note Noémie HOUARD

Page 1

2012 2012 - Les enjeux

Elections

Les enjeux Le droit au logement : quels enjeux pour la présidentielle de 2012 ? N°14 Février 2012 Noémie Houard Chercheuse associée www.cevipof.com

www.cevipof.com

Centre de recherches politiques


2012 - Les enjeux

N°14 Février 2012 Noémie Houard Chercheuse associée

Le droit au logement : quels enjeux pour la présidentielle de 2012 ? Inspirée par le modèle écossais, la France a donné un caractère « opposable » au droit au logement par la loi du 5 mars 2007. L’existence d’un recours, d’une autorité responsable clairement identifiée et d’une obligation de résultat devait permettre de lever les obstacles qui, par le passé, avaient empêché d’améliorer la situation du logement des plus défavorisés en France malgré l’adoption de nombreuses lois sur ce sujet. Au terme du quinquennat, les effets du droit au logement opposable (dalo) paraissent toutefois mitigés, surtout en Île-de-France. Bien que les solutions envisagées divergent, gauche et droite partagent le même diagnostic sur la nécessité de garantir le droit au logement et de produire plus de logements. L’enjeu de la gouvernance ne constituerait-il pas l’une des clés de la réussite ?

La loi instituant le dalo est adoptée le 5 mars 2007, dans un contexte agité par la campagne présidentielle et l’action très médiatisée des Enfants de Don Quichotte sur le Canal Saint-Martin. À première vue, il pourrait paraître étonnant d’avoir rendu opposable un droit déjà proclamé par plusieurs textes. Ainsi, la loi Quilliot de 1982 stipulait déjà que « le droit à l’habitat est un droit fondamental », tandis que la loi Besson de 1990 disposait que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation ». Dès son adoption, certains accusent la loi dite dalo d’instituer un droit purement fictif ; d’autres en attendent, au contraire, un double effet, « révélateur » et « levier »1 . Au terme du quinquennat, le dalo a-t-il permis de lever les obstacles rencontrés précédemment dans la mise en œuvre du droit au logement ? Celui-ci

recouvre-t-il des représentations distinctes, dans la majorité et dans l’opposition ? Quelles pourraient être les conditions nécessaires à son effectivité ? 1/ Les effets du dalo La loi dalo change profondément la logique de mise en œuvre du droit au logement en concrétisant le passage de l’obligation de moyens (fondée sur le contrat et le partenariat, au niveau départemental) à l’obligation de résultat. Elle fait du droit au logement un droit du sujet, invocable devant les tribunaux2, désigne l’État comme garant de sa mise en œuvre et prévoit la mobilisation première du parc HLM pour loger les ménages prioritaires. Désormais, le juge administratif peut ordonner au préfet, sous astreinte financière, d’attribuer un logement aux requérants non relogés dans les délais fixés par la loi.

BOUCHET (Paul) (dir.), CLAUTEAUX (Rodolphe), HOUARD (Noémie) et SAINTE-MARIE (Hélène), Relever le défi du droit au logement opposable en Île-de-France, rapport, Secrétariat d’État au Logement et à l’Urbanisme, juin 2009, 37 p. http://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Paul_Bouchet_DALO_sept_09.pdf 2 Un recours juridictionnel est ouvert, dès le 1er décembre 2008 pour les catégories prioritaires et dès le 1er janvier 2012 pour ceux dont la demande de logement est jugée « anormalement longue ». 1

www.cevipof.com

1


2012 - Les enjeux Pour Benoist Apparu, le secrétaire d’État au Logement, « le dalo serait devenu un véritable pilote des politiques du logement » et aurait même « boosté » la production des logements sociaux 3. Dans la période récente, celle-ci atteint en effet un niveau record, passant de 40 000 logements sociaux financés en 2000 à plus de 130 000 en 2010. Toutefois, un certain nombre de facteurs tendrait à nuancer l’effet « booster » du Dalo. En termes d’attribution de logements d’abord, force est de constater que, fin 2010, 27 500 ménages prioritaires n’avaient pas été relogés dans les délais (dont 85% en Île-deFrance), à comparer aux 420 000 logements sociaux attribués chaque année (dont 20% en Îlede-France). Situation du dalo fin 2010 :

- recours déposés pour un logement : 185 000 (dont 60 % en Île-de-France) ; - recours examinés : 143 665 ; - ménages reconnus prioritaires pour un logement : 57 561 ; - ménages relogés via les effets directs ou indirects du dalo : 35 000 ; - 4600 condamnations par an prononcées contre l’État pour absence de proposition adaptée dans les délais fixés par la loi. Source : Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) / Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement (MEEDTL)

Par ailleurs, en termes de production, les diagnostics convergent, à en juger par les récentes déclarations de François Hollande et de Nicolas Sarkozy4 : l’offre serait insuffisante et globalement inadaptée aux besoins. Quant à la construction locative sociale, en dépit de sa progression, il semble que les préfets peinent toujours à l’imposer là où l’offre est jugée déficitaire. Même si de nombreuses communes ont dépassé les objectifs fixés par la loi dite SRU de 2000, qui impose un taux minimum de 20% de logements sociaux dans certaines communes, plus d’un tiers des villes concernées seraient encore défaillantes 5. Ainsi, l’effet levier du Dalo paraît mitigé, surtout en Île-de-France. Certains considèrent même qu’il serait inutile dans les 80 départements détendus et que, en zone tendue, il se serait réduit à réorganiser la file d’attente du logement social et à renforcer les concentrations de populations pauvres dans les quartiers dits sensibles. À cet égard, deux visions du monde semblent s’opposer à droite et à gauche. 2/ Droit au logement vs mixité Durant les années 90, la classe politique commence à se saisir de la question de la ségrégation sociale et de la fracture sociale. Quoique ces deux expressions renvoient alors, de fait, à deux stratégies sensiblement opposées. D’un côté, l’expression de ségrégation

Intervention du secrétaire d’État au Logement, Benoist Apparu, lors du congrès de l’Union sociale pour l’habitat, qui s’est tenu du 27 au 29 septembre 2011. http://www.decideursenregion.fr/ush/pour-benoist-apparu-un-nouveau-modele-economique-est-necessaire 4 Discours de François Hollande au meeting du Bourget, 22 janvier 2012. http://francoishollande.fr/discours-de-francois-hollande-au-meeting-du-bourget/ ; Interview de Nicolas Sarkozy à l’Elysée le 29 janvier 2012. http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/2012/inauguration-du-centre-de-documentation-des.12903.html 5 Sur la période 2008-2010, 940 communes étaient concernées par cette obligation : 591 ont atteint leur objectif et 349 sont encore défaillantes, entièrement ou en partie, Fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France, 17e rapport annuel, février 2012, p. 160. http://www.fondation-abbe-pierre.fr/_pdf/rml-17.pdf 3

www.cevipof.com

2


2012 - Les enjeux correspond plus au vocabulaire de la gauche, elle justifie une démarche de lutte contre la concentration des pauvres par une meilleure politique de peuplement du logement social ainsi qu’une volonté de redistribuer ce dernier plus équitablement dans la ville. De l’autre, l’expression de « fracture sociale », telle qu’elle a été promue par Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle de 1995, introduit plutôt une volonté de mieux accueillir la population défavorisée, notamment au sein du logement social, quitte à le spécialiser dans cette vocation. Ainsi, au début des années 1990, le projet « anti-ghetto » lancé par François Mitterrand se décline en deux volets : rétablir les équilibres de peuplement au sein du parc social et entre les quartiers par la loi Besson de 1990 et fixer un seuil minimal de 20% de logements sociaux dans certaines communes par la loi d’orientation pour la ville de 19916 . Au nom de la mixité, l’enjeu est de rétablir les équilibres, au sein du parc de logements et entre les territoires. Il s’agit aussi de changer l’image de « logeurs de pauvres » associée aux organismes HLM et de partager la prise en charge de la question sociale entre divers partenaires, suivant une logique contractuelle. Cet esprit est réaffirmé par la loi Exclusions de 1998 et la loi dite SRU de 2000. Alors que la gauche privilégie une conception généraliste du secteur HLM, destiné à un éventail large de la population, les

gouvernements de droite estiment au contraire que le parc social devrait cibler les personnes plus en difficulté. Pour relancer des trajectoires résidentielles ascendantes, il s’agit d’inciter les classes moyennes à quitter le logement social. D’abord, par les surloyers dans le secteur HLM ou l’abaissement des plafonds de ressources et ensuite, par le soutien à la production locative privée par des mesures d’incitation fiscale et le développement de l’accession sociale à la propriété par le prêt à taux zéro. C’est bien l’option retenue, de 1995 à 1997, lorsque PierreAndré Périssol est ministre du Logement, puis après l’élection de Nicolas Sarkozy en 20077 . Ainsi, le parc social est placé en première ligne du logement des pauvres, faisant craindre aux organismes HLM des risques de « ghettoïsation », voire des déséquilibres de gestion. Début 2012, alors que le logement s’immisce dans la campagne électorale, le diagnostic semble partagé, à droite et à gauche, sur la nécessité de garantir le droit au logement et de produire plus de logements. Toutefois, les solutions proposées divergent au regard des leviers mobilisés et des rôles confiés au logement social et privé. D’un côté, les socialistes proposent d’encadrer les loyers du privé et de développer l’offre locative sociale (renforcement de la loi SRU et imposition de la règle des trois tiers 8 dans les nouvelles opérations), de l’autre, les tenants de l’UMP mettent plutôt l’accent sur

Dans une version moins coercitive que la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) de 2000. Circulaires appelant à mobiliser le logement social en priorité pour les sans-abri, les mal-logés ou les prioritaires au titre du Dalo ; loi du 25 mars 2009 qui abaisse de 10 % les plafonds de ressources, introduit des surloyers en zones tendue et remet en cause partiellement le droit au maintien dans les lieux. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=BAEE2FE439A7FC77305512A6F19A4283.tpdjo16v_2? cidTexte=LEGITEXT000020440243&dateTexte=20120206 8 Un tiers de locatifs sociaux, un tiers en accession sociale et un tiers de logements libres. 6 7

www.cevipof.com

3


2012 - Les enjeux l’assouplissement des rapports locatifs dans le privé, la transparence totale des attributions de logements sociaux, l’instauration d’un « droit d’achat » pour les locataires HLM, et la relance de la construction de logements intermédiaires pour les classes moyennes9. À ce stade, un enjeu, pourtant majeur pour rendre effectif le droit au logement, semble totalement occulté de la campagne : celui de la gouvernance.

3/ L’enjeu de la gouvernance Au terme du quinquennat, le dalo n’a pas eu les effets qui auraient pu être escomptés sur les pratiques sociales. À cet égard, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre avaient été anticipées par certains juristes dès l’adoption de la loi10 . Ces derniers pointaient la nécessité de mobiliser le parc privé, au-delà du logement social, et de territorialiser le droit au logement. Ils insistaient surtout sur l’incohérence du système de répartition des responsabilités et des compétences.

départements, ainsi que la gestion du contingent préfectoral11 aux maires ou aux présidents d’intercommunalité. Dès lors, les préfets se trouvent placés dans une situation acrobatique pour honorer l’obligation de résultat, l’exercice étant d’autant plus délicat en Île-de-France où les élus cumulent souvent mandats nationaux et locaux. Le grand écart est encore plus malaisé dans le contexte actuel de rigueur budgétaire et de recomposition des services de l’État. Mais, en raison de l’extrême complexité du schéma politico-administratif français, les controverses sur la gouvernance de la politique du logement entrent difficilement dans les logiques nécessairement simplificatrices d'une campagne électorale.

L’une des principales curiosités de la loi dalo est, en effet, d’avoir désigné l’État comme débiteur du droit au logement sans pour autant lui avoir donné les moyens concrets pour le mettre en œuvre. En matière de logement, ce sont bien les collectivités territoriales qui pèsent dans les décisions locales, une compétence aussi essentielle que l’urbanisme ayant été transférée aux communes par les lois Defferre de 1982-1983, l’acte 2 de la décentralisation ayant, en 2004, autorisé la délégation de l’aide à la pierre aux intercommunalités et aux HOLLANDE (François), Le changement, c’est maintenant : mes 60 engagements pour la France, 2012. Le Magazine de l’Union : projet 2012, n° 55, cahier 2, 4e trimestre 2011, 24 p. http://issuu.com/lemouvementpopulaire/docs/ump_magazine_union_55_supplement/1 10 SAINT-JAMES (Virginie), « Faut-il désespérer du droit au logement ? », JurisClasseur Périodique A, n° 1, 7 janvier 2008, pp. 31-35 et Conseil d’État, Rapport public 2009, vol. 2 : droit au logement : droit du logement, Paris, La Documentation française, août 2009, 459 p. [ISBN 978-2-11-007617-5] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics//094000298/0000.pdf 11 Logements sociaux réservés à l’État, soit, en théorie, 25 % du parc. 9

www.cevipof.com

4


2012 - Les enjeux

Pour aller plus loin : > BOUCHET (Paul) (dir.), CLAUTEAUX (Rodolphe), HOUARD (Noémie) et SAINTEMARIE (Hélène), Relever le défi du droit au logement opposable en Île-de-France, rapport, Secrétariat d’État au Logement et à l’Urbanisme, juin 2009, 37 p. http://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Paul_Bouchet_DALO_sept_09.pdf > BROUANT (Jean-Philippe), « La mise en œuvre du Dalo à l’épreuve des territoires », HOUARD (Noémie) (dir.), Loger l’Europe : le logement social dans tous ses États, Paris, La Documentation française, 2011, pp. 301-315. [ISBN 978-2-11-008467-5] > Comité de suivi de la mise en œuvre du Dalo, Monsieur le Président de la République, faisons enfin appliquer le Dalo !, 5e rapport annuel, novembre 2011, 95 p. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics//114000692/0000.pdf

>
 Conseil d’État, Rapport public 2009, vol. 2 : droit au logement : droit du logement, Paris,

La Documentation française, août 2009, 459 p. [ISBN 978-2-11-007617-5] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics//094000298/0000.pdf

>
 HOUARD (Noémie), « La genèse du droit au logement opposable », Politiques sociales et familiales, n° 107, 2012.

[ISSN 2101-8081]

« Le Dalo : évaluation juridique à la veille de l’échéance du 1er janvier 2012 », Actualité Juridique Droit Immobilier (AJDI), n° 839, décembre 2011. [ISSN 1286-0700]

5

www.cevipof.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.