FREE - Yves Zurstrassen

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Free



Yves Zurstrassen Free 2009 2019

Sous la direction de Olivier Kaeppelin

Essais de François Barré Olivier Kaeppelin Sophie Lauwers Anne Pontégnie

FONDS MERCATOR



On peut comprendre quelle lutte représente l’effort pour échapper à la domination du concept mental stéréotypé, à la conscience mentale bourrée de clichés qui s’interposent comme un écran entre soi et la vie. C’est une longue, longue lutte, qui sans doute se poursuivra toujours.

D.H. Lawrence

— La beauté malade, Éd. Allia, Paris, 2017, p 71. Traduction Claire Malroux



Sommaire Introduction 11 Sophie Lauwers

2009-2019 – Penser en peinture 47

YVES ZURSTRASSEN

Anne Pontégnie

Chasseur d’espace Un théâtre de la réinvention Free Energy

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Olivier Kaeppelin

L’atelier du peintre

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François Barré

BIOGRAPHIE 245 BIBLIOGRAPHIE 258



18.01.29 – SUMMERTIME, 2018 Huile sur toile, 190 x 190 cm



Sophie Lauwers  Introduction

YVES ZURSTRASSEN

Les Choses

Jorge Luis Borges

Le bâton, les pièces de monnaie, le porte-clés, la serrure docile, les lettres tardives qui ne seront pas lues dans le peu de jours qu’il me reste, les cartes de jeu et le tableau, un livre, et, entre ses pages, la violette flétrie, monument d’un soir sans doute inoubliable mais déjà oublié, le rouge miroir occidental dans lequel une illusoire aurore brille. Oh, combien de choses, plaques, seuils, atlas, tasses, épingles, nous servent d’esclaves tacites, aveugles et si étrangement discrets ! Elles dureront au-delà de notre oubli ; elles ne sauront jamais que nous sommes partis. — Traduit de l’espagnol par E. Dupas

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La confrontation avec une œuvre d’Yves Zurstrassen nous entraîne dans un riche univers symbolique qui nous révèle combien la peinture peut surprendre et intriguer. Sa toile, il la compose en couches successives aux propriétés diverses. Il en masque le blanc virginal, tout en préservant l’accès à cette blancheur de l’œuvre non entamée par un jeu suggestif d’incisions, reliant la surface et la profondeur. Ainsi entrevoyons-nous ce qui nous échappe aujourd’hui, à notre époque si impitoyablement expéditive, si sujette au changement : la connexion avec le processus créateur, qui ne peut plus être reconstitué. La recherche constante du rapport entre les formes implicites et leur concrétisation : telle est la zone de tension qui émerge dans la foulée du réveil lumineux de la toile. Yves Zurstrassen inspire et stimule, ses scènes immobiles débordent de mouvement ; répétitives et si synchrones que, comme dans un mirage, elles illustrent le silence. Son œuvre est une collection de dialogues entre des modèles de collages reproductifs et des techniques qui conversent avec la peinture, ou plutôt défient l’art pictural. À moins que l’un(e) (le collage, la forme, l’incision) ne tente de convaincre l’autre (la peinture, le pigment, la palette) que sa rhétorique est la seule qui vaille ? Ce qui est crucial, dans cette œuvre, c’est le processus répétitif de consultation, d’entrelacement, d’entretissage et d’imbrication. Chaque fois, cette répétition continuelle consolide la force de ce qui précède. Chaque composition est pour ainsi dire reliée à la précédente par un cordon ombilical, la cohérence de chaque séquence étant systématiquement reconcrétisée, comme une énergie éternellement récurrente.


18.03.07 – FOND ROUGE, 2018 Huile sur toile, 210 x 195 cm


YVES ZURSTRASSEN

Pénétrer dans l’atelier d’Yves Zurstrassen, c’est entrer dans un univers magique où tout respire la structure apaisante ; l’atmosphère est aussi fascinante qu’accrocheuse : le silence avant la tempête. Son processus de travail préalable, succession d’opérations respectant une routine quasi obsessionnelle, est extrêmement intensif. Sa technique de création consiste en une série de phases et de classifications fondamentales. L’artiste collecte, découpe, photographie, dessine, sélectionne ; après quoi il s’approprie les éléments et commence à composer. Dans cette optique, l’atelier fait partie inhérente de l’œuvre. C’est un monde où pigments colorés et techniques ingénieuses sont abordés comme une cohérence ordonnée ; où les mots sont couleurs, où la musique, et en particulier le jazz, déterminent le rythme de la composition et de la palette – c’est en fait un lieu où sont découverts des modèles destinés à être intégrés dans un processus rigoureux et contrôlé. Yves Zurstrassen dirige son matériel comme un chef d’orchestre. Pourtant, entre la maîtrise de ses instruments, l’action et le résultat final, un acte de folie semble avoir été perpétré quelque part, le contrôle ayant été momentanément perdu puis retrouvé – comme un contrepoint, une opposition, qui recoupe la position précédente et réintroduit, si peu que ce soit, le silence. Van Gogh a écrit que sa peinture l’avait rendu fou mais qu’il ne pouvait déterminer exactement pourquoi. Yves Klein lui a fourni ultérieurement la réponse : la couleur devait être délivrée de la restriction linéaire, sortie de derrière les barreaux. Per Kirkeby, qui s’intéressait vivement à la géologie, spécialité qui peut également se résumer en une accumulation de lignes et de strates exposant une histoire, comme chez Zurstrassen, a dressé des palissades – autre version des barreaux – dans ses tableaux ; tel un clin d’œil à l’art conceptuel de l’installation qui ne laissait aucune place à la/sa peinture. Yves Zurstrassen accueille cette libération avec enthousiasme. Il est un peu comme un tsigane errant à travers l’histoire de l’art. Pour lui, ces références historiques sont inévitables, mais, s’il est conscient des associations rencontrées dans son œuvre, il estime que leur présence ne se confond pas avec son récit : il les considère plutôt comme intuitivement associatives. L’écartèlement entre l’expressionnisme abstrait, le géométrisme abstrait et le conceptuel est inéluctable mais, en l’occurrence, leur interaction est abstraite et concrétisée : ils se rencontrent en un seul geste.

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L’œuvre d’Yves Zurstrassen est pétrie de paradoxes. Or, curieusement, ceux-ci restent invisibles quand les tableaux sont alignés sur les parois du musée, et c’est précisément l’objectif de l’artiste. Pourtant, une fois que l’on comprend l’alphabet de Zurstrassen, on peut commencer à faire des phrases – chaque forme géométrique a sa propre identité, et les différentes formes sont des caractères ; les mêmes motifs, reproduits à l’infini, sont comme ses modèles d’artiste. Chaque ligne suggère, chaque forme correspond, chaque couleur a sa forme, et toutes sont soumises à des règles, les instructions du maître qui conçoit la circulation. Zurstrassen chérit ses formes et ses modèles, ils sont minutieusement découpés et le « moule » est conservé en vue d’une renaissance dans une idée suivante. Depuis des décennies, l’artiste travaille ainsi à une œuvre qui se poursuit indéfiniment, semblable à une profession de foi existentielle qui relie le passé au futur ; là où l’être est un port franc. Telle est l’option alternative de Zurstrassen : une approche opiniâtre de la proposition contrapuntique atonale ou polytonale, où le peintre fait migrer des tonalités dans les structures environnantes ; une manufacture de signes nostalgiques perdus, flottant dans la physionomie de son monde, celui de l’imagination inspirée par le désir de couper à travers les styles pour aboutir à un paysage intérieur d’expression formelle et de chaos calibré. Un festin de plaisir visuel.


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YVES ZURSTRASSEN


Yves Zurstrassen 2009 2019

← P. 14-15

Atelier du Val Fleuri, Uccle, mars 2019.

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YVES ZURSTRASSEN


10.08.18, 2010 Huile sur bloc de papier, 25,5 x 25,5 cm

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10.08.19, 2010

Huile sur bloc de papier, 25,5 x 25,5 cm

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10.06.14, 2010 Huile sur bloc de papier, 30 x 30 cm

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10.06.16, 2010

Huile sur bloc de papier, 30 x 30 cm

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10.02.12, 2010

Huile sur toile marouflée sur bois, 30 x 40 cm

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10.02.16, 2010

Huile sur toile marouflée sur bois, 30 x 40 cm

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11.07.01, 2011 Huile sur toile marouflée sur bois, 12 x 23 cm

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11.07.05, 2011

Huile sur toile marouflée sur bois, 12 x 23 cm

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→ P. 26–27

11.07.06 (détail), 2011

Huile sur toile marouflée sur bois, 12 x 23 cm


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YVES ZURSTRASSEN


10.10.04, 2010 Huile sur toile marouflée sur bois, 23 x 27 cm

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10.10.05, 2010

Huile sur toile marouflée sur bois, 23 x 27 cm

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11.07.27, 2011

Huile sur toile marouflée sur bois, 26 x 30 cm

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11.09.07, 2011

Huile sur toile marouflée sur bois, 34 x 38 cm

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10.08.06, 2010 Huile sur papier, 18 x 26 cm

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10.08.09, 2010

Huile sur papier, 18 x 26 cm


10.05.19, 2010 Huile sur toile marouflée sur bois, 100 x 100 cm

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10.05.03, 2010 Huile sur toile marouflée sur bois, 100 x 100 cm

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10.04.21, 2010

Huile sur toile marouflée sur bois, 100 x 100 cm

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→ P. 36-37

Espacio de Arte Antonio Pérez, Guadalajara, 2011


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YVES ZURSTRASSEN


10.10.20, 2010

Huile sur toile, 120 x 120 cm

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10.10.27, 2010

Huile sur toile, 130 x 130 cm

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10.11.10 – SPRING IS HERE, 2010 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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10.11.22 – WIND UP, 2010 Huile sur toile, 250 x 200 cm → P. 44-45

Galerie Triangle Bleu, Stavelot, Belgique, 2012


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YVES ZURSTRASSEN


10.11.18 – BEGINNINGS, 2010 Huile sur toile, 230 x 195 cm

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Anne Pontégnie Penser en peinture

YVES ZURSTRASSEN

2009 2019

09.06.12, 2009 Huile sur toile marouflée sur bois, 12 x 25 cm

L’œuvre d’Yves Zurstrassen est à la fois limpide et déroutante. Son langage est celui d’une abstraction qui croise le geste et le motif à partir de processus formels qui en déterminent la composition. Il en résulte une peinture directe, vivante, lisible mais qui pourtant se dérobe en même temps qu’elle se manifeste. Zurstrassen appartient à une génération de peintres qui, des deux côtés de l’Atlantique, ont pu dès la fin des années 1970 s’émanciper de la contrainte moderniste de l’invention radicale pour des projets peut-être plus modestes mais aussi plus libres. Une fois abandonnée l’idée de la tabula rasa, l’ensemble des inventions picturales du XXe siècle devenaient accessibles à l’élaboration d’un langage singulier, au-delà des écoles, des styles ou des chapelles. Günther Förg, Bernard

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Frize ou Christian Bonnefoi en Europe, Terry Winters, David Reed, Jonathan Lasker ou Philip Taaffe aux ÉtatsUnis comptent parmi les artistes de la génération de Zurstrassen qui, comme lui, ont pu associer le processus et l’expression, le motif et le geste, le concept et la forme. Zurstrassen, peut-être parce qu’il est autodidacte, peut-être parce qu’il a toujours vécu à l’écart des grands centres de création, a maintenu une indépendance qui lui a permis de développer une peinture qui ne se lit jamais mieux qu’à partir de la manière dont elle progresse. La décennie qui précède 2019 s’articule en grandes séries interrompues par des moments de décrochages, autant de respirations nécessaires avant chaque nouvelle invention.


10.12.08 — ZIGZAG, 2010 Huile sur toile, 300 x 360 cm

L’année 2009 se caractérise par l’abandon provisoire de la couleur. La palette se réduit à des blancs, noirs, gris et terres. De grands gestes amples viennent rythmer la composition dans des entrelacs plus ou moins denses sur lesquels se superposent les motifs des papiers découpés qui caractérisent la méthode picturale de Zurstrassen. Ces papiers sont imprimés sur du papier très fin puis découpés mécaniquement. Ils sont ensuite déposés sur le premier fond, recouverts des couches successives de peinture avant d’être délicatement enlevés une fois le tableau achevé, tel un pochoir sophistiqué. Ce processus permet à Zurstrassen d’introduire une temporalité où les étapes apparaissent en ordre inversé. Les motifs semblent se surimposer alors qu’en réalité ils

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révèlent par réserve des moments picturaux antérieurs. Plus encore, ces formes trouvées, dans la mesure où elles préexistent au geste pictural, sont produites par l’intermédiaire d’un ordinateur, d’une imprimante puis d’une machine (un cutter numérique). Elles viennent complexifier l’expressivité du geste en la confrontant à la distance programmatique du découpage. La superposition des deux crée un jeu où la répétition rythmique des motifs ponctue le mouvement souple du geste.


13.09.18, 2013 Huile sur toile, 190 x 190 cm

YVES ZURSTRASSEN

11.04.07, 2011 Huile sur toile, 125 x 175 cm

Les deux années qui suivent, Zurstrassen élargit à peine sa palette mais vient briser la dichotomie geste/motif par des formes – des carrés approximatifs – et des gestes plus courts et plus secs. Progressivement, l’espace du tableau se sature et les étapes successives se devinent à peine derrière un écran de peinture brute et matérielle. Cet étouffement du fond par la surface va paradoxalement donner lieu à un renversement essentiel aux séries qui suivront. Dans le courant de l’année 2013, les papiers ne sont plus découpés en motifs mais le motif est découpé dans la feuille, il est plus petit et se répète comme sur un papier peint. Le fond est peint en terre de Sienne en quelques gestes amples, puis recouvert d’une couche plus épaisse et régulière qui peut être noire ou blanche

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et que viennent tapisser à leur tour les grandes feuilles de papier ajouré. La surface est ensuite entièrement tapissée de noir quand le fond est blanc et de blanc quand le fond est noir avant que les papiers ne soient enlevés pour créer un jeu optique et pictural où composition et processus se confondent. Zurstrassen ajoute ainsi une étape à son processus. La phase gestuelle n’est plus perceptible qu’à travers les motifs et les papiers ajourés composent un fond all-over qui introduit une dimension minimaliste qui rejoint des moments antérieurs de son œuvre.


03.03.07, 2003 Huile sur toile, 195 x 180 cm

14.01.30 – PATTERN PAINTING, 2014 Huile sur toile, 225 x 225 cm

Dans un mouvement d’aller-retour caractéristique de la manière dont Zurstrassen fait évoluer son langage pictural, on trouve dès 2003 des tableaux qui anticipent par leur géométrie et le jeu du noir et blanc la série en cours. De larges formes graphiques presque enfantines viennent d’abord opposer de la spontanéité et de la couleur au processus avant que Zurstrassen ne se concentre plus que sur les potentialités que lui ouvrent les grands papiers. Le point de départ des tableaux reste le même, mais il substitue à la dernière étape – celle qui consistait à revenir tracer au pinceau des formes à la surface – l’arrachage partiel des grandes feuilles de papier. La violence du geste est lisible grâce à l’irrégularité des bords des feuilles. L’opposition entre la régularité du geste pictural qui recouvre le tableau de

manière uniforme et la spontanéité du geste de la main qui arrache le papier permet à l’artiste de juxtaposer un autre jeu de positif/négatif à celui, chromatique, du noir et blanc. Face à cette complexité, l’œil ne sait « par où commencer », perdu dans un jeu de faux-semblants où le fond remonte à la surface et où ce qui s’ajoute est en réalité ce qui manque. Au sein de cette série, l’artiste a atteint une stabilité provisoire qui permet aux tableaux de se parler au gré de modulations qui les approfondissent.

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YVES ZURSTRASSEN

16.03.02 – SUMMERTIME, 2016 Huile sur toile, 150 x 150 cm

16.12.16 – SUNNY DAY, 2016 Huile sur toile, 220 x 195 cm

Les deux années suivantes sont marquées par des expérimentations plus hétérogènes. Summertime est exemplaire d’un moment de conflagration. S’y retrouvent le geste ample de 2010, des motifs en réserve qui rappellent plutôt 2009, et des formes nouvelles, plus organiques, dans une palette renouvelée de couleurs adoucies. Ces formes résultent d’une nouvelle orientation à partir des papiers découpés. Cette fois, la découpe se fait à la main, ce qui leur confère une dimension moins nette, plus gestuelle. Elles sont ensuite enduites de peinture avant d’être apposées au tableau, puis retirées, laissant ainsi une empreinte colorée, et structurée par le geste du décollement. Zurstrassen va alors s’engager pleinement dans l’exploration des potentialités ouvertes par ce

processus. Il commence par pousser le chevauchement des deux méthodes – la réserve et le décollement – en les superposant jusqu’à la saturation dans des compositions denses et dansantes.

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17.08.14 – NIGHT AND DAY, 2017 Huile sur toile, 100 x 80 cm

17.11.08 – ÉMERGENCE, 2017 Huile sur toile, 180 x 180 cm

La série qui clôt cette décennie de progressions picturales fait la synthèse des deux précédentes en y ajoutant une nouvelle dimension : l’image. Zurstrassen reprend le système des grandes feuilles de pochoir mais il remplace la répétition du motif décoratif par la reproduction d’un détail d’une peinture précédente. Photographiée, agrandie, puis perforée dans le papier, la peinture devient l’image fantôme d’elle-même. Le fond est découpé en quatre ou en six, selon le nombre de feuilles utilisées, car un léger écart reste visible. Elles sont posées sur un fond noir, entièrement enduites de blanc avant d’être enlevées, afin de faire apparaître l’image. Cette méthode permet à l’artiste d’intégrer des séries précédentes à une nouvelle étape de son œuvre, rendant ainsi visible une cohérence interne autrement difficile d’accès. Les fonds

noirs et gris sont animés parfois de formes décollées, parfois d’une association du décollage et de la réserve. La saturation fait place à des compositions plus aérées pour mieux jouer entre le mouvement des formes reproduites et celui des formes ajoutées. Les fonds paraissent comme réveillés par les bleus, les verts, les jaunes et les oranges très particuliers – à la fois vibrants et légèrement brouillés – des formes qui s’y superposent.

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YVES ZURSTRASSEN

18.02.26 – MOONLIGHT, 2018 Huile sur toile, 190 x 190 cm

À partir de cette avancée, Zurstrassen va exploiter en parallèle la piste de l’image et celle de la couleur en amenant les deux vers un langage plus sobre. Du côté de la couleur, l’artiste revient à des compositions plus aérées, évocatrices de l’année 2009. Avec Moonlight par exemple, où un fond bleu pétrole est recouvert de pochoirs perforés et découpés à la main avant d’être entièrement peint d’un gris mastic. Une fois les pochoirs décollés, Zurstrassen y ajoute les empreintes des formes pleines – carrés, triangles ou demi-cercles approximatifs – dont le bleu est lui-même recouvert, tantôt du gris déjà utilisé, tantôt d’un orange brûlé qui amène du contraste à la composition. Les réserves et les empreintes semblent danser dans des mouvements contradictoires pour courir jusqu’au-delà du cadre. À l’inverse, du côté de l’image,

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l’artiste développe des compositions plus statiques, structurées par la régularité des feuilles de papier perforé. Le léger écart entre les feuilles est agrandi pour laisser apparaître les mouvements qui animent le fond. Des décalages horizontaux et verticaux entre les feuilles structurent la composition. Seules deux couleurs sont utilisées, celle des fonds et celle qui vient recouvrir les feuilles perforées. Cette fois, le jeu des harmonies est remplacé par des contrastes forts entre le rouge et le gris, le noir et le jaune citron. À la surface, comme des souvenirs qui affleurent, réapparaissent les formes du passé.


18.07.20 – FOND ROUGE, 2018 Huile sur toile, 150 x 150 cm

Yves Zurstrassen quitte peu son atelier, il veille à préserver cet univers d’où il peut explorer le langage pictural afin de mieux le renouveler. Comme d’autres artistes de sa génération, c’est en poussant toujours plus loin les potentialités physiques de la peinture qu’il parvient à la garder vivante, connectée à un monde qu’elle ne représente pas mais dont elle capte l’esprit. Son œuvre progresse par séries, par retours et par inventions. Il faut en comprendre les méandres pour accéder à la complexité qui la sous-tend sans se manifester.

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19.04.30 – FOND JAUNE, 2019 Huile sur toile, 250 x 250 cm


11.11.10 – CONSTELLATION, 2011 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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11.10.27 – CONSTELLATION, 2011 Huile sur toile, 180 x 180 cm

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11.10.06 – CONSTELLATION, 2011 Huile sur toile, 130 x 170 cm → P. 60-61

11.11.24 – CONSTELLATION (détail), 2011 Huile sur toile, 180 x 300 cm

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YVES ZURSTRASSEN


11.06.08, 2011 Huile sur toile, 200 x 180 cm

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11.06.24, 2011 Huile sur toile, 200 x 180 cm

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Carreras Mugica, Bilbao, 2011.

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12.07.17, 2012 Huile sur toile, 195 x 160 cm

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12.07.12, 2012

Huile sur toile, 140 x 140 cm

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12.05.29, 2012

Huile sur toile, 130 x 130 cm

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12.07.27, 2012

Huile sur toile, 130 x 130 cm

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12.01.26, 2012

Huile sur toile, 100 x 140 cm

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12.06.12, 2012 Huile sur toile, 120 x 120 cm

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12.04.26, 2012

Huile sur toile, 140 x 140 cm

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12.03.08, 2012 Huile sur toile, 140 x 140 cm

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12.12.04, 2012 Huile sur toile, 140 x 140 cm

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FREE

Galerie Triangle Bleu, Stavelot, Belgique, 2012.

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12.10.07, 2012 Huile sur toile, 130 x 190 cm

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12.11.15, 2012 Huile sur toile, 130 x 130 cm

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13.03.12, 2013 Huile sur toile, 180 x 180 cm

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13.02.20, 2013

Huile sur toile, 230 x 195 cm

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13.01.24, 2013 Huile sur toile, 195 x 160 cm

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13.02.16, 2013

Huile sur toile, 190 x 190 cm

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13.05.08, 2013

Huile sur toile, 200 x 180 cm

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13.10.23, 2013 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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BASIC RESEARCH – NOTES ON THE COLLECTION Museum Kurhaus Kleve, Clèves, Allemagne, 2014.

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13.11.07, 2013 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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13.11.27, 2013

Huile sur toile, 190 x 190 cm

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13.11.21, 2013 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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14.07.08 – PATTERN PAINTING, 2014

Huile sur toile marouflée sur bois, 60 x 60 cm

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14.06.14 – PATTERN PAINTING, 2014

Huile sur toile, 250 x 250 cm

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14.01.02 – PATTERN PAINTING, 2014 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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14.01.30 – PATTERN PAINTING, 2014 Huile sur toile, 225 x 225 cm

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PATTERN PAINTINGS

Galerie Valérie Bach, Bruxelles, 2014.

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14.09.12 – PATTERN PAINTING, 2014 Huile sur toile, 60 x 60 cm

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14.08.02 – PATTERN PAINTING, 2014 Huile sur toile, 140 x 140 cm

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14.07.27 – PATTERN PAINTING, 2014

Huile sur toile, 140 x 140 cm

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Olivier Kaeppelin I

YVES ZURSTRASSEN

Chasseur d’espace Yves Zurstrassen, voilà près de vingt ans, m’a permis de vivre une singulière expérience de peinture : à partir d’une pratique ancestrale, éprouver à nouveau l’élan, la vivacité de son héritage renouvelé. Après plus de trente mille ans, quelle étrangeté que d’expérimenter cet oxymore de la nouveauté en peinture. Après avoir parcouru un long chemin, porté par le flux, depuis Chauvet ou Lascaux, le peintre se sert de signes, de pierres blanches, de cultures et de créations qu’il trouve sur son chemin. Il les réassemble. Il les joue jusqu’à « l’extrême », jusqu’à en oublier les jeux anciens pour s’interroger sur l’inédit soudain de nouveaux assemblages, de nouvelles règles, jusqu’aux formes nouvelles qui induisent entre elles des relations neuves. Yves Zurstrassen s’est plongé dans ce fleuve et en a fait un théâtre comme son extraordinaire atelier en témoigne. Il n’a jamais été sur la rive à voir passer la peinture pour l’analyser, en tirer leçons et applications. Non, il la vit intensément, à l’intérieur du mouvement qui l’emporte. Sa connaissance essentielle de la peinture, il l’a acquise par la praxis, née de cet espace intérieur où elle se développe, méfiante vis-à-vis des métalangages. La liberté est le principe de son travail. Il la construit, l’accompagne pas à pas. Liberté de s’investir là où il le désire, de mettre ses pas où il veut, dans ceux de Paul Klee, d’Henri Matisse ou plus encore dans ceux d’expressionnistes abstraits, Jackson Pollock, Willem de Kooning, Jean Degottex, ou plus tard dans son œuvre, ceux de Mondrian, Malevitch, jusqu’à ce qu’il perde les origines de son aventure et s’égare nécessairement pour trouver son chemin. C’est grâce

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à une utilisation joyeuse et précise de la découpe, du collage et du décollage, qu’il s’approprie une nouvelle manière et qu’ainsi il « baigne » dans la peinture d’aujourd’hui. C’est imprégné de ce bain, inspiré par ce concept, que sa peinture, celle de son atelier au xxie siècle, utilise l’économie du fragment chère au xxe siècle, avant de l’abandonner et de perdre tout signe de reconnaissance grâce à une action de décollage qui accueille sur la toile la peinture pure en un plan nouveau. La réalité matérielle du collage (papiers déchirés, découpés) s’efface pour faire naître les espaces inédits que cherche Yves Zurstrassen. Ce processus conceptuel lui permet de retrouver l’essence de la peinture et, ainsi, le peintre souverain s’approprie ce qu’il désire. Il mixe les éléments choisis jusqu’à constituer par glissement, par sampling, une langue qui ne doit plus rien à personne. Une langue qu’il nous faut désormais découvrir, comprendre : la langue de son œuvre qu’il s’agit d’interpréter. Parvenir à ce moment plein de l’expression est le résultat d’une « aventure méthodique », mentale et technique. Yves Zurstrassen pense par la forme. Il est étonnant de voir combien, chez lui, le couple théorie/pratique est convaincant et productif. Comprendre la construction même d’un de ses tableaux, ses capacités génératrices, c’est précisément comprendre son sens. Il n’y a jamais, chez lui, d’application ou d’illustration. Il est « essentiellement » un peintre abstrait et s’il lui arrive d’utiliser des éléments de figures, nous observons qu’ils sont d’abord formes abstraites. L’œil de Picasso, la « vanité » de Paul Cézanne, sont d’autant plus réels que ce sont des abstractions nées de stratégies de la composition. C’est sans doute pour cela qu’Yves Zurstrassen, quand je l’interroge sur son travail, évoque souvent la musique. Amateur passionné de jazz et de free jazz, il lui arrive de répondre, pour se définir : « Je suis comme un musicien, je suis à l’intérieur d’un mouvement, entre les chorus, les solos et les improvisations. Je ne pense pas, je n’explique pas la peinture, je suis à l’intérieur et je la déploie dans une vibration que je cherche à provoquer, à produire. »

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Atelier du Val Fleuri, Uccle, février 2011.


YVES ZURSTRASSEN

Cette dimension, cette position de foyer génèrent son œuvre. À l’écouter, il n’évoque que rarement les références à des objets de la réalité. Si couleurs il y a, si lumière il y a, elles sont autant de projections de sa vision. Il confie d’ailleurs qu’il ne regarde jamais vraiment un paysage, et qu’il ne s’inspire pas de la nature. Plus encore, les relations qu’il entretient avec le réel aux fins de construire son œuvre, n’impliquent pas, fondamentalement, de relations avec un monde exogène à la peinture. Tout, chez lui, vient du « lieu » de peinture, de son territoire. C’est là qu’il « s’entretient » avec le réel. « Je vis d’abord entre les quatre murs de mon atelier, déclare-t-il. C’est là que je lance et relance ma vision, mon projet esthétique. Il s’agit d’abord d’engendrer un espace, de comprendre sa respiration, de trouver son rythme. » Ses compagnons constants sont les créations d’autres peintres ou les morceaux de musiciens. Et s’il y a bien un « réel », il n’est pas celui de la nature première mais celui d’une « autre nature », d’une nature seconde, aussi vivante que la nature même. Ce réel, c’est l’art, et plus particulièrement, l’art abstrait qui, jouissant de toutes les libertés, se débarrasse de toute symbolique. Ces libertés, Yves Zurstrassen en use jusqu’à déstabiliser amateurs, critiques ou experts. Elles déjouent les habitudes, les modèles, jusqu’à désarçonner le créateur lui-même. C’est parce que la forme est l’essentiel, « le réel même », qu’elle éloigne son œuvre de tous les formalismes. À ce sujet, je pense à ce texte de Marina Tsvetaeva sur la poésie, dans lequel elle écrit : « Comment moi, poète, c’est-à-dire un être essentiel, pourrais-je me laisser séduire par la forme ? Si l’essentiel me séduit, la forme viendra d’elle-même. Et elle vient. Et elle continuera à venir, j’en suis convaincue. La forme est exigée par un essentiel donné et je capte à l’oreille, syllabe après syllabe. Sculpter une forme pour la remplir ensuite ! Mais voyons ce n’est pas un moulage de plâtre ! Non, je suis séduite par l’essentiel, ensuite je l’incarne. Voilà ce qu’est un poète. Et je vais l’incarner de la façon la plus essentielle possible (ça c’est un problème de forme). L’essence c’est justement la forme – un enfant ne peut pas naître autre ! 1 » Je crois que l’œuvre d’Yves Zurstrassen, la conception qu’il en a, sont proches de celles de Marina Tsvetaeva. Il éprouve et établit une relation essentielle au monde, qui s’exprime par la peinture. Et, comme le dit Marina Tsvetaeva,

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Atelier du Val Fleuri, Uccle, juin 2017.

1. Marina Tsvetaeva, « Le poète et la critique », in Marina Tsvetaeva par Linda Lê, Paris, Éd. Jean Michel Place, 2007, p. 99.


« si l’essentiel me séduit, la forme viendra d’elle-même. Et elle vient. Et elle continuera à venir… » C’est sur une expérience comparable que se fonde la recherche d’Yves Zurstrassen. Elle naît du peintre, et son principe vital ainsi que son développement se trouvent d’abord en lui. Là encore, je pense – pour mieux comprendre cet auto-engendrement – à Stéphane Mallarmé qui évoque non la naissance d’un tableau, mais d’un poème. Dans le texte « Don du poème », la création surgit du seul « travail » de l’écrivain qui engendre dans sa chambre, durant la nuit, le fruit de son art. Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée ! Noire, à l’aile saignante et pâle, déplumée, Par le verre brûlé d’aromates et d’or, Par les carreaux glacés, hélas ! mornes encor, L’aurore se jeta sur la lampe angélique. Palmes ! et quand elle a montré cette relique À ce père essayant un sourire ennemi, La solitude bleue et stérile a frémi. Ô la berceuse, avec ta fille et l’innocence De vos pieds froids, accueille une horrible naissance : Et ta voix rappelant viole et clavecin, Avec le doigt fané presseras-tu le sein Par qui coule en blancheur sibylline la femme Pour des lèvres que l’air du vierge azur affame ? 2 Ce poème, dont le style appartient à un symbolisme (1865) très éloigné de la qualité « moderne » des travaux d’Yves Zurstrassen, exprime cependant une conception de la création qui éclaire la position du peintre. Le créateur produit, seul, sa création. Il lui donne ses jours et ses nuits, non dans l’atelier mais dans la chambre de la signature. C’est là que le créateur prend sa substance, dans la chambre de l’écriture. De ce « travail » naît donc le poème, « une voix » proche de la musique, qui, à travers cette image de l’enfantement de lui-même, permettra aux lèvres de l’écrivain, à celles des lecteurs, de prononcer et, par-là, de comprendre les vers du poème. Cette « scène », ce principe de création issu de l’exercice de la pensée d’un seul, Pierre Boulez s’en saisira dans « Pli sur Pli. Portrait de Mallarmé », où les abstractions du poète, du peintre, du musicien entrent en résonance. Ce théâtre, ce lieu mental n’est pas une figure de style, il a le nom d’un lieu vivant, du lieu incarné de sa production : l’Atelier Yves Zurstrassen, avenue du Val Fleuri 19, 1180 Uccle !

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2. Stéphane Mallarmé, « Don du poème », in id., Poésies, Paris, Gallimard, 1992, p. 26.


YVES ZURSTRASSEN

Dans ce site, s’incarne la position théorique et pratique du peintre. Nous connaissons de ces lieux comparables où de l’architecture, la lumière, l’atmosphère émanent la pensée du créateur. Les plus connus d’entre eux sont, sans doute, ceux d’Alberto Giacometti, de Francis Bacon ou, aujourd’hui, de Damien Cabanes. Ces lieux sont comme un « autre corps » du peintre, un espace qui les personnifie tout entier. Cet espace, ils l’habitent comme leur œuvre les habite. Il est la projection d’une « attitude », d’un savoir ou d’une méthode. Parler de leur atelier, c’est parler d’eux-mêmes, c’est être au sein d’une « fabrique », d’un « système », d’une cosmogonie, pour leur « corps », et où se déploie leur pensée. Chez Yves Zurstrassen, comment ne pas être impressionné par la rigueur de son organisation. Chaque pièce semble avoir son nom et sa fonction. Au soussol : une réserve mais qui n’est pas lettre morte. À travers elle, sa manipulation, le passé est vivant. À tout instant, nous sommes invités à le remettre sous tension. Il n’y a pas d’exclusion d’hier pour le bel aujourd’hui. La vie présente s’étaie sur une histoire, une continuité. Jouxtant cet espace, se trouve des outils numériques, des programmes, l’utilisation de nouvelles machines qui contribuent à la conception de structures, permettant d’élaborer les tableaux grâce à des logiciels qu’Yves Zurstrassen manipule avec son assistant. C’est ainsi que le peintre peut réutiliser les gestes physiques des années 1980, désormais devenus images qu’il mêle à des dessins contemporains de grilles et d’entrelacs imaginés grâce à ces programmes numériques. Passé et présent se donnent la main et, grâce à ce couple, très actif, le peintre utilise des fragments de compositions anciennes pour les réactiver dans des travaux récents. Au rez-de-chaussée, nous découvrons, là encore, des espaces à la fois distingués et reliés. À droite, les ordinateurs au travail, les impressions, les maquettes où se vérifient les hypothèses et le monde virtuel où se projettent les images. Plus à gauche, c’est l’atelier principal, où se réalisent les tableaux de grande ou de petite taille. C’est là qu’ont lieu les expérimentations, notamment, des grandes surfaces que l’on peut dresser ou poser au sol pour les voir dans

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Réserves, atelier du Val Fleuri, Uccle.


leur totalité, depuis la coursive de l’étage supérieur. Dans ces salles du rezde-chaussée, nous sommes au cœur du réacteur et dans le cœur vivant de la pratique. Ce lieu de fabrication est aussi peuplé de peintures remises en « jeu » par le peintre qui les fait « rayonner » à nouveau. Elles sont accompagnées d’une multitude de citations plastiques (photos, cartes postales, affiches) comme de citations musicales, diffusées par de remarquables systèmes sonores qui enveloppent, englobent les œuvres en train de se faire. Ici, le jazz et, particulièrement, le free jazz règnent sur l’espace. Nous y trouvons les grands maîtres comme les expérimentateurs d’avant-garde – d’Ornette Coleman à la contrebassiste et performeuse Joëlle Leandre qui, souvent, accompagne son travail. Présente à BOZAR en 2019, elle se produira dans son exposition et ainsi permettra une sorte de transmutation de l’esprit de l’atelier dans les salles de l’institution. C’est un atelier où la vue, l’ouïe sont sollicités, invités à prendre la mesure des œuvres. L’œil et le corps y bougent ainsi en permanente « accommodation ». Au fond de cette salle à droite, d’autres salles se font de plus en plus vides et par les verrières sont confrontées à la nature d’un jardin. L’une d’entre elles, aux proportions parfaites, permet de prendre toute la distance nécessaire avec

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Atelier du Val Fleuri, Uccle, avril 2019.


les différents processus, les techniques, la fabrication des tableaux. Ceux-ci prennent place, alors, dans une salle de présentation. Ils entrent dans un théâtre de comparaisons, de dialogues, de répliques ou d’effusions. Ce qui me passionne, c’est la contiguïté de cet espace à celui de la fabrication. L’un enlace l’autre et fait vivre avec intensité le principe du work in progress, du change et de la métamorphose. Le tableau est là, il est « encore là », dans son processus de production, mais déjà avec le statut plus solennel d’une œuvre en exposition, prête à rencontrer l’autre, en face-à-face : elle nous regarde autant que nous la regardons, dans ce lieu d’occurrence et de révélation. Les étapes du parcours pourraient s’arrêter ici, mais nous sommes invités à vivre à l’étage supérieur deux autres moments de la vie du tableau : l’un nous reconduit au « laboratoire » des formes où, grâce à un extraordinaire archivage de petits formats, se reconsidère la matrice des tableaux, avant leur naissance, leur « projection », leur première effectuation conceptuelle et mentale. Il jouxte une importante bibliothèque dont l’usage permet le positionnement et la maturation de ces formes. L’autre salle nous mène à travers une galerie d’exposition de taille plus modeste, jusqu’à un espace plus familier, où le tableau n’est plus dans une situation de démonstration muséographique. Yves Zurstrassen y a conçu, pour lui, une autre vie, comme s’il était important que le tableau se confronte aux lieux domestiques, à la vie quotidienne. Dans l’ensemble de ce site qui est bien plus qu’un atelier, les peintures vivent toutes leurs vies depuis la dimension virtuelle du projet jusqu’à la contemplation lente et silencieuse de l’œuvre réalisée. Et nous sommes invités à vivre toutes ces vies. Le vrai bonheur réside dans le fait que ce parcours, la pluralité de ces espaces, empêchent le tableau de devenir un objet, statique, manipulable et consommable. Nous sommes au contraire, par la conception et l’organisation de l’atelier, invités à penser l’œuvre dans son mouvement de création, sa pensée et

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Bibliothèque, atelier du Val Fleuri, Uccle.


son incarnation. Dans ce laboratoire, nous avons le sentiment d’être au cœur de ce déplacement, au cœur de ce battement qui permet d’être « avec l’art » et non guidés par des constats, des additions, des circulations, passées ou présentes, d’objets d’art. L’émotion, pour moi, est grande et toujours renouvelée, d’être au centre de ce mouvement. Pour qui sait le voir et donc le ressentir, l’expérience est intense, exceptionnelle et rare. J’ai la conviction, sans idéalisation trompeuse, que cet atelier est le lieu d’intelligence de l’œuvre d’Yves Zurstrassen. J’ai l’étrange sentiment d’être dans sa boîte crânienne, car son atelier est sa boîte crânienne où se produit une multitude d’opérations conduisant au tableau, expérience vivante d’une pensée par la forme et pour l’espace. Je l’éprouve dès le seuil franchi et, désormais, à chaque retour. Si j’osais, je dirais qu’il y a quelque chose dans ce lieu extraordinaire d’une chapelle ardente consacrée à la création et à son gai savoir.

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Atelier du Val Fleuri, Uccle, mars 2019.


Exposition Free Bozar Bruxelles Commissaire Olivier Kaeppelin

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2019



19.02.20 – FOND JAUNE, 2019 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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19.04.04 – FOND JAUNE, 2019 Huile sur toile, 250 x 200 cm

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19.04.18 – FOND JAUNE, 2019 Huile sur toile, 250 x 200 cm

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19.03.14 – FOND JAUNE, 2019 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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19.04.30 – FOND JAUNE, 2019 Huile sur toile, 250 x 250 cm

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18.03.11 – FOND ROUGE, 2018 Huile sur toile, 210 x 195 cm

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18.08.08 – FOND ROUGE, 2018 Huile sur toile, 150 x 150 cm

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19.01.24 – FIGURE DANCING, 2019

Huile sur toile, 140 x 140 cm

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19.02.07 – SLOW DANCE, 2019 Huile sur toile, 210 x 195 cm

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18.01.28 – SOLAR, 2018 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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18.02.14 – FIGURES DANCING, 2019 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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19.01.18 – FIGURE DANCING, 2019 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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18.02.02 – FRAGMENTS ROUGES, 2018

Huile sur toile, 190 x 190 cm

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18.04.26 – GOING HOME, 2018 Huile sur toile, 160 x 160 cm

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15.03.05 – OPENING, 2015 Huile sur toile, 290 x 240 cm

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12.10.24, 2012

Huile sur toile, 120 x 120 cm

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15.02.25 – OPENING, 2015 Huile sur toile, 250 x 200 cm

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12.10.04 – FREE JAZZ, 2012 Huile sur toile, 250 x 200 cm

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16.03.16 – ARABESQUE, 2016 Huile sur toile, 280 x 250 cm

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14.05.24 – PATTERN PAINTING, 2014 Huile sur toile, 280 x 250 cm

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09.05.12, 2009 Huile sur toile, 225 x 225 cm

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09.05.26, 2009 Huile sur toile, 250 x 250 cm

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09.03.04, 2009

Huile sur toile, 220 x 290 cm

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09.02.18, 2009

Huile sur toile, 250 x 250 cm

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Olivier Kaeppelin

II

YVES ZURSTRASSEN

Un théâtre de la réinvention Dans cet atelier, j’ai évoqué la présence essentielle de la musique. Elle accompagne et relance le mouvement intérieur du peintre lorsqu’il cherche et compose son espace. C’est ce mouvement qui est essentiel, davantage que les éléments qu’il charrie. Sa position est comparable à celle d’un écrivain. L’important n’est pas tel ou tel mot connoté par un sens ou, un autre, non plus l’accumulation des lignes mais, d’abord, l’ordre des mots et, ainsi, le type de phrase qu’il compose. Le peintre pense non par des phrases mais par des formes. Chez lui, pas de déclaratif ni de rhétorique mais du « performatif ». Chez lui, « les attitudes deviennent formes » et c’est cela qu’il construit avec l’histoire ou l’inédit de ces formes – inédit qui naît de l’exercice, de la répétition et de la connaissance. Pour Yves Zurstrassen, nous avons évoqué Fernand Léger, Stuart Davis ; n’oublions pas Shirley Jaffe ou Robert Rauschenberg. Pour les connaître, il n’use pas de la citation mais choisit d’aller au cœur de leurs travaux. Il les utilise, les détourne, les déconstruit puis les réinvestit, pour une génération enivrante de formes nouvelles. Elles sont les cellules d’un corps de peinture qui deviennent celles de son propre corps. Cette manipulation, cette transformation, cet enfantement de formes s’éclairent, pour moi, par cette réponse, un matin à Trieste, de James Joyce à Italo Svevo. Ce dernier voit arriver James Joyce, pour le premier café, harassé, blême : « Vous m’avez l’air fatigué, lui lance-t-il. Qu’avez-vous donc fait ? — Je n’ai cessé d’écrire, lui répond James Joyce. — Mon dieu ! Vous avez dû écrire un grand nombre de pages.

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— Non, deux ou trois seulement, répond Joyce. — Ah ! murmure Svevo, surpris. Vous avez dû dénicher des mots inouïs ou inventer d’incroyables nouveaux mots. — Non, dit Joyce, ce sont les mots ordinaires de la langue ordinaire. — Pourquoi alors tout ce travail et tout ce temps ? s’exclame Svevo. Qu’en avez-vous fait ? — J’ai cherché avant tout, dans quel ordre les mettre, répond Joyce. Tout est là, dans l’ordre, qui donne le rythme, qui crée l’esprit de la matière, du langage. Il ponctue, il distribue les blancs, les assonances, les rimes… »1 Peinture, sculpture de mots ? James Joyce parle de la respiration, de cette recherche, à travers la phrase, de l’air, du souffle, d’une matière merveilleuse car jamais statique, créée par la respiration. Cette quête est présente dans l’œuvre d’Yves Zurstrassen. Quand je l’interroge à ce sujet, dans son atelier, il n’évoque pas la littérature mais, une fois encore, le jazz où il trouve les correspondances avec son art. Il évoque un même désir, grâce à la composition comme à l’improvisation, de découvrir les structures et les formes justes. « Je suis comme un musicien, confie-t-il. Parfois je joue seul, parfois je joue avec d’autres peintres, autour de moi. Dans ma mémoire, dans mes mains, il m’arrive de jouer en quartet ou plus : en formation de grand orchestre… Toute la composition se transforme. Comme eux, je suis mes notes et parfois, je décide d’en pousser une au plus extrême, le plus loin possible, parfois au contraire, j’imagine des accords et des chœurs. Quand je découvre une figure, un geste ou la réutilisation juste d’une figure, ce sont des petites “découvertes”, que je saisis puis que je développe. Elles peuvent m’emmener à une seule peinture ou à une série d’œuvres, comme celle de tableaux, jaunes et noir, que je développe actuellement. Il m’arrive d’avoir le sentiment, à travers la couleur, le papier, les collages et décollages, le dessin numérique, de trouver un outil exact. Alors, je m’en empare et l’utilise “à fond”, dans toutes sortes de mise à l’épreuve, jusqu’à ce que j’ai le sentiment d’être allé le plus loin possible. Je l’archive pour peut-être m’en resservir. Je ne l’abandonne pas mais je préfère me confectionner un nouvel outil, théorique et technique. Lui aussi, je l’emploierai jusqu’au bout. Après m’être servi d’un outil, il m’arrive souvent de le mixer à d’autres pour qu’ils me conduisent à la création de nouveaux tableaux, avec de nouveaux types d’harmonies.

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1.

Propos relatés par Franck Venaille lors d’une conversation avec l’auteur en 1990.


YVES ZURSTRASSEN

J’ai des passions formelles, puis des délaissements. Mais les dispositifs, les instruments qui ont permis ces passions demeurent dans mon atelier. Ils sont présents dans mes réserves, dans mes archives, dans mes photos et je peux les réutiliser. Je n’ai pas de goût pour la tabula rasa. Dans les travaux de ces dernières années, par exemple, le fond de mes toiles peut se composer de fragments anciens, que je reprends, recadre, réinterprète et que je réinvestis dans l’œuvre actuelle. Par ce procédé, j’ai le sentiment de maintenir une cohérence, une continuité d’une période à l’autre. La peinture n’est pas faite de négations arbitraires, de coups d’éclat éphémères, c’est un courant subtil et complexe. C’est de ce courant que se manifestent les formes qui s’échappent, cet espace qui fuit de toutes parts évoqué par Ted Hughes. De la répétition de façon paradoxale, naît cet élément essentiel pour l’art, comme pour notre activité cérébrale : l’expérience de la surprise. Mais, pour cela, la présence du passé est nécessaire. Une forme trop parfaite, je l’arrête car je sais que la suite sera mortifère. En changeant, je me régénère, je relance ma main et ma pensée. À Tolède, j’ai présenté une série de tableaux très graphiques, noir et blanc. Pendant un temps, j’ai “plongé” dans ce noir et blanc. Je me suis investi dans ce dualisme que j’ai concrétisé dans des structures très affirmées mais que j’ai voulu très diversifiées. J’aime la radicalité, la rigueur mais, je sais aussi que vient toujours le moment où je casse le système que j’ai moi-même construit. J’ai besoin de ce rythme : affirmation, répétition, rupture. Déliter les systèmes que je développe, m’enrichit, me recharge et me permet de continuer. » Yves Zurstrassen fait l’éloge de cette attitude mentale, du besoin de préparer l’irruption de la surprise. Cette économie lui est essentielle. Il y reconnaît un principe vitaliste. Il se rapproche de la neurobiologie, de la neurogénétique qui font de l’expérience de la surprise un des processus essentiels de notre activité neuronale, fuyant le vieillissement, l’anémie cérébrale. J’y devine l’origine de cette joie, cette sérénité, qui rayonnent dans son œuvre lui évitant ainsi d’être le copiste de lui-même.

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13.10.02 – OPENING, 2013 Huile sur toile, 230 x 195 cm

→ P. 148–149 Atelier du Val Fleuri, Uccle, octobre 2016.


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YVES ZURSTRASSEN


Cette jubilation, cette énergie sont les fruits de sa position poétique et éthique. Elle fait de l’homme, du peintre, un être qui trouve son sens dans le processus de création, « les travaux et les jours » de cette création. Tout le mouvement du réel réside dans cet acte de créer et non dans la création réalisée. Yves Zurstrassen habite le rythme du monde et attend qu’à travers lui surgisse le réel. Chaque jour, il a rendez-vous avec ce temps de la naissance, de la croissance, avec les savoirs et figures imaginaires, avec l’art et les artistes qui sont en lui. Ils l’ont porté sur les fonts-baptismaux et, comme il l’explique, ils sont une part du temps de ce corps de peinture qui est le sien aujourd’hui. Tout au long de son existence de créateur, il a à faire avec ce temps, en deçà et au-delà de la durée de sa vie. Voilà près de vingt ans, à Paris, je lisais à Yves Zurstrassen cette phrase de George Perros que j’avais choisie pour lui, comme si elle éclairait le cœur de son travail et qu’elle était la question majeure qui l’accueillait chaque matin, quand il arrivait dans son atelier, après avoir traversé la ville. En 2019, la peinture l’attend comme l’écriture attendait George Perros. Celui-ci écrivait alors : « Le poète n’a que le temps pour, avec lui. » C’est au peintre que je pensais quand je lui fis lire cette phrase pour évoquer ce temps auquel il devait faire confiance comme en un compagnon bienveillant. Au fil des années, cette confiance lui a permis l’usage libre et souverain de l’histoire et de ses codes qui est le sien. J’écrivais au sujet de sa peinture : pour certains peintres, la peinture est à la fois l’apprentissage de règles strictes de compositions, de styles et, paradoxalement, l’affirmation de la plus grande des libertés. Cette liberté n’est pas une pétition de principe mais un espace précisément construit. C’est par la connaissance de l’histoire de l’art, l’engagement dans la création du siècle, la maîtrise des gestes, le jeu des formes et leur mise en œuvre, que l’espace lui-même, sans discours, me fait éprouver cette liberté en acte. Yves Zurstrassen est le peintre de cet affranchissement. Le pari consiste dans le fait que la connaissance la plus profonde des grandes œuvres du temps – Tobey, De Kooning, Pollock, Polke, par exemple – est un gage pour se défaire

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16.02.18 – OPENING, 2016 Huile sur toile, 150 x 150 cm


YVES ZURSTRASSEN

d’un ego réducteur. C’est grâce au flux pictural, parcouru, traversé qu’il aboutit à sa seule peinture et devient pleinement son sujet. En fait, Yves Zurstrassen ne veut plus se laisser distraire par lui-même, par les événements de sa vie et de sa biographie pour atteindre à une vie plus profonde qui est celle de la création. À la façon des Italiens, il pratique le rifare. Il « refait » comme les peintres renaissants, baroques ou maniéristes « refaisaient » les œuvres des maîtres qu’ils s’étaient choisis pour se dépouiller de toute complaisance. Dans ce rifare, pour abandonner les savoirs conventionnelles qui les portaient, mais en les contraignant, afin de générer leur style propre, Yves Zurstrassen se dégage « en pleine connaissance » de l’histoire qui la formée. Son œuvre fait le tour d’un territoire pour, en conscience, déclencher le pas au-delà qui, lui dérobant cette conscience, lui permet cette expérience contre toute grammaire, entendue, réductrice. Grâce à cette recherche complexe, méthodique, aventureuse, les formes s’autorisent cet exercice de la liberté. En effet, que percevons-nous des structures, des dispositifs qu’il met en place ? D’abord une extrême indépendance des figures par rapport aux surfaces, une addition paradoxale de qualités dissemblables ou opposées. Elles définissent des aires de différents formats, construites et composées. Il s’y mêle des appropriations du passé (styles, images, poétiques) et des stratégies picturales inédites. Chaque tableau est fait de fragments, non pour demeurer dans un état de parcellisation mais pour créer, au contraire, le sentiment d’une totalité à travers les déploiements, les « frémissements » des différentes surfaces de la toile. Le tableau est la conséquence d’une esthétique du collage, qui produit d’abord la sensation de recouvrement, d’opacité, avant que, grâce à la technique du décollage, le contraire se produise et que nous ressentions la fragilité d’une surface « inframince » produisant une nature picturale aérienne, mobile et transparente. Yves Zurstrassen joue de ces éléments paradoxaux avec la plus grande indépendance, et, le plus grand des plaisirs. Le plaisir est de s’avancer suffisamment dans le jeu pour en perdre la règle. Il s’agit d’un acte poétique consistant à « tout » appeler à soi, comme le font certains poètes ou musiciens

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16.09.30 – FRAGMENTS, 2016 Huile sur toile, 170 x 170 cm


contemporains afin que l’espace s’anime de toutes les incarnations picturales possibles comme de toutes les virtualités qu’elles supposent. Regarder un tableau d’Yves Zurstrassen, c’est devenir l’acteur de cette poétique de souveraineté où nous passons, sans entrave, de l’espace cadré au concept d’espace « sans bords » pour revenir à l’espace « du tableau dans le tableau » – comme dans les peintures 13.03.12 (2013), 12.10.04 – Free Jazz (2012), 14.05.24 – Pattern Painting (2014), 15.02.25 – Opening (2015) – pour, à nouveau, le quitter pour des surfaces hors champ. À n’en pas douter, ces allers-retours, ces mouvements sont comparables à ceux de la danse : genèse, dilatation, rétractation, expansion, superposition, mais aussi soustraction, « enlèvement », évanescence, illusion, effacement… Si je cherche à nommer l’espace créé par ces notions ou ces opérations, je ne trouve aucun mot du lexique. Je risque, alors, ceux-ci : corps, cosmos, théâtre, lumière, architecture, dessin, chorégraphie… Sans doute s’agit-il de tous ces mots mais plus encore de ceux qui peut les lier entre eux dans d’étranges scènes : carnavals ou sarabandes. Au fond, dans ces superpositions, ces mixages, ces glissements, faits d’ordre et de chaos, un seul mot m’apparaît obstinément : celui de peinture auquel je peux, plus « froidement » associer celui de composition. Constater que « nous sommes bien au lieu de la peinture » n’est là que pour relancer, une fois encore, son déplacement sur la carte afin de savoir où nous conduit vraiment ce mot qui nous livre à une substance et un esprit qui ne sont vivants que parce qu’il nous échappe. Stupéfiante toute-puissance de la peinture, stupéfiante machine désirante. Devant les toiles d’Yves Zurstrassen, je suis devant de singulières batailles de genres. Le peintre les fait décliner jusqu’à une tonalité apaisée, il cherche une dépense constante d’énergie pour atteindre une vibration générale où s’anime son univers. Notre seule « clé d’entrée » est la sensation pure et le désir de se laisser emporter par un lent déplacement de rythmes. En regardant la peinture d’Yves Zurstrassen, je pense à cette phrase de Gustave Flaubert qui l’éclaire : « Un livre est pour moi une manière spéciale de vivre. À propos d’un mot ou d’une idée, je fais des recherches, je me perds dans des lectures ou des rêveries sans fin…2 » Changeons les mots livre et mot en tableau, espace et forme : nous sommes au cœur de sa peinture, de sa vie propre, de sa construction, de cette « aventure méthodique » dont parlaient Braque et Reverdy. Yves Zurstrassen ne rejette pas ce terme mais il précise que pour lui une méthode ne vaut que si elle implique de penser son contraire, suppose de la contredire, ou de la développer jusqu’à un point éloigné qui oblige sa mise en cause ou son abandon.

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2.

Gustave Flaubert, lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 1861, in Correspondance, Éd. Louis Conard, Paris, 1927, p. 357.


YVES ZURSTRASSEN

L’important réside dans cet équilibre entre la règle et le risque. Yves Zurstrassen rappelle, à la manière du scientifique René Thom, que tout ordre, tout système suppose de penser en son sein, son contraire, la catastrophe ou le chaos. La rigueur des lignes suppose le tremblement des tracés, leur rupture. La géométrie et son développement, par exemple, a conduit le peintre à utiliser le graphisme numérique mais ce graphisme sera à son tour manipulé par les mains du peintre qui le soumettra à l’aléatoire de la déchirure ou du mélange des matières picturales. L’ondulation des aplats relanceront le dialogue, les contradictions entre l’intuition et le plan. Ce type de rythme, ce battement, Yves Zurstrassen les connaît bien grâce au jazz et ses capacités de s’extraire des lignes mélodiques par l’improvisation. Son amour de John Coltrane ou d’Albert Ayler n’est pas sans rapport avec sa pratique picturale. Ses structures de composition présentent des homothéties avec le jazz de ces deux grands interprètes comme avec la science d’Edward Lorenz, d’Ilya Prigogine ou d’Isabelle Stengers. À ce sujet, il faut également rappeler qu’à certains moments du parcours d’Yves Zurstrassen, le lyrisme gestuel de sa peinture, une forme de chaos créatif lui était devenue insupportable et qu’à la manière d’Archie Shepp, ou d’Ornette Coleman, il leur a opposé, en un mouvement naturel, une volonté concrète et constructive. Sa conception du monde accueille donc ce jeu des contraires et des paradoxes. Yves Zurstrassen l’exprime à travers différentes modulations, la sinuosité du pinceau et le dessin droit, l’onde et la particule, le méandre et l’angle droit. C’est grâce à ce balancement qu’il construit ce monde. Il y cherche une forme d’aplomb fragile des énergies. « N’appartenir qu’à un ordre me rendrait fou, déclare-t-il. C’est pour moi insupportable. Je ne crois pas aux concepts totalisants, aux pratiques monolithiques. Je pense que cela explique la dernière période de Jackson Pollock avec Deep, où il cherche une sorte de paix. » Il en est de même, je crois, malgré ce que l’on sait des ukases de l’idéologie réaliste-socialiste, pour Malevitch, qui décide, non de se taire mais d’abandonner le territoire où ses expériences l’avaient conduit, pour les utiliser à d’autres fins : une transfiguration singulière de l’héritage sensible.

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16.10.30 – THE BEGINNING, 2016 Huile sur toile, 170 x 170 cm

→ P. 154–155 Atelier du Val Fleuri, Uccle, avril 2019.


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YVES ZURSTRASSEN


Quoi qu’il en soit, à travers ces différents temps, ces différentes périodes, la pratique picturale est la clé de tout. En ce sens, comme l’envisageait Xavier Douroux, Yves Zurstrassen est un lyrique : la beauté de son œuvre vient de ce refus du dogme qui enrichit son œuvre. Le risque et le contrepied se jouent des méthodes et des règles. Il est révélateur qu’il ait souhaité la présence de Joëlle Léandre, cette « exploratrice », au sein de son exposition à BOZAR. Il s’agit d’inventer et non d’inviter à la répétition du même. L’artiste craint par-dessus tout cet état où il oublie sa capacité d’interprétation qui est son véritable trésor. L’œuvre d’Yves Zurstrassen ne se résume pas à l’expression de pulsions et propulsions, elle n’est pas non plus citationnelle ou postmoderne. Ces processus ne sont que des emprunts passagers et changeants offerts à la manifestation de sa liberté. Pour lui, le plus haut degré de l’émotion est au bout du chemin, quand nous ne reconnaissons plus, nous ne pouvons plus nommer et que notre être n’est présent que pour le seul « réel » de la présence de la peinture. Le passé et le futur se dissolvent et le tableau devient une manifestation intense et subtile du présent, là, devant nous. « Je cherche aujourd’hui cette subtilité, indique Yves Zurstrassen. Je ne suis plus à l’époque où tout devait être effusion. Je cherche à retrouver une même intensité en passant par des alternances entre l’analyse et le pulsionnel, l’usage contrôlé des valeurs et les projections aléatoires. Je suis, aujourd’hui, très intéressé par l’attitude d’un Charlie Haeden en jazz ou, celle d’un Albert Oehlen, en peinture. Faire un tableau est, chaque jour, plus complexe, plus difficile. Je cherche à faire des œuvres avec lesquelles l’on puisse se confronter et que l’on puisse confronter au monde. Je cherche à comprendre ce qu’est la réalisation d’un tableau et j’ai conscience des géologies que cela nécessite. Il faut “une vie” pour faire un bon tableau. Je sais qu’il faut avoir en soi une sensibilité et une culture façonnée par l’histoire de son art comme par l’Histoire tout court, par une compréhension de ses pairs comme des créateurs de l’époque, mais je sais

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17.03.27 – SOLO UNA VEZ, 2017 Huile sur toile, 100 x 100 cm


YVES ZURSTRASSEN

aussi qu’il faut congédier les dictionnaires, pour prendre possession du temps, du temps long, de ce puits de temps qu’est l’atelier. » « Faire un tableau qui puisse se confronter », pour reprendre les termes d’Yves Zurstrassen, c’est tout le problème du peintre car la peinture a une très longue histoire ponctuée de périodes héroïques comme celle de l’abstraction du xxe siècle. Peindre dans les années 1980, c’était prendre en charge ce passé et les dialogues qu’il inspirait. C’est ce qu’ont fait les peintres américains et européens de ces années-là, comme l’a montré l’écrivain et critique américain Rafaël Rubinstein dans ses travaux sur Shirley Jaffe, puis sur Noël Dolla, Bernard Piffaretti, Bernard Frize, auquel je pourrais ajouter Christian Bonnefoi, Dominique Gauthier, sans oublier Raoul de Keyser, Claude Viallat, Louis Cane, Daniel Dezeuze et le groupe Support/Surface ou, pour les plus jeunes, Didier Mencoboni, Dominique Figarella, Pascal Pinaud, Bruno Rousselot, Damien Cabanes, pour n’en citer que quelques-uns. En Europe, cette affirmation de la peinture abstraite s’est également développée en Belgique, en Espagne, en Allemagne, en Suisse, en Italie, dans des atmosphères parfois hostiles qui ont fortifié ces œuvres malgré leur solitude. Quelle que fût la vivacité de ces créations, les intérêts et les discours d’alors, la critique dominante s’appliquait à d’autres objets, à d’autres productions artistiques. La peinture était souvent considérée comme une pratique archéologique. À cette époque, rappelle Yves Zurstrassen, être peintre demandait une conviction ancrée et la conscience de la valeur contemporaine de ce moyen d’expression. Il évoque à ce sujet son amitié avec le peintre Jean-Paul Huftier, présenté par la galerie Stadler, qui organisa au Musée André Malraux du Havre une de ces expositions manifestes faisant le point sur la conception et la création picturale abstraite de ces années-là. Il se souvient d’un voyage à New York pour continuer les rencontres initiées en France avec Norman Bluhm qui, avec Shirley Jaffe, étaient les aînés, les références intellectuelles de ces jeunes peintres. Pour cette génération de la peinture abstraite américaine (Philip Taaffe, Christopher

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18.03.01 – CONTREPOINT, 2018 Huile sur toile, 190 x 190 cm


Wool, Peter Halley, Jonathan Lasker, David Reed, Tom Noskowski, Joseph Marioni… ), l’accueil aux États-Unis et en Europe fut attentif. Ce ne fut pas tout à fait le cas pour les jeunes européens dont faisait partie Yves Zurstrassen qui s’amuse à reprendre cette annotation d’un spectateur furieux, dans un livre d’or d’une exposition de Joan Miró, qui proclamait en substance : « Les peintres ! Il faudrait leur couper les mains. » Oui, se rappelle Yves Zurstrassen, « à cette époque, certains auraient bien voulu que les peintres n’aient plus de mains. » Depuis, le temps est passé, et nombre d’artistes ont choisi la peinture pour s’exprimer, quelles que furent les opinions conjoncturelles de leurs juges éphémères. Et si, en 2019, la peinture demeure une extraordinaire aventure conceptuelle et matérielle, c’est bien parce que ces peintres de différentes générations, écoles, pays n’ont cessé de la tenter, de la développer, de l’approfondir. À ce sujet, Yves Zurstrassen se souvient : « C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait “sortir du bois”, revendiquer notre grand héritage pictural, dans toute sa diversité. Parce que je pensais le monde grâce à la peinture, il fallait trouver un lieu, concevoir un atelier, un espace dédié à l’actualisation de ma pensée. Il fallait ne pas se plier aux idées dominantes. C’est comme cela que s’explique une partie de ma vie et de ma création. Sans prétention, je crois, j’ai utilisé tant de moments extraordinaires de l’histoire de cette pensée : les primitifs, Frans Hals, Picasso, Matisse, etc., pour les réinvestir, les incuber, lier leurs formes à d’autres issues d’autres cultures, d’autres époques. » Paradoxalement, cette solitude a d’abord convaincu Yves Zurstrassen que l’essentiel était la compagnie des peintres et il choisit que certaines de leurs formes infusent ses propres formes. Il y a chez lui, une création absolument singulière d’hybrides se métamorphosant en formes inédites. Elles s’incarnent sous nos yeux. Elles sont parfois joyeuses, décoratives, parfois graves, intensives, parfois mémorielles, réflexives. Je suis à la fois appelé vers l’extérieur, dans un monde d’énergies en expansion, et entraîné, au contraire, à l’intérieur, en un plongeon, un « bain »

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18.11.28 – FOND JAUNE, 2018 Huile sur toile, 150 x 150 cm


YVES ZURSTRASSEN

parcouru de figures ondoyantes. Ces ambivalences productives ne sont atteignables que dans le double mouvement d’une concrétion, puis d’une dépense centrifuge d’une grande intensité. J’ai remarqué que malgré l’équilibre « bien tempéré » de ses compositions, l’ordre et la cohérence de son dessein, Yves Zurstrassen emploie souvent les mots « extrêmes » ou « poussés à l’extrême ». De nos conversations, je retiens à nouveau cette phrase : « Quand j’ai trouvé une procédure ou un outil, je les pousse à l’extrême pour savoir tout de ce qu’ils peuvent produire, puis je les abandonne. J’attends qu’ils se rechargent. » Cette respiration, cette façon d’être entre « charge et dépenses » au cœur de l’acte, cette respiration dans l’énonciation de la peinture ne peut être que le résultat d’une expérience quotidienne, solitaire, préservée. C’est à ce prix qu’elle atteint l’intensité nécessaire. Chaque jour, la recherche de cette intensité est au prix du risque que nous avons évoqué. La peinture produit du langage, mais Yves Zurstrassen nous rappelle qu’avant cela, le tableau est muet, qu’il se définit par « un blanc », « un noir » ou « un trou » qu’il nous impose. Dans les discours, c’est au moment où se tait l’énoncé –  les commentaires  –, dans ces moments de silence, que peuvent se construire les peintures et leurs modes d’existence. « Je suis un autodidacte, rappelle Yves Zurstrassen. Je ne suis pas un intellectuel qui projette la peinture, c’est le tableau qui me guide, qui m’apprend ce que je sais, ce que je suis. C’est lui qui me permet d’atteindre une forme de connaissance. » C’est en mettant au point, après des heures de manipulations, sa technique de collage et décollage, répondant à sa volonté d’aller plus profondément, au cœur de la peinture, vers cet espace infra-mince qu’il cherche, vers cette dissolution de la matérialité du collage, tout en conservant sa vision poétique et esthétique, c’est en poussant « à l’extrême » cette pratique picturale qu’il parvient à incarner sa pensée. Le tableau, « théâtre d’opérations », le conduit vers cet espace qui est le sien, où se manient les hétérogénéités des surfaces, les forces de frottement entre les assemblages, pour atteindre l’apesanteur et la qualité aérienne des éléments mis en jeu.

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19.01.08 – FIGURE DANCING, 2019 Huile sur toile, 170 x 170 cm


Ce processus de métamorphose est d’autant plus paradoxal qu’il accouple les dimensions sculpturales et picturales dans le dessein de nous faire vivre le réel tactile des poids et des masses tout en nous livrant à leur dimension immatérielle et mentale. Cet oxymore crée une qualité et un langage qui sont le propre de l’espace d’Yves Zurstrassen. Nous habitons alors un monde où apesanteur et gravité appartiennent au même temps, ce qui implique une nouvelle manière de se mouvoir dans l’univers. Cet état de l’espace et des corps qu’il accueille a pris désormais toute sa dimension et donne, depuis dix ans, une étonnante force à son œuvre. Cette force et cette liberté construisent une forme de plaisir, de joie et de jubilation. Est-ce le lointain héritage matissien ? Il y a chez lui la recherche et l’expression d’un bonheur des formes. Après avoir traversé passionnément l’histoire de l’art, joué avec toutes sortes d’inspiration, je constate que son œuvre non seulement ne s’est pas dissoute mais au contraire, s’est définie, fortifiée : « Painting is the healing force of the universe. » La question n’est donc pas celle d’une analyse, philologique, détail après détail, pour comprendre comment cette vision s’est formée, mais l’appréhension d’un mouvement unissant esthétique et éthique manifestée par une praxis. Il ne s’agit pas de fouilles ou d’archéologie, mais du déroulement d’une aventure mentale où le peintre cherche un graal dont le nom est peinture, qui est, pour lui, « l’autre nom du réel », désormais au-delà de l’histoire qui l’a construite. Une porte s’est grande ouverte, sur un espace intérieur qui, à son tour, ouvre sur les rythmes essentiels de l’univers tel que les sciences physiques le font entrevoir. Cette porte s’ouvre au cœur de son atelier, au lieu même du médium pictural où, depuis près de dix ans, chaque nouvelle série relance ce dialogue ininterrompu. En 2019, devant l’extraordinaire dernière série de tableaux jaunes, je suis, par ce processus même, le témoin d’une éclosion intense de la peinture. Cette intensité, je l’avais ressentie devant Simon Hantai dépliant ses toiles « bouchonnées », pliées, pour laisser apparaître ce qui serait désormais son tableau. Le travail d’Yves Zurstrassen nous met aux aguets, non pour nous précipiter sur un objet, une proie, mais, pour faire de nous des « chasseurs » d’espace se déployant et « sonnant » comme des notes de musique. L’émotion est grande quand naît, grâce à un créateur, un nouvel espace qui accroît notre surface vitale.

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14.04.11, 2014

Huile sur toile, 190 x 190 cm

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14.08.20, 2014

Huile sur toile marouflée sur bois, 60 x 60 cm

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15.05.06 – BYE BYE, 2015

Huile sur toile, 180 x 180 cm

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15.03.15 – VOLTE FACE, 2015 Huile sur toile, 120 x 120 cm

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15.03.27 – LA TIERRA DEL SOL, 2015 Huile sur toile, 180 x 180 cm

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15.03.17 – LA TIERRA DEL SOL, 2015

Huile sur toile, 140 x 140 cm

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15.04.15 – LA TIERRA DEL SOL, 2015 Huile sur toile, 280 x 250 cm

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→ P. 168-169

15.04.15 – LA TIERRA DEL SOL (détail), 2015 Huile sur toile, 280 x 250 cm


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15.06.25 – FOREVER, 2015 Huile sur toile, 140 x 140 cm

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15.06.05 – FOREVER, 2015 Huile sur toile, 140 x 140 cm

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15.06.15 – OPENING, 2015

Huile sur toile, 130 x 130 cm

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15.10.15 – OPENING, 2015

Huile sur toile, 130 x 130 cm

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Galerie Xippas, Genève, 2017.

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15.04.24, 2015

Huile sur toile, 140 x 140 cm

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15.02.04 – FRAGMENTS, 2015 Huile sur toile, 170 x 170 cm

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15.02.12 – OPENING, 2015 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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15.03.05 – OPENING, 2015 Huile sur toile, 290 x 240 cm

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16.03.10 – ARABESQUE, 2016 Huile sur toile, 190 x 190 cm

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FREE ENERGY

Museo de Santa Cruz, Tolède, Espagne, 2019.

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YVES ZURSTRASSEN


Museo de Santa Cruz, Tolède, Espagne, 2019. — Salle 1


Olivier Kaeppelin

III

YVES ZURSTRASSEN

Free Energy

Il pourrait entrechoquer les planètes et créer ses soleils et ses étoiles, sa chaleur et sa lumière ; il pourrait donner origine à la vie sous d’infinies formes. Nikola Tesla, scientifique et inventeur, The New York Times, 19 avril 1908

Exposition, Museo de Santa Cruz, Tolède, Espagne, 2019.

— Salle 1

— Salle 2

Comment éprouve-t-on la pluralité des mondes ? Ceux de David Lewis ou d’Umberto Eco, ceux du promeneur envahi par le paysage : les fleuves, la plaine ou les arbres traversés de lumière, par la beauté des tissus jonchant le sol avant d’être emportés par la mémoire du voyageur, par les cartes qu’il consulte, colorées de mille territoires ; ceux des eaux, de la terre et de l’air où flottent la peinture, les fragments de peinture que nous avons sous les yeux et qui s’assemblent. Ils égrainent les noms des maîtres admirés, Henri Matisse, Stuart Davis, Willem de Kooning. Ils sont les chiffres secrets, les planètes d’un cosmos qui font danser ou tourner la tête. Yves Zurstrassen danse avec les mains, la pensée et, avec eux, il ouvre un espace, en collant, déchirant, décollant, jusqu’à être au cœur du lieu et du mouvement qu’il veut atteindre. François Barré évoque à ce sujet un lieu habité par le spectre des contrastes. Un spectre tournant sur lui-même, puis des spectres implosant, « 1, 2, 3, soleil », explosant. À la fois cercle et carré, énergumènes et bariolés, des spectres qui ouvrent le carnaval des formes.

Vivre une exposition, ce n’est pas vivre sa vie, mais cent mille vies dont chacun se saisit. Après s’être enivré de couleur, de l’énergie du désordre et de l’infinie joie de vivre, de la dépense fiévreuse des désirs, le mouvement s’épuise et la mort pointe son nez. La musique ne s’entend plus qu’à peine et l’on devine dans les labyrinthes des trames, des décollements, des béances, l’œil inquiet de Picasso qui interroge ou le regard fantôme d’un crâne de Cézanne, d’une vanité dissimulée. Les yeux travaillent avec les mains, avec le geste de la déchirure, mais aussi avec le dessin droit, le plan, la découpe au couteau. Nous sommes alors entre deux, à l’heure du loup, au fil du temps, entre la confusion de la nature et l’architecture qu’Yves Zurstrassen agence mezzo voce, « In a Silent Way ». Ce qu’il construit, l’observe-t-il de notre réalité comme Fernand Léger, de ce qu’il voit autour de lui, la ville, l’espace de nos vies industrieuses ? Ou, au contraire, de ce qu’il ne voit qu’en fermant « son œil physique » pour contempler l’intérieur de sa boîte crânienne ? Une boîte crânienne qui, rappelons-le, est son premier atelier, un espace invisible et vital à qui il donne un corps, mais un corps funambule.

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Museo de Santa Cruz, Tolède, Espagne, 2019. — Salle 2

— Salle 3

Crow brûle jusqu’aux cendres de la terre, s’élance dans l’espace. Où est la bête noire ? Le silence décampe, l’espace s’enfuit dans toutes les directions. Où est la bête noire ? Ted Hughes, « La Bête Noire », Crow, 1970.

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Nous savons, depuis Pierre Bonnard, que le noir est une couleur. Le noir porte toute la beauté et l’énergie du monde. Car s’il est parcouru de mille teintes, de mille nuances, de mille lumières, comme nous le montre Pierre Soulages, il est aussi à la naissance sidérante de toute forme comme le dessine Franz Kline. Le noir est souvent la couleur de l’écriture, des lettres et des mots, la splendeur du signe, celui de la pulsion chez Jean Degottex ou celui, comme chez Christopher Wool, de la construction droite, du rythme entre vide et plein. En Occident, le noir est une couleur qui n’est pas sans danger. Elle nous menace du deuil ou de la nuit. Elle est, par opposition au blanc, hypothèse d’une occultation, d’une dépression, d’un aveuglement, pour mieux voir, pour voir « à nouveau ». C’est pour lui qu’il bataille, qu’il construit et déconstruit. Il se ressource dans cette aventure « blanche et noire ». Ted Hughes, le poète anglais, voyait dans le noir l’attribut d’une étrange créature. Il arrive que l’espace s’enfuie dans toutes les directions, c’est cet espace que « chasse » Yves Zurstrassen. Avec le noir, il se lance à sa poursuite, comme Herman Melville le poursuivait avec le blanc de la peau de Moby Dick dans l’enlacement des deux.


YVES ZURSTRASSEN

— Salle 4

— Salle 5

Et il y a l’Espagne, les couleurs parfois rigoureuses de l’Espagne. L’Espagne de Tolède, des murs de pierre ou, plus au sud, de la terre, celles des villages et des campagnes, ocre d’or ou sombre comme la terre d’Italie. Sombre de l’architecture, des maisons et des paysages, des tableaux de Morandi. Ce qu’il reste du feu. Les rythmes et les déchirures du brun et du noir qui mêlent nos mémoires arabes et andalouses. Leurs chants, je les entends quand nous marchons dans l’obscur des architectures, des mirages de ces terres solaires, de ce soleil dont les moucharabiehs nous protègent, grâce à leurs espaces pariétaux où la lumière et l’ombre habitent l’espace « troué-traversé » de l’aube au crépuscule, par le mouvement du jour, le mouvement du vent. Le plan du tableau est délité, dilaté, dissous par le dessin des arabesques, par le dialogue permanent entre la géométrie et les sinuosités des lignes. Cette opposition – ou plutôt cette superposition –, cet entrecroisement permanent entre l’angle et la courbe ne sont en rien une affaire de décor, mais bien une poétique, comme chez Philip Taaffe, existentielle et mentale. Le tableau est la métaphore et la métonymie de cette recherche infinie d’un équilibre inatteignable. Elle est la trame mobile de nos vies.

La beauté austère de l’Espagne, Yves Zurstrassen l’emporte dans ses différents ateliers, il en a compris la rigueur et le rythme. Cette Espagne est une part de lui-même, de sa géométrie et son mouvement. Ceux de Tolède comme ceux de Séville avec ses couleurs plus éclatantes, plus vives. Cette situation participe du syncrétisme de sa peinture, de son expression picturale qui permet, après l’ombre, de retrouver les couleurs déjà rencontrées, non plus comme expression de dissémination ou de fièvre, mais comme éléments de composition et de chorégraphies précises de formes. C’est alors la danse que nous avons devant nous, et un artiste qui croit en la capacité des formes à danser, à nous offrir un gai savoir, un « savoir sachant danser ». Ce n’est pas une philosophie équilibriste, mais la recherche d’une méthode, d’un principe vitaliste et, cependant, suspendu, une chorégraphie faite de poses et de révolution relancée, mais d’une révolution maîtrisée. L’émotion est grande de voir cette « explosante-fixe », mais plus encore de vivre cette quête qui rapproche, au plus près, l’abstrait et la figure, pour exprimer la structure du réel. Ici, l’abstraction crée « plus de réel ». Un réel intense, comme il en est chez certains de nos contemporains comme Albert Oehlen ou Jonathan Lasker, mais plus encore, puisqu’il s’agit de danse, comme dans l’inoubliable Broadway BoogieWoogie de Piet Mondrian.

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15.10.21 – OPENING, 2015 Huile sur toile, 140 x 140 cm

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16.04.07 – GAME, 2016

Huile sur toile, 190 x 190 cm

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16.03.02 – SUMMERTIME, 2016 Huile sur toile, 150 x 150 cm

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16.11.15 – SUMMERTIME, 2016 Huile sur toile, 220 x 195 cm

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16.11.24 – SUNNY DAY, 2016

Huile sur toile, 210 x 195 cm

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15.06.04 – SUMMERTIME, 2015 Huile sur toile, 190 x 190 cm

197



15.09.24 – SUMMERTIME, 2015 Huile sur toile, 190 x 190 cm

199


17.01.27 – SUMMERTIME, 2017 Huile sur toile, 100 x 100 cm

200


17.09.07 – SUMMERTIME, 2017 Huile sur toile, 150 x 150 cm

201


16.07.26 – THE GOOD LIFE, 2016 Huile sur toile, 150 x 150 cm

202


16.08.26 – SUEÑO SOLO, 2016 Huile sur toile, 150 x 150 cm

203


16.09.27 – FRAGMENTS, 2016 Huile sur toile, 160 x 160 cm

204


17.04.04 – SOLAR, 2017 Huile sur toile, 120 x 100 cm

205


206


17.04.17 – FRAGMENTS, 2017 Huile sur toile, 100 x 100 cm

17.03.21, 2017

Huile sur toile, 120 x 100 cm Galerie Valérie Bach, Bruxelles, 2017.

207


17.07.17 – DANCE, 2017

Huile sur toile, 120 x 120 cm

208


16.10.17 – THE BEGINNING, 2016 Huile sur toile, 160 x 160 cm

209


17.10.17 – NIGHT AND DAY, 2017 Huile sur toile, 170 x 170 cm

210


17.09.27 – NIGHT AND DAY, 2017 Huile sur toile, 170 x 170 cm

211


17.11.08 – ÉMERGENCE, 2017 Huile sur toile, 180 x 180 cm

212


17.11.28 – ÉMERGENCE, 2017 Huile sur toile, 180 x 180 cm

213


SOMETHING ELSE Galerie Xippas, Paris, 2018.

214


215



18.02.26 – MOONLIGHT, 2018 Huile sur toile, 190 x 190 cm

217


18.09.18 – FIGURES DANCING, 2018 Huile sur toile, 140 x 140 cm

218


18.06.07 – VOLTE FACE, 2018 Huile sur toile, 150 x 150 cm

219


18.03.14 – STILL LIFE, 2018 Huile sur toile, 220 x 195 cm

220


François Barré L’atelier du peintre La règle c’est le jeu

YVES ZURSTRASSEN

On the road Yves Zurstrassen connaît durant son enfance et sa jeunesse les rêves d’une liberté découverte. Revenu à la maison, il annonce qu’il ne veut plus étudier mais devenir peintre. Il apprend le graphisme au Centre des Arts Décoratifs (CAD) de Bruxelles et s’adonne à l’illustration. Il est pressé, quitte définitivement les études et le foyer familial. La vie de peintre commence à dix-huit ans. Il loue un grenier et peint tandis que les petits boulots se succèdent. En 1979, à 23 ans, il fait une première exposition dans le loft d’un ami. Grand succès ; nombreux visiteurs ; interventions spectaculaires de jeunes danseurs de la troupe de Béjart… Il part vivre un an en Grèce et en Crète. Libre comme l’air et son souffle des temps nouveaux – de paroles et de musiques On the Road, Again et de Woodstock, encore – Zurstrassen vague à la découverte de l’inconnu. Et survient ce qu’il relate comme son « rêve crétois » : un éblouissement, un dépassement qui n’est pas un récit mais le pressentiment d’un passage, la fin d’un temps et comme un embarquement. Tel le prisonnier de la caverne décrit par Platon, il se détourne des ombres portées des années passées pour avancer vers la lumière, la connaissance, les idées et les merveilles du monde intelligible. Il ne suit plus le chemin mais le crée. Il aime Mark Tobey (illumination, lumière, constellation, voyage mental) et Hermann Hesse dont il lit avec passion le roman Siddhârta et les écrits qui, fort prisés à l’époque – je fus pareillement captivé – exaltaient la recherche de soi, les voies du syncrétisme et l’éclosion initiatique. Un reste de mysticisme, une relation fusionnelle, panthéiste, à la nature continuent de l’habiter. Parfois, évoquant

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l’emportement des moments de peinture en plein air en Espagne ou en France, il est – dit-il – comme dans un état de transe. « J’étais un filtre, traversé par la lumière et ses variations. » Une mutation s’opère. Son parcours est alors jalonné de rencontres substantielles qui le transforment et le révèlent à lui-même, entre hasard et nécessité. Deux « chocs » – tous deux au Centre Pompidou – vont ainsi le remuer et l’affermir : Pollock en 1982 et de Kooning en 1984. Il commence à la même époque de capture et de provision, à s’intéresser à la musique répétitive, notamment de Steve Reich. « Elle était comme des baguettes qui dansent dans l’espace. Là aussi j’étais un filtre. Je me mettais en condition pour la recevoir. » Cette acculturation aiguise sa curiosité et nourrit son accomplissement. Multipliant les rencontres, il s’écarte des élans qui emportent pour se tourner vers la force d’un travail, d’une création à l’échelle de l’homme. Sa peinture est ample, allègre, s’épanchant en grandes voltes de couleurs qui se côtoient et se pénètrent. Sensualité, fusion/effusion, harmonie dionysiaque, chorus. Un flot s’écoule, un paysage se révèle. Il bouge. Ces toiles exultent ; d’une lignée qu’aurait pu reconnaître Willem de Kooning écrivant : La chair est la raison pour laquelle fut inventée la peinture à l’huile. » Elles se vendent très bien de 1989 à 1993. À la fois ogre et gourmet il puise en lui-même pour apprendre des autres, entrer en peinture et longuement éprouver les œuvres anciennes et celles du temps présent. Il se dit autodidacte mais connaît d’expérience les maîtres et les compagnons. Fort de leur histoire, il sait les obstacles et les pièges qu’il lui faudra éviter : le désir de plaire, de répondre plutôt que d’interpeller et l’absence d’un geste qui fonde et dit une singularité. Plusieurs années plus tard, peu après le début du nouveau siècle, il entend justement les dangereux conseils que peuvent prodiguer marchands et amateurs, convaincus que l’art doit plaire et qu’il faut donc arrêter la croissance d’un artiste pour qu’il reste à jamais figé dans la reproduction de soi, d’une manière et de formats qui, à ce moment, ont l’heur de séduire. De telles exhortations peuvent étouffer des talents et transformer l’or en plomb. Il sent cette menace et le risque encouru de se travestir en restant sur place, de se trahir en s’imitant ; de devenir une copie de soi. D’autres avant lui ont su résister. « J’essaie de ne pas m’habituer à ce que je fais », affirmait Robert Rauschenberg. Il continuera donc de chercher, de douter et d’avancer sans répondre à une commande. Il sera, quoi qu’en pensent les tenants du spectacle, du côté de l’offre, du don. Et peu importera désormais la réception de son œuvre. Elle sera sienne et pour le devenir lui imposera de forger une identité, une relation singulière au monde et à soi. Cet entre-deux prend en

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YVES ZURSTRASSEN

charge et transcrit le poids d’une vie, le bien d’une personne et son appartenance singulière à une histoire de l’art ; à ce que celle-ci apporte à la venue d’une œuvre et à ce qu’en retour l’œuvre changera du cours du temps. Il sait la force et la complexité d’un geste fondateur, de son tranchant et de ce qu’il dégage pour l’avancée temporaire d’un seul, hors des chemins battus, avant de devenir l’affluent d’une histoire. Il n’affirme jamais que tel sera son destin. Nul ne peut l’affirmer. Mais il sait qu’il faut en passer par là ; marcher et sortir de la caverne. Il croit et recherche ce geste fondateur, qui fait trace et perpétue une identité. Baselitz, Ryman, Richter ont montré la voie… « Considérez bien, Monsieur, que ce ne sont pas des choses que l’on peut faire en sifflant. » expliquait Nicolas Poussin au roi Louis XIII à propos de sa peinture. Revenu au pays et sorti des chemins propédeutiques, Yves Zurstrassen doit avancer seul. « Comment être libre après 2000 ans de peinture ? » interroge-t-il. En fixant ses propres règles. En en jouant, car la règle c’est le jeu et qu’il n’y a pas de liberté sans orée, de trace sans écart. L’empire des signes Le « contexte » est fondamental et détermine ce que nous sommes : de quelque part et d’un temps donné. Entours et alentours, objets et sujets, usages et circonstances forment le contexte de l’œuvre peinte mais diffèrent selon que celle-ci est figurative ou abstraite. La première tend à représenter et décrire le réel. Elle est un récit. L’abstraction – originelle chez Zurstrassen – congédie cette réalité donnée à voir pour en appeler à un ordre plus vaste, à une cosa mentale, englobant l’esprit – « Lorsque l’on ne représente pas les choses, il reste plus de place pour le divin », pensait Mondrian – et la société tout entière. Le réel, car il existe encore, est absorbé par le visible qui agit telles la musique et la poésie1. Yves Zurstrassen vit cette inclusion de son œuvre à un contexte plus large dont il est partie prenante et que sa peinture doit éprouver. Il ne suffit pas, pour être peintre totalement, de poursuivre ce qui est commencé et qui peut-être tend à prendre le dessus, emporté par sa propre force, son chant, son envol. Il faut encore maîtriser ce courant pour s’en enrichir et donner du temps à la passion ; de la patience peut-être. « Pour que le peintre puisse aborder sa propre peinture, il doit s’en dégager2 », être soi davantage sans ignorer les voisinages et les parentèles. Zurstrassen le sait et connaît ses contemporains, Christopher Wool, Philip Taafe, Jonathan 1.

223

Apollinaire avait, l’un des premiers, pressenti cette mutation : « On s’achemine vers un art entièrement nouveau qui sera à la peinture, telle qu’on l’avait envisagée jusqu’ici, ce que la musique est à la littérature » in Les peintres cubistes 1913, Éditions Hermann 1965, Paris.

2.

Les citations sans indications d’auteur sont d’Yves Zurstrassen, tirées de conversations ou extraites d’un texte que j’ai écrit en 2009 intitulé « In a Silent Way » pour un ouvrage Yves Zurstrassen. In a Silent Way. 2001-2009 paru en 2010 aux Éditions du Regard, Paris.


Lasker… et comment, avec eux, un paysage se forme et l’inclut. Mais il ne saurait y trouver la communauté d’une école ou d’un mouvement. Cette tentation n’est pas la sienne. Sa peinture participera d’une identité polymorphe incluant un temps présent perçu comme un empire des signes. Lorsque Fernand Léger puise dans le spectacle de la ville les signes de sa modernité : objets usuels, appels et lumières de la publicité, du commerce et de la communication, il initie un renouveau de l’art s’emparant du quotidien, des usages et de la technique. Zurstrassen est fasciné par la multiplication des signes graphiques venus de l’ornement, du décoratif, de l’imprimerie, de l’économique et maintenant de la révolution numérique. Une constellation sans fin d’éclats visuels accompagne tous nos actes, se répand comme une infime pulvérisation et donne à l’air une atmosphère saturée qui n’est plus celle d’Arletty et de l’Hôtel du Nord, mais celle de la mondialisation, du big data et d’une sémiotique graphique généralisée. Il ne manque jamais de retenir, de saisir ces présences graphiques, rassemblées dans des livres ou ponctuant l’espace de la ville. Il les photographie. C’est une prise. Non un élevage de poussière mais un patrimoine iconique, une collection active de codes et de signaux. Pour aller plus loin, il faut, disait Dubuffet, «trouver de nouvelles grilles ». L’entrée en peinture de ce peuple muet de formes véhiculaires, utiles ou gratuites, entraîne de multiples évolutions. Il convient d’abord de les recenser et de les transformer en ressource picturale. Un gigantesque rouleau de papier fin acheté dans une imprimerie fournira le matériau nécessaire aux découpes d’icônes ; puis le papier blanc sera transformé à l’aide d’un logiciel numérique en une dentelle-pochoir répondant aux dess(e)ins d’Yves Zurstrassen. À la fois mémoire et projet, ces feuilles accumulées au fil des ans et des œuvres demeurent comme autant de documents matriciels rangés dans de vastes boîtes. Plusieurs milliers d’entre elles sont en attente de nouveaux usages et de nouvelles recrues. À partir des années 2005, leur présence deviendra part entière de la création plastique et véritable invention picturale sans relation avec une histoire du collage ou du pochoir. Ces flèches, ces formes géométriques ou florales, ces étoiles, ces spirales, ces tressages, ces roues dentées, ces pignons, ces ressorts, ces volutes… patterns, trames, motifs vivront et vibreront dans les toiles, les armeront, les structureront, cacheront ou révèleront, seront fond ou surface, sens dessus dessous, arrière-plan ou frontispice, évidence ou égarement, temps piégé (quand le dernier apparu n’est pas le dernier peint), yin et yang, explosion ou écho… Leur apparition scelle une identité nouvelle, ce nécessaire geste fondateur, impliquant une singularité, une signature, un

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changement de statut, d’échelle (comme un personnage de fiction) et de signification matérielle du signe, devenu figure et objet ; activité même dans la toile. Véritable gisement de mémoire, ces icônes, ces grids aux affluences infinies dégagent, dans la verticalité même des dévoilements et recouvrements, une profondeur de champ nous menant d’un palimpseste à l’autre. Apparues sur une toile puis se retrouvant différentes sur une autre, elles instituent d’étranges consanguinités.

YVES ZURSTRASSEN

La trace et l’écart Le travail d’Yves Zurstrassen produit une mémoire en même temps qu’il se projette dans une œuvre nouvelle. Celle-ci se nourrit de celles qui l’ont précédée puis devient à son tour recel et ressource. Volatile et oublieuse, la mémoire doit, pour faire trace, être organisée et mobilisable à tout moment. Le big data des icônes rassemblées, utilisées, devenues formes créées et réutilisables en est une première et partielle réserve. Viendra ensuite un recensement, de l’ensemble des œuvres achevées, photographiées, accompagnées des éléments descriptifs leur afférant. Réunies dans des albums mis en forme depuis les années 2000 par Yves Zurstrassen et échelonnés selon un ordre chronologique, elles s’inscrivent dans la montée progressive d’un catalogue raisonné. Ces albums de format A4, ont déjà permis d’inventorier au printemps 2019, 2124 pièces. Pour Zurstrassen, ces « recueils » ne sont pas des documents achevés réservés à des études ultérieures et à des lecteurs futurs mais des outils de reconnaissance et d’approfondissement d’un usage quotidien. Nul ne sait où il va s’il ignore d’où il vient. Toute création est transformation et porte en elle une trace d’un avant. Le fleuve d’Héraclite où l’on ne peut se baigner deux fois dans la même eau reste cependant le même fleuve. Ainsi sommes-nous semblables et multiples, n’ayant réalisé qu’une part de nos possibles. Zurstrassen ne les réalisera pas non plus mais se sera donné les moyens d’une cartographie des figures nées de son travail et renfermant l’infinie combinatoire de ses inventions3. On peut ainsi se retrouver, mesurer l’ampleur d’un reste et la permanence de notre inachèvement. Cette connaissance des chemins parcourus rendue possible par la mise à disposition de ces poches de mémoire révèle une telle amplitude de trajets/projets en devenir qu’elle dégage l’horizon plutôt que de l’embrunir. Elle est l’échappée belle, la règle qui libère et agrandit. « Le moment favorable 3.

225

Raymond Queneau dans Cent mille milliards de poèmes (Gallimard, 1961) a, selon le principe « ergodique » (permettant d’extrapoler d’une réalisation unique à la totalité d’un processus aléatoire), offert au lecteur-manipulateur un objetlivre animé ressemblant à un espace de vision et

de sens quasi infini. L’œuvre du peintre – mais c’est lui qui choisit d’assembler tels ou tels extraits et non une foule de lecteurs anonymes – possède ce même inépuisable potentiel qu’est le conservatoire d’une vie. Ainsi retenue, elle excèdera à jamais l’énergie du créateur.


se situe justement quand on échappe aux règles… Chaque fois que tu commences un tableau tu ne sais pas où tu vas, tu découvres un pays inconnu. La liberté impose d’aller plus loin. » Ce marathonien y va donc et s’en explique : « La mémoire parce que je doute. […] Pour rester au plus près de moi-même. […] Souvent je revisite des virus que je n’ai pas développés. » Ce principe de contagion donne à la viralité un air de fête et de longue patience. La peinture de Zurstrassen empreinte d’élans lyriques et de sémiotique mêlés trouve sa dimension dans de grands formats. Mais le travail sur de petits formats y tient une place particulière, entre esquisses et études. Le terme peut y rester ouvert et l’inachèvement prometteur. Il est dans l’atelier un espace de conservation dédié à cette production où ces avant-projets et chevau-légers de la garde du peintre sont rangés, serrés les uns à la suite des autres, par dates, et surmontés par une photographie (elle aussi d’un petit format) faisant signe et rappel au prospecteur examinant ses terres. On est là au niveau des mezzanines où sont accrochés des toiles achevées ; mais tout au fond, dans une sorte de couloir qui peut échapper au regard du visiteur et dans lequel deux personnes ne peuvent avancer de front. Il y a du mystère en cet endroit, un composé spécifique pouvant évoquer un meuble à secret, un râtelier d’armes ou des réserves de semence pour de prochains jardinages. Yves Zurstrassen aime s’y promener ; parfois après avoir repéré une toile ancienne dans un album. Les floraisons de ces petits formats précèdent souvent le chantier d’un grand. « Chaque toile est préparée. Je dispose les petits formats au sol, je les inverse, intercale, superpose. » Par ce retour aux sources, l’œuvre n’est pas du seul moment de sa réalisation mais du temps long d’un voyage. Le peintre, sans cesse en mouvement, ne mesure son pas qu’à l’étendue d’un trajet. La pression de l’instant s’inscrit dans la durée, dans le doute et la recherche ; au bout du compte (inatteignable), dans une indispensable lenteur. Pour surplomber sa propre peinture, Zurstrassen devra la parcourir et « l’apprivoiser ; il y faut beaucoup de temps, comme s’il s’agissait d’une personne. Tout notre système actuel va à l’encontre de cela. » Cette lenteur active permet d’ancrer une diversité d’expressions dans une filiation et une cohérence. Il est périlleux, et c’est l’affaire des historiens, de vouloir jalonner l’œuvre d’une vie en y distinguant des séries, des bonds, ou la permanence d’un éternel retour. Chez Zurstrassen le métissage des grilles et des fenêtres, des bords et des débords pourrait donner aux regardeurs nécessiteux le sentiment de découvrir une suite de toiles fugueuses, sans liens ni commune mesure. C’est l’inverse qui est vrai. Le chaînage enjambe le temps et assigne à la forme qui fut, il y a vingt ans déjà, la vivacité d’une répartie dans une conversation d’aujourd’hui. « En atelier, face au support, je

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joue la surprise de l’ouverture, quand j’enlève les formes découpées avec une machine à lettrage. » Lorsque le jeu outrepasse la règle, le peintre peut exulter et prendre plus de plaisir que de raison.

YVES ZURSTRASSEN

La fabrique du sensible L’activité du peintre est double. Artiste et artisan, il conçoit puis fabrique. Un atelier lui est nécessaire pour travailler, disposer d’un espace à la mesure de sa création, trouver son « coin du monde 4 ». Lieu et lien entre l’artiste et son temps l’atelier, ouvert ou caché ; usine, palais, grenier ; grotte ou belvédère, est un autoportrait. Certains tels L’Atelier du peintre de Courbet ou celui de Rodin sont à la fois dédiés au travail et à la réception. D’autres, ceux de Francis Bacon ou d’Eugène Leroy semblent reclus et secrets. Zurstrassen a grandi avec son atelier comme chacun le fait avec des vêtements ; au fil des ans. Le rêve d’un atelier porté dans les nuées se réalisera peu à peu. Il exige de la peine, de l’argent, de la raison et du plaisir. Je connais des ateliers plus grands que les artistes qui y travaillent et d’autres insuffisants pour leurs appétits. Celui de Zurstrassen est à la juste mesure : immense. Partie prenante de son projet, il est espace de vie et de travail où respirer l’air même qu’on y insuffle. Texte et contexte. C’est un palais idéal, une demeure pour des nymphéas, une fabrique du sensible « pour y penser ses propres pensées5 ». À partir d’un premier bâtiment industriel de dimension réduite situé à Uccle, bientôt prolongé et démultiplié, les gestes ont joui de leur ampleur, les toiles de leur format, la mémoire de ses repaires. Tous les matins, l’œuvrier part de chez lui à sept heures et traverse Bruxelles. Lorsqu’il arrive à l’autre pôle, au Val Fleuri, il est de nouveau chez lui. Tous les espaces, tous les instruments sont là ; pour la peinture. Le bâtiment originel devenu antichambre de la fabrique et reconstitution d’un cadre domestique ouvre sur le vaste espace de travail entouré de mezzanines, recevant sous une verrière haute une lumière zénithale. La déclivité du terrain a permis de créer un autre niveau en rez-de-jardin disposant de deux grandes salles dont la dernière est devenue selon l’accrochage organisé par Zurstrassen le lieu de confrontation et de mise en relation des dernières créations ou des toiles bientôt destinées à une exposition. Un sous-sol naguère occupé par le studio numérique est devenu l’une des réserves des toiles achevées. Cette description, ce plan ne sauraient rendre à ce lieu sa vraie nature de « coin du monde » déjà évoquée. L’ampleur, le silence, l’entremêlement savant et désordonné du déjà là et de ce qui est encore en attente donnent au visiteur le sentiment de tra-

227

4.

Gaston Bachelard, « La maison est notre coin du monde », in La poétique de l’espace, Presses Universitaires de France, 1961.

5

Frédéric Nietzsche, Le Gai savoir (Une Architecture des contemplatifs), Collection Classiques de la Philosophie, Gallimard, 1939.


verser un temps suspendu, un prologue à une mise en « œuvre » à laquelle il ne sera pas convié. Elle est déjà accomplie ou le sera dans le silence et la présence du seul corps du peintre. La procédure est établie, la mémoire et la trace ont été inventoriées et le seront encore. Tous les outils – « j’ai toujours aimé les outils » – sont en place. Les machines ici à l’ouvrage6 sont au mieux de la performance. Les toiles vierges tendues serrées sur les châssis selon le souhait du peintre ont depuis toujours la même texture légèrement grenée. Les couleurs sont composées, expérimentées et retenues dans des centaines de flacons étiquetés. Les fonds, devenus majeurs dans les dernières pièces sont testés sur de grands pans, étendus dans l’atelier. Les nappes de dentelles iconiques attendent d’entrer en scène. Les formes anciennes reconnues dans des toiles achevées ou présentes parce que gardées après arrachement serviront des œuvres futures. Dernièrement, partant de ces témoins formels retenus, Zurstrassen les a agrandis en découpant des papiers aux couleurs vives et les a disposés sur un plan horizontal, pour les assembler selon des accointances nouvelles. Puis il les a photographiés et affichés sur un grand panneau, sorte de journal d’un futur antérieur, situé à l’endroit même où il peint. Près de là, à l’entrée de l’atelier, existe un mur du son constitué d’une multitude de tiroirs au format de CD, contenant des enregistrements de musiciens aimés. Si la musique s’absente lorsque Zurstrassen commence à peindre In a Silent Way, cet accomplissement ne saurait advenir sans un long parcours préalable. La musique n’y est jamais accompagnement mais nourrissement. Le son est restitué, cela va de soi, par des enceintes aux qualités acoustiques sans pareilles. Ce sont, dit-il, « des musiques pour peindre » qui rassemblent jazz et musique contemporaine ; plutôt free et emportées. Citons parmi de nombreux autres Ornette Coleman, Eric Dolphy, Evan Parker… et en majesté, celle dont il ressent le plus profondément une proximité fracassante et inventive, Joëlle Léandre, contrebassiste et vocaliste qui sait, elle aussi, la valeur du silence. Ce grand atelier, entre l’usine et son pont roulant, le cloître et son silence, on ne le quitte pas sans percevoir qu’un secret nous a été livré qui incorpore le peintre et sa peinture et ne passe pas par les mots ; qu’une connaissance de soi et du temps présent, de l’histoire d’un art et de celle d’un homme nous ont fait signe et ferons trace. Ce créateur profus qui nous dit se méfier de ses « états de lyrisme » mais vivre « toutes les extases » dans son atelier, continue d’avancer « le plus loin possible des mondanités et des sollicitations » ; sur les chemins de la liberté.

228

6.

Un cutter digital qui découpe les tracés vectoriels issus de photos ou de dessins.


YVES ZURSTRASSEN

Le feu couve Voilà vingt ans que cette recomposition par les signes est intervenue, née d’un combat entre la pulsion et la raison. Histoire légendaire de deux vies résidant en un seul, s’épousant, se rejetant et s’aimantant. L’une invoquant la montagne où se perdre, l’autre la force des modèles et de leur articulation. L’une et l’autre se chevauchant. Ces deux mondes, aux tendances éloignées se lisaient en chaque toile, dans une rencontre les mêlant en adjonctions et communauté lyrique. Fort de cette expérience, Zurstrassen entreprit une analyse de chacun des composants de ses toiles à la fin des années 2010. En 2011, à la Fundacion Antonio Perez, à Cuenca en Espagne, il déclarait « L’expérience très riche du noir et blanc m’a révélé mon identité » et exposait des toiles jouant de cette bichromie. Puis en 2013 il inversait le jeu des collages et décollages « les motifs découpés, qui venaient se poser à la surface de la composition changent de place pour venir recouvrir le fond7 ». Cette permutation a profondément infléchi la structure des œuvres et introduit des compositions plus géométriques dans la division de l’espace de la toile et la répartition des couleurs. Si la puissance lyrique peut encore jaillir, un travail de méthode a été accompli, qu’on pourrait appeler une mise en toile par analogie à une mise en page. Un ordre architectural est apparu, différent de celui d’un paysage, en donnant au fond une force de socle de couleur et en divisant la toile en pans distincts séparés par des failles. La couleur continue de circuler dessus et dessous, les icônes sont toujours là mais participent d’une armature plutôt que d’un épanchement. Des familles, des séries se constituent comme autant d’expérimentations menées jusqu’au terme de l’intensité, dans l’ordre savant des variations. Une telle avancée, radicale et tenue, vient de loin, de réserves cumulées, d’incertitudes choyées et de risques pris, de gai savoir et d’un magistère longuement établi mais jamais invoqué. En attendant les jours nouveaux.

229

7.

Anne Pontégnie, Une année en peinture, Bruxelles, Galerie Valérie Bach, septembre 2014.


18.12.22 – FIGURE DANCING, 2018 Huile sur toile, 140 x 140 cm

230


17.10.07 – NIGHT & DAY, 2017 Huile sur toile, 170 x 170 cm

231


18.04.04 – GOING HOME, 2018 Huile sur toile, 170 x 170 cm

232


18.04.20 – GOING HOME, 2018 Huile sur toile, 160 x 160 cm

233


SOMETHING ELSE Galerie Xippas, Paris, 2018.

234


235



18.05.04 – CONTREPOINT ROUGE, 2018 Huile sur toile, 180 x 180 cm

237



18.05.17 – ON A CLEAR DAY, 2018 Huile sur toile, 170 x 170 cm

239


18.07.20 – FOND ROUGE, 2018 Huile sur toile, 150 x 150 cm

240


18.07.25 – FOND ROUGE, 2018 Huile sur toile, 150 x 150 cm

241



18.11.14 – FOND JAUNE, 2018 Huile sur toile, 150 x 150 cm

243



Biographie

Paul Maurer

Yves Zurstrassen 1.

1956

Yves Zurstrassen naît à Liège, au sein d’une famille d’industriels dans le secteur de la filature de laine à Verviers.

1958

Naissance de son petit frère Jean-Marc.

1963

Yves, bon élève et enfant sage, passe sa scolarité au collège Saint-Michel de Verviers. Un drame tragique frappe la famille : Jean-Marc, âgé de cinq ans, décède accidentellement. Yves et lui étaient inséparables. 1965

Toujours sous le choc causé par le décès de son frère, Yves est frappé d’une grave infection rénale qui le cloue au lit durant une longue période de sa cinquième année scolaire. C’est dans cette solitude forcée qu’il se met à dessiner.

1966

En déclin depuis le début de la décennie, l’industrie lainière de Verviers voit de nombreuses usines déclarer faillite et fermer, dans un climat social tendu. C’est le cas de l’usine Hauzeur Gérard, qui ferme en 1966, entraînant la ruine de l’entreprise et de la famille, ainsi que la vente de leur maison.

245

Yves Zurstrassen dans l’atelier de Bruxelles, 1990.

1967

Installation de la famille à Bruxelles dans une ambiance difficile ; son père trouve du travail dans une firme métallurgique en tant que fondé de pouvoir.

1969

Yves Zurstrassen débute des études secondaires modernes au collège SaintMichel, établissement jésuite. Le contraste entre la campagne verviétoise et l’esprit strict de l’immense collège constitue un choc pour le jeune garçon. Plus tard, dans une nouvelle école, l’athénée d’Etterbeek, où il redouble sa cinquième année, ne connaissant pas suffisamment le néerlandais, l’ensemble de ses repères changent. Déçu et malheureux, le bon élève se désintéresse des études. Commence alors une période d’école buissonnière.

1970

Yves fugue avec un ami, durant un mois jusqu’à Châteauroux, dans l’Indre (France). Désespéré, son père le recherche dans toute la Belgique et en France. Le jeune garçon finit par appeler son père et, entendant son désespoir, il décide de rentrer. Naissance de Clotilde, sa petite sœur.


2.

Yves Zurstrassen, Lambermont, Bruxelles, 1962.

Yves se découvre une passion pour la musique, classique et pop.

1971

Il décide d’abandonner sans prévenir sa scolarité pour aller travailler dans un atelier de sérigraphie. Le directeur de l’école l’encourage alors à suivre sa passion et à devenir peintre.

1973

À dix-sept ans, il s’inscrit au College of Advertising and Design (CAD), où il apprend à travailler le dessin, la mise en page et toutes les techniques graphiques. Durant ces trois années, il développe d’importantes compétences techniques mais, trois mois avant la fin de son cursus, il abandonne à nouveau ses études pour se consacrer seul à la peinture. Il s’ouvre à la musique et, chaque semaine, loue des disques de Leoš Janáček, Dmitri Chostakovitch, Alban Berg et Arnold Schoenberg qu’il écoute sans cesse. 1975

Au début de l’année, il décide de partir seul en Crète. Lors de la traversée de la Yougoslavie, l’autostop n’ayant aucun succès, il marche alors le long des voies ferrées. En cet hiver très rude, il manque de mourir de froid. Il débarque au

246

3.

L’atelier dans la forêt des Maures FR, 1981.

Pirée en mars. La mer, la lumière, les odeurs d’épices, prémices de l’Orient, l’éblouissent. Il embarque pour la Crète où il passe deux mois et demi à marcher le long des côtes, s’arrêtant au gré des rencontres avec les communautés hippies ou avec les habitants chaleureux et accueillants. Il rentre en Belgique à la fin du printemps. 1976

Durant les deux années suivantes, il alterne de multiples petits boulots et des périodes de peinture. Il découvre et lit avec passion, comme le reste de sa génération, Siddhârta d’Hermann Hesse, Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche ou encore Tropique du Cancer d’Henry Miller.

1978 1979

Il retourne en Crète, mais cette fois pour y peindre.

Sa première exposition a lieu dans un espace industriel et est couronnée de réussite. Il y rencontre Laetitia Nève (°1958), qui deviendra sa première épouse. Sur un coup de tête, il part vivre en Grèce où elle le rejoint dans le village d’Anoméra, sur l’île de Mykonos. Le couple y séjournera un an. Yves dessine et peint dans le salon de la maison.


YVES ZURSTRASSEN

4.

À Anoméra, Mykonos, Cyclades GR, 1979.

5.

La chartreuse de la Verne FR, 1981.

Yves et Laetitia reviennent en Belgique et s’installent à Tervuren. Ils partent ensuite pour le sud de la France et retournent à la chartreuse de la Verne, lieu qui avait fasciné Yves durant son adolescence. Ce dernier y reprend la place du gardien, Sixte de Saint-Hilaire, qui deviendra l’un de ses grands amis. Jusqu’en 1982, il partage les lieux avec le frère aîné d’un ami d’enfance, le peintre Didier Duesberg. Il peint beaucoup sur fond de musique répétitive de Steve Reich et Terry Riley, qui donnent alors des concerts en Europe.

6.

1980

1981

Durant ces années, Yves travaille à mi-temps avec toute l’équipe à la gestion de la chartreuse et peint en plein air dans la forêt. En mai, il épouse Laetitia Nève à l’église de Collobrières. 1982

Première exposition dans une galerie à Bruxelles où l’accueille Charles Kriwin. À Paris, la rétrospective Pollock au Centre Pompidou l’impressionne et lui fait envisager différemment la question du tableau. Nombreuses visites à la galerie Stadler et à la galerie Fournier qui présente

247

Finca dans les montagnes de Casares SP, 1983.

Simon Hantaï, Claude Viallat ou encore Joan Mitchell dont il admire le travail. 1983

Au terme de son séjour à la chartreuse de la Verne, le couple part pour l’Espagne (1983-1984) où les époux achètent à crédit une petite finca dans les montagnes de Casarès, en Andalousie. Ils y vivent deux ans et font régulièrement des allersretours entre l’Espagne (où il peint encore en plein air) et la Belgique. Charles Kriwin lui présente la galerie Lens Fine Art à Anvers où il expose. Il commence à s’intéresser au jazz et au free jazz. Il écoute Evan Parker, John Coltrane, Miles Davis, Archie Shepp et Ornette Coleman. 1984

Yves est enthousiasmé par la rétrospective Willem de Kooning au Centre Pompidou. Charles Kriwin lui présente Frans Wachters qui organise pour lui une exposition au Faculty Club, à la Katholieke Universiteit Leuven. Il continue de vivre à Casares, dans les montagnes près de Gibraltar. 1985

La naissance de Nicolas, son fils, provoque leur installation à Bruxelles. La famille


7.

Vue de l’atelier de Bruxelles BE, 1986.

8.

Atelier de Vilvorde BE, 1996.

séjourne dans une maison avec un atelier au fond du jardin. 1986

Il rencontre le grand collectionneur Thomas Neirynck, qui lui présentera les artistes Bram Bogaert, Maurice Wyckaert, Antoine Mortier, Jo Delahaut et Philippe Vandenbergh, ou encore le philosophe Max Loreau pour qui il nourrit une grande estime et amitié. Expose à la galerie Le Sacre du Printemps à Bruxelles. 1989

Naissance de Dimitri Zurstrassen, son deuxième fils. Exposition à la galerie Gokelaere Janssen qui deviendra la galerie Rodolphe Janssen. Rencontre le peintre Jean-Paul Huftier, qui fait partie de la dernière génération des abstraits présentés par Rodolphe Stadler. Ce dernier l’invite à exposer au Musée André Malraux du Havre et ensuite au musée d’Holstebro au Danemark. 1990

Naissance d’Emily Zurstrassen, sa première fille. Nombreux allers-retours à Paris pour rendre visite à ses amis peintres Huftier,

248

Thibault de Reimpré ou Didier Duesberg. Lors d’un voyage à New York avec Thomas Neirynck et Jean-Paul Huftier, il fait une rencontre mémorable avec Norman Blum dont il admire le travail depuis de nombreuses années. Expose à la galerie Magnus Fine Arts à Gand.

1991

Première exposition à la galerie Bernard Cats à Bruxelles. Au Musée des Beaux-Arts André Malraux du Havre, une exposition accueille Steve Potts, saxophoniste de Steve Lacy. 1993

Exposition Fremmed Tiltraekning au musée d’Holstebro au Danemark.

1994

Seconde exposition à la galerie Bernard Cats et première exposition à la galerie Triangle Bleu à Stavelot.

1995

Yves quitte son épouse pour vivre avec Sophie Le Clercq (née en 1960) dont il a fait la connaissance deux ans plus tôt. Elle se sépare de son mari dont elle a eu deux filles. Il loue un bâtiment industriel au bord du canal, à Vilvorde, dans la périphérie bruxelloise, où il installe son atelier.


YVES ZURSTRASSEN

9.

Musée des Beaux-Arts André Malraux, Le Havre FR, 1991.

1996

La naissance de leur première fille, Mathilde Zurstrassen, précède de peu sa première exposition à la galerie Vedovi à Bruxelles.

1997

Publication, aux éditions Artgo, d’une première monographie à son sujet, avec un texte du critique d’art et journaliste Claude Lorent.

1998

Expose à la galerie Simoens à Knokke-Heist.

1999

Naissance de Louis Zurstrassen, le premier fils du nouveau couple. Exposition à la galerie Triangle Bleu à Stavelot. Les références au jazz – passion qu’il continue de nourrir – apparaissent plus fréquemment dans les titres de ses tableaux. Il rencontre François Barré, alors directeur de l’Architecture et du Patrimoine, après avoir été président du Centre Pompidou jusqu’en 1996, son épouse Arlette Despond et José Alvarez, directeur des Éditions du Regard. C’est le début d’une très longue et forte amitié. Depuis longtemps à la recherche d’un lieu industriel où établir son atelier,

249

10.

Atelier d’Uccle BE avant travaux, 1999.

il achète une ancienne bonneterie abandonnée en cœur d’îlot près de la gare d’Uccle-Stalle à Bruxelles. Durant la période de travaux, il s’installe dans les Ardennes belges. Dans certaines œuvres apparaissent les premiers collages, composés d’éléments découpés dans des tableaux détruits ou des journaux déchirés. 2000 Second mariage avec Sophie Le Clercq. Yves rencontre l’architecte Philippe Samyn, qui lui confie la création de fresques sur les tympans d’un ensemble d’immeubles à Nivelles. 2001

Sa démarche évolue, inspirée par sa fascination pour le mouvement Dada, et surtout les collages de Kurt Schwitters. Sa technique est rehaussée par des collages de papier journal déchiré ou découpé, qu’il intègre dans le tableau avant de les en détacher, retirant ainsi la peinture et laissant apparaître en surface la réserve, ou l’impression de la peinture dont le fragment de collage était enduit. Première exposition dans cette veine à la galerie Xippas à Paris. Rencontre avec Olivier Kaeppelin, auteur du catalogue de la galerie, commissaire


11. Viens FR, 2003.

d’expositions, écrivain et critique d’art, producteur d’émissions de radio et futur directeur des arts plastiques au sein du ministère français de la Culture. 2002

Renos Xippas, Yves Zurstrassen, Francis Feidler, Ikob, Eupen BE, 2004.

Exposition individuelle à la galerie Triangle Bleu à la foire d’art de Bruxelles. Francis Feidler, directeur de l’Ikob, y découvre son travail et lui offre l’opportunité d’exposer deux ans plus tard. Une profonde amitié naît entre les deux hommes.

2003

Il commence à alterner des périodes de peinture en Belgique et à Viens, en Provence, durant l’été. Rencontre avec Lionel Gruenais, disquaire spécialisé à Apt, avec qui débute un dialogue enrichissant sur le jazz. Jusqu’au départ de Lionel en 2013, ses séjours en Luberon seront l’occasion d’échanges musicaux et de découvertes passionnées. Lionel lui fait découvrir le jazz français, dont Joëlle Léandre et Michel Portal. 2004

12.

Première exposition à l’Ikob – Museum für Zeitgenössische Kunst à Eupen, que visitent plusieurs professionnels français et allemands, qui s’intéressent à son travail.

250

2005

Afin d’assurer la survie de sa collection personnelle, Thomas Neirynck en confie 700 œuvres à la Fondation Roi Baudouin, dont un nombre important de compositions de Zurstrassen des années 1988 à 1994. La fondation met en dépôt la collection au Musée des Beaux-Arts de Mons (BAM), au sein duquel elle occupe une position centrale dans la collection permanente. L’ensemble jouit d’une reconnaissance internationale. Plusieurs œuvres feront l’objet de prêts pour des expositions en Belgique et à l’étranger.

Naissance d’Amélie Zurstrassen, sixième enfant d’Yves Zurstrassen et troisième avec Sophie Le Clercq dont c’est le cinquième enfant. L’artiste commence à retravailler numériquement des photos qu’il emprunte à l’espace public – motifs urbains, extrait de tableaux ou carrelages anciens – ou dans la vie quotidienne, et les introduit dans ses collages-décollages. Il décide d’employer de nouvelles techniques et installe à l’atelier une traceuse numérique (digital cutter) qui, couplée à un logiciel, génère des fichiers vectoriels à partir de photos ou des dessins pour fabriquer des pochoirs


YVES ZURSTRASSEN

13.

Atelier d’Uccle. Préparation de l’œuvre monumentale pour la Gare de l’Ouest à Bruxelles BE, 2009.

14.

Jesus Carrascosa, Antonio Pérez, Yves Zurstrassen, Fundación Antonio Pérez, Cuenca SP, 2011.

en papier. Cette acquisition lui ouvre de nouvelles perspectives théoriques et techniques. En juillet, décès de son père, Hubert Zurstrassen, à l’âge de 83 ans. Rétrospective au Musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Liège (Mamac), sous le commissariat du grand critique d’art et acteur de la scène artistique Wolfgang Becker, qui rédige également les textes du catalogue.

dans des petites études sur papier et des toiles marouflées sur bois. Il reprendra ces études à la fin des années 2010 pour les réintégrer, après digitalisation et transformation, dans ses peintures. Ainsi se rapproche-t-il des préoccupations d’un Paul Klee mais aussi, plus près de lui, d’un Philip Taaffe.

2006

2007

Exposition personnelle à Landau Contemporary at Galerie Dominion à Montréal. Voyage au Maroc, nombreuses inspirations des motifs de moucharabieh qu’il intègre dans ses pochoirs. 2008

Exposition au Musée Aboa Vetus & Art Nova Museum à Turku (Finlande) en dialogue avec Mari Rantanen. Lors d’un séjour à Séville, il est fasciné et inspiré par les motifs arabo-musulmans de l’Alhambra. On en retrouvera les grilles dans ses œuvres des années suivantes. Il met l’été à profit pour explorer différentes formes de grilles et de motifs

251

2009

Il accepte une première commande publique et installe à la station de métro Gare de l’Ouest (Bruxelles) l’œuvre monumentale A Beautiful Day, collage coloré de 95 mètres sur 4 qui rassemble 130 détails agrandis issus d’œuvres précédentes. Grid Paintings, seconde exposition à l’Ikob – Museum für Zeitgenössische Kunst Eupen. Pirly Zurstrassen, donne un concert de jazz au piano durant l’exposition. 2010

Les motifs découpés, d’abord disposés à la surface de la composition, changent de place pour en tapisser complètement le fond. Son travail constitue toujours une alternance de différents courants personnels qu’il reprend, abandonne et redéveloppe, puis abandonne à nouveau.


15.

Exposition avec Vladimir Skoda, BWA, Katowice PO, 2012.

Publication aux Éditions du Regard de In a Silent Way. Yves Zurstrassen 2001-2009, avec des textes de François Barré, Harald Kunde et Francis Feidler.

16.

Xavier Douroux, Yves Zurstrassen, FHEL, Landerneau FR, 2016.

17.

Tournage de Yves Zurstrassen, peintre par la réalisatrice Michelle Porte, 2017.

Son ami le collectionneur Jorge Virgili lui présente Antonio Perez, poète, artiste et éditeur, qui l’invite à exposer au Centro de Arte Contemporaneo de la Fondation Antonio Perez à Cuenca, en Espagne. D’avril à juin, il expose alors successivement à Cuenca, à Madrid (Guillermo de Osma Galeria) et à Bilbao (Carreras Mugica). Il se lie d’amitié avec Jesus Carrascosa Sarinana.

Il expose à la galerie Valérie Bach à Bruxelles, et installe une œuvre dans l’espace public, Des fenêtres colorées dans la ville, intervention dans la façade et le hall d’un immeuble de bureaux à la demande de l’architecte Marc Lacourt (Architectes Associés), par la pose d’un ensemble de plaques de verres colorées. L’œuvre fait écho à son tableau Fenêtre dans la ville, installé au cœur de cet immeuble. Participe à l’exposition Basic Research/Notes on the Collection au Museum Kurhaus Kleve (Allemagne) à l’invitation de Harald Kunde, avec Jack Pierson, Andreas Slominski et Thomas Kühnapfel.

2012

2015

2011

Expose à la galerie Éric Linard à La GardeAdhémar et à la galerie Triangle Bleu à Stavelot. Exposition collective Approche aux Constellations à l’Atelier 340 Muzeum (Bruxelles) et au BWA (Katowice, Pologne) où ses œuvres dialoguent avec les sculptures de Wladimir Skoda qui deviendra son ami et avec qui il envisage des expositions communes. 2014

Jean Marchetti lui organise sa seconde exposition au Salon d’Art à Bruxelles.

252

Lors d’un séjour en Provence, Anne Pontégnie, critique d’art et commissaire d’expositions, lui présente Xavier Douroux, figure importante du monde de l’art contemporain, créateur et directeur de l’un des premiers centres d’art en France, le Consortium de Dijon. Les deux hommes se lient d’amitié et Yves éprouve une grande émotion lors de la visite de la Fondation Hartung en sa compagnie. Il commence à retravailler sur son propre travail, agrandissant des détails de ses petits tableaux pour les revisiter.


YVES ZURSTRASSEN

18.

Arlette Despond, François Barré et Yves Zurstrassen Genève CH, 2017.

Ces détails servent parfois de trames aux pochoirs pour d’autres grands formats.

2016

À l’invitation de Xavier Douroux, commissaire de l’exposition, il participe à l’exposition Hartung et les peintres lyriques au Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture (FHEL) à Landerneau.

2017

Son travail fait l’objet d’un film tourné à l’atelier de Bruxelles, Yves Zurstrassen, peintre par la réalisatrice, documentariste et scénariste française Michele Porte. Le film sera monté l’année suivante. Deuxième exposition à la galerie Valérie Bach à Bruxelles. Pour son exposition à la galerie Xippas à Genève, Xavier Douroux conclut, dans le texte du catalogue : « Et il ne fait guère de doute pour moi que la production récente d’Yves Zurstrassen fait partie des réponses individuellement “situées” parmi les plus actives – finalement moins nombreuses qu’on ne se plaît à le dire – à cette question impliquant “souvenir” et moment vécu : que faire de nos peintres en commun ? » Le projet de fresque de la Maison de la Culture de Namur est retenu dans

253

19.

Installation de la fresque Summertime au plafond du Delta, la Maison de la Culture de Namur BE, 2018.

le concours d’architecture remporté par Philippe Samyn ; elle sera inaugurée en septembre 2019. 2018

Travaux d’installation de la fresque (13 mètres de diamètre) au plafond de la Maison de la Culture de Namur. Il expose à la galerie Xippas à Paris et rencontre, par l’intermédiaire d’Olivier Kaeppelin qui a présenté son travail à la Biennale de Venise, Joëlle Léandre qui accepte avec enthousiasme de venir donner des concerts au cœur de son exposition à BOZAR en 2019. 2019

À l’invitation de Jesus Carrascosa, il expose au Museo de Santa Cruz à Tolède, en coproduction avec BOZAR (Palais des Beaux-Arts de Bruxelles), où il expose à l’automne. Olivier Kaeppelin assure le commissariat des deux expositions. C’est l’occasion pour les deux hommes de développer une profonde amitié.


254


Expositions personnelles

YVES ZURSTRASSEN

Sélection

2019 2018 2017 2014 2012 2011 2009 2008 2007

Free, BOZAR, Bruxelles BE Free Energy, Museo de Santa Cruz, Tolède SP Something Else, Galerie Xippas, Paris  FR Galerie Xippas, Genève CH Summertime, Galerie Valérie Bach, Bruxelles BE Pattern Paintings, Galerie Valérie Bach, Bruxelles BE Texture de la Mémoire, Le Salon d’Art, Bruxelles BE Free, Galerie Triangle Bleu, Stavelot BE Galerie Éric Linard, La Garde-Adhémar FR Vu et Entrevu, Le Salon d’Art, Bruxelles BE Fundacion Antonio Perez, Guadalajara SP Carreras Mugica, Bilbao SP Obra Reciente, Guillermo de Osma Galeria, Madrid SP Musée Fondation Antonio Pérez, Cuenca SP Museo de Obra Gráfica, San Clemente, Cuenca SP Grid Paintings, Ikob – Museum für Zeitgenössische Kunst, Eupen BE A Beautiful Day, station de métro Gare de l’Ouest, Bruxelles BE Aboa Vetus & Art Nova Museum, Turku FI Landau Contemporary, Galerie Dominion, Montréal CA

255

2006 2004 2003 2001 2000 1999 1998 1996 1995 1994 1993 1991 1990 1989 1986 1984 1983

Mamac, Musée d’Art moderne et d’Art contemporain, Liège BE Le Salon d’Art, Bruxelles BE Ikob – Museum für Zeitgenössische Kunst, Eupen BE Galerie Lea Gredt, Luxembourg LU Galerie Xippas, Paris FR Iselp, Institut supérieur pour l’Étude du Langage plastique, Bruxelles BE Galerie Triangle Bleu, Stavelot BE Galerie André Simoens, KnokkeLe Zoute BE Galerie Vedovi, Bruxelles BE Galerie Elisabeth Franck, KnokkeLe Zoute BE Galerie Bernard Cats, Bruxelles BE Galerie Triangle Bleu, Stavelot BE Magnus Fine Arts, Gand BE Fremmed Tiltraekning, Holstebro Museum, Holstebro DK Galerie Bernard Cats, Bruxelles BE Magnus Fine Arts, Gand BE Galerie Rodolphe Janssen, Bruxelles BE Galerie d’Art actuel, Liège BE Galerie Le Sacre du Printemps, Bruxelles BE Frans Wachters, Faculty Club – KULeuven, Louvain BE Lens Fine Art Gallery, Anvers BE


Expositions collectives Sélection

2016 2015 2014 2012 2012 2011 2010 2009

256

Hartung et les peintres lyriques, Fonds Hélène et Édouard Leclercq pour la Culture, Landerneau FR L’Atelier 34zero Muzeum propose un hommage à l’Atelier 340 Muzeum, BWA, Katowice PL 3x10 #1, Galerie Triangle Bleu, Stavelot BE Jan Hoet gewidmet, Ikob – Museum für Zeitgenössische Kunst, Eupen BE Works on paper, Galerie Valérie Bach, Bruxelles BE Le Grand Retour, Atelier 340 Muzeum, Bruxelles BE Basic Research / Notes on the Collection, Museum Kurhaus, Kleve DE Réserve sans Réserve, Galerie Éric Linard, La Garde-Adhémar BE Approche aux Constellations, Atelier 340 Muzeum, Bruxelles BE Approche aux Constellations, BWA, Katowice PL Accrochage spontané, Atelier 340 Muzeum, Bruxelles BE Exposition de la collection de quelques amis artistes, Atelier 340 Muzeum, Bruxelles BE Cobra & Co, Musée national des BeauxArts de Lettonie, Riga LT The Ikob Collection, Museum van Bommel van Dam, Venlo NL


YVES ZURSTRASSEN

2008 2007 2006

2005 2003 2002

The Ikob Collection, MOYA – Museum of Young Art, Vienne AT Le BAM se dévoile, Musée des Beaux-Arts, Mons BE The Ikob Collection, Eupen BE Ikob Sammlung – Collection, BOZAR, Bruxelles BE La Communauté française de Belgique invite l’Ikob, Art Brussels, Bruxelles BE Landau Contemporary at Galerie Dominion, Montréal CA 40 jaar werking, C.C. Sint-Amandsberg, Gand BE Abstractions construites en Communauté française de Belgique de 1980 à nos jours, Parlement de la Communauté française, Bruxelles BE Affinités. 25 ans d’architecture, arts et lettres en Région wallonne, abbaye Saint-Remacle, Stavelot BE ON, Xippas Gallery, Athènes GR Sammlung des Ikob, Ikob – Museum für Zeitgenössische Kunst, Eupen BE Abstraction, un siècle d’art abstrait en Wallonie et à Bruxelles, Le Botanique, Bruxelles BE Abstraction, un siècle d’art abstrait en Belgique francophone, Musée national, Bucarest RO Abstraction, un siècle d’art abstrait

257

2001 1999 1997 1995 1994 1993 1992 1991 1990 1987 1986 1980

en Belgique francophone, Estonian National Art Museum, Tallinn EN La peinture au pays de Liège, Musée d’Art wallon, Liège BE Quand soufflent les vents du Sud, Musée Saint-Georges, Liège BE Libertés chéries ou l’art comme résistance, Le Botanique et Iselp, Bruxelles BE Art et Science, Musée d’Ixelles, Bruxelles BE Rencontres – un sculpteur, sept peintres, Galerie BBL, Liège BE Musée Grimaldi, Le Haut-de-Cagnes FR Musée d’Ixelles, Bruxelles BE Musée des Beaux-Arts, Verviers BE Galerie Der Spiegel, Cologne DE Galerie Denis Vandevelde, Alost BE L’Art pour la vie, Musée d’Art moderne, Bruxelles BE Facetten van hedendaags abstract expressionisme, Campo Santo, SintAmandsberg BE Provocateurs étranges, Musée des BeauxArts André Malraux, Le Havre FR Rede en Roes, Magnus Fine Arts, Gand BE Galerie d’Art actuel, Liège BE Confrontation 87 Confrontatie, hôtel de ville, Bruxelles BE Boulev’art 87, Nîmes FR Cours Saint-Michel, BBL, Bruxelles BE Galerie Alexandra Monett, Bruxelles BE


Bibliographie Monographies

Yves Zurstrassen. Free, texte : Olivier Kaeppelin, Museo de Santa Cruz, Tolède, 2019. Yves Zurstrassen, texte : Xavier Douroux, Galerie Xippas, Genève, 2017. Yves Zurstrassen. Pattern Paintings, texte : Anne Pontégnie, Galerie Valérie Bach, Bruxelles, 2014. Zurstrassen, texte : Véronique Bergen, Le Salon d’Art, Bruxelles, coll. « Texture de la mémoire », 2014. Yves Zurstrassen, textes : Juan Manuel Bonet, Eddy Devolder, Fundación Antonio Pérez, Diputación de Cuenca, 2011. Yves Zurstrassen – Obra Reciente, textes : Harald Kunde, François Barré, Galeria Guillermo de Osma, Carreras Mugica, 2011. Zurstrassen, texte : François Barré, Le Salon d’Art, Bruxelles, 2011. Yves Zurstrassen. In A Silent Way, textes : François Barré, Francis Feidler, Harald Kunde, Paris, Éd. du Regard, 2010. Yves Zurstrassen. Sophisticated Abstraction, Landau Fine Arts, Montréal, 2007.

258

Yves Zurstrassen, introduction : Wolfgang Becker, Paris, Éd. du Regard – Mamac (Musée d’Art moderne et d’Art contemporain), Liège, 2006. Zurstrassen, texte : Eddy Devolder, Le Salon d’Art, Bruxelles, 2006. Yves Zurstrassen, textes : Francis Feidler et Renate Puvogel, Bruxelles, La Lettre volée – Ikob, Eupen, 2004. Yves Zurstrassen, texte : Olivier Kaeppelin, Paris, Galerie Xippas, 2001. Zurstrassen, texte : Claude Lorent, Bruxelles, Éd. Artgo, collection d’Entretiens et d’Images, publié à l’occasion de son exposition à Bruxelles, Galerie Vedovi, novembre-décembre 1996. Yves Zurstrassen, textes : Dr Willem Elias et Madeleine Van Oudenhove, Gand, Magnus Fine Arts, 1990. Yves Zurstrassen, texte : France Borel, Bruxelles, Galerie Rodolphe Janssen, 1989. Yves Zurstrassen, texte : Claude Lorent, Liège, Galerie d’Art actuel, 1989.


YVES ZURSTRASSEN

Ouvrages Collectifs

Hartung et les peintres lyriques : Gottlieb, Winter, Mathieu, Hantaï, Schneider, Degottex, Twombly, Frankenthaler, De Kooning, Jaffe, Bradley, Von Heyl, Oehlen, Polke, Traquandi, Wool, Zurstrassen, texte : Xavier Douroux, Éd. FHEL, 2016. La Résistance de la peinture, Éd. du CEP, 2015. Basic Research, Museum Kurhaus Kleve D, 2014. Cobra & Co, Musée national des Beaux-Arts de Lettonie, 2010. Yves Zurstrassen / Mari Rantanen, Aboa Vetus & Ars Nova, Turku FI, 2008. Aperçus de l’art belge après ’45, t. II, Snoeck, 2008. Le Frac oriental de Belgique, Ikob (Internationales Kunstzentrum Ostbelgien), Eupen, 2007. Abstractions construites en Communauté française de Belgique de 1980 à nos jours, texte : Marc Renwart, Bruxelles, Parlement de la Communauté française WallonieBruxelles, 2006. Entre Cobra et l’abstraction, La collection Thomas Neirynck, textes : Sabine Mund, Michel Draguet, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, 2006.

259

Art Belge Au xx e Siècle, Éd. Racine, 2006. Affinités. 25 ans d’architecture, arts et lettres en Région wallonne, textes : Freddy Joris, Soo Yang Geuzaine, abbaye Saint-Remacle, Stavelot, 2005. Quand soufflent les vents du Sud. Aujourd’hui, artistes de Wallonie, introduction : Claude Lorent, texte : Roger Palm, Liège, Musée d’art wallon, 2000. Rencontres. Un sculpteur, sept peintres, introduction : Claude Lorent, exposition à Liège, Espace BBL (mai-juin 1995) et Verviers, Musée des Beaux-Arts (novembre-décembre 1994), 1994. Fremmed tiltraekning, Holstebro Kunstmuseum, Danemark, septembre 1993 – janvier 1994. Facetten van Hedendaags abstract expressionisme, introduction : Willem Elias, Campo Santo, Sint-Amandsberg, 1992. Provocateurs étranges, textes : Georges Balandier, J.-L. Déotte, Gilles Lapouge, Le Havre, Musée des Beaux-Arts André Malraux, novembredécembre 1991.


Auteurs

Biographies

Sophie Lauwers

Sophie Lauwers habite à Bruxelles et est responsable des expositons à BOZAR depuis juin 2011. Elle a été commissaire d’expositions majeures à BOZAR dont Lili Dujourie. Jeux de dames (2005), Lucas Cranach l’Ancien (2010), Cy Twombly. Photographs (2012), Pascale Marthine Tayou. Boomerang (2015), Giorgio Morandi. Rétrospective (2013), Michelangelo Antonioni : Il Maestro del Cinema Moderno (2013), Michaël Borremans (2014), Zurbaran (2014), Rubens et son héritage (2014), Woman, The Feminist Avant-Garde of the 1970’s (2014), Peinture Sienne (2014) L’Empire du Sultan (2015) Picasso. Sculptures (2016), Daniel Buren. Une fresque (2016), Theo van Doesburg (2016), Fernand Léger. Le beau est partout (2018), Nature morte espagnole (2018), Resist! The 1960’s protests (2018). Après un baccalauréat en histoire, elle fut gestionnaire de projet pour Brussels 2000 dans le cadre des activités de la ville en tant que Capitale européene de la Culture, coordinatrice du programme art contemporain durant l’année Van Dijk en 1999, et gestionnaire de projet pour The Fascinating Faces of Flanders – Through Art and Society : Lisbon, Centro Cultural de Belém en 1998.

260

Anne Pontégnie

Anne Pontégnie est une critique d’art et commissaire indépendante basée à Bruxelles. Elle dirige APOffice, un bureau de conseils en art contemporain. Elle a été co-directrice du Consortium de Dijon (2010 à 2018). Avant cela, Pontégnie a été conservateur en chef au WIELS Contemporary Art Center à Bruxelles de 2005 à 2008. En 2011, elle a organisé le Printemps de Septembre à Toulouse et en 2003 a co-organisé la Biennale de Lyon avec le Consortium et Robert Nickas. Depuis 2011, elle est la commissaire de la collection Cranford à Londres. Anne Pontégnie a organisé de nombreuses expositions et monographies avec des artistes tels que Roe Ethridge, Douglas Huebler, Marck Leckey, Daan Van Golden, Kelley Walker, Franz West, Edith Dekyndt et Christopher Wool, ainsi que la rétrospective de Mike Kelley, Educational Complex Onwards.


YVES ZURSTRASSEN

Olivier Kaeppelin

Homme de culture et de lettres, proche des artistes de son temps. Organisateur d’expositions, écrivain et critique d’art, il a, par ailleurs été directeur des arts plastiques au sein du ministère français de la Culture. Il a été le concepteur d’expositions comme « La force de l’art », triennale de l’art en France et « Monumenta » au Grand Palais à Paris. Il a codirigé et dirigé des biennales internationales, notamment Blickachsen 9 à Bad-Homburg et Francfort-sur-le-Main (Allemagne), Inhabiting the World à Busan (Corée du Sud). Il a dirigé la Fondation Maeght d’août 2011 à décembre 2017. Il a écrit de nombreux essais sur l’art et les artistes, des livres de poésie, et conçu des expositions monographiques ou collectives, il est notamment président de la Biennale de Saint-Paul-de-Vence (France) et de l’association dédiée à l’œuvre de Toni Grand.

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François Barré

Cofondateur avec François Mathey du Centre de Création Industrielle (CCI), fondateur et directeur de la revue Traverses, rédacteur en chef de L’architecture d’Aujourd’hui (AA), conseiller du président de Renault pour la création architecturale, directeur du Parc et président de la Grande Halle de la Villette, délégué aux Arts plastiques et directeur de l’Architecture et du Patrimoine (ministère de la Culture), François Barré a exercé plusieurs présidences : Centre Pompidou, Institut français d’Architecture, Caisse nationale des Monuments historiques et des sites, Rencontres d’Arles, Arc en Rêve, centre d’architecture à Bordeaux, FRAC-Île de France-Le Plateau, Domaine de Chaumont-sur-Loire. Depuis 2000, il est intervenu en tant que consultant sur des projets culturels et urbains, concernant notamment les concours d’architecture, la commande à des artistes dans l’espace public et les programmes culturels de la Société du Grand Paris. Auteur de livres et de textes sur l’architecture et les arts plastiques, il a été producteur et responsable de nombreuses expositions.


Remerciements J’aimerais remercier les personnes qui, à grande ou petite échelle, ont contribué à la réalisation de cet ouvrage : Olivier Kaeppelin, François Barré, Sophie Lauwers, AP Office, Renaud Huberlant, Bernard Steyaert et Wivine de Traux. J’adresse ma profonde reconnaissance au galeriste Renos Xippas qui a suivi mon évolution et a cru en mon œuvre. Je remercie aussi mon assistant Christophe Baudart, une personne avec qui j’ai le privilège de collaborer régulièrement. Je suis également heureux de remercier les membres de ma famille : mon épouse Sophie Le Clercq et tous mes merveilleux enfants, Nicolas, Dimitri, Emily, Mathilde, Louis, Amélie ainsi que mes belles-filles Juliette et Clémence.

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Colophon Yves Zurstrassen Free 2009-2019 Éditeur Fonds Mercator sous la direction de Bernard Steyaert Rue du Midi 2, 1000 Bruxelles – Belgique Directeur scientifique Olivier Kaeppelin

Auteurs Introduction Sophie Lauwers Essais François Barré, Olivier Kaeppelin, Anne Pontégnie Biographie Sophie Le Clercq Coordination Wivine de Traux, Fonds Mercator Rédaction finale Fabrice Biasino, Mot à Mot Design graphique Salutpublic Photogravure Studio Zurstrassen Impression Graphius, Gand Police de caractères Aktiv Grotesk, Dalton Maag Imprimé sur Symbol Freelife Satin Munken Lynx Rough

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© 2019 Fonds Mercator SA, Bruxelles © 2019 Les auteurs, en ce qui concerne les textes © 2019 Yves Zurstrassen, en ce qui concerne les illustrations www.fondsmercator.be ISBN 978-94-6230-027-9 D/2019/703/17 Distribution Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg Exhibitions International www.exhibitionsinternational.be Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou transmise sous quelque forme que ce soit et/ou par quelque moyen que ce soit – impression, photocopie, microfilm ou autre – sans autorisation préalable de l’éditeur. Cette monographie est publiée conjointement à l’exposition Yves Zurstrassen. Free à BOZAR, Palais des Beaux-Arts de Bruxelles du 26 septembre 2019 au 12 janvier 2020. Partenaire

Crédits photographiques Studio Zurstrassen, except: p. 10, p. 107 : Frédéric Raevens ; p. 44-45, p. 78-79 : Triangle Bleu ; p. 174-175: Annik Wetter ; p. 184-189 : David Blázquez ; p. 214-215, p. 234-235 : Frédéric Lanternier ; p. 254, Patricia Mathieu L’éditeur s’est efforcé de respecter les prescriptions en matière de droits d’auteur, mais il n’a pas pu déterminer avec certitude les ayants droit de chaque illustration. Quiconque estime avoir des droits à faire valoir est invité à prendre contact avec l’éditeur.

Couverture 19.04.18 – FOND JAUNE, 2019 Huile sur toile, 250 x 200 cm

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