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Les espaces Queer dans la ville

III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE

Qu’a engendré la colonisation des sexualités ?

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Le projet Queering The Map a d’abord été mis en place autour et dans la ville de Montréal qui s’est construite sur les terres traditionnelles des habitants natifs Kanien’kehá:ka. Ce lieu a toujours été un espace de rencontre pour d’autres nations autochtones et le designer Lucas LaRochelle s’est inspiré de ce passé pour générer à travers son projet des affinités à travers les frontières. La question du colonialisme ne peut être séparée de la question queer. Comme l’explique Breny Mendoza la « dualité hétérosexualité-homosexualité [ont été] assumées et violemment imposées comme des vérités et des préceptes moraux incontestables par les épistémologies occidentales à travers différents processus de conquête, colonisation, évangélisation, guerres impérialistes, impérialisme culturel, et mondialisation néolibérale au niveau planétaire » (Mendoza, 2019). Les états coloniaux ont importé et imposé leurs modèles de genres et de sexualités qu’ils avaient construits jusqu’alors donnant jusqu’à maintenant une vision du genre européano-centrée, naturalisée et patriarcale.

Les espaces Queer dans la ville

Les espaces Queer seraient-ils finalement normaux ?

En lieu d’une première définition, les espaces Queer dans la ville seraient des espaces occupés et investis par des personnes Queer. Pendant des entretiens, j’ai pu récolter des informations de personnes résidant à Lyon et se considérant Queer ou comme faisant partie de la communauté LGBT. Pour Maxence, il y a « des lieux qui sont officiellement Queer comme le local LGBT vers Croix-Rousse. [Mais il existe particulièrement] des lieux un peu diffus, pas très concret, qui naviguent un peu dans la ville et qui sont un peu présents partout au final. [Ils sont crées par] des groupes de personnes proches, qui sont Queer et qui font des trucs entre-eux »1. Il existerait donc des espaces ponctuellement et anodinement queerisés par la présence de groupes de personnes queer simplement amies entre elles.

A son tour, Valentine m’explique que pour elle, un espace Queer peut être un « rassemblement, des manifs, des trucs qui ont lieux à un instant T » ce sont des « moments où les personnes qui militent peuvent essayer de reprendre un peu la rue et ça donne le sentiment d’appartenir à un groupe ce qui est assez galvanisant ». La prise de l’espace de la rue fait naître un sentiment de pouvoir grâce à la dimension politique de la manifestation. C’est le sentiment de reconquête d’un territoire volé, un sentiment de justice accomplie.

III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE

Elle ajoute qu’un espace Queer est aussi « un lieu établi genre un bar queer »1. Ces lieux permanents, ajouté aux propos de Maxence qui parlaient d’un local associatif, peuvent être des bars, mais aussi des espaces de drague, un quartier rose, etc. Ces espaces Queer par nature, dans la manière dont ils sont créés et affichés dans la ville placent un repère pour toutes les personnes qui se reconnaissent dans la communauté. Le local associatif permet de se retrouver et d’échanger dans un espace sécurisant. Les bars Queer sont justement des espaces plus sécurisés pour Valentine puisque « tu te sens forcément mieux accompagnée de personnes qui sont comme toi ». Elle ajoute que dans les bars normaux, un espace peut être vécu comme oppressant tels que les « petits recoins où on peut te prendre à l’écart c’est comme en ville, genre les petites ruelles et que tu sais qu’il n’y a personne… » alors qu’au contraire dans les bars Queer « ça peut être agréable, ça peut être un endroit où tu peux discuter plutôt que danser ». Si la manière de vivre les petits espaces dépend de la population qu’il y a autour et si je pars du principe qu’un petit recoin n’a pas été conçu pour qu’une personne puisse agresser en toute impunité une autre personne alors est ce que les espaces non-Queer peuvent être considérés comme des espaces pervertis par les oppresseurs ? Un espace perçu et vécu normalement ne serait-il pas plutôt un espace Queer puisqu’il est expérimenté sereinement ?

Les entre-soi nouvellement créés, sont-ils contre productifs ?

La dimension pratique du Queer est en train d’évoluer en fonction des sites de rencontres (comme Grindr) qui génèrent d’autres espaces, immatériels cependant. La géographie queer change et par les réseaux sociaux (les comptes Twitter, les pages Instagram) et les sites de rencontres (Grinder, Tinder), la communauté Queer partage et crée de nouveaux espaces qui permettent d’inventer de nouvelles identités plus librement, ou du moins différemment. En effet, sortir de la norme demande du courage et de la bravoure car ce n’est pas félicité dans toute les sphères de la société, en particulier si cette dernière est homophobe.

Les espaces Queer sont difficiles d’accès aux personnes non-queer. Simplement connus par la communauté, ces entre-soi sont-ils contre productifs ?

Est-ce que l’accès aux espaces Queer devrait être limité aux personnes Queer ? Ne serait pas contre-productif puisque le queer veut justement éclater les limites ?

Il ne faut pas oublier que le mouvement Queer est majoritairement composé de minorités sexuelles mais aussi de minorités ethniques, sociales, de genre. Toutes ces minorités se regroupent afin de pouvoir échanger sur leurs conditions, leurs aspirations et leur désirs de s’extraire de la norme imposée. Leurs identités se comportent en étiquettes et même si elles ne sont pas reconnues par la normes, elles peuvent se révéler nécessaire pour nommer des choses impalpables.

III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE

Car « bien qu’elle n’existe pas, l’identité ‘‘femme’’ peut vous coûter la vie à Tijuana et bien plus près de chez vous qu’à Tijuana. C’est votre vie tout entière qui est définie par elle. Bien qu’elle n’existe pas, l’identité ‘‘trans’’ peut vous coûter la vie aussi à Paris. La race n’existe pas, mais l’identité raciale peut vous empêcher de traverser une frontière, de louer un appartement, de trouver un emploi » (Preciado, 2020)1. Ouvrir la porte des entre-soi à des personnes qui ne vivent pas les mêmes choses revient à s’ouvrir à de potentiel·elles agresseur·es/oppresseur·es. Valentine explique : « Au sein de la communauté il peut toujours y avoir quelqu’un qui a mal fait quelque chose, on ne sait pas. Mais plus tu cumules les potentialités d’agressions ou micro-agressions, plus des lieux peuvent être dangereux. »2. C’est une manière de créer un espace sécurisant, une hétérotopie, pour se protéger du reste plus violent. L’hétérotopie est un concept forgé par Michel Foucault en 1967 qu’il définit comme une localisation physique de l’utopie. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, sont utilisés pour (se) mettre à l’écart. Ce sont des lieux à l’intérieur d’une société qui obéissent à des règles qui sont autres et qui génèrent des écarts à la norme. Le Queer, comme le dit le mouvement Bash Back, est une opposition à la norme. Il veut éclater les limites imposées par le système capitaliste hétérocisnormatif pour créer sa propre place.

A l’échelle de la ville, les stéréotypes de genre et ceux des minorités sexuelles, Queer, sont utilisés tant par les promeuteur·ices que par les autorités municipales en utilisant le pink-washing3. Afin de faire la promotion d’une ville tolérante et accueillante, voire amusante où les activités sont variées sur le plan artistique et culturel, la différence sexuelle est de plus en plus utilisée comme symbole de progrès et de modernité. Par exemple, la Marche des Fiertés est initialement une manifestation politique des personnes Queer pour revendiquer leur droits mais tend parfois à ressembler à une occasion de faire la fête. Valentine témoigne : « La Pride, y’a un peu tout le monde qui vient et ce n’est pas si safe. J’me rappelle de la Pride de Lyon y’a 2 ans, j’avais vu une meuf qui se faisait coller par des mecs. C’était vers un char où il y avait de la musique et les gens étaient venus parce qu’ils pensaient que c’était la fête alors que ce n’est pas ça »4 .

En quoi la gentrification complique l’existence d’espaces queer ?

1 Inexistants – Libération (liberation.fr) 2 Entretient semi-directif réalisé en visioconférence avec Valentine le 24.02.2021 3 Pink-washing : « expression critique qui révèle une technique de communication par laquelle une entreprise, une entité politique ou une institution ‘‘lave’’ son image et se rachète une réputation en s’affichant bienveillante envers les personnes LGBT, alors que les faits révèlent qu’il ne s’agit que d’une stratégie de relations publiques sans véritables actions et investissements. » Définition tirée du glossaire de Mahé Cordier-Jouanne 4 Entretient semi-directif réalisé en visioconférence avec Valentine le 24.02.2021 28

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