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mercredi 13 janvier 2010 LE FIGARO

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étudesPOLITIQUES

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Régions : une révolution inachevée

En deçà de celle de ses principaux voisins européens, la régionalisation française reste au milieu du gué. JOSSELINE ABONNEAU

QUARANTE ans après sa création, la région peine encore à s’affirmer dans l’opinion. Certes, la dernière née des institutions territoriales n’a pu réellement exister qu’avec l’élection au suffrage universel direct de ses conseillers qui remonte tout de même à près d’un quart de siècle. Contrairement à certains États de l’Union européenne (Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Royaume-Uni, etc.) qui ont porté sans faille l’autonomie régionale, la France reste encore prisonnière de sa culture jacobine. Elle a toujours hésité à s’engager dans la voie de la décentralisation « craignant que la régionalisation génère des discriminations »,souligne Bruno Rémond. Paradoxe, l’institution régionale semble encore« fragile »quand elle affiche un bilan« impressionnant » dans le développement économique, technologique et l’aménagement du territoire consacrant. C’est d’ailleurs sur ce bilan que les partis orientent leur campagne pour le renouvellement des conseils régionaux les 14 et 21 mars prochains. Notamment la gauche qui règne quasiment sans partage sur les exécutifs régionaux. Selon l’enquête TNS/Sofres diligentée par l’Association des régions, la gauche part avec un atout : l’exécutif régional est qualifié d’« efficace »par 76 % des sympathisants de gauche tous partis confondus, suivis par ceux du MoDem (71 %) et enfin par ceux de la « grande droite » qui ne dirige que deux régions (l’Alsace et la Corse). Ceci expliquant en partie cela…■

EN 2009

LES RÉGIONS ONT INVESTI

5 997 millions d’euros dans les lycées

3 195

millions d’euros dans la formation professionnelle

2 661 millions d’euros dans le transport express régional

2 139

millions d’euros dans l’apprentissage

La proximité détermine l'efficacité Question POUR CHACUNE DES INSTITUTIONS SUIVANTES, POUVEZ-VOUS DIRE SI ELLE EST TRÈS EFFICACE, ASSEZ EFFICACE, ASSEZ INEFFICACE OU TRÈS INEFFICACE POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DE LA POPULATION ? Très efficace

Assez efficace

Assez inefficace

Très inefficace

Sans opinion

En %

Le conseil général Le conseil régional L'État

20

16 44

56

11

17 3 10

59

10

17 2 12

59 3

L'Europe

32

2

dont

29

41

39

18

20

A

75

Parti communiste

Grande gauche (EXG, PC, PS, DVG, Verts) 76 Extrême gauche (LO, NPA)

68

90

Parti communiste

65

Parti socialiste

89

Parti socialiste

78

Verts

85

Verts

79

dont

89

MoDem

71

Grande droite (NC, UMP, MPF, FN)

89

Grande droite (NC, UMP, MPF, FN)

66

UMP

90

UMP

68

FN*

81

FN*

56

Sans préférence partisane

84

Sans préférence partisane

57

dont

dont

*En raison de la faiblesse des effectifs, les résultats sont à interpréter avec prudence

L

Sondage Sofres réalisé pour l'Association des régions de France, du 27 au 30 novembre 2009 auprès d'un échantillon national de1 000 personnes représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas, enquête réalisée en face-à-face).

«

’évolution générale porte, en effet, notre pays vers un équilibre nouveau. L’effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain… » (de Gaulle, discours prononcé à Lyon le 24 mars 1968). Tout est dit. Et pourtant, quarante ans après, la réalisation de cette vision fulgurante n’est toujours pas devenue l’option politique retenue pour organiser l’architecture d’ensemble des pouvoirs publics en France. Où en est-on alors ? La gestation de la « région » fut lente, parfois chaotique, mais toujours inspirée par une même préoccupation : doter la France d’un espace territorial mieux adapté par sa configuration et sa superficie que le département pour permettre la définition et la réalisation des politiques publiques d’importance, notamment dans le domaine économique et en matière d’aménagement du territoire.

dramatiques en 1992 et en 1998 du mode toyens même s’ils ne voient pas toujours de scrutin adopté en 1985, ont obscurci très clairement le sceau régional sur ces l’image institutionnelle et fonctionnelle réalités sauf lorsque les couleurs de cede la région. Celle-ci, décriée car mal lui-ci décorent les rames TER. connue, fut critiquée et taxée d’instituQui pourrait se passer des financetion superfétatoire, compliquant le mil- ments ainsi mobilisés ? Certainement le-feuille territorial alors que pas l’État qui, tout en tenpourtant les régions concourtant de continuer à rester raient déjà remarquablement à maître de la définition de la réalisation de politiques puces politiques publiques, bliques essentielles pour l’aveest progressivement devenir de la France : formation nu financièrement incapaprofessionnelle et apprentissable de les assumer et admige, rénovation et construction nistrativement de les de lycées, amélioration des régérer. sultats de la politique éducatiMême si leur connaisve grâce à l’élaboration des sance ou leur compréhenschémas régionaux de formasion du fait régional n’est tion, extensions universitaires, pas toujours des plus assuPAR grands projets d’équipement rées ou des plus affirmées, BRUNO RÉMOND initiés par l’État et cofinancés un récent sondage, diliPROFESSEUR par les régions dans le cadre genté par l’Association des À SCIENCES-PO des contrats de plans successirégions de France et réalisé vement élaborés et signés. par la Sofres montre que La Souvent méconnu, le bilan les Français sont globalepréférence des régions est pourtant imment attachés à leur répressionnant. Sans elles, les gion, comme d’ailleurs aux partisane grandes politiques publiques collectivités territoriales a un effet sur ayant pour objectif de favoriser en général. le développement économique, l’appréciation Lorsqu’ils classent les l’innovation technologique et échelons administratifs en du conseil l’aménagement du territoire fonction de leur proximité régional : Bilan méconnu n’auraient pu se déployer aussi pour juger de leur capacité mais impressionnant rapidement et aussi profondé- les personnes à répondre aux besoins de Ce n’est qu’avec la loi du 2 mars 1982 ment. la population, la commune proches Regroupées en deux grands puis la première élection au suffrage arrive en tête (76 % la jude la gauche sont universel direct des conseillers régio- thèmes – éducation, formagent efficace) suivi du naux en 1986 que l’institution régionale a tion et emploi ; mobilité et dé- plus nombreuses conseil général (70 %) puis acquis un statut de collectivité locale à veloppement durable – les inque les autres du conseil régional (69 %). part entière et la clause de compétence terventions des régions ont un L’État et l’Europe sont maà le juger incontestable en générale qui fait la force de cette catégo- impact joritairement jugés ineffiefficace rie d’institutions politico-administrati- contribuant à aménager le caces (59 % pour les deux). ves, deux qualités ultérieurement re- territoire et améliorer la vie de De manière cohérente connues au niveau constitutionnel par la ses habitants. En 2009, hors avec la couleur des exécumodification de la rédaction de l’arti- outre-mer et Corse, les régions ont in- tifs locaux, la préférence partisane a un vesti 5 997 millions d’euros dans les ly- effet sur l’appréciation du conseil régiocle 72 de notre texte fondamental. Malgré les différents transferts de cées, 3 195 dans la formation profes- nal : les personnes proches de la gauche compétence intervenus en 1983, 1985 et sionnelle, 2 661 dans le transport sont plus nombreuses que les autres à le 1986 de l’État vers les régions, plusieurs express régional ou encore 2 139 dans le juger efficace (79 %). années d’inertie politique – notamment domaine de l’apprentissage… Qui pourrait imaginer se passer des Vers un «congrès sous le gouvernement de Lionel Jospin – dont les effets ont été aggravés par la services et des équipements de toute na- des départements» crise de légitimité qui affecta les conseils ture ainsi organisés et réalisés par les ré- Certes, un autre sondage LH2 a mis en régionaux du fait des conséquences gions ? Certainement pas nos conci- évidence le fait que beaucoup de Français ignoraient le nom du président à la tête de leur région. Mais connaissent-ils mieux le nom du président du conseil général ou ceux des différents ministres composant le gouvernement ? Toujours Question est-il, justement parce qu’elle est POUVEZ-VOUS ne peuvent citer contrastée, l’image que les Français ont aucun nom aujourd’hui de la région est révélatrice DONNER LE NOM de l’ambiguïté de la situation dans laDU PRÉSIDENT OU quelle se trouve la dernière-née des colDE LA PRÉSIDENTE lectivités territoriales françaises. Seule, DE VOTRE RÉGION ? par essence, apte à se substituer à l’État dans la définition et la réalisation des politiques publiques qu’il ne peut plus ou qu’il ne sait plus correctement mener à % bien car les données économiques, Citent le nom % technologiques et sociales à prendre en du président citent considération imposent qu’elles soient un autre nom diversifiées et adaptées aux réalités terSondage LH2 réalisé pour le Syndicat de la presse quotidienne régionale et France Bleue, du 30 octobre au 28 novembre 2009, ritoriales, son essor est attendu avec imauprès d'un échantillon de 5 100 personnes constituant un échantillon national représentatif de la population française patience par certains, craint par âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas, enquête réalisée par téléphone). d’autres.

«

»

65%

Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

Extrême gauche (LO, NPA)

Total efficace

MoDem

6

10

Question POUVEZ-VOUS ME DIRE SI LE CONSEIL RÉGIONAL EST EFFICACE ?

Total attaché En %

En %

Grande gauche (EXG, PC, PS, DVG, Verts) 86

La commune

Une présidence mal identifiée

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof)

Question DIRIEZ-VOUS QUE VOUS ÊTES ATTACHÉ À VOTRE RÉGION ?

6

29

Les ressorts du sentiment amoureux SELON le sondage TNS-Sofres, les Français en phase avec le Parti communiste ou l’UMP se révèlent être les plus attachés à leur région, quand ceux ayant une préférence partisane extrémiste de gauche ou de droite (extrême gauche, Front national) se montrent les plus indifférents. Au sein de la gauche, les Verts, dont le régionalisme constitue l’une des pierres angulaires de leur doctrine, clament moins leur patriotisme régional que les socialistes. Ceux-ci se situent sur la même longueur d’onde que les supporteurs du MoDem ou l’ensemble de la « grande droite » (Nouveau Centre, UMP, MPF, FN). Quasi viscéral pour les retraités et inactifs, l’attachement régional se renforce avec l’âge principalement aux alentours de la cinquantaine. Toutefois l’activité professionnelle détermine l’intensité de cet amour : très vivace chez les commerçants, les artisans, les chefs d’entreprise et les ouvriers, il mollit chez les cadres et les intellectuels. Très ancré dans les zones rurales, le sentiment régional se dilue dans les zones urbaines pour devenir ténu dans l’agglomération parisienne. J. A.

La France hésite. Depuis le lancement de la décentralisation en 1982, elle a quitté la rive où un État tout autant napoléonien que jacobin offrait aux citoyens une vision claire de la structuration et de l’action de la puissance publique et l’illusion du respect du principe d’égalité grâce à la mise en œuvre censée être uniforme et homogène sur l’ensemble du territoire de toute politique. Mais, s’engageant dans la voie de la régionalisation, elle s’est arrêtée à mi-gué, craignant que la décentralisation et la régionalisation génèrent des discriminations alors qu’elles sont surtout porteuses de diversifications et d’émulations. Il en résulte que la « région » française reste fragile et bien loin, politiquement et institutionnellement comme fonctionnellement et financièrement, des données peu ou prou semblables qui caractérisent l’autonomie et la responsabilité des régions italiennes, des communautés autonomes espagnoles, des régions belges et, bien plus encore, des Länder allemands ou des entités territoriales du Royaume-Uni ayant bénéficié d’une large évolution de compétences intervenues à l’orée du XXIe siècle. La France reste très en deçà de ses principaux voisins. Et, sans se livrer ici à un examen exhaustif de son contenu, on peut s’attendre à ce que le projet de loi relatif à la réforme territoriale, dont la discussion parlementaire va tout prochainement s’engager, entraîne une transformation de l’institution en « congrès des départements » pulsion à rebours de celle qui a suscité puis institué l’idée régionale en France.■


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