Littérature et société

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Travaux photographiques et d’écriture réalisés par les élèves de Seconde Option « Littérature et Société »

Nathalie MERENDA (professeur de Lettres) Martine LEFEBVRE (professeur documentaliste) Fabienne RONDET (professeur documentaliste) Simon COUVIN (photographe)

Lycée du Parc impérial, Nice 2011-2012

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L’enseignement d’exploration « Littérature et Société » dont les finalités ont été définies au Bulletin Officiel de l’Education Nationale n° 4 du 29 avril 2010, a permis d’offrir cette année à un groupe de 19 élèves de Seconde, la possibilité de travailler autour d’un projet fédérateur et propice aux échanges : Le prix littéraire PACA. Les ateliers photographiques, les rencontres avec les différents auteurs du prix, avec des libraires spécialisés, la visite d’exposition de clichés photographiques.. a été l’occasion de travailler les liens entre image et récit : Quelle(s) image(s) un texte donne-t-il à voir ? Quelle(s) fiction(s) peuvent naître de l’observation d’une image ? La rédaction de critiques littéraires à des fins de publication en ligne (sur le blog du prix littéraire et sur le blog du CDI-lycée), les différents débats autour des lectures ont eu pour effet d’inciter les élèves à améliorer leur capacité d’argumentation et de raisonnement. C’est en expérimentant des situations concrètes d’activités faisant appel à leur capacité de création, qu’ils ont pu développer leur curiosité intellectuelle, leur esprit critique et leur désir de se cultiver tout en se construisant une « formation humaniste au sens large et moderne du terme ». Ce recueil tente de restituer un peu de ce parcours. Les professeurs encadrant le projet: Nathalie Merenda, professeur de Lettres Martine Lefebvre et Fabienne Rondet, professeurs-documentalistes

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Sommaire Atelier photographique « Photos- romans » encadré par Simon Couvin

pp. 7- 21

Illustrations Inspirées de Black Rock d’Amanda Smyth Cliché de Marie, Anne-Laure, Aline Cliché de Roxane, Aurélie, Marie Cliché de Louiza, Nastassia

pp. 12-13 pp. 14-15 pp. 20-21

Illustrations Inspirées de Jésus et Tito de Velibor Čolić Cliché d’ Axelle, Marthe

pp. 18-19

Illustration Inspirée de Rosa Candida de Audur Ava Olafsdottir Cliché de Coralie, Laura, Pauline

pp. 10-11

Illustrations Inspirées de Le reste est silence de Carla Guelfenbein Cliché de Estelle, Erika, Eléa Cliché de Ramzi, Kévin, Jordi 

Choix de critiques littéraires

pp. 8-9 pp. 16-17

pp. 22- 30

« Cinq mille kilomètres par seconde : la sincérité en accéléré » (Manuele Fior, Cinq mille kilomètres par seconde ) pp. 23-24

« Le début d'une nouvelle vie» (Lionel Salaün, Le retour de Jim Lamar)

pp. 25-26

« Au centre de la maison d'eau » (Carla Guelfenbein , le reste est silence)

pp. 27-28

« Rosa Candida : la vie au cœur d'une fleur » (Audur Ava Olafsdottir , Rosa Candida)

pp. 29-30

Quand la photographie provoque la fiction…

pp. 31- 40

Création de nouvelles autour de l’exposition « 12345 » de Sarah Moon (Théâtre de la photographie et de l’Image, Nice; 5 Nov.2011-12 Fév. 2012)

Paris, Juillet 1946..., Aurélie inspirée par Bas de coton Le Mariage…, Marthe La Goutte d’eau...Eléa inspirée par Noël au Portugal

« Se souvenir des belles choses... »

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pp. 32-34 pp. 35-37 pp. 38-40

p. 41


Atelier photographique « Photos - romans » encadré par Simon Couvin, photographe

Notre projet : utiliser la photographie comme média de restitution des impressions de lecture, travailler sur un autre langage que le texte, donner à voir. La démarche : choisir un passage significatif ou aimé d’un des romans de la sélection, le mettre en scène par l’image, donner une autre place au mot. La difficulté : travailler en groupe sur une création artistique par essence personnelle. Le résultat : une série de photographies sans lien visuel entre elles, à regarder séparément, sans chercher une cohérence à l’ensemble. Chaque oeuvre est le fruit d’une interprétation personnelle du roman choisi. 7



Illustration photographique inspirée du roman Le reste est silence de Carla Guelfenbein Editions Actes Sud

Notre choix s'est porté sur le roman Le reste est silence de Carla Guelfenbein, plus précisément de la page 15 à la page 19, les premières pages du roman (« Au niveau du sol ça ne manque pas de jambes […] On m'a dit qu'elle était tombée malade subitement. Et qu'elle était partie. ») . Ce roman raconte l'histoire du petit Tommy, atteint d'une maladie qui l'isole, et dont il ne peut être soigné. Nos photos illustrent la découverte du secret pesant de son père.

Dans le passage que nous avons choisi, Tommy décrit les personnes de son point de vue de petit garçon. Il enfreint les règles imposées par son père en se cachant sous une table, lors d'une soirée mondaine, tout en enregistrant la conversation qu'ont les adultes au-dessus de lui. Il compare de façon amusante et enfantine le bas des jambes des convives de cette table avec des animaux. Malheureusement, ce petit garçon va apprendre une nouvelle qui va bouleverser sa vie : le suicide de sa mère, qu'il pensait morte d'une maladie. Autour de lui, tout est sombre et triste, parsemé de problèmes, car son père symbolise l'autorité et qu'il lui fait peur. Il est seul face à ce monde, face à sa famille. Ce passage montre que Tommy essaie de se divertir par tous les moyens : il imagine des animaux, mets des étiquettes sur les personnes... C'est sa façon à lui de s'amuser.

Estelle, Erika, Eléa

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Illustration photographique inspirée du roman Rosa Candida de Audur Ava Ólafsdóttir Editions Zulma

À travers ces photographies, nous avons voulu illustrer la métamorphose d'un jeune homme dévasté par la mort de sa mère. Ici, la rose représente l'état émotionnel d'Arnjoltur. Illustration photographique inspirée du roman Rosa Candida de Audur Ava Ólafsdóttir éditions Zulma

Arnjoltur surnommé Lobbi, quitte l'oppressante maison familiale, laissant derrière lui son vieux père, son frère autiste, et une enfant conçue lors d'une nuit avec une inconnue. Il se reconstruit peu à peu dans l'enceinte d'un monastère où il est jardinier. Au fil de l'histoire il apprend à assumer son rôle de père. Nous avons choisi, l'évolution du personnage principal tout au long de l'histoire, de celle d'un jeune homme dévasté par le décès de sa mère à un homme reconstruit et épanouit. Nous avons voulu mettre l'accent sur un épisode de vie touchant, évoqué dans tout le roman. La démarche adoptée est symbolique, s'inspirant des différentes associations que fait l'auteur entre le personnage, sa transformation et divers objets. Première photo : la scène évoquée est l'accident de voiture de la mère du héros symbolisée par la flaque et les débris de verre. Nous avons pris la photo en plongée, car le personnage lorsqu'il repense à cet épisode, il lui semble lointain. Le gant symbolise la mère, en effet c'était une passionnée de jardinage, passion d’ailleurs qu’elle partageait avec son fils. La rose incarne l'état moral initial du protagoniste, celui d'un jeune homme emporté par le chagrin et n'arrivant pas à se défaire, même s'il le souhaite, de son passé. Deuxième photo : la scène évoquée est la quête de son épanouissement personnel, d'un chemin de vie. On observe la reconstruction du personnage symbolisé par les pétales de rose qui rejoignent les feuilles vertes représentant sa nouvelle vie, le tout porté par son amitié avec le moine symbolisé par la croix. Là aussi, la photo est prise du dessus comme si le personnage ne réalisait pas sa transformation, se laissait porter sans prise de conscience. Coralie, Laura, Pauline 10



Illustration photographique inspirée du roman Black Rock d’Amanda Smyth Éditions Phébus

Nous avons choisi d’illustrer un passage du livre « Black rock » , écrit par Amanda Smyth.

Le passage illustre le moment où Célia, l’héroïne du livre, reçoit une lettre de sa tante qui lui annonce la mort de Roman, l’homme qui l’a violée dix ans auparavant, un homme ignoble, violent, alcoolique, le mari de sa tante, qui l’a élevée lorsqu’elle était orpheline. Nous avons souhaité illustrer les sentiments très violents que ressent Célia au moment où elle apprend ce décès. Il se révèle en fait comme un soulagement et une très bonne nouvelle. Sur ces photos, nous avons voulu mettre en avant les symboles de la liberté : les chaînes brisées, l’oiseau échappé de sa cage, et l’apparition de lumière au milieu de l’obscurité.

Marie, Anne-Laure, Aline

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Illustration photographique inspirée du roman Black Rock d’Amanda Smyth Éditions Phébus

L’histoire se passe dans les années 50, à Trinité-et-Tobago, une île près de l’Uruguay. Célia, jeune orpheline passe à l’âge adulte subitement, après un viol. La jeune fille quitte alors sa famille pour vivre, enfin .

Pour illustrer l’œuvre, nous avons représenté un passage qui la résume. De cette façon, nous nous sommes arrêtées sur le passage d’une prédiction; Madame Jeremiah, une sorte de voyante lit l’avenir de l’héroïne alors qu’elle est encore vierge. Les cartes désignent la relation aux hommes que Célia entretient au cours de son périple; elle recherche l’image de son père, inconnu. C’est un jeu où elle est vue comme un simple objet.

Madame Jeremiah le lui avait annoncé : « tu feras couler le sang. Les hommes te désireront comme ils désirent un verre de rhum. On le boit d’un trait, on pisse ensuite, tu éloigneras le mauvais sort et tu te sauveras d’une vie difficile que tu vas te construire. Maintenant, je vais t’exorciser(…)Viens je vais t’aider. » Roxane, Aurélie, Marie

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Illustration photographique inspirée du roman Le reste est silence de Carla Guelfenbein Editions Actes Sud

Nous avons choisi une symbolique christique pour représenter ce moment bouleversant dans le roman où le héros , un adolescent d’une douzaine d’années, se suicide en se jetant du haut d’une falaise.

La mise en page des deux premières photographies, représentant ce moment, a été réalisé par juxtaposition des deux clichés qui forment ensemble une croix, accentuant l’allégorie du Christ. Pour la troisième photo, nous nous sommes directement inspirés d’un passage décrit dans le roman, en choisissant de représenter cet instant par un cadrage en contre-plongée, afin de représenRamzi, Kévin, Jordi ter l’appel du vide. L’insertion de la phrase : « je regarde le ciel » exprime le regard que

porte l’adolescent sur

sa propre mort.

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Illustration photographique inspirée du roman Jésus et Tito de Velibor Čolić Editions Gaïa

« Jésus et Tito » raconte la jeunesse de Velibor Čolić, enfant né en Bosnie, sous le régime du Maréchal Tito. Il est élevé et partagé entre le catholicisme de sa mère et le communisme de son père. L'hésitation est omniprésente tout au long du roman. C'est le sujet principal de l'histoire.

Nous avons choisi ce passage du livre car il représente bien ce à quoi est confronté Velibor durant l'histoire. La partie droite de l'affiche représente la figure paternelle et le régime de Tito. Le coté droit symbolise la mère et la religion catholique. La balance représente l'hésitation et le choix que doit faire Velibor. La création de cette affiche a nécessité de nombreux accessoires (képi, nourriture, balance...) et plusieurs heures de travail. Le montage de l'affiche sur ordinateur à été la partie la plus compliquée du projet. Trouver une ambiance et donner l'illusion du souvenir était plus complexe que ce que nous pensions. Marthe, Axelle

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Illustration photographique inspirée du roman Black Rock d’ Amanda Smyth Éditions Phébus

Dans le roman Black Rock d’ Amanda Smyth, Célia est une jeune orpheline qui a perdu sa mère. Elle vit avec sa tante Tassi, ses deux cousines et Roman Bartholomew le mari de Tassi. C'est un homme cruel et sans cœur.

Le passage choisi représente le jour de ses seize ans au moment où Tassi et ses filles vont au village afin d'acheter un gâteau pour fêter cet événement. Célia décide de rester les attendre à la maison. Peu après, Roman rentre ivre et trouve Célia qui joue dans le jardin. Il lui dit d'horribles paroles et tente d'abuser d'elle. Célia se défend mais en vain. Elle se retrouve seule sur le sol, atrocement violée par son oncle. Le lendemain, Célia décide de quitter sa famille et sa ville. Démarche: Photos du gâteau: Sur le gâteau on distingue deux bougies. Elles représentent les seize ans de Célia et le jour du viol. Photos des yeux: Les yeux symbolisent le regard noir de Roman Bartholomew ressenti par Célia. Photo de la main: La main montre l'abandon de Célia, et son envie de quitter le pays. Photo de la jeune fille: Le fait de voir cette jeune fille de dos en ayant la tête de profil caractérise la tristesse et la solitude de Célia. Nous pensons que ce passage reflète bien la cruauté du viol dont certaines personnes sont victimes. Louiza, Nastassia

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Choix de critiques littéraires « Cinq mille kilomètres par seconde : la sincérité en accéléré » - Auteur : Laura (Manuele Fior, Cinq mille kilomètres par seconde )

Choix

de critiques littéraires

« Le

« Cinq mille kilomètres par seconde : la sincérité en accéléré » (Manuele Fior, Cinq début d'une nouvelle vie» - Auteur : Eléa mille kilomètres par se(Lionel Salaün, de Jim Lamar) condeLe ) p.retour 22 « Le début d'une nouvelle vie» (Lionel Salaün, Le retour de Jim Lamar) p. 24

« Au centre de la maison d'eau » - Auteur : Eléa (Carla Guelfenbein , le reste est silence)

« Rosa Candida : la vie au cœur d'une fleur » - Auteur : Laura (Audur Ava Ólafsdóttir , Rosa Candida)

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« Cinq mille kilomètres par seconde : la sincérité en accéléré » « Manuele Fior dépeint les couleurs de la vie et s'empare de notre cœur de lecteur ». Cinq mille kilomètres par seconde, un titre énigmatique et qui peut prêter à confusion. Non, il ne s'agit pas de l'album photos d'un globe- trotteur inconnu! Mais d'une bande-dessinée où l'on nous expose le cycle de la vie teinté d'émotions véritables. Un challenge de livrer aussi succinctement, sur quelques planches, des relations humaines non sur-jouées, aux allures de peinture à effet miroir. Effectivement, en nous laissant porter par l'histoire romantique des deux protagonistes, Lucia dite Lucy et Piero, on est surpris par la frappante sincérité des événements narrés.

Manuele Fior a choisi de découper sa bande-dessinée en 7 parties, chacune d'elles illustrant un épisode de vie accompagné d'un ou plusieurs sentiments dominants symbolisés par la couleur la plus présente dans les dessins. Le jaune et le vert nous explosent au visage durant toute la première partie. Ici, on suit la rencontre entre Lucia, Piero et Nicolas, le meilleur ami de Piero. Ils sont aux alentours de leurs dixhuit ans. En fin de partie, la possibilité d'une relation amoureuse entre Piero et Lucy est suggérée. Le jaune et le vert marquent la jeunesse des personnage, l'entrain de Piero et l'instabilité de l'avenir : "Des projets pour l'avenir?" (p.9). Une nette différence nous saisit lorsqu'on commence la seconde partie, le bleu domine et fait régner une atmosphère froide, une rupture entre les deux premiers passages. Nous sommes deux, trois ans plus en avant. Lucy se trouve en Norvège, elle est accueillie par une femme et son fils du même âge qu'elle. Nous apprenons alors qu'elle est encore en couple avec Piero mais plus pour longtemps puisque l'éloignement lui fait réaliser qu'elle ne ressent plus rien pour lui. Elle lui écrit alors une lettre de rupture. Rupture loin d'être trop douloureuse pour elle : Sven, le fils de la femme qui l'héberge, l'embrasse le soir même. Le bleu, ici, reflète la réflexion mais aussi la liberté. En cette troisième partie, nous basculons dans l'univers de Piero. Nous suivons notre jeune adulte dans son voyage à travers l'Égypte car il doit rejoindre un site archéologique où il participera aux fouilles. Durant son long trajet en train, il est pris d'une fièvre et se met à rêver de Lucy. Le marron nous accompagne, exprimant le mal être, la rancœur et même une certaine agressivité sous-jacente. Lucia est enceinte de Sven dans cette quatrième partie. 23


Mais le norvégien ne lui porte plus grand intérêt et malgré l'enfant qu'elle porte, elle décide de retourner chez elle en Italie : "Je veux retourner chez moi. […] Non je veux retourner en Italie" (p.90). Les différentes scènes sont imprégnées de rose : l'épanouissement, la régénération, la pureté sûrement en liaison avec le fait que Lucy soit enceinte. En parallèle, nous retrouvons alors Piero, dans cette nouvelle partie. Il est de retour en Égypte mais vient d'apprendre qu'il va devenir père. Son employeur suggère le fait qu'il ne participera donc plus trop aux fouilles. En soirée, il reçoit un coup de téléphone de Lucy. Agréablement surpris, il lui demande de ses nouvelles et lui rappelle leur jeunesse. L'orange se faufile de-ci de-là représentant un apaisement, un besoin de jouissance, d'expansion et un équilibre fragile. Le violet - la mélancolie, la nostalgie de la flamme éteinte, le besoin de tendresse et de douceur - s'impose dans cette cinquième partie. Nous sommes en Italie, Piero et Lucia s'attablent dans un restaurant sur le point de fermer. Les bouteilles de vin leurs font tourner la tête et Piero amorce un sujet sensible : la possible relation qu'auraient eue Nicolas et Lucy à l'époque. Aucune explication ou même preuve n'est apportée puisque Lucy coupe court. La fin de soirée est mouvementée : dans un élan de passion, nos deux protagonistes ont presque un rapport sexuel mais Piero, soumis aux effets de l'alcool, est impuissant. Après cela, ils marchent encore un peu dans les rues, évoquant leurs voyages et les conséquences qu'ils ont eues : "Te dire que tu as fait tes expériences et qu'il est temps de rentrer à la maison" (p.129). Lucy finit par mettre Piero dans un taxi automatique et s'en va même si ce dernier essaie une dernière fois de savoir ce qu'il s'est passé entre elle et Nicolas. Lucia continue son chemin... Et retrouve Nicola avec qui elle est en couple désormais. La boucle se referme par un retour en arrière : Lucy et Piero ensemble lorsqu'ils avaient dix-huit ans, juste avant leur première fois. Tout est jaune et vert : plein d'entrain et de nouveauté. Manuele Fior nous livre un amour de jeunesse tout en justesse. Il nous le livre éphémère et inoubliable. Un souvenir qui nous poursuit inlassablement. Un amour à la fin, on ne sait pourquoi, inévitable. Tous ces fragments de vie illustrés ont pour seul point commun cette histoire inachevée. Et quand finalement l'occasion des retrouvailles, d'un renouveau sentimental se présente, l'auteur préfère la réalité à la fiction et la fatalité rentre en action. Une bande-dessinée à admirer pour la franchise de l'histoire et pour le tourbillon d'émotions formé par le travail artistique. " Laura, Parc Impérial, Nice 24


« Le début d'une nouvelle vie » Un jeune garçon qui apprend, en quelques jours, beaucoup plus de choses sur la vie qu'en treize ans d'existence; l'histoire de Lionel Salaün est une véritable merveille, écrite dans un univers dont seul lui connaît la clef.

Le retour de Jim Lamar, premier roman de Lionel Salaün, s'avère une histoire pleine d'émotions, de surprises, mystérieuse et révélatrice à la fois. Jim Lamar, parti à la guerre du Vietnam, revient après treize ans d'absence ; ses parents, morts avant qu'il n'arrive, ont laissé une maison vide, pleine de mystères, qui inspire un sentiment de peur chez les habitants du petit village de Stanford. Mais alors que le revenant est rejeté de tous, que chacun le pense « mortvivant », un jeune garçon de treize ans, Bill, se retrouve chez lui après une coursepoursuite virulente ; il se trouvait dans la forêt avec son cousin, et se croyant pourchassé par un ours, il trébuche et se blesse à la cheville ; le poursuivant n'était autre que Jim Lamar... qui finalement, n'était pas comme ce que les villageois racontaient. Il guérit le jeune garçon, qui se prend d'une étrange admiration pour cet homme. Bill retourne le voir chez lui plusieurs fois, ou le rencontre à l'endroit où il reste le plus souvent, son « jardin secret » : les rives du Mississipi. Ils se lient très vite d'une amitié, si forte et si émouvante, qu'elle en est presque indescriptible. L'auteur, lui, sait poser les mots justes pour décrire l'avancée de ce sentiment : il nous porte avec lui dans son roman, nous fait nager avec ses personnages au rythme du Mississipi, et nous fait découvrir, à nous aussi, ce que Bill découvre par la suite. Un homme blessé par son passé, dont il ne parle à personne, qui a vécu et surmonté des épreuves, qui a perdu des êtres chers, et qui revient maintenant à son point de départ, pour tout reprendre de zéro. Enfin, pour essayer de tout reprendre de zéro. Car on le sait, on le devine au fur et à mesure, Jim ne restera pas à Stanford. Non pas à cause de ce rejet des villageois autour de lui, mais parce que c'est inévitable ; il doit mener sa vie ailleurs, il doit retrouver les familles de ses compagnons morts à la guerre. Et Bill le sait aussi qu'il ne restera pas, il le devine en même temps que nous ; mais le sujet reste sous-jacent, pour ne pas détruire cette relation qui s'est installée entre eux. Bill a envie de connaître l'histoire de cet homme, quelle qu'en soit la tournure (« Embarqué une fois encore dans les méandres de sa mémoire, je me laissais porter au gré de son courant aussi tortueux que celui du Mississipi. » page 171). Rien ne l'empêchera de connaître cette histoire, pas même les rumeurs des villageois, 25


ni l'arrivée soudaine de son horrible oncle Homer, qui deviendra un poison dans sa vie avant de partir aussi subitement qu'il était venu. Jusqu'à ce qu'il sache tout, et que Jim Lamar parte peu après de Stanford. L'histoire est très bien menée par l'auteur, du début à la fin. Les personnages sont très attachants, rêveurs, mystérieux, dotés d'un sens de la réalité frappant, autant chez Jim Lamar, homme ayant fait la guerre, que chez Bill, simple enfant de treize ans. Mais il n'y a pas que cela : Lionel Salaün nous invite à entrer dans son roman, dans l'univers qu'il a créé, à nous attacher nous aussi à Billy et Jimmy.

On apprend à faire leur connaissance pendant toute l'histoire, et seulement à la fin, on s'aperçoit qu'ils pourraient être comme nos proches, que maintenant qu'on connait leur histoire, ils n'ont plus aucun secret pour nous : on est comme happés par le roman. On est avec Bill quand il reçoit la lettre de Jim à la fin, on est à ses côtés, on pourrait presque lui tendre la main pour le réconforter. On le connait si bien qu'on irait avec lui sur les rives du Mississipi, et en silence, on écouterait la douce mélodie de l'eau. Et on repenserait, avec un pincement au cœur, à cet homme si surprenant et admirable, mystérieux et sage : Jim Lamar.

Une histoire pleine de réalisme, touchante, qui nous transporte en nous faisant frissonner de bonheur, de plaisir, et d'appréhension concernant la suite et la fin de la vie de Jim Lamar. Pour un premier roman, Lionel Salaün sait exactement où nous transporter, et comment nous faire rêver. Un livre émouvant qui ne manque pas de charme, et qui dénonce bien, tout en nous le faisant passer à travers la relation de Bill et Jim, les marques et les cicatrices de la guerre.

Eléa, Parc Impérial, Nice 26


« Au centre de la maison d'eau » (Carla Guelfenbein , le reste est silence) Des personnages qui doivent faire face aux mensonges pour trouver leur place. La tristesse et le style dans lequel écrit Carla Guelfenbein est une véritable magie.

Le reste est silence, troisième roman de Carla Guelfenbein, s'avère être une histoire pleine de remords et de regrets, de tristesse et d'émotions, de mélancolie et de nostalgie. Dans ce roman, on pourrait croire à un simple rêve, ou plutôt un horrible cauchemar ; et Tommy, petit garçon si simple et si ouvert à la vie, se réveillerait en parfaite santé, regardant d'un œil vif son père Juan et sa belle-mère Alma, aimerait jouer avec Lola, sa demi - soeur, et écouter les histoires de sa grand-mère Manà. Il n'aurait pas d'ami imaginaire, il n'enregistrerait pas les conversations des adultes sur son petit mp3, il ne chercherait pas sa place dans ce monde aux couleurs si sombres. Sa mère ne serait pas morte d'un suicide, et il n'aurait aucune raison de chercher des réponses à son existence. Il mènerait une vie heureuse, comme n'importe quel petit garçon de douze ans. Pourtant, l'histoire ne se passe pas comme cela ; et Tommy continue d'en savoir plus, il est le seul à connaître le secret d'Alma, le seul à voir le désespoir de son père comme un supplice, le seul à se montrer dans sa véritable identité. Il affronte la vie comme un adulte le ferait, ne renonce jamais à accomplir ce qu'il veut accomplir. Jusqu'au moment où il a tout résolu, où l'énigme dans laquelle il vivait jusque là ne soit plus qu'un mauvais souvenir. Alors, il ferme les yeux… Mais pourquoi alors Le reste est silence ? Tout simplement car à travers ce romans on remarque la solitude des personnages, la bulle qui les isole du reste du monde, un peu comme si le temps s'arrêtait autour d'eux. Comme si ce n'était qu'un simple rêve, et que « la maison inhabitée remplie d'eau » (p.35) dans laquelle Alma s'est enfermée prenait vraiment forme. Alors vraiment, l'histoire qui accompagne les personnages, cette histoire aux couleurs si ternes, ce « silence blanc, silence noir » (première partie) n'aura pas de dénouement heureux ? Impossible, car on le sait dès le début. Cette histoire ne peut que se finir mal. Cette vérité ancrée dans toutes les pages du roman, qui ne pourra être changée – le silence perdurera jusqu'à la fin, aussi pesant soit-il – nous donne cette sensation de vouloir réécrire quelques passages, pour rendre son sourire à Tommy, pour rétablir le lien entre Alma et Juan. Inépuisable vérité qui rend ce roman si émouvant, dont les auteurs ne sont que simplement les personnages eux-mêmes. 27


Il y a Tommy donc, petit garçon de douze ans, atteint d'une maladie dont il se serait bien passé, le rendant si isolé des autres... Autour de lui, les histoires de Juan et d'Alma viennent porter le coup de grâce au petit garçon, bien que les adultes ne s'en rendent pas compte. Les personnages révèlent tous leurs désirs cachés, alors que « dans les non-dits des autres, chacun cherche sa vérité » (4ème de couverture).

Une histoire très bien menée par l'auteure, du début à la fin. Personnages attachants donc, mais aussi un récit avec une fluidité renversante. Les mots sont posés délicatement au bon endroit, rendant parfois un passage très poétique (là encore on se réfèrera à « la maison d'eau », passage d'une magie extrême) et aussi très tragique : « Je vois Kàjef au fond de la mer, son corps qui s'agite, comme celui d'un poisson. J'ai tout cela à l'intérieur de moi, je suis tout cela. » (page 257). La narration est difficile à suivre au début, mais dès que les repères sont pris on distingue facilement chaque personnage ainsi que le narrateur. Ils ont chacun un caractère et une manière de parler qui leur est propre, il faut juste s'y habituer, et se laisser porter par leurs mots comme on se laisserait porter par un courant. On ressent chacune de leurs émotions comme une décharge électrique, et leur culpabilité donne son sens au roman ; on peut vivre dans le mensonge, mais pas sans laisser de trace. Mélancolie, mensonges sur le passé, appréhension du futur, Carla Guelfenbein nous le montre bien dans son roman. On pourrait même penser à un vécu de l'auteure tellement l'histoire est bien contée. Un livre écrit avec les sentiments, très émouvant, qui donne à la vie un sens nouveau et peut-être pour certains une vérité absolue. Eléa 28


« Rosa Candida : la vie au cœur d'une fleur » Un jeune homme se construit tandis qu'une rose s'épanouit: Audur Ava Olafsdottir a réussi son pari.

Rosa Candida est le nom d'une variété de rose à huit pétales. Titre aux allures de roman à l'eau de rose n'est-ce-pas? Mais ne vous fiez pas tant aux apparences. Certes, les sentiments sont bien là dans ce petit bout de vie fictive mais nous allons bien au-delà de la banale histoire d'amour! Celle-ci n'est d'ailleurs pas le sujet principal de notre livre. Non, à travers les pages, Audur Ava Olafsdottir nous livre le passage d'un jeune homme mal dans sa peau à un père qui prend sa vie en main. L'épanouissement du petit Lobbi au parfum gourmand et fleuri.

Lobbi est le surnom d'Arnljotur, narrateur et protagoniste de ces trois cents vingt-deux pages. Le roman est clairement scindé en deux parties : la remise en question et les fondations d'une nouvelle vie. La remise en question tout d'abord. Arnljotur se remet à peine d'un choc émotionnel intense : l'accident de voiture dans lequel sa mère est décédée : "on nous remit un sac contenant ses vêtements et ses lunettes ainsi que la griffe à myrtilles et d'autres affaires qui étaient dans la voiture. Les lunettes étaient ensanglantées et les verres en miettes; une des branches était déviée à quatre-vingt-dix degrés" (p.83). Vient alors ce besoin de partir, de s'éloigner. En partant, Arnljotur laisse derrière lui un père bientôt octogénaire, un frère autiste mais surtout une jeune femme qui se prénomme Anna avec qui il a eu un enfant, Flora Sol. Talentueux horticulteur, il ne veut pas faire d'études mais travailler dans la terre, passion des plantes qu'il partageait avec sa mère. Durant le voyage vers une mystérieuse roseraie nous apprenons à mieux connaître le petit Lobbi de vingt deux ans. Effectivement, à travers ses souvenirs, nous découvrons sa relation éphémère avec Anna, l'impact qu'a eu sur lui la disparition de sa mère mais aussi ses trois grandes obsessions : la végétation, la mort et les corps. 29


La deuxième partie du livre est marquée par l'arrivée d'Arnljotur dans ce petit village en quelque sorte coupé du monde: "le village est construit sur une éminence rocheuse et j'aperçois tout de suite le monastère, au sommet du rocher" (p.141). Déjà à cet instant, une impression de nouveau départ se fait sentir. Il fait la connaissance de Frère Thomas, moine cinéphile qui deviendra un confident et un conseiller important pour le protagoniste. L'exploration de la roseraie qu'il doit remettre en état et son investissement dans cette tâche souligne un peu plus les premiers pas de l''évolution morale du personnage. Au fil des pages tout bascule: Anna et sa fille reviennent dans sa vie et c'est un autre homme que nous trouvons dans l'église à la fin du livre : un père ébloui par l'avenir ensoleillé qui s'offre à lui avec sa fille à ses côtés.

Tout ceci nous est raconté dans un style d'écriture assez particulier. Particulier car hétérogène : d'une part les scènes de vie et la majorité du roman nous sont racontées avec une fluidité, une réalité et une sincérité rare. D'autre part, Audur Ava Olafsdottir glisse dans son récit des passages où règne l'implicite, comme si une brume plus ou moins épaisse s'était étendue sur les pensées d'Arnljotur. En ce qui concerne la narration, le choix de la première personne est certes attendu mais c'est le plus judicieux afin que le lecteur puisse apprécier toute la dimension émotionnelle mise en place par l'auteur. Il est agréable d'avancer pas à pas avec le personnage mais surtout, le thème abordé étant principalement la famille, un sujet intime donc, la première personne nous permet de faire vraiment partie de l'histoire, de ne pas nous sentir comme intrus dans la vie du protagoniste. Le sujet exploité, quant à lui, peut soulever des opinions contraires. Certains diront qu'il n'a rien d'original, que c'est du vu et du revu. Mais le talent n'est-t-il pas là? Prendre un sujet déjà visité et faire que, tout de même, le lecteur reste suspendu au roman jusqu'au point final. Rosa Candida est donc un morceau, aux saveurs diverses, de la vie d'Arnljotur Thorir. Bercé par les remarques farfelues même parfois incongrues de celui-ci. Audur Ava Olafsdottir réussit habilement à nous attacher à ses personnages, surtout à la petite Flora Sol aux jolies boucles blondes avec "sa robe jaune à fleurs, ses chaussures du dimanche et son bavoir" (p.288). Un beau petit moment de plaisir, de simplicité et de sourires en coin. Laura 30


Quand la photographie provoque la fiction… Création de nouvelles autour de l’exposition « 12345 » de Sara Moon (Théâtre de la photographie et de l’Image, Nice; 5 Nov.2011-12 Fév. 2012)

Objectif: S’aventurer dans l’écriture d’un texte court qui restituera l’ambiance ou l’histoire de cette photographie, où ces photographies provoquent la fiction

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Paris, Juillet 1946, nouvelle inspirée de la photographie de Sarah Moon « bas de coton » Au bar, un homme brun attira son attention. Il était attablé et prenait un verre de rhum, par un chaud après-midi d'été. Seul, la tête baissé, le corps cambré à la table, il semblait déprimer. Mais à quoi pouvait-il bien pensait ? Sylvain, journaliste et écrivain, se sentit de suite attirer par l'aura qui se dégageait de cet homme . Il y avait dans sa façon de se tenir, de regarder dans le vide son verre d'alcool, un découragement. Une histoire d'argent ? Avait-il perdu un proche ? Une femme lui avait -elle brisait le cœur ? Qui sait ? C'est à ce moment là que Sylvain décida de mettre en œuvre son enquête. Voici un bon départ pour son prochain roman: L'homme désespéré... non, non ! Assurément pas... l'homme au bar ? Bien, on y reviendra une prochaine fois ! Songea Sylvain. L'homme triste se leva de table difficilement étant ivre et manqua de renverser une serveuse qui passait derrière lui. Il s'excusa. Enfin il essaya plutôt de prononcer ces quelques mots. Sylvain remarqua ses traits tirés, son teint pâle, ses cheveux. C'était un vrai champ de bataille. Puis, il considéra ses vêtement. Il le regarda de pied en cap. Il n'était pas désagréable à regarder, ce pauvre homme, mais il était vraiment dans un mauvais état. Son pantalon vert kaki semblait sale, seul son pull avait l'air de ne pas avoir beaucoup souffert. Soudain, un serveur le héla, en montrant une photo. L'homme lui répondit en faisant un geste de la main, désignant qu'il n'en voulait plus. Le journaliste sauta sur l'occasion qui s'offrait à lui et prit l'image que le serveur avait laissé poser sur le comptoir du service. Ce qu'il vit le mit de suite sur une piste. Voilà qui était intéressant! Une femme. La moitié, devrait-on dire. Il n'y avait que le bas de son corps. Elle avait l'air très belle, à vrai dire. Dommage qu'on ne pouvait pas apercevoir son visage. Elle portait une jupe ample, à la mode, avec des bas et des chaussures à brides, à la mode aussi. C'est ce qu'elles appelaient, les femmes, le «New look», inventait par Christian Dior. Cette demoiselle était peut-être, ou sûrement ce genre de femme coquette. Il aperçut en bas à droite écrit en minuscule des initiales: L.B Sylvain reprit les affaires et très vite il partit à la recherche de cet inconnus. 32


Le soir, Le journaliste-écrivain savait maintenant où il pouvait trouver son inconnus et faire ses premiers écrits sur sa machine à écrire. Il habitait une petite rue du VIIIème arrondissement de Paris, « la rue de Milan». Demain, il irait demander à ses voisins des renseignements sur lui. Deux mois plus tard, Ah, les femmes! Soupira Armand. Elle a dû partir. Dit Sylvain en hochant la tête. Ou bien elle est morte! Oui mais aucun de ses voisins n'a mentionné une femme dans sa vie. Dit-il en remuant la liqueur dans son verre. Oui mais tu m'as dis... Je sais, qu'il a eu plusieurs maîtresses, et tu penses qu'elle est peut-être l'une d'elles. Et bien, mon cher ami, pourquoi ne pas aller voir directement ce type là ? Non. Cela casserait justement tout le suspens ! Il peut arriver plus de choses si je ne suis pas dans les parages. Un homme, livré à lui-même, en dit des fois plus que lorsqu'il est accompagné. Cela est vrai. Il faut que je continus. Je suis sûr de bientôt découvrir ce qui se trame. Et enfin ! dit Sylvain en levant les bras au ciel, enfin je pourrais écrire ce roman que j'attends depuis si longtemps de commencer ! Ils prirent leurs coupes d'alcool. Au dénouement! trinquèrent les deux hommes. Nice, Novembre 1946 Le journaliste suivit, pendant ces quatre longs mois, son inconnu. Il s'appelait Richard Mouret, il travaillait dans le commerce. Il était plus exactement le patron d'une petite usine de dentelle qui comptait six ouvrières. Ce monsieur avait aussi un goût pour la musique classique et pour les femmes. Il les emmenait souvent à l'opéra, le samedi soir. Il adorait les journaux, et pas n'importe lesquels ! Sylvain fut surpris de savoir qu'il aimait ELLE, VOGUE, FEMME ACTUELLE. Il pouvait regarder une seule page du magazine pendant des heures, assis dans un café. Nice, Juillet 1947 33


Monsieur Mouret était encore attablé à une table. Il buvait un rhum, et il faisait vingt-huit degrés à l'ombre. Voilà un an que Sylvain poursuivait son enquête. Peut-être qu'Armand avait eu raison. Il aurait dû aller voir Richard bien avant. L'histoire aurait été boucler, et son roman presque achevé ! Mais voilà que... Soudain, Sylvain remarqua quelque chose. Richard avait laissé la page ouverte de son magazine en partant ! Sylvain accourut voir cette photo. Une femme y était. Elle portait un néos*, une jupe ample et longue avec des chaussures à brides. Elle avait les cheveux court. Mais son nom n'y figurer point, c'était une pub pour une marque de chapeau. Sylvain remarqua trois dames assises pas très loin, alors il s'approcha d'elles et risqua : Mesdemoiselles, bonjour. Bonjour ! S'exclamèrent les trois filles. Je voudrais juste avoir un renseignement sur cette photographie. Connaissezvous son nom ? Elles plongèrent toutes leurs têtes sur le magazine. Bien sûr ! Comment s'appelle t-elle déjà ? Dit l'une. Mais c'est Louise Brooks ! Dit l'autre. Comment ne pas la connaître ! Commenta encore une autre . Elle est très connue ! Vous ne pouvez pas ne pas la connaître ! J'aimerais tant lui ressemblait ! Regarde ce néos ! Il est splendide tu ne trouves pas ? L.B... les initiales ! Sylvain comprit alors. Richard était amoureux d'une femme, qui était tout simplement inaccessible... et le titre de son roman s'imposa alors à son esprit : « Une triste destinée ». *Le Néos est le corset qui s'adapte le plus facilement à toutes les tailles, il rend aux torses féminins les courbes gracieuses qui sont la parure de la femme.

Aurélie

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Le Mariage 8h00 du matin, un strident « bip bip bip.. » retentit dans le calme de cette chambre. Une frimousse encore toute endormie émerge de sous la couette. Une jeune fille aux idées engourdies par le sommeil apparaît. Dans cet espace, il n’y a que deux meubles, un lit et une armoire. Dans un coin une pile de vêtements d’où dépasse quelques livres et affaires de cour. Juliette Beaumond, cette fille au fond du lit, c’est Juliette Beaumond. 8h30 Juliette jette un œil au Réveil. Un temps encore avant qu’elle ne se lève, enfile en vitesse un jean délavé et un débardeur. Elle jette son sac sur une épaule et quitte la chambre en courant. Un bref « bonjour papa » une bise sur chaque joue et voila. La porte se ferme. Dans sa chambre sur le parquet une photographie noir et blanc, trois instruments et une guirlande lumineuse, au verso est inscrit : Vous êtes convié au mariage de Lise Beaumond et Marc Rutelli, le mercredi 23 Mai 2012 à 18h30 au belvédère de l’Eglise Jeanne d’arc. Nous serions heureux de partager avec vous cet évènement. Lise & Marc. Juliette marche dans la fraîcheur des matins du printemps. Au loin, se dresse l’église et son belvédère, encore éclairé par une guirlande lumineuse, qui cachent un bout d’horizon. Plus que quelques heures et je retrouverai Lise, pense -t- elle. Ma grande sœur va se marier dans dix heures ! Et tout en pensant à l’évènement. Elle rentre dans son lycée et retrouve ses amis. Le temps passe lentement lorsqu’on est impatiente. Les minutes s’égrainent, longues comme des heures. Une heure, Deux heures, trois heures … La sonnerie … midi … Fin des cours. Plus que six heures à attendre et elle retrouvera sa sœur. Même si Juliette n’affectionne pas particulièrement l’époux que Lise a choisi, elle est heureuse pour elle. De plus elle est une des rares personnes à savoir que Lise est enceinte. Lise le lui a annoncé il y a trois semaines. Juliette n’avait pas totalement réalisé sur le coup. Mais maintenant elle était contente, et sera surement marraine.

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Le jour ou Lise lui avait présenté Marc, Juliette avait tout de suite su qu‘elle ne l’aimerait pas. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle n’avait pas accroché, il ne lui avait pas plu. Le regard qu’il lui avait lancé l’avait glacé. De retour chez elle Juliette avale un petit quelque chose et file dans sa chambre. Elle doit encore trouver une tenue car elle n’y a jamais réfléchi et que le mariage aura lieu dans quatre heures. Elle trouve au fond de son placard une petite robe bustier qui fera parfaitement l’affaire, malgré sa discrète poitrine. Son père est déjà sur place, mais s’il avait été là, il l’aurait complimenté sur sa tenue et sur la manière dont ce rouge embellissait son teint. Elle ordonne un peu sa chambre, fait rapidement ses devoirs, se maquille habilement, arrange sa chevelure ébène, enfile ses chaussures et sort de chez elle. 16h30 : Plus que deux heures, son père l’attend en bas de la rue pour l’accompagner jusqu’au lieu du mariage. Arrivée au belvédère de l’Eglise Jeanne d’arc, Juliette cherche immédiatement sa sœur et constate que Lise n’est pas là. Juliette est assez surprise car à 35 minutes de son mariage l’absence de sa sœur est assez incongrue. Marc discute avec le prêtre des derniers préparatifs. Les musiciens installent les instruments de musique. Plusieurs minutes passent sans que Juliette s’inquiète vraiment. Mais petit à petit l’absence de la mariée est de plus en plus remarquée. L’inquiétude gagne peu à peu l’assemblée. Quand soudain, la sonnerie téléphonique de Monsieur Beaumont fend le silence. Il se fige lorsqu’il entend ce qu’a à lui dire le médecin à l’autre bout du fil. Le combiné glisse de sa main. L’homme vient de prendre dix ans. Les larmes coulent et noient son visage. Trois mots seulement parviennent à franchir ses lèvres « Lise est morte ». Il se dirige vers l’Eglise suivi de toutes les personnes réunies pour cette occasion. Restée seule, Juliette contemple sans pouvoir voir à travers le rideau de larmes qui inonde son visage. De cette journée, il ne reste que trois instruments et une guirlande lumineuse qui éclaire le lieu d’une triste lumière. Le calme de cette scène contraste avec la tempête qui secoue maintenant Juliette. Elle tremble, étouffée par les sanglots. Ses reniflements sont les seuls bruits qui viennent troublés, le silence du belvédère éclairé dans la nuit naissante. 36


Juliette est au désespoir. Sa sœur vient de mourir. Sa sœur qui était enceinte. C’est si dur de parler de devoir parler au passé désormais. Le cœur de cette fille de dix-sept ans est en lambeau. C’est drôle la vie pense Juliette, le matin on pense que c’est une belle journée, pleine de bonheur et de sourires, le soir il n’y a que des larmes, un vide qui vous engloutit toute entière. « Je ne la reverrais jamais … je ne pourrai pas lui dire toutes les choses que j’aurais du lui dire avant.. » « Je suis seule désormais » Voila la pensée d’une ado de dix sept ans qui vient de perdre sa sœur.

Juliette fixe les instruments de musique, se lève, quitte l’endroit désert, et rejoint son père. Rentrée chez elle, elle pénètre dans l’ancienne chambre de sa sœur, elle regarde les quelques affaires qu’elle a laissé en partant vivre ailleurs, s’approche du lit, coincée sous la taie d’oreiller une photo noir et blanc déchirée, trois instruments et une guirlande lumineuse, au verso est inscrit : « Vous êtes convié au mariage de Lise Beaumont et Marc Rutelli, le mercredi 23 Mai 2012 à 18h30 au belvédère de l’Eglise Jeanne d’arc. Nous serions heureux de partager avec vous cet évènement. Lise & Marc », pose sa tête sur l’oreiller qui porte encore l’odeur de Lise, ferme les yeux, et s’endort. Une photographie noir et blanc. Trois instruments … une guirlande lumineuse… Un mariage … La mort … Une photographie noir et blanc déchirée … Trois instruments de musique. Marthe

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La goutte d'eau, nouvelle inspirée de la photographie de Sarah Moon « Noël au Portugal »

Et sur celle-là, qui est l'homme à côté de la mer ? Elle est vraiment très jolie cette photographie, mamie... - Il ressentait sûrement le besoin de s'évader. C'était très étrange... Je ne le connaissais pas, mais pourtant j'avais l'impression de savoir exactement ce qu'il pensait. - Et il est où, maintenant, cet homme ? - Je ne sais pas. Il est là où son instinct l'a porté. » Seul. Au calme, dans un silence profond et éternel, presque oppressant, mais seul. Seulement cela comptait ; et je le savais, maintenant que j'étais éloigné de toute civilisation à plusieurs kilomètres alentours, je demeurais serein, presque comme si de rien n'était. Je regardais la mer, l'horizon, ce vide lointain qui me faisait rêver et pour lequel je continuais d'avancer ; je rêvais de m'enfuir, de m'évader, de me laisser porter au gré des vagues de cette immense étendue bleue, pour me réveiller sur un autre rivage, loin d'ici. Mais je me rendais compte que j'étais si petit et si seul devant cet océan mystérieux, ou encore devant cette immense roche devant moi, qui me faisait face, tel un mur m'empêchant d'avancer. Pourrais-je voir là un signe du destin ? C'était comme si on me barrait la route ; lui, si haut et impérial, et moi, si petit et faible ; qui de nous deux l'emportera ? J'étais seul. J'avais tout quitté, tout perdu. J'étais passé de l'état de dominant à dominé ; une force indescriptible me contrôlait, m'aveuglait, me guidait, et m'avait amené jusqu'ici. J'étais attiré par ce courant, par cette eau glacée, par cet étrange inconnu, par cette force noire qui m'appelait, qui me chuchotait de la rejoindre. Et moi je l'écoutais, je n'arrivais plus à la maîtriser ; comme un enfant ne sachant pas nager, je me laissais porter par cette douce utopie, par cet espoir fou et irréalisable. 38


Je m'abandonnais à un sentiment de faiblesse dont la violence me surprenait, et auquel je n'étais pas du tout accoutumé. Je livrais un grand combat à l'intérieur de moi-même. Seul. Ah ! Si j'avais su où tout cela me mènerait ! La patience, l'attente, la victoire, puis la déchéance, la descente aux enfers, l'apothéose d'une histoire qui ne pouvait que se finir comme cela ; la mienne. J'avais gravi les échelons avant de décevoir tout le monde, avant de me décevoir moi-même, et finalement de me décourager. Mon regard déterminé, le même qui, en ce moment-même, arpentait la mer, avait un éclat sombre, presque dangereux, si mystérieux et révélateur à la fois ; j'étais si certain que tout fonctionnerait et que je gagnerais ! Mais j'avais tort d'être autant sûr de moi. Je me rendais compte maintenant, alors que mes pieds défiaient la froideur glaciale de la mer, qu'au final je n'étais qu'un monstre, avide de pouvoir et prêt à tout pour parvenir à gagner en importance. J'étais pitoyable, affreux, et je n'avais qu'une envie : disparaître maintenant, laisser choir mon corps dans l'eau et oublier. Oublier que j'étais seul et triste. Oublier que j'avais mal. Je n'étais qu'une goutte d'eau, vous savez, ces petites choses infinies que l'on trouve dans l'océan, dans les yeux d'une personne triste, ou encore quand le ciel verse lui aussi ses larmes. Je suis là, seul, parmi tant d'êtres aussi isolés que moi, je suis impuissant face à cette foule de personnes, face à cette multitude de gouttes d'eau ; et je suis emporté par un courant, je suis bousculé par la foule, car on ne me remarque pas. On ne me différencie pas des autres. Pourtant, chaque être est différent, chaque goutte d'eau a un goût et un parcours différent, chaque chose est unique ; mais la vie est éphémère pour chaque individu. Au bout d'un moment on s'éteint, on tombe dans l'oubli, dans les ténèbres. Pour toujours. « Je l'ai photographié alors qu'il ne bougeait plus depuis un long moment. Il semblait plongé dans ses pensées, le regard perdu au loin, fixant un point sur l'horizon. Il ne m'a pas remarqué une seule seconde, alors j'ai agi. Discrètement. - Et après ? - Et après, je suis partie. Je l'ai laissé continuer le chemin de sa vie. » 39


J'étais resté immobile pendant une bonne poignée de minutes. Je bougeai finalement ma main et me baissai pour toucher l'eau de mes doigts. Je frissonnai légèrement à son contact, non pas de froid, mais d'excitation ; brûlant d'anxiété dans cette eau glaciale, j'hésitais, je me demandais ce que j'allais décider. Je ne faisais plus totalement confiance à mon instinct, vu où il m'avait mené. Et pourtant, je lui avais accordé tellement d'importance. La rencontre de cette femme, de cette sorte de créature qui m'avait emmené là où je ne serais jamais allé, avait été le début de tout ; j'étais devenu si important, on me couvrait de compliments élogieux à tout moment. Mais, et cela personne ne le savait, je n'avais fait que profiter, mentir, me donner une autre vie. J'avais enfilé un masque et paraissais tout à coup l'homme le plus beau, le plus intelligent, le plus fort qui puisse exister. Moi, ça me plaisait. Je ne me posais aucune question. J'avançais, aveuglé par cette envie d'en avoir encore plus, aveuglé par elle, cette femme dont je dépendais. Tout allait bien, jusqu'au jour où elle m'annonça qu'elle partait. Qu'elle s'en allait pour toujours. Qu'elle emportait avec elle son argent et ma gloire, ou plutôt la gloire qu'elle m'avait offerte. Qu'elle prenait une partie de mon âme, en somme. Que dès lors je serais à nouveau seul, et que les autres se désintéresseraient de moi. Je levai la tête brusquement et regardai loin devant moi J'avais pris ma décision. De toute façon, je n'avais plus rien, plus personne ; j'étais libre. J'avais envie de profiter de cette liberté tant que je le pouvais. Je voulais voir les choses comme dans un rêve, comme dans mon rêve, pour pouvoir les réaliser. Alors, les jambes tremblantes, je commençai ma longue traversée, et m'avançai dans l'eau. Une brise s'éleva, et ignorant la froideur glaciale de l'eau en ce début d'hiver, je continuais, plus déterminé que jamais. Seul. Au calme, dans un silence profond et éternel, presque oppressant, mais seul. L'eau m'arrivait maintenant jusqu'au épaules. Je pris mon inspiration. Puis je fis un grand bond vers l'avant et fermai les yeux, comme pour avoir moins mal, car je ne savais pas nager. « Après tout, une vie, c'est comme une goutte d'eau : elle naît, elle fait son chemin, puis elle tombe et se meurt au milieu des autres sans qu'on la remarque. ». 40

Eléa


« Se souvenir des belles choses... » Rencontre avec un libraire spécialisé de BD fugue, le 30 septembre 2012

Rencontre avec Hautière et François, auteurs de BD, le 23 février 2012

Rencontre avec Amanda Smyth, le 23 mars 2012, traduction assurée par Mme Thompson

Séance de dédicaces pour nos élèves et pour les bibliothécaires de la BMVR

Le prix littéraire PACA, c’est elle aussi!

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