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mardi 6 dĂŠcembre 2011 LE FIGARO

16 dĂŠbats opinions

ĂŠtudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof

En moyenne, ils captent le vote d’un français sur dix au premier tour. PASCAL PERRINEAU

DESSIN DOBRITZ

DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

DANS LA COURSE Ă l’Êlection prĂŠsidentielle La prĂŠsence de candidats capitalisant moins de 5 % des suffrages est une constante de la Ve RĂŠpublique. Au fil des scrutins, il y a eu ÂŤ une inflation de candidatures Âť, constate Pascal Perrineau. Celles-ci sont passĂŠes de 2 en 1965 lors de la première ĂŠlection au suffrage universel du prĂŠsident de la RĂŠpublique Ă huit en 2007, avec un record de neuf en 2002. Les durcissements successifs des règles de prĂŠsentation pour filtrer les candidatures (nombre de signatures d’Êlus, localisation, publication de l’identitĂŠ des parrains) sont restĂŠs vains pour endiguer ÂŤ la montĂŠe en puissance des petits candidats Âť, explique le directeur du Cevipof. Celui-ci en a rĂŠpertoriĂŠ une dizaine, dĂŠclarĂŠs ou potentiels, dĂŠjĂ en campagne pour l’Êlection du 22 avril 2012. Cette diversitĂŠ de l’offre politique ÂŤ s’inscrit dans la tradition de la Ve RĂŠpublique Âť. Pascal Perrineau montre comment ÂŤ l’Êclatement de l’offre politique touche tous les courants, la gauche comme la droite Âť. En gĂŠnĂŠral, ces ÂŤ candidats de tĂŠmoignage plus qu’acteurs de la campagne Âť utilisent cette tribune pour divulguer Ă moindre coĂťt leurs idĂŠes ; d’autres, telle la candidature Verte, cherchent Ă s’imposer Ă gauche comme le partenaire incontournable du PS. Avec un cumul de 10 % des suffrages exprimĂŠs au premier tour, le pactole des petits candidats peut mettre en danger la qualification des tĂŠnors pour le second tour. En 2002, la dispersion du vote sur les petits candidats d’un ĂŠlecteur sur quatre a ĂŠtĂŠ la cause de l’Êlimination du candidat du PS dès le premier tour. S’avĂŠrant quasi inexpugnables de la compĂŠtition prĂŠsidentielle, les petits candidats sapent la lĂŠgitimitĂŠ des grandes formations partisanes prĂŠsentant un candidat. C’est lĂ une surprise du mode de fonctionnement de la Ve RĂŠpublique qui voulait se protĂŠger des jeux partisans en sĂŠlectionnant le chef de l’État par le suffrage universel. â– JOSSELINE ABONNEAU

L

a logique du tĂŠmoignage de petits candidats Ă la recherche d’une tribune politique s’est peu Ă peu imposĂŠe dans l’Êlection prĂŠsidentielle. Lors de la rĂŠforme du 6 novembre 1962 un système de parrainages filtrant les candidatures avait ĂŠtĂŠ mis en place : la signature de cent ĂŠlus (parlementaires et ĂŠlus locaux) issus de dix dĂŠpartements au moins ĂŠtait nĂŠcessaire pour qu’un candidat puisse se prĂŠsenter. Ce dispositif devait empĂŞcher la multiplication de candidatures fantaisistes ou marginales. Pourtant dès la première ĂŠlection de 1965, Marcel Barbu qui se prĂŠsente comme le ÂŤ candidat des chiens battus Âť et Pierre Marcilhacy, reprĂŠsentant d’un groupuscule libĂŠral, sont prĂŠsents dans la course. Leurs performances seront modestes : 1,1 % pour le premier et 1,7 % pour le second. En dĂŠpit de ces piètres rĂŠsultats, les petits candidats vont fleurir lors des scrutins suivants et nourrir l’inflation des candidatures. Si l’on retient comme critère du petit candidat la barre des 5 % des suffrages exprimĂŠs, on passe de deux candidats en 1965 Ă trois en 1969 (Michel Rocard pour le PSU, Alain Krivine de la Ligue communiste et l’inclassable Louis Ducatel) puis Ă neuf en 1974 oĂš trotskistes divers, ĂŠcologistes, dissidents, fĂŠdĂŠralistes europĂŠens et extrĂŞmes droites variĂŠs s’opposent en une assez grande confusion. Les petits candidats n’attirent que 2,8 % des suffrages exprimĂŠs en 1965 puis 6 % en 1969, en rassemblent 9,1 % en 1974. La montĂŠe en puissance des ÂŤ petits Âť suscite le vote d’une nouvelle loi organique, le 18 juin 1976, qui durcit les conditions de prĂŠsentation des candidatures. Le nombre de signataires passe de cent Ă cinq cents issus de trente dĂŠpartements au moins et leur identitĂŠ est rendue publique par le Conseil constitutionnel dans la limite du nombre requis pour la validitĂŠ des candidatures. Cette rĂŠforme ne parviendra pas Ă calmer l’ardeur des ÂŤ petits candidats Âť. En 1981, six rassemblent 12,5 % des suffrages, en 1988 ils ne sont que trois qui agrègent 4,4 %, en 1995 ils ne sont que deux (Philippe de Villiers et Jacques Cheminade) une ancienne pe-

tite candidate, Arlette Laguiller, ayant franchi de peu la barre des 5 %. En 2002 l’Êlection bat le record des candidatures (16) parmi lesquelles on compte neuf petits candidats (deux trotskistes en dehors d’Arlette Laguiller qui, avec 5,7 %, renouvelle son exploit de 1995 ; un candidat PCF qui rentre avec 3,4 % dans le ÂŤ club Âť des petits ; une candidate radicale de gauche ; une ĂŠcologiste indĂŠpendante ; le candidat Vert officiel NoĂŤl Mamère dĂŠpassant de peu la barre des 5 % ; un candidat libĂŠral ; une candidate dissidente de l’UDF ; un candidat des chasseurs et un candidat qui Ă l’extrĂŞme droite conteste le monopole de Jean-Marie Le Pen. Ces neuf candidats parviennent Ă capter 23,9 % des voix et ont contribuĂŠ au caractère exceptionnel de l’Êlection de 2002 qui vit un des deux ÂŤ grands Âť prĂŠtendants, le socialiste Lionel Jospin, disparaĂŽtre prĂŠmaturĂŠment de la compĂŠtition.

Joly cherche difficilement Ă s’extraire du groupe des ÂŤ petits candidats Âť tout en se voyant contester sur le crĂŠneau de ÂŤ l’Êcologisme gestionnaire Âť par Corinne Lepage. Les divers droite reflètent cette difficultĂŠ qu’ont nombre d’hommes et de femmes de droite et du centre Ă rentrer dans une logique de discipline partisane. Les dissidents de l’UDF, du RPR et aujourd’hui de l’UMP tentent rĂŠgulièrement leurs chances en espĂŠrant grignoter quelques voix. HervĂŠ Morin, patron du Nouveau Centre, Christine Boutin, prĂŠsidente du Parti chrĂŠtien dĂŠmocrate, FrĂŠdĂŠric Nihous, prĂŠsident de Chasse, pĂŞche, nature et traditions, Nicolas Dupont Aignan, prĂŠsident de Debout la RĂŠpublique, Gilles Bourdouleix, prĂŠsident du CNIP, Nicolas Stoquer, prĂŠsident du Rassemblement pour la France, Dominique de Villepin, disent tous vouloir concourir.

ÂŤ

L’annĂŠe 2012 s’inscrira-t-elle dans la tendance de 2002 ou renouera-t-elle avec des scrutins plus “normauxâ€? ?

En 2007, le nombre de petits candidats reste important mais le souvenir de 2002 entraÎne une retenue de l’Êlectorat à leur Êgard : 10,6 % des suffrages vont vers trois candidats trotskistes, un candidat altermondialiste, une candidate communiste, une candidate Êcologiste, un candidat souverainiste et le reprÊsentant des chasseurs.

A

insi, quelle que soit la rigueur de la lĂŠgislation, le nombre des petits candidats a augmentĂŠ sous la Ve RĂŠpublique. Cet ĂŠclatement de l’offre politique touche tous les courants, la gauche comme la droite. Ă€ gauche, les chapelles de l’extrĂŞme gauche n’ont jamais rĂŠussi Ă s’unir, prĂŠfĂŠrant tĂŠmoigner en ordre dispersĂŠ. En 2007, la France ĂŠtait le seul pays d’Europe oĂš s’affrontaient trois candidats trotskistes, un altermondialiste et un communiste : soit cinq candidats pour un potentiel de voix d’à peine 9 % ! L’Êcologie politique, en dĂŠpit de sa faiblesse, n’hĂŠsite pas Ă aller Ă la bataille en ordre dispersĂŠ, comme en 2002. En 2012, deux candidats trotskistes sont Ă nouveau sur les rangs : Nathalie Arthaud et Philippe Poutou. Jean-Pierre Chevènement tente de faire exister la sensibilitĂŠ souverainiste de gauche. Eva

Âť

Ă€ l’extrĂŞme droite aussi, la diversitĂŠ est de rigueur. Carl Lang, prĂŠsident du Parti de la France s’est dĂŠclarĂŠ en septembre. En dehors des familles politiques traditionnelles, la pĂŠriode est propice aux dĂŠclarations d’intention de multiples candidats. Au nom de groupes de pression ou d’enjeux spĂŠcifiques ils utilisent la prĂŠcampagne prĂŠsidentielle pour promouvoir leur cause : il y a GĂŠrard Gautier, prĂŠsident du mouvement Blanc, Victor IzraĂŤl, cancĂŠrologue soucieux de relancer le plan cancer, Patrick Lozès, prĂŠsident du Conseil reprĂŠsentatif des associations noires, Nicolas Miguet, fondateur du Rassemblement des contribuables français. Nombre de ces prĂŠtendants n’arrivera pas au bout de la course des signatures et pour ceux qui y parviendront, la tribune de la campagne prĂŠsidentielle ne suffira pas Ă les tirer de l’anonymat ou de la marginalitĂŠ ĂŠlectorale. En 2007, sur douze candidats, six n’ont pas dĂŠpassĂŠ la barre des 2 %. Cependant, il y a toujours le secret espoir de pouvoir s’inviter Ă la ÂŤ table des grands Âť dans le cadre d’une campagne rĂŠussie. Tel Jean-Marie Le Pen qui, après son maigre score de 0,7 % en 1974, s’impose dès 1988 comme une

force politique. Sur un mode mineur Arlette Laguiller, candidate de Lutte ouvrière, se hisse au-dessus de la barre des 5 % en 1995 et 2002. Ou, encore en 2002, NoÍl Mamère, seul candidat Êcologiste qui propulse les Verts au-dessus de 5 %.

S

i le ÂŤ petit Âť candidat peut grandir, le ÂŤ grand Âť candidat peut rapetisser. Tel a ĂŠtĂŠ le destin des candidats du PCF depuis la fin des annĂŠes 1980. Première force politique nationale après la Seconde Guerre mondiale, le PCF maintient un haut niveau d’influence jusqu’à la fin des annĂŠes 1970. Puis, les dĂŠcennies suivantes, il entame un inexorable et rapide dĂŠclin qui l’amène vers un statut de ÂŤ petite force Âť. Dans les annĂŠes 2000, les candidats du PCF figurent parmi les ÂŤ petits candidats Âť : 3,4 % pour Robert Hue en 2002, 1,6 % pour Marie-Georges Buffet en 2007. Ă€ cinq mois de l’Êlection prĂŠsidentielle du 22 avril 2012, l’Êvaluation des petits candidats en lice semble s’inscrire dans la tradition de la Ve RĂŠpublique : celle oĂš ils restent des tĂŠmoins plus que des acteurs du jeu politique. Cependant, ils peuvent recueillir tout ou partie des dĂŠceptions vis-Ă -vis des grandes forces de gouvernement contribuant ainsi Ă la dĂŠlĂŠgitimation de ces dernières. Ă€ cet ĂŠgard l’Êlection prĂŠsidentielle de 2002 a ĂŠtĂŠ emblĂŠmatique : presque un Français sur quatre a choisi la voie de la dispersion sur un ÂŤ petit candidat Âť. Reste Ă savoir si 2012 s’inscrira dans la tendance centrifuge de 2002 ou renouera avec des scrutins plus ÂŤ normaux Âť oĂš la capacitĂŠ des ÂŤ petits Âť Ă attirer les ĂŠlecteurs touche environ un Français sur dix. â–

Les  petits  candidats sous la Ve RÊpublique Sont considÊrÊs comme  petits  candidats, ceux qui obtiennent moins de 5 % des surages exprimÊs au premier tour de l’Êlection

PREMIER TOUR DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE 23,9 % des surages exprimÊs pour l’ensemble des  petits  candidats

POUR L’INSTANT les petits candidats, tels qu’ils sont mesurĂŠs dans les sondages d’intentions de vote sont au nombre d’une petite dizaine et ils rassemblent, selon la dernière enquĂŞte de l’Ifop* pour La Lettre de l’opinion, un score (9,5 %) assez proche de celui qu’ils avaient atteint Ă la prĂŠsidentielle de 2007 (10,6 %). Comme toujours l’extrĂŞme gauche trotskiste s’avance divisĂŠe en deux candidatures mais leur potentiel de voix est très restreint, la succession de leadership entre Arlette Laguiller, Oli-

vier Besancenot et leurs successeurs ne s’Êtant pas encore faite dans l’opinion. 11 % seulement des Êlecteurs proches de LO et du NPA disent aujourd’hui leur intention de voter pour les candidats issus de ces partis.

Zone grise La situation est un peu meilleure pour Eva Joly qui attire 38 % des intentions de vote des Êlecteurs proches d’Europe Écologie-Les Verts, mais on est loin d’une dynamique qui la projetterait dans la  cour des grands . D’autant

plus qu’elle connaĂŽt une certaine concurrence au sein mĂŞme de son ĂŠlectorat ÂŤ naturel Âť : 35 % ont l’intention de rallier François Hollande, 5 % FrĂŠdĂŠric Nihous et 4 % Corinne Lepage. Enfin, Ă droite HervĂŠ Morin et Dominique de Villepin ont beaucoup de mal Ă capter les dÊçus du sarkozysme alors que Christine Boutin et Nicolas Dupont-Aignan connaissent un lĂŠger succès d’estime dans cette zone grise qu’est la droite de la droite : 7 % des ĂŠlecteurs qui ont votĂŠ en faveur du FN aux dernières rĂŠgionales disent leur in-

12,5

tention de voter en faveur d’un de ces P. P. deux candidats. â– *Sondage rĂŠalisĂŠ du 14 au 16 novembre auprès d’un ĂŠchantillon de 1 146 personnes inscrites sur les listes ĂŠlectorales, extrait d’un ĂŠchantillon de 1 243 personnes, reprĂŠsentatif de la population française âgĂŠe de 18 ans et plus. Questionnaire autoadministrĂŠ en ligne.

9,5 %

INTENTIONS DE VOTE POUR LES  PETITS  CANDIDATS DÉCLARÉS OU POTENTIELS À LA PRÉSIDENTIELLE DE 2012, au 14-16 novembre, en %

10,6 9,1 6

4,4 5

2,8 1965 1969 1974 1981 1988 1995 2002 2007

NOMBRE DE ÂŤ PETITS Âť CANDIDATS AU PREMIER TOUR 9 9

TOTAL

+

Éva JOLY

4%

A

+

1,5 % Dominique DE VILLEPIN

+

1%

+

0,5 %

0,5 %

Christine BOUTIN

Nicolas DUPONT-AIGNAN

+

0,5 % Nathalie ARTHAUD

+

Philippe POUTOU

HervĂŠ MORIN

+

0,5 % Corinne LEPAGE

0,5 %

+

0,5 % FrĂŠdĂŠric NIHOUS

=

<0,5 % Jean-Pierre CHEVĂˆNEMENT

d'intentions de vote cumulĂŠes pour les petits candidats

8

6

3 2

3 2

POUR 2012 Photos : AFP, Le Figaro (F. Bouchon, J.-C. Marmara)

1965 1969 1974 1981 1988 1995 2002 2007 Source : Cevipof


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