation entre les Forces armĂ©es maliennes et les rebelles. ii. Un processus Ă©lectoral trĂšs satisfaisant La tenue d’élections prĂ©sidentielles et lĂ©gislatives Ă©tait au cƓur de la stratĂ©gie de rĂ©tablissement de l’État malien, en ce qu’elle confĂšre au prĂ©sident Ă©lu et Ă  l’AssemblĂ©e nationale une lĂ©gitimitĂ© incontestable pour conduire le nĂ©cessaire processus de rĂ©conciliation nationale. Le dĂ©placement des rapporteurs Ă  Bamako et leurs entretiens avec les autoritĂ©s politiques maliennes – non seulement les membres du Gouvernement, mais Ă©galement les parlementaires de tous les groupes – leur ont permis de revenir sur les conditions dans lesquelles se sont tenues ces Ă©lections. Il apparaĂźt que leur organisation a Ă©tĂ© largement satisfaisante. En effet, les sociĂ©tĂ©s françaises Safran et Sagem ont Ă©tĂ© en mesure de fabriquer et de distribuer de nouvelles cartes Ă©lectorales – dites NINA – qui, comportant une photo de leur dĂ©tenteur, limitant grandement le risque de fraude Ă©lectorale. 90 % des cartes disponibles ont Ă©tĂ© retirĂ©es, ce qui constitue un indĂ©niable succĂšs. Par ailleurs, l’élection prĂ©sidentielle a mobilisĂ© prĂšs de 50 % du corps Ă©lectoral, ce qui, selon l’ambassadeur de France, est « un record pour le Mali ».


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Son rĂ©sultat confĂšre une indĂ©niable lĂ©gitimitĂ© au nouveau prĂ©sident, Ă©lu avec 78 % des suffrages exprimĂ©s. iii. Atermoiements et vicissitudes dans les discussions engagĂ©es depuis juin 2013 En dĂ©pit de la mise en place d’autoritĂ©s politiques fortes d’une incontestable lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique, le bilan des six premiers mois de la prĂ©sidence d’Ibrahim Boubacar KeĂŻta en matiĂšre de rĂ©conciliation nationale est perçu comme limitĂ© par la plupart des interlocuteurs maliens comme français des rapporteurs. L’actualitĂ© confirme ce que leur disait le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale du Mali : « dĂšs que l’on a l’impression que le Mali trouve enfin un chemin vers la paix, certains la torpillent ». ‱ La difficultĂ© pour Bamako de trouver un interlocuteur crĂ©dible Un des obstacles Ă  la reprise du dialogue national malien tient Ă  la difficultĂ© pour le gouvernement de Bamako et la communautĂ© internationale de trouver des interlocuteurs crĂ©dibles, c’est-Ă -dire formulant des revendications claires et fĂ©dĂ©rant l’essentiel des rebelles. Toutefois, sous les auspices du gouvernement algĂ©rien, les trois principaux mouvements rebelles du Nord du Mali – le MNLA, le HCUA et le MAA – ont publiĂ© le 9 juin 2014 une position commune, appelĂ©e « dĂ©claration d’Alger ». Des discussions exploratoires se sont poursuivies avec trois autres mouvements politiques d’importance significative : la fraction du MAA prĂ©sente dans la rĂ©gion de Gao et de Tombouctou, la Coordination pour le peuple de l’Azawad (CPA) et la Coordination des Mouvements et Fronts patriotiques de rĂ©sistance (CM-FPR). Le reprĂ©sentant spĂ©cial du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU pour le Mali a participĂ© Ă  ces discussions, qui ont abouti Ă  la signature le 14 juin dernier d’une « plate-forme » commune aux mouvements rebelles prĂ©citĂ©s. Selon les informations fournies aux rapporteurs, cette plate-forme formalise les « lignes de conduite » devant leur servir de base dans le cadre de « toute dĂ©marche visant la recherche d’une solution politique pacifique dĂ©finitive Ă  la crise du Nord avec le gouvernement malien ». Reste Ă  espĂ©rer que le temps n’érode pas cette volontĂ© d’Ɠuvrer Ă  la consolidation de la dynamique d’apaisement et de s’engager dans le dialogue intermalien « inclusif ». ‱ La difficultĂ© de Bamako Ă  prendre l’initiative d’un plan de paix viable Au moment de leur dĂ©placement au Mali, plusieurs observateurs jugeaient dĂ©jĂ  qu’en quelque sorte, « la balle Ă©tait dans le camp de Bamako », c’est-Ă -dire qu’il appartenait aux autoritĂ©s maliennes de prĂ©senter un projet de rĂ©solution politique de la crise au Nord.


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Pour plusieurs observateurs, la lenteur avec laquelle les autoritĂ©s avançaient sur ce terrain faisait peser deux risques majeurs sur le rĂšglement de la crise malienne : – un risque de pourrissement, si certains Ă  Bamako en venaient Ă  estimer que le temps jouait en leur faveur, pourvu que Serval et la MINUSMA assurent la sĂ©curitĂ© du Nord ; – le risque d’un « mauvais compromis », c’est-Ă -dire d’un accord passĂ© trop rapidement, sans accord politique de fond, en vue principalement de rassurer les bailleurs de fonds du pays. Ce qui Ă©tait perçu par nombre d’observateurs comme une forme d’attentisme peut s’expliquer par l’équilibre que le prĂ©sident KeĂŻta cherche Ă  maintenir entre deux courants dans l’opinion publique et la classe politique malienne : – ceux qui, comme le prĂ©sident lui-mĂȘme ou le ministre des Affaires Ă©trangĂšres, sont ouverts Ă  plusieurs options politiques, pourvu que soit garantie l’intĂ©gritĂ© territoriale du pays ; – ceux qui, comme le ministre chargĂ© de la rĂ©conciliation ou le Premier ministre, peuvent ĂȘtre tentĂ©s par une sorte de « surenchĂšre nationaliste ». Cette tentation n’est pas seulement prĂ©sente parmi les gĂ©nĂ©rations marquĂ©es par la culture politique anti-occidentale qui prĂ©valait au Mali dans les annĂ©es 1970 ; au contraire, cette tentation se retrouve aussi auprĂšs de jeunes responsables politiques de la gĂ©nĂ©ration du Premier ministre Moussa Mara. ‱ Des mĂ©diations qui compliquent la donne : l’intervention de l’AlgĂ©rie et du Maroc Comme le prĂ©sident burkinabĂš Blaise CompaorĂ© l’a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs, il n’est pas frĂ©quent que les mĂ©diations internationales qui aboutissent Ă  des rĂ©sultats satisfaisants soient menĂ©es successivement voire concomitamment par plusieurs mĂ©diateurs. Or les rapporteurs retirent de leurs entretiens dans les diffĂ©rents États de la sous-rĂ©gion qu’une certaine confusion a pu rĂ©gner dans l’organisation de la mĂ©diation entre le gouvernement malien et les groupes politiques du Nord. En effet, c’est sous les auspices du Burkina Faso qu’ont Ă©tĂ© entreprises les premiĂšres nĂ©gociations, mais trĂšs rapidement aprĂšs l’élection prĂ©sidentielle, l’implication des autoritĂ©s maliennes dans la mission de bons offices du prĂ©sident Blaise CompaorĂ© s’est trouvĂ©e trĂšs rĂ©duite. L’impression dominante Ă©tait alors que le prĂ©sident nouvellement Ă©lu souhaitait donner au processus de rĂ©conciliation un caractĂšre moins international, et davantage « intermalien ». Dans le mĂȘme temps, d’autres puissances de la rĂ©gion ont entrepris de fĂ©dĂ©rer les groupes du Nord en vue de faciliter les discussions : il s’agit principalement de l’AlgĂ©rie et du Maroc. Toutefois, pour les observateurs africains, les rivalitĂ©s historiques entre ces deux


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puissances et leurs intĂ©rĂȘts parfois divergents au Mali ne peuvent que compliquer les mĂ©diations. C’est finalement l’AlgĂ©rie qui semble s’imposer comme le mĂ©diateur principal dans le rĂšglement politique de la crise malienne. En effet, lors de la quatriĂšme rĂ©union du ComitĂ© bilatĂ©ral stratĂ©gique algĂ©ro-malien, tenue Ă  Alger les 14 et 15 juin 2014, les reprĂ©sentants du gouvernement malien ont donnĂ© leur accord pour qu’Alger poursuive ses entreprises de mĂ©diation au-delĂ  de la phase exploratoire qui a conduit Ă  l’élaboration de la plate-forme prĂ©citĂ©e. Dans le communiquĂ© final de cette rĂ©union, aprĂšs que la partie algĂ©rienne prĂ©sente les rĂ©sultats positifs de ces dĂ©marches exploratoires, la partie malienne exprime « sa haute apprĂ©ciation pour ces rĂ©sultats, qui constituent une base effective et constructive pour le lancement rapide, Ă  Alger, de la phase initiale du dialogue intermalien inclusif ». Les parties ont Ă©galement invitĂ© leurs partenaires rĂ©gionaux – le Tchad, la Mauritanie, le Niger et le Burkina Faso – et internationaux – principalement la MINUSMA et l’Union africaine – Ă  soutenir la mĂ©diation algĂ©rienne. Ces partenaires s’y sont engagĂ©s lors d’une rĂ©union Ă  Alger tenue le 16 juin 2014. Pour de nombreux observateurs, ces atermoiements dans l’organisation d’une mĂ©diation internationale, avec la relative marginalisation du Burkina Faso, n’ont pas contribuĂ© Ă  amorcer le processus de rĂ©conciliation nationale malienne dans des dĂ©lais aussi rapides qu’il eĂ»t Ă©tĂ© souhaitable au lendemain de la phase de combats de l’opĂ©ration Serval. Mais le rĂ©alisme commande de laisser une place Ă  l’AlgĂ©rie dans ce dialogue, dont certains estiment que la capacitĂ© de nuisance serait grande si elle avait le sentiment d’ĂȘtre tenue « en dehors du jeu ». Il est cependant Ă  noter qu’aprĂšs les Ă©vĂ©nements survenus Ă  Kidal en mai 2014, c’est le prĂ©sident mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, par ailleurs prĂ©sident de l’Union africaine, qui s’est rendu Ă  Kidal pour y nĂ©gocier un cessez-le feu entre les parties. ‱ La tentation de certains responsables maliens : trouver en Serval un bouc Ă©missaire aux difficultĂ©s qu’ils rencontrent pour rĂ©gler la question de Kidal Lors de leur dĂ©placement du mois de mars 2014, les rapporteurs ont pu constater que la situation sĂ©curitaire Ă  Kidal Ă©tait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e avec vigueur par la plupart de leurs interlocuteurs maliens. Ainsi, plusieurs parlementaires membres de la commission de la DĂ©fense nationale les avaient interpellĂ©s sur la question de savoir pourquoi la France cherchait – selon leurs analyses – Ă  Ă©viter que les Forces armĂ©es maliennes se dĂ©ploient Ă  Kidal. Ils faisaient valoir que tant que le dĂ©tachement des FAMa resterait cantonnĂ©, l’administration malienne ne pourrait se dĂ©ployer ni dans la ville ni dans sa rĂ©gion, empĂȘchant de ce fait toute normalisation de la situation sĂ©curitaire. Le prĂ©sident Karim Keita avait mĂȘme indiquĂ© que « le problĂšme de


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Kidal est une pilule extrĂȘmement difficile Ă  avaler pour les Maliens », crĂ©ant un profond « dĂ©senchantement » vis-Ă -vis de la France dans l’opinion publique. Il ajoutait que la population malienne aurait souhaitĂ© que la force Serval « aille jusqu’au bout » dans l’aide qu’elle a bien voulu apporter dans la lutte contre les groupes rebelles, en rĂ©duisant le MNLA comme elle a rĂ©duit le MUJAO et AQMI. Ils Ă©taient unanimes Ă  souhaiter que la France intervienne Ă  Kidal, faisant valoir, dĂšs le mois de mars 2014, que le MNLA et les groupes qui s’y rattachent avaient tendance Ă  agrĂ©ger les combattants des groupes rebelles dĂ©faits par la force Serval un an plus tĂŽt, et que de ce fait, « la menace se renforçait de jour en jour ». Si la suite des Ă©vĂ©nements peut paraĂźtre donner rĂ©trospectivement raison aux parlementaires maliens, il n’en demeure pas moins qu’au moment oĂč les rapporteurs les rencontraient, plusieurs Ă©lĂ©ments plaidaient et plaident encore en faveur d’une approche prudente, au plan militaire, dans le traitement de la question de Kidal : – la brigade Serval ne pouvait pas agir Ă  Kidal comme elle l’avait fait Ă  SĂ©varĂ© : Ă  SĂ©varĂ©, le champ de bataille Ă©tait un front, au sens classique du terme, tandis qu’à Kidal, il se serait agi d’une opĂ©ration de contre-insurrection en milieu urbain, autrement complexe ; – l’intervention française se place dans un cadre strictement dĂ©fini par le droit international, Ă©tabli en l’espĂšce par une rĂ©solution de l’ONU qui confie Ă  la MINUSMA la mission d’aider les FAMa Ă  maĂźtriser le territoire, Serval n’ayant plus Ă  mener que des opĂ©rations « coup de poing » contre des terroristes ; – dĂšs lors que les Touaregs de Kidal sont de nationalitĂ© malienne, la question du statut de cette ville mĂ©rite d’ĂȘtre abordĂ©e en premier lieu dans le cadre d’un dialogue national malien, d’ailleurs engagĂ© dĂšs le 18 juin 2013 avec les accords de Ouagadougou, plutĂŽt que par une intervention militaire Ă©trangĂšre ; – le processus de cantonnement des membres du MNLA – prĂ©alable Ă  leur dĂ©sarmement –, que conduit la MINUSMA conformĂ©ment Ă  son mandat et aux accords de Ouagadougou, devait permettre de « faire le tri » entre, d’une part, les rebelles qui acceptent d’entrer dans une dĂ©marche de nĂ©gociation avec le gouvernement malien et ne doivent pas en consĂ©quence ĂȘtre traitĂ©s en terroristes actifs et, d’autre part, ceux qui s’obstineraient Ă  refuser le cantonnement, prenant de ce fait une posture hostile qui peut appeler une autre rĂ©ponse ; – la situation de Gao et de Tombouctou montre, comme le disait alors l’ambassadeur de France, que « les choses peuvent s’arranger », quand bien mĂȘme la stabilisation puis la normalisation de la situation prendraient plus de temps Ă  Kidal que dans d’autres villes du Nord ; – par ailleurs, il y avait quelque chose de paradoxal Ă  ce que les Maliens reprochent Ă  la fois Ă  la France d’avoir stationnĂ© dans Kidal pendant quelques mois et d’en avoir cĂ©dĂ© le contrĂŽle Ă  la MINUSMA.


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En outre, comme le chef d’état-major de la MINUSMA l’a reconnu devant les rapporteurs, le Nord du Mali est « tellement immense qu’il sera toujours impossible d’aller partout Ă  la fois ». En tout Ă©tat de cause, il ressort des renseignements fournis aux rapporteurs que le cas de Kidal peut difficilement ĂȘtre abordĂ© de la mĂȘme façon que ceux de Tombouctou ou de Gao. En effet, la stabilisation de ces deux derniĂšres villes a Ă©tĂ© accomplie au prix de mouvements de populations dans lesquels le degrĂ© de contrainte mĂ©riterait d’ĂȘtre Ă©tudiĂ© de façon approfondie : ceux que les Maliens appellent les « peaux claires » (Touaregs et Arabes) ont quittĂ© ces zones, qui sont dĂ©sormais trĂšs majoritairement occupĂ©es par des SanghaĂŻ. De tels mouvements ne sont pas envisageables Ă  Kidal, ville oĂč les Touaregs sont nettement plus nombreux. LES RAPPORTS ENTRE LA FRANCE, LES TOUAREGS ET LES AUTRES MALIENS : LE POIDS DE L’HISTOIRE ApprĂ©hender la question touarĂšgue dans le temps long incite Ă©galement Ă  la prudence. Comme le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain l’a notĂ© devant les rapporteurs, l’opposition entre les Touaregs et les sĂ©dentaires est la survivance d’une histoire commune mouvementĂ©e, dans laquelle l’indĂ©pendance du pays n’a pas Ă©tĂ© l’occasion d’un examen de conscience mais plutĂŽt une possibilitĂ© offerte Ă  la majoritĂ© de rĂ©gler des contentieux anciens – d’oĂč un traitement inĂ©gal dans la rĂ©partition des ressources. Les diffĂ©rents conflits ont Ă©tĂ© rĂ©glĂ©s par quelques combats, des postes accordĂ©s pour inclure chacun dans les circuits de redistribution, des intĂ©grations dans l’armĂ©e, et tous autres moyens d’apaisement Ă  court terme – et Ă  court terme seulement. « Ce qui est nouveau, c’est l’utilisation de ces tensions par les mouvements islamistes : la prioritĂ© est d’éviter que le Mali devienne leur refuge et qu’ils bĂ©nĂ©ficient du soutien d’une population oĂč la fidĂ©litĂ© tribale est une vertu ». Il faut pourtant se souvenir que du temps de la colonisation, « les Touaregs ont toujours bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une attitude trĂšs favorable de la France », ce dont tĂ©moigne par exemple le fait qu’en 1958, la France avait crĂ©Ă© un poste de ministre du Sahara, autonome par rapport aux autres ministĂšres, dont les compĂ©tences allaient de la Mauritanie au Tchad. Les Touaregs avaient Ă©tĂ© associĂ©s Ă  ce projet, qui ne s’est jamais concrĂ©tisĂ© en raison de l’opposition des responsables africains dĂ©jĂ  investis de responsabilitĂ©s par la mise en place de la loi-cadre de 1956 ouvrant la voie Ă  la dĂ©colonisation de l’Afrique.

iv. La dĂ©convenue des forces maliennes en mai 2014 ‱ Une imprudente aventure de Bamako Le mois de mai 2014 a Ă©tĂ© marquĂ© par deux incidents majeurs dans la rĂ©gion de Kidal : – le 17 mai, la visite Ă  Kidal du premier ministre malien, M. Moussa Mara, a donnĂ© lieu Ă  des manifestations qui ont dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en affrontement armĂ© et sanglant entre les FAMa et des groupes armĂ©s prĂ©sents Ă  Kidal, notamment le MNLA, le HCUA et le MAA. La confrontation tourne au dĂ©savantage des


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autoritĂ©s de Bamako, et il faut l’intervention de la MINUSMA et d’élĂ©ments français pour imposer un cessez-le-feu ; – le 21 mai, les FAMa tentent de reprendre le contrĂŽle de la ville avec 1 500 Ă  2 000 hommes mais sont dĂ©faites par les groupes rebelles, qui lancent alors une contre-attaque et reprennent le contrĂŽle d’un nombre important de localitĂ©s du Nord du Mali. Pour de nombreux observateurs, l’initiative des autoritĂ©s maliennes dĂ©coule d’une faute d’apprĂ©ciation politique et militaire parfois qualifiĂ©e de « gravissime ». En effet, les FAMa ont perdu une large part de l’ascendant que leur formation par l’Union europĂ©enne leur avait permis de regagner, et ils ont perdu le contrĂŽle de vastes zones du territoire. Les informations dont disposent les rapporteurs ne leur permettent pas de se former un avis Ă©tayĂ© sur les responsabilitĂ©s respectives dans le dĂ©clenchement de cette aventureuse entreprise. Selon M. Nicolas de RiviĂšre, directeur gĂ©nĂ©ral des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, le prĂ©sident KeĂŻta affirmerait ne pas avoir pris lui-mĂȘme la dĂ©cision de lancer cette opĂ©ration. On notera d’ailleurs que le ministre malien de la DĂ©fense a prĂ©sentĂ© sa dĂ©mission Ă  l’issue de la dĂ©faite de ses forces. Quoi qu’il en soit, il est certain que les autoritĂ©s françaises ainsi que le ReprĂ©sentant spĂ©cial du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies pour le Mali ont fortement dĂ©conseillĂ© au Premier ministre malien de se rendre Ă  Kidal, et ont renouvelĂ© de façon appuyĂ©e leurs appels Ă  la retenue aprĂšs le 17 mai. ConformĂ©ment Ă  leurs mandats, Serval et la MINUSMA ont jouĂ© leur rĂŽle sĂ©curitaire dans tous ces Ă©vĂ©nements, y compris pour Ă©vacuer le Premier ministre et rĂ©cupĂ©rer les blessĂ©s ainsi que les militaires maliens prisonniers. ‱ « À quelque chose malheur est bon » : vers une reprise des nĂ©gociations ? Pour le directeur gĂ©nĂ©ral des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, la dĂ©convenue des forces maliennes en mai 2014 pourrait, paradoxalement, relancer le processus de dialogue intermalien inclusif. En effet, selon lui, depuis ces Ă©vĂ©nements, le dialogue est devenu « un peu plus fluide » avec les autoritĂ©s maliennes, qui pourraient renoncer Ă  des postures trop nationalistes. Surtout, la dĂ©faite des forces armĂ©es maliennes oblige Bamako Ă  entrer dans un dialogue politique avec les groupes armĂ©s. DĂšs lors, pour les rapporteurs, la principale difficultĂ© consiste Ă  « mettre tout le monde autour de la table » dans des conditions qui soient Ă  la fois transparentes – si possible davantage que les premiĂšres mĂ©diations entamĂ©es avant les Ă©vĂ©nements du mois de mai – et de nature Ă  donner confiance aux groupes rebelles.


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En outre, ces Ă©vĂ©nements pourraient utilement ĂȘtre pris en compte dans les travaux prĂ©alables au renouvellement du mandat de la MINUSMA, pour mettre l’accent sur la reconstruction de l’État dans le Nord et le lancement (attendu depuis longtemps) de projets de dĂ©veloppement dans cette zone. b. Les lenteurs de l’Europe Le cas du Mali, avant mĂȘme celui de la RĂ©publique centrafricaine, a montrĂ© Ă  la fois l’intĂ©rĂȘt et les limites de l’intervention de l’Union europĂ©enne, ce que les responsables politiques et militaires africains rencontrĂ©s par les rapporteurs n’ont jamais manquĂ© de souligner. i. Le Mali : un thĂ©Ăątre correspondant particuliĂšrement bien aux savoir-faire et Ă  la doctrine d’« approche globale » de l’Union europĂ©enne Comme le montre un rĂ©cent rapport d’information (1) sur l’Europe de la dĂ©fense, « l’opĂ©ration Serval est le type mĂȘme d’opĂ©ration que l’Union europĂ©enne ambitionne de pouvoir mener collectivement dans le cadre de la PSDC et une fois de plus, comme dans le prĂ©cĂ©dent de la Libye, elle s’est avĂ©rĂ©e incapable de le faire ». Surtout, comme le relevaient nos collĂšgues Christophe Guilloteau et Philippe Nauche dans leur rapport prĂ©citĂ© sur l’opĂ©ration Serval, « le traitement de la crise malienne, dont les causes sont Ă  rechercher en partie dans les dĂ©faillances de la structure Ă©tatique et dans les nets Ă©carts de dĂ©veloppement d’une rĂ©gion Ă  une autre, appelle des savoir-faire qui correspondent pleinement aux principes fondateurs de l’action de l’Union en matiĂšre extĂ©rieure ». Or, comme ils le soulignent, le Service europĂ©en d’action extĂ©rieure, chargĂ© de la mise en Ɠuvre de la politique de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense commune (PSDC), a dĂ©veloppĂ© « une doctrine d’action reposant essentiellement sur un concept d’« approche intĂ©grĂ©e » – Ă©galement appelĂ©e d’« approche globale » – consistant Ă  piloter conjointement, pour une situation, une rĂ©gion ou une crise donnĂ©e, l’ensemble des moyens dont dispose l’Union au titre de ses diffĂ©rentes compĂ©tences : politique commerciale, actions de dĂ©veloppement et de coopĂ©ration, dispositifs humanitaires, action diplomatique, ou opĂ©rations militaires ». En outre, l’Union europĂ©enne avait dĂ©jĂ  Ă©laborĂ© et commencĂ© Ă  mettre en Ɠuvre « – certes laborieusement – une « stratĂ©gie pour la sĂ©curitĂ© et le dĂ©veloppement » dans la rĂ©gion du Sahel, dont l’objectif est de renforcer les capacitĂ©s du Mali, de la Mauritanie et du Niger dans le cadre d’une coopĂ©ration rĂ©gionale approfondie ». Pour les rapporteurs, l’intĂ©rĂȘt d’une opĂ©ration europĂ©enne, du point de vue de la France, est double :

(1) AssemblĂ©e nationale, rapport d’information n° 911, prĂ©sentĂ© au nom de la commission des affaires europĂ©ennes par MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion, 9 avril 2013.


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– d’une part, l’étiquette « UE » confĂšre Ă  une opĂ©ration une lĂ©gitimitĂ© certaine, dans la mesure notamment oĂč elle permet d’échapper Ă  toute critique fondĂ©e sur les liens particuliers de la France avec l’Afrique (que ce soit sur le mode anti-nĂ©ocolonial ou sur le mode de l’appel Ă  la France au nom de « responsabilitĂ©s » historiques supposĂ©es) ; – d’autre part, lorsqu’une opĂ©ration comme l’EUTM Mali est mise en Ɠuvre sous l’impulsion de la France, voire sous son commandement, elle offre pour notre influence un apprĂ©ciable effet de levier : ainsi, la France tire d’incontestables bĂ©nĂ©fices d’avoir mobilisĂ© l’Union europĂ©enne dans le cadre de l’opĂ©ration EUTM Mali, tout en pouvant rĂ©duire sa participation Ă  70 hommes environ Ă  compter de 2014. ii. Les avancĂ©es rĂ©alisĂ©es par l’EUTM Mali Le rapport prĂ©citĂ© de nos collĂšgues Christophe Guilloteau et Philippe Nauche comportait une analyse dĂ©taillĂ©e des difficultĂ©s rencontrĂ©es dans le dĂ©ploiement de l’opĂ©ration de formation des forces armĂ©es maliennes lancĂ©es par l’Union europĂ©enne sous le nom d’EUTM Mali (European Union Training Mission), sur lesquelles il n’est pas utile de revenir ici. L’entretien des rapporteurs avec l’état-major de la mission EUTM Mali Ă  Bamako a permis de dresser un premier bilan de l’activitĂ© de cette mission, une fois surmontĂ©es ces difficultĂ©s initiales. ‱ Le format de la mission Avec 570 personnels, la mission EUTM dispose des moyens nĂ©cessaires Ă  l’accomplissement de sa tĂąche, mĂȘme s’il reste 48 postes Ă  pourvoir, ce qui marque la persistance d’un dĂ©calage entre le soutien affirmĂ© des EuropĂ©ens Ă  la mission EUTM Mali et leur engagement effectif. En outre, alors que son premier mandat prenait fin le 18 mai 2014, la mise en place d’institutions politiques investies d’une incontestable lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique a « permis de s’inscrire dans la durĂ©e », en facilitant la prolongation de la mission, jusqu’en mai 2016, sans hiatus entre les deux mandats. Selon les informations fournies sur place, le coĂ»t total de la mission atteint environ 80 millions d’euros pour le premier mandat, dont 30 millions ont Ă©tĂ© pris en charge par le mĂ©canisme de financement AthĂ©na au titre des coĂ»ts communs (infrastructures, transport aĂ©rien, etc.) ; sur ce dernier montant, environ 17 % sont Ă  la charge de la France. Pour l’état-major d’EUTM Mali, « la multinationalitĂ© est un atout ». Si les EuropĂ©ens ont d’abord Ă©tĂ© rĂ©ticents Ă  s’engager dans cette mission, 23 États membres y contribuent dĂ©sormais, et plusieurs États tiers ont prĂ©sentĂ© des offres d’appui. Les quatre nations qui contribuent le plus Ă  l’armement de la mission restent les mĂȘmes : la France, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Toutefois, avec le second mandat de la mission EUTM Mali, l’effectif allemand est appelĂ© Ă 


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passer de 60 Ă  100 personnels environ, ce qui permettra Ă  la France de rĂ©duire sa contribution de 110 Ă  70 hommes. Quelle qu’en soit la lenteur, il y a donc une certaine prise de relais par les partenaires europĂ©ens. Selon les prĂ©cisions fournies aux rapporteurs, les États contributeurs n’ont pas formulĂ© de caveats – Ă  l’exception de l’Italie, qui pourrait limiter l’activitĂ© de ses personnels aux activitĂ©s d’entraĂźnement sur le camp de Koulikoro. Mais il est Ă  noter que toutes les dĂ©cisions Ă©tant prises Ă  l’unanimitĂ©, chaque État peut faire valoir ses intentions en amont de la mise en Ɠuvre de la mission. ‱ Le bilan de son activitĂ© de formation Les stages de formation durent dix semaines pour chaque GTIA pris en charge par la mission EUTM. L’état-major de cette mission reconnaĂźt que « dix semaines, c’est peu », mais fait valoir que : – la formation dispensĂ©e est intensive, avec un taux d’encadrement d’un instructeur pour trois stagiaires (sans compter les experts intervenant ponctuellement), ce ratio Ă©tant plus Ă©levĂ© que dans la plupart des Ă©coles de formation militaire europĂ©ennes ; – c’est par un anglicisme mal Ă  propos que l’on parle de « formation » des troupes : en thĂ©orie, les stagiaires maliens ont dĂ©jĂ  reçu une formation initiale, l’enseignement dĂ©livrĂ© par l’EUTM Mali s’apparentant davantage Ă  la notion française d’« entraĂźnement ». La doctrine enseignĂ©e est cohĂ©rente avec la doctrine malienne, elle-mĂȘme issue de la doctrine française. À cet Ă©gard, l’état-major de la mission EUTM a fait valoir que le caractĂšre multinational de la mission ne posait pas de problĂšme de cohĂ©rence doctrinale, dans la mesure oĂč, par un « effet de capitalisation d’expĂ©rience » dans le cadre des opĂ©rations de l’UE ou de l’OTAN, les armĂ©es europĂ©ennes ont « presque toutes les mĂȘmes standards ». Le premier mandat aura permis de former quatre bataillons maliens. Si la sĂ©lection des candidats a Ă©tĂ© faite « dans l’urgence » pour le premier bataillon - celui actuellement en cours de « dĂ©construction » -, EUTM Mali est engagĂ©e dans « une dynamique de progrĂšs dans la qualitĂ© de la formation dispensĂ©e ». Par respect de la souverainetĂ© du Mali, la mission EUTM Mali s’en tient Ă  une « sĂ©lection nĂ©gative » des stagiaires : les candidatures sont prĂ©sentĂ©es par le ministĂšre malien de la DĂ©fense, et la mission EUTM Mali peut Ă©carter certains candidats, soit Ă  raison d’un niveau insuffisant, soit Ă  raison d’antĂ©cĂ©dents de dĂ©lits ou de crimes. Ainsi, la mission EUTM ne se fixe pas d’objectif particulier de brassage ethnique dans la composition des GTIA. En accord avec les autoritĂ©s maliennes, et afin de constituer des unitĂ©s aussi soudĂ©es que possible, les bataillons formĂ©s sont nĂ©anmoins recrutĂ©s de prĂ©fĂ©rence sur une base rĂ©gionale.


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‱ Le bilan de son activitĂ© de conseil aux autoritĂ©s maliennes L’un des intĂ©rĂȘts majeurs de la mission EUTM Mali tient Ă  ce qu’elle ne se limite pas Ă  des activitĂ©s de formation des troupes maliennes : elle comporte aussi une « advisory task force » (ATF). Selon les explications fournies aux rapporteurs Ă  Bamako par l’état-major de la mission EUTM, cette ATF « fonctionne comme un cabinet de conseil » travaillant au profit du commandement malien. L’objectif poursuivi consiste Ă  « Ă©viter que les GTIA formĂ©s soient diluĂ©s ». Le cadre d’action de l’advisory task force a Ă©tĂ© rĂ©sumĂ© dans les termes suivants : « faire faire, sans laisser faire », cette volontĂ© d’autonomisation de la partie malienne visant Ă  « prĂ©parer la sortie de mission » sans perte de compĂ©tences pour les FAMa. L’advisory task force comprend 16 conseillers, tous francophones, dont trois Espagnols, un Roumain et un Britannique. Cette advisory task force a ainsi pris le relais de l’équipe d’audit des FAMa dĂ©ployĂ©es dĂšs 2013, et poursuivi ses activitĂ©s d’audit jusqu’à l’élection prĂ©sidentielle. AprĂšs cette Ă©chĂ©ance, la nomination de M. Soumeylou BoubĂšye MaĂŻga comme ministre de la DĂ©fense a « permis un changement de portage utile », soulignant l’« appui fort » et l’« engagement politique » dont a dĂšs lors pu bĂ©nĂ©ficier le projet de rĂ©organisation des FAMa. L’ATF a ensuite contribuĂ© Ă  la rĂ©daction du plan quinquennal d’action pour la rĂ©forme des FAMa et du projet de loi d’orientation militaire. Les grands axes du futur format des FAMa qui en ressortent sont les suivants : – une augmentation des effectifs des forces armĂ©es, qui pourraient compter 17 000 hommes (servant essentiellement dans l’armĂ©e de terre), rĂ©partis en 26 rĂ©giments (16 rĂ©giments d’infanterie, cinq de cavalerie et cinq d’artillerie) ; – l’acquisition de moyens de projection (par exemple deux CASA) et de moyens d’appui air-sol. ‱ Les pistes d’amĂ©liorations possibles Le mandat de la mission EUTM Mali ne permet pas aux personnels servant sous la banniĂšre de l’Union europĂ©enne d’assurer, en quelque sorte, le « service aprĂšs-vente » de l’entraĂźnement qu’ils organisent. Or il ressort des entretiens des rapporteurs avec les responsables militaires français, europĂ©ens et maliens que les bataillons formĂ©s au sein de l’EUTM Mali ont un vĂ©ritable besoin d’accompagnement sur le terrain. Pour l’heure, c’est donc Ă  la France qu’il revient de placer auprĂšs de chaque bataillon ainsi formĂ© un dĂ©tachement de liaison d’une vingtaine de personnels – comme elle le fait, d’ailleurs, avec les bataillons de la MINUSMA.


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Pour davantage de cohĂ©rence et de suivi entre la formation et l’engagement sur le terrain, comme pour permettre Ă  la force Serval de concentrer ses moyens sur les fonctions de lutte antiterroriste qui constituent dĂ©sormais le cƓur de son mandat, il serait utile que les forces europĂ©ennes assurent elles-mĂȘmes la transition entre le centre de formation et le thĂ©Ăątre d’engagement. iii. Un bilan tout en contrastes de la formation des GTIA maliens avec la dĂ©faite des FAMa en mai 2014 Pour les rapporteurs, il serait aussi facile qu’injuste de mettre en doute la qualitĂ© de l’entraĂźnement des forces maliennes par la mission EUTM Mali au vu de la dĂ©faite des FAMa en mai 2014. En effet, lors de leurs entretiens Ă  l’état-major de la mission EUTM Mali Ă  Bamako, ils avaient pu recueillir des Ă©lĂ©ments d’évaluation du niveau tactique atteint par les forces formĂ©es. Si le bilan gĂ©nĂ©ral de la formation Ă©tait jugĂ© globalement positif, plusieurs fragilitĂ©s avaient d’ores et dĂ©jĂ  Ă©tĂ© signalĂ©es aux rapporteurs : – le premier bataillon pris en charge ayant Ă©tĂ© formĂ© dans l’urgence, une « remise en condition » Ă©tait jugĂ©e indispensable avant son renvoi dans le Nord ; – les soldats maliens « partaient de loin » : l’entraĂźnement ne faisait pas partie de la culture des FAMa ; – si le niveau tactique des bataillons formĂ©s Ă©tait jugĂ© « comparable » Ă  celui des autres armĂ©es africaines, leurs formateurs estimaient dĂ©jĂ  au mois de mars qu’ils n’étaient « certainement pas prĂȘts Ă  entrer dans l’Amettetaï
 » ; – en outre, un effort restait Ă  consentir en matiĂšre d’équipement et d’organisation, notamment pour ce qui concerne la logistique. À la question de savoir quand les FAMa seraient autonomes, l’état-major de la mission EUTM Mali a rĂ©pondu, avec prudence, que tout dĂ©pendait de la bonne mise en Ɠuvre du projet quinquennal de rĂ©forme, notamment pour ce qui concerne les chaĂźnes logistiques « sinon, les FAMa en reviendront Ă  leurs errements antĂ©rieurs ». La formation dispensĂ©e par la mission europĂ©enne ne vise pas Ă  les porter au mĂȘme niveau que les soldats de la force Serval, mais plutĂŽt Ă  leur permettre de mener des missions de « contrĂŽle de zones, en nĂ©nuphars, et de contrĂŽle des voies de communication ». c. Les inquiĂ©tantes difficultĂ©s rencontrĂ©es dans la montĂ©e en puissance de la MINUSMA Les rapporteurs ont mis Ă  profit leur dĂ©placement Ă  Bamako et Ă  Gao pour Ă©tudier la montĂ©e en puissance de la MINUSMA, et les perspectives qu’elle offre pour le dĂ©sengagement progressif de la force Serval.


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i. Un mandat assez robuste, quoi que feignent d’en croire certains Certains des interlocuteurs maliens des rapporteurs ont estimĂ© que le mandat de la MINUSMA n’était pas suffisamment « robuste », en ce sens qu’il ne permettrait pas, selon eux, aux casques bleus de combattre effectivement les groupes armĂ©s rebelles. Les observations faites sur place, confirmĂ©es par les explications fournies par le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, conduisent les rapporteurs Ă  rĂ©futer cette idĂ©e : les difficultĂ©s de la MINUSMA ne tiennent pas Ă  son mandat, mais Ă  ses moyens. Ainsi, la direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du Quai d’Orsay (DGP) estime qu’« Ă  la lumiĂšre des rĂ©cents Ă©vĂ©nements de Kidal, notre analyse, qui rejoint celle de nos principaux partenaires au Conseil, est que la robustesse du mandat de la MINUSMA n’est pas en cause ». En revanche, ces Ă©vĂ©nements tendent Ă  montrer que le dĂ©ploiement de la mission vers le Nord et la posture des contingents mĂ©riteraient d’ĂȘtre renforcĂ©s. La DGP a indiquĂ© aux rapporteurs que la France avait engagĂ© des discussions en ce sens avec le SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral des Nations unies et les pays contributeurs de troupes, les travaux prĂ©paratoires au renouvellement du mandat de la MINUSMA constituant « l’occasion de passer ces messages ». En tout Ă©tat de cause, il faut rappeler que la MINUSMA est une opĂ©ration de maintien de la paix, et non une force de guerre. Comme le note la DGP, « il faut garder Ă  l’esprit que le mandat d’une opĂ©ration comme la MINUSMA est multidimensionnel et repose sur deux piliers : sĂ©curitaire et politique », auxquels contribuent les composantes militaire, policiĂšre et civile de la force. « Le succĂšs d’une telle opĂ©ration repose sur l’intĂ©gration de ces trois composantes » mais en l’espĂšce, « c’est sur le processus politique que l’effort doit porter ». Comme l’a d’ailleurs rĂ©sumĂ© le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre, « la mission premiĂšre de la MINUSMA, c’est la stabilisation, pas l’engagement du combat vis-Ă -vis des adversaires dangereux ». ii. Un dĂ©ploiement largement facilitĂ© par la force Serval et la prĂ©sence antĂ©rieure de la MISMA L’essentiel des forces composant la MISMA a Ă©tĂ© intĂ©grĂ© Ă  la MINUSMA : ainsi, la MINUSMA pouvait « faire fonds » sur l’opĂ©ration menĂ©e par l’Union africaine. Le dĂ©ploiement de la MISMA est Ă©galement facilitĂ© par la prĂ©sence au Mali de la force Serval. L’articulation de la MINUSMA et de Serval est dĂ©finie de maniĂšre explicite dans le paragraphe 18 de la rĂ©solution 2100, dans lequel le Conseil de sĂ©curitĂ© « autorise l’armĂ©e française dans la limite de ses capacitĂ©s et dans ses zones de dĂ©ploiement, Ă  user de tous moyens nĂ©cessaires, Ă  partir du commencement des activitĂ©s de la MINUSMA jusqu’à la fin du mandat autorisĂ©


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par la prĂ©sente rĂ©solution, d’intervenir en soutien d’élĂ©ments de la Mission en cas de danger grave et imminent Ă  la demande du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral ». Selon la DGP, « l’ensemble des acteurs se fĂ©licite de cette articulation », dont les modalitĂ©s pratiques ont Ă©tĂ© dĂ©finies par un accord technique signĂ© par le commandant de la composante militaire de la MINUSMA et l’état-major des armĂ©es. Des contacts rĂ©guliers et des Ă©changes d’informations entre les deux chefs, le gĂ©nĂ©ral Kazura et le gĂ©nĂ©ral Foucault en facilitent la mise en Ɠuvre. Comme les rapporteurs ont pu l’observer, cette articulation se traduit sur le terrain par : – la prĂ©sence au sein de l’OMP d’officiers français Ă  des postes choisis de l’état-major (opĂ©rations et renseignement) et notamment sur le poste clĂ© de chef d’État-major en la personne du gĂ©nĂ©ral Pillet, avec lequel les rapporteurs ont pu s’entretenir et qui sera prochainement relevĂ© par le gĂ©nĂ©ral ThiĂ©bault ; – la prĂ©sence dans chaque zone d’opĂ©rations de la MINUSMA de dĂ©tachements de liaison et d’assistance opĂ©rationnelle (DLAO) sous commandement français, qui constituent les pivots de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle entre les bataillons de casques bleus et les unitĂ©s de Serval. iii. Une gĂ©nĂ©ration de forces assez dĂ©cevante Selon les donnĂ©es actualisĂ©es fournies aux rapporteurs par le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, la MINUSMA compte aujourd’hui 8 300 militaires et un millier de policiers. L’arrivĂ©e des contingents nĂ©erlandais et suĂ©dois a considĂ©rablement augmentĂ© les capacitĂ©s de la MINUSMA, notamment en matiĂšre d’aĂ©romobilitĂ© (grĂące aux hĂ©licoptĂšres d’attaque Apache, qui seront rejoints par des hĂ©licoptĂšres de transport Chinook en octobre) et en matiĂšre d’acquisition et d’analyse du renseignement ou encore de soutien sanitaire (hĂŽpital de niveau II nigĂ©rian). À court terme (aoĂ»t, septembre ou octobre), la MINUSMA devrait recevoir : – une unitĂ© d’hĂ©licoptĂšres de transport bangladeshis ; – deux unitĂ©s de protection ivoiriennes ; – une unitĂ© nĂ©erlandaise d’hĂ©licoptĂšres de transport Chinook. En dĂ©pit de ces nouveaux renforts, dont certains correspondent au dĂ©ploiement de multiplicateurs de force importants, la MINUSMA ne devrait compter que 8 800 soldats jusqu’en octobre prochain et ne dĂ©passer le seuil de 10 000 soldats dĂ©ployĂ©s qu’en octobre ou novembre prochain, au mieux. De nouveaux retards ont en effet Ă©tĂ© enregistrĂ©s, dont les plus significatifs concernent :


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– le bataillon burkinabĂ© (850 soldats) et le bataillon de rĂ©serve guinĂ©en (425 soldats), dont l’arrivĂ©e a Ă©tĂ© repoussĂ©e Ă  octobre, sans garantie, notamment du fait des retards pris dans la livraison de vĂ©hicules financĂ©s par les États-Unis ; – l’unitĂ© d’hĂ©licoptĂšres d’attaque salvadorienne, repoussĂ©e Ă  dĂ©cembre, sans garantie, du fait notamment d’un manque de piĂšces dĂ©tachĂ©es, qui devaient ĂȘtre fournies par les États-Unis. En outre, la gĂ©nĂ©ration de force de cette opĂ©ration de maintien de la paix (OMP) a enregistrĂ© deux dĂ©fections : celles du Nigeria, qui concentre ses moyens sur sa sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, et celle de la Mauritanie, pour des raisons qui, selon les explications fournies aux rapporteurs Ă  Bamako, tiendraient Ă  une dĂ©gradation des relations de ce pays avec le Mali. Le ReprĂ©sentant spĂ©cial du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies pour le Mali, M. Albert Gerard Koenders, a jugĂ© que « le contexte politique et sĂ©curitaire gĂ©nĂ©ral Ă©tait globalement dĂ©favorable Ă  la gĂ©nĂ©ration de force d’une opĂ©ration de maintien de la paix », citant notamment les tensions financiĂšres que connaĂźt le budget des Nations unies consacrĂ© aux OMP et la dĂ©gradation de la situation sĂ©curitaire dans le Nord du Mali. Pour la direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ©, la gĂ©nĂ©ration de forces de la MINUSMA a connu « les difficultĂ©s inhĂ©rentes Ă  la mise en place de toute opĂ©ration de cette nature et de ce volume ». En effet, trĂšs peu d’armĂ©es ont les mĂȘmes capacitĂ©s de dĂ©ploiement d’urgence que l’armĂ©e française, a fortiori parmi les contributeurs de troupes aux OMP : « les processus dĂ©cisionnels sont plus longs et la prĂ©paration opĂ©rationnelle des unitĂ©s nĂ©cessitent une pĂ©riode de mise Ă  niveau ». Pour la DGP, au-delĂ  de la gĂ©nĂ©ration de forces, « c’est surtout dans le domaine du soutien logistique que la MINUSMA a mis en lumiĂšre les faiblesses et les limites du dĂ©couplage au sein du SiĂšge entre le DĂ©partement des opĂ©rations de maintien de la paix et celui de l’appui aux missions ». iv. Un risque majeur : la « bunkerisation dans le luxe » (relatif) Tant lors de leur dĂ©placement au siĂšge de la mission des Nations unies en CĂŽte d’Ivoire (ONUCI) qu’au quartier gĂ©nĂ©ral de la MINUSMA, les rapporteurs ont eu le sentiment que n’était pas dĂ©pourvue de tout fondement la critique souvent faite Ă  l’ONU par leurs interlocuteurs africains : les standards de l’ONU ne sont pas toujours adaptĂ©s aux rĂ©alitĂ©s africaines. Ces standards de l’ONU, techniquement exigeants, peuvent donner l’impression d’une « dĂ©bauche de moyens » particuliĂšrement surprenante dans des pays oĂč les forces armĂ©es ont des moyens trĂšs contraints : « bunkerisation » dans des hĂŽtels de luxe, parcs de vĂ©hicules plĂ©thoriques au regard de l’emploi qui en est fait et des capacitĂ©s locales, tendance des casques bleus Ă  l’« hyper-protection », contraste saisissant entre le niveau de rĂ©munĂ©ration des casques bleus et celui des militaires locaux, moyens


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administratifs trĂšs importants (par exemple, l’ONUCI emploie 60 personnes au dĂ©partement « droits de l’homme »), etc. Le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres reconnaĂźt que les standards opĂ©rationnels dĂ©finis par l’ONU sont en effet « difficiles Ă  atteindre par certains États contributeurs, notamment africains ». Ces derniers doivent souvent bĂ©nĂ©ficier du soutien de partenaires bilatĂ©raux pour complĂ©ter leur formation, notamment en matiĂšre de droits de l’Homme, leur entraĂźnement et leurs Ă©quipements. Le ministĂšre souligne que « ces standards constituent cependant une exigence de qualitĂ© et une garantie d’efficacitĂ© minimale et nous semblent tout Ă  fait pertinents voire indispensables », jugeant qu’il serait « contre-productif voire dangereux de dĂ©ployer sur le terrain des troupes mal formĂ©es, pas entraĂźnĂ©es et qui ne seraient pas dotĂ©es du minimum de moyens nĂ©cessaires Ă  l’accomplissement de leur mission ». La direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© souligne nĂ©anmoins que l’ONU a su (ou, peut-ĂȘtre, dĂ») se montrer ouverte Ă  « une atteinte progressive de ces standards, comme ce fut le cas au Mali oĂč les contingents de la MISMA ont pu bĂ©nĂ©ficier d’un « dĂ©lai de grĂące » ». S’agissant en revanche du dĂ©calage souvent trĂšs perceptible entre les conditions de travail des services de l’ONU et ceux des administrations locales, la direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© dĂ©clare : « nous incitons les opĂ©rations Ă  Ă©viter qu’un contraste trop choquant ne devienne une contrainte majeure dans l’acceptation de la mission par l’État hĂŽte ». Le cas de la MINUSMA, installĂ©e dans le seul hĂŽtel de Bamako qu’il est possible de qualifier de luxueux, avait particuliĂšrement frappĂ© les rapporteurs ; pour la DGP, cette situation est « Ă  cet Ă©gard Ă©clairante ; il s’agissait dans un premier temps de pouvoir dĂ©ployer l’OMP rapidement en s’appuyant sur les infrastructures existantes et les mieux adaptĂ©es, mais ce choix par dĂ©faut a eu des consĂ©quences nĂ©gatives en termes d’images ». d. Une consĂ©quence regrettable : un frein au dĂ©sengagement des forces françaises Les retards enregistrĂ©s dans le dĂ©ploiement de la MINUSMA ont pour consĂ©quence, au moins indirecte, que la France a dĂ» retarder la rĂ©duction du volume de ses forces au Mali. DĂšs le mois de mars 2014, il ressortait des entretiens des rapporteurs avec les responsables de la manƓuvre logistique de dĂ©sengagement partiel de la force Serval que la dĂ©croissance des effectifs Ă©tait ralentie par l’absence de certaines capacitĂ©s, notamment les capacitĂ©s patrimoniales de transport. C’est ce qui a conduit la force Ă  externaliser « de façon maĂźtrisĂ©e » une part du transport, dans la mesure oĂč l’offre locale permettait de rĂ©pondre Ă  la demande. En effet, si les Ă©conomies engendrĂ©es par cette opĂ©ration sont rĂ©elles – avec un facteur de un Ă  quatre, selon les logisticiens de Gao – et si les manƓuvres de dĂ©sengagement nĂ©cessitent un dispositif de sĂ©curisation des convois plus lĂ©ger que les manƓuvres


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opĂ©rĂ©es dans les zones de tensions, il n’en demeure pas moins que l’offre malienne est limitĂ©e. Surtout, aprĂšs les Ă©vĂ©nements survenus dans le Nord en mai 2014, qui ont vu le MNLA et d’autres groupes rebelles alliĂ©s prendre le contrĂŽle de plusieurs localitĂ©s du Nord, le dĂ©sengagement de la force a Ă©tĂ© suspendu, et les effectifs prĂ©sents Ă  Gao ont mĂȘme Ă©tĂ© renforcĂ©s par une centaine de personnels supplĂ©mentaires. Le ministre de la DĂ©fense s’en est d’ailleurs expliquĂ© devant la commission (1). Ainsi, la force Serval est pour l’heure organisĂ©e comme le montre la carte ci-aprĂšs. LE DÉPLOIEMENT DE LA FORCE SERVAL AU MOIS DE MARS 2014

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Serval).

B. L’OPÉRATION SANGARIS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : UNE OPÉRATION DES PLUS DÉLICATES

Les rapporteurs se sont rendus en République centrafricaine pour y rencontrer les autorités politiques et militaires françaises et centrafricaines à Bangui, ainsi que pour prendre la mesure, sur place, à Bambari, des difficultés de la mission confiée aux femmes et aux hommes de la force Sangaris.

(1) Audition du 27 mai 2014.


— 191 — 1. La force Sangaris a fait au mieux avec les moyens qu’elle a en sa possession

Dans les grandes lignes, il ressort des entretiens conduits par les rapporteurs que : – les ex-SĂ©lĂ©ka ont Ă©tĂ© globalement affaiblis par l’intervention française et la rĂ©action des anti-balakas et dĂ©sunis, en l’absence de chef, aprĂšs les difficultĂ©s et finalement la dĂ©mission de Michel Djotodia ; mais leur outil militaire demeure puissant dans le Nord-Est du pays ; – les anti-balakas sont dĂ©crits par le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, qui commandait l’opĂ©ration Sangaris au moment oĂč les rapporteurs se sont dĂ©placĂ©s en RĂ©publique centrafricaine, comme restant « des ennemis de la paix », qui se constituent en « pouvoir parallĂšle » et, par les pillages dont ils vivent, agissent en « flĂ©au qui gangrĂšne toute la sociĂ©tĂ© » ; – la Lord’s Resistance Army (LRA), qui opĂ©rait dans l’extrĂȘme Est du pays, est avancĂ©e plus Ă  l’ouest que les Français ne s’y attendaient. a. Deux ennemis, peut-ĂȘtre sous-estimĂ©s ab initio : les « ex-SĂ©lĂ©ka » et les « anti-balaka » i. Des ex-SĂ©lĂ©ka encore combatifs ‱ Un mouvement affaibli, sous le double effet de l’opĂ©ration Sangaris et des milices anti-balaka, mais encore puissant dans ses bastions du Nord et de l’Est Selon les renseignements fournis par l’état-major de la force Sangaris, on comptait au mois de mai 2 000 Ă  3 000 combattants de l’ex-SĂ©lĂ©ka, bien armĂ©s et aguerris. Au dĂ©but du mois de janvier, le ministre avait dĂ©clarĂ© Ă  la commission que l’effectif des combattants SĂ©lĂ©ka s’établissait Ă  5 000 environ (1). La coalition ex-SĂ©lĂ©ka est donc globalement affaiblie depuis l’opĂ©ration Sangaris et le dĂ©ploiement de la Mission internationale de soutien Ă  la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA), mais repliĂ©e sur de solides positions dans l’Est de la RĂ©publique centrafricaine. Le ministre centrafricain de l’Administration territoriale a lui-mĂȘme reconnu que de larges zones du centre et de l’Est du pays sont « aux mains » des ex-SĂ©lĂ©ka. Le ministre centrafricain de la DĂ©fense a dĂ©crit aux rapporteurs les troupes de l’ex-SĂ©lĂ©ka dans les termes suivants : – la plupart des soldats sont des gens « qui sont nĂ©s et ont grandi dans la guerre », et pour certains des enfants-soldats, parfois droguĂ©s ; « l’horreur est leur habitude » ;

(1) Audition du 14 janvier 2014, compte-rendu n° 27.


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– ils se rĂ©unissent moins autour des projets politiques de leurs dirigeants, que sur la base soit de logiques ethniques, soit d’une « Ă©conomie de prĂ©dation » liĂ©e au sous-dĂ©veloppement. C’est pourquoi, selon le ministre, la pauvretĂ© du pays fait « qu’ils ne baisseront jamais tout Ă  fait les armes » ; – compte tenu de sa base ethnique, le mouvement de l’ex-SĂ©lĂ©ka est « un serpent Ă  trois tĂȘtes » : une premiĂšre au Soudan, une deuxiĂšme en RĂ©publique centrafricaine et une troisiĂšme au Tchad. De ce fait, les ex-SĂ©lĂ©ka pourront toujours trouver des zones de repli dans les pays voisins de la RĂ©publique centrafricaine, mĂȘme si le Tchad les contient mieux. ‱ Un mouvement qui connaĂźt une double Ă©volution : fragmentation et radicalisation Selon les analyses prĂ©sentĂ©es aux rapporteurs, la coalition ex-SĂ©lĂ©ka est aujourd’hui « atomisĂ©e », c’est-Ă -dire divisĂ©e en une trentaine de groupes suivant deux lignes de clivages principales : l’origine ethnique et l’orientation politique. On distingue ainsi une trentaine de « gĂ©nĂ©raux », agissant en vĂ©ritables « seigneurs de guerre ». Si certains acceptent de travailler avec le Gouvernement de transition, ce n’est pas le cas de tous. Ainsi, lors de la poussĂ©e du GTIA Scorpion vers l’Est du pays, notamment Ă  Bambari – oĂč se sont rendus les rapporteurs –, les trois principaux « seigneurs de guerre » se revendiquant du « label » ex-SĂ©lĂ©ka ont eu des attitudes diffĂ©rentes vis-Ă -vis des Français : – le gĂ©nĂ©ral Darasse (contrĂŽlant la zone Ippy-Grimari-Bambari-Kouango) et le colonel Ousta (ancien militaire tenant un territoire dans la rĂ©gion de Bria) ont coopĂ©rĂ© avec les Français, de façon attendue pour le premier, et moins attendue pour le second ; – le gĂ©nĂ©ral Damane (autre ancien militaire contrĂŽlant lui aussi un territoire dans la rĂ©gion de Bria) a prĂ©fĂ©rĂ© se replier face Ă  l’avance française. Toutefois, selon le commandement de l’opĂ©ration Sangaris, les postures individuelles de ces chefs de guerre restent Ă  surveiller en permanence : soucieux de ne pas ĂȘtre marginalisĂ©s au sein de la coalition ex-SĂ©lĂ©ka et de composer avec certains Ă©lĂ©ments « radicaux » de leur entourage, certains d’entre eux – comme le gĂ©nĂ©ral Darrasse – sont parfois tentĂ©s par des manƓuvres de surenchĂšre passant notamment par des attaques contre les Ă©lĂ©ments anti-balakas. Le Premier ministre a d’ailleurs attirĂ© l’attention sur le fait que les ex-SĂ©lĂ©ka agissent de façon de plus en plus « professionnelle » : ils sont Ă©quipĂ©s de « dizaines de vĂ©hicules », ont pour la plupart conservĂ© leur armement, et leurs actions s’apparentent dĂ©sormais de plus en plus Ă  des actes « classiques » de terrorisme (attaques Ă  la grenade, Ă©liminations ciblĂ©es). Les ex-SĂ©lĂ©ka sont engagĂ©s sur la voie d’une unification incertaine. En mai 2014, au moment oĂč les rapporteurs se trouvaient en RĂ©publique


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centrafricaine, s’est tenu Ă  NdĂ©lĂ© un dĂ©nommĂ© « congrĂšs » des principaux cadres militaires et politiques du mouvement ex-SĂ©lĂ©ka qui avait notamment pour objet : – d’unifier la reprĂ©sentation politique du mouvement ex-SĂ©lĂ©ka et de dĂ©signer un « Ă©tat-major » ; – de discuter des positions politiques de la coalition sur les questions d’une Ă©ventuelle partition de la RĂ©publique centrafricaine, sur la participation au processus de transition, ainsi que sur la posture « militaire » du mouvement. Si, devant les rapporteurs, la prĂ©sidente Samba-Panza elle-mĂȘme a jugĂ© « positif » que les ex-SĂ©lĂ©ka se rĂ©unissent, elle n’en a pas moins Ă©mis des doutes sur la capacitĂ© des chefs concernĂ©s Ă  maĂźtriser leurs troupes. D’ailleurs, il ressort des informations fournies par le ministre de la DĂ©fense Ă  la commission (1) que les Ă©lĂ©ments les plus radicaux et les plus partisans de la partition de la RĂ©publique centrafricaine semblaient avoir pris le dessus lors de ce congrĂšs. En tout Ă©tat de cause, la question est donc de savoir jusqu’à quel point l’« atomisation » de l’ex-SĂ©lĂ©ka est contrĂŽlable. ii. Des anti-balaka difficiles Ă  contrĂŽler ‱ Un mouvement complexe, en partie instrumentalisĂ© Le mouvement anti-balaka est, selon les analyses prĂ©sentĂ©es aux rapporteurs, divisĂ© en plusieurs tendances, dont certaines font l’objet de tentatives de « rĂ©cupĂ©ration » par les partisans du prĂ©sident dĂ©chu François BozizĂ©, par les anciens cadres des Forces armĂ©es centrafricaines (FACA), et par des groupes Ă  vocation purement criminelle. Le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano a ainsi prĂ©sentĂ© les diffĂ©rentes tendances structurant les mouvements anti-balakas en Ă©tablissant la typologie suivante : – une tendance « classique » constituĂ©e de villageois qui se sont armĂ©s plus ou moins spontanĂ©ment pour lutter contre les exactions de la SĂ©lĂ©ka ; – une tendance boziziste qui, comme le ministre de la DĂ©fense l’a estimĂ© devant la commission, « mĂšne une stratĂ©gie du chaos dans l’espoir d’obtenir la chute de la prĂ©sidente Catherine Samba-Panza et de faire Ă©chouer la pĂ©riode de transition » (2) ; – une tendance animĂ©e par les cadres des FACA et de la gendarmerie ; – une tendance motivĂ©e essentiellement par le banditisme, pour laquelle l’étiquette « anti-balaka » n’est qu’un prĂ©texte.

(1) Audition du 27 mai 2014 du ministre de la Défense, compte rendu n° 52. (2) Audition du 16 avril 2014, compte-rendu n° 45.


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Les observateurs avec lesquels les rapporteurs se sont entretenus soulignent que le mouvement anti-balaka est encore peu reprĂ©sentĂ© au sein des institutions de la transition : – il compte un seul ministre au Gouvernement, et aucun dĂ©putĂ© au Conseil national de transition ; – il compte une seule figure marquante dans le paysage politique de Bangui : Patrice Édouard NgaĂŻssona, « coordonnateur politique » autoproclamĂ© des anti-balakas, qui – quoi qu’interpellĂ© en fĂ©vrier 2014 – aurait une influence grandissante Ă  Bangui. Cette influence Ă©tait telle que, lors du dĂ©placement des rapporteurs en RĂ©publique centrafricaine en mai 2014, l’idĂ©e circulait Ă  Bangui que la prĂ©sidente Samba-Panza pourrait ĂȘtre conduite Ă  appeler M. NgaĂŻssona au Gouvernement, avec le leader ex-SĂ©lĂ©ka qui pourrait se dĂ©gager du congrĂšs de NdĂ©lĂ©, Ă  l’occasion d’un remaniement gouvernemental annoncĂ©. ‱ Un mouvement difficile Ă  contrĂŽler, et qui tient une large partie du territoire Les anti-balakas tiennent leurs positions les plus fortes dans l’Ouest du pays, oĂč selon l’état-major de la force Sangaris, « rien ne peut se faire sans ce shadow government » qui jouit de fortes sympathies au sein de la population, des anciens des forces armĂ©es centrafricaines (FACA), des pouvoirs publics (mairies et prĂ©fectures) ainsi que de la gendarmerie. Selon les informations fournies aux rapporteurs, certains Ă©lĂ©ments se revendiquant du mouvement anti-balaka tentent de progresser vers l’Est, en essayant notamment de se placer dans le sillage de la force Sangaris. Selon le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, le mouvement anti-balaka a ainsi Ă©tĂ© « importĂ© » dans des zones de l’Est du pays oĂč, avant la crise, cohabitaient chrĂ©tiens et musulmans. Il est toutefois Ă  noter que selon le commandement du GTIA Savoie, la progression des Français vers l’Est n’a pas donnĂ© lieu Ă  des soulĂšvements massifs de populations chrĂ©tiennes ou d’anti-balakas : tout au plus ceux-ci ont-ils essayĂ© de dĂ©stabiliser Bambari, sans y parvenir – les Français les bloquant devant Grimari. La frontiĂšre entre les zones d’influence respectives des anti-balakas et des ex-SĂ©lĂ©ka s’établissait, Ă  la date de la visite des rapporteurs, dans la zone de Kaga-Bandoro / Sibut / Grimari. Sibut constitue un point de crispation particulier : la MINUSCA et le Gouvernement entendent y installer un campement de transit pour les ex-SĂ©lĂ©ka qui acceptent de participer au processus de dĂ©sarmement-dĂ©mobilisation-rĂ©insertion (DDR), mais la population majoritairement chrĂ©tienne y est hostile. De plus, placĂ©e au carrefour de plusieurs voies de communication, Sibut pourrait constituer un objectif militaire intĂ©ressant pour les ex-SĂ©lĂ©ka, qui y affronteraient environ 300 anti-balakas.


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b. Une mission dont l’action est limitĂ©e par ses faibles moyens Les rapporteurs, lors de leurs dĂ©placements Ă  Bangui et Ă  Bambari, ont pu Ă©tudier l’évolution du format de la force Sangaris et Ă©valuer l’adĂ©quation de ce format avec les besoins de la mission. Il apparaĂźt que le volume et les perspectives d’évolution de cette opĂ©ration extĂ©rieure ont dĂ» ĂȘtre adaptĂ©s Ă  une situation sĂ©curitaire plus dĂ©favorable qu’on ne l’anticipait. i. Un concept d’opĂ©ration calibrĂ© a minima, pour une opĂ©ration « coup de poing » ponctuelle ‱ Une opĂ©ration calibrĂ©e a minima Initialement, l’opĂ©ration Sangaris a Ă©tĂ© conçue pour ĂȘtre brĂšve et mobiliser peu de moyens, Ă  l’image en quelque sorte de ce que l’on appelle communĂ©ment les Light Footprint Operations. Pour ce qui est de la durĂ©e de l’intervention, l’opĂ©ration Sangaris devait ĂȘtre une opĂ©ration brĂšve. Ainsi, prononçant devant l’AssemblĂ©e nationale la dĂ©claration du Gouvernement sur l’engagement des forces armĂ©es en RĂ©publique centrafricaine, M. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, indiquait : « notre intervention sera rapide », soulignant qu’« elle n’a pas vocation Ă  durer ». Il prĂ©cisait alors que « le dĂ©sengagement de nos forces commencera dĂšs que la situation le permettra en fonction de l’évolution sur le terrain et de la montĂ©e en puissance des capacitĂ©s opĂ©rationnelles des forces africaines », estimant expressĂ©ment que « ce doit ĂȘtre l’affaire de quelques mois » (1). Pour ce qui est du volume de l’intervention, la force Sangaris a Ă©tĂ© calibrĂ©e Ă  un format initial de 1 600 hommes. Lors de son audition du 17 dĂ©cembre 2013 devant la commission, audition commune avec la commission des Affaires Ă©trangĂšres, M. Laurent Fabius, ministre des Affaires Ă©trangĂšres, avait dĂ©clarĂ© : « ce sont dĂ©sormais 1 600 soldats français qui sont engagĂ©s, et nous n’avons pas l’intention de dĂ©passer ce nombre ». Or, quelques semaines plus tard, cet effectif a dĂ» ĂȘtre portĂ© Ă  2 000, et les rapporteurs ont pu constater sur le terrain que les Ă©tats-majors sont loin de planifier un retrait de l’opĂ©ration Sangaris pour les semaines ou les mois Ă  venir. Au contraire, les autoritĂ©s centrafricaines, Ă  commencer par la prĂ©sidente Catherine Samba-Panza, ont Ă©galement insistĂ©, unanimement et vigoureusement, pour que le mandat de cette opĂ©ration soit prolongĂ© au moins jusqu’à l’élection prĂ©sidentielle, dont la tenue est prĂ©vue (en thĂ©orie) en fĂ©vrier 2015. ‱ Un dĂ©ploiement rapide et efficace Devant les rapporteurs, le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, alors commandant de l’opĂ©ration Sangaris, a soulignĂ© l’« extrĂȘme rapiditĂ© » du dĂ©ploiement de la force française, rendue possible par : (1) PremiĂšre sĂ©ance du mardi 10 dĂ©cembre 2013.


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– la prĂ©sence dans la rĂ©gion de moyens militaires français soit prĂ©positionnĂ©s (notamment les Forces françaises au Gabon), soit projetĂ©s au titre d’opĂ©rations extĂ©rieures (notamment Épervier au Tchad et Serval au Mali) ; – la rĂ©activitĂ© du dispositif d’alerte GuĂ©pard ; – l’arrivĂ©e rapide des moyens embarquĂ©s. Le gĂ©nĂ©ral Soriano a fait valoir qu’en outre, cette manƓuvre logistique a Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e sans pertes de matĂ©riels. Plus largement, l’ensemble des interlocuteurs politiques et humanitaires des rapporteurs ont saluĂ© la rapiditĂ© de l’intervention française. ii. En dĂ©pit d’un renfort, des moyens limitĂ©s pour un territoire difficile Ă  contrĂŽler ‱ Un renfort dĂ©cidĂ© dĂšs fĂ©vrier 2014 La situation sĂ©curitaire a conduit le Gouvernement Ă  dĂ©cider en fĂ©vrier 2014 l’envoi d’un renfort de 400 hommes Ă  la force Sangaris. Comme le chef d’état-major des armĂ©es l’a indiquĂ© Ă  la commission (1), il s’agit pour l’essentiel de forces combattantes, de moyens logistiques et de commandement et d’hĂ©licoptĂšres provenant des forces prĂ©positionnĂ©es Ă  Djibouti et au Tchad. Le ministre de la DĂ©fense pour sa part a indiquĂ© Ă  la commission (2) que ce renfort visait Ă  permettre l’organisation du dispositif Sangaris « en trois groupements tactiques : l’un se situe Ă  Bangui, un autre contrĂŽle l’axe logistique avec le Cameroun, le troisiĂšme se dĂ©ploie Ă  NdĂ©lĂ© au Nord et, Ă  Bambari et Bria, Ă  l’Est, oĂč nous sommes depuis peu de temps ». En effet, « porter l’effectif Ă  2 000 hommes nous permet de mener de front ces trois missions malgrĂ© les Ă©longations logistiques – 850 kilomĂštres sĂ©parent les points les plus Ă©loignĂ©s de la prĂ©sence française en RCA – et le dĂ©but de la saison de pluies ». ‱ Des moyens qui restent trĂšs limitĂ©s au regard de la gĂ©ographie spĂ©cifique du thĂ©Ăątre Les rapporteurs ont pu constater lors de leur dĂ©placement en RĂ©publique centrafricaine que si le format de la force Sangaris, relevĂ© Ă  2 000 personnels, permettait effectivement de mener simultanĂ©ment les trois missions prĂ©sentĂ©es par le ministre, il n’en demeure pas moins que les moyens restent, au mieux, Ă  la limite de la stricte suffisance pour accomplir les missions qui sont assignĂ©es dans les difficiles conditions gĂ©ographiques du thĂ©Ăątre. 1./ Des moyens trop faibles pour ne pas ĂȘtre dispersĂ©s Ainsi, Ă  titre d’exemple, pour sĂ©curiser le principal axe routier d’approvisionnement de Bangui (et d’une large partie du pays) – dit MSR, (1) Audition du 26 fĂ©vrier 2014, compte-rendu n° 36. (2) Audition du 16 avril 2014, compte-rendu n° 45.


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Main Supply Road – par le port de Douala, au Cameroun, le GTIA Savoie ne dispose que d’une compagnie, « Ă©tirĂ©e » sur 450 kilomĂštres, comme le montre la carte ci-aprĂšs. LE DISPOSITIF DE SÉCURISATION DE L’AXE ROUTIER VITAL POUR L’APPROVISIONNEMENT DE BANGUI

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

De mĂȘme, lors de leur dĂ©placement Ă  Bambari au poste de commandement des Ă©lĂ©ments du GTIA Scorpion chargĂ©s de tenir les zones de dĂ©ploiement des forces françaises dans l’Est du pays, entre Sibut et Bria – zones de tension entre anti-balakas et ex-SĂ©lĂ©ka, mais aussi entre nomades et sĂ©dentaires –, les rapporteurs ont pu constater que les mĂȘmes phĂ©nomĂšnes d’« Ă©tirement » extrĂȘme des forces françaises. En effet, celles-ci sont rĂ©parties sur trois points d’appui principaux, avec des effectifs trĂšs rĂ©duits : 100 personnels Ă  Bambari, 40 Ă  Bria et 100 Ă  Grimari. La difficultĂ© principale tient Ă  l’absence de voies de communication aisĂ©ment praticables : il faut deux jours de convoi routier pour atteindre la zone depuis Bangui, 15 heures pour parcourir les 220 kilomĂštres qui sĂ©parent Sibut de Bambari, et sept Ă  neuf heures pour aller de Bambari Ă  Bria, qui n’en est pourtant distante que de 180 kilomĂštres. Les militaires français rencontrĂ©s sur place par les rapporteurs dĂ©crivent ainsi leurs dĂ©placements comme de « vĂ©ritables odyssĂ©es », et soulignent qu’avec la saison des pluies, les pistes seront quasiment impraticables. Les unitĂ©s seront alors dans une situation qu’ils qualifient d’« archipellaire ». Ces faibles effectifs dissĂ©minĂ©s dans un environnement aussi complexe contraignent largement les modes d’action de la force Sangaris, qui fait porter son effort sur les quatre axes suivants :


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– une concentration de l’effort sur les zones de Sibut et de Bria, au prix d’une rĂ©duction de l’effort au centre de la zone ; – des patrouilles nomades en vĂ©hicule (avec sept jours d’autonomie) ou Ă  pied, visant Ă  rayonner suivant la « logique alĂ©atoire de la nomadisation » pour laisser l’ennemi dans l’incertitude. Pour pallier les faibles effectifs de forces terrestres disponibles, la force utilise au maximum les cinq hĂ©licoptĂšres de manƓuvre disponibles, l’un d’entre eux Ă©tant toutefois rĂ©servĂ© aux missions d’évacuation sanitaire. Toutefois, ces capacitĂ©s disponibles en hĂ©licoptĂšres de manƓuvre sont jugĂ©es « un peu courtes » au regard de l’étendue de la zone Ă  couvrir ; – des actions de dialogue, de conseil et d’appui aux autoritĂ©s civiles, ainsi que de pression sur les chefs SĂ©lĂ©kas en vue de l’application des « mesures de confiance » (cf. infra). Cette recherche d’« Ă©quilibre entre logique de force et logique d’influence » se heurte cependant, parfois, Ă  la faible implication des autoritĂ©s civiles locales. Ainsi, il a Ă©tĂ© indiquĂ© aux rapporteurs que l’un des prĂ©fets de la zone, Ă  l’arrivĂ©e des forces françaises, avait refusĂ© de s’habiller pendant trois jours pour marquer son intention de ne pas exercer ses fonctions et de se faire Ă©vacuer vers Bangui
 D’autres actions de type KLE (Key Leader Engagement) rencontrent plus de succĂšs : des rĂ©unions sont ainsi organisĂ©es au moins quatre fois par semaine avec des personnes identifiĂ©es comme des relais d’opinion, afin de faire passer des messages Ă  la population ; – des chantiers de rĂ©habilitation et d’intĂ©gration locale (CRIL), consistant Ă  fournir Ă  la population, notamment aux jeunes, des activitĂ©s d’insertion Ă  l’occasion desquelles ils peuvent recevoir une formation civique et technique de base (dans des domaines aussi variĂ©s que l’histoire, les institutions, le secourisme, la mĂ©canique, etc. en fonction des compĂ©tences disponibles). Ces actions permettent de dĂ©tourner les jeunes des bandes armĂ©es, en attendant qu’un processus de DDR plus structurĂ© puisse ĂȘtre mis en place. De mĂȘme, les Ă©lĂ©ments français dĂ©ployĂ©s dans la ville de Bangui, dont ils tiennent les quartiers oĂč l’insĂ©curitĂ© est la plus forte (le point kilomĂ©trique 12 – dit « PK 12 » – et le 3e arrondissement) ont fait valoir aux rapporteurs que les effectifs limitĂ©s des forces françaises faisaient peser sur leurs manƓuvres plusieurs contraintes : – une articulation des SGTIA « changeante, sur trĂšs court prĂ©avis » ; – une certaine difficultĂ© Ă  concentrer les efforts ; – une difficultĂ© Ă  « concevoir une manƓuvre des effets dans la durĂ©e ».


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2./ Un dĂ©ploiement prudent et encore incomplet Ă  la veille de la saison des pluies Devant les rapporteurs, le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano a insistĂ© sur le fait que le dĂ©ploiement de la force Sangaris suivait le calendrier prĂ©vu, et que la concentration de son action dans la capitale jusqu’en mars Ă©tait conforme aux plans, et non due Ă  de quelconques retards. Le plan consistait alors Ă  faire effort sur Bangui afin d’assurer la montĂ©e en puissance de la force, le dĂ©sarmement des ex-SĂ©lĂ©ka et des anti-balakas, le cantonnement des ex-SĂ©lĂ©ka, de sĂ©curiser la transition politique aprĂšs l’élection de Catherine Samba-Panza, puis d’accompagner la montĂ©e en puissance des contingents Burundais et Rwandais de la MISCA. D’ailleurs, dĂšs que la situation sĂ©curitaire s’est amĂ©liorĂ©e Ă  Bangui, et que la « pleine capacitĂ© opĂ©rationnelle » de la MISCA y a Ă©tĂ© validĂ©e le 28 fĂ©vrier, la force Sangaris s’est projetĂ©e en province. Selon les explications du gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, l’effort a portĂ© : – en prioritĂ© Ă  l’ouest, afin, d’une part, de rĂ©tablir la libre circulation sur l’axe routier vital Ă  l’approvisionnement de la capitale (la MSR) et, d’autre part, s’interposer rapidement entre les anti-balakas et les ex-SĂ©lĂ©ka, en attendant d’ĂȘtre relevĂ©s par des contingents de la MISCA Ă  Berberati, Carnot et Nola ; – puis Ă  l’est, pour contribuer au rĂ©tablissement de l’autoritĂ© de l’État et Ă©viter la partition du pays. Dans cette optique, les deux points clĂ©s Ă  occuper Ă©taient Bria et NdĂ©lĂ©. Ainsi, comme l’a fait valoir le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, la force s’est mĂȘme dĂ©ployĂ©e plus loin de Bangui que ne le prĂ©voyaient les plans initiaux, et ce afin d’occuper des positions clĂ©s pour Ă©viter le risque de partition de la RĂ©publique centrafricaine. Selon le commandement du GTIA Scorpion a fait le choix de marcher directement et aussi rapidement que possible de Bangui Ă  Bria, du 28 mars au 7 avril, au prix d’un effort trĂšs consĂ©quent mais en vue de « faire comprendre Ă  l’ennemi la dĂ©termination de Sangaris ». Cette manƓuvre a permis Ă  chaque fois d’encercler rapidement les localitĂ©s Ă  contrĂŽler, et aprĂšs quelques accrochages le cas Ă©chĂ©ant, d’y entrer sans grandes difficultĂ©s. La carte ci-aprĂšs prĂ©sente l’état du dĂ©ploiement en province de la force Sangaris en mai 2014, Ă  la date du dĂ©placement des rapporteurs en RĂ©publique centrafricaine. Or cette pĂ©riode correspond prĂ©cisĂ©ment au dĂ©but de la saison des pluies, qui rend toute avancĂ©e extrĂȘmement compliquĂ©e, figeant ainsi les positions pour plusieurs mois. Il apparaĂźt clairement que de vastes zones du Nord et de l’Est restaient encore Ă  parcourir. Lors de son audition du 16 avril 2014 devant la commission, le ministre de la DĂ©fense avait prĂ©sentĂ© comme un « dĂ©fi » la poursuite rapide du dĂ©ploiement de Sangaris et de la MISCA sur le territoire centrafricain « avant la saison des pluies », afin que la prĂ©sence


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physique des forces internationales « dans la majeure partie du pays » soit un « facteur de dissuasion pour les ex-SĂ©lĂ©ka qui ont la tentation de provoquer la partition du pays ». DÉPLOIEMENT DE LA FORCE SANGARIS EN MAI 2014

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

iii. Des contraintes liĂ©es indirectement au mode de financement des opĂ©rations extĂ©rieures Devant les rapporteurs, le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a soulignĂ© une contrainte nouvelle dans la conduite des opĂ©rations extĂ©rieures : « les mĂȘmes responsables qui ont la charge de conduire les opĂ©rations (la « chaĂźne ops » de l’EMA) sont aussi responsables du surcoĂ»t des OPEX ». Ils sont donc dans une situation oĂč ils doivent rendre compte Ă  la fois de la bonne marche des opĂ©rations et de tout « dĂ©passement des enveloppes », d’oĂč une « pression budgĂ©taire continue ». DĂšs lors, chaque fois que les chefs d’état-major d’armĂ©e proposent un renforcement capacitaire, on leur demande de le « gager » par une diminution de mĂȘme volume. Il y a donc de « fortes rĂ©ticences Ă  dĂ©ployer de nouveaux moyens en cours d’opĂ©ration ». Il peut ainsi ĂȘtre vu comme regrettable que « la contrainte Ă©conomique descende Ă  un tel niveau de dĂ©tail : on parle de quelques milliers d’euros, alors que le surcoĂ»t liĂ© aux opĂ©rations extĂ©rieures s’établit autour d’un milliard d’euros ». Par ailleurs, l’état-major de l’armĂ©e de terre a prĂ©cisĂ© aux rapporteurs que le choix d’armer une force telle que Sangaris en prioritĂ© par des unitĂ©s


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prĂ©positionnĂ©es, plutĂŽt que par des unitĂ©s stationnĂ©es en mĂ©tropole au jour du dĂ©clenchement de l’opĂ©ration, pouvait aussi s’expliquer par un souci de gestion Ă©conome du budget opĂ©rationnel de programme (BOP) « opĂ©rations extĂ©rieures ». En effet, les personnels projetĂ©s en prĂ©positionnements perçoivent quoiqu’il arrive des indemnitĂ©s au titre de leur projection, indemnitĂ©s que l’on Ă©vite ainsi de verser de façon redondante Ă  des unitĂ©s qui auraient Ă©tĂ© projetĂ©es depuis la mĂ©tropole. c. L’instrumentalisation confessionnelle du conflit : un Ă©pineux facteur de complication L’ensemble des interlocuteurs des rapporteurs a insistĂ© sur le fait que le conflit centrafricain n’avait pas, Ă  l’origine, une dimension confessionnelle : on compte des chrĂ©tiens parmi les ex-SĂ©lĂ©kas, et ceux-ci sont d’ailleurs les plus rĂ©ticents Ă  participer au processus de dĂ©sarmement-dĂ©mobilisation-rĂ©insertion (DDR) mis en Ɠuvre par la Mission multidimensionnelle intĂ©grĂ©e des Nations Unies pour la Centrafrique (MINUSCA) avec le Gouvernement, craignant d’ĂȘtre dĂ©sormais assimilĂ©s Ă  des traĂźtres par les autres chrĂ©tiens. d. Un rĂ©sultat sĂ©curitaire contrastĂ© Le dĂ©placement en RĂ©publique centrafricaine, tant Ă  Bangui et dans ses faubourgs qu’à Bambari, a aussi permis de faire le point sur la situation sĂ©curitaire dans le pays. La prĂ©sidente Catherine Samba-Panza, chef de l’État de la transition, a estimĂ© que la situation sĂ©curitaire Ă©tait fortement contrastĂ©e entre : – Bangui, oĂč elle tend Ă  s’amĂ©liorer (sans en ĂȘtre pour autant au stade de la normalisation) ; – la province, oĂč l’on observe « un regain de violence », qu’elle attribue pour partie aux rivalitĂ©s entre les diffĂ©rents groupes rebelles et, pour une autre partie, aux difficultĂ©s Ă©conomiques qui crĂ©ent les conditions d’une sorte d’« Ă©conomie de prĂ©dation ». i. Bangui est pacifiĂ©e, et relĂšve dĂ©sormais d’une opĂ©ration de gendarmerie plutĂŽt que d’une opĂ©ration militaire ‱ Sangaris et la MISCA ont trĂšs nettement amĂ©liorĂ© la situation sĂ©curitaire Ă  Bangui Tous les interlocuteurs des rapporteurs s’accordent Ă  saluer l’efficacitĂ© de l’action de la force Sangaris et de la MISCA dans la pacification de Bangui. Les rapporteurs eux-mĂȘmes, qui s’y Ă©taient rendus une premiĂšre fois en fĂ©vrier et une seconde en mai 2014, ont constatĂ© que l’amĂ©lioration Ă©tait perceptible. L’idĂ©e gĂ©nĂ©rale exprimĂ©e par les diffĂ©rents interlocuteurs sur le premier bilan de l’opĂ©ration Sangaris est le suivant : l’intervention française a mis un terme au massacre des musulmans, mais n’a pas suffi Ă  Ă©viter leur exode.


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1./ Une situation sĂ©curitaire apaisĂ©e L’intervention française a notamment permis de rĂ©tablir une situation sĂ©curitaire viable Ă  Bangui. Comme l’a expliquĂ© le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, la sĂ©curitĂ© de la ville est assurĂ©e conjointement par les contingents burundais et rwandais de la MISCA, la mission europĂ©enne EUFOR RCA et les forces françaises. Celles-ci ont concentrĂ© leur action sur les trois points les plus stratĂ©giques de la ville : – le 3e arrondissement, poumon Ă©conomique de la ville partagĂ© entre musulmans et chrĂ©tiens, qui est dĂ©sormais une enclave musulmane entourĂ©e d’un « no man’s land » ; – le 5e arrondissement, qui est proche de l’aĂ©roport M’Poko et oĂč les musulmans ont tendance Ă  se concentrer, Sangaris ayant Ă©tĂ© relayĂ©e par la mission EUFOR RCA pour la garde de l’aĂ©roport ; – le point kilomĂ©trique 12 (PK12), principal point d’entrĂ©e dans la ville. Non seulement le nombre d’actes de violence dans Bangui est trĂšs nettement orientĂ© Ă  la baisse depuis le dĂ©clenchement de l’opĂ©ration Serval – avec un pic aux alentours du 10 janvier 2014, lors de la dĂ©mission de Michel Djotodia –, mais mieux encore, comme le montrent les graphiques ci-aprĂšs, de nombreux indicateurs montrent que le retour Ă  la vie normale est engagĂ©. SIGNES DE « RETOUR À LA NORMALE » DE LA VIE DANS BANGUI


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Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

L’exode des populations musulmanes de Bangui, traditionnellement trĂšs actives dans le commerce de gros, ainsi que les difficultĂ©s de circulation sur la MSR, pouvait faire craindre une situation de pĂ©nurie alimentaire. L’évolution des prix des denrĂ©es montre que ceux-ci, aprĂšs un pic aux alentours du mois de mars, sont dĂ©sormais stabilisĂ©s, comme l’indique le graphique ci-aprĂšs. LE PRIX DES DENRÉES ALIMENTAIRES À BANGUI

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

Pour aller plus loin dans le rĂ©tablissement d’une situation sĂ©curitaire normalisĂ©e Ă  Bangui, la force Sangaris mĂšne diffĂ©rents types d’actions : – des opĂ©rations de contrĂŽle sur les zones de fracture entre quartiers chrĂ©tiens et musulmans, oĂč les rapporteurs ont pu se rendre ;


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– des opĂ©rations « pilotes » visant Ă  inciter les musulmans Ă  quitter les camps de dĂ©placĂ©s (comme celui de l’aĂ©roport M’Poko) pour retourner dans leurs quartiers. Ainsi, un « site pilote » d’hĂ©bergement de nuit est sĂ©curisĂ© par Sangaris et la MISCA dans un quartier dont les habitants avaient eu tendance Ă  se rĂ©fugier dans ces camps. Partant du constat que l’insĂ©curitĂ© sĂ©vissait surtout la nuit, et conduisait les civils Ă  passer la nuit dans le camp de rĂ©fugiĂ©s installĂ© Ă  proximitĂ© de l’aĂ©roport, les forces françaises, en lien avec les autoritĂ©s centrafricaines et l’ONG ACTED, ont fait le choix de sĂ©curiser en ville un site d’accueil de nuit (clos, ouvert sur inscription et gardĂ© par des militaires), tout en visant Ă  ne pas y « fidĂ©liser » excessivement ses occupants (ils doivent quitter le centre d’accueil Ă  7 heures du matin, bĂ©nĂ©ficient de conditions sanitaires qui ne sont pas excessivement attractives, et n’ont pas le droit d’utiliser leurs effets personnels). ‱ La situation sĂ©curitaire Ă  Bangui appelle nĂ©anmoins Ă  la vigilance Le premier point de vigilance soulignĂ© devant les rapporteurs tient Ă  la partition religieuse de fait qui semble s’installer dans la ville de Bangui. En effet, les informations recueillies sur place, y compris au sein de la population sur les marchĂ©s montrent que les tensions restent vives entre chrĂ©tiens et musulmans. Surtout, malgrĂ© l’exode de ces derniers – exode plus ou moins « encadrĂ© » par les forces tchadiennes –, une sorte d’« enclave » musulmane se constitue dans le 3e arrondissement de Bangui, ceint d’un « no man’s land » oĂč les affrontements, certes sporadiques, sont encore frĂ©quents. La carte ci-aprĂšs prĂ©sente cette partition religieuse de fait.


— 205 — LA PARTITION RELIGIEUSE DE BANGUI, AVEC SON « ENCLAVE » MUSULMANE

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

Les militaires français chargĂ©s de la sĂ©curisation du 3e arrondissement de Bangui ont dĂ©crit la situation aux rapporteurs dans les termes suivants : LA SITUATION SÉCURITAIRE À BANGUI Pendant les Ă©vĂ©nements de dĂ©cembre 2013, les anti-balaka (AB), de confession chrĂ©tienne mais souvent d’inspiration animiste, en rĂ©action aux exactions commises par les ex-Seleka de l’ùre Djotodjia sont entrĂ©s dans une logique de vengeance. Ils s’en sont pris aux personnes de confession musulmane et Ă  leurs biens (nombreux magasins dĂ©truits, maisons brĂ»lĂ©es, mosquĂ©es en ruine, etc.) Ă  travers tout Bangui, et dans le 5e arrondissement plus particuliĂšrement. La population musulmane a alors dĂ©sertĂ© cet arrondissement (quartier Miskine notamment) pour aller se regrouper et se dĂ©fendre dans le 3e arrondissement ou se rĂ©fugier dans le camp au nord de l’aĂ©roport Ă©vacuĂ© le mois dernier par la MISCA. Depuis, mĂȘme si un calme relatif s’est installĂ© dans Bangui, les tensions restent vives entre chrĂ©tiens et musulmans. RĂ©guliĂšrement, les uns et les autres mĂšnent des raids furtifs sur l’autre communautĂ© et s’accusent mutuellement d’ĂȘtre Ă  l’origine des attaques ! Dans le but de rĂ©tablir les liens prĂ©existants entre les deux communautĂ©s et sur la demande des protagonistes eux-mĂȘmes, des opĂ©rations de sĂ©curisation ou d’escorte ont Ă©tĂ© conduites. L’opĂ©ration TAXI destinĂ©e Ă  faire circuler librement les biens et les personnes sur


— 206 — l’avenue Boganda de PK0 au rond-point de la colombe en passant par le fameux marchĂ© de PK5 en est un bel exemple. AprĂšs que certains habitants du 3e arrondissement ont voulu dans un premier temps quitter Bangui pour rejoindre le Nord et l’Est du pays, ils ont brutalement changĂ© d’avis il y a trois semaines. Alors qu’ils Ă©taient sur un mode plutĂŽt dĂ©fensif jusqu’à ce moment, cette sĂ©dentarisation s’est accompagnĂ©e d’une attitude plus agressive de leur part. Depuis ce changement, ils sont mĂȘme les principaux auteurs des attaques contre les quartiers chrĂ©tiens pĂ©riphĂ©riques. Dans le mĂȘme temps, les anti-balakas ou les « Godobe » se retournent progressivement contre la population. Ils commettent exactions et pillages et font rĂ©gner leurs propres lois, se substituant aux forces de l’ordre inefficaces et Ă  une justice exsangue et quasi inexistante. Ils ont clairement pris la place des forces de sĂ©curitĂ©, absentes depuis cinq mois. Une timide tentative de restauration de l’ordre public s’amorce de façon probante depuis l’arrivĂ©e du dĂ©tachement de gendarmerie français dans le cadre de l’EUFOR-RCA. En parallĂšle, les efforts de l’état pour reconstruire sa souverainetĂ©, particuliĂšrement dans le domaine judiciaire, doivent maintenant se traduire concrĂštement sur le terrain par l’application du triptyque arrestation- jugement-incarcĂ©ration. Un point positif est la rĂ©ouverture des Ă©coles (sauf dans le 3e arrondissement partie musulmane) avec cependant deux Ă  trois mois d’arriĂ©rĂ©s de salaire pour les professeurs. En conclusion : ● De l’explosion Ă  la normalisation : aprĂšs les luttes intenses multiconfessionnelles au dĂ©but de l’action de la force l’équilibre s’est dessinĂ© autour de la partie musulmane du 3e arrondissement et aujourd’hui les menaces d’un affrontement intercommunautaire majeur s’éloignent progressivement. Pour autant les tensions restent vives autour de ce quartier et la vigilance est de mise. ● Une demande forte de sĂ©curitĂ© : la prĂ©occupation de la population au-delĂ  de l’aspect Ă©conomique est d’échapper aux luttes intracommunautaires (guerres des chefs anti-balakas) et surtout de ne plus supporter le poids des prĂ©dations permanentes d’organisations multiples qui tendent de plus en plus vers le banditisme. La corruption d’État est de moins en moins acceptĂ©e, mĂȘme si le traditionnel pot-de-vin reste institutionnalisĂ© et acceptĂ© tant qu’il reste raisonnable. Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

Les cartes et schĂ©mas ci-aprĂšs prĂ©sentent le bilan fait par les forces françaises de l’évolution de l’autre point stratĂ©gique de Bangui qu’elles sont chargĂ©es de tenir : PK 12.


— 207 — LA SITUATION AU PK 12

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

‱ La question du choix des moyens Ă  employer pour le maintien de l’ordre dans Bangui peut dĂ©sormais ĂȘtre posĂ©e

La pacification de la ville de Bangui marque pour la force Sangaris le passage d’une « sĂ©quence militaire » Ă  une « sĂ©quence sĂ©curitaire ». DĂšs lors peut se poser la question de savoir quel type d’unitĂ©s est le mieux Ă  mĂȘme d’assurer l’ordre dans la ville.


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Les rapporteurs ont notĂ© que les Français avaient tendance Ă  privilĂ©gier une approche prudente, mettant l’accent sur un haut niveau de blindage et de protection des Ă©lĂ©ments dĂ©ployĂ©s. Certains observateurs, comme le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain, estiment au contraire que des moyens lĂ©gers de patrouille seraient plus adaptĂ©s, la surprotection pouvant mĂȘme s’avĂ©rer contre-productive : « en faisant cela, on fait monter la pression, et le soldat donne l’impression qu’il a peur, ce qui produit un effet dĂ©sastreux sur les ennemis ». Ainsi, selon lui, « ce dĂ©sĂ©quilibre, cette surprotection, nous dessert en rĂ©alitĂ© ». À la question de savoir si une approche plus lĂ©gĂšre (patrouilles Ă  pied, moins de blindĂ©s, avec une composante gendarmerie plus Ă©toffĂ©e) ne serait pas plus adaptĂ©e aux enjeux de sĂ©curitĂ© Ă  Bangui, l’état-major de l’armĂ©e de terre fait valoir que les risques d’accrochage justifient un certain niveau de protection : « la mise sous blindage des unitĂ©s a Ă©tĂ© recherchĂ©e dĂšs les premiers mois de l’engagement Ă  cause de la permanence des tirs adverses lors des dĂ©placements dans la capitale ». Rappelant que « deux soldats français ont Ă©tĂ© tuĂ©s dans un accrochage lors d’une patrouille Ă  pied menĂ©e le 9 dĂ©cembre Ă  quelques centaines de mĂštres de l’aĂ©roport de Bangui » et que « les combats des 28 et 29 mai nous rappellent que la menace est toujours rĂ©elle », l’état-major de l’armĂ©e de terre souligne ainsi que « la question de l’allĂ©gement des patrouilles met donc dans la balance l’acceptabilitĂ© du risque de perte de nos soldats », estimant que « cette dĂ©cision doit rester celle du chef tactique ». Il prĂ©cise par ailleurs que « notre gendarmerie nationale n’est ni entraĂźnĂ©e ni Ă©quipĂ©e pour faire face Ă  une situation sĂ©curitaire telle que celle de la RĂ©publique centrafricaine aujourd’hui, oĂč l’on se bat Ă  l’arme automatique et Ă  l’arme lourde avec des volumes de combattants importants et organisĂ©s en bandes paramilitaires ». L’état-major des armĂ©es fait en effet valoir que la posture des groupes armĂ©s Ă©volue : ceux-ci sont de plus en plus structurĂ©s, et de plus en plus lourdement armĂ©s, ce qui justifie le maintien d’une force armĂ©e pour assurer le maintien de l’ordre Ă  Bangui. En tout Ă©tat de cause, il semble aux rapporteurs que la recherche d’une mixitĂ© des patrouilles entre la gendarmerie et les Ă©lĂ©ments d’infanterie est trĂšs apprĂ©ciĂ©e sur le terrain. En effet, le dĂ©tachement de 55 gendarmes français qu’ils ont pu rencontrer Ă  Bangui fait un bilan trĂšs positif de son action aux cĂŽtĂ©s des forces armĂ©es. Bien acceptĂ©e par la population et jouissant d’une apprĂ©ciable aura auprĂšs de son homologue centrafricaine, la gendarmerie contribue ainsi, par sa prĂ©sence auprĂšs des autres militaires, Ă  maintenir la sĂ©curitĂ© tout en abaissant le niveau de tension ressenti. ii. La province Ă©chappe encore largement au contrĂŽle de l’État ‱ La principale route d’approvisionnement est Ă  peu prĂšs sĂ©curisĂ©e Le gĂ©nĂ©ral Pierre de Villiers, chef d’état-major des armĂ©es, a soulignĂ© que la route reliant Bangui au port camerounais de Douala – la MSR – est aujourd’hui considĂ©rĂ©e comme Ă  peu prĂšs sĂ©curisĂ©e : elle est empruntĂ©e par 500 camions par


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semaine, contre Ă  peine 150 lors du dĂ©clenchement de l’opĂ©ration Sangaris. Selon les prĂ©cisions fournies aux rapporteurs, les convois escortĂ©s ne sont dĂ©sormais plus le seul mode possible de circulation sur cet axe vital. Le graphique ci-aprĂšs montre d’ailleurs une reprise du trafic sur cette voie.

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

‱ Le reste du pays reste largement incontrĂŽlĂ©, et la saison des pluies risque de figer les positions

Selon les informations recueillies sur place par les rapporteurs, les anti-balakas dans certaines zones, les ex-SĂ©lĂ©ka dans d’autres, dĂ©tiennent encore une autoritĂ© largement supĂ©rieure Ă  celle de l’État, notamment dans les localitĂ©s oĂč ne stationnent ni dĂ©tachement français, ni dĂ©tachement de la MISCA. Or, 2 000 Français et 6 000 Africains constituent un effectif trop limitĂ© pour pouvoir constituer un maillage sĂ©curitaire dense sur un territoire grand comme la France et la Belgique rĂ©unies, tant que l’État ne redĂ©ploie pas ses administrations sur son territoire. Dans l’attente du retour effectif d’une structure Ă©tatique crĂ©dible en matiĂšre de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et/ou d’une opĂ©ration de maintien de la paix robuste, les forces de Sangaris, avec l’appui de celles de la MISCA, ne peuvent guĂšre mener que deux types d’action : – contrĂŽler les principaux points d’appui des groupes armĂ©s. À cet Ă©gard, Bria prĂ©sente un intĂ©rĂȘt stratĂ©gique : comme l’a expliquĂ© le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, l’exploitation des ressources diamantifĂšres, mĂȘme sur un mode « artisanal », est effectuĂ©e depuis plusieurs annĂ©es, Ă  80 % hors de tout cadre lĂ©gal, et constitue ainsi une source de revenus considĂ©rable pour l’ex-SĂ©lĂ©ka ; – « faire du prĂ©-DDR » (selon les termes du gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano), principalement en imposant les « mesures de confiance » destinĂ©es Ă  pacifier la situation dans l’attente du dĂ©ploiement d’une opĂ©ration de maintien de la paix, comme l’explique l’encadrĂ© ci-aprĂšs.


— 210 — LES « MESURES DE CONFIANCE » 1./ CaractĂ©ristiques : - elles sous tendent les opĂ©rations de la force Sangaris conduites depuis le 9 dĂ©cembre (ultimatum), en cours et Ă  venir - elles comprennent quatre volets : identification, dĂ©sarmement, cantonnement et comportement - elles garantissent en principe la libertĂ© de mouvement des forces internationales - elles Ă©tablissent une interdiction gĂ©nĂ©rale de circuler armĂ© - elles favorisent le dĂ©ploiement des forces internationales 2./ Application : - bonne volontĂ© initiale de l’autoritĂ© de transition - selon le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, le comportement des acteurs n’est « ni hostile ni inamical envers la force » Sangaris, et « mĂȘme s’il reste 2 500 ex-SĂ©lĂ©ka Ă  Bangui, aucun ne circule avec armes », et il en va de mĂȘme pour les 400 ex-SĂ©lĂ©ka prĂ©sents Ă  Bria - contournements constatĂ©s 3./ intĂ©rĂȘts : - elles sont l’outil d’une « prise d’ascendant » de la force Sangaris sur les groupes armĂ©s - elles constituent « l’acte fondateur d’un processus de DDR » Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).

En effet, la mise en place d’un processus de DDR ne fait pas partie des missions de la force Sangaris, mais les bons offices du commandement de celle-ci ont Ă©tĂ© dĂ©terminants pour la conclusion le 22 avril d’un mĂ©morandum d’entente entre la prĂ©sidente Catherine Samba-Panza et les ex-SĂ©lĂ©ka de Bangui. Aux termes de celui-ci, les anciens rebelles sont invitĂ©s Ă  se faire enregistrer et Ă  se dĂ©sarmer, pour ĂȘtre cantonnĂ©s un temps dans Bangui (sous protection) avant d’ĂȘtre transfĂ©rĂ©s soit sur un site de transit sĂ©curisĂ©, soit dans leur province d’origine, suivant les modalitĂ©s dĂ©crites par le schĂ©ma ci-aprĂšs. L’AMORCE DU PROCESSUS DE DDR QU’APPUIE LA FORCE SANGARIS

Source : Ă©tat-major des armĂ©es (commandement de l’opĂ©ration Sangaris).


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Comme le chef d’état-major des armĂ©es l’a fait valoir aux rapporteurs, il est difficile Ă  une force militaire telle que Sangaris de faire davantage en faveur de la reconstruction de la RĂ©publique centrafricaine. En effet, le traitement de la crise centrafricaine appelle une « approche globale », reposant sur trois piliers : – la sĂ©curisation du pays, Ă  laquelle la force Sangaris peut effectivement contribuer, le niveau de sĂ©curitĂ© atteint reprĂ©sentant selon lui « un plateau » que l’on ne saurait franchir sans actionner d’autres leviers utiles Ă  la reconstruction de l’État ; – la relance Ă©conomique, qui doit permettre d’employer une main-d’Ɠuvre abondante et majoritairement jeune, dont le dĂ©sƓuvrement actuel fait une « proie » facile pour les groupes armĂ©s de toutes natures. En la matiĂšre, une force militaire conçue pour l’intervention ne peut pas faire davantage que ce que fait dĂ©jĂ  la force Sangaris : c’est Ă  la communautĂ© internationale d’en prendre le relais, avec les outils qui sont ceux de l’ONU et de l’Union africaine notamment ; – la reconstruction d’une gouvernance efficace. Le fait d’avoir rĂ©pondu favorablement Ă  la demande de la prĂ©sidente Catherine Samba-Panza visant Ă  ce que la France place auprĂšs d’elle un officier gĂ©nĂ©ral au poste de conseiller militaire va dans ce sens. Mais lĂ  encore, les moyens Ă  mettre en Ɠuvre dĂ©passent les compĂ©tences, le cƓur de mĂ©tier et les capacitĂ©s des forces armĂ©es françaises. 2. Une prise de relais indĂ©niablement insuffisante par les autoritĂ©s centrafricaines et la communautĂ© internationale – la CEEAC, l’ONU et l’Union europĂ©enne

Le Gouvernement avait prĂ©sentĂ© l’opĂ©ration Sangaris comme une opĂ©ration qui « n’a pas vocation Ă  durer », sans bien Ă©videmment pouvoir s’engager sur une date prĂ©cise de fin de mission. Par ailleurs, il convient de souligner que cette perspective concerne l’opĂ©ration Sangaris et non la prĂ©sence française en RĂ©publique centrafricaine : l’opĂ©ration Boali Ă©tait dĂ©ployĂ©e avant la crise de 2012-2013 avec pour mission d’apporter son appui aux forces internationales chargĂ©es de soutenir le gouvernement centrafricain, et le Gouvernement français n’a jamais prĂ©tendu qu’une force d’une envergure comparable Ă  celle de Boali – 400 hommes environ – n’aurait pas Ă  poursuivre, aprĂšs le pic d’insĂ©curitĂ© de 2012-2013, le travail de fond qu’elle menait avant ces Ă©vĂ©nements. En tout Ă©tat de cause, pour pouvoir rĂ©duire les effectifs français d’un format de type « Sangaris » Ă  un format de type « Boali », un passage de relais doit pouvoir ĂȘtre opĂ©rĂ© Ă  d’autres forces de sĂ©curitĂ©, qu’elles soient centrafricaines ou internationales. Tout l’enjeu, pour la fin de l’opĂ©ration Sangaris, rĂ©side donc dans ce que le ministre de la DĂ©fense a appelĂ© devant la commission (1) la

(1) Audition du 16 avril 2014, compte-rendu n° 45.


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« concrĂ©tisation du soutien international Ă  notre action » que nous attendons, car c’est ce « soutien qui permet la mise en place des outils de sortie de crise ». Or il ressort des observations des rapporteurs sur le thĂ©Ăątre centrafricain que ce passage de relais est encore loin d’ĂȘtre assurĂ©. a. Un État qui tarde Ă  se reconstituer i. Les autoritĂ©s de transition enregistrent quelques succĂšs ‱ D’indĂ©niables progrĂšs accomplis depuis janvier 2014 Entre les mois de fĂ©vrier et de mai, les rapporteurs ont pu constater eux-mĂȘmes une amorce de redĂ©marrage de l’appareil d’État, y compris du systĂšme judiciaire, dont le bon fonctionnement est indispensable pour assurer la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure. ‱ Des incertitudes sur la durĂ©e de la transition Par ailleurs, il convient de souligner que les autoritĂ©s qui ont succĂ©dĂ© au rĂ©gime de Michel Djotodia prĂ©sentent un caractĂšre transitoire : le rĂ©tablissement de l’État, avec des institutions investies de la lĂ©gitimitĂ© du suffrage universel, ne pourra pas ĂȘtre vu comme accompli avant la tenue d’élections organisĂ©es dans des conditions satisfaisantes. Or il ressort des entretiens politiques conduits Ă  Bangui que le calendrier Ă©lectoral fixĂ© par les accords de Libreville de janvier 2013 fait l’objet d’un scepticisme croissant. En effet, une Ă©lection prĂ©sidentielle est censĂ©e avoir lieu en fĂ©vrier 2015 au plus tard, mais la tenue d’élections ne pourra contribuer Ă  la stabilisation durable du pays que si le rĂ©sultat de celles-ci ne souffre pas de contestation, ce qui suppose qu’elles puissent ĂȘtre organisĂ©es dans un climat de sĂ©curitĂ© acceptable sur l’ensemble du territoire centrafricain, rendu possible seulement par la prĂ©sence de forces françaises capables d’intervenir rapidement en cas de troubles et d’exercer un effet dissuasif sur les fauteurs de troubles Ă©ventuels. Dans le mĂȘme sens, le Premier ministre avait estimĂ© devant une dĂ©lĂ©gation parlementaire française en fĂ©vrier 2014 que tenir des Ă©lections « n’aurait pas de sens tant que 90 % au moins du territoire national ne seraient pas sĂ©curisĂ©s ». La direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© reconnaĂźt « un fort risque de glissement » du calendrier Ă©lectoral. Selon les explications fournies aux rapporteurs, la mise en Ɠuvre des conditions nĂ©cessaires Ă  l’organisation d’élections est dĂ©jĂ  en retard par rapport Ă  la planification Ă©laborĂ©e par l’ONU, qui Ă©value Ă  476 jours le dĂ©lai incompressible avant leur tenue. NĂ©anmoins, les rapporteurs partagent l’opinion des reprĂ©sentants de la France aux Nations unies selon laquelle il vaut mieux, Ă  ce stade, ne pas repousser officiellement les Ă©chĂ©ances Ă©lectorales car, selon les termes d’un observateur avisĂ© du dossier, « si on lĂąche sur la date, on risque de relĂącher l’effort ». Les reprĂ©sentants de l’ONU pour la RĂ©publique centrafricaine ont d’ailleurs fait passer aux rapporteurs, lors de


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leurs entretiens, le message suivant lequel il serait peut-ĂȘtre nĂ©cessaire de « dĂ©connecter » le calendrier de sortie de l’opĂ©ration Sangaris de la tenue des Ă©lections prĂ©sidentielle et lĂ©gislatives. ‱ Un manque de leadership politique Les rapporteurs, qui ont rencontrĂ© la chef de l’État de la transition, Mme Catherine Samba-Panza, n’ont pas de doute sur sa volontĂ© de redresser son pays, sur l’énergie qu’elle y emploie, sur ses hautes qualitĂ©s personnelles, ni sur son vĂ©ritable charisme politique. Il est malheureusement nĂ©cessaire de relever que ces qualitĂ©s ne sont pas Ă©galement partagĂ©es par l’ensemble de la classe politique centrafricaine. Pour plusieurs observateurs de la crise centrafricaine, le problĂšme ethnique et politique ne se rĂ©glera pas par une intervention française : dĂ©sormais, le « problĂšme n° 1 » Ă  Bangui, « c’est une dĂ©ception politique ». Certains vont mĂȘme jusqu’à soutenir que la prĂ©sidente a « freinĂ© les choses » en annonçant un remaniement, ce qui « dĂ©mobilise tous les membres du gouvernement ». En outre, l’action du Premier ministre, quelles que soient ses hautes compĂ©tences administratives attestĂ©es par sa brillante carriĂšre dans les organisations financiĂšres internationales, est souvent vue comme moins adroite qu’il ne le faudrait sur le plan politique. D’ailleurs, la mobilisation d’une classe politique nationale dans le sens de la reconstruction de l’État se heurte Ă  un obstacle institutionnel : les accords de Libreville font interdiction aux responsables politiques des autoritĂ©s de transition de prĂ©senter leur candidature aux Ă©lections Ă  venir. Si cette rĂšgle a pour intĂ©rĂȘt de garantir une certaine neutralitĂ© de ces responsables, elle n’en a pas moins un aspect contre-productif. En effet, elle tend Ă  dissuader les principales autoritĂ©s politiques du pays de s’engager dans le gouvernement de transition, et Ă  les inciter Ă  conserver une position d’attentisme, alors que la remise sur pied des institutions publiques appellerait plutĂŽt une mobilisation de l’ensemble de la classe politique centrafricaine. Aussi, le constat largement partagĂ© est qu’il manque Ă  la RĂ©publique centrafricaine un leadership politique. En effet, de nombreux outils sont d’ores et dĂ©jĂ  disponibles pour contribuer Ă  la reconstruction de l’État : les forces militaires françaises et africaines, une opĂ©ration de maintien de la paix dotĂ©e d’une puissante composante civile, des crĂ©dits disponibles auprĂšs du Fonds monĂ©taire international et de la Banque mondiale, etc. – la France a en effet mobilisĂ© ces institutions, dont les engagements sont d’ores et dĂ©jĂ  suffisants pour assurer le paiement des salaires des agents de l’État jusqu’à la fin de l’annĂ©e 2014. Pourtant, selon l’expression employĂ©e par un haut responsable militaire, « on a mis tous les outils sur le terrain, il ne manque plus que quelqu’un pour les prendre et entamer le chantier ». À dĂ©faut de pouvoir ĂȘtre trouvĂ© parmi la classe politique nationale, un tel leadership pourrait ĂȘtre suscitĂ© par les organisations internationales, comme cela a Ă©tĂ© le cas, par exemple, au Kosovo Ă  partir de 1999. Or, selon les


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informations dont disposent les rapporteurs, le commissaire de l’Union africaine chargĂ© de la paix et de la sĂ©curitĂ© n’aurait effectuĂ© qu’un seul dĂ©placement auprĂšs de la MISCA en neuf mois, et la prĂ©sidente de l’Union africaine, Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, n’en aurait effectuĂ© aucun. Ainsi, le commandement de la MISCA se trouve dans la situation, pour le moins paradoxale, oĂč il rencontre plus frĂ©quemment le ministre français de la DĂ©fense et les chefs d’état-major français que les responsables sous la tutelle desquels il est placĂ©. À dĂ©faut d’un fort appui panafricain ou sous-rĂ©gional au gouvernement centrafricain, ce sont les voisins de la RĂ©publique centrafricaine qui s’impliquent le plus dans la gestion de la crise. Mais, comme le professeur Bertrand Badie l’a fait valoir aux rapporteurs, il est loin d’ĂȘtre certain que ce soit dans l’intĂ©rĂȘt de la RĂ©publique centrafricaine que de voir sa prĂ©sidente ĂȘtre « intronisĂ©e par les deux hommes forts de la sous-rĂ©gion : Denis Sassou Nguesso et Idriss DĂ©by Itno », qui, ne serait-ce que du fait de la proximitĂ© gĂ©ographique de leurs pays avec la RĂ©publique centrafricaine, peuvent difficilement exercer un leadership parfaitement neutre. Il est d’ailleurs regrettable Ă  cet Ă©gard que lors de leur derniĂšre rencontre Ă  Luanda, dont l’ordre du jour Ă©tait largement consacrĂ© Ă  la situation en RĂ©publique centrafricaine, les principaux chefs d’État de la sous-rĂ©gion n’aient pas jugĂ© nĂ©cessaire d’inviter Mme Catherine Samba-Panza. ii. Les forces de sĂ©curitĂ© centrafricaines restent trĂšs faibles Le chef d’état-major des armĂ©es a soulignĂ© l’importance du « problĂšme tactique » que posent, pour les forces françaises chargĂ©es de missions de contrĂŽle de zone, les grandes faiblesses que prĂ©sente Ă  ce jour l’appareil judiciaire centrafricain. En effet, lorsqu’une patrouille française interpelle un individu armĂ© dans une localitĂ© comme Bangui, oĂč l’insĂ©curitĂ© est dĂ©sormais de nature davantage criminelle que vĂ©ritablement militaire, Ă  qui remettre le prisonnier ? La reconstruction d’une chaĂźne policiĂšre et judiciaire est donc indispensable Ă  la sĂ©curisation du pays, mais par nature, elle ne relĂšve pas de l’action des forces armĂ©es françaises. Par ailleurs, le gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano a estimĂ© que si la montĂ©e en puissance de la police et de la gendarmerie centrafricaines Ă©tait « rĂ©elle », elle n’en prĂ©sentait pas moins deux limites : – elle « reste trop lente » ; – elle demeure circonscrite Ă  Bangui, oĂč 6 000 Ă  7 000 hommes sont identifiĂ©s, tandis qu’elle est « nettement moins visible » en province. Le fait que le paiement des salaires des fonctionnaires soit encore erratique ne contribue pas Ă  faciliter la montĂ©e en puissance des forces centrafricaines de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure.


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b. La dĂ©solante incurie de l’Europe Aux yeux des rapporteurs, le plus regrettable dans les insuffisances constatĂ©es en matiĂšre de prise de relais de l’intervention française par les forces internationales rĂ©side dans le spectacle dĂ©courageant que donne l’Union europĂ©enne en la matiĂšre. i. Une mission ambitieuse lancĂ©e Ă  l’initiative de la France Comme le ministre de la DĂ©fense l’a indiquĂ© Ă  plusieurs reprises Ă  la commission, c’est la France qui a cherchĂ© Ă  mobiliser ses partenaires europĂ©ens en vue du lancement d’une opĂ©ration militaire en RĂ©publique centrafricaine sous la banniĂšre de l’Union europĂ©enne. L’encadrĂ© ci-aprĂšs prĂ©sente l’historique du dĂ©ploiement de cette mission. PRINCIPALES ÉTAPES DU LANCEMENT DE LA MISSION EUFOR-RCA – 19/20 dĂ©cembre 2013 : Conseil europĂ©en : mandat Ă  la Haute reprĂ©sentante pour prĂ©senter des propositions en faveur de la stabilisation de la RCA ; – 20 janvier 2014 : Conseil des Affaires Ă©trangĂšres (CAE) : approbation du Concept de Gestion de Crise (crisis management concept, CMC) ; – 22 janvier 2914 : lettre Ă  la HR de Mme Samba-Panza demandant l’appui de l’UE ; – 28 janvier 2014 : CSNU: rĂ©solution 2134 autorisant l’opĂ©ration de l’UE; – 10 fĂ©vrier 2014 : CAE : Ă©tablissement de la mission ; – 13 et 25 fĂ©vrier, 4 et 13 mars 2014 : quatre confĂ©rences de gĂ©nĂ©ration de force ; – 17 mars 2014 : le CAE appelle Ă  la poursuite de la planification d’EUFOR RĂ©publique centrafricaine ; – 27 mars 2014 : 5e confĂ©rence de gĂ©nĂ©ration de force - annonce française de combler les capacitĂ©s indispensables pour le lancement de la mission ; – 2 avril 2014 : lancement de la mission ; – 30 avril 2014 : dĂ©claration de capacitĂ© opĂ©rationnelle initiale (protection de Bangui — M’Poko) ; – 15 juin 2014 : dĂ©claration de pleine capacitĂ© opĂ©rationnelle. Source : ministĂšre de la DĂ©fense.

‱ Un mandat robuste Le principe d’une telle opĂ©ration a Ă©tĂ© approuvĂ© lors du Conseil des ministres des Affaires Ă©trangĂšres de l’Union europĂ©enne du 20 janvier 2014. L’objectif assignĂ© Ă  la force europĂ©enne consiste Ă  assurer la sĂ©curisation dans « la zone de Bangui », Ă  assurer la protection des civils et Ă  crĂ©er un espace sĂ©curisĂ© pour l’accĂšs des humanitaires. Devant les rapporteurs, le gĂ©nĂ©ral français Thierry Lion, commandant tactique de l’opĂ©ration EUFOR RCA, a jugĂ© suffisamment « robuste » le mandat confiĂ© Ă  la force, au regard des missions qui sont les siennes. Ce mandat s’inscrit d’ailleurs dans les lignes directrices fixĂ©es par la rĂ©solution 2134 du Conseil de


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sĂ©curitĂ© des Nations unies, en date du 28 janvier 2014. Les forces europĂ©ennes sont ainsi chargĂ©es d’une mission clairement dĂ©finie de « contrĂŽle de zone », d’appui Ă  la gendarmerie centrafricaine pour le « rĂ©tablissement de l’ordre » et, le cas Ă©chĂ©ant, d’appui technique Ă  la police judiciaire locale – par exemple en matiĂšre de police scientifique et de conduite d’enquĂȘte. ‱ Un objectif rĂ©aliste Pour les rapporteurs, les tĂąches confiĂ©es Ă  la mission EUFOR-RCA n’ont rien d’insurmontable pour les forces europĂ©ennes qui composent cette mission. Il s’agit en effet non pas d’une mission de combat, mais d’une mission de contrĂŽle de zone, limitĂ©e Ă  trois points de la ville de Bangui : – l’aĂ©roport M’Poko, dont la garde est confiĂ©e Ă  titre principal Ă  la force europĂ©enne ; – les 3e et 5e arrondissements de la ville, oĂč les hommes de la mission EUFOR-RCA sont chargĂ©s seulement de « participer » au contrĂŽle de la zone, aux cĂŽtĂ©s de la MISCA et des forces françaises. Surtout, l’opĂ©ration europĂ©enne n’a pas pour vocation de s’inscrire dans la durĂ©e : son mandat est explicitement celui d’une « bridging operation », c’est-Ă -dire qu’elle vise Ă  assurer la transition entre le contrĂŽle de la ville par les forces françaises et le dĂ©ploiement de la MINUSCA. Ainsi, il est prĂ©vu que les forces europĂ©ennes soient retirĂ©es du thĂ©Ăątre quatre Ă  six mois exactement aprĂšs la date Ă  laquelle aura Ă©tĂ© notifiĂ©e leur pleine capacitĂ© opĂ©rationnelle. La dĂ©claration de pleine capacitĂ© opĂ©rationnelle a Ă©tĂ© faite le 15 juin 2014 : ainsi, la mission prendra fin entre le 15 octobre au plus tĂŽt et le 15 dĂ©cembre au plus tard. En outre, calibrĂ©e pour 770 personnels militaires, cette mission ne peut pas ĂȘtre prĂ©sentĂ©e comme ayant un volume hors de la portĂ©e des puissances militaires europĂ©ennes. ii. Une gĂ©nĂ©ration de force des plus poussives Devant les rapporteurs, le chef d’état-major des armĂ©es a soulignĂ© qu’il avait fallu six tours de nĂ©gociations de gĂ©nĂ©ration de forces pour amener les EuropĂ©ens Ă  fournir Ă  l’opĂ©ration EUFOR-RCA les effectifs nĂ©cessaires. Et encore faut-il souligner que leur rĂ©sultat ne permet pas de conclure que l’Union europĂ©enne s’est montrĂ©e au rendez-vous de ses responsabilitĂ©s internationales – et c’est le moins que l’on puisse dire – : – alors qu’il s’agissait de conduire les membres de l’Union europĂ©enne Ă  armer une opĂ©ration de transition venant en complĂ©ment d’une intervention militaire française, plus de 50 % des effectifs de l’EUFOR-RCA sont fournis soit par la France, soit par des États qui ne sont pas membres de l’Union europĂ©enne ; – mĂȘme en ayant recours Ă  des forces appartenant Ă  des pays tiers, les effectifs thĂ©oriques de l’opĂ©ration EUFOR-RCA restent incomplets.


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‱ La criante absence de certains EuropĂ©ens La France est la Nation cadre de l’opĂ©ration et fournit le commandant de la force : le gĂ©nĂ©ral de division Philippe PontiĂšs. La force europĂ©enne est armĂ©e par vingt États, dont deux États qui ne sont pas membres de l’Union europĂ©enne. Outre la France, il s’agit du Luxembourg, de la GrĂšce, de la Finlande, du Portugal, de la GĂ©orgie, de l’Autriche, de la Bulgarie, des Pays-Bas, de la Hongrie, de la Lituanie, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Allemagne, de la SuĂšde, de Chypre, de l’Italie, de la Roumanie, de l’Estonie, de la Lettonie et du MontĂ©nĂ©gro. Pourtant, il ressort des entretiens conduits par les rapporteurs que les principales puissances europĂ©ennes, tout au long du processus de gĂ©nĂ©ration de force de la mission EUFOR-RCA, ont marquĂ© de grandes rĂ©ticences Ă  contribuer concrĂštement Ă  l’armement de la force, et ce malgrĂ© la tenue en dĂ©cembre 2013 d’un Conseil europĂ©en censĂ© relancer l’Europe de la dĂ©fense. Aussi, l’architecture de l’EUFOR-RCA fait apparaĂźtre des lacunes : nombre de postes ne sont pas pourvus, principalement pour ce qui concerne les capacitĂ©s de combat d’infanterie, comme le montre l’encadrĂ© ci-aprĂšs. De sorte qu’il manquait encore, au mois de mai, une compagnie et deux sections d’infanterie – sur la fourniture desquelles le gĂ©nĂ©ral commandant le Force Headquarters de l’EUFOR-RCA Ă  Bangui s’est dĂ©clarĂ© trĂšs pessimiste –, des moyens de commandement et des capacitĂ©s mĂ©dicales. Il en rĂ©sulte, selon les Ă©lĂ©ments fournis aux rapporteurs par le ministĂšre de la DĂ©fense, que « si les contributions restent en l’état, il est probable qu’une redĂ©finition de l’ambition de la mission soit requise » – et ce alors mĂȘme que l’ambition de cette mission Ă©tait loin d’ĂȘtre hors de portĂ©e, vu sa relative modestie. L’ARCHITECTURE DE LA MISSION EUFOR-RCA EUFOR est commandĂ©e depuis l’OHQ (Operational Headquarter) de Larissa (GrĂšce) et un FHQ (Force Headquarter) Ă  Bangui (RCA). – OHQ armĂ© Ă  90 %, soit 122 postes fournis par 12 Ă©tats dont la GrĂšce (74 militaires) ; – FHQ armĂ© Ă  75 %, soit 66 militaires fournis par huit pays ; – Deux compagnies et demie d’infanterie sur les quatre prĂ©vues : une compagnie française, une compagnie gĂ©orgienne, une section estonienne, une section lettone ; – Une compagnie de gendarmerie (55 gendarmes français — Espagne — Pologne) ; – Les forces spĂ©ciales (Espagne) ; – Des capacitĂ©s d’appui : Finlande (action civilo-militaire et dĂ©minage/dĂ©pollution), Italie (GĂ©nie) ; – Le soutien mĂ©dical : rĂŽle 2 (France) + Ă©vacuation sanitaire (Allemagne) – Le transport stratĂ©gique : Allemagne (SALIS) – Grande-Bretagne au profit des GĂ©orgiens et SuĂšde au profit des Estoniens. Source : ministĂšre de la DĂ©fense.


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Il faut toutefois noter que la mission EUFOR-RCA est la premiĂšre opĂ©ration militaire de l’Union europĂ©enne Ă  possĂ©der un dĂ©tachement entier de gendarmerie, formĂ© et consacrĂ© Ă  la pratique du maintien de l’ordre, d’interpellation et d’enquĂȘte. Le seul prĂ©cĂ©dent en la matiĂšre est la mission EULEX au Kosovo, mais celle-ci Ă©tait une mission de nature strictement civile. Ce dĂ©tachement comprend deux pelotons français, un peloton de la Guardia civil espagnole et un peloton de Ć»andarmerii polonais, ainsi qu’une cellule de renseignement et d’investigation criminelle. On notera en outre que, selon le gĂ©nĂ©ral Thierry Lion, commandant de la force europĂ©enne Ă  Bangui, le cadre rĂ©glementaire des opĂ©rations de l’Union europĂ©enne prĂ©sente certaines rigiditĂ©s, qui conduisent les EuropĂ©ens Ă  prĂ©fĂ©rer des accords de grĂ© Ă  grĂ© pour leur participation Ă  la mission EUFOR-RCA. Tel est le cas par exemple des arrangements conclus pour la mise Ă  disposition d’avions, et ce en dĂ©pit de l’existence de l’EATC (European Air transport Command). ‱ La part prĂ©pondĂ©rante de la France au sein de l’EUFOR-RCA La France a dĂ» non seulement prendre l’initiative de l’opĂ©ration EUFOR-RCA et entreprendre sans relĂąche de sensibiliser ses partenaires europĂ©ens pour les conduire Ă  surmonter en partie leurs rĂ©ticences, mais elle a encore dĂ» combler elle-mĂȘme les plus importantes des lacunes rĂ©sultant, dans l’architecture de la force europĂ©enne, de la trĂšs faible mobilisation des principales puissances europĂ©ennes. Ainsi, selon les informations fournies aux rapporteurs par le ministĂšre de la DĂ©fense, la contribution française Ă  la mission devait reprĂ©senter initialement 29 % des effectifs (soit 290 personnels) pour un coĂ»t de 17 millions d’euros pour neuf mois. Mais in fine, la France aura fourni une grande partie des moyens logistiques indispensables, et sa participation reprĂ©sentera 42 % des effectifs militaires (soit 326 personnels), pour un coĂ»t de 36 millions d’euros sur neuf mois (soit 50 millions d’euros en annĂ©e pleine). Il a Ă©tĂ© indiquĂ© Ă  Bangui que les Français reprĂ©sentaient mĂȘme les deux tiers des effectifs militaires projetĂ©s sur le terrain, preuve supplĂ©mentaire de la « frilositĂ© » de nos partenaires. Les rapporteurs ont d’ailleurs pu constater sur place que la force europĂ©enne avait Ă©tĂ© en partie armĂ©e par des personnels militaires français prĂ©cĂ©demment dĂ©ployĂ©s en RĂ©publique centrafricaine au titre de l’opĂ©ration Sangaris : ainsi, dans nombre de cas, la manƓuvre s’est limitĂ©e Ă  un changement d’écusson
 Cette situation n’est pas Ă  l’honneur des EuropĂ©ens, et ne sert guĂšre la France elle-mĂȘme, qui n’a aucun intĂ©rĂȘt Ă  ce que la banniĂšre europĂ©enne puisse ĂȘtre vue, sur le continent africain, comme le « faux nez » d’interventions françaises. c. Les difficultĂ©s rencontrĂ©es par les forces africaines L’Union africaine s’est trĂšs tĂŽt impliquĂ©e dans la gestion de la crise centrafricaine et de son pic de 2012-2013. La France et l’ONU ont d’ailleurs veillĂ©


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Ă  l’associer Ă  leurs entreprises en la matiĂšre. Pour la direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du Quai d’Orsay, « l’étroite coordination entre le Conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU et le Conseil de paix et de sĂ©curitĂ© (CPS) de l’Union africaine sur le dossier de la RĂ©publique centrafricaine est unanimement reconnue ». La prĂ©paration de la rĂ©solution 2149 a notamment Ă©tĂ© l’occasion d’un travail Ă©troit avec l’Union africaine. Les rĂ©ticences initiales de celle-ci quant au dĂ©ploiement rapide d’une opĂ©ration de maintien de la paix en RĂ©publique centrafricaine paraissent directement liĂ©es Ă  la gestion de la crise malienne. L’Union africaine a pu ĂȘtre affectĂ©e par le rapide transfert d’autoritĂ© entre la MISMA et la MINUSMA au Mali, qu’elle a interprĂ©tĂ© comme une marque de dĂ©fiance Ă  son Ă©gard et considĂ©rĂ© comme un Ă©chec. Ceci peut expliquer son souhait que du temps soit laissĂ© Ă  la MISCA pour faire ses preuves. Ainsi, entre le dĂ©ploiement de la MISCA en aoĂ»t 2013 et la date prĂ©vue pour son relais par la MINUSCA le 15 septembre 2014 – alors que la MINUSCA a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en avril –, un peu plus d’un an aura Ă©tĂ© offert Ă  cet effet. Toutefois, les observations faites sur le terrain par les rapporteurs tendent Ă  montrer que si l’Union africaine a une vĂ©ritable ambition d’appropriation par les Africains des enjeux de sĂ©curitĂ© de leur continent, le dĂ©ploiement de leurs forces reste compliquĂ©. i. Des difficultĂ©s financiĂšres et capacitaires ‱ Les fonds consentis Ă  l’Union africaine tardent Ă  arriver Ă  Bangui Le dĂ©placement des rapporteurs Ă  Bangui leur a permis de faire le point, avec le gĂ©nĂ©ral camerounais Martin Tumenta Chomu, commandant de la MISCA, sur le dĂ©ploiement de cette force placĂ©e sous la banniĂšre de l’Union africaine. La principale difficultĂ© Ă  laquelle elle est confrontĂ©e tient aux circuits financiers complexes de l’Union africaine. En effet, comme l’ont fait observer aux rapporteurs les responsables de la direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, si le sommet de l’ÉlysĂ©e a mis l’accent sur l’autonomisation des Africains, il n’en reste pas moins que l’« on doit constater la totale dĂ©pendance financiĂšre qui demeure, en partie parce que les États membres de l’Union africaine ne versent pas toujours toutes leurs contributions ». Aussi, le financement d’une opĂ©ration telle que la MISCA repose-t-il in fine sur d’autres bailleurs de fonds : l’Union europĂ©enne pour le paiement d’une large partie des soldes des militaires dĂ©ployĂ©s, et les États-Unis pour la fourniture de matĂ©riels. Or ces circuits financiers prĂ©sentent des dysfonctionnements manifestes. En effet, le gĂ©nĂ©ral Martin Tumenta Chomu a indiquĂ© qu’à la date du dĂ©placement des rapporteurs Ă  Bangui, ses hommes n’avaient pas Ă©tĂ© payĂ©s depuis quatre mois, alors qu’ils l’étaient lorsque les mĂȘmes contingents relevaient de la MICOPAX, placĂ©e sous la tutelle de la CEEAC. Pourtant, selon les prĂ©cisions


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fournies aux rapporteurs, les fonds engagĂ©s Ă  ce titre par l’Union europĂ©enne auraient bien Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s Ă  l’Union africaine. Une partie au moins des dysfonctionnements semble donc rĂ©sulter des procĂ©dures d’engagement et de dĂ©caissement des fonds de l’Union africaine. Le gĂ©nĂ©ral Tumenta Chomu a d’ailleurs expliquĂ© aux rapporteurs que ces procĂ©dures financiĂšres reposaient sur un principe de centralisation des engagements budgĂ©taires Ă  Addis-Abeba, siĂšge de l’Union africaine : le commandant d’une force telle que la MISCA n’a ainsi de marges de manƓuvre financiĂšres que trĂšs limitĂ©es. Certains observateurs civils estiment d’ailleurs que l’Union africaine fait montre d’une « grande dĂ©sorganisation administrative » : rĂ©cemment encore, sur 50 millions d’euros provisionnĂ©s par les bailleurs de fonds pour le financement de la MISCA, l’Union europĂ©enne n’aurait Ă©tĂ© en mesure de disposer des justificatifs de dĂ©penses en bonne et due forme que pour cinq millions d’euros. Que l’on ne se mĂ©prenne pas sur les vues des rapporteurs : il ne s’agit nullement pour eux de faire porter Ă  l’Union africaine la responsabilitĂ© de ces dysfonctionnements, et ce pour deux raisons au moins : – l’Union europĂ©enne elle-mĂȘme, avec ses mĂ©canismes extrĂȘmement complexes de financement des opĂ©rations extĂ©rieures et ses rĂšgles trĂšs contraignantes en matiĂšre de financement des opĂ©rations et des Ă©quipements Ă  caractĂšre militaire, ne saurait ĂȘtre prĂ©sentĂ©e en exemple de souplesse et de rĂ©activitĂ© dans le financement des interventions militaires ; – ces dysfonctionnements Ă©tant bien connus, rien n’interdirait Ă  l’UE d’entreprendre des dĂ©marches auprĂšs de l’Union africaine en vue de s’assurer d’un meilleur emploi des fonds qu’elle dĂ©caisse. Les EuropĂ©ens pourraient, par exemple, proposer une aide technique Ă  l’administration de l’Union africaine pour la gestion de ces crĂ©dits. À la connaissance des rapporteurs, rien n’a Ă©tĂ© entrepris en ce sens Ă  ce jour. Il ne faudrait pas que le fait de financer l’Union africaine soit perçu par les responsables compĂ©tents de l’Union europĂ©enne comme suffisant Ă  assumer leurs responsabilitĂ©s internationales ; ce serait, dans une certaine mesure, se dĂ©fausser. ‱ Les forces africaines ont besoin d’appuis techniques pour combler leurs lacunes capacitaires Lors de leur dĂ©placement auprĂšs de l’état-major de la MISCA, les rapporteurs ont pu prendre connaissance du bilan contrastĂ© des capacitĂ©s de cette force. Le gĂ©nĂ©ral Tumenta Chomu a en effet soulignĂ© la loyautĂ© et le dĂ©vouement des soldats – d’autant plus remarquables qu’ils ne sont pas payĂ©s rĂ©guliĂšrement –, tout en indiquant que la force manquait de moyens de planification et de commandement, ainsi que de moyens logistiques de projection.


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Ces lacunes n’ont en soi rien de surprenant : les mĂȘmes ont Ă©tĂ© observĂ©es au Mali dans le cadre de la MISMA, et s’expliquent par les capacitĂ©s limitĂ©es des forces armĂ©es des principaux États contributeurs dans les domaines concernĂ©s. ii. Le rĂŽle du Tchad Les dĂ©placements des rapporteurs au Tchad et en RĂ©publique centrafricaine leur ont permis de prendre en considĂ©ration le rĂŽle jouĂ© par le Tchad dans la crise centrafricaine. La position du Tchad peut ĂȘtre vue sous deux angles trĂšs diffĂ©rents : – certains observateurs, notamment Ă  N’Djamena, soulignent que le Tchad se trouve en quelque sorte « victime » de la crise centrafricaine : une partie de la population de la RĂ©publique centrafricaine lui est devenue clairement hostile, et les moyens brutaux employĂ©s par les forces tchadiennes dĂ©ployĂ©es en RĂ©publique centrafricaine ont Ă©tĂ© critiquĂ©s par une large part de la communautĂ© internationale ; – le sentiment qui semble prĂ©valoir Ă  Bangui est radicalement diffĂ©rent : le prĂ©sident Idriss DĂ©by y est parfois prĂ©sentĂ© comme un « faiseur de roi » dont les liens avec la SĂ©lĂ©ka ne seraient pas totalement rompus, et certaines de ses dĂ©cisions rĂ©centes ont Ă©tĂ© perçues comme des manifestations d’hostilitĂ© Ă  l’égard des autoritĂ©s centrafricaines de la transition, comme le rapatriement de ses ressortissants ou le retrait du Tchad de la MISCA. Si les rapporteurs se gardent de trancher entre ces deux positions extrĂȘmes, il leur semble nĂ©anmoins utile de relater ce qu’ils ont pu constater concernant l’impact de la politique du Tchad dans le rĂšglement de la crise centrafricaine. ‱ Une relation particuliĂšre aux populations musulmanes de la RĂ©publique centrafricaine Lors d’entretiens au Tchad avec diffĂ©rents observateurs internationaux, les rapporteurs ont pu recenser les signaux que le prĂ©sident Idriss DĂ©by a adressĂ©s rĂ©guliĂšrement Ă  toutes les parties impliquĂ©es dans le rĂšglement de la crise tchadienne depuis 2013. Les inquiĂ©tudes formulĂ©es par la diplomatie tchadienne concernaient surtout le sort fait aux populations musulmanes, notamment le fait que les ex-SĂ©lĂ©ka ont Ă©tĂ© dĂ©sarmĂ©s avant les anti-balakas, ainsi que les exactions commises par ces milices – dont la violence aurait Ă©tĂ© sous-estimĂ©e – contre des populations musulmanes de nationalitĂ© ou d’ascendance tchadienne. Les Tchadiens ont le sentiment de ne pas avoir Ă©tĂ© entendus sur ce sujet, y compris par la France. C’est ce qui expliquerait notamment que le Tchad ait pris la dĂ©cision de rapatrier, de façon parfois plus ou moins forcĂ©e, ses ressortissants de la RĂ©publique centrafricaine, et de retirer son contingent de la MISCA.


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Les violences qui ont eu lieu le 29 mars 2014 Ă  PK12, au passage d’un convoi tchadien de la MISCA chargĂ© de rapatrier des ressortissants tchadiens de Bangui, ont contribuĂ© Ă  durcir les oppositions, et restent dĂ©crites, Ă  Bangui, comme un « traumatisme ». Le ministre de la DĂ©fense les a prĂ©sentĂ©es Ă  la commission dans les termes suivants (1) : « Ă  la suite d’une provocation armĂ©e des anti-balaka, les Tchadiens ont ripostĂ© Ă  l’arme lourde, causant vingt morts et une soixantaine de blessĂ©s dans la population ». Le ministre a qualifiĂ© la rĂ©action tchadienne de « disproportionnĂ©e » et soulignĂ© qu’elle « a Ă©tĂ© condamnĂ©e par la communautĂ© des ONG et des agences des Nations unies ». Pour lui, c’est lĂ  « ce qui a conduit le PrĂ©sident DĂ©by Ă  retirer en quelques jours le contingent tchadien de la MISCA ». ‱ Un retrait qui fragilise la MISCA Le ministre de la DĂ©fense a estimĂ© devant la commission que « ce dĂ©part n’est pas une bonne nouvelle car chacun sait le rĂŽle central que joue le Tchad - par ailleurs actuel membre non permanent du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies - dans le rĂšglement de cette crise ». Le retrait du contingent tchadien de la MISCA fragilise en effet le dispositif de pacification du pays Ă  deux Ă©gards. D’une part, Ă  court terme, il a privĂ© sans long prĂ©avis la MISCA de 850 hommes, parmi les plus aguerris que comptait la force. Le gĂ©nĂ©ral Franciso Soriano a d’ailleurs estimĂ© devant les rapporteurs que quels que soient les reproches que l’on peut faire aux Tchadiens, leur retrait a enlevĂ© Ă  la MISCA un « contingent solide dans le Nord », oĂč il avait un « rĂŽle stabilisateur ». D’autre part, selon les observateurs, les relations que le Tchad avait su entretenir avec la SĂ©lĂ©ka faisaient du prĂ©sident Idriss DĂ©by un interlocuteur incontournable dans le processus d’apaisement des tensions entre les ex-SĂ©lĂ©ka et les autres parties du conflit centrafricain. DĂšs lors, le retrait du Tchad et la distance qui s’est crĂ©Ă©e entre le prĂ©sident Idriss DĂ©by et la prĂ©sidente Catherine Samba-Panza – laquelle, dit-on, n’était pas la premiĂšre candidate soutenue par le Tchad pour succĂ©der Ă  Michel Djotodia Ă  la tĂȘte des autoritĂ©s de la transition – n’ont pas contribuĂ© Ă  faciliter la pacification de la RĂ©publique centrafricaine qui constitue le but recherchĂ© par l’Union africaine dans le dĂ©ploiement de la MISCA. Certains interlocuteurs des rapporteurs ont donc souhaitĂ© qu’une solution soit trouvĂ©e pour permettre au Tchad de s’impliquer de nouveau plus directement dans la rĂ©solution de la crise politico-militaire en RĂ©publique centrafricaine. Lors des entretiens, les autoritĂ©s centrafricaines se sont d’ailleurs montrĂ©es trĂšs ouvertes Ă  une rĂ©ouverture du dialogue avec le Tchad. La prĂ©sidente Catherine Samba-Panza a ainsi dĂ©clarĂ© qu’elle regrettait le dĂ©part prĂ©cipitĂ© du contingent tchadien et qu’elle avait donnĂ© pour instruction aux responsables de la transition de « se garder de tout commentaire susceptible d’attiser le feu ». Le Premier (1) Audition du 16 avril 2014, compte-rendu n° 45.


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ministre est allĂ© plus loin, soulignant qu’il n’y a « pas d’inimitiĂ© structurelle » entre Tchadiens et Centrafricains, et indiquant qu’en langue sango, les Tchadiens sont le seul peuple qui n’est pas dĂ©signĂ© par son gentilĂ©, mais par le terme de « frĂšres ». d. Les grands dĂ©fis qui se prĂ©sentent pour une opĂ©ration de maintien de la paix de l’ONU Comme l’a indiquĂ© la direction des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, l’adoption, le 10 avril 2014, de la rĂ©solution 2149 du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies, qui crĂ©e la MINUSCA, « est l’aboutissement d’un long processus de mobilisation diplomatique impulsĂ© par la France, dans le contexte d’une large indiffĂ©rence et d’une mĂ©connaissance de la RĂ©publique centrafricaine par la communautĂ© internationale ». Dans ce processus, « l’intervention du prĂ©sident de la RĂ©publique Ă  la tribune de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies en septembre 2013, suivie de la coprĂ©sidence par le ministre d’un Ă©vĂ©nement de haut niveau en marge de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, ont placĂ© la situation en RĂ©publique centrafricaine au cƓur de l’agenda aux Nations unies ». Cette implication du Conseil de sĂ©curitĂ© s’est traduite par l’adoption en quatre mois de trois rĂ©solutions (2121, 2127 et 2134) jusqu’à l’adoption de la rĂ©solution 2149, toutes adoptĂ©es Ă  l’unanimitĂ©, « avec un engagement croissant des États-Unis Ă  nos cĂŽtĂ©s et une consultation large et constante avec l’Union africaine ». Le tableau ci-aprĂšs prĂ©sente les grandes options retenues pour le dimensionnement de la MINUSCA. LA MINUSCA Forces françaises engagĂ©es (prĂ©visions) Chef d’État-major RSSGNU et Chef de mission Chef de la composante militaire Effectif en uniforme / plafond au 15/09 Effectifs civils Budget approuvĂ© Contributions obligatoires françaises Mandat initial Mandat actuel Fin du mandat

6 GĂ©nĂ©ral Hingray M. Babacar Gaye (SĂ©nĂ©gal) GĂ©nĂ©ral Bella Keita (SĂ©nĂ©gal) – Ă  confirmer 11 820 (10 000 militaires et 1 820 policiers) Non dĂ©fini. Objectif de 400 au 15/09 selon le DOMP 313 M$ pour la pĂ©riode du 10 avril au 31 dĂ©cembre 2014. 22,5 M$ RĂ©solution 2149 (2014) du 10 avril 2014 RĂ©solution 2149 (2014) du 10 avril 2014 avril 2015

Source : direction des affaires politiques et de sécurité du ministÚre des Affaires étrangÚres.

i. Des attentes trĂšs importantes Mettre en place une opĂ©ration de maintien de la paix (OMP) au sens de l’ONU prĂ©sente de nombreux avantages : celle-ci finance une large partie des frais engagĂ©s, son pĂ©rimĂštre multinational est cohĂ©rent avec la « responsabilitĂ© de protĂ©ger » qui incombe non Ă  tel ou tel État mais Ă  la communautĂ© internationale dans son ensemble, et elle permet de mettre en Ɠuvre des actions civiles et militaires pour lesquelles l’ONU dispose aujourd’hui d’une certaine expertise.


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Comme les rapporteurs ont pu le constater sur place, le dĂ©ploiement de la MINUSCA, prĂ©vu pour le 15 septembre 2014, suscite donc de fortes attentes, tant pour son volet sĂ©curitaire que pour son volet civil. ‱ Pour son volet sĂ©curitaire, concernant la maĂźtrise du territoire 1./ Un mandat robuste Le mandat de la MINUSCA peut lĂ©gitimement ĂȘtre qualifiĂ© de « robuste ». Parmi les prioritĂ©s Ă©noncĂ©es, outre la protection des civils, la facilitation de l’acheminement de l’aide humanitaire, la protection des droits de l’Homme, figurent notamment l’extension rapide de l’autoritĂ© de l’État, le soutien Ă  la lutte contre l’impunitĂ© et Ă  l’État de droit et le soutien au processus de dĂ©sarmement, dĂ©mobilisation, rĂ©insertion (DDR). Surtout, le paragraphe 40 de la rĂ©solution 2149 prĂ©voit que la MINUSCA peut, sur demande des autoritĂ©s de transition, adopter des mesures temporaires d’urgence pour maintenir l’ordre public fondamental et lutter contre l’impunitĂ©. À ce stade, ces autoritĂ©s n’ont pas formulĂ© une telle demande. 2./ Un format important La rĂ©solution 2149 autorise le dĂ©ploiement d’une composante militaire de 10 000 hommes et d’une composante policiĂšre de 1 820 hommes. En ce qui concerne la premiĂšre, l’ONU envisage de s’appuyer essentiellement sur les contributeurs actuels de la MISCA. L’ensemble des contingents africains, Ă  l’exception des Équato-GuinĂ©ens, devraient ĂȘtre repris sous casques bleus, soit les six bataillons du Congo Brazzaville, du Cameroun, du Burundi, du Rwanda, du Gabon et de la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo. La composante militaire de la MINUSCA devrait ainsi comprendre environ 5 000 militaires au 15 septembre, ceci sans compter les contingents de gĂ©nie (environ 400 IndonĂ©siens et Cambodgiens redĂ©ployĂ©s depuis HaĂŻti et le Soudan du Sud). Le reste des effectifs sera complĂ©tĂ© par une gĂ©nĂ©ration de forces ad hoc. Selon les informations fournies par la direction des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, le Maroc pourrait augmenter sa contribution Ă  hauteur d’un bataillon de 850 hommes, tandis que la Zambie, la Mauritanie, le Pakistan et le Bangladesh ont Ă©galement Ă©tĂ© approchĂ©s. L’objectif est de disposer de neuf bataillons d’infanterie, plus un de rĂ©serve. L’ONU recherche Ă©galement des hĂ©licoptĂšres, qui constituent une capacitĂ© critique pour les OMP : Ă  ce stade, le Bangladesh et le Sri Lanka ont proposĂ© des contributions en hĂ©licoptĂšres de transport. Un appel d’offres pour quatre appareils civils a Ă©galement Ă©tĂ© lancĂ©. Pour la direction des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, l’analyse de la menace en RĂ©publique centrafricaine a conduit Ă  dĂ©finir une importante composante de police « afin de fournir au ReprĂ©sentant spĂ©cial les moyens de maintenir l’ordre public et d’agir le plus efficacement


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possible au sein de la population ». Six unitĂ©s de police constituĂ©es (Formed Police Units, FPU) sont prĂ©vues. Les FPU de la MISCA seront reprises. ‱ Pour son volet civil : concernant la reconstruction de l’État L’intĂ©rĂȘt d’une OMP, dite « multidimensionnelle », tient aussi Ă  sa composante civile, notamment pour un cas comme celui de la RĂ©publique centrafricaine, marquĂ©e par l’effondrement complet des structures Ă©tatiques et la dislocation du lien social. La rĂ©solution 2149 prĂ©voit que la MISCA devra apporter son appui au processus politique – y compris Ă  la prĂ©paration des Ă©lections. ii. Des incertitudes pesant sur la gĂ©nĂ©ration de forces ‱ Des difficultĂ©s dans l’atteinte des standards de l’ONU Il ressort des entretiens conduits par les rapporteurs, notamment avec le gĂ©nĂ©ral Martin Tumenta Chomu, qu’à l’exception des contingents rwandais et burundais de la MISCA, « la montĂ©e aux standards onusiens constitue la principale difficultĂ© » pour le transfert des forces de la MISCA Ă  la MINUSCA, « notamment en termes d’équipements : vĂ©hicules et moyens de communication pour le commandement ». Ceux-ci doivent ĂȘtre complĂ©tĂ©s par diffĂ©rents partenaires, et le SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral des Nations unies a engagĂ© des discussions Ă  ce sujet avec les pays contributeurs et avec les pays donateurs, notamment les États-Unis. La mĂȘme difficultĂ© se retrouve concernant la composante policiĂšre de la MINUSCA : la qualitĂ© des Ă©quipements est le principal problĂšme. En outre, la recherche des 400 officiers de police est plus complexe – un seul est dĂ©ployĂ© dans le cadre de la MISCA –, et ce d’autant qu’il faut trouver des francophones, avec des formations prĂ©cises. L’objectif est toutefois de dĂ©ployer 125 officiers au 15 septembre. ‱ Des tensions budgĂ©taires Comme l’indique la direction des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, la question du budget de la MINUSMA s’inscrit dans une problĂ©matique plus large, celle de la soutenabilitĂ© du budget du maintien de la paix. Le budget 2013-2014 des OMP s’élĂšve Ă  7,8 milliards de dollars (pour une contribution française d’environ 420 millions d’euros), mais selon les derniĂšres prĂ©visions de la ReprĂ©sentation permanente française Ă  New York, le budget global des OMP pourrait atteindre 8,5 milliards de dollars en 2014-2015. C’est pourquoi plusieurs pays, comme la France, sont « particuliĂšrement attentifs Ă  maintenir ce budget sous contrĂŽle afin de prĂ©server notamment les capacitĂ©s de lancement de nouvelles OMP ou d’extension d’opĂ©rations existantes ».



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II. NOTRE PRÉSENCE ET NOS INTERVENTIONS MILITAIRES GAGNERAIENT À S’INSCRIRE DANS LE CADRE D’UNE POLITIQUE AFRICAINE GLOBALE, PARTENARIALE, COHÉRENTE ET ASSUMÉE

Les rapporteurs tirent de leurs travaux le sentiment gĂ©nĂ©ral que, paradoxalement, c’est prĂ©cisĂ©ment au moment oĂč l’Afrique est reconnue comme un continent dont le potentiel de dĂ©veloppement est aussi Ă©levĂ© que les risques de dĂ©stabilisation – le continent « de toutes les chances et de tous les risques », pourrait-on dire – que la France voit son empreinte s’y rĂ©duire, et ce Ă  tous Ă©gards : militaire, mais aussi Ă©conomique, linguistique et politique. Pourtant, la France possĂšde de nombreux atouts Ă  faire valoir pour conserver sa place en Afrique : en aidant ses partenaires Ă  contrer les risques qui pĂšsent sur eux, elle pourra aussi bĂ©nĂ©ficier de leur grand potentiel de dĂ©veloppement. Cela suppose une politique africaine globale, partenariale, cohĂ©rente et assumĂ©e. A. LES ÉTATS AFRICAINS NE POURRONT ASSURER LEUR SÉCURITÉ QUE DANS LE CADRE DE COOPÉRATIONS, OÙ LA FRANCE PEUT JOUER UN RÔLE DE PREMIER PLAN

MalgrĂ© les efforts rĂ©els et substantiels consentis par la plupart des pays africains pour renforcer leurs systĂšmes de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© nationale, les menaces qu’ils doivent affronter et les ressources qu’ils peuvent mobiliser sont telles qu’ils ne peuvent le faire efficacement que dans le cadre de coopĂ©rations internationales. La France dispose d’un grand nombre d’atouts pour approfondir dans ce cadre ses partenariats africains. 1. Des efforts substantiels de renforcement des forces armĂ©es et des forces de sĂ©curitĂ© africaines, qui constituent autant d’occasions de partenariats « gagnant-gagnant » avec la France

a. La plupart des pays africains planifient le renforcement de leurs forces armĂ©es et leurs forces de sĂ©curitĂ© Dans tous les pays oĂč se sont dĂ©placĂ©s les rapporteurs, les forces armĂ©es et les forces de sĂ©curitĂ© font l’objet de programmes de renforcement. i. Des efforts de dĂ©veloppement des effectifs des forces armĂ©es Un des traits communs Ă  la quasi-totalitĂ© des États dans lesquels les rapporteurs se sont dĂ©placĂ©s, Ă  l’exception du Tchad, rĂ©side dans le format particuliĂšrement rĂ©duit de leurs forces armĂ©es : les effectifs totaux des forces y dĂ©passent rarement 12 000 ou 13 000 hommes, toutes armĂ©es et toutes armes confondues.


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Ces États sont aujourd’hui conduits Ă  planifier un dĂ©veloppement consĂ©quent des effectifs militaires. Ainsi, Ă  titre d’exemple, le plan « ArmĂ©es 2025 » au SĂ©nĂ©gal vise Ă  porter ceux des forces armĂ©es sĂ©nĂ©galaises de 18 000 Ă  25 000 hommes. De mĂȘme, au Niger, les effectifs des forces armĂ©es sont passĂ©s de 12 000 Ă  13 000 hommes au cours de la seule annĂ©e 2013. Le Tchad fait exception, avec 14 000 hommes servant au sein de l’ArmĂ©e nationale tchadienne, et le mĂȘme effectif servant au sein d’une sorte de garde prĂ©sidentielle, la direction gĂ©nĂ©rale de service de sĂ©curitĂ© des institutions de l’État (DGSSIE). Comme le dĂ©taille l’encadrĂ© ci-aprĂšs, le Tchad est engagĂ© dans une dĂ©marche de rĂ©duction de ses effectifs militaires et de modernisation de son outil de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© nationale. LA MANƒUVRE DE MODERNISATION DES FORCES ARMÉES TCHADIENNES 1./ Situation actuelle Comme l’attachĂ© de dĂ©fense de l’ambassade de France au Tchad l’a expliquĂ© aux rapporteurs, les forces armĂ©es tchadiennes peuvent aujourd’hui ĂȘtre vues comme une armĂ©e « Ă  deux vitesses », divisĂ©e entre : – la direction gĂ©nĂ©rale des services de sĂ©curitĂ©s des institutions de l’État (DGSSIE), garde prĂ©sidentielle bien armĂ©e et bien entraĂźnĂ©e (1), commandĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Mahamat Idriss DĂ©by Itno, fils du chef de l’État, forte de 14 000 hommes provenant pour l’essentiel des groupes ethniques du Nord-Est (notamment les Zaghawas), dont est issue la famille DĂ©by ; – l’armĂ©e nationale tchadienne (ANT), moins bien Ă©quipĂ©e et au sein de laquelle le rĂ©gime indemnitaire est moins gĂ©nĂ©reux (les Ă©carts allant du simple au dĂ©cuple), donc moins attractive pour l’élite militaire, ethniquement plus diversifiĂ©e et constituĂ©e largement par agrĂ©gation d’anciens groupes rebelles. 2./ Projet de modernisation initiĂ© en 2011 Selon l’attachĂ© de dĂ©fense, l’objectif de la rĂ©forme entreprise depuis 2011 par le prĂ©sident DĂ©by consiste Ă  moderniser les forces, afin d’amener aux standards internationaux une armĂ©e qui est faite, aujourd’hui, « plutĂŽt de guerriers que de soldats ». Cet effort de modernisation prĂ©sente un double intĂ©rĂȘt : – d’une part, pour l’efficacitĂ© opĂ©rationnelle des forces, ce qui passe par une modernisation de leur Ă©quipement, une rĂ©duction et un rajeunissement de leurs effectifs. Les conditions d’engagement des Tchadiens au Mali ont d’ailleurs montrĂ© que parfois, leurs techniques d’assaut, si elles ne manquent pas de panache, sont coĂ»teuses en vies humaines ; – d’autre part, pour faciliter leur insertion dans les forces multinationales, qui ne sont financĂ©es par l’ONU que dans la mesure oĂč leur organisation rĂ©pond Ă  des critĂšres internationaux (au nombre de 3 000 environ). Pour l’attachĂ© de dĂ©fense, si l’atteinte de ces critĂšres suppose un investissement consĂ©quent, elle n’en est pas moins « rentable » – ce que certains États africains ont bien compris. Cet effort de modernisation passe ainsi, selon les informations fournies aux rapporteurs par les coopĂ©rants français insĂ©rĂ©s au sein des forces tchadiennes, par une dĂ©flation portant, Ă  terme, sur 5 000 postes.

(1) L’essentiel des forces tchadiennes d’intervention au Mali provenait de cette DGSSIE.


— 229 — 3./ Obstacles Ă  surmonter Cet effort de modernisation se heurte toutefois Ă  diffĂ©rents obstacles : – des obstacles culturels, certains militaires tchadiens semblant craindre que leurs armĂ©es « perdent leur Ăąme » en s’alignant sur les standards de l’ONU ; – des obstacles tenant aux structures, l’organisation des forces armĂ©es tchadiennes Ă©tant encore Ă  raffermir. À titre d’exemple, on notera que pour la formation de diffĂ©rentes unitĂ©s aux standards internationaux, le Tchad a rĂ©cemment reçu deux offres de services – l’une d’une sociĂ©tĂ© privĂ©e française, l’autre du gouvernement amĂ©ricain – mais que la mise en Ɠuvre de ce programme a connu de trĂšs importants retards, car le Tchad n’était pas en mesure de fournir un organigramme nominatif des commandants de bataillons - requis pour bĂ©nĂ©ficier de l’aide amĂ©ricaine -, et a considĂ©rablement tardĂ© Ă  dĂ©bloquer les arrhes (1) nĂ©cessaires au lancement du programme de formation proposĂ© par la sociĂ©tĂ© française.

ii. Des efforts de renforcement capacitaire ‱ Des plans ambitieux d’amĂ©lioration des Ă©quipements militaires Plusieurs États mettent en Ɠuvre d’amĂ©lioration de leurs Ă©quipements militaires :

d’ambitieux

programmes

– notamment terrestres et aĂ©roterrestres, comme par exemple au Niger, au Burkina Faso ou au Mali ; – navals, comme en CĂŽte d’Ivoire et au Gabon ; – mais aussi aĂ©rien, comme le Niger, qui a acquis rĂ©cemment plusieurs avions TĂ©tras de fabrication française pour amĂ©liorer ses capacitĂ©s de surveillance des frontiĂšres, ou la Mauritanie, qui a acquis des avions Embraer EMB 314 Super Tucano modifiĂ©s en France pour d’appui aĂ©rien au sol. L’objectif affichĂ© est celui d’une « montĂ©e en gamme » technologique, parfois ambitieuse – ainsi, le chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es du Niger a Ă©voquĂ© la perspective de voir ses armĂ©es dotĂ©es de drones. Au SĂ©nĂ©gal, l’accent est mis sur le dĂ©veloppement des capacitĂ©s de surveillance maritime. Dans les autres États oĂč les rapporteurs se sont dĂ©placĂ©s, ce sont plus frĂ©quemment les moyens de contrĂŽle des frontiĂšres terrestres qui constituent la prioritĂ© en matiĂšre d’investissements : acquisition de pick-up rapides par plusieurs États du Sahel, Ă©tablissement d’un maillage territorial de casernes (avec les travaux que cela suppose : puits, ravitaillement en hydrocarbures, etc.) dans les zones du Nord et de l’Est du Niger, etc. Le ministre de l’IntĂ©rieur nigĂ©rien a insistĂ© sur le caractĂšre « immense » de l’investissement consenti au regard du niveau de richesse du pays : non seulement l’investissement en vĂ©hicules neufs est constant, mais un effort particulier est fait pour assurer leur maintenance et leur approvisionnement en carburant.

(1) 2,5 millions de dollars américains.


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‱ Des obstacles Ă  surmonter Cette volontĂ© connaĂźt toutefois trois limites principales : – financiĂšres, dĂšs lors qu’il s’agit de matĂ©riels coĂ»teux (notamment aĂ©riens et aĂ©roterrestres) ; – organisationnelles, les commandes passĂ©es n’étant pas toujours caractĂ©risĂ©es par un souci suffisant de cohĂ©rence des matĂ©riels, pour des raisons tenant parfois au mode de passation des marchĂ©s publics, et le plus souvent au fait que les acquisitions se sont longtemps faites par cessions Ă  titre gratuit en provenance de diffĂ©rentes puissances. Il en rĂ©sulte que la plupart des pays africains possĂšdent des parcs hĂ©tĂ©roclites de matĂ©riels, ce qui induit des besoins Ă©levĂ©s en frais de maintien en condition opĂ©rationnelle, tant du point de vue des ressources financiĂšres que des ressources humaines ; – culturelles, la plupart des observateurs interrogĂ©s sur ce point par les rapporteurs estimant que les forces armĂ©es africaines n’ont pas encore l’expertise nĂ©cessaire pour planifier et mettre en Ɠuvre les indispensables programmes de maintenance des matĂ©riels. Tel est le cas, par exemple, au Niger oĂč il a Ă©tĂ© indiquĂ© aux rapporteurs que sur les six hĂ©licoptĂšres Gazelle cĂ©dĂ©s Ă  titre gratuit par la France en 2012, une seule est en service aujourd’hui. iii. Le renforcement de la fonction de renseignement ‱ Un processus indispensable, compte tenu des spĂ©cificitĂ©s de la lutte antiterroriste La prise en compte de la menace terroriste s’est traduite, dans plusieurs États africains, par un souhait de renforcement des services de renseignement. En effet, le renseignement – quelle que soit son origine – constitue un des principaux facteurs d’efficacitĂ© dans la lutte contre les groupes armĂ©s rebelles, terroristes ou djihadistes. Ainsi, Ă  titre d’exemple, au SĂ©nĂ©gal, le prĂ©sident de la RĂ©publique en a fait une de ses prioritĂ©s. Avec l’appui des services français compĂ©tents, les autoritĂ©s sĂ©nĂ©galaises ont entamĂ© une profonde rĂ©orientation de leur systĂšme de renseignement, jusqu’alors concentrĂ© sur la surveillance des activitĂ©s politiques intĂ©rieures. Cette politique s’est traduite par la rĂ©daction d’un nouveau plan national de renseignement, inspirĂ© des pratiques administratives françaises en la matiĂšre. L’objectif du prĂ©sident est, selon les informations des rapporteurs, de mettre en place une structure rassemblant les compĂ©tences qui sont en France celles de la direction gĂ©nĂ©rale de la sĂ©curitĂ© extĂ©rieure (DGSE) et de la direction gĂ©nĂ©rale de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure (DGSI), ainsi qu’un coordinateur national du renseignement.


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‱ Les limites financiĂšres Au cours de leurs dĂ©placements, les rapporteurs ont cherchĂ© Ă  Ă©tudier la façon dont les diffĂ©rents États africains organisaient leurs services de renseignement. Dans la plupart des cas, l’accent est mis sur les capteurs les moins coĂ»teux, pour d’évidentes raisons budgĂ©taires. iv. AmĂ©liorer l’organisation de l’action de l’État en mer Dans les États cĂŽtiers dans lesquels les rapporteurs se sont dĂ©placĂ©s, ils ont pu constater un effort de consolidation de l’action de l’État en mer. Tel est le cas, par exemple, au SĂ©nĂ©gal. L’arraisonnement d’un chalutier russe en situation illĂ©gale dans les eaux sĂ©nĂ©galaises a, semble-t-il, entraĂźnĂ© une prise de conscience des autoritĂ©s politiques sĂ©nĂ©galaises. Jusqu’alors, l’organisation de l’action de l’État en mer avait Ă©tĂ© Ă©tablie par des dĂ©crets de 2002 instituant une Haute autoritĂ© de la sĂ©curitĂ© maritime – sur le modĂšle du SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral Ă  la mer français –, mais ces dispositions n’avaient jamais Ă©tĂ© mises en Ɠuvre, du fait de rĂ©ticences Ă©manant notamment de la marine nationale sĂ©nĂ©galaise. L’impulsion prĂ©sidentielle, bien relayĂ©e par l’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es, a permis de mettre en Ɠuvre les textes existants et de doter cette Haute autoritĂ© des moyens nĂ©cessaires Ă  l’exercice de ses missions de coordination interministĂ©rielle. Si les observateurs font valoir que des progrĂšs restent Ă  rĂ©aliser en matiĂšre de fluiditĂ© du travail interministĂ©riel et de dĂ©veloppement des capacitĂ©s judiciaires tant s’agissant d’action de l’État en mer que de la lutte antiterroriste, les rapporteurs ont pu constater que l’orientation prise Ă©tait positive. Il n’est pas inutile de rappeler que la mise en place d’un dispositif efficace de coopĂ©ration interministĂ©rielle autour de l’action de l’État en mer a pris une trentaine d’annĂ©es en France
 De mĂȘme, le SĂ©nĂ©gal tend Ă  prendre une part active dans la mise en Ɠuvre du projet d’appui Ă  la rĂ©forme du systĂšme de sĂ©curitĂ© maritime dans le golfe de GuinĂ©e (ASECMAR) financĂ© par un fonds de solidaritĂ© prioritaire (FSP) français. Tel est le cas, Ă©galement, en CĂŽte d’Ivoire. L’investissement consenti y est particuliĂšrement significatif pour deux raisons : d’une part, selon les militaires français chargĂ©s de missions de coopĂ©ration structurelles, parce que le pays n’a jamais eu de tradition forte de puissance maritime ; d’autre part, parce que la dĂ©cennie de troubles qu’a traversĂ©e la CĂŽte d’Ivoire dans les annĂ©es 2000 l’a conduite Ă  nĂ©gliger l’entretien de sa modeste force navale. Ainsi, alors qu’elle compte 1 500 personnels environ, la marine ivoirienne ne disposait jusqu’en 2013 que de trois bĂątiments, inutilisables – les rapporteurs ont mĂȘme pu constater qu’ils faisaient l’objet d’un entretien « cosmĂ©tique » trĂšs minimal : ils sont peints du cĂŽtĂ© visible depuis les quais oĂč ils restent amarrĂ©s, mais laissĂ©s Ă  la rouille pour leur cĂŽtĂ© visible depuis la mer
 Avec le soutien d’un coopĂ©rant français et du FSP ASECMAR, la marine a passĂ© commande d’une quarantaine de bĂątiments fournis par l’industrie française et a d’ores et dĂ©jĂ  remis en Ă©tat sa capacitĂ© d’intervention


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lagunaire, particuliĂšrement utile dans un pays qui compte 515 kilomĂštres de cĂŽtes, mais aussi 1 400 kilomĂštres de rĂ©seaux lagunaires. Les rapporteurs ont pu observer au Gabon une dynamique comparable. Selon le commissaire gĂ©nĂ©ral Jean-FĂ©lix Sockat, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de la DĂ©fense, c’est un acte de piraterie survenu en 2013 au large des cĂŽtes gabonaises qui a conduit les autoritĂ©s Ă  prendre pleinement conscience du fait que la prĂ©sence de l’État en mer n’était jusqu’alors pas aussi forte que nĂ©cessaire, en particulier pour un pays trĂšs dĂ©pendant de son commerce extĂ©rieur tant pour ses approvisionnements que pour l’exportation de ses hydrocarbures, principale source de revenus publics. La perception d’une menace jusqu’alors « sous-estimĂ©e », selon les termes du commissaire gĂ©nĂ©ral, a conduit Ă  une refondation complĂšte de l’organisation de l’action de l’État en mer, suivant un modĂšle largement inspirĂ© de l’organisation française. DES EFFORTS QUI TRADUISENT UNE INFLEXION DANS LA FAÇON DONT LES ÉTATS AFRICAINS CONÇOIVENT ET ORGANISENT LEURS FORCES ARMÉES

Chaque État a sa conception du rĂŽle de son armĂ©e. Elle peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un soutien inconditionnel de l’État donc fortement tribalisĂ©e avec des chefs choisis en fonction de leur fidĂ©litĂ© politique plutĂŽt que de leur compĂ©tence, et est en gĂ©nĂ©ral correctement Ă©quipĂ©e pour cette seule mission ; elle peut ĂȘtre un simple outil de prestige donc sans finalitĂ© opĂ©rationnelle, ouverte Ă  plusieurs ethnies mais avec un effort de l’État se limitant Ă  payer les soldes, les matĂ©riels, les soutiens, avec des infrastructures qui ne sont pas Ă  hauteur. Enfin, elle peut connaĂźtre toutes les situations intermĂ©diaires entre les deux prĂ©cĂ©dentes possibilitĂ©s et passer d’une attitude Ă  l’autre en fonction de la situation intĂ©rieure du pays, voire sombrer dans le dĂ©sordre permanent et la privatisation de ses services, comme c’est le cas en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo. Beaucoup de pays sont dans la situation oĂč le choix des chefs est plus souvent soumis Ă  la faveur plutĂŽt qu’à la compĂ©tence, ce qui crĂ©e des frustrations et des attitudes d’autoritĂ© peu favorables Ă  l’engagement personnel des militaires. Souvent il n’existe pas de statuts qui dĂ©finissent des conditions de carriĂšre communes pour tous. Certaines armĂ©es ont acquis une expĂ©rience opĂ©rationnelle sĂ©rieuse soit en raison de leur Ă©tat de guerre pratiquement permanente, comme c’est le cas du Tchad (encore que pour ce pays le caractĂšre interne des crises s’accompagne d’une remise en cause de l’organisation et du commandement), soit au travers de leur participation aux missions de l’ONU ou de l’Union africaine, comme le SĂ©nĂ©gal. Il faut noter que la prise de conscience par les États africains de la nĂ©cessitĂ© de prendre en charge eux-mĂȘmes leurs problĂšmes sĂ©curitaires est en train de favoriser un nouveau climat de responsabilitĂ© qui devrait dĂ©boucher sur des politiques d’amĂ©lioration des armĂ©es. Les pays du Sahel viennent de dĂ©cider de mener, de façon concertĂ©e des actions contre les islamistes, ce qui est un indice de l’évolution des esprits. Source : gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain.


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b. La France dispose d’atouts de premier plan pour accompagner les États africains dans leurs efforts i. Parce que la France peut « capitaliser » l’hĂ©ritage de la coopĂ©ration des annĂ©es passĂ©es : les liens particuliers qui unissent les responsables militaires africains et français Lors de leurs dĂ©placements en Afrique, les rapporteurs ont pu constater combien les annĂ©es de coopĂ©ration entre la France et ses partenaires africains ont tissĂ© des liens, parfois quasiment affectifs, entre les officiers africains formĂ©s en France et les armĂ©es françaises. Cette impression rejoint celle exprimĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux, qui a dĂ©clarĂ© : « Je reste intimement persuadĂ© que lorsqu’il s’agit de l’Afrique, la voix de la France porte un peu plus haut que les autres et que ceci suscite des attentes fortes de la part de nos partenaires occidentaux, de la part de l’Europe mais Ă©galement de la part de nos amis Africains. Tous nous reconnaissent sur ce continent une expertise certaine derriĂšre laquelle ils se rangent volontiers pour gĂ©rer les situations difficiles et pour accompagner les sorties de crise. Dans ce domaine, l’excellence de notre armĂ©e y est d’ailleurs reconnue assez largement Ă  un point tel qu’actuellement neuf officiers gĂ©nĂ©raux de l’armĂ©e de terre sont dĂ©ployĂ©s en Afrique, soit Ă  la demande d’États africains pour conseiller leurs plus hautes autoritĂ©s, soit Ă  des postes de commandement dans des missions onusienne et europĂ©enne, soit comme commandant de forces françaises ». Plusieurs des responsables politiques, diplomatiques et militaires rencontrĂ©s sur place ont Ă©galement soulignĂ© le rĂŽle de la francophonie dans ces liens. Pour le gĂ©nĂ©ral Martin Tumenta Chomu, chef d’état-major de la MISCA, le simple fait que les contingents africains placĂ©s sous son autoritĂ© soient trĂšs majoritairement francophones contribue Ă  favoriser l’intĂ©gration de cette force multinationale, « ne serait-ce que pour donner ordres et les exĂ©cuter de façon cohĂ©rente ». Les difficultĂ©s d’intĂ©gration du contingent fourni par la GuinĂ©e Ă©quatoriale dans cet ensemble tendent Ă  confirmer a contrario cette idĂ©e. ii. Parce que la France dispose d’atouts pour renouveler et enrichir cette relation particuliĂšre ‱ Par son expertise technique, dans le cadre de la coopĂ©ration structurelle et de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle L’expertise militaire française est, du point de vue unanime des observateurs, reconnue Ă  sa juste valeur sur tout le continent africain, et la doctrine française demeure la rĂ©fĂ©rence pour les armĂ©es des pays francophones notamment. La France dĂ©tient donc un atout en la matiĂšre, et a tout intĂ©rĂȘt Ă  conserver son influence doctrinale en apportant son expertise aux cadres africains. Ceux-ci en sont d’ailleurs d’autant plus demandeurs, que le nombre de places qui leur sont


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ouvertes dans nos Ă©coles de formation a Ă©tĂ© considĂ©rablement rĂ©duit depuis une vingtaine d’annĂ©es. Ainsi, Ă  titre d’exemple, le chef d’état-major de la marine nationale a indiquĂ© que l’évolution des tĂąches assignĂ©es Ă  la mission Corymbe, dĂ©sormais chargĂ©e de missions de formation, rĂ©pondait Ă  une demande formulĂ©e en mai 2014 au sommet de YaoundĂ© par plusieurs États africains qui ont fait appel Ă  la France pour soutenir leurs efforts de renforcement de l’action de l’État en mer, et font montre selon l’amiral Bernard Rogel d’« une vraie volontĂ© de contrĂŽler leurs 12 miles ». ‱ Par des actions de coopĂ©ration Ă  fort effet de levier en matiĂšre de formation : les ENVR Les rapporteurs ont soulignĂ© prĂ©cĂ©demment le grand intĂ©rĂȘt des Ă©coles nationales Ă  vocation rĂ©gionale (ENVR), notamment en raison du fort effet de levier qu’elles offrent en matiĂšre de rayonnement pour la France. Lors de leurs dĂ©placements en CĂŽte d’Ivoire et au SĂ©nĂ©gal, ils ont pu Ă©tudier le projet d’implantation d’une nouvelle structure assimilable Ă  une ENVR : un collĂšge de l’action de l’État en mer, dont l’encadrĂ© ci-aprĂšs prĂ©sente les enjeux. UNE NOUVELLE STRUCTURE CONSACRÉE À L’ACTION DE L’ÉTAT EN MER Comme le chef d’état-major de la marine nationale l’a expliquĂ© aux rapporteurs, Dakar et Abidjan sont en concurrence pour accueillir cette structure, qui pourrait ĂȘtre crĂ©Ă©e dans le cadre du projet d’appui Ă  la rĂ©forme du systĂšme de sĂ©curitĂ© maritime dans le golfe de GuinĂ©e (ASECMAR). Ce projet enregistre des « succĂšs » : derniĂšrement, la CĂŽte d’Ivoire ainsi que la GuinĂ©e, et bientĂŽt le Togo, vont adopter une organisation « Ă  la française » pour l’action de l’État en mer, modĂšle interministĂ©riel qui « est le meilleur modĂšle au monde ». Comme l’a indiquĂ© l’amiral Marin Gillier, directeur de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense, ses services ont Ă©tudiĂ© toutes les implantations possibles, suivant trois critĂšres : le pays doit pouvoir fournir l’infrastructure, la ressource humaine pour le fonctionnement et une ligne budgĂ©taire. Plusieurs pays ont alors Ă©tĂ© envisagĂ©s. DĂšs lors, un critĂšre supplĂ©mentaire a Ă©tĂ© retenu : la proximitĂ© d’un hub aĂ©rien, pour minimiser les coĂ»ts de transport. Ne restaient alors en lice que Dakar et Abidjan. Les deux sites prĂ©sentent des potentialitĂ©s trĂšs intĂ©ressantes, mais il semble que la balance tende Ă  pencher en faveur d’Abidjan. En effet, d’aprĂšs l’amiral Marin Gillier, Dakar possĂšde dĂ©jĂ  la plus haute densitĂ© de coopĂ©rants français au monde, et le SĂ©nĂ©gal accueille dĂ©jĂ  deux Ă©coles nationales Ă  vocation rĂ©gionale ainsi qu’un pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration. À l’inverse, la CĂŽte d’Ivoire a vĂ©cu une transition politique au terme de laquelle elle s’impose de nouveau comme une puissance rĂ©gionale de premier plan, et ne possĂšde pas encore d’école nationale Ă  vocation rĂ©gionale. De plus, les Ivoiriens se sont montrĂ©s particuliĂšrement rĂ©ceptifs Ă  la doctrine française en matiĂšre d’action de l’État en mer. Par ailleurs, la contrainte financiĂšre conduit Ă  rechercher des financements auprĂšs de pays ou d’organismes tiers ; or, selon l’amiral Marin Gillier, l’Union europĂ©enne pourrait ĂȘtre sollicitĂ©e pour financer ce projet dans le cadre de son programme CRIMGO (acronyme anglais pour : « routes maritimes critiques dans le golfe de GuinĂ©e ») qui couvre la CĂŽte d’Ivoire mais pas le SĂ©nĂ©gal, et les prospects auprĂšs d’autres bailleurs sont plus favorables Ă  Abidjan qu’à Dakar. Le chef d’état-major de la marine a d’ailleurs estimĂ© que « les


— 235 — problĂšmes internes au golfe de GuinĂ©e sont plus importants que ceux dans la Corne ouest de l’Afrique », et qu’ainsi, « Abidjan est plus prĂšs de la zone de crise ».

Quel que soit le site retenu pour l’implantation de ce collĂšge, un tel projet paraĂźt particuliĂšrement intĂ©ressant. Il serait donc regrettable que sa mise en Ɠuvre soit mise en danger par des difficultĂ©s dans l’architecture financiĂšre du projet, que l’amiral Bernard Rogel a jugĂ©e « compliquĂ©e ». Plus gĂ©nĂ©ralement, le chef d’état-major de la marine a appelĂ© l’attention des rapporteurs sur le fait que « la France n’investit pas assez dans ce projet au regard de ses enjeux » : opportunitĂ©s d’influence et de vente de matĂ©riels maritimes, que « l’on est en train de se faire souffler ça par les Anglo-saxons, et de surcroĂźt, les Chinois vont arriver... ». Les pertes de parts de marchĂ© commencent certes par de petites vedettes de servitude, etc., mais « une fois qu’on aura perdu notre influence, on perdra nos points d’appui ». Si la formule de l’ENVR est intĂ©ressante, c’est aussi parce qu’elle est relativement souple. Ainsi, d’autres projets inspirĂ©s du modĂšle des Ă©coles nationales Ă  vocation rĂ©gionale mĂ©ritent d’ĂȘtre soutenus, financiĂšrement ou non. Ainsi, les rapporteurs ont pu prendre connaissance en CĂŽte d’Ivoire d’un projet de crĂ©ation d’école de pilotage ayant pour pivot une sociĂ©tĂ© privĂ©e Ă  capitaux français : IAS (International Aircraft Services), dont l’encadrĂ© ci-aprĂšs prĂ©sente les modalitĂ©s. PROJET DE CRÉATION D’UN CENTRE IVOIRIEN DE FORMATION DE PILOTES ET DE MÉCANICIENS D’HÉLICOPTÈRES À VOCATION RÉGIONALE 1./ Constat de dĂ©part – Aucun centre de formation hĂ©licoptĂšre (pilotes et mĂ©caniciens) adaptĂ© aux besoins Ă©tatiques en Afrique de l’Ouest – Besoin Ă©vident et croissant de pilotes et de mĂ©caniciens d’hĂ©licoptĂšres pour les administrations d’État 2./ Teneur du projet – CrĂ©ation d’un pĂŽle de formation hĂ©licoptĂšre dans le cadre d’un protocole d’accord privĂ©/public entre le ministĂšre de la DĂ©fense ivoirien et la sociĂ©tĂ© IAS – Objectifs : proposer et mettre en Ɠuvre des formations aĂ©ronautiques de pilote et de mĂ©canicien d’hĂ©licoptĂšre au profit de personnel militaire oĂč appartenant Ă  d’autres ministĂšres, en vue de les rendre aptes Ă  mettre en Ɠuvre dans un cadre opĂ©rationnel des aĂ©ronefs Ă  voilure tournante 3./ ResponsabilitĂ©s qui seraient confiĂ©es Ă  l’acteur privĂ© – Mettre en Ɠuvre l’ensemble des moyens humains, matĂ©riels et pĂ©dagogiques pour former tant au niveau thĂ©orique que pratique le personnel en formation – Assurer une qualitĂ© de formation conforme aux exigences OACI – DĂ©velopper un esprit de sĂ©curitĂ© des vols et maintenir une cohĂ©sion de stage par la sĂ©lection d’un encadrement d’instructeurs hautement qualifiĂ©s et justifiant d’une large expĂ©rience


— 236 — 4./ Points clĂ©s du Projet – RĂ©pond directement aux besoins de formation et qualification de personnel dans le domaine aĂ©ronautique du continent africain – Contribue au dĂ©veloppement des pays de la rĂ©gion – Sensibilise concrĂštement le personnel formĂ© sur les risques et dangers environnementaux occasionnels et permanents liĂ©s au continent africain (terrain et conditions climatiques) – S’adapte Ă  l’environnement culturel par le biais d’une individualisation de la formation – Encourage le transfert technologique et pĂ©dagogique France/Afrique – Favorise le maintien des Ă©quipages qualifiĂ©s dans la rĂ©gion – Dispense possible de la formation en langue française ou anglaise Source : International Aircraft Services.

‱ Par des actions de coopĂ©ration opĂ©rationnelle bien articulĂ©es avec les actions de coopĂ©ration structurelle

Devant les rapporteurs, le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a soulignĂ© « la contribution qu’apportent les forces de prĂ©sence Ă  la prĂ©vention des crises » Ă  travers leurs actions de coopĂ©ration opĂ©rationnelle, activitĂ© qui « complĂšte le volet structurel de la coopĂ©ration et apporte ainsi une contribution de premier ordre Ă  cette politique qui permet de former chaque annĂ©e plus de 20 000 soldats africains ». À titre d’illustration, il a citĂ© « le rĂŽle capital jouĂ© par les Ă©lĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal dans la formation des unitĂ©s africaines participant Ă  la MISMA puis Ă  la MINUSMA », contribuant ainsi au renforcement des capacitĂ©s de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© des États africains. Il a Ă©galement fait valoir qu’« avec les dĂ©tachements d’appui opĂ©rationnel, dont la prĂ©sence est gĂ©nĂ©ralisĂ©e au Mali et en RĂ©publique centrafricaine, cette formation initiale des forces africaines se prolonge en accompagnement de proximitĂ© sur le terrain, oĂč nos hommes remplissent avec leurs camarades africains, les mĂȘmes missions au coude Ă  coude ». QU’EST-CE QU’UNE COOPÉRATION RÉUSSIE ? Une coopĂ©ration « rĂ©ussie » est assurĂ©ment la combinaison d’une coopĂ©ration structurelle et opĂ©rationnelle selon une complĂ©mentaritĂ© Ă  planifier finement. Au cours des derniĂšres annĂ©es, les effectifs globaux consacrĂ©s Ă  la coopĂ©ration de dĂ©fense n’ont eu de cesse de baisser, conduisant les armĂ©es africaines Ă  s’autonomiser et Ă  se structurer (concept de forces africaines en attentes, etc.). La prĂ©sence permanente auprĂšs de nos alliĂ©s africains, le plus souvent intĂ©grĂ©e au sein de leurs unitĂ©s, est ainsi devenue de plus en plus Ă©pisodique. Pour pallier cette situation, le dispositif militaire français s’est progressivement restructurĂ© en pĂŽles de coopĂ©ration. Cette coopĂ©ration opĂ©rationnelle est remarquable par sa rĂ©activitĂ©, la connaissance du milieu et l’influence qu’elle nous procure, en comparaison avec l’effort humain, matĂ©riel et financier relativement limitĂ© qu’elle exige. Ainsi, les forces françaises font bĂ©nĂ©ficier les armĂ©es locales de leur expĂ©rience et de leur action par effet d’entraĂźnement et de modĂšle. Il convient cependant de constater que la coopĂ©ration opĂ©rationnelle doit ĂȘtre de proximitĂ© et s’inscrire dans la durĂ©e pour obtenir des rĂ©sultats pĂ©rennes. La rĂ©ussite de la coopĂ©ration de dĂ©fense auprĂšs des forces tchadiennes en est l’illustration, s’appuyant


— 237 — sur une coopĂ©ration structurelle Ă  plusieurs niveaux et profitant dans une moindre mesure de la prĂ©sence du contingent « Épervier ». Il est Ă  noter Ă©galement qu’au bout de la logique de coopĂ©ration opĂ©rationnelle, le principe des DAMO (dĂ©tachements d’assistance militaire opĂ©rationnelle), DLA (dĂ©tachements de liaison et d’appui), puis enfin DLAO (dĂ©tachements de liaison et d’appuis opĂ©rationnels), expĂ©rimentĂ©s en Afghanistan et gĂ©nĂ©ralisĂ©s au Mali, permet de complĂ©ter au combat la formation initiale assurĂ©e par la mission EUTM. Source : Ă©tat-major de l’armĂ©e de terre.

‱ Par une offre industrielle qui gagnerait Ă  ĂȘtre mieux promue Comme le montre la carte ci-aprĂšs, les dĂ©penses d’acquisition de matĂ©riels militaires sont trĂšs nettement orientĂ©es Ă  la hausse en Afrique. LES DÉPENSES MILITAIRES EN AFRIQUE valeurs absolues : en milliards de dollars pour 2013 valeurs relatives : progression de 2004 Ă  2013

Source : Jeune Afrique n° 2789, juin 2014.

Le marchĂ© africain de l’armement offre ainsi un potentiel d’exportation apprĂ©ciable pour les industriels français. Pourtant, les parts de marchĂ© de l’industrie française, trĂšs variables, ne sont pas toujours Ă  la hauteur de ce que la France pourrait espĂ©rer compte tenu de la profondeur historique et de l’intensitĂ© de


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son engagement en faveur de la sĂ©curitĂ© du continent. Ces parts de marchĂ© pourraient progresser, sous certaines conditions. 1./ Si davantage d’industriels adaptent leur offre aux besoins de ces marchĂ©s Ă©mergents Une des raisons invoquĂ©es le plus souvent pour expliquer la part parfois trĂšs modeste des industriels français dans les marchĂ©s d’armement africains tient Ă  la sophistication trop poussĂ©e des productions françaises. Cette sophistication a en effet un double coĂ»t : non seulement les produits sont plus chers Ă  l’achat, mais leurs coĂ»ts de maintenance sont souvent plus Ă©levĂ©s que pour des produits plus rustiques. Cela se vĂ©rifie particuliĂšrement dans le domaine aĂ©ronautique, mais aussi sur le marchĂ© des vĂ©hicules terrestres – les pick-up de fabrication japonaise Ă©tant gĂ©nĂ©ralement prĂ©fĂ©rĂ©s aux vĂ©hicules lĂ©gers français. Pourtant, certaines rĂ©ussites – telle, Ă  titre d’exemple, celle de l’industrie française de construction navale en CĂŽte d’Ivoire – montrent que soutenus par les armĂ©es et les services diplomatiques, les industriels français peuvent nouer des partenariats trĂšs productifs avec les forces armĂ©es africaines, pour le plus grand bĂ©nĂ©fice des deux parties. 2./ Si des solutions de financement innovantes sont trouvĂ©es La vente de matĂ©riels onĂ©reux se heurte souvent aux difficultĂ©s de liquiditĂ© des États africains. Pourtant, Ă  plusieurs reprises, des responsables militaires africains ont indiquĂ© aux rapporteurs que leur prĂ©fĂ©rence irait aux productions françaises, mĂȘme plus chĂšres que les productions moins sophistiquĂ©es d’autres pays, pourvu que des conditions de financement adaptĂ©es soient trouvĂ©es. Plusieurs options sont envisagĂ©es : – au Mali, Airbus pourrait fournir cinq Ă  six hĂ©licoptĂšres de type Superpuma et Cougar si un État tiers intervenait dans le financement du projet. Selon les informations fournies par le ministre malien de la DĂ©fense, le Qatar aurait Ă©tĂ© sollicitĂ© Ă  cette fin. Le pays sponsor pourrait mĂȘme mettre Ă  disposition du Mali des hĂ©licoptĂšres qu’il possĂšde dĂ©jĂ , afin de combler les lacunes des forces maliennes sans attendre les dĂ©lais de fabrication des appareils. Ce type de montage « triangulaire » a des prĂ©cĂ©dents, par exemple au Liban ; – dans plusieurs pays africains, l’idĂ©e de constituer avec l’appui de la France des sociĂ©tĂ©s de projet ou des sociĂ©tĂ©s de leasing (dont l’encadrĂ© ci-aprĂšs prĂ©sente les principes de fonctionnement) est rĂ©guliĂšrement avancĂ©e comme un moyen qui permettrait la vente de matĂ©riels français dans des conditions compatibles avec les flux de trĂ©sorerie des États africains concernĂ©s. Certes, le recours Ă  un tel mĂ©canisme pour assurer l’équipement des forces françaises suscite des rĂ©serves du ministĂšre du Budget quant Ă  sa compatibilitĂ© avec les rĂšgles comptables de l’Union europĂ©enne. Mais s’agissant d’exportations au profit d’États africains, les rapporteurs estiment qu’il serait intĂ©ressant d’étudier la


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possibilitĂ© de fournir Ă  leurs armĂ©es les matĂ©riels propres Ă  leur confĂ©rer une supĂ©rioritĂ© technologique dans la lutte contre les groupes armĂ©s rebelles, terroristes ou djihadistes. L’INTÉRÊT D’UNE SOCIÉTÉ DE PROJET L’idĂ©e de crĂ©er une sociĂ©tĂ© de projet (SPV – Special Purpose Vehicle) ou de leasing pour permettre l’acquisition de matĂ©riels militaires dans des conditions compatibles avec un volume de dĂ©penses publiques de dĂ©fense contraint a Ă©tĂ© envisagĂ©e dĂšs le conseil de dĂ©fense du 17 juillet 2013, en vue de maintenir le niveau de dĂ©penses prĂ©vu par la loi de programmation militaire dans l’attente de la perception par l’État du produit de la cession de frĂ©quences hertziennes. Si elle ne fait pas l’objet d’un consensus parmi les administrations françaises concernĂ©es, au motif qu’elle aurait pour effet une dĂ©gradation faciale du solde budgĂ©taire national calculĂ© selon les normes d’Eurostat, rien n’interdit d’envisager un montage financier de ce type au bĂ©nĂ©fice des armĂ©es africaines. Cette solution consisterait Ă  ce qu’une sociĂ©tĂ© fasse l’acquisition de matĂ©riels militaires auprĂšs d’industriels, pour les offrir ensuite Ă  la location au bĂ©nĂ©fice d’un ou de plusieurs États. La composition du capital d’une telle sociĂ©tĂ©, qui doit bien entendu faire l’objet d’une attention toute particuliĂšre, permet une certaine souplesse dans la mobilisation des capitaux – publics ou privĂ©s, nationaux ou internationaux.

En tout Ă©tat de cause, les rapporteurs considĂšrent que dĂšs lors que la France, comme l’a rĂ©affirmĂ© le Livre blanc, entend demeurer une puissance industrielle mais ne peut entretenir les savoir-faire de ses industries de dĂ©fense qu’en augmentant ses exportations, il serait cohĂ©rent que l’État soit capable d’imaginer des solutions de financement innovantes. Les rapporteurs tiennent Ă  mentionner Ă  ce titre l’action de la sociĂ©tĂ© DCI, crĂ©Ă©e Ă  l’initiative du ministĂšre de la DĂ©fense pour servir d’opĂ©rateur de rĂ©fĂ©rence du transfert de savoir-faire militaire français Ă  l’étranger, en appui notamment des contrats d’exportation d’armement. Son activitĂ© permet de promouvoir les productions industrielles françaises, tout en offrant aux États africains des services garantissant un suivi robuste de leurs contrats d’armement. À ce titre, ces activitĂ©s mĂ©ritent d’ĂȘtre pleinement soutenues par l’ensemble des services français. LA SOCIÉTÉ DCI De par son partenariat Ă©troit avec le ministĂšre de la DĂ©fense, cette sociĂ©tĂ© de services bĂ©nĂ©ficie, Ă  l’étranger, d’un « effet de label « armĂ©es françaises » » utile. Son cƓur de mĂ©tier consiste Ă  accompagner les programmes d’exportation d’armement tout au long de leur dĂ©roulement, ce qui intervient en plusieurs phases : assistance Ă  l’expression de besoin, contrĂŽle de programme, qualification, formation initiale, formation continue, externalisation du maintien en condition opĂ©rationnelle. L’activitĂ© de la sociĂ©tĂ© DCI s’est rĂ©cemment Ă©largie Ă  d’autres domaines d’activitĂ© et de soutien des forces armĂ©es : ainsi, les rapporteurs ont pu constater qu’à Abou Dhabi, c’est DCI qui prend Ă  bail le parc de logement des personnels militaires en mission de longue durĂ©e et en assure la gestion au bĂ©nĂ©fice des Forces françaises aux Émirats arabes unis. C’est ainsi que le ministre de la DĂ©fense a pu dĂ©crire la sociĂ©tĂ© DCI dans les termes suivants : « DCI est, de maniĂšre complĂ©mentaire Ă  nos industriels de dĂ©fense, un outil prĂ©cieux pour notre politique d’exportation est un vecteur de notre stratĂ©gie d’influence » (20 dĂ©cembre 2013).


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Par ailleurs, il est regrettable que les substantiels crĂ©dits consacrĂ©s par l’Union europĂ©enne Ă  la sĂ©curitĂ© de l’Afrique ne puissent pas, pour des raisons tenant Ă  la rĂ©glementation europĂ©enne, subventionner l’acquisition d’équipements dĂšs lors que ceux-ci ont une vocation militaire. 2. Les États d’Afrique subsaharienne mettent l’accent sur la coopĂ©ration internationale pour l’organisation de leur sĂ©curitĂ©, et la France a un rĂŽle Ă  jouer dans cette organisation

a. L’Union africaine et les sous-rĂ©gions sont appelĂ©es Ă  jouer un rĂŽle de plus en plus important dans les opĂ©rations en Afrique L’Union africaine s’organise en sous-rĂ©gions : – la CEDEAO, qui a fait un « bon travail » au Mali ; – la CEEAC en Afrique centrale ; – en Afrique de l’Est, l’AutoritĂ© intergouvernementale pour le dĂ©veloppement (IGAD, pour Intergovernmental Authority on Development), qui envisage de dĂ©ployer une force au Soudan du Sud ; – la CommunautĂ© de dĂ©veloppement d’Afrique australe (SADC, pour Southern African Development Community) en Afrique australe ; – l’Union du Maghreb arabe (UMA), moins active. i. Un dĂ©ploiement progressif des forces de l’Union africaine, dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ© M. Philippe Errera, directeur chargĂ© de la dĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques, a indiquĂ© que l’on observe une « conscience croissante des responsabilitĂ©s africaines » : c’est une Ă©volution lente, mais visible. Pour le directeur de l’Afrique et de l’ocĂ©an indien (DAOI) du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, l’opĂ©ration Serval est Ă  ce titre une expĂ©rience ambivalente : l’Union africaine est reconnaissante Ă  la France d’avoir gĂ©rĂ© la crise en premier, mais aurait prĂ©fĂ©rĂ© ĂȘtre en mesure de le faire elle-mĂȘme. Ses efforts en vue de dĂ©velopper ses capacitĂ©s de gestion de crise sont pourtant rĂ©els : – dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ© (AAPSA), elle mĂšne des travaux sur la Force africaine en attente (FAA). Selon la plupart des observateurs, si les cinq brigades en attente prĂ©vues par les accords ne sont pas encore opĂ©rationnelles, celle de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Sud sont en avance sur celles de la CEDEAO et de la CEEAC ; elles auraient d’ailleurs dĂ©jĂ  effectuĂ© des exercices en relation avec les forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti et Ă  la RĂ©union. Lors du sommet de l’ÉlysĂ©e de dĂ©cembre 2013, la France s’est


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notamment engagĂ©e Ă  soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir Ă  une pleine capacitĂ© opĂ©rationnelle de la Force africaine en attente et de sa CapacitĂ© de dĂ©ploiement rapide Ă  l’horizon 2015. Dans cette perspective, il a notamment Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que le dispositif français (forces prĂ©-positionnĂ©es et systĂšme de coopĂ©ration) soit rĂ©orientĂ© en appui aux initiatives africaines en cours sur le continent. Dans ce cadre, la France mettra notamment l’accent sur la formation des cadres militaires et renforcera ses actions de coopĂ©ration en matiĂšre de renseignement et d’équipements ; – constatant ses difficultĂ©s Ă  rĂ©unir des forces Ă  projeter au Mali et les dĂ©lais nĂ©cessaires Ă  la mise en Ɠuvre d’un dispositif aussi « lourd » que la FAA, l’Union africaine a dĂ©cidĂ©, en avril 2013, la crĂ©ation d’une sorte de « dispositif intermĂ©diaire » dans l’attente de la pleine opĂ©rationnalitĂ© de la FAA : la CapacitĂ© africaine de rĂ©ponse immĂ©diate aux crises (CARIC). Selon les explications fournies aux rapporteurs, il s’agit d’un groupement tactique de 1 500 hommes dĂ©ployable en dix jours, armĂ© par un « groupe pionnier » de 13 États (francophones pour la moitiĂ© d’entre eux) disposant de capacitĂ©s militaires plus solides que la moyenne des pays africains ; – dans le mĂȘme temps, lors de son 21e sommet en mai 2013, l’Union africaine a adoptĂ© le principe de l’instauration, d’ici 2015, d’une taxe de 10 dollars sur les billets d’avion et de deux dollars sur les sĂ©jours hĂŽteliers, pour un rendement attendu de 763 millions de dollars par an, destinĂ©e Ă  financer les opĂ©rations menĂ©es sous sa banniĂšre dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ©. La direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du Quai d’Orsay note toutefois que le sommet de l’ÉlysĂ©e, tenu en dĂ©cembre 2013, a montrĂ© que s’agissant de la mise en Ɠuvre et du financement de ces initiatives, « on en est trĂšs loin » ; – lors des crises malienne et centrafricaine, les organisations sous-rĂ©gionales se sont mobilisĂ©es – certes, pas de façon parfaite en RĂ©publique centrafricaine, mais selon le directeur chargĂ© de la DĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques, il y a encore cinq ans, la CEEAC n’aurait pas Ă©tĂ© en mesure Ă  crĂ©er la MISCA dans des dĂ©lais aussi courts. Ainsi, pour M. Philippe Errera, la « volontĂ© d’appropriation » des Africains est nette. En tĂ©moigne aussi le fait que les SĂ©nĂ©galais sont dĂ©sormais dĂ©sireux de prendre davantage de responsabilitĂ©s dans l’organisation du prochain Forum de Dakar sur la paix et la sĂ©curitĂ© en Afrique, qui avait Ă©tĂ© lancĂ© Ă  l’initiative de la partie française. Cela constitue d’ailleurs une bonne nouvelle, dans la mesure oĂč cela permettra d’éviter « les crispations des AlgĂ©riens et de l’Union africaine envers la France » L’ensemble des responsables politiques et militaires rencontrĂ©s ont affirmĂ© leur attachement Ă  l’inscription de leur politique de dĂ©fense dans le cadre sous-rĂ©gional, sous l’égide de la CEDEAO. Certains acteurs politiques burkinabĂ©s vont jusqu’à entrevoir une mutualisation complĂšte des forces armĂ©es des États


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membres, en vue de rĂ©duire les coĂ»ts, de faciliter le rĂšglement sous-rĂ©gional des crises, de mutualiser des capacitĂ©s trop onĂ©reuses ou trop complexes pour un État seul, et d’éviter que les armĂ©es aient un rĂŽle trop important dans la stabilitĂ© politique des États concernĂ©s. ii. Un dĂ©ploiement que la France peut accompagner Le professeur Jean-François Bayart a estimĂ© que la France a fait des progrĂšs dans l’apprĂ©hension de la dimension multilatĂ©rale de la dĂ©fense : pour la premiĂšre fois selon lui, la commission chargĂ©e de l’élaboration du Livre blanc sur la dĂ©fense et la sĂ©curitĂ© nationale, en 2013, a pleinement pris en compte l’action de l’Union africaine et de ses sous-rĂ©gions. « Quand on travaille sur l’Afrique, on pense encore instinctivement Ă  un cadre bilatĂ©ral, alors que le cadre multilatĂ©ral Ă©merge et est dĂ©jĂ  incontournable ». Le Livre blanc de 2013 met d’ailleurs l’accent sur le soutien Ă  la formation d’une architecture de sĂ©curitĂ© collective en Afrique, qui est ainsi une prioritĂ© de la politique de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement de la France. ParallĂšlement, selon la direction de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense, huit accords de partenariat de dĂ©fense (1) et seize accords techniques de coopĂ©ration comprennent des stipulations relatives Ă  l’accompagnement des États africains dans l’appropriation et la maĂźtrise collective de leur sĂ©curitĂ©. Pour le directeur de l’Afrique et de l’ocĂ©an Indien du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres (DAOI), si la volontĂ© politique de l’Union africaine ne fait pas de doute, elle se heurte Ă  un manque de moyens Ă  la fois financiers et capacitaires. C’est pour prendre en compte cette rĂ©alitĂ© que la France a pris plusieurs initiatives rĂ©centes, telles que : – le choix de consacrer un volet du sommet de l’ÉlysĂ©e de dĂ©cembre 2013 au thĂšme « comment aider l’Afrique Ă  se doter de capacitĂ©s d’intervention ? » ; – l’accent mis sur l’aide capacitaire aux Africains dans le dialogue franco-britannique (c’est d’ailleurs un des grands points de convergence entre les deux parties), ainsi que dans le partenariat stratĂ©gique franco-amĂ©ricain ; – les efforts français pour que dans le cadre du sommet Union europĂ©enne – Union africaine (UE-UA) des 2 et 3 avril 2014, les EuropĂ©ens envisagent de mobiliser la « facilitĂ© pour la paix » afin de financer du dĂ©veloppement capacitaire, et plus seulement du paiement de soldes. Le but est que, d’ici cinq ans, en cas de crise, le soutien français soit limitĂ© au transport, Ă  la logistique et au renseignement, et que l’Union europĂ©enne soit mobilisĂ©e pour assurer le paiement des soldes des forces internationales.

(1) Ceux conclus par la France avec le Cameroun, la RĂ©publique centrafricaine, les Comores, la CĂŽte d’Ivoire, Djibouti, le Gabon, le SĂ©nĂ©gal et le Togo.


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Il faudrait pour cela pouvoir utiliser davantage les crĂ©dits europĂ©ens pour la gestion des crises de l’Afrique francophone. Des progrĂšs restent en effet Ă  accomplir en ce sens : selon le directeur de l’Afrique et de l’ocĂ©an Indien, au titre de la « facilitĂ© pour la paix », l’Union a dĂ©pensĂ© 840 millions d’euros pour la Somalie sous l’impulsion du Royaume-Uni contre seulement 75 millions d’euros pour le Mali Ă  l’initiative de la France. Cette situation peut ĂȘtre vue comme dĂ©sĂ©quilibrĂ©e (au dĂ©triment des intĂ©rĂȘts de la France et de ses partenaires africains) Ă  deux titres : – la France finance 20 % de cette « facilitĂ© » contre 14 % seulement pour le Royaume-Uni ; – les Britanniques n’ont pas mis « the boots on the ground » en Somalie, contrairement aux Français au Mali. D’ores et dĂ©jĂ , selon la DAOI, la France veille Ă  associer l’Union africaine Ă  toutes ses initiatives, qu’elles soient : – unilatĂ©rales : l’Union africaine a apprĂ©ciĂ© avoir Ă©tĂ© consultĂ©e avant le lancement de l’opĂ©ration Serval ; – multilatĂ©rales : la France veille Ă  ce que ses initiatives Ă  l’ONU aient l’accord de l’Union africaine, et ce parfois au prix de dĂ©lais supplĂ©mentaires. Ainsi, il a fallu du temps pour aplanir les rĂ©ticences de l’Union africaine au lancement d’une opĂ©ration de maintien de la paix en RĂ©publique centrafricaine. Mais l’appui de l’Union africaine s’est avĂ©rĂ© apprĂ©ciable, par exemple lorsqu’il s’est agi de prendre des sanctions contre l’ErythrĂ©e, l’accord de l’Union africaine conduisant les Russes et les Chinois Ă  s’abstenir lors du vote du Conseil de sĂ©curitĂ©, alors qu’ils n’étaient pas initialement favorables au projet. Enfin, il faut mentionner ici l’appui capacitaire apprĂ©ciable que la France offre aux pays africains avec le dispositif RECAMP (Renforcement des capacitĂ©s africaines de maintien de la paix). Les moyens consacrĂ©s par la France chaque annĂ©e Ă  l’entretien de ce parc sont significatifs : en 2013, 1,2 million d’euros Ă©taient programmĂ©s et 755 000 euros ont Ă©tĂ© engagĂ©s au titre du dispositif RECAMP sur le budget opĂ©rationnel de programme (BOP) Emploi des forces. En 2014 (au 1er juin), sur 1,28 million d’euros programmĂ©s, 70 000 sont d’ores et dĂ©jĂ  engagĂ©s. Ce dispositif a Ă©tĂ© mis en place en 1997. Il n’est pas illĂ©gitime de se demander s’il correspond toujours aux besoins des armĂ©es africaines et aux capacitĂ©s des armĂ©es françaises. En effet, les rapporteurs ont Ă©tĂ© surpris de voir, sur les parcs de stationnement des ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal, un nombre consĂ©quent de 4x4 Land Rover entretenus en parfait Ă©tat positionnĂ©s au titre du dispositif RECAMP, alors que tous les vĂ©hicules terrestres que les rapporteurs ont pu voir lors de leurs dĂ©placements auprĂšs des forces Serval au Mali et Sangaris en RĂ©publique centrafricaine paraissaient loin d’ĂȘtre en aussi bon Ă©tat. Lors de son audition, le gĂ©nĂ©ral Bernard Barrera a paru partager leurs interrogations. Pour lui,


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l’idĂ©e de disposer de parcs de matĂ©riels destinĂ©s Ă  ĂȘtre prĂȘtĂ©s aux Africains Ă©tait bonne, mais aujourd’hui, ce sont nos propres rĂ©giments qui connaissent parfois une « pĂ©nurie » de ces matĂ©riels. Enfin, comme l’a suggĂ©rĂ© le chef d’état-major des armĂ©es, il convient de s’interroger sur le caractĂšre mesurable du « retour sur investissement » des efforts consentis en matiĂšre de coopĂ©ration. Il a jugĂ© qu’une attention plus soutenue devait ĂȘtre accordĂ©e au caractĂšre mesurable de ce retour, citant en exemple le cas de la Mauritanie : celle-ci a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une action de coopĂ©ration mobilisant 40 personnels français, et a acceptĂ© en contrepartie de contribuer Ă  la MINUSMA. b. Des accords de pĂ©rimĂštre plus rĂ©duit l’architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ©

complĂštent

utilement

i. Une multiplication d’accords de coopĂ©ration de dĂ©fense ‱ Une multiplication d’accords bilatĂ©raux, notamment pour la surveillance des frontiĂšres La coopĂ©ration bilatĂ©rale constitue un axe majeur des politiques de dĂ©fense des États du Sahel. Elle vise notamment : – le partage d’informations ; – la surveillance conjointe des frontiĂšres, le cas Ă©chĂ©ant par des patrouilles mixtes binationales. À cet Ă©gard, on notera que le prĂ©sident malien Ibrahim Boubakar Keita, depuis son Ă©lection, a eu une politique active de tissage de liens bilatĂ©raux. ‱ Le G5 et les diverses initiatives du mĂȘme type Lors de leurs entretiens, les rapporteurs ont pu constater que les responsables politiques et militaires africains plaçaient beaucoup d’espoirs dans la coopĂ©ration qu’ils entretiennent dans le cadre du « G5 du Sahel » (Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad) constituĂ© en fĂ©vrier 2014. Ce groupe donne un cadre politique aux actions de coopĂ©ration militaire entreprises entre les armĂ©es de ces cinq pays, suivant une dĂ©marche dite « bottom-up ». Le chef d’état-major des armĂ©es a estimĂ© que ce cadre constituait le pĂ©rimĂštre le plus adaptĂ© pour coordonner la lutte contre les groupes armĂ©s terroristes sĂ©vissant au Sahel, pourvu que soient trouvĂ©es des modalitĂ©s permettant d’associer le SĂ©nĂ©gal Ă  son action. ii. Une occasion pour la France d’apporter un appui dĂ©cisif Le cas du G5 du Sahel est emblĂ©matique de ce que la France peut faire pour soutenir des initiatives de coopĂ©ration entre pays africains dans le domaine de la dĂ©fense et de la sĂ©curitĂ©, et ce Ă  deux titres :


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– d’une part, en appuyant les actions de coopĂ©rations dĂ©cidĂ©es dans ce cadre, oĂč elle a un statut d’observateur, par des opĂ©rations conjointes sur le terrain, notamment dans les zones frontaliĂšres ; – d’autre part, par un travail d’accompagnement diplomatique et de mise en cohĂ©rence des diverses initiatives prises, de façon Ă  crĂ©er des « cercles concentriques de discussion » pour que des initiatives comme le G5 ne se heurtent pas aux rĂ©ticences de pays qui, comme le SĂ©nĂ©gal, pourraient s’en sentir exclus ou, comme l’AlgĂ©rie, s’interroger sur l’articulation de ce cadre nouveau avec les espaces de coopĂ©ration prĂ©existants. La France a ainsi un rĂŽle Ă  jouer pour associer le SĂ©nĂ©gal aux opĂ©rations du G5 qui peuvent le concerner, sans pour autant que celui-ci ait besoin d’ĂȘtre officiellement membre de ce groupe. B. LA FRANCE A INTÉRÊT À METTRE EN ƒUVRE UNE POLITIQUE AFRICAINE GLOBALE, PARTENARIALE, COHÉRENTE ET ASSUMÉE

La prĂ©sence et les interventions militaires de la France ne seront pleinement efficaces Ă  long terme que si elles s’articulent avec celles de ses partenaires et s’inscrivent dans le cadre d’une politique africaine cohĂ©rente et assumĂ©e. 1. La France n’a ni les moyens ni l’ambition d’ĂȘtre le « gendarme de l’Afrique » : dĂšs lors, son action doit s’articuler de façon pragmatique avec celle de ses partenaires

a. L’action de la France gagne Ă  s’inscrire dans un cadre partenarial, si possible multilatĂ©ral Comme le chef d’état-major des armĂ©es l’a estimĂ© devant les rapporteurs, la contrainte budgĂ©taire et les limites capacitaires qui pĂšsent sur les forces françaises doivent inciter au pragmatisme, et partant, Ă  rechercher Ă  optimiser l’effet de nos moyens en coopĂ©rant avec les autres forces en prĂ©sence sur le sol africain, que ce soit dans la gestion des crises ou dans le fonctionnement du dispositif militaire permanent. i. La stratĂ©gie politique gĂ©nĂ©rale : une approche multilatĂ©rale de la gestion des crises africaines ‱ Une prĂ©fĂ©rence affirmĂ©e pour les interventions multilatĂ©rales Le Livre blanc de 2013 met d’ailleurs l’accent sur l’intĂ©rĂȘt qu’a la France, pour la lĂ©gitimitĂ© de ses interventions, Ă  ce que « les opĂ©rations auxquelles elle participera seront, autant que possible, menĂ©es dans des cadres multilatĂ©raux », qu’il s’agisse de l’ONU, des organisations rĂ©gionales ou des organisations sous-rĂ©gionales, comme le montre l’encadrĂ© ci-aprĂšs.


— 246 — L’APPROCHE MULTILATÉRALE, ORIENTATION STRATÉGIQUE FIXÉE PAR LE LIVRE BLANC L’ONU, mais Ă©galement les organisations rĂ©gionales et sous-rĂ©gionales, sont appelĂ©es Ă  jouer un rĂŽle croissant dans la lĂ©gitimitĂ© et la conduite stratĂ©gique des opĂ©rations extĂ©rieures. À cet Ă©gard le succĂšs des opĂ©rations est souvent lui-mĂȘme en partie liĂ© Ă  la lĂ©gitimitĂ© de l’institution qui en est le support. Dans un monde oĂč perdurent de trĂšs grandes inĂ©galitĂ©s de pouvoir et de ressources, les interventions extĂ©rieures ne doivent pas ĂȘtre soupçonnĂ©es d’ĂȘtre un nouvel instrument de projection abusive de puissance. Pour obtenir l’adhĂ©sion qui est une condition de leur succĂšs, elles doivent rĂ©pondre aux attentes des populations concernĂ©es et ĂȘtre portĂ©es par des organisations dans lesquelles ces populations se reconnaissent. En Afrique, l’Union africaine et les organisations sous-rĂ©gionales sont ainsi devenues des acteurs de la sĂ©curitĂ© du continent qui apportent une contribution importante Ă  la paix et Ă  la sĂ©curitĂ© internationales. La France tire toutes les consĂ©quences de cette Ă©volution et les opĂ©rations auxquelles elle participera seront, autant que possible, menĂ©es dans des cadres multilatĂ©raux. Elle veillera Ă  ce que ces opĂ©rations fassent l’objet, sous l’égide de l’ONU, d’un large accord sur leurs objectifs politiques et qu’elles relĂšvent d’une action convergente et coordonnĂ©e, associant les organisations multilatĂ©rales appropriĂ©es, en particulier les organisations rĂ©gionales ou sous-rĂ©gionales concernĂ©es. Source : Livre blanc de 2013 sur la dĂ©fense et la sĂ©curitĂ© nationale.

Le directeur gĂ©nĂ©ral des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres a soulignĂ© devant les rapporteurs que l’approche multilatĂ©rale de la gestion des crises est une constante de la diplomatie française, notamment pour ce qui concerne l’Afrique. Pour lui, mĂȘme la gestion de la crise malienne procĂšde de cette stratĂ©gie. En effet, la France n’a eu recours Ă  une intervention organisĂ©e « en bilatĂ©ral » qu’en raison de « l’urgence absolue, Ă  24 heures de la chute de Bamako ». Mais : – en amont, la France plaidait au Conseil de sĂ©curitĂ© (CSNU) pour mandater une intervention de l’Union africaine, et auprĂšs des instances europĂ©ennes pour donner davantage de portĂ©e concrĂšte Ă  la stratĂ©gie europĂ©enne sur le Sahel en mettant rapidement en place la mission EUTM Mali ; – en aval, le relais par une opĂ©ration de maintien de la paix (OMP) a Ă©tĂ© « trĂšs rapide », dĂšs le printemps 2013. À cet Ă©gard, on pourrait presque voir, selon lui, la premiĂšre phase de l’opĂ©ration Serval comme une « super bridging operation » doublĂ©e d’un apport de compĂ©tences de pointe en matiĂšre de lutte antiterroriste. Il faut aussi souligner que la France a pris une part active dans l’organisation de confĂ©rences des donateurs, ainsi que dans la coordination avec l’action des États-Unis. L’approche est la mĂȘme en RĂ©publique centrafricaine : – dĂšs 1998, la France avait eu un rĂŽle d’impulsion dans le lancement de la Mission des Nations unies en Centrafrique (MINURCA), puis « l’empreinte de l’ONU » dans le pays a baissĂ© au fur et Ă  mesure. La MINURCA a ainsi Ă©tĂ© remplacĂ©e en 2000 par une simple mission de politique (le « bureau de l’ONU »),


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investi d’un mandat de conseil aux autoritĂ©s centrafricaines. Ce bureau est aujourd’hui dĂ©nommĂ© bureau des Nations unies pour la Centrafrique (BINUCA) ; – lors de la dĂ©gradation de la situation observĂ©e il y a deux ans, la France a menĂ© une action de sensibilisation de la communautĂ© internationale. Ainsi, le directeur gĂ©nĂ©ral des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres a fait valoir qu’en la matiĂšre, avec une grande continuitĂ© politique, la France « ne s’est pas dĂ©robĂ©e ». L’enjeu Ă©tait alors d’obtenir un mandat pour intervenir puis « passer le relais ». En effet, le bureau des Nations unies « a fait son travail d’alerte », mais ce sont les États membres qui ont seuls le pouvoir de dĂ©cider de passer d’une mission de conseil politique Ă  une opĂ©ration de maintien de la paix. Suivant cette logique, le dĂ©ploiement la MINUSCA le 15 septembre prochain « ouvre la voie Ă  une stratĂ©gie de sortie pour Sangaris ». Pour les rapporteurs, il ressort de la gestion des derniĂšres crises africaines que cette stratĂ©gie d’approche multilatĂ©rale de la gestion des crises ne doit pas ĂȘtre comprise de façon rigide du point de vue juridique : il ne s’agit pas de faire de l’obtention d’un mandat de l’ONU la condition sine qua non de toute intervention française. Sinon, compte tenu des dĂ©lais nĂ©cessaires pour obtenir un tel mandat, les prĂ©positionnements perdraient beaucoup de leur utilitĂ©, la rĂ©activitĂ© qu’ils offrent aux forces françaises n’étant plus aussi utile compte tenu du rythme des nĂ©gociations Ă  l’ONU. Pire, certains observateurs estiment que l’entretien de prĂ©positionnements par une puissance qui s’interdirait toute intervention sans mandat de l’ONU serait contre-productif, la puissance en question pouvant facilement ĂȘtre accusĂ©e de n’avoir rien fait dans le dĂ©but d’une crise. L’approche multilatĂ©rale doit ĂȘtre vue, comme l’indique le Livre blanc, comme la recherche d’une lĂ©gitimitĂ© ressortant d’une action coordonnĂ©e avec les autres parties intĂ©ressĂ©es par la gestion d’une crise. ‱ Une articulation Ă  trouver au cas par cas entre les diffĂ©rents types de forces dans la gestion d’une crise 1./ Des forces du type Serval ou Sangaris Le fait de privilĂ©gier une approche multilatĂ©rale ne doit pas non plus ĂȘtre une raison – voire, pour certaines puissances europĂ©ennes, un prĂ©texte – pour ne pas intervenir militairement. En effet, l’engagement d’une force disposant de moyens plus sophistiquĂ©s que ceux des pays africains et de capacitĂ©s de rĂ©action plus rapides que celle de l’ONU paraĂźt, Ă  ce jour, indispensable. 2./ Des forces africaines ou sous-rĂ©gionales À cet Ă©gard, si l’expĂ©rience de la MISMA est vue comme largement positive, elle n’en a pas moins montrĂ© les limites inhĂ©rentes Ă  la mise en place de ce type de missions :


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– des moyens logistiques insuffisants, notamment pour le transport et le ravitaillement des troupes ; – une expĂ©rience encore limitĂ©e des opĂ©rations sous commandement intĂ©grĂ© (le « coalition building ») ; – des capacitĂ©s de pointe absentes : renseignement autre que d’origine humaine, appuis aĂ©riens, appuis feux. Certes, le sommet de l’ÉlysĂ©e pour la paix et la sĂ©curitĂ© en Afrique qui s’est tenu Ă  Paris les 6 et 7 dĂ©cembre a mis en avant les initiatives entreprises par le continent ou ses sous-rĂ©gions en vue d’apporter des solutions africaines aux problĂšmes africains, avec le cas Ă©chĂ©ant le soutien de la communautĂ© internationale. Pour la direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, « c’est dans cet esprit que la France souligne auprĂšs de ses partenaires internationaux l’importance de dĂ©velopper les capacitĂ©s africaines de rĂ©action aux crises ». NĂ©anmoins, les expĂ©riences rĂ©centes de la MISMA et de la MISCA tendent Ă  montrer que les forces sous-rĂ©gionales ont pour l’heure une rĂ©activitĂ© limitĂ©e, et ne peuvent ĂȘtre mises en place sans soutien international – notamment de la part de la France, mais aussi des États-Unis, qui ont largement financĂ© la MISMA et disposent de capacitĂ©s dĂ©ployĂ©es en Afrique. En outre, selon le directeur de l’Afrique et de l’ocĂ©an Indien du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, l’expĂ©rience de gestion des crises en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo a montrĂ© qu’une articulation Ă©tait Ă  trouver au cas par cas entre l’action de l’Union africaine et celle de l’ONU. En effet, l’ONU y disposait d’une force de 17 000 hommes (la MONUSCO), peu efficaces (notamment car peu d’entre eux Ă©taient francophones). La rĂ©solution 2098 du Conseil de sĂ©curitĂ© a permis la crĂ©ation d’une brigade d’intervention composĂ©e de Tanzaniens et de Sud-Africains, qui seule a rĂ©ussi Ă  battre le mouvement rebelle M23. 3./ Les opĂ©rations de maintien de la paix Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, le directeur gĂ©nĂ©ral des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres a soulignĂ© que l’on ne peut pas assigner Ă  une opĂ©ration de maintien de la paix menĂ©e sous l’égide de l’ONU les mĂȘmes objectifs stratĂ©giques ou tactiques qu’à une force de combat nationale ou multinationale. Pour lui, les OMP ne sont « pas conçues pour faire la guerre » - pour une opĂ©ration de maintien de la paix, encore faut-il qu’il y ait une paix Ă  maintenir -, mĂȘme si l’ONU tend Ă  intervenir depuis quelques annĂ©es dans des environnements moins permissifs qu’auparavant. D’oĂč les rĂ©ticences de certains membres du Conseil de sĂ©curitĂ© Ă  lancer une opĂ©ration de maintien de la paix dans un environnement « peu permissif et dangereux » tel que la RĂ©publique centrafricaine, et d’oĂč des rĂ©ticences Ă  donner des missions offensives et lĂ©tales aux OMP – ce qui constituera, selon le directeur gĂ©nĂ©ral des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, un enjeu des


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discussions prĂ©alables au renouvellement du mandat de la MINUSCA, enjeu sur lequel les vues de la France ne sont pas unanimement partagĂ©es. Les rapporteurs ont eu toutefois l’occasion de constater, notamment au Mali, une certaine confusion dans l’opinion publique – voire chez certains responsables politiques – qui croient Ă  tort – ou feignent de croire – que la MINUSMA devrait engager des combats contre les groupes rebelles du Nord. Pour la direction gĂ©nĂ©rale des affaires politiques et de sĂ©curitĂ© du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, l’ONU « a toute sa place aux cĂŽtĂ©s de ces initiatives africaines, avec lesquelles elle coopĂšre d’ailleurs dĂ©jĂ  sur de nombreux thĂ©Ăątres ». En matiĂšre de gestion des crises africaines, les opĂ©rations de maintien de la paix multidimensionnelle des Nations unies « constituent, et pour longtemps, un outil irremplaçable ». Outre la lĂ©gitimitĂ© du Conseil de sĂ©curitĂ© dont elles reçoivent leur mandat et qui fixe le plus souvent le cadre du processus politique, « les OMP ont accĂšs aux ressources (logistique, commandement, capacitĂ©s critiques, multiplicateurs de forces) et Ă  l’expertise acquise par le dĂ©partement des opĂ©rations de maintien de la paix (DOMP) – transition politique, DDR, soutien aux administrations notamment dans les secteurs de la sĂ©curitĂ© et de la justice, soutien en matiĂšre de droits de l’Homme, accĂšs humanitaire – que rĂ©clament les situations de crise les plus complexes ». En outre, elles disposent d’un mode de financement « par contributions obligatoires qui assure un certain partage du fardeau et la pĂ©rennitĂ© des ressources d’opĂ©ration de stabilisation nĂ©cessairement longue ». L’action de l’ONU s’étend toutefois au-delĂ  du rĂŽle de ces opĂ©rations : action des agences, des fonds et programme, rĂŽle politique (mĂ©diation et bons offices), mise en place d’un rĂ©gime de sanctions, articulation avec les mĂ©canismes relevant de la justice pĂ©nale internationale. 4./ Articulation des trois types de forces Ainsi, compte tenu des faiblesses des forces africaines et de la complexitĂ© qui prĂ©side au dĂ©ploiement des forces multinationales, la France est vue par la plupart des autoritĂ©s africaines comme un acteur pour l’heure incontournable dans la gestion de crises du type de celle de 2013 au Mali, et le sĂ©quencement de la gestion d’une crise dans une zone d’intĂ©rĂȘt prioritaire pour la France pourrait ĂȘtre rĂ©sumĂ© dans les termes suivants : rĂ©activitĂ© et passage de relais. Dans cette optique, la logique de nos interventions en Afrique semble devoir ĂȘtre la suivante : – appui aux forces locales pour la gestion des pics de crise, grĂące Ă  la rĂ©activitĂ© que nous offrent nos prĂ©positionnements et notre « boucle dĂ©cisionnelle courte » en matiĂšre de projection des forces ; – internationalisation de l’intervention le plus rapidement possible, ne serait-ce que pour combler nos propres lacunes (ravitaillement en vol, transport stratĂ©gique, transport tactique), mais Ă©galement pour couvrir l’action française d’une lĂ©gitimitĂ© moins contestable ;


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– passage de relais Ă  une force internationale, la France n’intervenant plus qu’en appui de cette force ou pour des actions trĂšs ciblĂ©es (comme celles des forces spĂ©ciales ou les opĂ©rations ponctuelles de destruction de groupes armĂ©s menĂ©es aujourd’hui par Serval). Comme le directeur de l’Afrique et de l’ocĂ©an Indien du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres l’a relevĂ©, certaines armĂ©es africaines sont Ă  mĂȘme de prendre le relais des forces françaises dans la gestion des crises : les Rwandais et les Burundais, par exemple, sont particuliĂšrement aguerris et les Tchadiens ont fait la preuve de leur valeur militaire aux cĂŽtĂ©s des Français dans l’Adrar des Ifoghas. De plus, selon lui, les Africains ont un « seuil de tolĂ©rance plus Ă©levĂ© que nous aux pertes humaines » : on fait Ă©tat de 2 000 Ougandais et Burundais tuĂ©s en Somalie, sans que cela remette en cause l’engagement des pays concernĂ©s. ii. Le cadre d’action pratique : une recherche pragmatique d’effets de levier au moyen de partenariats Devant les rapporteurs, le chef d’état-major des armĂ©es a soulignĂ© que les dĂ©ploiements français en Afrique tiraient une part de leur efficacitĂ© des partenariats nouĂ©s avec d’autres puissances. Il a citĂ© en exemple la coopĂ©ration franco-amĂ©ricaine relative aux capacitĂ©s ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance), la coopĂ©ration avec l’AlgĂ©rie pour « verrouiller » le Nord-Ouest de la bande sahĂ©lo-saharienne, ou encore, dans le cadre du partenariat instituĂ© par les traitĂ©s de Lancaster House, les coopĂ©rations possibles avec le Royaume-Uni, dont un volume significatif de forces et de capacitĂ©s pourra ĂȘtre redĂ©ployĂ© avec le retrait britannique d’Afghanistan. Le chef d’état-major des armĂ©es a jugĂ© qu’il fallait « aller plus loin » dans cette logique de partenariat, non seulement sur le plan militaire mais aussi dans les aspects Ă©conomiques et politiques de la gestion des crises. Il a soulignĂ© surtout que c’est avant tout le « pragmatisme » qui commande de nouer de tels liens. En effet, dans une pĂ©riode de forte contrainte pesant sur le budget de la DĂ©fense, les interventions françaises doivent ĂȘtre menĂ©es dans un constant souci d’optimisation des moyens. Or, si certaines coopĂ©rations n’ont pas permis de rĂ©aliser les Ă©conomies escomptĂ©es – il suffit pour s’en convaincre de se rappeler le cas de l’A400M –, il y a des gisements d’économies consĂ©quents Ă  exploiter dans les partenariats que la France peut nouer sur une base bilatĂ©rale, sur une base multilatĂ©rale au pĂ©rimĂštre de circonstance, ou dans le cadre d’organisations internationales telles que l’OTAN, l’Union europĂ©enne, l’Union africaine ou ses sous-rĂ©gions. Le gĂ©nĂ©ral Pierre de Villiers a prĂ©cisĂ© aux rapporteurs que cette approche valait tant pour les opĂ©rations extĂ©rieures que pour les dĂ©ploiements permanents.


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b. Des partenaires europĂ©ens Ă  sensibiliser plus en amont aux enjeux de la sĂ©curitĂ© en Afrique S’il y a un cadre dans lequel la France a vocation Ă  nouer des partenariats, c’est celui de l’Union europĂ©enne. En effet, les menaces provenant du continent africain ne concernent pas seulement la France, mais bien l’Europe entiĂšre, pour laquelle le traitĂ© de Lisbonne a ouvert la voie Ă  la construction d’une vĂ©ritable Europe de la dĂ©fense, mĂȘme si les atermoiements europĂ©ens dans la gestion de la crise centrafricaine montrent bien le caractĂšre trĂšs inachevĂ© de cette construction. L’implication trĂšs limitĂ©e de l’Union europĂ©enne dans la gestion des crises africaines peut s’expliquer par deux fragilitĂ©s dans les procĂ©dures qui encadrent la mise en Ɠuvre de la politique de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense commune : – un processus dĂ©cisionnel europĂ©en qui repose in fine sur la volontĂ© des États membres, sur leurs capacitĂ©s militaires et financiĂšres, et sur leur degrĂ© de conscience des enjeux liĂ©s Ă  la sĂ©curitĂ© de l’Afrique ; – des rĂšgles relatives Ă  la politique europĂ©enne de coopĂ©ration qui interdisent notamment de financer des Ă©quipements ayant une possible utilisation militaire. De surcroĂźt, selon le directeur chargĂ© de la dĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques, dans une grande part des États-membres, les ministĂšres chargĂ©s de la DĂ©fense et des Affaires Ă©trangĂšres ont des moyens trop limitĂ©s pour ne pas se focaliser sur les menaces prioritaires ; or l’Afrique leur semble Ă©loignĂ©e de leurs prĂ©occupations et la France leur paraĂźt s’en occuper, tandis que leur attention est focalisĂ©e sur la rĂ©surgence qu’ils perçoivent d’une menace russe conventionnelle. L’atonie europĂ©enne s’explique Ă©galement par le fait que les budgets de dĂ©fense sont partout limitĂ©s, ce qui fait peser des contraintes importantes sur les capacitĂ©s militaires des EuropĂ©ens. Ainsi, selon M. Philippe Errera, si les Espagnols partagent notre analyse sur les risques liĂ©s Ă  l’Afrique, le seul apport d’un C130 Hercules pour faciliter les liaisons intrathĂ©Ăątre de l’opĂ©ration Sangaris reprĂ©sente dĂ©jĂ  une part trĂšs consĂ©quente de leurs capacitĂ©s en matiĂšre de transport tactique aĂ©rien. i. Un dĂ©fi difficile Ă  relever, compte tenu du faible enthousiasme des EuropĂ©ens Ă  prendre toutes leurs responsabilitĂ©s en Afrique ‱ Une rĂ©ticence de l’Union europĂ©enne et des EuropĂ©ens Ă  s’engager militairement en Afrique L’amiral Marin Gillier, directeur de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense, a estimĂ© que c’est seulement trĂšs rĂ©cemment que l’Union europĂ©enne, active depuis plusieurs dĂ©cennies en matiĂšre d’aide au dĂ©veloppement, a commencĂ© Ă  tenir compte du fait qu’il y a un continuum entre sĂ©curitĂ© et dĂ©veloppement. Et encore, selon l’amiral, cette prise de conscience reste inĂ©gale d’un service Ă  un autre de la Commission europĂ©enne.


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D’ailleurs, mĂȘme lorsqu’ils ont fourni un appui fourni aux derniĂšres opĂ©rations françaises en Afrique, les EuropĂ©ens l’on fait de prĂ©fĂ©rence sur la base d’arrangements bilatĂ©raux plutĂŽt qu’en utilisant les outils prĂ©vus par le traitĂ© de Lisbonne ou dĂ©veloppĂ©s dans le cadre de la politique de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense commune. Ainsi, le chef d’état-major de l’armĂ©e de l’air a indiquĂ© que l’appui aĂ©rien fourni par les EuropĂ©ens aux forces Serval et Sangaris n’avait pas Ă©tĂ© organisĂ© par l’EATC (European Air Transport Command), qui se concentre sur les liaisons aĂ©riennes « interthĂ©Ăątre », reprĂ©sentant peu de volume d’activitĂ© en cours d’opĂ©ration, et non sur les liaisons « intrathĂ©Ăątre ». Toutefois, l’aide apportĂ©e Ă  la France par ses partenaires europĂ©ens en la matiĂšre est parfois assortie de caveats : tel est notamment le cas des capacitĂ©s fournies par les Allemands, qui, selon le gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, Ă©taient trĂšs contraints pour transporter du matĂ©riel purement militaire. Pour le directeur de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense, les services de l’Union europĂ©enne ont parfois tendance Ă  aborder les problĂšmes africains avec « une vision conceptuelle trop rigide », voire un « manque de pragmatisme ». D’ailleurs, la complexitĂ© qui caractĂ©rise la mise en Ɠuvre de certaines politiques europĂ©ennes se retrouve en matiĂšre de coopĂ©ration. Ainsi, selon l’amiral, la Commission a dĂ» commanditer rĂ©cemment un audit pour faire le point sur ses propres programmes d’aide en matiĂšre d’action de l’État en mer. Le jugement portĂ© par la plupart des observateurs sur la politique europĂ©enne de coopĂ©ration est assez dĂ©favorable, en raison notamment d’une excessive complexitĂ© des procĂ©dures, voire d’une certaine rigiditĂ© dans leur application. L’amiral Marin Gillier a citĂ© en exemple les difficultĂ©s rencontrĂ©es dans le soutien au Centre de formation au dĂ©minage humanitaire (CPADD) du BĂ©nin, qui fonctionne sur un mode comparable Ă  celui d’une Ă©cole nationale Ă  vocation rĂ©gionale et dont l’activitĂ© consiste Ă  former des stagiaires aux techniques du dĂ©minage humanitaire en aval des conflits. L’Union europĂ©enne a acceptĂ© de soutenir l’initiative, mais sous deux conditions : – que ses fonds transitent par la CEDEAO, et non par la France, qui soutient elle aussi le fonctionnement de cette Ă©cole ; – que les fonds ne soient dĂ©finitivement engagĂ©s que lorsque la CEDEAO aura mis en Ɠuvre des procĂ©dures financiĂšres agrĂ©Ă©es par l’Union. Or, pour certains dĂ©tails de contrĂŽle de gestion, les fonds europĂ©ens sont bloquĂ©s, ce qui selon l’amiral, compromet gravement le fonctionnement et mĂȘme l’avenir de cette Ă©cole. C’est lĂ  selon lui un effet pervers des rĂšgles europĂ©ennes de bonne gestion : elles ne permettent pas la souplesse nĂ©cessaire dans le travail sur le continent africain, alors mĂȘme qu’en l’espĂšce, les risques de mauvaise gestion Ă©taient d’autant plus limitĂ©s que gestion financiĂšre de l’école est assurĂ©e par un coopĂ©rant français



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‱ Une prise de conscience encore timide des enjeux africains Le directeur chargĂ© de la dĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs que si la position des EuropĂ©ens dans les crises malienne et centrafricaine peut nourrir des « frustrations », avec du recul, « on observe une disponibilitĂ© politique croissante des EuropĂ©ens pour aller sur le terrain en Afrique sub-saharienne ». Ainsi, dans la mise en Ɠuvre de l’opĂ©ration Artemis en 2003 en RDC, il avait fallu que le prĂ©sident de la RĂ©publique française entreprenne des dĂ©marches insistantes auprĂšs du chancelier allemand pour obtenir de lui un apport ponctuel et limitĂ© d’effectifs allemands. Or aujourd’hui, la mission EUTM Mali compte davantage d’Allemands que de Français. De mĂȘme, 400 NĂ©erlandais vont intĂ©grer la MINUSMA : cet apport de capacitĂ©s est utile, et s’il est certes regrettable qu’il ne soit pas placĂ© sous la banniĂšre de l’Union europĂ©enne, cette contribution significative tĂ©moigne dĂ©jĂ  d’une prise de conscience nouvelle. ii. Un dĂ©fi indispensable Ă  relever compte tenu des moyens (notamment financiers) qu’il est possible de mobiliser par le biais de l’Union europĂ©enne Pour le gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, l’expĂ©rience montre que l’Union europĂ©enne « ne se mobilise que s’il y a un effet d’entraĂźnement », avec un leadership affirmĂ©, et si les dĂ©marches procĂšdent d’une « dĂ©marche bottom-up » - le gĂ©nĂ©ral a mis en avant le fait que c’est suivant une telle dĂ©marche que l’EATC a Ă©tĂ© crĂ©Ă©, estimant que les choses auraient Ă©tĂ© plus compliquĂ©es si un tel projet avait Ă©tĂ© initiĂ© « par le haut ». C’est pourquoi, comme le directeur chargĂ© de la dĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques l’a fait valoir aux rapporteurs, la France doit ainsi « continuer son travail de sensibilisation et d’échange » d’analyses et de renseignement avec les EuropĂ©ens. Pour nombre de pays, les retombĂ©es sĂ©curitaires de la dĂ©stabilisation de la zone « Sud-MĂ©diterranĂ©e » sont de plus en plus visibles, ne serait-ce que pour ce qui concerne l’immigration illĂ©gale et les trafics. Pour M. Philippe Errera, il faut aussi que la France « montre qu’elle voit les menaces pour l’Europe de façon globale ». Il est bon Ă  cet Ă©gard que la France ait Ă©tĂ© dans les premiers États-membres Ă  proposer un renfort des « mesures de rĂ©assurance » envers les États baltes : cela rend justifiable et audible pour ces pays la demande qu’on leur adresse « de prendre des risques et de mettre des troupes sur des thĂ©Ăątres qui sont importants pour nous ». Il est d’ailleurs Ă  noter que l’Estonie vient de dĂ©cider l’envoi de soldats en Afrique, le ministre estonien des Affaires Ă©trangĂšres invoquant pour soutenir cette dĂ©cision la solidaritĂ© dont fait preuve la France face Ă  la Russie.


— 254 — 2. La prĂ©sence et les interventions militaires de la France gagneraient Ă  s’inscrire dans une approche plus globale, plus cohĂ©rente et mieux assumĂ©e d’une vĂ©ritable politique africaine

Comme l’a dĂ©clarĂ© aux rapporteurs le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain, « rĂ©flĂ©chir sur le dispositif militaire en Afrique, c’est rĂ©flĂ©chir sur la politique africaine de la France ». Or, selon lui, ce dispositif a Ă©voluĂ© sans que la doctrine française Ă©volue explicitement : faute de consensus, les difficultĂ©s du moment ont Ă©tĂ© tranchĂ©es sans vision claire de l’adĂ©quation de nos moyens et de nos ambitions en Afrique. Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, le chef d’état-major des armĂ©es a soulignĂ© que notre dispositif militaire en Afrique n’avait fait l’objet de rĂ©organisations que pour des raisons budgĂ©taires, Ă  l’exception de la rĂ©organisation des commandements opĂ©rĂ©e en 2004 pour adapter les zones de responsabilitĂ© principale des forces françaises au dĂ©coupage sous-rĂ©gional de l’Afrique au titre de l’architecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ©. Le professeur Jean-François Bayart a estimĂ© que si l’on observe la politique africaine de la France depuis les annĂ©es 1950, on constate que celle-ci a « perdu en cohĂ©rence », notamment Ă  partir des annĂ©es 1980, oĂč les restrictions apportĂ©es Ă  la circulation des personnes et la dĂ©valuation puis la remise en cause de la convertibilitĂ© manuelle du franc CFA ont freinĂ© les mĂ©canismes d’intĂ©gration Ă©conomique et culturelle mis en place en amont mĂȘme des indĂ©pendances. Ainsi, pour lui, « stigmatiser la Françafrique, c’est un anachronisme, voire un contresens » ; il y voit une rĂ©manence dans nos reprĂ©sentations. a. Assurer le « service aprĂšs-vente » des interventions, en dĂ©veloppant une doctrine cohĂ©rente intĂ©grant toutes les phases d’une crise : dĂ©tection/intervention/stabilisation/normalisation Le Livre blanc de 2013 explique que « la consolidation d’États fragiles ou le rĂ©tablissement de leur stabilitĂ© requiĂšrent la mise en Ɠuvre d’un ensemble d’actions complĂ©mentaires et cohĂ©rentes dans tous les domaines. Une coordination accrue est nĂ©cessaire dans le cadre d’une approche globale interministĂ©rielle et multilatĂ©rale, afin d’optimiser l’emploi de moyens comptĂ©s ». Il en conclut qu’« une capacitĂ© crĂ©dible de prĂ©vention et de gestion civilo-militaire des crises s’impose dans notre stratĂ©gie de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© nationale ». L’enchaĂźnement classique de la gestion d’une crise pourrait ĂȘtre rĂ©sumĂ©, schĂ©matiquement, en quatre phases : identification, intervention, stabilisation et normalisation. Les dĂ©placements des rapporteurs au Mali et en RĂ©publique centrafricaine ont permis de recueillir d’utiles retours d’expĂ©rience concernant la façon dont les facteurs de crise peuvent ĂȘtre identifiĂ©s, les voies et moyens d’une intervention extĂ©rieure dans une crise africaine, ainsi que les conditions de stabilisation d’un pays aprĂšs une crise.


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i. Intervenir suffisamment tĂŽt : dĂ©tecter prĂ©cocement les crises Comme l’a relevĂ© le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain, les lenteurs des organisations internationales et les rĂ©ticences françaises Ă  intervenir « en autonome » ont pour consĂ©quence que « les actions au dĂ©but de la crise sont devenues pratiquement impossibles », alors mĂȘme que plus le traitement d’une crise est prĂ©coce, moins ses consĂ©quences sont graves pour la population qui la subit et moins le coĂ»t en est Ă©levĂ© pour le ou les pays qui la traitent. Rappelons que le Livre blanc indique que la France doit se rĂ©server la possibilitĂ© de mener des « opĂ©rations conduites de façon autonome, dont des Ă©vacuations de ressortissants français ou europĂ©ens, des actions de contre-terrorisme ou de riposte ». Il prĂ©cise Ă©galement que « l’évolution du contexte stratĂ©gique pourrait amener notre pays Ă  devoir prendre l’initiative d’opĂ©rations, ou Ă  assumer, plus souvent que par le passĂ©, une part substantielle des responsabilitĂ©s impliquĂ©es par la conduite de l’action militaire ». ii. Savoir passer de l’intervention Ă  la stabilisation : le contre-exemple de la Libye, l’enjeu de Serval et de Sangaris À l’instar du chef d’état-major des armĂ©es, tous les interlocuteurs des rapporteurs se sont accordĂ©s Ă  considĂ©rer que l’instabilitĂ© de la Libye constituait un facteur majeur de dĂ©stabilisation de l’ensemble de la bande sahĂ©lo-saharienne. Pour le gĂ©nĂ©ral Pierre de Villiers, « il n’y aura pas de solution aux problĂšmes d’insĂ©curitĂ© dans la bande sahĂ©lo-saharienne sans solution du problĂšme libyen ». Le cas de la Libye tend ainsi Ă  montrer qu’aprĂšs une intervention, mĂȘme couronnĂ©e de succĂšs au vu des objectifs fixĂ©s, un effort de stabilisation du thĂ©Ăątre est indispensable. C’est lĂ  le sens des efforts consentis par la France pour maintenir dans la durĂ©e des forces de stabilisation au Mali et en RĂ©publique centrafricaine, que ce soit sous sa banniĂšre ou, de prĂ©fĂ©rence, sous celle de l’ONU. iii. De la stabilisation Ă  la normalisation, savoir gĂ©rer les difficultĂ©s rencontrĂ©es en « sortie de crise » : le cas de la CĂŽte d’Ivoire Leur dĂ©placement en CĂŽte d’Ivoire a permis aux rapporteurs de mesurer les difficultĂ©s qu’il y a Ă  passer de la phase de stabilisation d’une situation de crise Ă  la phase de normalisation de la vie sociale et politique aprĂšs ladite crise. À cet Ă©gard, il ressort de leurs entretiens avec les responsables militaires français de l’opĂ©ration Licorne que si la crise post-Ă©lectorale ivoirienne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme terminĂ©e – le prĂ©sident Alassane Dramane Ouattara s’étant imposĂ©, et l’opposition gbagbiste semblant aujourd’hui trĂšs affaiblie – la situation sĂ©curitaire n’est pas encore vue comme « normalisĂ©e ». La reprĂ©sentante spĂ©ciale du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies pour la CĂŽte d’Ivoire, Mme AĂŻchatou Mindaoudou, a ainsi informĂ© les rapporteurs de quelques attaques – de plus en plus rares – et de quelques mouvements d’hommes armĂ©s enregistrĂ©s prĂšs de la frontiĂšre du pays avec le Liberia. Surtout, pour le commandement de la force


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Licorne, le retour Ă  la normale demande plus de temps que prĂ©vu, et le pays est encore « divisĂ© par les consĂ©quences des adversitĂ©s passĂ©es ». Trois fragilitĂ©s principales sont identifiĂ©es : – une fragilitĂ© politique : la normalisation suppose la tenue d’élections libres, non contestĂ©es et tenues dans un climat serein. De ce point de vue, le problĂšme rĂ©current des critĂšres de nationalitĂ© dans le code Ă©lectoral pourrait engendrer de nouveau des tensions (1), et la rĂ©Ă©lection du prĂ©sident ne saurait ĂȘtre perçue comme tout Ă  fait lĂ©gitime que si une vĂ©ritable opposition parvient Ă  Ă©merger ; – une fragilitĂ© sociale : si l’économie ivoirienne a connu un rebond avec la stabilisation du pays – la croissance atteignant 8 % par an environ –, les mĂ©canismes de rĂ©partition des richesses ainsi crĂ©Ă©es restent trĂšs limitĂ©s : les contrastes sociaux qui en rĂ©sultent pourraient se traduire par des mouvements de mĂ©contentement de nature Ă  dĂ©stabiliser tout ou partie du pays ; – une fragilitĂ© dans la reconstruction des forces de sĂ©curitĂ© : le dispositif de dĂ©sarmement – dĂ©mobilisation - rĂ©intĂ©gration (DDR) mis en Ɠuvre a suscitĂ© des effets d’aubaine, et si les anciennes forces belligĂ©rantes sont en voie d’ĂȘtre « ressoudĂ©es » avec l’intĂ©gration d’une part importante des anciens combattants dans les forces armĂ©es et dans les forces de sĂ©curitĂ© civile, les coopĂ©rants militaires français estiment que ces forces ont encore besoin de rĂ©formes de fond pour ĂȘtre opĂ©rationnelles. L’accent doit selon eux ĂȘtre mis sur la formation des personnels, afin de « professionnaliser » ceux qui Ă©taient des combattants plutĂŽt que des soldats. En outre, tant que l’embargo Ă©tabli par l’ONU sur les armes Ă  destination de la CĂŽte d’Ivoire n’est ni levĂ© ni assoupli, il reste difficile d’équiper de façon satisfaisante les forces ivoiriennes. b. DĂ©velopper la connaissance de l’Afrique et les liens de solidaritĂ© Comme l’a soulignĂ© le directeur chargĂ© de la dĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques, toutes ces menaces supposent un « investissement en connaissance et en anticipation ». Cet investissement peut prendre plusieurs formes. i. Entretenir les savoirs et les savoir-faire de personnels de la DĂ©fense « accoutumĂ©s » Ă  l’Afrique ‱ Une culture et des savoirs traditionnellement possĂ©dĂ©s par les troupes de marine Lors de son audition, le gĂ©nĂ©ral Jacques Norlain a insistĂ© sur l’intĂ©rĂȘt pour la France d’« entretenir les savoirs » concernant l’Afrique au sein de ses forces. Soulignant que « la rĂ©ussite de la coopĂ©ration repose sur la qualitĂ© des hommes, (1) Les critĂšres lĂ©gaux d’« ivoiritĂ© » restent stricts : tout candidat doit ĂȘtre nĂ© de deux parents nĂ©s eux-mĂȘmes Ivoiriens, ce qui pose deux problĂšmes : 1./ pour les candidats : Alassane Dramane Ouattara ne remplit pas ces critĂšres, sa candidature n’ayant Ă©tĂ© permise que de façon dĂ©rogatoire par les accords de Marcoussis ; 2./ pour les Ă©lecteurs : un nombre important d’Ivoiriens sont nĂ©s de parents Ă©trangers, notamment burkinabĂšs, qu’il peut ĂȘtre mal avisĂ© d’exclure du corps politique.


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elle exige des compĂ©tences et un sens du relationnel dĂ©veloppĂ© », il plaide en faveur de processus de formation et de procĂ©dures d’affectation qui permettraient de conforter la spĂ©cialisation des troupes de marine dans la connaissance du milieu africain. ‱ La question de l’armement des forces dĂ©ployĂ©es en Afrique, entre personnels « permanents » et personnels « tournants » 1./ Le dispositif actuel Les forces françaises prĂ©positionnĂ©es en Afrique sont armĂ©es par deux catĂ©gories de personnels : – des personnels dits « permanents », en « mission de longue durĂ©e » (MLD), c’est-Ă -dire affectĂ©s Ă  un poste pour trois ans ; – des personnels dits « tournants », en « mission de courte durĂ©e » (MCD), c’est-Ă -dire relevĂ©s tous les quatre mois. Par ailleurs, pour certaines fonctions nĂ©cessitant une plus grande continuitĂ© dans la tenue des postes (renseignement, commandement, etc.), le rythme de rotation peut ĂȘtre adaptĂ© en fonction des exigences du thĂ©Ăątre. Ainsi, certains postes Ă  responsabilitĂ© (comme ceux de commandants de force en opĂ©ration extĂ©rieure) s’exercent gĂ©nĂ©ralement pour un an. 2./ Avantages et inconvĂ©nients des MCD et des MLD Le maintien, au sein de chaque unitĂ© prĂ©positionnĂ©e, d’un noyau de personnel en mission longue durĂ©e (MLD), essentiellement centrĂ© sur les fonctions de commandement et de soutien, permet d’assurer une certaine permanence et de capitaliser ainsi une expĂ©rience et des contacts locaux que seul le temps permet d’acquĂ©rir. Quant au systĂšme de rotation quadrimestriel en Afrique, l’état-major de l’armĂ©e de terre juge qu’il est « dĂ©sormais Ă©prouvĂ© et prĂ©sente un compromis trĂšs satisfaisant en termes de coĂ»t global, d’entraĂźnement Ă  la projection et d’aguerrissement ». Le recours Ă  des MCD a en effet plusieurs avantages : – il permet d’offrir au plus grand nombre les atouts de prĂ©paration opĂ©rationnelle des sites concernĂ©s, qui sont souvent comparables aux thĂ©Ăątres spĂ©cifiques d’engagement probables (dĂ©sert, savane, forĂȘt Ă©quatoriale) : adaptation au milieu, aguerrissement, cadre interarmes voire interarmĂ©es, culture de projection, cohĂ©sion ; – cette durĂ©e permet de disposer de forces acclimatĂ©es, aguerries et rĂ©actives comme l’a montrĂ© l’engagement de forces de prĂ©sence dans les opĂ©rations Serval et Sangaris ;


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– il contribue Ă  la polyvalence des unitĂ©s, gage de l’aptitude de l’armĂ©e de terre Ă  remplir son contrat opĂ©rationnel, compte tenu du volume de forces projetables ; – la durĂ©e de quatre mois est adaptĂ©e aux climats Ă©prouvants et aux opĂ©rations Ă  fort niveau de stress liĂ© Ă  l’intensitĂ© des combats : cette durĂ©e de mandat offre le meilleur compromis entre le temps nĂ©cessaire Ă  l’appropriation de la mission et du terrain d’une part et l’usure de la troupe d’autre part ; – il est relativement peu coĂ»teux : le coĂ»t salarial total pour un personnel en MCD est infĂ©rieur de moitiĂ© Ă  celui d’un personnel en MLD, et ces Ă©carts sont plus prononcĂ©s encore si l’on intĂšgre dans ce calcul les coĂ»ts de fonctionnement et les frais affĂ©rents aux activitĂ©s des personnels. Le recours au MCD prĂ©sente en revanche certains inconvĂ©nients : – une faible insertion dans l’environnement local ; – une augmentation de l’absentĂ©isme et de la contrainte sur les familles ; – une usure accrue des matĂ©riels. 3./ Le ratio MCD/MLD : oĂč « placer le curseur » ? Selon l’état-major de l’armĂ©e de terre, le Royaume-Uni a fait le choix d’affecter dans ses points d’appui des bataillons complets en MLD, avec les familles. Elle ne pratique le systĂšme des MCD qu’en opĂ©ration extĂ©rieure. Les États-Unis arment leurs points d’appui par des MLD et leurs forces en MCD. En France, Ă  des fins d’économies, la tendance est Ă  la rĂ©duction du nombre de postes de permanents. Ainsi, le ratio MLD/MCD pour l’armĂ©e de terre s’établissait en 2008 Ă  45/55, et s’établit dĂ©sormais Ă  30/70. L’armĂ©e de terre fait valoir qu’elle « pourra difficilement aller au-delĂ  de ce ratio sans mettre en danger la capacitĂ© des unitĂ©s et la maĂźtrise du milieu », soulignant que des trois armĂ©es, elle possĂšde le plus fort taux de « tournants ». Le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre a ainsi dĂ©clarĂ© aux rapporteurs : « pousser encore plus loin cette logique affaiblirait, pour des gains marginaux, l’efficacitĂ© opĂ©rationnelle des unitĂ©s qui repose, pour bonne part, sur la connaissance de l’environnement humain ». ii. Entretenir plus largement, une connaissance des sociĂ©tĂ©s et des systĂšmes politiques africains Lors de son audition par les rapporteurs, le professeur Bertrand Badie a Ă©numĂ©rĂ© les « mirages » qui ont pu tromper Ă  plusieurs reprises les diplomaties occidentales lorsqu’elles ont Ă©tĂ© confrontĂ©es aux crises africaines contemporaines.


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1./ Le mirage du rĂšglement militaire des crises Les EuropĂ©ens se sentent obligĂ©s d’intervenir. Mais ils se heurtent souvent Ă  un problĂšme : « la sociĂ©tĂ© guerriĂšre est une sorte de monstre que seule la guerre alimente : l’intervention militaire ne suffit pas ». De plus, les sociĂ©tĂ©s guerriĂšres produisent une classe politique qui a « des intĂ©rĂȘts trĂšs particuliers, des rationalitĂ©s trĂšs diffĂ©rentes » : soit une « rationalitĂ© de chef de guerre », ou une rationalitĂ© « de chef d’État qui entend se construire hors du paradigme de l’État (qui n’existe pas) et du contrat social (qui n’existe pas plus) ». Il faut donc se mĂ©fier de l’argument qui consiste Ă  dire qu’il y a des souhaits de chefs d’État africains, ou des volontĂ©s politiques affirmĂ©es. Lorsque la guerre est le produit d’une « pathologie sociale », elle appelle un traitement social et pas seulement un traitement militaire, qui peut s’avĂ©rer contre-productif (avec un risque de « retour de bĂąton »). 2./ Le mirage d’une politique africaine fondĂ©e sur un systĂšme d’échange de bons procĂ©dĂ©s On prĂ©tend parfois que traiter avec ces chefs d’État serait un moyen de les contrĂŽler : l’aide militaire de l’ancienne puissance tutĂ©laire reviendrait Ă  toucher un centre du systĂšme dĂ©cisionnel. Les faits permettent de douter de la viabilitĂ© de ces procĂ©dĂ©s, qui reviennent en fait Ă  renforcer des fauteurs de troubles. 3./ Le mirage de la construction d’un État dans une sociĂ©tĂ© guerriĂšre Une sociĂ©tĂ© guerriĂšre est structurĂ©e en organisations de type « milices ». « Les milices ont une dimension sociale importante : elles assurent une protection Ă  une population, et donnent un statut Ă  des individus. » Mais leur moteur consiste Ă  rentabiliser la dĂ©tresse d’une population en « demande sociale de violence » : les milices deviennent vite des « entrepreneurs de violences », rĂ©pondant Ă  une demande sociale de violence – cf. AQMI, Mujao, LRA, anti-balakas, etc. L’enjeu est alors de tarir la demande sociale de violence. Il y a une grande diffĂ©rence entre un État Ă  l’europĂ©enne et une milice : un État a toujours intĂ©rĂȘt Ă  terminer la guerre, une milice jamais : elle perd alors toute raison d’ĂȘtre. D’ailleurs, la notion de victoire au sens clausewitzien est absente des conflits internes africains : « 87 % des guerres de ce type n’ont ni vainqueur ni vaincu » ; la guerre finit par extinction, Ă©puisement des combattants, mais ne dĂ©bouche que sur des paix fragiles (comme c’est le cas en Sierra Leone et au Liberia). Il existe certes des contre-exemples (tel le Mozambique, oĂč le chef de la mission de l’ONU a rĂ©ussi un bon programme de DDR), mais souvent, le feu reprend rapidement.


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On peut dĂšs lors se poser la question de savoir si le discours, souvent tenu par des chefs d’État africains, sur leur volontĂ© de reconstruire un État est factice ou non. Pour le professeur Bertrand Badie, les positions du prĂ©sident malien Ibrahim Boubacar Keita, « qui brouille le jeu en tournant le dos Ă  la mĂ©diation burkinabĂš et en faisant entrer dans le jeu politique malien des facilitateurs aussi mal accordĂ©s que le Maroc et l’AlgĂ©rie, peut le faire craindre ». D’autres cas sont plus nets, tel celui de Joseph Kabila au Congo, « qui ne semble concevoir sa survie politique que par la mise en pratique de la sociĂ©tĂ© de guerre. » 4./ Le mirage de la pacification sans construction d’une paix sociale « On a mis une charge un peu naĂŻve derriĂšre la notion de pacification : il n’y a pas de vĂ©ritable pacification sans paix sociale ». Le jeu politique se joue dĂšs lors avec les ressources locales, c’est-Ă -dire celles de la sociĂ©tĂ© guerriĂšre. À trĂšs court terme, des interventions extĂ©rieures comme Serval sont « salutaires et efficaces », mais elles « ne rĂšglent les problĂšmes que trĂšs temporairement ». 5./ Le mirage d’une conception de la guerre Ă  la Carl Schmitt La conception schmittienne de la guerre (fondĂ©e sur l’idĂ©e de frontalitĂ©, d’ennemis) est inadaptĂ©e Ă  l’Afrique, au moins Ă  deux titres : – il s’agit de guerres sans batailles, ou presque : les groupes armĂ©s fuient dĂšs que les armĂ©es occidentales arrivent, comme le montre par exemple la prise des villes du nord du Mali sans combats, ou presque ; – la distinction amis/ennemis y est brouillĂ©e. Ainsi, le prĂ©sident tchadien Idriss DĂ©by, selon le professeur Bertrand Badie, « soutenait des djihadistes opposants du prĂ©sident soudanais El-BĂ©chir, puis en a combattus au Mali, pour enfin en rĂ©cupĂ©rer et les intĂ©grer dans la SĂ©lĂ©ka ». c. Entretenir des liens institutionnels avec les forces de sĂ©curitĂ© africaines Il ressort des travaux des rapporteurs que les Africains sont relativement sous-reprĂ©sentĂ©s parmi les bĂ©nĂ©ficiaires de programmes français d’accueil de « personnalitĂ©s d’avenir » : – le programme d’invitation des personnalitĂ©s d’avenir (PIPA) pilotĂ© par le Centre d’analyse, de prĂ©vision et de stratĂ©gie du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres ; – le programme d’influence « PersonnalitĂ©s d’avenir de la dĂ©fense » gĂ©rĂ© par la DĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques du ministĂšre de la DĂ©fense. Compte tenu du fait que nos capacitĂ©s d’accueil d’élĂšves africains dans nos Ă©coles de formation militaire tendent Ă  se rĂ©duire, il pourrait ĂȘtre judicieux


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d’utiliser ces outils pour continuer Ă  « investir » sur les futurs cadres dirigeants du continent africain. d. Mettre sans complexe en cohĂ©rence l’ensemble des outils de la coopĂ©ration et de l’influence CoopĂ©ration militaire, diplomatie Ă©conomie, aide au dĂ©veloppement et influence culturelle ne sont pas Ă  opposer. Ainsi que l’a fait l’amiral Marin Gillier, directeur de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense, les buts poursuivis par la France au moyen de son dispositif africain sont complĂ©mentaires : – lutter contre le terrorisme (c’est-Ă -dire Ă©viter que ne se constituent des sanctuaires terroristes) ; – lutter contre les grands trafics transfrontaliers (drogue, ĂȘtres humains, etc.) : « ce sont les intĂ©rĂȘts objectifs de la France, qui constituent autant de raisons lĂ©gitimes pour qu’elle intervienne » ; – aider ces États Ă  se structurer : c’est lĂ  la vocation universaliste de la France, dont la coopĂ©ration est une des formes actuelles ; – mais Ă©galement dĂ©fendre la place et l’influence de la France, que ce soit du point de vue Ă©conomique, culturel, linguistique, etc. : « il n’y a aucune raison de se laisser dĂ©loger par d’autres ». Les rapporteurs partagent pleinement les vues de l’amiral : il existe pour eux un continuum trĂšs clair entre toutes les formes d’influence, et il n’y a pas de raison que la France, par une pudeur que ses rivaux n’ont pas, s’interdise de les exploiter dans une optique de partenariat, c’est-Ă -dire suivant une logique « gagnant-gagnant ». L’accent mis sur la diplomatie Ă©conomique, la vigilance des ambassadeurs sur la concurrence pour les parts de marchĂ© dans des pays oĂč la France est intervenue – et a perdu des hommes – pour assurer leur stabilitĂ©, la dĂ©fense de la francophonie constitue un tout, et il faut l’assumer. Si la France ne met pas ses atouts Ă  profit, d’autres puissances la supplanteront en influence sur le continent africain.



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TRAVAUX DE LA COMMISSION La Commission procĂšde Ă  l’examen du rapport de la mission d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opĂ©rations en cours au cours de sa rĂ©union du mercredi 9 juillet 2014. Mme la prĂ©sidente Patricia Adam. Nous examinons aujourd’hui le rapport de nos collĂšgues Yves Fromion et Gwendal Rouillard en conclusion de la mission d’information sur l’évolution du dispositif militaire en Afrique et le suivi des opĂ©rations extĂ©rieures (OPEX) en cours. Leurs travaux les ont conduits dans plusieurs pays d’Afrique, et jusqu’aux Émirats arabes unis. J’ai moi-mĂȘme participĂ© Ă  l’un de vos dĂ©placements, particuliĂšrement intĂ©ressant, au mois de mars. Ce rapport est particuliĂšrement riche, non seulement parce qu’il fait la somme d’un grand nombre d’expĂ©riences, mais aussi parce qu’il intervient au moment oĂč un certain nombre de dĂ©cisions ne sont pas totalement prises. Il pourra donc ĂȘtre lu avec attention dans cette optique. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Le rapport que nous avons l’honneur de vous prĂ©senter aujourd’hui, mon cher collĂšgue Yves Fromion et moi-mĂȘme, vient conclure cinq mois de travaux que l’on peut, pour le moins, qualifier d’intenses. Nous nous sommes en effet attachĂ©s Ă  mener une Ă©tude vraiment approfondie du vaste champ d’investigation que vous nous avez confiĂ© : l’évolution de notre dispositif militaire en Afrique et le suivi des opĂ©rations extĂ©rieures en cours, Ă  savoir Serval et Sangaris. Cet exercice de contrĂŽle parlementaire mĂ©ritait d’ĂȘtre menĂ© d’autant plus sĂ©rieusement que nous n’arrivions pas, si je puis le dire ainsi, en « inspecteurs des travaux finis ». Et ce, d’une part, concernant les OPEX, parce que Serval et Sangaris ne sont pas terminĂ©es : dans un cas comme dans l’autre, les conditions d’un retrait sont loin d’ĂȘtre rĂ©unies Ă  ce jour, et nous y reviendrons. Et d’autre part, concernant la grande manƓuvre de restructuration de nos prĂ©positionnements en Afrique, parce qu’elle est encore en cours : c’est donc en quelque sorte du contrĂŽle parlementaire « en temps rĂ©el » que nous avons effectuĂ©. Et Ă  cet Ă©gard, nous avons, je crois, certains messages Ă  faire passer : il s’agit notamment de tirer la sonnette d’alarme concernant la dĂ©flation prĂ©vue Ă  Djibouti, et lĂ  encore, nous y reviendrons. Sans prĂ©tendre Ă©puiser un sujet aussi complexe que l’Afrique, nous nous sommes quand mĂȘme attachĂ©s Ă  faire tout ce qui Ă©tait en notre mesure pour en « faire le tour ». Nous avons bien sĂ»r entendu, en audition, tous les responsables français concernĂ©s, militaires ou diplomates. Nous avons aussi cherchĂ© Ă  croiser les regards, en entendant d’anciens responsables – parfois plus libres dans leurs propos – ainsi que des sociologues, des chercheurs spĂ©cialisĂ©s dans l’analyse des confits ou de l’Afrique. Bref, des discussions « tous azimuts ».


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M. Yves Fromion, rapporteur. Nous sommes aussi allĂ©s sur le terrain, dans dix pays d’Afrique oĂč notre empreinte militaire est significative : le Niger, le Burkina Faso, la CĂŽte d’Ivoire, le Mali, le SĂ©nĂ©gal, le Gabon, la RĂ©publique centrafricaine, le Tchad, les Émirats arabes unis, oĂč notre base s’inscrit dans la cinĂ©matique gĂ©nĂ©rale de l’Afrique dans la bascule gĂ©nĂ©rale des moyens et fonctionne en quelque sorte « en vases communicants » avec notre derniĂšre destination d’étude : Djibouti. Et quand je dis : sur le terrain, c’est que nous ne sommes pas restĂ©s barricadĂ©s dans des hĂŽtels, des ambassades et des palais prĂ©sidentiels ; nous sommes allĂ©s au plus prĂšs de nos militaires, partager leurs rations, partager leur hĂ©bergement, voir les sites d’entraĂźnement ou d’opĂ©rations. En Centrafrique comme au Mali, au Tchad comme au Gabon, nous avons tenu Ă  sortir des capitales quelles qu’aient Ă©tĂ© les rĂ©ticences, pour aller dans le Nord du Mali et dans l’Est de la RCA, sur les centres d’aguerrissement Ă  la forĂȘt Ă©quatoriale ou sur les zones d’opĂ©rations tripartites dans les dĂ©serts du Nord du Tchad. Il n’a pas toujours Ă©tĂ© facile d’obtenir que les rapporteurs puissent aller le plus possible au contact de nos militaires, sur le terrain. Il y avait parfois de bonnes raisons : par exemple, la situation du Nord du Mali ne nous a pas permis de nous rendre Ă  Tessalit ; dans d’autres cas, il a fallu ĂȘtre plus insistants. À chacun de nos dĂ©placements, nous n’avons pas fait seulement la « tournĂ©e des popotes » : nous nous sommes attachĂ©s Ă  comprendre les enjeux stratĂ©giques dans lesquels entre la France quand elle s’implante ou s’engage militairement, en parlant directement aux plus hautes autoritĂ©s civiles et militaires des nations hĂŽtes. Nous nous sommes aussi intĂ©ressĂ©s Ă  deux autres aspects de la prĂ©sence française au sens large. D’une part, les retombĂ©es Ă©conomiques de notre engagement militaire. N’ayons aucune pudeur Ă  le dire : quand des Français ont versĂ© leur sang pour prĂ©server un pays de la guerre civile voire du djihadisme international, il y a quelque chose de troublant Ă  voir qu’in fine, on « travaille pour le Roi de Prusse »  Et d’autre part, notre rayonnement global, c’est-Ă -dire l’ensemble des moyens d’influence par lesquels on peut faire en sorte qu’aujourd’hui encore et demain peut-ĂȘtre, la voix de la France, en Afrique, continue Ă  porter un peu plus haut que celle d’autres puissances qui lorgnent sur les richesses et les intĂ©rĂȘts stratĂ©giques de ce continent. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Nous ne reprendrons pas ici tout ce qui est dans les 280 pages de notre rapport, et que vous pourrez lire trĂšs en dĂ©tail dans les jours Ă  venir. Nous nous concentrerons sur quelques points saillants. D’abord, le suivi de l’opĂ©ration Serval, au Mali. Nous ne reviendrons pas sur l’indĂ©niable succĂšs de la premiĂšre phase de l’opĂ©ration, la libĂ©ration du Nord, qui a fait l’objet d’un excellent rapport de nos collĂšgues Philippe Nauche et Christophe Guilloteau. La situation, aujourd’hui, est loin d’ĂȘtre stabilisĂ©e, et la « dĂ©convenue » – pour ne pas dire autre chose – des forces maliennes lors de l’aventureuse expĂ©dition qu’elles ont menĂ©e dans le Nord au mois de mai dernier, en dĂ©pit de toutes les mises en garde, suffit Ă  le prouver. Notre force est engagĂ©e sur la voie d’un dĂ©sengagement partiel, que les Ă©vĂ©nements de mai nous ont forcĂ© Ă 


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suspendre. Ce qu’il reste de la force Serval a pour mandat, conformĂ©ment aux rĂ©solutions de l’ONU, de se concentrer sur le haut du spectre des opĂ©rations, c’estĂ -dire des opĂ©rations « coup de poing » contre les groupes armĂ©s rebelles, terroristes et djihadistes, dont notre rapport prĂ©sente la « cosmogonie » ĂŽ combien complexe. La force s’est, pour ce faire, recentrĂ©e sur Gao : cette base que nous avons visitĂ©e se consolide, elle est situĂ©e Ă  la porte du Nord, mais il faut souligner que son fonctionnement repose sur ce qu’il n’est pas exagĂ©rĂ© d’appeler un « exploit logistique de tous les jours ». Les Ă©longations, le climat, les faibles ressources locales et les menaces sur nos convois usent nos matĂ©riels
 ainsi que nos femmes et nos hommes ! Il faut saluer l’endurance de nos soldats, qu’ils soient combattants ou logisticiens – nous avons en effet passĂ© beaucoup de temps avec ces derniers, dont le rĂŽle n’est pas toujours mis en lumiĂšre Ă  sa juste valeur. Nous avons encore 1 800 hommes au Mali ; quel est le scĂ©nario de sortie de crise ? Il est objectivement compliquĂ©, pour deux raisons principales. La premiĂšre, c’est que le « passage de relais » Ă  d’autres forces paraĂźt, pour le moins, compliquĂ©. Les forces armĂ©es maliennes ? Leur reconstruction prendra du temps, surtout aprĂšs leur dĂ©faite de mai dernier. La MINUSMA ? Nous avons pu observer sur le terrain les lenteurs et les lourdeurs de sa mise en place. Et de toute façon, une opĂ©ration de maintien de la paix n’est ni conçue ni armĂ©e pour mener des actions d’antiterrorisme. La deuxiĂšme raison, c’est que le dialogue intermalien, c’est-Ă -dire le processus de rĂ©conciliation entre Maliens, piĂ©tine. « À quelque chose malheur est bon » : avec la dĂ©faite des forces armĂ©es maliennes en mai, le Gouvernement malien n’a plus vraiment l’option de la force dans son jeu. Mais le risque n’est pas nul que certains prĂ©fĂšrent jouer le pourrissement, ou que comme trop souvent dans l’histoire du Mali, on se contente d’un arrangement politique si j’ose dire : « mal ficelĂ© », qui dĂ©bouche sur une paix fragile. M. Yves Fromion, rapporteur. ConformĂ©ment Ă  notre mission de suivi des OPEX, nous avons aussi portĂ© un regard attentif sur la RCA. Les deux OPEX sont trĂšs diffĂ©rentes : au Mali, nous Ă©tions dans une logique de ligne de front, soutenant un État (prĂ©sent au moins au Sud) contre un envahisseur. En RCA, l’ennemi est dans les deux camps : anti-balakas et exSĂ©lĂ©ka rivalisent de violence dans leurs exactions, de mĂ©fiance vis-Ă -vis de la force française et, il faut le dire, de confusion des genres entre lutte politique et banditisme avĂ©rĂ©. L’intervention française a portĂ© des coups sĂ©rieux aux exSĂ©lĂ©ka, mais ils restent forts dans leurs fiefs du Nord et de l’Est – notamment dans la « rĂ©gion des trois frontiĂšres » entre le Tchad, le Soudan et la RCA –, et si le mouvement se fragmente, la ligne radicale semble prendre le dessus. Quant aux anti-balakas, Ă  dĂ©faut de vĂ©ritable structure Ă©tatique, ce sont eux qui tiennent une large partie du pays, avec nombre de complicitĂ©s dans ce qui est censĂ© ĂȘtre la force publique et l’administration de l’État, et non sans ĂȘtre pour certains noyautĂ©s, voire instrumentalisĂ©s, par les partisans du prĂ©sident dĂ©chu François BozizĂ©. Dans


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les deux cas, la combativitĂ© et la rĂ©silience de l’ennemi ont Ă©tĂ© manifestement sous-estimĂ©es. Sur le terrain, la force Sangaris a fait au mieux avec ce qu’elle avait : 2 000 hommes et peu d’appuis. L’armĂ©e centrafricaine n’est plus qu’une virtualitĂ©, et ni la police ni la gendarmerie nationales n’ont la moindre consistance en dehors de la capitale. Il n’y a plus d’État hors de Bangui. Quant Ă  l’Europe, on touche le fond : la mission EUFOR-RCA n’a pas suscitĂ© l’enthousiasme de grand monde. Pour preuve : il a fallu six tours de gĂ©nĂ©ration de force pour constituer Ă  peu prĂšs une mission de 800 personnels, et encore, la moitiĂ© d’entre eux sont fournis soit par la France, soit par des États qui ne sont pas membres de l’UE
 VoilĂ  ce qu’il reste de la virtualitĂ© europĂ©enne. Reste la MISCA, qui sera bientĂŽt intĂ©grĂ©e Ă  la MINUSCA. Mais lĂ  encore, quels que soient le dĂ©vouement de ces soldats et l’implication politique de l’Union africaine, il faut ĂȘtre lucide : la MISCA est ce qu’elle est. Ses forces manquent cruellement de moyens de commandement et de projection. Le rĂŽle ambigu du Tchad n’a rien facilitĂ©. Et les circuits financiers entre l’Union europĂ©enne – qui n’est pas un modĂšle de souplesse – et l’Union africaine - qui, inversement, n’est pas un modĂšle de rigueur - font que la MISCA n’est pas payĂ©e, et que tous les approvisionnements sont trĂšs compliquĂ©s. On mise donc beaucoup sur le dĂ©ploiement, le 15 septembre, de la MINUSCA, qui aura Ă©galement une composante civile chargĂ©e d’appuyer la RCA dans la reconstruction d’un État viable. LĂ  encore, comme au Mali, le scĂ©nario de sortie d’OPEX est moins que clair. Depuis notre dĂ©placement en RCA, la situation est toujours aussi tendue : autour de Bambari, oĂč nous sommes allĂ©s, on assiste Ă  des affrontements extrĂȘmement violents. Or notre dispositif militaire y est extrĂȘme tendu, pour ne pas dire distendu. Ainsi, par exemple, nous n’avons Ă  Bria, le principal centre de production diamantifĂšre, que l’équivalent d’une section, alors qu’avec la saison des pluies, la mobilitĂ© des forces est considĂ©rablement rĂ©duite, ce qui place nos soldats dans des situations trĂšs inconfortables. Il faut saluer leur dĂ©vouement. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. D’ailleurs, l’expĂ©rience de nos OPEX en Afrique montre que l’on peut y ĂȘtre pour longtemps : Épervier, au Tchad, dure depuis 1986 et Licorne, en CĂŽte d’Ivoire, depuis 2002
 Rien d’étonnant Ă  cela : pour rĂ©soudre une crise africaine -comme une crise en gĂ©nĂ©ral, d’ailleurs - il ne suffit pas d’intervenir ponctuellement. Encore faut-il le faire assez tĂŽt pour que la situation ne soit pas devenue inextricable, et encore faut-il en assurer le « service aprĂšs-vente », c’est-Ă -dire passer de l’intervention Ă  l’action de stabilisation – c’est lĂ  tout l’enjeu pour le Mali, et c’est lĂ  ce que l’on n’a pas fait assez tĂŽt en Libye – puis passer de la stabilisation Ă  la normalisation, ce qui prend de nombreuses annĂ©es, comme le montre le cas de la CĂŽte d’Ivoire. Un mot sur la Libye, sans intention polĂ©mique : beaucoup de nos interlocuteurs nous ont interpellĂ©s pour regretter que ce travail de stabilisation, puis de normalisation, n’ait pas Ă©tĂ© accompli. M. Yves Fromion, rapporteur. Il convient nĂ©anmoins de souligner que l’intervention en Libye n’était pas une intervention française, mais internationale,


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et que le choix avait Ă©tĂ© fait, de façon dĂ©libĂ©rĂ©e, de ne pas « mettre les bottes sur le terrain » : on pensait alors, ce qui s’est avĂ©rĂ© ĂȘtre une Ă©norme erreur, que les rĂ©volutionnaires sauraient prendre et exercer le pouvoir. Il faut en outre mentionner ici l’action de l’Union europĂ©enne. D’une part, elle a du mal Ă  intervenir dans les crises : au Mali, il a fallu que la France mette tout son poids dans la balance pour obtenir un engagement de nos partenaires, et encore nombre d’entre eux se sont-ils fait attendre, et se font-ils pour certains toujours attendre
 Mais en Centrafrique, il n’est pas exagĂ©rĂ© de dire que l’on peut passer de la dĂ©ception Ă  la dĂ©solation : pour une opĂ©ration tout Ă  fait Ă  la portĂ©e des EuropĂ©ens, personne ou presque ne rĂ©pond Ă  l’appel. Mais ce n’est pas tout : mĂȘme en matiĂšre de coopĂ©ration, c’est-Ă -dire d’« approche globale », comme dit souvent Lady Ashton, l’Europe paraĂźt bien souvent trop lourde, trop bureaucratique, trop Ă©loignĂ©e des rĂ©alitĂ©s du terrain africain. Elle multiplie les initiatives et dĂ©pense assez largement, surtout en zone anglophone d’ailleurs, sans toujours contrĂŽler suffisamment le dĂ©roulement de ses programmes. Nous n’entrerons pas ici dans le dĂ©tail des « histoires de chasse » que l’on peut collecter sur le terrain Ă  propos des fonds europĂ©ens : elles seraient plaisantes si ce n’était pas Ă  la France qu’il revenait in fine de s’engager militairement, quand il le faut, pour protĂ©ger les populations ainsi que nos intĂ©rĂȘts collectifs. Car, que l’on ne se leurre pas : qu’il s’agisse de trafics de drogue, de migrations clandestines, de trafics d’armes ou de sanctuaires djihadistes, ce qui menace la France menace l’Europe entiĂšre. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Cela nous conduit au second volet de notre mission : l’évolution de notre dispositif militaire en Afrique. Cela appelle avant tout une mise en garde : on lira, ici ou lĂ , que la France a tant d’hommes en Afrique, tant d’hommes dans la bande sahĂ©lo-saharienne, etc. ; il faut savoir prĂ©cisĂ©ment ce que l’on compte. Aujourd’hui, nous avons des effectifs prĂ©positionnĂ©s Ă  titre permanent, sous un statut ou sous un autre : 350 hommes Ă  Dakar, notre point d’entrĂ©e historique en Afrique, 900 hommes Ă  Libreville, 1 900 Ă  Djibouti, 950 au Tchad et 450 en CĂŽte d’Ivoire. On peut ajouter Ă  cela les 745 hommes que nous avons Ă  Abou-Dhabi, les 1 900 hommes que nous avons Ă  Mayotte et Ă  La RĂ©union, ainsi que les 320, en moyenne, qui arment la mission Corymbe dans le Golfe de GuinĂ©e, oĂč la France assure une permanence Ă  la mer. Cela fait, en Afrique et autour de l’Afrique, 7 500 hommes environ. Mais prenons quelques prĂ©cautions avant d’additionner les 1 800 hommes de Serval et les 2 000 de Sangaris : ces opĂ©rations sont appelĂ©es Ă  rester ponctuelles, du moins dans leur forme actuelle. En effet, la stabilisation de la bande sahĂ©lo-saharienne n’étant manifestement pas pour demain, il est prĂ©vu de « rĂ©gionaliser » le dispositif militaire français dans cette zone. Cela revient en rĂ©alitĂ© Ă  centraliser au Tchad le commandement des forces dĂ©ployĂ©es Ă  Gao, Niamey, N’Djamena et leurs bases « satellites » de Tessalit, AbĂ©chĂ© et Faya-Largeau – oĂč nous nous sommes rendus


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–, et contenir l’effectif de ce dispositif Ă  3 000 hommes. La dĂ©tĂ©rioration de la situation au Mali a conduit Ă  diffĂ©rer la manƓuvre. Dans le fond, cette « rĂ©gionalisation » est cohĂ©rente avec le caractĂšre transfrontalier de la menace : celle-ci circule du Mali au Tchad, en passant par le Niger et en s’appuyant sur des sanctuaires en Libye. M. Yves Fromion, rapporteur. Tout Ă  fait. Le second volet de la rĂ©organisation de nos forces concerne les forces prĂ©positionnĂ©es, c’est-Ă -dire stationnĂ©es Ă  titre permanent. Suivant les orientations du Livre blanc et de la LPM, le Gouvernement est en train de procĂ©der Ă  une vaste manƓuvre de rĂ©organisation de ce dispositif. Ne nous racontons pas d’histoire : l’objectif principal de cette manƓuvre, c’est de faire des Ă©conomies, en rĂ©duisant le nombre de personnels dĂ©ployĂ©s. L’idĂ©e est de la ramener de 3 800 Ă  3 300 pour les seules forces de prĂ©sence – Dakar, Libreville, Djibouti, Abou-Dhabi. Par ailleurs, la situation politique de la CĂŽte d’Ivoire nous ouvre une opportunitĂ© qu’il faut savoir saisir pour y pĂ©renniser notre implantation et profiter des grandes potentialitĂ©s d’Abidjan. Compte tenu de ces contraintes, le problĂšme est alors de trouver le dispositif le plus cohĂ©rent. Celui qui est envisagĂ©, et pas encore dĂ©finitivement arbitrĂ©, l’est Ă  une grande exception prĂšs : Djibouti. Quelle est l’idĂ©e ? Il faut, pour la comprendre, bien saisir le fait que notre dispositif en Afrique est organisĂ© autour de deux missions : les opĂ©rations et la coopĂ©ration. Pour les opĂ©rations, nous disposons de deux rĂ©servoirs de forces, appelĂ©s « bases opĂ©rationnelles avancĂ©es » : l’un Ă  l’est, c’est Djibouti. L’autre Ă  l’ouest, c’est aujourd’hui Libreville. Pour la coopĂ©ration, la prĂ©cĂ©dente pĂ©riode de programmation avait crĂ©Ă© un nouveau type de prĂ©positionnement, plus lĂ©ger que la base opĂ©rationnelle avancĂ©e : le « pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration ». C’est la nouvelle vocation de Dakar, depuis 2010, et l’opĂ©ration Serval a montrĂ© que cette formule permettait de dĂ©velopper nos liens de coopĂ©ration, qui sont dĂ©sormais la principale source de notre lĂ©gitimitĂ© en Afrique – on n’en est plus Ă  l’armĂ©e d’Afrique ! – sans perte de rĂ©activitĂ© pour l’opĂ©rationnel. C’est bien l’état-major de Dakar qui a armĂ© en urgence l’opĂ©ration Serval. L’idĂ©e qui sous-tend la manƓuvre actuelle consiste ainsi Ă  transfĂ©rer de Libreville Ă  Abidjan notre base opĂ©rationnelle avancĂ©e ouest-africaine, pour profiter des potentialitĂ©s bien supĂ©rieures qu’offre cette derniĂšre. On laisserait Ă  Libreville un pĂŽle opĂ©rationnel de coopĂ©ration, construit sur le mĂȘme mode que celui de Dakar. C’est une sorte de « rĂ©volution culturelle » pour une base française aussi bien intĂ©grĂ©e dans le tissu local. Libreville passerait ainsi de 900 hommes Ă  350, tandis qu’on crĂ©erait ex nihilo une base permanente Ă  Abidjan, armĂ©e par 950 personnels. Cette perspective n’est pas accueillie avec le sourire par nos partenaires gabonais, mais notre Gouvernement leur a fourni des explications.


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Le problĂšme est Ă  l’est : c’est Djibouti. On a l’impression que Djibouti est la « variable d’ajustement » de ce dispositif : pour tenir dans « l’enveloppe » des 3 300 hommes, on propose de supprimer 1 000 postes Ă  Djibouti, qui n’en aurait plus que 950. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Que l’on nous comprenne bien : il ne s’agit pas de refuser, par un rĂ©flexe dĂ©fensif, tout changement pour ce qui concerne une de nos bases traditionnelles. Mais il s’agit simplement d’une Ă©quation insoluble : faire la mĂȘme chose avec deux fois moins d’hommes. Car le problĂšme, Ă  Djibouti, c’est que contrairement Ă  Libreville, on rĂ©duit drastiquement les effectifs sans toucher au contrat opĂ©rationnel, ou du moins aux missions. M. Yves Fromion, rapporteur. Et pour cause : ces missions, nous venons de les ratifier. Elles dĂ©coulent en effet de notre traitĂ© de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense, dont l’encre est Ă  peine sĂšche. Djibouti est le dernier État africain avec lequel nous ayons encore une clause d’assistance : en termes clairs, nous assurons une large partie de la dĂ©fense de Djibouti, en contrepartie des avantages que nous procure notre installation sur place. Et ce serait se bercer d’illusion que de penser que tout peut se faire depuis Abou-Dhabi ou par l’A400M : Abou-Dhabi est Ă  prĂšs de trois heures de vol pour un chasseur, et nous n’avons pas plĂ©thore de ravitailleurs en vol. Quant Ă  l’A400M, la LPM est ainsi faite que nous n’aurons une flotte suffisante qu’en 2025
 M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Il faut ajouter que l’on a trĂšs clairement intĂ©rĂȘt Ă  tenir Djibouti : c’est un point stratĂ©gique de premier ordre et il suffit pour s’en convaincre de voir que les AmĂ©ricains y renforcent leur base – nous l’avons vue –, que les Chinois nĂ©gocient l’implantation d’une base et que les Russes cherchent Ă©galement Ă  le faire. Par ailleurs, les Italiens et les Japonais sont eux aussi prĂ©sents : la position de Djibouti suscite toutes les convoitises. En outre, l’attentat du 24 mai dernier a bien montrĂ© que Djibouti et sa rĂ©gion – avec des voisins comme la Somalie ou l’Éthiopie – sont menacĂ©s, et avec eux tous nos intĂ©rĂȘts dans ce couloir stratĂ©gique. C’est pourquoi il nous paraĂźt plus raisonnable, au moins dans un premier temps, de procĂ©der autrement, et nous avons pu constater que le chef d’état-major des armĂ©es partage nos vues sur ce point. PlutĂŽt que de partir du principe du « non-remplacement d’un militaire sur deux » Ă  Djibouti, il s’agirait de s’appuyer sur une analyse pertinente des besoins et des ressources nĂ©cessaires. C’est ce qu’a fait l’état-major des Forces françaises stationnĂ©es Ă  Djibouti, qui montre qu’il faut un minimum de 1 300 hommes pour rester crĂ©dible dans ce contexte gĂ©ostratĂ©gique. Ils sont aujourd’hui 1 950 : le gain d’effectifs serait dĂ©jĂ  substantiel. Et 350 hommes, c’est 1 % des dĂ©flations prĂ©vues d’ici 2019 ; autant dire qu’on est lĂ  « dans l’épaisseur du trait ».


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Il convient d’ailleurs d’attirer l’attention sur l’actualitĂ© de ces derniers jours et de ces derniĂšres heures dans la rĂ©gion. Elle est marquĂ©e par de violents affrontements entre des Ă©lĂ©ments d’Al-QaĂŻda dans la PĂ©ninsule arabique (AQPA) et les forces saoudiennes, ainsi que par de nouveaux actes terroristes commis par les Chebabs au Kenya. Il faut bien prendre conscience de la gravitĂ© de la situation sĂ©curitaire dans cette zone, et ne pas baisser la garde. La France a besoin de Djibouti, autant que Djibouti a besoin de la France. M. Yves Fromion, rapporteur. Si l’effectif de nos forces Ă  Djibouti devait ĂȘtre ramenĂ© Ă  950 hommes, il faudrait alors faire des choix irrĂ©versibles. Ces forces comprennent aujourd’hui, principalement, le 5e rĂ©giment interarmes d’outre-mer (RIAOM) et un dĂ©tachement aĂ©rien armĂ© de chasseurs Mirage. Or, Ă  la diffĂ©rence du Rafale, le Mirage n’est pas polyvalent : aussi faut-il deux types de Mirage pour assurer les deux missions de ce dĂ©tachement que sont la dĂ©fense aĂ©rienne et l’appui au sol. Ainsi, sauf Ă  sacrifier la composante terrestre du dispositif, le plafond de 950 hommes impose de renoncer Ă  la capacitĂ© d’appui au sol pour la composante aĂ©rienne, car le maintien d’une capacitĂ© de dĂ©fense aĂ©rienne dĂ©coule du traitĂ© prĂ©citĂ©. Cela reviendrait Ă  dĂ©sarmer le dispositif français Ă  Djibouti et Ă  placer nos forces devant un dilemme intenable. Nous avons tous deux saisi de cette question le ministre de la DĂ©fense, ainsi que le chef d’étatmajor des armĂ©es. Il en ressort qu’une autre solution pourrait ĂȘtre trouvĂ©e. Nous militons donc pour le maintien d’une force de 1 300 hommes Ă  Djibouti, ce point stratĂ©gique vers lequel se ruent d’autres puissances. À titre personnel, j’aimerais conclure en Ă©voquant trois points. D’abord, je crois que ce qui se passe en Afrique est le rĂ©vĂ©lateur de la situation de nos forces armĂ©es en gĂ©nĂ©ral. C’est particuliĂšrement frappant du point de vue des matĂ©riels et des Ă©quipements. La situation est extrĂȘmement difficile. Depuis longtemps, les moyens ne suffisent mĂȘme plus Ă  maintenir le matĂ©riel Ă  niveau : il est, pour une partie, en phase de dĂ©litement. Ce phĂ©nomĂšne n’est pas trĂšs visible lorsque l’on se dĂ©place auprĂšs de nos forces en mĂ©tropole, mais en Afrique, on est plongĂ© dans la rĂ©alitĂ© de la vie militaire. On ne pourra pas laisser trĂšs longtemps nos matĂ©riels et nos Ă©quipements se dĂ©liter ainsi. Ensuite, s’agissant des effectifs de nos forces, il faut souligner qu’ils sont dĂ©jĂ  soumis Ă  des tensions considĂ©rables. À l’évidence, la nouvelle rĂ©duction des effectifs, dans les conditions oĂč elle est prĂ©vue, est fort peu opportune. Il faut se poser franchement la question de savoir ce que l’on veut pour nos forces armĂ©es, telles que l’on les voit en Afrique. Jusqu’à prĂ©sent, on a jouĂ© sur les rotations des personnels, en privilĂ©giant les personnels « tournants » plutĂŽt que les personnels « permanents » Ă  des fins d’économies. Mais ce systĂšme, poussĂ© trĂšs loin, s’avĂšre difficile Ă  gĂ©rer, tant pour les commandants d’unitĂ©s en Afrique que pour les commandants de leurs unitĂ©s de rattachement en France. Enfin, je tire de nos travaux le sentiment que le prĂ©positionnement de nos forces a des avantages, mais aussi des inconvĂ©nients. Incontestablement, il


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constitue Ă  certains Ă©gards un atout : en palliant en partie la faiblesse de nos moyens de projection stratĂ©gique, il donne de la rĂ©activitĂ© Ă  notre dispositif, et par l’existence d’installations d’entraĂźnement variĂ©es ainsi que d’un systĂšme de relĂšves rĂ©guliĂšres, il contribue Ă  l’aguerrissement de nos troupes. Il permet ainsi de mettre nos soldats en situation de combat, et ceux-ci suscitent l’admiration de nos grands alliĂ©s, Ă  commencer par les AmĂ©ricains et les Britanniques. Mais ce systĂšme a Ă©galement un inconvĂ©nient : il risque de nous entraĂźner dans des situations difficiles. En effet, personne ne pourrait comprendre que des soldats français restent barricadĂ©s dans leurs casernements quand un drame humanitaire se produit autour d’eux. Avec les prĂ©positionnements, on perd une certaine capacitĂ© de recul, ce qui complique la gestion diplomatique des crises. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Je conclurai moi aussi par trois points. Avant tout, je crois que la France fait les bons choix en ce qui concerne les structures et les organisations. En tĂ©moignent, par exemple, les complĂ©mentaritĂ©s qui se dĂ©veloppent entre la France et les pays africains en matiĂšre d’action de l’État en mer. Nos militaires le confirment : les progrĂšs faits par les Africains en la matiĂšre sont notables, et la France a jouĂ© un rĂŽle de premier plan dans cette Ă©volution. DeuxiĂšme point : nous avons observĂ©, au grĂ© de nos Ă©changes avec les plus hautes autoritĂ©s civiles et militaires africaines, une vĂ©ritable prise de conscience du fait que la clĂ© du dĂ©veloppement, c’est en partie la dĂ©fense et la sĂ©curitĂ©, et qu’il faut dĂ©sormais passer du discours aux actes. Les efforts consentis en ce sens par les États africains sont rĂ©els, que ce soit en matiĂšre de formation ou de dĂ©veloppement capacitaire, et que ce soit au niveau national ou Ă  l’échelle de l’Union africaine et de ses sous-rĂ©gions. Bien entendu, ces efforts se heurtent Ă  diverses limites, mais il appartient Ă  la France de les soutenir. C’est dans cette optique nous nous avons consacrĂ© une large part de nos travaux Ă  l’étude des dispositifs de coopĂ©ration, parmi lesquels il faut citer le formidable outil que sont les Ă©coles nationales Ă  vocation rĂ©gionale, qui forment chaque annĂ©e des centaines d’officiers et de sous-officiers africains, avec l’appui de la France. C’est en soutenant de tels outils que notre dispositif militaire parvient Ă  articuler de mieux en mieux ses deux missions principales : opĂ©rations et coopĂ©rations. Enfin, il n’est pas de terme plus concret, plus vrai, pour vous dire le sentiment que m’inspirent nos militaires sur place que celui de fiertĂ©. Les femmes et les hommes de nos forces sont particuliĂšrement impliquĂ©s, et il faut le saluer. Et Ă  ceux qui me diraient qu’aprĂšs tout, c’est lĂ  leur mĂ©tier, je rĂ©pondrais qu’ils l’exercent dans des conditions particuliĂšrement difficiles. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler, par exemple, que lorsque nous sommes allĂ©s voir les lĂ©gionnaires s’entraĂźner dans le dĂ©sert Ă©mirien, il faisait prĂšs de 55 degrĂ©s Ă  l’ombre.


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Mme la prĂ©sidente Patricia Adam. Je vous remercie pour la qualitĂ© de votre travail. Notre commission continuera Ă  veiller de prĂšs sur l’évolution de notre dispositif en Afrique. Je tiens Ă  vous remercier Ă©galement d’avoir soulignĂ© la qualitĂ© des militaires français, qui est reconnue de tous. J’ai d’ailleurs pu constater, lorsque j’ai effectuĂ© un dĂ©placement avec vous, qu’ils jouent un rĂŽle de plus en plus important dans la formation des diffĂ©rents Ă©tats-majors africains, au titre de leur mission de coopĂ©ration. Et je crois que c’est une bonne chose qu’il y ait eu une prise de conscience de ce besoin de coopĂ©ration en matiĂšre de formation. M. Marc Laffineur. Je partage avec vous la fiertĂ© du travail de nos soldats sur place. Votre rapport est trĂšs sĂ©vĂšre pour les dĂ©cisions politiques prises par notre pays rĂ©cemment. En Libye, nous sommes intervenus, avec nos alliĂ©s, au sein d’une coalition internationale, sans que nos soldats ne posent un pied sur le sol. En Afrique, je ne peux que regretter notre isolement. Nos soldats accomplissent certes un travail fantastique mais, au Mali, oĂč nous nous Ă©tions rendus l’annĂ©e derniĂšre, nous avions pu constater par nous-mĂȘmes, en visitant la structure europĂ©enne d’entraĂźnement des forces armĂ©es maliennes, que l’armĂ©e malienne n’est pas prĂȘte Ă  prendre le relais des Français. En Centrafrique, on constate qu’il est difficile de pacifier un pays sans se donner les moyens humains suffisants. Aujourd’hui notre action est donc celle d’un pays isolĂ©, sans force politique. Ma question porte sur nos forces Ă  Djibouti : est-ce que les effectifs vont continuer de baisser ? Mme la prĂ©sidente Patricia Adam. Je vous rappelle que nous avons commencĂ© Ă  diminuer les effectifs Ă  Djibouti lorsque le Gouvernement prĂ©cĂ©dent a dĂ©cidĂ© d’ouvrir une base Ă  Abou-Dhabi. M. Philippe Folliot. Nous avions 30 000 hommes en Afrique dans les annĂ©es 1960, nous avons 5 000 aujourd’hui. Ces chiffres rĂ©sument bien l’évolution de notre dispositif. Dans votre intervention, vous avez additionnĂ© nos forces de souverainetĂ©, Ă  Mayotte et Ă  la RĂ©union, par exemple, et nos forces de prĂ©sence : il ne s’agit pas de la mĂȘme chose ! Nous avons signĂ© plusieurs accords de dĂ©fense avec des pays africains rĂ©cemment : avez-vous pu les consulter, notamment les Ă©ventuelles clauses secrĂštes ? Sur les aspects budgĂ©taires, nous sommes engagĂ©s dans des OPEX de longue durĂ©e, comme Épervier au Tchad ou Licorne en CĂŽte d’Ivoire, or il est envisagĂ© de transformer certaines de ces OPEX en prĂ©positionnements. Cela n’est pas neutre pour le budget de la DĂ©fense, car Ă  la diffĂ©rence du financement des prĂ©positionnements, qui relĂšve du seul budget de la DĂ©fense, celui des OPEX est assurĂ©, en partie, par un mĂ©canisme d’abondement interministĂ©riel. Le ministĂšre


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devra donc, Ă  l’avenir, supporter un certain nombre de coĂ»ts supplĂ©mentaires. Avez-vous pu analyser cela ? M. Christophe Guilloteau. Je souhaiterais Ă©galement m’associer aux fĂ©licitations adressĂ©es Ă  nos deux rapporteurs. Il s’agissait d’une belle mission, qui s’inscrit dans la continuitĂ© de nos prĂ©cĂ©dents travaux et qui relĂšve parfaitement de notre rĂŽle de contrĂŽle. Les rapporteurs l’ont rappelĂ©, il est un sujet essentiel auquel nous devrons sans doute continuer Ă  rĂ©flĂ©chir : il s’agit de la posture de l’Europe. À cet Ă©gard les dĂ©clarations des rapporteurs font froid dans le dos. C’est la confirmation de ce que nous constatons depuis longtemps, notamment en Afghanistan et en Afrique. On nous parle souvent d’Europe de la dĂ©fense, mais dans les faits celle-ci ne progresse pas, ou avec difficultĂ©. Vous avez relativement peu parlĂ© des forces spĂ©ciales. IntĂ©grez-vous leurs effectifs dans le chiffre que vous avez Ă©voquĂ© de 7 500 militaires prĂ©sents en Afrique ? Avez-vous pu les rencontrer ? Nous avons parfois des difficultĂ©s Ă  rencontrer ces hommes. Nous devrions certainement analyser plus en profondeur le cas des forces spĂ©ciales, en veillant bien entendu Ă  tenir compte de leurs spĂ©cificitĂ©s. Vous avez Ă©galement fait part de vos observations quant aux consĂ©quences des opĂ©rations sur l’usure du matĂ©riel. Il faudrait que nous nous intĂ©ressions Ă  cette question car elle aura des consĂ©quences dans le futur. La posture de dĂ©fense peut se rĂ©sumer Ă  un choix politique qui entraĂźne un choix budgĂ©taire, lequel entraĂźne Ă  son tour un choix de moyens et d’effectifs, y compris en prĂ©positionnement. C’est sans doute le grand dĂ©fi du budget actuel de la DĂ©fense. Il ne s’agit pas ici de lancer d’anathĂšmes Ă  qui que ce soit. Comme son nom l’indique, la dĂ©fense nationale est l’affaire de tous, et il revient aux parlementaires de lui assurer les outils et les moyens nĂ©cessaires Ă  l’accomplissement de ses missions. En tout Ă©tat de cause je tiens encore une fois Ă  remercier nos rapporteurs pour leur important travail ! M. Yves Fromion, rapporteur. M. Laffineur, nous nous sommes attachĂ©s Ă  effectuer un travail aussi objectif que possible. Nous avons l’un comme l’autre Ă©vitĂ© de faire part d’états d’ñme particuliers. Le rapport n’est pas sĂ©vĂšre ; il est aussi objectif que possible et d’ailleurs, nous le cosignons. Nous n’avons pas cherchĂ© Ă  nous faire plaisir ou Ă  alimenter de vaines querelles. On peut effectivement penser que certains constats sont sĂ©vĂšres. Nous le sommes par exemple vis-Ă -vis de l’Union europĂ©enne, mais ce qui nous a guidĂ©s, c’est l’objectivitĂ©. Les constats sur l’usure et l’attrition du matĂ©riel sont objectifs : la situation est difficile et va mĂ©riter une attention particuliĂšre. Ce rapport ne cherche pas autre chose qu’à dresser un bilan. Certains pourront le trouver sĂ©vĂšre Ă  leurs yeux, mais telle n’était pas notre intention.


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M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Sur la Libye, nous ne cherchons pas Ă  ĂȘtre polĂ©miques mais Ă  ĂȘtre lucides. Comment la France peut-elle concilier intervention, stabilisation et normalisation pour le Mali et pour la RCA, en tirant expĂ©rience de la rĂ©alitĂ© libyenne ? Pour ĂȘtre tout Ă  fait prĂ©cis et honnĂȘte, les difficultĂ©s – c’est un euphĂ©misme – constatĂ©es au sud de la Libye ne datent pas de la fin de l’ùre Kadhafi. Notre seule rĂ©flexion est la suivante : comment permettre Ă  notre pays d’agir de maniĂšre plus efficace ? Nous avons effectivement rencontrĂ© les forces spĂ©ciales, avec un angle d’analyse particulier : comment amĂ©liorer les complĂ©mentaritĂ©s entre forces spĂ©ciales et forces conventionnelles. Vous trouverez dans le rapport des Ă©lĂ©ments de bilan, au vu de l’expĂ©rience dont nous ont fait part les gĂ©nĂ©raux de SaintQuentin, Barrera et Castres. Pour reprendre une formule utilisĂ©e par l’un d’entre eux, il s’agit de rĂ©pondre Ă  la question suivante : « comment ne pas se marcher sur les pieds ? », d’autant que les missions ne sont pas les mĂȘmes. À partir du moment oĂč les missions sont diffĂ©rentes, on peut construire des complĂ©mentaritĂ©s. Ce qui est certain c’est que l’intervention au Mali a permis aux forces spĂ©ciales comme aux forces conventionnelles de progresser certes chacune de leur cĂŽtĂ© mais, surtout, ensemble. M. Yves Fromion, rapporteur. Concernant les forces spĂ©ciales, je rappelle que nous sommes dans le « off » complet. Dans la mesure de ce qui peut ĂȘtre rendu public, le rĂ©cent rapport de nos collĂšgues sĂ©nateurs a apportĂ© quelques Ă©lĂ©ments d’analyse intĂ©ressants. Les forces spĂ©ciales ont un rĂŽle majeur Ă  jouer en RCA, au Mali ou ailleurs, et mĂ©ritent une attention particuliĂšre. Comme l’a rappelĂ© mon collĂšgue Gwendal Rouillard et comme nous l’a affirmĂ© le gĂ©nĂ©ral de Saint-Quentin, celles-ci ont rĂ©ussi Ă  trouver leur place, en complĂ©ment des forces rĂ©guliĂšres. L’une et l’autre sont liĂ©es : elles ne peuvent ni se passer de l’autre, ni s’y substituer. M. Folliot, il faut rappeler que les forces stationnĂ©es Ă  Mayotte et Ă  La RĂ©union sont intĂ©grĂ©es au dispositif stratĂ©gique de la France en Afrique. En effet, elles ont notamment la responsabilitĂ© d’assurer les missions de coopĂ©ration, par exemple en matiĂšre de formation, au bĂ©nĂ©fice des États membres de la CommunautĂ© de dĂ©veloppement d’Afrique australe – l’une des sous-rĂ©gions constituant l’Union africaine – au mĂȘme titre, par exemple, que les ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal pour les pays de la CommunautĂ© Ă©conomique du dĂ©veloppement des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il est d’ailleurs compliquĂ© de tracer une limite absolue entre forces de prĂ©sence et forces de souverainetĂ© : compte tenu de la situation des effectifs, les armĂ©es prĂ©lĂšvent les forces lĂ  oĂč elles sont, au mieux des possibilitĂ©s. Nous nous sommes effectivement interrogĂ©s sur les accords de dĂ©fense. À cet Ă©gard la direction de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense du Quai d’Orsay nous a fourni les Ă©lĂ©ments demandĂ©s, que vous retrouverez citĂ©s dans le rapport, notamment pour ce qui concerne Djibouti.


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S’agissant du budget OPEX et des personnels qui Ă©margent tantĂŽt sur cette ligne budgĂ©taire et tantĂŽt sur le budget DĂ©fense, il s’agit d’un vrai sujet que nous Ă©voquons dans le rapport, d’autant plus que cela pose un certain nombre de problĂšmes en particulier pour les personnels concernĂ©s. Notamment, selon qu’ils sont positionnĂ©s en OPEX ou placĂ©s en prĂ©positionnement classique, les rĂ©munĂ©rations ne sont pas les mĂȘmes. Cette question fait dĂ©bat au sein des armĂ©es. Toutefois je ne pense pas que l’impact global pour le budget de la DĂ©fense soit considĂ©rable. Seule l’imputation est diffĂ©rente, ce qui est certes important car comme vous le savez, lorsque le coĂ»t des OPEX excĂšde 430 millions d’euros, on bascule sur le systĂšme de financement interministĂ©riel. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Je souhaite ajouter un mot sur l’Europe en reprenant les propos de mon collĂšgue Yves Fromion. Notre rapport n’est pas sĂ©vĂšre ; il est objectif et lucide. Quand quelque chose ne fonctionne pas ou fonctionne mal, il faut le dire. Telle est la rĂ©alitĂ© en RCA, quels qu’aient Ă©tĂ© les efforts de notre Gouvernement et du ministre de la DĂ©fense, en particulier pour entraĂźner nos partenaires europĂ©ens. Inversement, quand quelque chose fonctionne, il faut le dire aussi. EUTM Mali fonctionne trĂšs bien. Je rappelle que le dispositif rassemble des militaires de 23 États membres avec une importante prĂ©sence allemande. Plusieurs bataillons de l’armĂ©e malienne ont Ă©tĂ© formĂ©s – le cinquiĂšme est en cours de formation. ParallĂšlement, on a vu rĂ©cemment un important renforcement du contingent nĂ©erlandais de la MINUSMA. Certes, plusieurs lectures sont possibles. L’épisode dramatique du mois de mai pourrait amener Ă  s’interroger sur le niveau de l’armĂ©e malienne formĂ©e par la mission europĂ©enne. Toutefois nos militaires nous assurent que le travail est fait et bien fait, que le niveau est bon et que, en tout Ă©tat de cause, on constate une vraie progression en la matiĂšre. On pourrait Ă©galement Ă©voquer l’opĂ©ration Atalante de lutte contre la piraterie dans l’ocĂ©an Indien, qui est un succĂšs europĂ©en. Quand cela fonctionne, il faut le dire, et quand cela ne fonctionne pas bien il faut interpeller, je l’espĂšre de maniĂšre constructive, les responsables politiques. Je rappelle que l’on fait rĂ©fĂ©rence Ă  l’Europe par commoditĂ©. Mais les premiers responsables des actions et inactions de l’Europe sont avant tout les États membres. M. Alain Moyne-Bressand. La situation en Afrique est trĂšs difficile et nos rapporteurs en ont dressĂ© un constat objectif. Mais le constat d’un jour est-il le constat de toujours ? Le rĂ©el problĂšme dans ces territoires est celui des djihadistes. La France a-t-elle encore les moyens d’ĂȘtre le gendarme de l’Afrique et de continuer seule Ă  les combattre ? C’est la grande inquiĂ©tude et le problĂšme majeur auxquels nous sommes confrontĂ©s. Je reviendrai sur Djibouti. Tous les grands États y sont prĂ©sents, mais pour quelles raisons ? Pourquoi ne combattent-ils pas la menace djihadiste aux cĂŽtĂ©s de la France ? Sont-ils uniquement prĂ©sents au titre de leurs intĂ©rĂȘts Ă©conomiques ? Cela peut se concevoir, mais il convient alors d’en prendre conscience, de rĂ©agir et de ne pas se laisser faire.


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Mme Émilienne Poumirol. Je souhaite Ă©galement remercier les rapporteurs pour la qualitĂ© de leur travail, qui est d’un grand intĂ©rĂȘt en termes gĂ©ostratĂ©giques et politiques et qui souligne la difficultĂ© de nos opĂ©rations en Afrique. Si on peut regretter l’absence de l’Union europĂ©enne, on ne peut pas pour autant en dĂ©duire que la France doit renoncer Ă  s’engager en Afrique. Il me semble que nous avons fait le choix stratĂ©gique, rappelĂ© par le Livre blanc sur la dĂ©fense et la sĂ©curitĂ© nationale, de continuer Ă  mener des actions sur ce continent compte tenu des menaces Ă  l’Ɠuvre dans cette zone. Je voudrais Ă©voquer une question trĂšs pratique. Avec mon collĂšgue Olivier Audibert Troin, nous avons rĂ©cemment effectuĂ© un dĂ©placement Ă  Chypre oĂč se trouve le sas de dĂ©compression qui accueille notamment nos soldats qui rentrent de RCA. Outre les difficultĂ©s dont ils ont pu nous faire part quant Ă  cette mission trĂšs difficile et trĂšs diffĂ©rente de celle menĂ©e au Mali, plusieurs ont Ă©voquĂ© les problĂšmes de logistique au quotidien empĂȘchant ou retardant l’acheminement d’équipements et de fournitures de base : vĂȘtements, produits d’hygiĂšne, etc. Lors de vos dĂ©placements sur le terrain, avez-vous pu constater ce type de difficultĂ©s, qui pĂšsent beaucoup sur le moral de nos troupes ? Je prĂ©cise que la question de l’imputation budgĂ©taire se pose Ă©galement concernant le sas de Chypre. M. Olivier Audibert Troin. Dans la continuitĂ© des propos de ma collĂšgue Émilienne Poumirol, je souhaiterais Ă©voquer la question de la logistique et des matĂ©riels eu Ă©gard aux tĂ©moignages des 140 hommes du dĂ©tachement que nous avons rencontrĂ© Ă  Paphos. Mais je tiens tout d’abord Ă  remercier nos rapporteurs. Nous saluons le travail que vous avez effectuĂ© et partageons les termes que vous avez utilisĂ©s. Vous avez Ă©voquĂ© le mot « fiertĂ© », parfois Ă©culĂ© mais qui, en l’espĂšce, est employĂ© Ă  bon escient. Je crois que ce sentiment est partagĂ© par nos militaires qui se sentent utiles et qui portent haut et loin la voix de la France. Les hommes que nous avons rencontrĂ©s au retour de quatre mois d’opĂ©rations en RCA reviennent Ă©puisĂ©s, physiquement et moralement. Ils travaillent sept jours sur sept, sans un seul aprĂšs-midi de repos. En matiĂšre d’équipement, seul un engin sur deux envoyĂ©s en RCA Ă©tait blindĂ© ce qui pose des problĂšmes majeurs aux responsables de mission compte tenu des dangers encourus. Il y a en outre peu d’avions disponibles. Autre Ă©lĂ©ment surprenant : l’appareil qui amenait les hommes de Bangui Ă  Paphos a dĂ» faire escale Ă  N’Djamena pour faire le plein de kĂ©rosĂšne. Il n’y en avait pas en quantitĂ© suffisante Ă  Bangui et l’avion a dĂ» partir avec ses rĂ©servoirs Ă  moitiĂ© vides. Encore un exemple : seulement 80 % des tentes sont Ă©quipĂ©es de la climatisation, ce qui pose de rĂ©elles difficultĂ©s du fait de la chaleur ambiante et de la fatigue accumulĂ©e. Les AmĂ©ricains ont dĂ©sertĂ© le continent africain pour se redĂ©ployer en Asie ; l’Union europĂ©enne est relativement absente. Dans ces conditions, la France risque d’ĂȘtre seule en Afrique pendant encore des annĂ©es. Je suis convaincu que l’état-major y rĂ©flĂ©chit et envisage des mesures, mais il faut se poser la question de l’adaptation de notre matĂ©riel aux conditions africaines – le sable, la chaleur –


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en tenant compte du fait que notre pays y sera probablement seul prĂ©sent pendant un certain temps. M. Yves Fromion, rapporteur. Notre rapport comprend des considĂ©rations sur les conditions de vie de nos troupes sur le terrain. À Bambari, nous avons ainsi pu constater qu’elles ne disposaient que de campements de fortune, sans mĂȘme parler d’une quelconque climatisation. Il en est largement de mĂȘme Ă  l’aĂ©roport de M’Poko, oĂč nos soldats ont amĂ©liorĂ© eux-mĂȘmes le campement, avec des moyens de fortune et des matĂ©riaux trouvĂ©s sur place. Ils font preuve d’une abnĂ©gation qui force le respect, la dĂ©brouillardise française palliant les insuffisances que l’on sait. Il est certain que nous sommes en la matiĂšre trĂšs loin des standards amĂ©ricains, mais aussi de ceux de bien des armĂ©es europĂ©ennes, comme celle de l’Allemagne. Il faut donc veiller Ă  ne pas laisser s’éterniser de telles situations, dont on peut comprendre qu’elles s’imposent parfois au dĂ©but des opĂ©rations, mais auquel il faut remĂ©dier, lorsque l’on s’installe dans la durĂ©e, par un effort sur la logistique et les conditions de vie. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. S’agissant des menaces djihadistes auxquels nos forces font face, nous avons tentĂ© de dĂ©crire la trĂšs grande diversitĂ© des rĂ©seaux terroristes et de leurs ramifications opĂ©rationnelles et financiĂšres. L’une des questions qui se pose est celle des connexions qu’ils entretiennent avec d’autres acteurs trĂšs prĂ©occupants, comme Boko Haram au NigĂ©ria ou les Shebabs somaliens. La France prend trĂšs au sĂ©rieux cette menace, en coopĂ©ration avec nos alliĂ©s amĂ©ricains, et c’est l’une des raisons de nos propos prĂ©cĂ©dents sur l’importance de Djibouti. Nous n’avons plus vocation Ă  ĂȘtre le gendarme de l’Afrique : nous sommes son alliĂ©, mais nous devons valoriser sans complexes nos atouts Ă©conomiques, tout en assumant les responsabilitĂ©s particuliĂšres liĂ©es au statut de membre permanent du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies. S’agissant des conditions de vie de nos militaires en opĂ©ration, nous avons pu les constater sur place, mais nous avons aussi notĂ© la mise en place d’un suivi psychologique individualisĂ©, particuliĂšrement en RCA, et les entretiens avec les gĂ©nĂ©raux Francisco Soriano et Marc Foucault, commandant respectivement les opĂ©rations Sangaris et Serval, ont montrĂ© combien Ă©tait sĂ©rieuse la prise de conscience en la matiĂšre, s’appuyant d’ailleurs utilement sur le retour d’expĂ©rience de l’Afghanistan. Je crois qu’il existe des marges de progression en s’inspirant mutuellement des bonnes pratiques au sein de chaque armĂ©e. M. Yves Fromion, rapporteur. Le Parlement a fait preuve d’un trĂšs large consensus lors de l’engagement de nos forces dans les rĂ©centes opĂ©rations, certes avec des visions et des approches qui peuvent ĂȘtre diffĂ©rentes, mais sans que cela fasse vraiment dĂ©bat. En revanche, il est loisible de s’interroger sur la rĂ©alitĂ© de la notion de partenariat lorsque le dĂ©sĂ©quilibre entre les acteurs est aussi patent. Il reste Ă  l’évidence un immense chemin Ă  parcourir, ce qui n’encourage pas nos partenaires europĂ©ens Ă  s’investir en Afrique et explique notre sentiment de


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solitude, qui est aussi une rĂ©alitĂ©. Il faut cependant relever la prise de conscience, encourageante, des Africains eux-mĂȘmes s’agissant de la nĂ©cessitĂ© de prendre en main leur propre sĂ©curitĂ©. Il reste que les carences en matiĂšre de capacitĂ©s sont trĂšs importantes et que nous sommes appelĂ©s Ă  demeurer encore longtemps Ă  leurs cĂŽtĂ©s. M. Joaquim Pueyo. Sur les opĂ©rations en cours, j’estime pour ma part que la question fait encore largement dĂ©bat dans l’opinion publique. Nous avons naturellement bien fait de rĂ©pondre Ă  l’appel, mais Ă  moyen terme nous n’avons pas vocation Ă  intervenir seuls. De ce point de vue, l’apport europĂ©en n’est pas nĂ©gligeable puisqu’au Mali la mission de formation donne des rĂ©sultats et qu’en matiĂšre de lutte contre la piraterie, le bilan est des plus honorables. Restent donc les difficultĂ©s rencontrĂ©es concernant la sĂ©curisation de l’aĂ©roport de Bangui, sur lesquelles je souhaiterais avoir des prĂ©cisions. Pourriez-vous fournir une Ă©valuation du coĂ»t d’ensemble de la prĂ©sence militaire française en Afrique au cours des cinq derniĂšres annĂ©es ? En ce qui concerne les projets de diminution des effectifs Ă  Djibouti, pourriez-vous prĂ©ciser qui est Ă  l’origine de la proposition de les ramener Ă  950 personnels que vous avez mentionnĂ©e ? De maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, nous ne pourrons pas rester seuls Ă  intervenir en Afrique dans les annĂ©es Ă  venir ; aussi est-il nĂ©cessaire de convaincre l’Europe qu’il s’agit d’une question de sĂ©curitĂ© collective, ce dont les opinions publiques sont dĂ©jĂ , Ă  mon sens, conscientes. Mme GeneviĂšve Gosselin-Fleury. Je souhaiterais obtenir des prĂ©cisions sur le sort des prisonniers faits en RCA et au Mali. Quels sont leur nombre et leur statut ? À quelles autoritĂ©s ont-ils Ă©tĂ© remis ? M. Philippe Vitel. Il faudra bien un jour arrĂȘter de rĂȘver et mettre en adĂ©quation nos ambitions et nos moyens. Il convient Ă  l’évidence de se prĂ©occuper des conditions de vie de nos hommes, mais il ne faut pas oublier la question des matĂ©riels et du soutien. Dans le cadre des travaux que nous rĂ©alisons avec GeneviĂšve Gosselin-Fleury pour la mission de contrĂŽle de l’exĂ©cution des crĂ©dits de la DĂ©fense, nous avons entendu le chef d’état-major de l’armĂ©e de terre, qui a poussĂ© un vĂ©ritable cri d’alarme au sujet de l’ampleur du parc de 1 400 vĂ©hicules de retour d’OPEX Ă  remettre en Ă©tat. Il faut donc adapter les moyens de soutien et mettre en place une logistique intĂ©grĂ©e. Les rĂ©ductions budgĂ©taires successives ont eu un effet certain sur nos capacitĂ©s ; sur le terrain, avez-vous ressenti la crainte d’une rupture capacitaire ? Avons-nous encore les moyens d’engager autant d’opĂ©rations extĂ©rieures et d’entretenir autant de forces prĂ©positionnĂ©es, et ne devons-nous pas aussi prendre en compte la prioritĂ© que peuvent constituer les forces de souverainetĂ©, destinĂ©es Ă  la protection directe des Français ? M. François de Rugy. Vous avez traitĂ© Ă  la fois des opĂ©rations et de la prĂ©sence permanente. Cette derniĂšre est-elle calculĂ©e prioritairement en fonction des premiĂšres, afin de les prĂ©parer, ou bien est-elle davantage organisĂ©e dans un but de coopĂ©ration voire, selon les zones, de sĂ©curitĂ© maritime ? Vous avez relevĂ© que les conditions d’un retrait du Mali ou de la RĂ©publique centrafricaine Ă©taient


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loin d’ĂȘtre rĂ©unies et qu’il convenait de passer d’opĂ©rations d’intervention Ă  des actions de stabilisation. Or, nous avons vu en Libye que telle Ă©tait bien la difficultĂ© : quelles sont les forces politiques locales susceptibles d’assurer le relais ? Je n’y vois pas un risque d’enlisement, mais bien un risque d’effondrement en cas de dĂ©part de nos forces, nous ramenant en quelque sorte Ă  la case dĂ©part. Vous avez relevĂ© avec raison les ambiguĂŻtĂ©s du Tchad, tout en indiquant que l’un des objectifs de l’évolution de notre dispositif Ă©tait de centraliser davantage nos forces Ă  N’Djamena. N’y a-t-il pas lĂ  une contradiction au vu de la fiabilitĂ© toute relative de ce partenaire ? Pensez-vous que la crĂ©ation d’une base permanente Ă  Abou-Dhabi a constituĂ© une erreur, en conduisant Ă  rĂ©duire le format de nos forces Ă  Djibouti ? S’agissant des enjeux maritimes, il faut relever qu’ils sont multiples, allant de l’ocĂ©an Indien, avec la lutte contre la piraterie et la sĂ©curisation des routes maritimes, jusqu’à la lutte contre la surpĂȘche illĂ©gale sur les cĂŽtes atlantiques de l’Afrique. Quels sont les moyens que nous pouvons mettre en Ɠuvre pour y rĂ©pondre ? Quant Ă  la question de la mise en adĂ©quation de nos ambitions avec la rĂ©alitĂ© de nos moyens, je rejoins d’autant plus la position de mon collĂšgue Philippe Vitel que j’ai moi-mĂȘme fait connaĂźtre mon point de vue sur ce sujet Ă  de nombreuses reprises. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Pour rĂ©pondre aux questions sur les lacunes capacitaires, je dirai que lorsque notre commission se bat pour dĂ©fendre les grands programmes d’équipement, comme l’A400M ou SCORPION, elle a raison. Et les tĂ©moignages de nos militaires sur l’utilitĂ© du VBCI en opĂ©ration au Mali confirment qu’il faut continuer Ă  le faire. De ce point de vue, la rĂ©union de notre commission hier et le communiquĂ© commun avec la commission des Affaires Ă©trangĂšres et de la dĂ©fense du SĂ©nat sont des plus justifiĂ©s. S’agissant de la base d’Abou-Dhabi, il s’agit d’un bon choix, tant d’un point de vue opĂ©rationnel que stratĂ©gique. Nos avions qui y sont stationnĂ©s peuvent intervenir et s’entraĂźner Ă  Djibouti et, compte tenu du contexte en Syrie et en Irak, il est utile de disposer dans la rĂ©gion d’un relais pour notre renseignement et notre influence. En outre les complĂ©mentaritĂ©s trĂšs positives entre les bases de Djibouti et d’Abou-Dhabi se sont bĂąties trĂšs rapidement et il ne me semble pas utile d’entrer dans une dĂ©marche qui opposerait ces deux implantations. Le partenariat avec le Tchad est ancien et des plus prĂ©cieux, ne serait-ce qu’en raison de la position gĂ©ographique privilĂ©giĂ©e de cet État. Aussi ne remettons-nous nullement en question la pertinence de la dĂ©cision de centraliser le commandement des opĂ©rations dans la bande sahĂ©lo-saharienne Ă  N’Djamena. Nous connaissons tous par ailleurs les fragilitĂ©s de la situation politique intĂ©rieure du Tchad. Lorsque le prĂ©sident DĂ©by a dĂ©cidĂ© de retirer ses troupes de la MISCA, il s’agissait d’une mauvaise nouvelle car nous avons besoin du Tchad dans cette rĂ©gion, et ce d’autant plus qu’il exerce actuellement la prĂ©sidence de la CommunautĂ© Ă©conomique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Le ministre de la DĂ©fense a annoncĂ© hier l’organisation fin juillet d’une rĂ©union Ă  Brazzaville de l’ensemble des États de cette sous-rĂ©gion, afin de trouver des solutions


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politiques pour la RCA ; il est de leur responsabilitĂ© de s’impliquer fortement en aidant la RCA, sinon ce pays ne se relĂšvera pas. Enfin, je tiens Ă  souligner l’étroitesse croissante de la coopĂ©ration avec les États-Unis sur le continent africain. Nous avons pu le constater sur place, la dĂ©cision d’acquĂ©rir des Reaper Ă©tant justifiĂ©e Ă  la fois par la qualitĂ© opĂ©rationnelle de ce matĂ©riel et par l’amĂ©lioration qu’elle permet dans la coopĂ©ration entre nos deux pays. Les États-Unis s’implantent trĂšs sĂ©rieusement en Afrique, en consacrant des centaines de millions de dollars Ă  l’installation de bases dans plusieurs pays. Certes nous pouvons espĂ©rer davantage de nos partenaires europĂ©ens, mais au vu de la qualitĂ© de notre partenariat avec les États-Unis, nous ne sommes d’ores et dĂ©jĂ  pas seuls. M. Yves Fromion, rapporteur. Il n’y a pas eu d’opĂ©ration de maintien de la paix (OMP) en Libye contrairement au Mali et Ă  la RCA, peut-ĂȘtre en raison des illusions nĂ©es du printemps arabe, et il est lĂ©gitime de s’interroger sur la façon dont les institutions internationales pourraient agir aujourd’hui. La Libye n’est pas un pays pauvre qui manque de moyens et je pense, Ă  titre tout Ă  fait personnel, que l’embargo, qui a fait ses preuves dans d’autres circonstances, pourrait ĂȘtre un moyen de pression utile pour parvenir au rĂ©tablissement d’un Ă©tat de droit. Une rĂ©duction modĂ©rĂ©e des achats de leur pĂ©trole pourrait peut-ĂȘtre provoquer chez les Libyens un rĂ©veil de leur conscience et de leurs responsabilitĂ©s. La Libye possĂšde suffisamment de richesses en matiĂšre d’exportation de pĂ©trole pour tenir sa place dans le concert international et il est temps pour elle de comprendre que l’accession Ă  la libertĂ© entraĂźne aussi des devoirs et notamment celui d’éviter de devenir un non-État source de problĂšmes dans l’ensemble de l’Afrique du Nord. La communautĂ© internationale doit, elle aussi, cesser de baisser les bras en pensant qu’elle est impuissante. Nous sommes, dans notre rapport, objectifs en ce qui concerne le MCO et indiquons avec mesure que la question n’est plus de maintenir nos capacitĂ©s matĂ©rielles mais bien le fait que nous n’y parvenons plus. La flotte de MRTT et d’A400M est prĂ©vue pour 2025 et aucune commande n’est passĂ©e pour SCORPION. Il ne s’agit pas d’une critique mais d’un Ă©tat des lieux et, entre la commande et le moment oĂč le matĂ©riel est disponible, le creux se creuse, si je peux me permettre d’employer cette formule qui paraĂźtrait ridicule au sapeur Camember. Notre prĂ©sence en Afrique est un rĂ©vĂ©lateur cruel de la dĂ©gradation de nos Ă©quipements. Hormis le Reaper qui reprĂ©sente un apport considĂ©rable pour les capacitĂ©s des forces, l’état d’attrition global de nos matĂ©riels est extrĂȘmement prĂ©occupant. La situation des prisonniers en RCA est simple. Les portes des prisons sont ouvertes, la justice ne fonctionne pas, nos soldats et les gendarmes europĂ©ens prĂ©sents interpellent mais n’ont pas d’institution Ă  laquelle remettre les prisonniers. La situation au Mali est diffĂ©rente : les prisonniers du Nord Mali ont Ă©tĂ© remis aux autoritĂ©s maliennes, les quelques prisonniers français ont Ă©tĂ©


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extradĂ©s et remis Ă  la justice française. Il n’y a plus d’État en RCA donc plus de fonction policiĂšre et judiciaire. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Il faut toutefois souligner la qualitĂ© de la chaĂźne logistique qui fonctionne bien. De grands progrĂšs ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s au fil des mois et je tiens Ă  fĂ©liciter nos logisticiens. Les chiffres que nous Ă©voquons Ă  propos de Djibouti sont des hypothĂšses de travail en dĂ©bat au sein de l’état-major et il nous a semblĂ© nĂ©cessaire de les soumettre Ă  la reprĂ©sentation nationale dans le respect d’un fonctionnement dĂ©mocratique. M. Yves Fromion, rapporteur. Ces chiffres circulent publiquement Ă  Djibouti. Et le ministre djiboutien des affaires Ă©trangĂšres nous a accueillis par une boutade : « Alors, vous partez de Djibouti ! ». Il s’agit d’une hypothĂšse qui commence Ă  avoir une certaine consistance en dehors de l’Îlot-Saint-Germain. Les autoritĂ©s djiboutiennes ne s’en rĂ©jouissent Ă©videmment pas. M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Au-delĂ  du pays de Lorient qui m’est cher, le dĂ©veloppement de l’action de l’État en mer au profit des partenaires africains est une belle mission pour la France. La menace maritime est aujourd’hui moins dans l’ocĂ©an Indien que dans le golfe de GuinĂ©e oĂč la piraterie prend un tour de plus en plus violent. La France, soutenue par l’Union europĂ©enne, finance le Projet d’appui Ă  la rĂ©forme du systĂšme de sĂ©curitĂ© maritime dans le golfe de GuinĂ©e (ASECMAR) et c’est lĂ  un rĂ©vĂ©lateur des actions positives de notre pays sur le continent africain. Yves Fromion, rapporteur. Je tiens Ă  prĂ©ciser, pour rĂ©pondre Ă  une question posĂ©e, que nos forces prĂ©positionnĂ©es coĂ»tent 430 millions d’euros par an. Mme la prĂ©sidente Patricia Adam. Il conviendra en effet que notre commission se penche Ă  nouveau sur la question du MCO. S’agissant de la RCA, il serait nĂ©cessaire que la communautĂ© internationale Ă©tudie la possibilitĂ© de mise en place d’une forme de tutelle, puisque l’État n’y existe plus. Pour revenir sur la question de l’action de l’État en mer, je note que l’IHEDN a organisĂ© rĂ©cemment Ă  l’école militaire pendant une semaine une formation de trĂšs grande qualitĂ© Ă  destination des Ă©tats-majors de la marine des États africains. * *

*

La Commission autorise Ă  l’unanimitĂ©, en application de l’article 145 du RĂšglement, le dĂ©pĂŽt du rapport de la mission d’information en vue de sa publication.



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CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. YVES FROMION, RAPPORTEUR

La mise en Ɠuvre du « volet africain » de la politique de DĂ©fense de la France a conduit la commission de la DĂ©fense nationale et des forces armĂ©es de l’AssemblĂ©e Nationale Ă  s’interroger sur la cohĂ©rence entre les dispositions du Livre Blanc de 2013, la loi de programmation militaire 2014-2019 qui s’en inspire et la traduction effective sur le terrain qui en est faite. Le rapport Ă©tabli au terme de ce travail, conduit dans les dix pays africains (dont par extension les Émirats arabes unis), s’attache Ă  donner une vision aussi prĂ©cise que possible de la situation observĂ©e. Au demeurant l’approche politique du sujet conduit Ă  des diffĂ©rences de perception entre les rapporteurs sur quelques points particuliers qu’il apparaĂźt normal de consigner. 1./ Si la politique de prĂ©sence française en Afrique est dans son principe cohĂ©rente avec les enjeux auxquels notre pays est confrontĂ©, il est incontestable que notre capacitĂ© Ă  assumer nos ambitions dans le cadre contraint du budget de la DĂ©fense pose question. À cet Ă©gard notre engagement en Afrique est un cruel rĂ©vĂ©lateur des insuffisances grandissantes qui affectent notre outil de dĂ©fense, situation qu’il est beaucoup moins aisĂ© de percevoir dans le quotidien de nos forces en mĂ©tropole. La loi de programmation militaire 2014-2019 ne permet pas de maintenir un Ă©quilibre, pourtant vital, entre l’attrition des moyens dĂ©volus (usure, vieillissement, dĂ©classement
) et le maintien des fonctions capacitaires essentielles au niveau nominal pour rĂ©pondre aux exigences du Livre blanc. Dans un tel contexte, oĂč le rythme du renouvellement voire du maintien en condition opĂ©rationnelle des moyens en service s’affaiblit au point de conduire Ă  des ruptures ou des quasi ruptures capacitaires, on ne peut manquer de s’alarmer. Les exemples sont multiples et bien connus : ravitaillement en vol, transport aĂ©rien logistique, aĂ©romobilitĂ© de thĂ©Ăątre, dispositif satellitaire, matĂ©riels blindĂ©s, etc. Un point positif cependant, l’acquisition trĂšs opportune de drones Reaper qui comble une lacune calamiteuse. Or les fonctions ci-dessus Ă©numĂ©rĂ©es sont essentielles Ă  la mise en Ɠuvre de nos plans d’actions en Afrique. Certes jusqu’à ce jour nos forces sont intervenues avec succĂšs, notamment au Mali, mais il ne faut pas dissimuler le caractĂšre trĂšs asymĂ©trique de nos engagements, attestĂ© par les pertes enregistrĂ©es dans chaque camp. Ce cadre d’emploi n’a pas forcĂ©ment vocation Ă  perdurer dans le temps, notamment face Ă  un adversaire qui serait dotĂ© de capacitĂ©s antiaĂ©riennes efficaces, assez facilement accessibles sur le marché  Les signaux d’alarme sur


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cette situation, qu’ils Ă©manent des militaires eux-mĂȘmes, des responsables politiques ou d’innombrables observateurs, ne font pas l’objet d’une prise en compte raisonnable. Il est du devoir de la reprĂ©sentation parlementaire de le rappeler avec force. 2./ Les personnels composant nos forces armĂ©es en Afrique, au titre des dĂ©tachements permanents ou des forces prĂ©positionnĂ©es mais aussi des dĂ©tachements temporaires, sont d’une qualitĂ© remarquable comme chacun s’accorde Ă  le reconnaitre. Leur professionnalisme, leur dĂ©vouement et lorsque c’est nĂ©cessaire leur abnĂ©gation forcent le respect. On doit particuliĂšrement saluer les capacitĂ©s d’adaptation de nos soldats, leur sens de l’initiative, leur « dĂ©brouillardise » lorsqu’il s’agit de trouver des palliatifs Ă  certaines situations de carence. Si notre armĂ©e est capable d’obtenir les rĂ©sultats que l’on sait dans les engagements au Mali ou en RCA, de surmonter des Ă©preuves au-delĂ  du supportable, c’est Ă  nos hommes et Ă  leurs chefs qu’en revient le mĂ©rite. C’est la raison pour laquelle il paraĂźt particuliĂšrement mal venu de laisser entendre que de nouvelles contraintes budgĂ©taires pourraient venir contraindre les moyens de nos forces armĂ©es. Comment faire entendre Ă  nos forces dĂ©ployĂ©es en Afrique dans un contexte de flux hypertendu, entraĂźnant de frĂ©quentes situations de rupture, qu’il est nĂ©cessaire de procĂ©der Ă  de nouvelles contractions d’effectifs ? À cet Ă©gard la situation observĂ©e Ă  Djibouti est particuliĂšrement illustrative. La technostructure parisienne a dĂ©cidĂ© que l’effectif prĂ©sent sur cette base devrait passer de 1950 Ă  950. C’est un impĂ©ratif budgĂ©taire
 Mais quel rapport avec la rĂ©alitĂ© ? La France vient de signer un accord de dĂ©fense avec ce pays dont elle prĂ©tend assumer la sĂ©curitĂ© et dans le mĂȘme temps elle dĂ©cide de retirer ses forces alors mĂȘme qu’AmĂ©ricains, Britanniques, Italiens, Chinois et mĂȘme Japonais prennent pied sur ce territoire stratĂ©gique. C’est l’incohĂ©rence la plus totale. Sans doute trouvera-t-on une solution de bon sens comme le prĂ©conisent les auteurs de ce rapport, mais cet exemple est emblĂ©matique des excĂšs de la politique de dĂ©flation des effectifs programmĂ©e dans le Livre blanc de 2013. Les engagements au Mali et en RCA, qu’on nous avait prĂ©sentĂ©s comme de courte durĂ©e, vont inĂ©vitablement se prolonger pendant des annĂ©es. Ils sont exigeants en personnels et en moyens et ne sont pas compatibles avec une rĂ©duction inappropriĂ©e de nos effectifs. Et encore avons-nous fait l’économie d’un engagement supplĂ©mentaire en Syrie, fort hasardeux quant Ă  ses consĂ©quences, mais qui avait les faveurs du prĂ©sident de la RĂ©publique ! 3./ L’isolement de la France en Afrique, plus prĂ©cisĂ©ment sur les thĂ©Ăątres d’opĂ©rations du Mali et de RCA, est un sujet de fortes prĂ©occupations. Sans doute la mise en place, fort laborieuse, de la MINUSMA et de la MINUSCA sont-elles prĂ©sentĂ©es comme l’amorce d’une rupture de cet isolement. Mais la vĂ©ritĂ© c’est que c’est la France qui constitue la colonne vertĂ©brale de ces forces dites de stabilisation. L’absence de participation de nos partenaires europĂ©ens est un Ă©chec diplomatique pour la France. Le constat est brutal mais il est pour l’heure sans appel. Plus grave encore on ne voit pas la moindre perspective d’un changement en la matiĂšre. « Les français y sont allĂ©s, qu’ils s’en dĂ©brouillent ».


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Au-delĂ  des considĂ©rations affligĂ©es sur l’évolution de la dĂ©fense europĂ©enne, cette situation interroge quant aux effets induits du prĂ©positionnement de nos forces sur le sol africain. Il est indĂ©niable que ce prĂ©positionnement, outre l’intĂ©rĂȘt de « marquer » un territoire, favorise l’aguerrissement et l’adaptabilitĂ© de nos militaires. C’est aussi une posture indispensable pour pallier le manque de moyens suffisants et libres d’usage, nĂ©cessaires pour projeter sans dĂ©lais excessifs une force Ă©quipĂ©e sur un site « en tension ». En contrepartie le prĂ©positionnement lie la France et lui retire la capacitĂ© Ă  prendre du recul face Ă  une situation de crise. La prĂ©sence d’un dĂ©tachement Ă  Bangui fin 2013, s’est rĂ©vĂ©lĂ©e pour la France un facteur d’entraĂźnement irrĂ©sistible dans une vĂ©ritable guerre civile que l’on n’avait pas vu venir. Personne en effet n’aurait pu accepter que nos soldats se contentent d’assister l’arme au pied Ă  d’horribles massacres, abondamment mis en scĂšne par les mĂ©dias du monde entier. La France s’est donc trouvĂ©e entraĂźnĂ©e mĂ©caniquement dans un conflit inextricable, ethnique, religieux, tribal, particuliĂšrement lourd Ă  porter et probablement long Ă  supporter. En RCA comme au Mali la France, une nouvelle fois dans l’illusion, croit pouvoir trouver une porte de sortie rapide par un processus politique mis en Ɠuvre Ă  la va-vite (Ă©lections prĂ©sidentielle et lĂ©gislatives) dont on constate le caractĂšre illusoire. Le Mali comme la RCA doivent conduire la France Ă  une attitude plus modeste Ă  l’égard de l’Afrique et surtout Ă  une diplomatie plus subtile. Il faut, si l’on veut pouvoir partager avec les EuropĂ©ens la responsabilitĂ© et donc la charge du processus sĂ©curitĂ©-dĂ©veloppement en Afrique, que l’on cesse de faire valoir, notamment dans les affirmations du Livre blanc, que ces territoires sont notre arriĂšre-cour et un espace marquĂ© par nos intĂ©rĂȘts nationaux. À cet Ă©gard il n’est que d’examiner les statistiques sur l’évolution de nos Ă©changes commerciaux avec l’Afrique pour reprendre pied dans le rĂ©el. On peut ĂȘtre choquĂ©s par l’absence de coopĂ©ration de nos partenaires europĂ©ens, mais faut-il s’en Ă©tonner autant ?



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ANNEXES ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

(par ordre chronologique)

 GĂ©nĂ©ral Jacques Norlain (2S), ancien conseiller pour les questions de sĂ©curitĂ© Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique de CĂŽte d’Ivoire et Ă  celle du Gabon ;  MinistĂšre des Affaires Ă©trangĂšres – M. Jean-Christophe Belliard, directeur de l’Afrique et de l’ocĂ©an Indien ;  Pr. Bertrand Badie – Professeur des universitĂ©s en science politique Ă  l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), enseignant-chercheur associĂ© au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) ;  Pr. Jean-François Bayart, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ancien directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERI), membre de la commission du Livre blanc sur la dĂ©fense et la sĂ©curitĂ© nationale (2012-2013) ;  État-major de la marine – amiral Bernard Rogel, chef d’état-major ;  Commandement des opĂ©rations spĂ©ciales (COS) – gĂ©nĂ©ral GrĂ©goire de Saint-Quentin, commandant des opĂ©rations spĂ©ciales, ancien commandant de l’opĂ©ration Serval ;  GĂ©nĂ©ral Bernard Barrera, directeur adjoint de la DĂ©lĂ©gation Ă  l’information et Ă  la communication de la DĂ©fense (DICOD) et porte-parole adjoint du ministĂšre de la DĂ©fense, ancien commandant de la brigade Serval ;  État-major de l’armĂ©e de l’air – gĂ©nĂ©ral Denis Mercier, chef d’état-major, gĂ©nĂ©ral Thierry Caspar-Fille-Lambie, commandant de la dĂ©fense aĂ©rienne et des opĂ©rations aĂ©riennes, et colonel Thierry Garreta ;  État-major de l’armĂ©e de terre – gĂ©nĂ©ral Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major, gĂ©nĂ©ral Didier Brousse, sous-chef OpĂ©rations, lieutenant-colonel Franck Boudet, lieutenant-colonel Pierre Chareyron et commandant Pierre de Solages ;  DĂ©lĂ©gation aux affaires stratĂ©giques – M. Philippe Errera, directeur, Mme Patricia Lewin, chef de cabinet, colonel Xavier Collignon et MM. Romain Esmenjaud et GrĂ©gory Chauzal ;


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 MinistĂšre des Affaires Ă©trangĂšres – M. Nicolas de Riviere, directeur gĂ©nĂ©ral des affaires politiques et de sĂ©curitĂ©, Mme Nathalie Broadhurst, directrice des Nations unies, des organisations internationales, des Droits de l’Homme et de la Francophonie, M. FrĂ©dĂ©ric Danigo et Mme MĂ©lanie Rosselet ;  Direction de la coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense (DCSD) – amiral Marin Gillier, directeur, colonel Bertrand de Reboul et lieutenant-colonel Tanguy Eon Duval ;  État-major des armĂ©es – gĂ©nĂ©ral Pierre de Villiers, chef d’état-major des armĂ©es, gĂ©nĂ©ral Didier Castres, sous-chef OpĂ©rations, M. Jean-Marie Magnien, conseiller diplomatique, colonel Pascal Ianni.


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ANNEXE 2 LISTE DES DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LES RAPPORTEURS

 RĂ©publique du Niger (Niamey) 1./ AutoritĂ©s politiques : – le prĂ©sident de la RĂ©publique, M. Mahamadou Issoufou ; – le Premier ministre, M. Brigi Rafini ; – le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, M. Hama Amadou ; – le prĂ©sident et les honorables membres de la commission de la DĂ©fense et de la sĂ©curitĂ© de l’AssemblĂ©e nationale ; – le ministre de l’IntĂ©rieur, de la sĂ©curitĂ© publique, de la dĂ©centralisation et des affaires coutumiĂšres et religieuses, M. Hassoumi Massaoudou ; – le prĂ©sident de la Haute autoritĂ© Ă  la consolidation de la paix, M. Mahamadou Abou Tarka ; – le directeur de cabinet du ministre des Affaires Ă©trangĂšres, de la coopĂ©ration, de l’intĂ©gration africaine et des NigĂ©riens Ă  l’extĂ©rieur ; – le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de la DĂ©fense nationale ; 2./ AutoritĂ©s militaires : – le commandement et les personnels des forces françaises dĂ©ployĂ©es Ă  Niamey (« base 101 ») ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : la chargĂ©e d’affaires, Mme Brigitte Baley, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Christophe Pitiot, et l’ensemble des chefs de services, notamment l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, le conseiller de coopĂ©ration et d’action culturelle et le consul ; – DĂ©lĂ©gation de l’Union europĂ©enne : l’ambassadeur, M. Raul Mateus Paula ; le chef de la section politique de la DĂ©lĂ©gation de l’Union europĂ©enne, M. Jean-Jacques Quairiat, le chef des opĂ©rations de coopĂ©ration, M. Rafael Aguirre, et le chef de la mission Eucap Sahel-Niger, M. Philip de Ceuninck ; – Ambassade des États-Unis : le chargĂ© d’affaires ;


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4./ ReprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile et acteurs Ă©conomiques : – les responsables des associations reprĂ©sentatives des Français Ă©tablis Ă  l’étranger ; – les conseillers du commerce extĂ©rieur français et les directeurs gĂ©nĂ©raux des trois sociĂ©tĂ©s du groupe Areva (COMINAK, SOMAÏR et Imouraren SA).

 RĂ©publique du Burkina Faso (Ouagadougou) 1./ AutoritĂ©s politiques : – le prĂ©sident de la RĂ©publique, M. Blaise CompaorĂ© ; – le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, – la prĂ©sidente, Mme Pascaline Tamini-Bihoun, et les membres de la commission des Affaires Ă©trangĂšres et de la dĂ©fense de l’AssemblĂ©e nationale ; – le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres et de la coopĂ©ration rĂ©gionale, M. Somda ; – le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de la DĂ©fense, colonel-major Mone ; – M. ZĂ©phirin DiabrĂ©, prĂ©sident de l’Union pour le progrĂšs et le changement (UPC) ; 2./ AutoritĂ©s militaires : – le commandement et les personnels du dĂ©tachement d’instruction au profit des forces burkinabĂš ; – le commandement, l’encadrement et les stagiaires de l’École militaire technique de Ouagadougou, Ă©cole nationale Ă  vocation rĂ©gionale spĂ©cialisĂ©e en logistique ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadeur, M. Gilles Thibault, l’attachĂ© de dĂ©fense, lieutenant-colonel Jean-Jacques Luciani, et l’ensemble des chefs de services, notamment l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, le conseiller de coopĂ©ration et d’action culturelle et le consul ; 4./ ReprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile et acteurs Ă©conomiques : – Me Titinga FrĂ©dĂ©ric Pacere, avocat, ancien bĂątonnier de l’Ordre, avocat auprĂšs du tribunal pĂ©nal international pour le Rwanda, fondateur du MusĂ©e de ManĂ©ga ;


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– les reprĂ©sentants de la communautĂ© française ; – diffĂ©rents coopĂ©rants français.

 RĂ©publique de CĂŽte d’Ivoire (Abidjan) 1./ AutoritĂ©s politiques : – le ministre auprĂšs du prĂ©sident de la RĂ©publique, chargĂ© de la DĂ©fense, M. Paul Koffi Koffi ; – le prĂ©sident et des membres de la commission de la DĂ©fense de l’AssemblĂ©e nationale ; 2./ AutoritĂ©s militaires : – le chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des Forces armĂ©es de CĂŽte d’Ivoire ; – le chef d’état-major de la marine ivoirienne ; – le commandement et les personnels de la force Licorne ; – le conseiller du prĂ©sident de la RĂ©publique de CĂŽte d’Ivoire, gĂ©nĂ©ral Claude RĂ©glat, et les autres coopĂ©rants militaires français ; – le chef d’état-major de l’ONUCI, gĂ©nĂ©ral Muhammed Iqbal Asi ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadeur, M. Georges Serre, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Benoist ClĂ©ment, et l’ensemble des chefs de services, notamment l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, le conseiller de coopĂ©ration et d’action culturelle et le consul ; – la ReprĂ©sentante spĂ©ciale du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies pour la CĂŽte d’Ivoire et chef de l’opĂ©ration des Nations unies en CĂŽte d’Ivoire (ONUCI), Mme AĂŻchatou Mindaoudou ; 4./ ReprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile et acteurs Ă©conomiques : – les conseillers des Français de l’étranger et les reprĂ©sentants de la communautĂ© française en CĂŽte d’ivoire ; – les dirigeants de la sociĂ©tĂ© International Airport Services.


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 RĂ©publique du Mali (Bamako, Gao) ; 1./ AutoritĂ©s politiques : – le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, M. Issaka SidibĂ© ; – le ministre de la DĂ©fense nationale, M. Soumeylou BoubĂšye MaĂŻga ; – le prĂ©sident, M. Karim Keita, et les membres de la commission de la DĂ©fense nationale, de la sĂ©curitĂ© et de la protection civile de l’AssemblĂ©e nationale ; 2./ AutoritĂ©s militaires : – le commandant de l’opĂ©ration Serval, gĂ©nĂ©ral Marc Foucault, et les personnels de la force Serval Ă  Bamako et Ă  Gao ; – le chef d’état-major particulier du prĂ©sident de la RĂ©publique ; – le conseiller militaire du Premier ministre ; – le commandement de la mission EUTM Mali : l’adjoint au commandant de la mission, colonel Garcia Cortuo, le chef d’état-major de la mission, colonel Éric Lendroit, l’assistant militaire du commandant de la mission, lieutenantcolonel grĂ©goire Potiron de Boisfleury, le chef de l’Advisory Task Force, lieutenant-colonel Boris Vallaud, le conseiller politique du commandant, M. François-xavier Delestre ; – le commandant de la MINUSMA, gĂ©nĂ©ral Jean Bosco Kazura ; – le chef d’état-major de la MINUSMA, gĂ©nĂ©ral Vianney Pillet ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadeur, M. Gilles Huberson, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Jean-Paul Battesti, et l’ensemble des chefs de services, notamment l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, le conseiller de coopĂ©ration et d’action culturelle et le consul ; – le ReprĂ©sentant spĂ©cial du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies pour le Mali, M. Albert Gerard Koenders ; 4./ ReprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile et acteurs Ă©conomiques : – diffĂ©rents reprĂ©sentants de la communautĂ© française.


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 RĂ©publique du SĂ©nĂ©gal (Dakar, GorĂ©e) 1./ AutoritĂ©s politiques : – le prĂ©sident du groupe d’amitiĂ© SĂ©nĂ©gal-France Ă  l’AssemblĂ©e nationale, M. Cheikh Diop Dionne ; – le ministre-conseiller diplomatique du prĂ©sident de la RĂ©publique, M. Oumar Demba Ba ; – le conseiller du prĂ©sident de la RĂ©publique en charge des affaires financiĂšres ; – le conseiller du Premier ministre en charge des affaires Ă©conomiques ; 2./ AutoritĂ©s militaires : – le commandant des ÉlĂ©ments français au SĂ©nĂ©gal, gĂ©nĂ©ral Louis Duhau, et les personnels de cette force ; – l’ancien chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des forces armĂ©es sĂ©nĂ©galaises, ancien ambassadeur de la RĂ©publique du SĂ©nĂ©gal auprĂšs de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d’Allemagne, gĂ©nĂ©ral Mouhamadou Lamine Keita ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadeur, M. Jean FĂ©lix-Paganon, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Marc Conruyt, et l’ensemble des chefs de services, notamment l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, le conseiller de coopĂ©ration et d’action culturelle et le consul ; 4./ ReprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile et acteurs Ă©conomiques : – les conseillers des Français de l’étranger ; – les conseillers du commerce extĂ©rieur français.

 RĂ©publique du Gabon (Libreville, Centre d’aguerrissement outre-mer au combat en forĂȘt Ă©quatoriale du Gabon) 1./ AutoritĂ©s politiques : – le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de la DĂ©fense, commissaire gĂ©nĂ©ral Jean-FĂ©lix Sockat ; – le conseiller du prĂ©sident de la RĂ©publique, M. Maxime Ngozo Issoundou, Ă©lu de la commune de Port-Gentil ;


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2./ AutoritĂ©s militaires : – le commandement des Forces françaises au Gabon, colonel Éric Rousselle, adjoint interarmĂ©es, et les personnels de ces Forces Ă  Libreville et au Centre d’aguerrissement outre-mer au combat en forĂȘt Ă©quatoriale du Gabon ; – le commandement, l’encadrement et les stagiaires de l’école d’étatmajor de Libreville (EEML), Ă©cole nationale Ă  vocation rĂ©gionale ; – le commandement, l’encadrement et les stagiaires de l’école d’application du service de santĂ© militaire de Libreville (EASSML), Ă©cole nationale Ă  vocation rĂ©gionale ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadeur, M. Jean-François DesmaziĂšres, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Lionel Paillot, et l’ensemble des chefs de services, notamment l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, le conseiller de coopĂ©ration et d’action culturelle et le consul ; – l’ensemble des attachĂ©s de dĂ©fense français en poste en Afrique centrale, ainsi que leurs correspondants spĂ©cialisĂ©s dans les Ă©tats-majors, directions et services du ministĂšre de la DĂ©fense Ă  Paris.

 RĂ©publique Centrafricaine (Bangui, Bambari) 1./ AutoritĂ©s politiques : – la Chef de l’État de la transition, Mme Catherine Samba-Panza ; – le Premier ministre, M. AndrĂ© NzapayĂ©kĂ© ; – le ministre de la DĂ©fense, gĂ©nĂ©ral Thomas ThĂ©ophile Tchimangoua ; – le ministre de l’administration du territoire, M. Aristide Soukambi ; 2./ AutoritĂ©s militaires : – le commandant de l’opĂ©ration Sangaris, gĂ©nĂ©ral Francisco Soriano, son Ă©tat-major et les personnels de la force, Ă  Bangui, dans ses faubourgs et Ă  Bambari ; – le commandant de l’opĂ©ration EUFOR-RCA Ă  Bangui, gĂ©nĂ©ral Thierry Lion, son Ă©tat-major, et les personnels de la force ; – le commandant de la MISCA, gĂ©nĂ©ral Jean-Marie Michel Mokoko, son Ă©tat-major, et les personnels de la force ;


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– le commandant de la MINUSCA, gĂ©nĂ©ral Babacar Gaye ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadeur, M. Charles Malinas, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Yves DĂ©pit, et l’ensemble des chefs de services, notamment l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure ; – DĂ©lĂ©gation de l’Union europĂ©enne : le dĂ©lĂ©guĂ©, M. Jean-Pierre Reymondet-Commoy ; 4./ ReprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile et acteurs Ă©conomiques : – les hautes autoritĂ©s religieuses du pays ; – les reprĂ©sentants d’organisations humanitaires.

 RĂ©publique du Tchad (N’Djamena, Faya-Largeau, Zouar) ; 1./ AutoritĂ©s politiques : – DerdeĂŻ, sultan et chef traditionnel des Toubous, M. ErzeĂŻ BarkaĂŻ ; – le gouverneur de Faya-Largeau ; – les prĂ©fets de Faya-Largeau et de Zouar ; 2./ AutoritĂ©s militaires : – le commandant de l’opĂ©ration Épervier, colonel Paul Peugnet, son Ă©tat-major et les personnels de la force, Ă  N’Djamena, Faya-Largeau et Zouar ; – l’ensemble des officiers français coopĂ©rants ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadrice, Mme Evelyne Descorps, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Michel de Mesmay, et l’ensemble des chefs de services, notamment l’attachĂ© de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure ; – Ambassade des États-Unis : l’ambassadeur, M. James Knight ; – Ambassade d’Allemagne : l’ambassadeur, M. Elmut Kulitz ; – DĂ©lĂ©gation de l’Union europĂ©enne : l’ambassadeur, Mme HĂ©lĂšne CavĂ©.


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 Émirats arabes unis (Abou-Dhabi, Al Dhafra, Zayed Military City) 1./ AutoritĂ©s militaires : – l’amiral commandant de la zone maritime de l’ocĂ©an Indien et les forces maritimes de l’ocĂ©an Indien (ALINDIEN), Ă©galement commandant des Forces française aux Émirats arabes unis (COMFOR FFEAU), contre-amiral Antoine Beaussant, son Ă©tat-major et les unitĂ©s placĂ©es sous son autoritĂ©, Ă  Abou-Dhabi, Ă  Al Dhafra et Ă  Zayed Military City ; 2./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadeur, M. Michel Miraillet, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Philippe Douard, et l’ensemble des chefs de services intĂ©ressĂ©s ; 3./ Acteurs Ă©conomiques du secteur de la dĂ©fense : – les responsables de la sociĂ©tĂ© DCI en charge de la gestion de l’hĂ©bergement des personnels des Forces française aux Émirats arabes unis ; – le lieutenant-colonel SĂ©bastien de Peyret, en charge pour la sociĂ©tĂ© DCI d’une mission de traitement des opĂ©rations urbaines pour Al Hamra Training City.

 RĂ©publique de Djibouti (Djibouti, centre d’entraĂźnement) ; 1./ AutoritĂ©s politiques : – le ministre des Affaires Ă©trangĂšres et de la coopĂ©ration internationale, M. Mahamoud Ali Youssouf ; – le ministre de la DĂ©fense, M. Hassan Darar Houffaneh ; 2./ AutoritĂ©s militaires : – le commandement des Forces françaises Ă  Djibouti : l’adjoint interarmĂ©es, colonel Josselin Jonacovic, le commandant de la base aĂ©rienne 188, colonel Julien Sabene, le chef de corps du 5e rĂ©giment interarmes d’outre-mer, lieutenant-colonel JĂ©rĂŽme Mallard ; – le chef d’état-major gĂ©nĂ©ral des armĂ©es, gĂ©nĂ©ral Fathi Ahmed Houssein ; – le directeur de la sĂ©curitĂ© nationale, M. Hassan SaĂŻd Kaireh ; 3./ ReprĂ©sentations diplomatiques : – Ambassade de France : l’ambassadeur, M. Serge Mucetti, l’attachĂ© de dĂ©fense, colonel Denis Millot, et l’ensemble des chefs de services intĂ©ressĂ©s.


— 297 — ANNEXE 3 PRINCIPALES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES PRÉVUES EN AFRIQUE

Source : ministĂšre de la DĂ©fense


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