La Quinzaine littéraire n°112

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SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Konrad Lorenz

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ENTRETIEN

G. Cabrera Infante

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ROMANS ETRANGERS

Miguel Angel Asturias

Essais sur le comportement animal et humain

par Roger D. Masters Propos recueillis par Albert Bensoussan

Le larron qui ne croyait pas au ciel Les soirs Dernier recours La leçon d'allemand

par A.B.

Titre Pluriel Sujet Cartes Monde à quatre verbes Signes particuliers Le papier, la distance Anthologie de la poésie russe La Renaissance du XX· siècle

par Serge Fauchereau

11

Georges Badin Daniel Blanchard Jean Daive Vahé Godel Jean-Claude Schneider Nikita Struve

13

Anna Akhmatova Paul Celan

Poèmes sans héros Poème

ROMANS FRANÇAIS

Jean Cayrol

par Maurice Chavardès

LOGIQUE

Arnauld et Lancelot Arnauld et Nicole

N·oubliez pas que nous nous mmons (;ramnwire générale et raisonnée La logique 01/ l'art de penser

Bernard Schultze

Dans les galeries

par Jean-Jacques Lévêque par Marcel Billot

Hommage à Lucien Goldmann

par Angèle Kremer-Marietti André Akoun Sami Naïl'

Marguerite Dupire

L'organisation sociale des Peul

par M'1rc Augé

Camille Lacoste-Dujardin .

Le conte kabyle

par A.H. Nait-Iratene

8

C.K. Van Het Reve Susan Sontag Siegfried Lenz

9 10

14

16

POESIE

EXPOSITIONS

18 21

ETHNOLOGIE

par Anne Fabre-Luce par J ean Wagner par Jacques-Pierre Amette

par Georges Nivat

par J .-c. Chevalier et P. I\.uentz

22

HISTOIRE

Claude Mauriac

V n autre de Gaulle Journal 1944-1954

par Pierre Avril

24

ECONOMIE POLITIQUE

André Nouschi

Les luttes p(;trolières au Proche-Orient Le jeu mondial des pétroliers

par Daniel Durand

par Louis Seguin

Denis Bauchard

25

CINEMA

James ou pas

26

ENTRETIEN

En U.R.S.S. une musique parallèle

28

THEATRE

Lcs théâtres populaires

François Erval, Maurice Nadeau.

Comeiller : Joseph Breitbach.

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris (7e ).

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Téléphone: 222-94-03.

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La Quinzaine littéraire

François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski.

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Crédits photographiques

p. 3 Flammarion p. 4 PlI.yot p. 5 Gallimard p. 7 p. 9 p. I l p. p. p. p. p.

13 14 16 17 18

Seghers Laffont Aubier Flammarion Hachette Lüfti Ozkok Le Seuil Iolas D.R. D.R.

p.

19

D.R.

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Un an : 58 F, vingt-ero" numéro,. Six mois: 34 F, douze numéro,. Etudiants: réduction de 20 %. Etranger: Un an : 70 F. Six mois: 40 F. Pour tout changement d'adresse envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15551-53.

Jacques Daniel.

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Daniel Vittet

Impression G./.P.AY.

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Courrier littéraire : Adelaide Blasquez.

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Pm du nO au COI'&Gll4 : 75 cents.

par Lucien Attoun

p. 21

Clairefontame, Lausanne

D.R. Béatrice Heylighers


I.E I.IVRE DE

Les animaux et les hommes I.A QUINZAINE

Konrad Lorenz Essais sur le comportement animal et humain Le Seuil éd., 484 p.

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Imaginons que l'œuvre scientifique de Newton fût presque totalement inconnue des savants français au moment de la vulgarisation de ses théories par Voltaire au XVIIIe siècle, et que ce fût à partir de cette vulgarisation uniquement qu'on discutât des conséquences scientifiques et philosophiques de la physique newtonienne. Dans cette hypothèse, le lecteur et surtout le savant n'auraient eu qu'une connaissance quelque peu incomplète, sinon déformée, des théories de Newton. N'aurait-on pas eu tendance à considérer les implications philosophiques d'une pensée avant d'en bien connaître la substance? Bien que Konrad Lorenz ait été lui-même le vulgarisateur de ses propres théories d'éthologie (science du comportement animal), ce genre d'inversion temporelle s'est produit pour la publication de ses ouvrages scientifiques et la connaissance de sa pensée; en France, comme aux Etats-Unis, Lorenz s'est révélé tout d'abord au grand public par des œuvres telles que l'Agression, Il parlait avec les M ammifères, les Oiseaux et les Poissons, ou Tous les Chiens, Tous les chats (1) - qui ne sont qu'une vulgarisation de son expérience scientifique - et par sa participation aux émissions télévisées où il résumait ses théories d'une façon plus schématique encore. A quelques exceptions près - telle une contribution au symposium l'Instinct dans le comportement des Animaux et de l'Homme (2) - les écrits proprement scientifiques de Lor e n z n'étaient pas traduits et restaient largement inconnus en France. Il convient de signaler cette anomalie dans la diffusion des œuvres du « père de l'éthologie », car elle explique certains malentendus qui se sont largement répandus à son sujet. Lorsqu'il parla de l'agression comme d'un instinct jouant un rôle important chez l'homme, plusieurs savants l'ont attaqué vivement. Ces critiques, tel l'article de l'éthologiste américaine Sally Carrighar intitulé « La Guerre n'est pas dans nos Gènes» (3), feraient croire que Lorenz méconnaît la différence e n t r e le comportement humain, presque totalement appris, et la vie des animaux.

par Roger D. Masters Ce qui est curieux dans ces débats est le fait que des savants se sont opposés aux œuvres de vulgarisation de Lorenz sans prendre en considération ses écrits scientifi· ques, qui constituent le fondement de l'Agression. A l'exception de T .C. Schneirla, les études critiques parues aux Etats-Unis ne citent même pas Evolution et M odification du Comportement, livre que Lorenz publia en anglais en 1965 et qui fut traduit en français en 1967, chez Payot. Ainsi, les critiques de l'application de l'éthologie aux phénomènes humains ne tiennent pas compte des données précieuses que Lorenz a élaborées luimême au cours d'une longue carrière d'observation des animaux, de savant et de théoricien de l'instinct. Ne serait-ce qu'afin de rectifier cette injustice envers Lorenz, la publication de ses Essais sur le Comportement Animal et Humain serait un événement digne d'intérêt. Certes, le grand public ne risque pas de trouver d'une lecture facile une analyse serrée de 46 pages consacrée-. à... la façon dont l'oie grise rouIe un œuf sorti du nid. Mais pour tous ceux qui s'intéressent aux sciences de l'homme, ce livre devrait être important et passionnant. Dans un compte rendu, il n'est pas question de décrire toute la richesse de cinq Essais dont la rédaction s'échelonne de 1935 à 1954, ni même de les utiliser pour retracer la carrière scientifique de Lorenz. Il n'est pas non plus possible de tenter une appréciation des méthodes scientifiques, des théories, ou des opinions de l'auteur. Contentons-nous de signaler quelques-uns des grands thèmes qu'il aborde en les situant dans le domaine des connaissances humaines, afin qu'on sache pourquoi ce livre risque fort d'être plus fécond que les autres œuvres de Lorenz déjà connues en France. D'abord, il est utile de mieux connaître les m é t h 0 des et les concepts propres à l'éthologie, car trop de ceux qui parlent des rapports entre l'homme et la nature ignorent encore l'analyse scientifique du comportement animal. Dans l'essai intitulé le Compagnon dans l'environnement propre de l'Oiseau (1935), Lorenz aborde le problème du comportement de toute une classe d'animaux par rapport aux congénères. Ici, Lorenz contre qui les critiques retiennent le péché d'anthropomorphisme tente de

reconstituer les perceptions des oiseaux eux-mêmes, ce qui semhlerait n'intéresser que les spécialistes. Pas du tout, car ses études posent toute la problématique de la distinction entre le signe et le signifié dans son contexte biologique. Ainsi, quand Lorenz définit le « schéma déclencheur» d'un acte instinctif, telle la reconnaissance de l'oiseau-parent par le nouveauné, il nous donne les moyens de repenser les concepts de base de la sémiotique, c'est-à-dire de toute connaissance du langage, de l'épistémologie et de la communication. On tirera d'autres enseignements très importants des recherches de Lorenz, comme de son analyse de la « sensibilisation» chez les jeunes oiseaux de plusieurs espèces qui, pendant une période courte et génétiquement déterminée, apprennent à identifier les congénères envers lesquels un acte instinctif sera déclenché. Ce phénomène rend absurde toute distinction simpliste

et g lob ale entre l'instinct et l'apprentissage distinction qui est souvent abusivement considérée comme étant identique à celle qui existe entre le comportement animal et humain. De plus, la découverte des chaînes du comportement animal, composées d'éléments hétérogènes, permet à Lorenz de définir l'instinct avec une précision qui manque souvent aux débats scientifiques; pour l'auteur, l'acte instinctif n'est qu'un des aspects innés du comportement, qu'il fa~t distinguer nettement des réflexes, des appétences, des schémas déclencheurs, etc. Sans prétendre résumer la théorie de l'acte instinctif chez Lorenz - le lecteur en trouvera une formulation page 423 et suiv. - il faut néanmoins préciser que notre conceptualisation du comportement animal s'en trouve énormément enrichie. Ce qui est plus important encore, c'est que cette thé 0 rie conduit à des rapprochements entre

~ La Quinzaine Uttéraire, du 16 au 28 février 1971

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En feuilletant ...

~ Lorenz

le comportement des animaux et celui de notre espèce. Les essais

Le Tout et la Partie dans la Société Animale et Humaine (1950) et Psychologie et Phylogenèse (1954) en montrent tout à la fois la subtilité et l'importance. On verra que l'homme, ce « spé. cialiste de la non-spécialisation» pour reprendre les ter mes de l'auteur (page 378), ne s'est pas totalement soustrait à l'influence des actes instinctifs; que la morale et l'esthétique sont considérablement éclairées par l'analyse de -l'homme en tant qu'espèce domestiquée; et que l'évolution de l'humanité comporte des risques parce que la constitution de l'homme limite l'efficacité de la morale ra· _tionnelle dans la mesure où il y

défaillance des comportements sociaux innés, défaillances qui

(J

sont elles-mêmes rendues possibles par cette domestication qui ouvre la 'Voie à notre intelligence. Citer en passant ces propositions, c'est montrer la complexité de la pensée de Lorenz aussi bien que la multi· plicité des conséquences qu'on pourrait en tirer, tant en philosophie et science politique qu'en psychologie ou sociologie. C'est, bien sûr, au niveau des comparaisons entre l'homme et les animaux que les œuvres déjà traduites de Lorenz ont soulevé le plus d'opposition, et l'on s'attend aux mêmes critiques à l'égard des deux derniers essais de ce livre. Mais avant d'en juger ainsi, il faut absolument avoir maîtrisé la science de l'éthologie, et donc avoir bien étudié les trois premiers essais. Car, si tous les spécialistes ne sont pas d'accord sur les théories de l'instinct de Lorenz, celui-ci reste, néanmoins, l'un des fondateurs d'une science, ce qui lui donne le droit d'être lu en tant que savant et non pas uniquement comme vulgarisateur. C'est peut-être le plus grand mérite de ces Essais qu'ils donnent enfin aux Français la possibilité de respecter ce droit.

Vers une contre-culture En dépit de la «majorité silencieuse ,. qui a porté Richard Nixon au pouvoir, 1'« American way of life» ne constitue plus un credo pour les Américains eux-mêmes et son rejet est notamment 'le fait làbas de la jeunesse. Que veulent ces jeunes? En quoi croient-ils? Quelles valeurs prônent-ils? C'est ce que nous expose Theodore Roszak, professeur au State College de Californie dans un. ouvrage dont le titre signale à lui seul le contenu : Vers

une contre-culture. Selon Roszak, étudiants contestataires, hippies, partisans de la paix au Vietnam, propagandistes d'une nouvelle gauche « radicale" (qui ne constituent pas toute 'la jeunesse américaine mais qui parlent pour elle, et forment sa partie pensante et agissante) refusent en bloc les mythes qui font encore courir la plupart des adultes, même ceux d'une gauche dite révolutionnaire. Ils mettent en effet dans le même sac socialisme et capitalisme, frères jumeaux d'une même croyance au progrès, à la technique, en la science, au rationnel. Ils ne croient ni aux vertus de l'organisation ni à « l'efficacité,.. Ils prônent le sentiment contre la raison et les droits de la personne dans une vie en harmonie avec la nature. Ils ne se battent pas contre une forme de société ou un régime. Selon l'auteur ils font pis: ils sont vraiment entrés en «dissidence,.. Voilà uné nouvelle confirmation de cette révolution «du dedans,. dont parlent les observateurs et qu'analyse intelligemment, c'est-àdire avec sympathie, Theodore Roszak (Stock, éd., 320 p. Le traducteur, Claude Elsen,- ignore que les ouvrages de Norman Brown : Life against Death et Love's Body ont été publiés en français, sous les titres respectifs de Eros et Thanatos et le Corps d'amour, dans Les Lettres Nouvelles.)

Vingt ans après'

Roger D. Masters (1) Parus aux éditions Flammarion. (2) Masson (1956). (3) Dialogue, vol. 2, n° 1 (1971), pa-

ies 23-34. Voir également Ashley Montagu, éd., Man and Agression (New York, Oxford, 1968), recueil des comptes rendus hostiles à la pensée de Lorenz et de Robert Ardrey (auteur des Enfants de Caïn et Le Territoire, best-sellers aux Etats-Unis qui ont fortement contribué à la diffusion de 1éthologie parmi les .Américains).

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Avant qu'il devienne un auteur de théâtre· fort connu, René de Obaldia avait écrit de délicieux ouvrages, dont les Richesses naturelles, qui l'avaient déjà signalé à l'attention. Grasset réédite ces Richesses naturelles, «récits-éclairs,., dans une version «revue et augmentée" (208 p.). Vingt ans après, le plaisir qu'on prend à relire ces récits pleins d'humour et de gentillesse (parfois féroce) ne se dément pas. '

Précurseur ou charlatan? Le nom de Mesmer, associé à celui de Cagliostro et aux prodromes de la Révolution, n'est pas de ceux qui mettent en confiance. On ne se souvient guère que du fameux «banquet,. dans lequel trempaient leurs pieds les grandes dames de la Cour pour soigner leurs vapeurs, et le «mesmérisme,., lié à la découverte par le fameux docteur souabe du « magnétisme animal,. n'avait point été en son temps avalisé par l'Académie de médecine. Puis, il y eut Charcot, l'hypnotisme, les convulsionnaires hystériques de SainteAnne. Les "passes magnétiques» dont usait Mesmer n'étaient pas sans revenir aux mémoires des psy· chiatres de 1880. Et ne parlons pas de la «thérapie de groupe,., plus récente. Faut-il rendre justice à

taient de nombreuses études dispersées dans de non moins nombreuses revues. Elles viennent d'être rassemblées, chez Payot, sous le titre Littérature et critique, 456 p.

Classiques du surréalisme Poursuivant son travail de réédition d'ouvrages surréalistes ou ayant contribué à former le «climat,. surréaliste, Jean Schuster nous donne dans sa collection «le Désordre ", une nouvelle édition des Lettres de guerre de Jacques Vaché, précédées de quatre essais d'André Breton (Eric Losfeld, 84 p.). Chez le même éditeur, Michel Arnaud a traduit et adapté une pièce du romantique allemand Achim d'Arnim, également cher au cœur de Breton : Le Coq de Bruyère, 168 p.

ESPRIT LE JOURNAL De l'information à l'action culturelle

Lecteurs Mesmer? Robert Amadou, savant en « sciences secrètes,., a réalisé un projet qui lui tenait à cœur: rassembler les œuvres de Mesmer - la plupart écrites par des « nègres,. - et montrer en quoi le célèbre «magnétiseur" avait découvert l'existence de « l'inconscient,. et « fondé in aenigmate la psychothérapie moderne,.. c Attention à Mesmer, écrit-il, et que la comédie ne nous dégoûte pas.,. Le lecteur se fera une opinion en lisant: F.-A. Mesmer: Le Magnétisme animal, Payot, 408 p.

Auteurs •

Techniques •

Conflits

Claude-Edmonde Claude-Edmonde Magny, précocement décédée, a été un des meil· leurs critiques de notre après-guerre. Le Seuil a réédité son Roman américain et son Histoire du Roman français, Payot ses Sandales d'Empédocle en livre de poche. Res-

• JANVIER 1971 : 13 F

El'\1pRIT

19, rue Jacob. Paris 6C.C.P. Paris 115-4-51


ENTRETIEN

Avec Cabrera Infante et ses "Trois tristes tigres" T.T.T.? Peut-on parler ou plutôt ici d'ironie?

Le Prix du Meilleur Livre étranger a été décerné, pour 1970, au roman de G. Cabrera Infante : Trois tristes tigres. Nous en avons rendu compte dans notre N° 94.

G. C. 1. - L'hommage plus que la référence au Rév. Charles Ludwige Dodgson est constant dan. mes T.T.T. Mais il devrait l'être davantage. Ce modeste clergyman inventa presque à lui tout seul la littérature de ce siècle - et pa. seulement dans le domaine du langage et de la logique autonome de. mots. Le dialogue sur l'avantage didactique (et politique) du châtiment sans crime dans A travers le miroir où cette phrase du tyran qui est à la fois accusateur et juge suprême dans Alice au ...

Nous publions ci-dessous un entretien de Cabrera Infante qui vit à Londres, avec son traducteur, notre collaborateur Albert Bensoussan.

Auteur d'un roman où tant de choses arrivent par trois, à commencer par les tigres du titre des tigres à Cuba? vous ne serez pas surpris, je pense, si j'use de trois mots ou de trois concepts pour tenter d'éclairer le sens de votre livre: MIROIR, TRISTESSE, VERBE. N'êtes-vous pas, en effet, sensible à la spiritualité des nombres, à la Cabale, à l'ésotérisme? G. C. 1. - Les tigres du titre et du livre ne sont pas réels (c'est-àdire zoologiques) ni de papier (c'està~ire imprimés) mais verbaux. Ils font partie de la sottise dès nations, du non-sens oral des Cubains (un peuple qui était loquace et musical avant d'être inséré dans un monde laconique : cela fait cinq ans, peutêtre sept que Cuba ne produit plus de musique populaire digne d'être retenue et même la mélodie de la Guantanamera, aujourd'hui célèbre, fut composée il y a plus d'un quart de siècle : quelques-unes des chan· delles fondues auxquelles se réfère l'épigraphe emblématique de Trois Tristes Tigres, empruntée, comme tant d'autres choses dans mon livre, à Lewis Carroll) et ils viennent d'une allitération, un accroche-Iangue que nous répétions hier avec une véritable passion 10gogriphique : Tres tristes tigres en un tri gal... Il faut se rappeler que bien avant que l'écholalie popmusical ne devienne universelle et constante, à Cuba on composait des chansons peut-être trop populaires avec la répétition démente de trois mots, et il y a une chanson cubaine qui consiste à répéter systématiquement un seul mot - la vieille quaracha • Bien bien bien D : c'est là son titre et toutes ses paroles pendant trois minutes minimum ou ad infinitum, au choix du public. Son et fureur qui ne signifient rien - et peut-être tout. A titre d'anté-

d'humour

cédent douteux il convient de noter ici que même la célébration de la drogue à laquelle se livrent parfois les chansons pop anglaises et américaines (. Lucy in the Sky with Diamonds D, CI With a little help from my friend D, CI Strawberry fields forever », des Beatles, CI We love you D, des Rolling Stones, CI Rainy Day Women» de Bob Dylan, avec son fameux refrain : CI Everybody must get stoned D), a connu ses pionniers avec la musi· que cubaine populaire, comme on le voit dans deux extraits de célèbres chachachas composées dans les années 1955 : 1) Doctor, manana no me saca usted esa muela, aunque me muera dei dolor! Porque dicen que anoche 10 vieron con un tremendo bacilon! 2) Bacilon qué rico bacilon chachacha qué rico chachacha... Faut-il dire que bacilon comme high ou stoned sont synonymes, qu'ils signifient tous les trois cuite à la marihuana? L'ésotérisme est la partie occulte de cet iceberg torride qu'est l'île, là où le pythagorisme pratique s'acheva tristement sous les tropiques par des vers et des nombres (le 60 appelé • pierre fine D, le 6 surnommé CI la nonne D, le 2 = le papillon, le 12 = femme

La Qulnzalne IJttéralre, du 16 au 28 février 1971

CI mauvaise., et, bien sûr! là où tout commence et finit, le 1 = El Caballo !) sans spiritualité possible parce que c'étaient des signes de reconnaissance essentiels pour aspirer au matérialisme hystérique de la loterie surnommée nationale. Est-il possible de conserver l'âme présocratique cubaine dans le vide d'une littérature pythagorique? Je me le demande toujours. (Cf. Lezama Lima, Arenas, etc.). La Cabale s'est transformée à Cuba en la cabala ou charade chinoise, jeu de hasard introduit à Cuba par les fils et grands-fils) du Céleste Empire, race qui forme une partie importante de la population cubaine et qui, surtout à La Havane, informe la nationalité d'une façon notable comme l'ont démontré avec un raisonnement et une méthode différents Severo Sarduy, Wifredo Lam, Batista, le théâtre Changai et Raul Castro, notre Lim-piao.

L'un des chapitres de T.T.T. s'intitule • la maison des miroirs -. De nombreuses références à Lewis Carroll ici et là apparaissent. Les personnages principaux sont parfois interchangeables. L'un d'eux, même, Bustrofedon, n'est qu'une forme de langage omniprésente qui passe d'un être à l'autre. Quelle vision du monde vous permet d'appréhender le mystère du miroir? Quel rôle joue le fantastique dans

• Non, non!, dit la Reine . • La sentence d'abord - ensuite le verdict sont des notions qu'II faut attendre le vingtième siècle pour voir apparaître sous forme narrative et seulement par l'intermédiaire de Kafka et de ses tragicomiques presciences totalitaires. Sans Lewis Carroll (et sans Swift ni Sterne ni Mallarmé mais plus encore sans Carroll) il n'y aurait jamais eu James Joyce et sans la langue bl· fide de l'Irlandais, ni Nabokov, ni Gadda ni Queneau ni Cortazar ni Donald Barthelme ni moi ne pourrions parler aujourd'hui le même langage avec un accent différent : la tour Martello est notre Babel. C'est-à~ire une metalingua franca - ou phranca. Ma vision du monde c'est la mission du Monde : une même superstition hébraîque nous empêche de voir autre chose que la parole écrite, refusant le monde de l'image. Mais le journal (comme l'écrivain) est inondé d'images qui l'étouffent déjà et dans très peu de temps tous deux auront cessé d'exister. Le fantastique joue dans T.T.T. le même rôle que la mémoire joue dans le fantastique. Il n'y a que de la mémoire, même l'imagination est faite de mémoire. Un écrivain que les Français considèrent comme l'épitomé du faiseur de fiction, comme Jules Verne, a fini par n'être rien d'autre que la mémoire du commandant Borman, un pragmatique pilote d'essai nordaméricain. L'humour n'est rien d'autré que l'ironie pure et désintéressée, l'art pour l'art de faire rire. L'ironie est un humour engagé, ce qu'est la propagande à la littérature. Parlons d'humour seulement, Je vous prie. C'est-à~ire, parlons de littérature, car Je suis plus las de la propagande que de la publicité - ce qui n'est pas peu dire.

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~ Cabrera Infante

Dans ce roman on a l'impression que les personnages cherchent désespérément à se faire rire. Une fièvre de divertissement court de page en page. Et soudain éclate comme une cassure la tristesse des tropiques. Est-elle liée à l'ethno'9gle, ou ne s'agit-il pas plutôt de la vision d'un monde finissant? Et dans ce cas avez-vous voulu peindre seulement La Havane pré-castriste ou d'une façon plüs large la fin d'un monde qui est tout notre monde? Le sexe ici joue un rôle essentiel. L'édition française qui ne connaît pas, comme l'espagnole, le ciseal.! hongreur de la censure, le montre encore mieux. Peut-on considérer T.T.T. comme, dans une certaine mesure, la glose du vers de Mallarmé : " La chair est triste hélas! et j'ai lu tous les livres.? G. C. 1. - Pourquoi tristesse des tropiques et non de la littérature 7 Les tropiques ne sont ni tristes ni Joyeux : ils sont naturels. Ce sont les ethl'!'ologues, les écrivains, les tristes. La tristesse vient des livres, du livre, de mon livre, peutêtre. Mon livre est la description d'un fruit en chute libre. Un fruit défendu. Je ne pense pas à la pomme mais plutôt à la mangue, à l'annone qui sont des fruits de l'arbre de la science du bien et du mal sous les tropiques. Un fruit défendu par l'histoire. Je ne sais si je vous ai déjà dit que la littérature m'intéresse plus que l'histoire; je préfère le récit de mensonges a priori que la chronique de mensonges a posteriori. Il est clair que je suis plus obsédé par la vérité que par la littérature. Ce serait pertinent (et peut-être) utile) de me couvrir du manteau de votre question et de laisser passer ·la référence à la censure espagnole. Ce serait opportun et agréable et beau: en un mot, chic. Maintenant que la Gauche est à la mode, que Grove Press (une maison spécialisée en pornographie semblable à l'Olympia Press parisienne) est l'organe d'édition des Black Panthers que Playboy diffuse, en même temps que la pl1ilosophie du sexe de son directeur Hugh Heffner, la pensée politique de Mao, que même la revue Vogue lance une guerrHla Iyne! (String Revolution : « Revolutionaries by request »), que la guérilla palestinienne fait la concurrence à la maxi-jupe dans les milieux progressistes et que la révolution est une good copy, rien ne

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serait plus facile (pour moi qui ai pleuré quand Madrid est tombée aux mains des nationalistes : non que j'eusse une conscience politique précoce, mais parce que, âgé de six ans, je pleurais avec mes parents, fondateurs du parti communiste à Cuba et partisans farouches de la République) et plus profitable que de déplorer le grossier coup du cr ciseau hongreur de la censure espagnole... Mais je ne peux pas le faire. Car s'il est bien vrai que mon livre fut censuré en Espagne, il n'en est pas moins certain que je n'ai accepté préalablement cette censure, qu'en suivant les sages conseils de mon éditeur catalan, don Carlos Barral, j'ai préféré que mes Tigres voient le jour avec une griffe ou deux en moins à leurs pattes imprimées, mais vivants et loquaces et remuant la queue. Plus encore, je dois dire que dans l'Espagne franquiste on a plus fait pour mon livre que dans mon pays natal. Il y fut publié certes censuré mais il devint public et fut critiqué, loué et vendu de tous côtés, d'Alme·ria à Saragosse, tandis que dans la Cuba fidéliste le livre et l'auteur sont l'objet de l'anathème public. Pour des raisons politiques 7 Il n'y a pas de livre plus apolitique que Trois Tristes Tigres, il n'y a pas de livre plus libre. Mais peut-être toute liberté est-elle subversive. Ou dois-je dire, tout écrivain libre 7 Plus qu'une glose ce doit être une Panglose que : cr La chair est douce! Hélas, je ne lis plus de livres ». N'oubliez pas que ce livre est américain, avec tout ce que d'(ir)révérent métèque possède ce continent. Je dirais plus : c'est un livre havanais, avec le goût pou'·'la farce et pour la vie, caractéristique éternelle de l'âme cubaine : el relajo criollo. Ainsi, T.T.T. se moque de toute rhétorique, y compris la rhétorique de la tristesse, si européenne - à partir du Siècle des Lumières : cf. Molière, Ben Jonson, Shakespeare, Quevedo, Cervantès, le roman picaresque, Francisco Delicado, Villon, et last but not least, Rabelais contre les romantiques allemands ou autres : i.e. les agonistes, les surréalistes, les existentialistes, etc. C'est pour cela que je préfère toujours Swift et Sterne à Goethe et Von Kleist, oui à Stendhal, non à Balzac. Bouvard et Pécuchet versus Madame Bovary, Gogol et Tchékhov mais pas Dostoïevsky, Nietzsche et jamais Kierkegaard, Kafka si Thomas Mann no !

D'où les fréquentes allusions parodiques à des phrases comme celle que' vous citez du mauvais Mallarmé, à l'Heidegger de «Pourquoi l'Etre en général et pas plutôt le Néant .. Le Verbe maintenant. Me permettez-vous de parler de technique de collage à propos de T.T.T. ? Et si je parle de Joyce et de Faulkner, quelle sera votre réaction? Le roman - roman, vraiment? - pourrait être ressenti comme une seule longue phrase bégayante. Jeux de mots, astuces de langage, allitérations, palindromes quelle est cruelle la tâche du traducteur! obligent l'oreille à l'acrobatie. Ouel sens donnez-vous à ce délire verbal si cubain, si havanais dans T.T.T. ? G. C. 1. - Parlez de collage si vous voulez, bien que ce soit un mot qui me gêne appliqué au roman parce que la peinture n'a rien à voir avec la littérature. Parlez d' cr une seule longue phrase bégayante ». Parlez de jeux de mots, d'allitérations, de palindromes, d'accords inversés, d'écriture boustrophédon, d'oxymoron, d'anacoluthe... Parlez de roman ou d'anti-roman et même de métaroman, qui me plaît davantage comme classification. Parlez tant que vous voudrez de Joyce. Mais ne parlez pas de Faulkner. Si vous voulez citer des influences dans T.T.T. parlez de Borges, de Nabokov, de Chandler et Hammett, de Mark Twain, de Machado de Assis et d'Eça de Quei· ros ; de Wilde, de Carroll, de Gogol, de Sterne, de Swift, de Shakespeare et de Marlowe, de Cervantès, de Quevedo naturellement, de Deli· cado, de l'Archiprêtre de Hita, de Rabelais, de l'incroyable Teofilo Folengo, de Dante, et si vous vouIez aller encore plus loin, parlez de Catulle, d'Ovide, de Sextus Properce... (Parlez, puisqu'on en est à la moderne antiquité romaine, de Pétrone, je vous en prie, car T.T.T. est une traduction manquée du Satiricon). Parlez si vous voulez d'Homère, de la Bible, même du folklore : mais ne parlez pas de Faulkner, je vous prie. Plus que régional, c'est un écrivain paroissial et je suis persuadé que le XXI" siècle le lira comme nous lisons aujourd'hui Dickens. Un dernier mot : la sagesse estelle jacassière ?

G. C. 1. - Oui, dans les sociétés (et dans les livres) loquaces. Dans la Grèce antique, par exemple, où l'oratoire était un art. A Rome avant que la loquacité des Césars signifie le silence de la plèbe et des poètes aussi : Pétrone, Ovide et alii. En France et en Italie, mais pas en Espagne ni en Angleterre, peu· pies laconiques malgré les Irlandais et les Andalous. Chez Rabelais, par exemple. Dans Tristram Shandy où cette loquacité de la pensée, de la digression, «est le soleil de la conversation •• Dans Ulysse et, plus encore, dans Finnegans Wake. (Avez-vous remarqué que ces trois livres n'ont jamais eu de véritable succès en Angleterre 7). Ce wakelà où un mot remplace les mille images du rêve. Il y a des peuples Jaconiques qui deviennent loquaces et vice versa. Un exemple de laconisme qui se transforme en loquacité ce sont les Etats·Unis - de là l'échec final d'un écrivain laconique comme Hemingway et le triomphe subit des écrivains juifs (peuple loquace s'il en est) tels que Bellow, Malamud et Philip Roth ou de bavards comme l'entertainer Lenny Bruce (également juif) et du pop hurlé sur le jazz chuchoté des programmes de télévision qui ressemblent à des programmes de radio - tels que le célèbre Laugh-in. T.T.T. est un livre loquace par et pour des gens loquaces, qui célèbre un peuple loquace en train de disparaître dans le laconisme la flamme d'une chandelle quand. Là l'ennemi est l'irrationnel qui finit par triompher du loquace (Bustrofedon qui meurt), le fanatisme et le mal du Millenium ou Apocalypse. C'est pour cela qu'à un juif loquace mais apocalyptique comme Charlot Marx nous opposons (mes livres et moi) un juif apolitique et loquace comme Julius Marx. Maintenant plusieurs (Time Magazine, AI Capp, The Heraid Tribune from Parress) se ran· gent à un tel choix. Mais mon métaroman a remporté le prix Joan Petit-Biblioteca Breve-Editora SeixBarral de Barcelona (cela ressemble presque à l'étiquette du rhum Bacardi, médaille d'or à l'exposition... etc. !) en 1964 et son dessin loquace-ludique était déjà ébauché dans Un oficio dei siglo XX (La Habana, 1963). C'est que j'ai toujours préféré la scatologie à l'eschatologie. Comme vous le voyez, je suis un matérialiste ahistorique. Propos recueillis par Albert Bensoussan


ROIIANS

La Conquête ETRANGERS Miguel Angel Asturias

Le larron qui ne croyait pas au ciel

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Trad. de l'espagnol par Claude Couffon Albin Michel éd., 278 p.

Le dernier livre de Miguel Angel Asturias nous ramène inlassablement aux Andes Vertes de son Guatemala natal, à « l'argent savonneux des fleuves» et aux « étincelantes cascades d'écumes» des montagnes, aux terres des Lacandons et des Mames que les Espagnols asservirent en 1525 sous le commandement du Conquistador Gonzalo Alvarado. Car c'est à l'aube de la Conquête et de l'incroyable entreprise de viol et de pillage d'un continent que nous transporte l'auteur, délaissant - en apparence les problèmes actuels de son pays, tels qu'il les avait développés dans Monsieur le Président - portrait d'un dictateur - et le cycle des bananes - l'Ouragan, le Pape vert, les Yeux des enterrés - : une des plus lucides et des plus violentes critiques de l'impérialisme nordaméricain. En soixante pages, le romancier . nous brosse dès l'abord la fresque hallucinée de la guerre de conquête, celle qui met aux prises dans les Andes les Teules, c'est-à·dire dans le langage aztèque les Espagnols, aidés de leurs fidèles alliés et « collaborateurs» tlaxcaltèques, et les Mames, c'est-à·dire les Indiens mayas-quichés du Guatemala, opposant, bien après les « historiens des Indes» Bernal Diaz deI Castillo et l'Inca Garcilaso, ces « êtres si méprisables que leurs religieux eux-mêmes disent dans leurs bibles qu'ils ont été faits de boue», aux Andins, ces « hommes de maïs ». Du côté indigène, on compte ses morts, on dresse le bilan douloureux de la défaite et on évoque, après coup, deux conceptions opposées de la guerre, la « guerre fleurie », c'est-à-dire la bataille rangée de type classique, celle-là même qui a vu les Indiens mal armés foulés aux pieds par la fougueuse cavalerie espagnole, et la « guerre sauvage », que d'aucuns - les « Che» du XVIe siècle préconisèrent vainement, et qui est la guérilla, l'embuscade dans les monts, cette taètique de la lutte de harcèlement et du soldat « fantôme », dont l'heure n'était pas encore venue... Il ne reste, pour l'instant, sur le champ fumant des cadavres, que la

Asturias, par Cout elle vaine exaltation, la belle incantation du Héros à la face impassible des Conquérants : « Paupières closes de Çhinabul Gemà J Paupières closes du Mam J... » inlassablement répétée, preuve supplémentaire que ce grand romancier est aussi cet extraordinaire poète qui dispensait à Paul Valéry préfacier des Légendes du Guatemala «cet élixir guatémaltèque »..., et qui est enfin inscrit, depuis 1970, grâce à Claude Couffon, sur les tablettes des « Poètes d'aujourd'hui» de Pierre Seghers. Les vaincus se sont retirés sur les cimes, avec leur honte et leur rancœur, avec leurs dieux et leurs. mythes. C'e~t alors que commence vraiment l'histoire du « larron qui ne croyait pas au ciel », qui est aussi une histoire hallucinée de la Conquête de l'Amérique. Quatre Espagnols « fous, somnambules, perdus dans la forêt », hantés par l'étroite bande de terre, un jour aperçue, sous laquelle, croient-ils, se rejoignent les eaux des deux Océans, se sont écartés des leurs et cherchent pour leur propre compte le secret chemin du baiser des deux mers qui les rendraient riches et glorieux. Ces hommes sont les disciples du Mauvais Larron, compagnon dérisoire de Jésus crucifié, et appartiennent à la secte des Saducéens, dont il restait, semble-t-il, dans l'Espagne de ce temps quelques prédicateurs, tel ce Zaduc de Cordoue, cité par l'auteur et dont on ne sait d'ailleurs s'il n'est pas sorti de l'imagination puissante de ce dernier. La secte des Saducéens ne croit ni à Dieu, ni au Ciel, ni aux Anges et n'accepte comme véritable que l'immédiat, le pragmatique, le ma-· tériel. A ceux qui pourraient être surpris de cette résurgence d'une secte qui remonte à la riche caste

La QuIDzalne Uttéralre, du 16 au 28 février 1971

des prêtres de la famille de Sadoc, farouches gardiens du Temple, nous rappellerons la description, dans Hommes de mais, des fourmis noires montant à l'assaut des comestibles en chapelet, « chapelet du mauvais larron», s'entend; et surtout la Flaque du mendiant où Asturias évoque l'histoire des Alhajados, ces naufrageurs des mers du Sud, qui, ayant fait échouer un jour le navire du Diable - erreur fatale ! durent pactiser avec lui et fonder en Amérique le culte du Mauvais Larron. Il s'agit donc là de quelque chose de bien connu, du moins des lecteurs d'Asturias, de quelque rite d'Amérique encore vivace, et non d'une pure divagation onirique de l'auteur. En hommage au Mauvais Larron dont l'iconographie chrétienne a immortalisé les contorsions, le rite de ses adeptes tient tout entier dans la seule grimace, non pas le gigotement extériorisé, excessif, la contorsion vulgaire des Indiens adorateurs de Kabrakan, le dieu des tremblements de terre, et dont l'extase grotesque est provoqUée par la piqûre de la tarentule, mais la mimique contrôlée, le rictus intérieur. Asturias utilise ingénieusement -

poétiquement - cette sollicitation du grotesque et inscrit son histoire dans la roche révulsée, dans l'encre corrosive, dans le flot tourmenté du baroque le plus échevelé et le plus séduisant. Le burlesque le partage à l'épique, le grotesque triomphe dans un tonnerre de pets, un flux de borborygmes, une gigantesque singerie d'agonie lorsque les Conquérants, qui tentent de convertir les Indiens grimaciers à leur culte, sont massacrés par leurs catéchumènes. Seul réchappera l'artiste, le sculpteur de l'horrible simagrée du Mauvais Larron, asseyant la nouvelle religion matérialiste, définitivement, cellelà même dont le Pape vert était le puissant et souverain pontife : la Colonisation. Ainsi dans les singeries, les contorsions dérisoires de tous ces convulsionnaires proliférera la tu· meur maligne de ce matérialisme historique que fut la Conquête des Amériques, prolongée par l'actuelle colonisation. Le tout baignant, mijotant, bouillant, bouillonnant dans l'effervescence magique et toni· truante de l'époustouflant langage de Miguel Angel Asturias.

Albert Bensowsan·

romans Kingsley Amis L'HOMME VERT le premier roman fantastique du célèbre humoriste anglais.

Kenzaburo Oë

UNE AFFAIRE PERSONNELLE un roman japonais cruel, né de l'affrontement de deux civilisations

KôbôAbé LE PLAN DECHIQUETE par l'auteur de la Femme des sables.

Yoram Kaniuk HIMMO ROI DE JERUSALEM un grand roman Israélien.

Yoram Matmor UN PIANO SUR UNE PLAGE salué par la critique, un .. talent nouveau et original en Israël".

t 7


De l'ennui au divertissement C. K. Van Het Reve Les soirs Trad. 'du néerlandais par Maddy Buysse Gallimard éd., 256 p.

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Le Nouveau Roman nous a appris qu'on pouvait détruire un monde et en reconstruire un autre par le regard que l'on porte sur lui. Il semble bien que l'auteur des Soirs était particulièrement conscient de cette possibilité en publiant dès 1947, (deux ans avant les Tropismes de Nathalie Sarraute), le récit de dix journées dans la vie du jeune Fritz Van Egters. Pourtant si Les Soirs rappellent fortement le « roman expérimental» par la rigueur de la description, son caractère exhaustif, par l'attitude fascinée de l'observateur et son extrême compulsion vis-à-vis des détails, il en diffère par la présence d'un humour grinçant et cruel qui rappelle le ludisme baroque des héros de Beckett qui jouent soit à vivre soit à mourir. En fait, (( l'espion» de ces journées est un jeune Hollandais rangé, qui travaille dans un bureau, vit avec ses parents et se rend en visite chez des amis. Mais toutes ces activités sont désarmorcées, vidées de leur sens par la distance critique que le regard de Fritz leur impose. C'est l'élément d'anticipation, de (( déjà vu » qui corrode tous les objets de la vision et les projette dans une sorte de (( no man's land» étouffant. Le narrateur nous prévient des gestes, des questions qu'il provoque lui-même et nous fait assister à la n;alisation de petites scènes dont le lecteur est déjà devenu le complice involontaire. Avec Fritz, nous nous surprenons à arpenter les laideurs du monde, la sottise des gens; nous vérifions l'inévitable qui est toujours sûr. La fatalité prend alors la forme de la maladie mentale qui ,couve secrètement, de la calvitie qui défigure progressivement nos amis, de l'arriérisme dont nos enfants sont atteints, et surtout de l'atroce banalité des conversations que le narrateur nous apprend à mener à volonté jusqu'à l'extrême du sordide ou de la cruauté. Naturellement, ce monde suinte l'ennui et la vie de Fritz est un long baîllement entrecoupé de cauchemars qui font figure d'aventures. En étranger, il vit dans la totale indifférence de son propre destin et de celui d'autrui. Mais il possède des charmes secrets qui le rendent attachant : il est capable de haine,

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il raffole des jeux sadiques et des plaisanteries macabres. 11 rêve mollement d'une belle catastrophe, d'un (( spectacle grandiose, démoniaque ». Dans ce monde décevant, où il ne se passe rien il espère encore que son père se suicidera (( qu'un jour en rentrant à la maison, je le trouve pendu proprement comme un morceau de viande dans l'embrasure de la porte. Entre les pièces communicantes. C'est si commode aussi, pour y fixer des crochets pour anneaux de gymnastique» (p. 95). Mais son père est aussi un paresseux, et loin de songer à mettre un terme à sa monotone existence, il continue de sucer les os de viande à table, de faire de la bouillie dans son assiette, d'éructer bruyamment, et de lire le journal pendant que son fils indigné murmure entre ses dents : (( Dieu tout-puissant, qui voyez nos actes et nos épreuves... ». Le problème, c'est de supporter le temps quand on sait à l'avance ce qu'il vous réserve de surprises désagréables et d'ennui. La fadeur de la vie, rien ne peut la masquer : Ni la science - (( qui ne peut même pas fabriquer un grain de sable » - , ni l'amour - dont Fritz parle fort peu, indifférent qu'il est à ces créatures (( défectueuses et pitoyables » que sont les femmes. De la sexualité, il lui semble qu'il lui reste un petit intérêt maniaque pour les fonctions ingestives et éliminatoires en général. Les descriptions qu'il en donne adoptent volontiers le lyrisme goguenard et misérabiliste des personnages de Beckett, leur délectation morose et truculente à propos des (( intermittences» du corps. Cette petite odyssée de l'ennui, de la révolte sournoise et de la haine feutrée, avait tout pour séduire les jeunes (( provos». On y retrouve l'alliage séduisant de la lucidité et de l'inertie d'un Drieu la Rochelle, la violence verbale (( assainissante» de Céline et surtout la très sécurisante marginalité de Meursault, saturé par les automatismes stultifiants de la vie moderne, et les dialogues (( à vide » où chacun se trouve renvoyé à sa propre déréliction. Pour rendre le jeune Fritz tout

à fait sympathique il faut ajouter qu'il peut s'attendrir sur des riens, pleurer à volonté sur des feuilles de papier qu'il plie soigneuSement en quatre, en pensant au, dernier jour de l'année, par exemple. Mais

c'est d'un œil sec qu'il rêve de crimes délicats qui mettraient une fin harmonieuse à la laideur du monde, et le débarrasserait une fois pour toute du spectacle de la vieil· lesse. Malheureusement une abyssale paresse, une affinité remarquable pour l'échec ont raison de ces bonnes intentions. Et rien n'arrive, comme il l'avait d'ailleurs prévu. Peut-être verra-t-on dans ce livre un effet de l'incurable romantisme d'une génération qui refuse de

s'accomplir dans un monde fait à d'autres mesures; une petite « maladie du siècle» privée de métaphysique compensatoire. L'auteur, pour sa part, semble se contenter d'une mini-phénoménologie de la morosité, habilement ponctuée de quelques stridences sadiques. Il faut avouer qu'il a parfaitement réussi à transformer l'ennui en divertissement quand il s'agit du lecteur. Anne Fabre-Luce

Susan Sontag Susan Sontag Dernier recours Trad. de l'américain par Anne Minkowski Le Seuil éd., 334 p.

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Avec l'Œuvre parle, Susan Sontag a montré qu'elle était peutêtre la plus brillante essayiste américaine de la dernière génération. Intelligente, intuitive, universelle et paradoxale. Souvent irritante, elle arrive malgré tout toujours à nous séduire, même lorsqu'elle se livre simplement à un brillant exercice de style comme, par exem· pIe, sa définition du style Camp qui, toutes réflexions faites, sous des ...llures très sérieuses, .n'est, en fait qu'un canular très réussi. C'est pourquoi on est d'autant plus déçu en lisant son second r0man Dernier recours. Susan Sontag, lorsqu'elle appréhende une œuvre, a le don d'ailer à l'essentiel, à la chair de l'ouvrage. Lorsqu'elle crée pour son propre compte, elle cherche désespérément à concrétiser ce qu'elle croit être l'essence de la condition humaine. A l'arrivée, nous avons un livre totalement abstrait, le livre d'une philosophe qui jamais ne sera une romancière malgré le métier et une certaine habileté. C'est, du reste, là, la marque de fabrique de tout un courant de la nouvelle littérature américaine (on pourrait d'ailleurs faire remonter ce courant à Saül Bellow dont il faudra bien, un jour prochain, con-

sidérer de sang-froid, l'exacte situation). Peut-être est-il plus net chez Susan Sontag parce qu'elle a beaucoup lu et que ses références sont évidentes. Kafka et Freud sont passés par là et la jeune critique a une connaissance raisonnable du surréalisme. Disons, pour schématiser, que le destin général de son héros suit une courbe kafkaïenne tandis que les moyens employés par l'auteur sont directement empruntés à Freud et au surréalisme. Les symboles sont nombreux et tout le récit est parsemé de' rêves dont chaque « traduction» marque une station dans le calvaire du héros. L'erreur de Susan Sontag a peutêtre été de vouloir donner un aspect réaliste et quotidien à une matière qui était entièrement onirique. Nous avons alors l'impression d'assister à une démonstration implacable d'un théorème postulé dès leS premières pages. L'attention du lecteur s'égare et sans donner à Susan Sontag le prix de l'ennui comme l'ont fait quelques critiques new yorkais (du reste, l'ennui n'est jamais un critère), il faut avouer que chaque étape de cet itinéraire onirique ne s'impose pas par sa nécessité. Etrangement, la personnalité profonde de l'auteur se révèle beaucoup plus clairement lorsqu'elle s'abrite derrière l'œuvre d'un autre que dans sa propre création. En d'autres termes, Susan Sontag existe mais pour la découvrir, c'est l'Œuvre parle qu'il faut

lire. Jean Wagner


Lumière nordique Siegfried Lenz La leçon d'allemand Traduit de l'allemand par Bernard Kreiss Coll. Pavillons R. LaIfont éd., 459 p.

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Avant même d'être ouverts les romans se trouvent surchargés d'avis, d'opinions, empaquetés dans des louanges ou des critiques qui forment un brouillage déplorable. C'est particulièrement évident avec la Leçon d'Allemand de Siegfried Lenz. Voici un livre dont on ne manque pas de nous dire que c'est un des plus grands romans d'aprèsguerre (jusqu'à quand piétineronsnous dans cet après-guerre? Les villes allemandes sont reconstruites, et la littérature, alors? ...) qui révèle un talent comparable à celui de BOIl ou de Grass, un livre important et capital, etc. En ce qui concerne le parallèle avec Günter Grass je trouve ça un peu fort de café. Excusez-moi si je vous demande pardon mais Grass est comparable à Lenz comme Céline à José Cabanis. Grass a l'écriture ébouriffée, foisonnante, concrète, un tantinet lyrique, pétrie dans la glaise, dans la pâte du Verbe, éructant parfois, épique dans ses moments d'inspiration. Siegfried Lenz est le contraire. Un styliste limpide, sans bouffées charnelles, un amateur de prose simple qui accumule ses images avec un calme redoutable et qui préfère la transparence à l'opacité, le ton mesuré (trop mesuré même) et la touche délicate au jaillissement artésien intermittent. Lenz dessine ses personnages à la plume, Grass les modèle à grands coups de pouce. L'éclairage de Lenz est froid, vifargent, presque glacé. Le port de Dantzig (1) apparaissait dans un· baroquisme qu'ignore Lenz. La leçon d'Allemand, c'est l'anti-Tambour sur le plan esthétique. Là où Günter Grass plongeait dans la période hitlérienne, retrouvant un souffle, des rages, une violence, Lenz recule et mesure avec son crayon à mine sèche la hauteur des personnages. La leçon d'Allemand don n e l'impression d'avoir été écrit dans la chaleur douillette d'un bureau, selon un . emploi du temps réglé comme celui d'Emmanuel Kant, livre écrit avec une bonne bibliothèque classique derrière soi, et un regard vers le calme des dieux goethéens. Lenz

déerit l'époque nazie en tenant les fermentations à distance et sans se laisser troubler par les mouvements instinctifs de la mémoire. Pour en venir au sujet, il est banal dans les lettres allemandes. Les auteurs d'üutre-Rhin révisent le passé, se souviennent et n'en finissent pas de régler leurs comptes avec le passé hitlérien, maladivement crispés sur leurs mauvaise conscience. Donc, Lenz, par le biais d'un délinquant - coquetterie d'intellectuel nommé Siggi Jepsen nous laisse lire la rédaction d'un enfant dont le père, gendarme à Rugbüll, dernier poste à l'extrême nord de la Prusse orientale, se livrait aux « joies du devoir ». Les joies du devoir étant le sujet de la rédaction, le jeune Siggi J epsen commence à broder ses souvenirs. Ils sont enchaînés et astucieux dans leurs rebondissements que c'en est un vrai plaisir. Fonctionnaire nazi zélé, le père du narrateur persécutera son ami le peintre Max Ludwig Nansen, dont les œuvres ne sont pas appréciées à Berlin au ministère des Affaires culturelles nazies quel titre enchanteur et quel mélange de mots! Suivant les directives de Berlin, le fonctionnaire

La QnJnzaIne Uttéralre, du 16 au 28 février 1971

empêchera le peintre d'exercer son activité. 'Heureusement pour la famille, le petit Siggi dérobera et cachera les œuvres interdites. Heureusement pour l'bonneur de la famille, le fils aîné, Klaas, refuse:a de servir dans l'armée et s'enfuÏra de l'hôpital-prison dans lequel il est relégué. Par une sorte de mesure arithmétique des valeurs morales, la famille garde donc une certaine allure en 1971, et doit apaiser les consciences malheureuses des lecteurs. Mai s non, voyez - vous, ils n'étaient pas tous nazis. Pas tous. Bien sûr on laissera le peiiltre aux mains des hommes de cuir (vus de dos pour assurer une sorte de cliché mythologique) et bien sûr la fin de la guerre ajoutera ce qu'il taut de confusion pour ne pas rendre les évidences trop cruelles. D'ailleurs, cette confusion se retrouve au niveau de la construction du livre. Vers la fin du roman, au temps de la débâcle hitlérienne, le rythme devient chaotique, les destins individuels passablement confus et les chapitres prennent un air anarchique. Ne chicanons pas. Le livre échappe au projet intellectuel de l'auteur; ces histoires de

morale, schématiques, et que les dialogues n'arrangent pas, finissent par se perdre dans les sables de la mer du Nord et dans les brumes de l'Elbe, au sens propre des mots. Les eaux argentées, le ciel bas, l'immobilité des marais donnent au roman une dimension qui faisait défaut. Dans un passage écrit avec soin, qui sera sans doute proposé comme modèle dans les classes de rédaction des lycées ouest-allemands, l'auteur remarque que le paysage écrase par son horizon et que, finalement, il ne reste que l'horizon. Exact. Les personnages du livre sont des silhouettes. Et l'auteur ressemble à un horloger qui construit des souris mécaniques, des oiseaux musiciens et des cordonniers automatiques. Le docteur, le facteur, l'artiste, le fonctionnaire bébête et service-service sont des personnages, pas plus. Ils se meuvent dans une atmosphère sereine. La guerre est loin. La sérénité de Lenz me trouble. Ni guerre, ni cris. Le piaillement des mouettes sur les eaux calmes. C'est tout. Les lecteurs allemands doivent déguster cette vue paisible des choses. Cette récupération du passé est prodigieusement intéressante. L'auteur avait quinze ans au début de· la guerre; confond-il ses souvenirs de lectures, les images des soldats de Frédéric II, les jeux de cache-cache qu'il menait contre son père? Pourtant, le bouquin « accroche »: son mélange de distance et d'équilibre, de notation sensuelle et de schématisme discret, ce mélange-là n'est pas banal. L'auteur joue toutes les ambiguïtés. Il flatte le côté poésie-du-nord-à-Ia-Thedor· Storm; il n'a pas ces convulsions de « mauvais goût» qui caractérisent la proS& de Günter Grass. Il rend décoratifs des épisodes traités d'ordinaire sur le mode réaliste et naturaliste. Il tourne le dos a)l côté « crépuscule des dieux» et gothique flamboyant qui saisit des auteurs hystériques. Lenz voit l'époque comme un capitaine du XVIIIe admirait les batailles: à la longue vue. Le nazisme devient une mythologie, comme la guerre de Troie chez Giraudoux. Pas de cris, peu de sang. Le tout reste fluide, léger, évanescent comme un mirage. C'est insaississable comme la lumière nordique.

Jacques-Pierre Amette 1. In

«

Le Tambour,. de GÜDter Grass

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Cinq plaquettes Georges Badin

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Titre Pluriel Sujet . Mercure' de France éd., 60 p. Daniel Blanchard Cartes Mercure de France éd., 68 p. Jean Daive ' Monde à quatre verbes Gravure de G. Celan-Lestrange Fata Morgana éd.

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Vahé Godel Signes particuliers Grasset éd., 94 p.

Jean-Claude Schneider Le papier, la distance Gravure de Jean Bazaine Fata Morgana éd.

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Ces cinq plaquettes totalisent-elles deux cent cinquante pages? Avec leur blanc insistant et quelques lignes par page, celui qui, indifférent à la poésie, les feuillette, ne peut imaginer qu'elles représentent pour chacun des auteurs plusieurs années de travail. Hé quoi, dira le feuilleteur, tant de temps aurait suffi à d'autres pour écrire deux ou trois romans qui auraient eu bien davantage de chance de faire parler d'eux! Décourageons ici les amateurs de best-sellers et ceux qui jugent l'importance d'une œuvre à son volume (la poésie connaît d'ailleurs aussi des auteurs prolifiques : un Michel Vachey a produit trois recueils et un roman en moins d'un an). Aucune frénésie de publication chez Daniel Blanchard qui vient seulement de rassembler en un recueil des poèmes qu'il avait fait paraître en revue ces dernières années. Cartes est sans doute le meilleur premier recueil qui ait paru cette année. Contrairement à la plupart des jeunes poètes révélés depuis quelque temps par le Mercure de Franœ, Daniel Blanchard n'est pas un poète à sa table aux prises avec un monde de mots, d'encre et de papier; ce n'est pas un homme assis, mais un homme qui marche, dans la campagne et dans la ville, surtout, une ville d'hommes et de pierre, trop vide de végétation, et qui vit seconde après seconde l'histoire de la cité : Ici, où se rompt le raide apprêt de l'urbanité, le minéral pesant, que la ville aérienne laborieusement exalte, souille, en tas, la base des 10

façades de pierre lisse. Ici, la foule des corps vêtus se déchire, mais les regards, à travers l'afflux des visages, maintiennent leur morne visée. Quelques Iwmmes pauvres ont mis à nu le ventre de la rue, épuisent une chair engraissée du suintement de l'ordure, stérile. Mon regard, comme eux, un instant la touche. Et mon pied en tâte la froide mollesse. Alentour, en d'innombrables regards crevant le fard des faces, l'intime éclat aussi se montre et parfois s'accouple à mon regard, sans plaisir, un instant, avant de s'obscurcir dans le désert que mon pas rapide ferme derrière moi. Ce n'est plus Fargue, ni même Reverdy, qui passe dans cette ville, mais un homme un peu différent, de 1970. Poésie quotidienne, qui serait banale si elle n'était transfigurée par la précision et la sensibilité des impressions perçues et rendues ici avec une sûreté et un dédain des effets à la mode qui sont la marque d'un créateur.' Les lecteurs de Décimale blanche (Mercure, 1967) comptent Jean Daive parmi les plus intéressants des poètes nouvellement apparus. C'est, lui aussi, un poète peu prolixe. Le mince Monde à quatre verbes qui paraît aujourd'hui semble appartenir à un projet plus vaste; et le poème L'absolu reptilien, publié dans la revue Fragment, procède de la même inspiration. Décimale blanche, rappelons-le, ne formait qu'un seul poème, une suite de strophes comprise dans l'espace de deux lignes initiales. Si l'on peut supposer que Monde à quatre verbes et L'absolu reptilien sont des fragments, c'est parce qu'ils attirent et échappent à la fois (l'insistance de l'obsession phallique déconcerte dans l'un et l'autre poèmes). Cette incertitude où se trouve son lecteur, Jean Daive paraît l'avoir prévue : sa voix hantée se perd en formulant ses cris

détruisant soi-même un poème raconte l'interne ravissement... Etrange processus où, tel le serpent Ouroboros qui, enroulé, se dévore soi-même, le poème fuit et s'efface laissant pour finir au lecteur la frustration de la lecture interrompue. On en attendra alors la suite avec plus d'intérêt. Disposé simplement sur la page, un poème du recueil Le papier, la

distance ressemble à un poème du Monde à quatre verbes, mais après lecture on s'aperçoit qu'à part leur typographie et leur laconisme, ils ont peu d'autres rapports. JeanClaude Schneider (qui publie presque simultanément un petit groupe de poèmes intitulé Intermittences à la revue franco-italienne Origine) écrit une poésie que l'on qualifierait d'intimiste si le terme ne portait en soi quelque suggestion sentimentale - or il n'y a assurément aucun sentimentalisme dans ces textes. La plupart mettent en scène le poète lui-même, entre les actes domestiques les plus simples : saisir un bol, descendre au cellier, « l'évier qu'on touche / le peigne / qu'on peut manier », et l'acte d'écrire: « plus loin / l'obstacle lisse / du papier ». L'évaluation de cette distance n'entraîne ni drame ni crise métaphysique; le poète ne cherche pas à en faire accroire mais inscrit sur la page des vers calmes, sérieux, sans bavardage: Cet écolier il a beaucouup à taire.

Il y a aussi dans Titre Pluriel Sujet de Georges Badin (le néo-esthétisme en cours affectionne ces titres) une volonté d'en garder à part soi : « les lettres au gré de leurs traverses tracent des heurts, ploient des mesures, que nous ne représenterons pas ». Georges Badin va trop loin en ce sens; à force d'ellipse ne restent que « périples horizontaux répétés / verticaux / en lecture hasardeuse ». Hasardeuse au point, parfois, que, les mots errant dans le blanc, le lecteur ne saisit plus rien. Mais la question n'est pas dans ce parti pris, justifié ou non ; elle est dans l'inadéquation du jeu typographique et d'une écriture qui nous ramène trop fréquemment quelque quatre-vingts ans en arrière, à la grande époque symboliste (et du Mercure de France, justement, preuve de l'immuabilité des critères de la maison). Ainsi, lorsque cesse, deux ou trois pages, l'artifice typographique, réapparaissent des quatrains :

qualité, peut-on appreCIer aujourd'hui comme alors le soleil baudelairien noyé dans son sang qui se fige et les fleurs vibrant sur leur tige. (Oui, on retrouve les tiges quelques vers plus haut)? L'une des caractéristiques de cette écriture mercurisante est son goût pour les mots rares et les néologismes : les allégir, défiger, la vitre imaginale et les foncements de Georges Badin auraient-ils déparé les appalir, diffluer, la terre novale et les étoffements du Petit Glossaire symboliste et décadent de 1888? De cela il eût suffi de sourire au lieu d'y consacrer une colonne, mais je crois que dans ce recueil apparaît pourtant un vrai poète, et qu'il se trompe, sans la moindre mauvaise foi. Georges Badin n'est pas au bout de ses peines - un écrivain l'est-il jamais ? - mais, à coup sûr, l'honnêteté de sa recherche force le respect. Chez Vahé Godel également le laconisme se marie au goût du vers bien fait. Mais Vahé Godel est Suisse; comment l'on travaille à Paris, il le voit de loin, et c'est ce qui lui permet de rester singulier

pirogue d'un seul tenant parole taillée dans le vif du silence. Ce n'est là qu'un des aspects de Signes particuliers, car si Vahé Godel a la pondération de Daniel Blanchard, il n'en a pas la rigueur, et il se laisse tenter par ceci ou cela, reste de surréalisme ou sentimentalisme du genre René-Guy CadouEcole de Rochefort. Cela ne nuit pas aux bons poèmes, mais rend ces Signes particuliers un peu incohérents. Le recueil reste pourtant l'un des plus intéressants parus récemment.

Il est incliné pour le fruit sous l'éclat alenti qui fige toute lumière en un versant focal en pulpe de nuit goûtée Le sang des couchers vermeils est sable pour d'amers chardons. Ils suivent les allées de loisir devant les monts comme des ifs.

On peut être sévère avec d'authentiques poètes : il faut dire à Georges Badin qu'il a tort d'oublier que la poésie n'est pas seulement « belle » écriture mais aussi lecture, et qu'un soliloque monocorde, même tendu, attentif, aliène le lecteur; il faut dire à Vahé Godel que de mauvaises influences lui ont fait écrire quinze ou vingt pages qui ne sont pas vraiment lui-même et qu'il aurait dû mettre au panier. Les mauvais écrivains ne méritent pas de reproches.

Même dans une écriture de cette

Serge Fauchereau


Un cri d'épouvante par Georges Nivat M'ôtera la tête (1).

Nikita Struve Anthologie de la poésie russe, la Renaissance du XX· siècle Edition bilingue avec introd. et notes. Aubier-Flammarion éd., 253 p. Anna Akhmatova Poème sans héros présenté et trad. par Jeanne Rude Edition bilingue Seghers éd.

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En 1923 un poète russe de trente-deux ans, en qui se résumaient tout l'hellénisme de la Renaissance russe du « Siècle d'Argent », et toute la pérennité ambiguë de la tradition juive, Ossip Mandelstam s'écriait à l'adresse du siècle:

Siècle mien, ô mr.enne bête, qUl saura Fixer le fond de tes prunelles ? Qui de son sang recollera De deux siècles les vertèbres ? La poésie russe du XX· siècle, née dans un renouveau de mysticisme platonicien et dans le raffinement d'une fin de culture alexandrine a vu venir à elle ce fauve sombre que fut la Révolution, le Temps des grands Troubles. De toutes les voix symbolistes qui avaient tant prophétisé la venue du monstre aux prunelles envoûtantes, la plus grande était sans conteste celle d'Alexandre Blok. Elle avait connu toutes les intonations, le mysticisme des hymnes à la Vierge, la fureur du blasphème, l'ivresse du chant tzigane, le chuchotement ver· lainien au vent et aux êtres aimés et partis. Surtout Blok avait vraiment été le prophète de la Chute.

Enfants des années terribles de la Russie, Nous ne pouvons rien oublier.

Le Révolution lui dicta les rythmes sauvages, populaires des Douze, cet Evangile du prolétariat en marche. Mais bientôt un silence mortel se faisait dans l'âme de Blok : « Elle nous a finalement bouffés, cette chienne de Russie, cette païenne de Russie, cette mère très chère, comme la truie son goret », confiait-il peu avant sa mort à Korneï Tchoukovski. Cette Russie dévoreuse et enragée a fait de la poésie russe de ce siècle, née dans· les cénacles et les gentilhommières des symbolistes,

Anna Akhmatova un cri d'épouvante qui n'a pas son pareil. Le très grand mérite de la remarquable Anthologie de. Nikita Struve est avant tout d'avoir dégagé sans hésiter ce cri poétique entre tous les bruits d'une époque littéraire qui fut fertile en « ismes ». Une bonne anthologie est forcément injuste. Celle de Nikita Struve est injuste, injuste envers les poètes métaphysiques (Viatcheslav Ivanov, Andreï Biely), injuste, quoique moins, envers les expérimentateurs (Khlebnikov, Pasternak). Mais c'est l'injustice du passionné qui veut aller droit à l'essentiel, à ces chants les plus bouleversants, et qui furent dits les yeux plongés dans les prunelles du fauve, c'està-dire à Marina Tsvétaïeva, à Ossip Mandelstam, à Anna Akhmatova. La préface enlevée et justicière de Nikita Struve est cruelle pour beaucoup de poètes qui étaient autrefois volumineux. Mais elle nous conduit à ces trois voix majeures, dont deux sont voix de femmes. Serait-ce que la femme, devant le feu dévorant du siècle aurait mieuX résisté? On n'en doute guère en découvrant la vigueur insolite et tragique de Marina Tsvétaïeva, elle qui osait dire, en étêtant les pavots du jardin :

De même un jour, par un sec Eté, à la lisière d'un champ, La mort, d'une main distraite,

La Qldnza1ne Uttéralre, du 16 au 28 février 1971

Dans la Moscou de 1941, revenue d'émigration depuis un an et abandonnée de tous, Marina se suicidait ... Ossip Mandelstam, poète raffiné, suprêmement cultivé, amoureux d'une Italie qu'il ne vit jamais, et de Dante, qu'il relisait et commenta avec génie, poète dont les pre· miers recueils, en réaction contre la mystique des symbolistes, étaient lourds comme l'ambre, chantant la densité des choses et l'humeur carnassière de l'homme, traversa la Révolution comme son anti-héros Parnok du Sceau égyptien (2), à l'aveuglette, et presque à saute-mouton. « Il est terrifiant de penser que notre vie est un récit sans sujet ni héros, faite de vide et de verre, du balbutiement ardent des seules défaites, du délire enrhumé de Pétersbourg» disait-il. Pour lui, « prince de la déveine », « assesseur de collège de la ville de Thèbes », la vie laissait un arrière-goût de cuivre dans la bouche, et Il l'aurore aux doigts de rose avait brisé ses crayons de couleur ». La machine stali· nienne saisit le petit Parnok, joua avec lui, l'exilant, le rappelant, puis le tuant au fond d'un camp. Mais alors lepetlt Ovide russe devint Ezéchiel. Seul, la main dans la main de la peur, Mandelstam nous révèle dans ses derniers poèmes. écrits à Voronej, une bouleversante intimité avec la mort. C'est l'époque terrible. Maïakovsi s'est tu, qui prétendait chanter « à pleine voix ». Emmuré vif, Mandelstam écrit :

Nous vivons sans sentir sous nqs pieds le pays . Nos paroles à dix pas n'atteignent pas l'ouïe. . Au fond des yeux de cet exilé, vestige d'une culture dont il était tout entier nostalgie, baigne un rêve d'Hellade. Nikita Struve clôt son choix de vers de Mandelstam par un admirable poème dédié à la Crète : miracle du souvenir au fond de l'imPénétrable exil, miracle d'une mer bouclée et libératrice rêvée dans la prunelle du misérable poète juif traqué par l'horreur. L'anthologie de Nikita Struve s'achève, très justement, sur la poésie d'Anna Akhmatova. C'est en elle surtout que la Renaissance russe s'est majestueusement élar· gie, approfondie, englobant le tra· gique dantesque de l'époque. C'est en elle que la métamorphose est la

Boris Pasternak plus extraordinaire : la jeune femme aux yeux sombres, à·la frange capricieuse, la jeune emprisOnnée qui chantait ses amours et qui régnait sur la bohème de Saint-Peters· bourg, la voilà, au terme d'une Ion·. gue vie, devenue la voix même deJa· Russie. Par elle parlent la,souffrance, le silence, la nuit. Son Requiem est la déploration de toute la géné. ration sacrifiée. Son Poème stu/.$ héros, triptyque mystérieux où le passé surgit d'un jeu de miroirs, est comme le livre cabalistique de tout le XX· siècle. Une nouvelle traduction tl'ès fidèle du chef·d'œuvre d'Anna Akhmatova est parue en 1970. Nous la devons à Jeanne Rude. Ce petit livre, lui aussi bilingue, complèté heureusement l'Anthologie de Ni· kita Struve. Jeanne Rude, aidée par l'éditeur américain du Poème, B0ris Philipov, a tenté de déchiffrer tous les rébus d'une œuvre envoû' tante, faite de magie et de silence, et qui a mis plus de vingt ans à se déposer dans le poète. Seul avec le miroir, le poète attend ses hôtes du passé, au réveillon du jour de l'An 1941. Ils émergent l'un après l'autre, d'abord fantômes d'une culture plus vraie que la vie, puis revenants d'un passé de passion, de tourment, de jeu. Commedia dell'arte qu'inter. rompt l'alarme :

Par le quai légendaire,

t t


INFORMATIONS

A paraître ...

•. Poètes russes

S'avançait le Vingtième siècle Pas celui du calendrier, le vrai. . Cette femme, guettant, comme Lyncée, du haut de sa tour de l'an· née 1940, elle regarde s'en aller les masques du passé : comme sa voix est devenue grave depuis ses pre· miers vers d'oiseau encagé!

Ma bougie a brûlé depuis le soir Mais je n'attends personne cette fois. Je ne veux pas, je ne veux pas savoir Les baisers donnés à d'autres que moi. C'était d'elle que son premier mari, le poète conquistador Nicolas Goumiliov, disait avec amusement :

Chez quel croquemitaine Tout au fond de l'Ukraine .T'ai-je prise, ô sorcière. Restée seule dans sa « maison de minuit », Akhmatova, trop de fois survivante, implorait à la fin de sa vie:

Tu le vois, Seigneur, je suis lasse De la vie, de la mort, des retours à la vie. Prends-moi tout, mais cette rose vermeille, Fais que j'en sente encore la fraîcheur. Les deux livres de Nikita Struve et de Jeanne Rude donnent au lec-· teur français un accès véritable à. la poésie russe du XX· siècle, une poésie toute traversée par la plainte, du Jardin des Oliviers :

Les ténèbres me prennent pour cible, Braquent mille jumelles sur moi. Abba père, fais, si c'est possible, Que ce calice ne m'échoie. (Boris Pasternak).

Georges Nivat (1) Traduction de Nikita Struve.

(2) Ossip Mandelstam : Le sceau traduit par Claude Levenson, Editions l'Age d'Homme, Lausanne

égyptie~,

1968. P.S. : Signalons aussi un livre récent d'Eliane Bickert intitulé Anna Akhmatova Silence à plusieurs voix aux édi· tions Resma. Cet ouvrage se veut commentaire libre et intime des thèmes du p.oète. On y rencontre de belles traductions et des évocations élégantes. Toutefois est-il vraiment utile de vouloir « prolonger" l'œuvre poétique sans la traduire ni l'interpréter?

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• Romans français Aux éditions de Minuit, Claude Si· mon publiera, au mois de mars, un nouveau roman, les Corps conducteurs (voir les n° 25, 27, 41 et 80 de la Quinzaine) • Après Nature morte devant la fenêtre et la Tragédie superflue (voir le n° 17 de la Quinzaine), Irène Monesi publie au Mercure de France un nouveau roman intitulé un Peuple de Colombes, tandis que chez le même éditeur on annonce un recueil de nouvelles de Michel Piédoue (les Fronts stlencieux et la Menace (voir les n° 60 et 106 de la Quinzaine) : le Block· haus.

Grasset Chez Grasset, où Solange Fasquelle nous propose, sous le titre de Kaly. l'OS, un nouveau roman qui a pour cadre une petite île grecque et qui met en scène un .couple en train de se décomposer, on annonce un nouveau livre de Marie-Claire Blais (voir le n° 4 de la Quinzaine) : l'Insoumise.

Flammarion Chez Flammarion, Claude Spaak nous donne avec l'Ordre et le désor· dre, un roman historique qui a pour toil& de fond la Commune, tandis que Maurice Clavel s'inspire des événe· ments de mai 1968 dans un roman qui a pour titre la Perte et le fracas. Citons également, toujours chez Flammarion, les Somnanbidules, roman où la poésie se mêle constamment à la satire, par Robert Escarpit, et le Grand soir, par Jérôme Deshusses, où fon retrouvera un thème qui était déjà présent dans le premier livre de cet auteur: Sodome-Ouest (voir le n° 15 de la Quinzaine), celui de l'utopie, une utopie qui s'exp~imerait par le rejet de toutes les contraintes de notre civilisation.

1 Romans étrangers Après Bonjour, minuit (Lettres Nouvelles) et les Tigres sont plus beaux à voir (Mercure de France), Denoël annonce ,toujours dans la collection des • Lettres Nouvelles., un nouveau roman de Jean Rhys, la Prisonnière des Sargasses (voir ,le n° 85 de la Quinzaine) . Chez Gallimard, un nouveau roman de Salvador Elizondo: l'Hypogée se· cret, que l'auteur présente comme • un roman d'aventures du type des Cinq cents millions de la Bégum de Jules Verne. et qui, de même que Farabeuf (voir le n° 86 de .Ia Quinzai· ne) doit être considéré avant tout comme une savante mise en question de l'espace .et du temps du récit ainsi que de l'identité des personnages dont le plus important est le lecteur. Signalons également, traduit du polonais, le Chandail bleu, par Zofia Romanowicz, qui a pour cadre une prison de Pologne en 1940 (Seuil) ; tra· duit du hongrois, les Sept jours d'Abraham Bogatlr, par Gyôrgy Kardos, chronique paysanne qui a pour toile de fond la Palestine sous l'occupation britannique (Seuil); traduit du japonais, le Plan déchiqueté, par l'auteur de la Femme des sables, Abé Kobo (Stock). Dans une nouvelle tra· duction entièrement conforme au texte de l'édition originale italienne: l'Enfant de volupté, par Gabriele d'Annunzio (Calmann-Lévy). Traduit de l'anglais : Satori à Paris, par Jack Kerouac, récit inspiré à l'auteur par un voyage fait en France qui devait donner à son existence une orientation nouvelle, et Quand elle était gentille, par l'auteur dePortnoy et son. complexe, Plli Iip Roth (Gallimard). Traduit du tchèque: la Hache, par Ludvik Vaculik, journaliste connu par ses prises de position politique, auteur, notamment, d'unrapport présenté devant le IV· congrès de l'Union des écrivains en 1967 (Gallimard). Traduit de l'italien: les Etoi· les froides, nouveau roman de Guido Piovene (Grasset).

Gallimard Deux nouveaux titres dans la collection • Le Chemin., de Gallimard: Gens de la rue, recueil de nouvelles brèves par Jean Demelier et Révolu· tions minuscules, par Jean Ricardou. Chez le même éditeur, on pourra Ilire un nouveau roman de Roger Grenier: Avant une guerre, qui met en scène une sorte de Raspoutine au petit pied, autour duquel gravitent une foule de personnages pittoresques dont les conflits et passions vont trouver une issue quelque peu dérisoire dans la tourmente de 1939; l'Inde des grands chemins, premier roman de Jack Thieuloy, qui expose la vision cynique que peut avoir un titi parisien du monde qui lui est révélée tandis qu'il parcourt l'Inde en tous sens au volant d'une fourgonnette.

1 Essais A paraître dans la collection « Poétique. (Seuil), la Théorie littéraire, par René Wallek et Austin Warren, le premier et déjà classique exposé de toutes les théories du fait littéraire. Nouveau titre dans la coUection • Dossiers des Lettres Nouvelles. (Denoël); Rom a n cie l' s, poètes, essayistes du siècle, par Pascal Pia, récent lauréat de l'édition criti· que pour son Laforgue, au Livre de Poche (voir la Quinzaine n° 93).

xx·

Nouveau titre également dans la collection • Entretiens. de Pierre Belfond: Entretiens avec Nicolas SchOf· fer, par Philippe Sers.

Dans la collection • L'Univers des Connaissances. (Hachette), John WiIlet consacre à l'Expressionnisme dans l'art, une importante étude qui· porte sur les différents aspects de ce mouvement, notamment en Allemagne, et qui s'efforce de le relier à son arrièreplan politique. Après l'Œil vivant, dont le tome Il, la Relation critique vient de paraître (voir le n° 110 de la Quinzaine), Jean Starobinski nous propose une nouvelle édition, complétée par sept essais inédits, de son ouvrage désormais classique sur Rousseau: Jean-Jacques Rousseau: la transparence et l'obstacle (Gallimard). De son côté, Robert taufer utilise les disciplines les plus variées: la philologie, la linguistique, la logique et la psychologie, pour analyser en profondeur la personnalité de l'auteur d'un des plus 'célèbres romans de la littérature française, GU Bias. Son livre, intitulé Lesage ou le métier de romancier, se présente comme une suite de monographies où toutes les conditions de l'imaginaire du XVIII· siècle sont étudiées dans leurs relations avec leur contexte social et politique (Gallimard).

• Sciences humaines Philosophie Sous le titre de la Nostalgie des origines, Mircea Eliade publie chez Gallimard un recueil d'études qui se proposent de souligner le rôle culturel que l'historien des religions est appelé à jouer dans une société dé· sacralisée, en contribuant à l'élaboration d'une culture de type universel, née de la confrontation de la thématique ç!e l'Occident moderne avec les enseignements tirés de religions peu ou mal connues. Chez le même éditeur où paraît le volume de Mythe et épopée de Georges Dumézil (voir le n° 26 de la Quinzaine). Trois type's épiques Le héros, le sorIndo-européens cier et le roi, nous est proposé un ouvrage qui réunit les textes du colloque dirigé par Julian Huxley à la Société zoologique de Londres, en 1967, colloque auquel ont participé, de Tiabergen et Konrad -Lorenz à Gombrich et Maurice Bowra, les représentants de toutes les disciplines intéressées par le comportement rituel chez l'homme et l'animal, pour s'interroger sur la nature de ces signaux et de ces déclencheurs sociaux qu'utilisent entre eux pour se préveni'r, s'informer, se reconnaître et se faire reconnaître les membres d'une même espèce. deu~ième

Autres titres: le Défaut fondamental, par le psychanalyste anglais Mi· chael Balint qui, dans cet ouvrage, propose une interprétation nouvelle de la régression à partir de l'étude de ce • défaut fondamental. dont l'origine remonte à la petite enfance, période pendant laquel·le l'individu est déchiré entre ses besoins profonds et la façon dont ils sont satisfaits (Payot) .


Paul Celan Paul Celan, tragiquement disparu en mai 1970, était généralement considéré comme le meilleur poète de langue allemande de cet après-guerre. D'une famille juive de Roumanie, il avait choisi de traduire en allemand Rimbaud, Valéry, Essénine, Blok, et de publier dans cette langue ses propres poèmes, secrets et denses. Fixé à Paris, où il comptait de nombreux amis et admirateurs, il était lecteur à J'Ecole normale supérieure et ne fréquentait guère les milieux littéraires. Les Allemands lui décernèrent le Prix Büchner de poésie en 1960. En France, quelques-uns de ses poèmes avaient paru en revue mais, surtout en raison des difficultés de traduction, n'avaient pas encore fait J'objet d'une édition qui permît de mieux les connaître. Une anthologie de ses principaux recueils va paraître au Mercure de France sous un titre choisi par lui : Strette. Les traducteurs en sont André du Bouchet, Jean-Pierre Burgart, Jean Daive. Nous avons choisi pour nos lecteurs le poème qui ouvre le recueil. Il est traduit par André du Bouchet.

V oix, de par le vert du plan des eaux, cochées. Quand plonge le martin-pêcheur,· la seconde vibre : Ce qui vers toi a levé sur l'une et l'autre berge, d'une foulée se fauche en une image différente.

V oix des orties en chemin : Viens à nous sur les mains. Qui est seul, et la lampe, n'a pour lire que la main.

V oix, de nuit transsudées, cordes, auxquelles toi-même la cloche pends. Love-toi, monde : Quand la coquille mort est délavée, résonne ici le glas.

V oix, face auxquelles ton cœur au cœur de ta mère se retire. Voix du fût des gibets, où vieux bois et bois vert leurs cernes troquent, et troquent. Voix, raclant, au poussier qu'à la pelle aussi l'infini remue, (le cœur - ) glaireuse rigole. La QuInzaIne Littéraire, du 16 au 28 février 1971

. Lance ici les navires, enfant, que j'ai moi-même armés: Comme à tribord la bouffée vire, les bagues sont alignées.

Voix de Jacob : Les larmes. Les larmes à l'œil frère. L'une, en suspens, bourgeonnait. Nous y avons logis. Respire, qu'elle-même se délie.

Voix en l'intérieur de l'arche : Les bouches, les bouches seules sont cachées. Vous qui coulez, entendeznous aussi.

Pas une un murmure, tard, des heurs ignorant, à tes pensers offert, ici, enfin ici suscité : une feuille comme fruit, aussi large que l'œil, en profondeur cochée ; cela exsude, ne va pas cicatriser. VOlX -


ROIIANS

l'RANÇAIS ,

I

Jean Cayrol

LOGIQUE

U'namour heureux

Arnauld et Lancelot

N'oubliez pas que nous nous aimons

Grammaire générale et raisonnée avec les Remarques de Ch. Duclos Introduction de M. Foucault Republications Paulet, éd.

Le Seuil, éd., 160 p.

Un garçon et une fille s'aiment. Enceinte, mais encore mineure, Christiane ne pourra épouser Richard qu'avec le consentement de ses parents. Entrevue de ramant et de Frank, le père de Christiane. Le premier est à moitié hippy; le second dirige une entreprise prospère (plastique et détergents). Deux univers hostiles, deux générations irréconciliables que Jean Cayrol ne renvoie pas dos à dos, son indulgence pour Richard n'égalant que la causticité avec laquelle il campe l'industriel et le « monde des affaires où il se démenait sans se surmener ". Une autre scène, aussi mouvementée, au cours de laquelle Frank, qui est divorcé d'avec Charlotte, rompt avec Elyane, le montre égoïste et faussement sûr de lui: ce patron de choc a la hantise de l'âge et triche plus ou moins sur le nombre de ses années... Sa force lui vient en réalité de la faiblesse des autres, de celle des femmes surtout, qu'il méprise, qu'elles soient ses collaboratrices ou ses maîtresses, abandonnées a p r ès usage. La seule qui lui tiendra tête est sa fille, débarquée une nuit d'août dans sa villa de Biarritz, et qu'il ne reconnaît pas pour la bonne raison que, l'ayant exilée à dix ans chez une tante de province, il ne la connaît pas. Le souvenir qu'il a d'elle est plutôt rassurant, puisqu'elle y apparaît comme une impulsive et une timide, donc une faible. Il la retrouve effectivement pâle et frêle, semblable à une sœur cadette d'Elyane, la maîtresse mise à la porte quelques heures plus tôt: «même figure insatiable, même attitude, mêmes yeux mendiants". Rien de bien attrayant; aucun danger de tendresse ambiguë... Frank, « ce P.D.G. de la coucherie., entend d'abo'rd ne pas s'encombrer d'une fiUe aussi peu mondaine qui ferait tache dans les réunions et les intrigues amoureuses des miHionnaires villégiaturant au Pays Basque. Pour les peindre, eux et leur décor, Jean Cayrol a cette plume perfidement acérée dont il épingla, dans Histoire d'une prairie, les Tarzan de la technique et de l'aménagement. Mais ici, tout est clair: les salauds ont l'air de salauds, même s'il leur arrive, comme à Frank, de se poser parfois des questions. Ils n'ont pas l'excuse d'un égarement coHectif ou d'une

14

Arnauld et Nicole

1

La logique ou l'art de penser Introduction de L. Marin

Flammarion éd., 448 p.

apocalypse dont rien ne semble plus éloigné que 'ce roman de tous les jours, fait avec des personnages de tous 'les jours et se rapportant à notre vie ou à la vie qui nous entoure. Pour Frank, les choses se compliquent lorsque, à l'occasion d'une visite furtive dans le minuscule appartement où vivent, à Paris, sa fille et Richard, il tombe sur un album de nus. Les photos, très belles, l'excitent: seins étroits, «un peu nègres,,; hanches «dont la courbe attirait la caresse»; cuisse «disparaissant dans un gris cendré ,,; duvet en gros plan, etc. Ce puzzle appétissant, reconstitué à la dernière page sur la dernière photo, révèle qu'il s'agit du corps de Christiane... Pour le coup, le père a senti passer le vent de l'inceste. Troisième et dernier acte: les parents, pour la circonstance réconciliés, vont tenter de «sauver une naufragée lO. Le hasard (qui sert bien les romanciers) a conduit Charlotte chez une voisine et amie de Frank. Christiane est encore à Biarritz. Après un saut à Paris, son père la trouve en train de préparer sa valise. Il veut la retenir. Tous les clichés de l'appel à, la raison bourgeoise y passent. En vain. Alors, Frank va faire donner la garde: mettre en présence de sa fHle son ex-épouse qui, peut-être, emportera la place. Charlotte accepte, émue de la confiance dont on l'honore soudain,

émue aussi, sinon tout à fait convaincue, par la proposition inattendue de Frank: «Si on se remariait? Elle se laisse conduire auprès de leur fille qui, l'étonnement passé, est à deux doigts de céder à son tour à l'émotion. «Elle devinait qu'elle vivait un instant inoubliable. » Phrase pastiche. Jean Cayrol s'amuse à décalquer ici les tour· nures des romans-photos et de la presse du cœur, tout de même qu'il truffe son récit d'expressions em· pruntées à ce qu'il appelle un «climat régional •. Mais le personnage de Christiane

résiste: ses yeux découvrent le côté absurde de 'cette mise en scène. Elle ne cèdera pas à cette dérisoire conjuration, malgré le reproche lancé avec une délicatesse de mammouth par son père:

«Nous sacrifions tout pour toi, et voilà comment tu te conduis... » Langage inintelligible pour une fille qui n'a pas attendu qu'on l'autorise à aimer. Les mots sont comme des coquilles vides. Entre les enfants et les parents, le vocabulaire apparaît inutilisable. L'échec, prévisible, n'empêche pas le récit de finir bien: Christiane file à Paris retrouver son amant, En bouclant parfaitement un roman populaire, Jean Cayrol montre qu'il est capable, selon ses inten· tions avouées, de «raconter une histoire lO.

Maurice Chavardès

Au cours des dernières années, par un double mouvement, Grammaire et Logique de Port-Royal sont venues se loger au plus près des préoccupations de notre temps. Que deux ouvrages qui n'étaient que des titres lointains, lieux de quelques célèbres citations, soient devenus des ouvrages de poche, ce n'est pas un simple phénomène de surface. Ce qui se trouve modifié ainsi, sous sa forme la plus matérielle, c'est la condition même de notre relation au passé. Par cette mutation de la civilisation du livre, Grammaire et Logique, devenues disponihles, maniables, manipulables, quittant leur existence « in vitro» entendez « en vitrine» - exigent une lecture selon leur fonctionnement. Du livre-musée, déconnecté, inconsommahle, par la vertu désacralisante de la reproduction mécanique, nous passons au livre-manuel, retrouvant ainsi ce qu'étaient ces textes au XVIIe siècle, des instruments pédagogiques. Ce contact établi avec quelquesunes des sources auxquelles s'alimentait la pensée classique, il est significatif qu'on ne le doive pas à ceux qui s'en étaient institués les gardiens, mais à ceux qui se situent aux avant-postes des recherches m~ dernes dans le domaine de la phil~ sophie et de la linguistique. Bachelard disait que (( la conscience de modernité et la conscience d'Iristoricité sont rigoureusement propor· tionnelles ». Foucault et Marin ont lu chacun à leur façon, mais en accord sur un point central : Logique et Grammaire sont indissociables. C'est dans l'acte de parole que se déploie la pensée; être inapte au langage, c'est se refuser les conditions mêmes du penser. Aussi les justifications des analyses grammaticales se trouvent-elles dans la Logique, comme inversement cette même Logique empruntera des chapitres entiers à la Grammaire. Le langage est tenu pour une activité créatrice, en sorte que le système de la langue


Le systèllle de Port-Royal n'est pas séparable de l'élaboration rationnelle qui permet d'en jouer; le grammairien est tenu de déceler les structures profondes qui permettent de générer les. structures superficielles du discours et par là de construire un corps de concepts explicatifs.

Une visee idéologique Ce système théorique est enfoncé dans une visée idéologique propre au XVIIe siècle. Il en est tout entier orienté. Ce que souligne avec beoucoup de bonheur Marin. Il souligne que les ouvrages de PortRoyal sont, avant tout, insérés dans une pratique : nés dans les agitations tumultueuses du jansénisme, dans la vie incertaine des Petites Ecoles, ils sont une œuvre collective, à la fois didactique et polémique. Ils doivent permettre de se conduire bien; car l'important est de vivre sur cette terre en sorte d'obtenir son salut: « ... personne ne peut se dispenser de former des jugements sur les choses bonnes et mauvaises, puisque c'est par ces jugements qu'on doit conduire sa vie, régler ses actions, et se rendre heureux ou malheureux éternellement ». (Logique, 1, 10). Le discours manifeste notre mode d'être dans le monde; en mésuser, c'est pécher contre l'esprit; il faut prendre garde que les mots « signifient souvent plus qu'il ne semble », parce qu'ils sont une œuvre d'établissement, œuvre de l'homme. Il est donc juste que les Pères de l'Eglise aient utilisé le pouvoir figuratif du langage parce que « les vérités divines ne [sont] pas proposées simplement pour être connues, mais beaucoup plus pour être aimées, révérées et adorées par les hommes» (1. 14). Inversement, certains prédicateurs sont ridicules - et lassent - en employant un style enflammé, « des espèces de convulsions », pour parler de raisonnements philosophiques. Mais Port-Royal va .bien plus loin : une mauvaise définition de mots ou de catégories de grammaire, c'est la voie ouverte à l'hérésie. C'est d'une analyse précipitée du pronom que les ministres protestants ont tiré leur arguties sur le sens de la figure de l'Eucharistie. De la proposition de Jésus-Christ : « Ceci est mon corps », ils ont prétendu que

le pronom «représentait» simplement le mot antécédent « pain » et imaginé par là que le pain ne pouvait être le corps du Christ. Ils avaient mal argumenté : le pronom fait plus que représenter un concept précédent; il marque, dans le même temps, une idée confuse de la chose présente. Le mot de « hoc » (ceci) a une double détermination - « pain » et « chose présente » qui permet aux apôtres de concevoir que cette chose présente est le corps de Jésus-Christ. La réflexion logique et linguistique, dit justement Marin, indique l'acte d'une articulation ontologique des choses dans le monde; et ces deux questions s'entrecroisent en un point du dogme catholique. Intérêt capital de ces textes, simples et aisés à parcourir, pour l'étude de l'idéologie classique - si souvent encore la nôtre, sous toutes sortes de substitutions et fauxfuyants. Mais aussi appel à une lecture qui les creuse : la Logique reprend et met en cause toute l'organisation d'une culture : c'est l'accent mis sur le Moi et ses fantasmes, sur les rapports de l'idée et du mot sur le travail pervertissant des figures de langage, sur l'action corrosive de la pensée de l'infini. Contestation d'autant plus saisissante qu'elle se fait dans et par un système rigoureux.

L'indice d'une· mutation C'est ce système que Foucault découvre dans son Introduction à la Grammaire générale comme l'indice d'une considérable mutation épistémologique. Non par la nouveauté des concepts; d'autres grammairiens ont été plus « originaux»; mais nouveauté dans l'espace du savoir dont Foucault trace ainsi le champ : « Soit un ensemble de faits grammaticaux : si on peut les replacer à l'intérieur des rapports qui unissent l'idée de signe à l'objet de l'idée représentée par ce signe, et si on parvient à les en déduire, on aura constitué, tout en s'adressant à une seule langue, une grammaire générale et raisonnée ». (XXVII). Cette conception de la représentation, dont le livre 1 de la Logique, établit la théorie, est à la base de la Grammaire générale, du XVIIe siècle jusqu'aux Idéologues. Elle conduit à situer les différentes catégories de mots selon les modes de re-

La Qldnza1ne Uttéraire, du 16 au 28 février 1971

présentation des idées et à les intégrer à un schéma de la proposition qui constitue la forme même du jugement. On décèle ainsi le jeu des raisons sous-jacentes qui permettent au langage en fonctionnant d'être ce qu'il est. On ne se contente plus de constater les différents types spécifiques d'agrégation des formes dans le discours, comme le faisait la grammaire ancienne, mais en multipliant les formes et les niveaux de la représentation de l'objet, on se donne le pouvoir de l'analyser; de le décomposer, de le combiner, de l'ordonner. L'effort du XVIIIe siècle consistera à fonder une Syntaxe, ensemble de règles permettant de générer des phrases, valable pour toute langue quelle qu'elle soit. Comme est posée la nécessité d'établir un rapport entre les catégories de la pensée et celles du langage, s'impose l'obligation d'articuler Sémantique et Syntaxe.

Avant Chomsky On commence aujourd'hui seulement, après une longue occultation due à la philosophie positiviste, à redécouvrir les richesses de la grammaire générale. Et à s'y passionner comme le montrent les nombreuses études parues à la suite de la Linguistique cartésienne de Chomsky. Les problèmes de formalisation que posent à la grammaire générative ses derniers développements trouvent des solutions dans la grammaire générale. Non qu'il y. ait identité, puisque la grammaire actuelle s'inscrit en bonne partie dans les démarches de la logique formelle, tandis que la grammaire générale se situait dans le rationalisme classique; mais lorsqu'elle réfléchit sur les structures sous-jacentes, là où sont articulées sémantique et syntaxe, elle rencontre ici un corps d'hypothèses utilisable. Quitte à en être utilisée; et ce n'e!>t pas le moindre paradoxe que de voir certains grammairiens contemporains adopter avec le corPs de théorie l'idéologie auquel il répond. Le recours de Chomsky aux idées innées n'est qu'un des aspects de cette subversion. Du moins, une meilleure connaissance, une meilleure lecture des textes de base de Port-Royal doit conduire à une analyse critique méthodique qui permet de mieux assurer la spécificité du savoir contemporain. I.C. Chevalier, P. Kuentz

WIM HORNMAN

Le rebelle

roman Préface d'Yves Courrière Sous une forme romancée, ce livre retrace la vie de Camilo Torrès, ce prêtre sud-américain, qui se joignit aux guérilleros et combattit avec eux le gouvernement de son pays.

~ GIORGIO FALCO La Sainte République Romaine Ce livre est un profil historique du moyen-âge axé autour de la fondation de l'Europe sur des bases chrétiennes et romaines, une Europe unie par le catholicisme avant que naissent les nations.

"L'HISTOIRE SANS FRüNTIERES"

FRANÇOIS DE VAUX DE FOL:ETIER

Mille ans d'histoire des tsiganes Quand les tsiganes apparurent sur les chemins de l'Occident, ils suscitèrent une grande curiosité. Qui étaient-ils? D'où venaient-ils? Quelle la~gue parlaient-ils ? Quelles étaient leurs organisations, leurs croyances? En retraçant l'aventure de ces infatigables errants, l'auteur répond à toutes ces questions.

"LES GRANDES ETUDES HISTORIQUES"

1l

JEAN ET BRIGITfE MASSIN

Wolfgang Amadeus Mozart Le "Wolfgang Amadeus Mozart" de Jean et Brigitte Massin, écrit après leur ouvrage sur "Ludwig van Beethoven ", a été élaboré selon la même méthode approfondie. il est à la fois une biographie de Mozart, une histoire de l'œuvre et une synthèse des rapports entre la vie du compositeur et sa création musicale.

fayard 15


Dans les galeries mun qu'Ils adoptent, en fait, des procédés conventionnels et même parfois académiques pour représenter leur rêve, lui donner corps. La parution récente chez André de Rache, de l'essai savoureux et bien documenté que Patrick Waldberg (le meilleur historiographe des artistes • marginaux. ou des • peintres poètes.) a consacré à Labisse, a été l'occasion d'une exposition des œuvres de ce dernier à la galerie de Seine. L'humour. gaulois. et l'invention parfois fort astucieuse des situations poétiques dans leur logique poussée jusqu'à l'absurde (la main coupée offerte dans une boîte à celui qui l'a demandée) ne suffisent pas à caractériser cette démarche où l'on trouve, soudain, de savoureux accents d'un pompiérisme superbement admis et cultivé. Labisse c'est une poésie visualisée, un théâtre dément et lascif, qui arrive à son heure quand toute la peinture redécouvre les charmes et les pouvoirs de l'anecdote.

James GUITET SI elle participe toujours de la même esthétique (celle du mur de la matière chargée d'imprégnations sourdes et subtiles) la peinture de James Gultet (galerie Arnaud) a cependant évolué dans ce sens que, de même que celle de ses amis Fichet et J.-F. Koenig, elle a recueilli les sollicitations de la géométrie qui vient atté· nuer, là, le geste scripteur, ici, l'extension libre de la granuhition, de l'épiderme de la toile. Dedans, ou plutôt derrière cette matière, tantôt de la blancheur presque immatérielle du sable chauffé (. à blanc.!) tantôt nim· bée de lueurs d'une grande douceur, mais virant vers l'obscurité (passage du jour à la nuit, de la vie à la mort 1) une vie secrète se poursuit, parfois en lents et doux séismes qui s'inscrivent sur la surface en rythmes graves, tranquilles.

Félix LABISSE Roland BALADI

L'une des voies majeures du surréalisme passe par l'imagerie fantastique; certaines des œuvres du passé, pour autant qu'on puisse les qualifier de surréalistes (Archimboldo, Bosch, Désidério) s'appuyaient excessivement sur la réalité: en bouleversant les détails, en intervertissant les facteurs, en jetant un détail insolite dans une scène apparemment quelconque. Le surréalisme figuratif a maintenu ce souci d'une ,facture lisse, • tranquille ", qui vise surtout à l'exactitude, et rejoint parfois la photographie. Léonor Fini, Pierre Roy, Salvador Dali, Lucien Coutaud, Clovis Trouille, Magritte, Delvaux, Félix Labisse, ont ceci de com-

Au fond d'un couloir sombre, il scintille de tous les projecteurs qui flattent ses pales chromées, qui révèlent ses structures d'acier; le monstre

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Sculptures de Matta (2 m environ) mécanique est chapeauté d'une sphère translucide dans laquelle des choses tournent; et, à l'invitation donnée de gesticuler devant lui, il se met à chanter, à bruire, à émettre des sons variés, à vibrer. Automate de science fiction 1 Sculpture électronique 1 Le • Cinétone" de Roland Baladi (Musée d'Art Moderne) a au moins le mérite d'amuser les enfants et d'intriguer les grandes p ers 0 n n e s. C'est, parmi d'autres, une expérience d'art technologique. Celle-ci est surprenante par sa complexité, sinon sa beauté. Le Palais de la Découverte pourrait aussi bien l'accueillir que le musée. C'est dire où en est le musée aujourd'hui.

m 0 men t s, bulbeuses, inquiétantes comme des plantes exotiques, quel· que orchidées maudites. Matta sculpteur (Galerie lolas) n'a emprunté à Matta peintre qu'un seul élément de sa morphologie. familière. : celui des personnages qu'il met en scène habituellement dans des perspectives acérées, de vertige, aux cassures, étagements bizarres mais de caractère géométrique. Les personnages, eux sont comme pétris par un doigt capricieux, inventif qui leur attribue des ailes, des déhanchements, des croissances qui défient l'ordre de la pensée à l'Instant où, au contraire, c'est tout un monde d'inquiétude qu'elles suggèrent avec une hautaine originalité. Jean-Jacques Lévêque

Eugénio CARM 1 Où en est-il puisque Eugénio Carmi y e,xpose ses signaux, • à la rigueur., à défaut de pouvoir le faire, comme il le souhaiterait, dans la rue, dans les couloirs du métro. Ces signaux qui ne sig nif i e n t qu'eux-mêmes sont d'agréables compositions d'un modernisme plaisant: brillantes matières transparentes, couleurs vives, rythmes allègres: d'excellents motifs graphiques pour magazines de mode ou la publicité. Ils sont aussi des stèles d'une fête qui n'a que rarement lieu dans un musée. Ici ils sont un peu trop sagement alignés. (Musée d'Art Moderne).

MATTA Ce sont des fleurs carnivores, des filles-lianes, éprises d'ombre. Elles jaillissent, tortueuses, boursouflées par instants, étranglées en d'autres

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I


Voici Migof Bernard Schultze Centre National d'Art Contemporain 11, rue Berryer Du 2 février au 1er mars

transgression; ene est seulement présente biologiquement dans toute existence et Migof est la corruption, la destruction latentes. Il est là pour le démontrer et dénoncer en même temps l'inflation de faux-semblants dont notre société se pare pour masquer cette réalité. Voici donc cette créature d'ascendance beckettienne projetée dans cette • fausse nature -, Schultze dixit, qu'est la société de consommation avec mission de la métamorphoser afin de révéler qu'elle n'est qu'apparences. Mais son intrusion dans le quotidien oblige Schultze à élargir sa technique. Il commence par insérer furtivement dans ses dessins des 'photos de magazine, puis revenant au tableau y greffe des objets d'usage éphémère tels qu'emballages, tuyaux, bonnets de bains, etc., mais détournés, à l'encontre du pop, de leur identité première. Ils deviennent les éléments d'une dialectique dont l'étendue et la complexité conduisent Schultze à cloisonner le tableau soit en combinant des techniques variées, dessin, collage, peinture, relief, soit en l'installant dans des boîtes compartimentées, soit encore qu'il rassemble à la faveur d'un environnement un certain nombre d'éléments dont on retrouve "image dans le tableau qui y est joint. Diversité de techniques, diversité également de styles.

1

Ni suiveur ni prophète, Bernard Schultze sait capter les urgences, les définir et les résoudre pour son propre compte et parfois celui des autres. Ainsi ressent-il dans les années 50 la nécessité de modifier le support traditionnel de la peinture, de froisser la toile (d'autres la déchireront), de la boursoufler, d'y adjoindre des éléments végétaux que couvrent des empâtements de couleur terreuse, figurant ainsi un relief hors de la sculpture et qui détermine un espace inhabituel à la peinture. Conscient de cette ambiguïté, Bernard Schultze s'en empare, la cultive, l'exacerbe même et finalement la dépasse en créant non pas des sculptures (bien que ce terme soit une dénomination commode) mais des supports permettant une peinture en trois dimensions. Il remplace les matériaux bruts dont il était tributaire de la forme 'par un gjllage modelable à son gré qu'il recouvre· d'une couche de polyester afin de retrouver une surface à peindre. Le tableau se gonfle comme une peau tendue à craquer, les boursouflures s'ouvent en cratères, les crevasses deviennent des gouffres contraignant les couleurs - qui s'éclairent mais saos éclat à s'organiser non seulement en surface mais aussi dans la profondeur. Le tableau reste cependant accrochable au mur. Pas pour longtemps car la malléabilité de ce nouveau support qu'est le grillage recouvert de polyester rend ~ssible une multiplicité de formes à la fois souples et rigides dont Bernard Schultze trouve l'inspiration dans le monde végétal. Les racines, les branches qu'il intégrait à la toile prennent vie, se mettent à croître; elles prolifèrent au point d'envahir l'espace environnant. Formes indécises au destin aléatoire s'il ne leur était assigné d'apporter à la peinture sa troisième dimension. Mais il fallait aussi que la couleur vive, qu'elle prime la forme, qu'elle acquière une sorte d'autonomie physique et que seule elle manifeste le volume, si complexe fût-il. Aussi devient-elle plus légère, éclatante, démultipliant les nuances qui se côtoient dans une sorte d'al-

Réflexion sur l'art Bernard Schultze : Ville de 18 décrépitude

légresse illuminant un foisonnément de formes, qu'une prolifération insensée risquait cependant de conduire dans' les domaines d'une architecture plus ou moins fantastique. Déjà, devant cette végétation exubérante, ces lianes tombant des plafonds, ces plantes grimpantes et rampantes, ces buissons, parlait-on de labyrinthe, de forêt enchantée, évoquait-on les rocailleurs du XVII· siècle, la décoration baroque. Là n'était pas le propos qui était, répétons-le, de sortir la peinture du mur de toile. Personne ne se trompait, d'ailleurs, sur cette annexion de l'espace qu'on n'appelait pas encore environnement et que Schultze sut pour sa part limiter à l'objet pictural par un recours à la figuration. Il procède alors à une anthropologisation des formes végétales, en référence parfois à

La QuInzaine Utténdre, du 16 au 28 février 1971

Samuel Beckett à qui Il emprunte volontiers pour les titres de certaines œuvres (Le grand Malone, Sitting Mahood, etc.) et donne à ces produits hybrides intermédiaires entre l'homme et la plante le nom générique, inventé de toutes pièces : MIGOF qui est pour son auteur • un mot fantastique, inconnu, servant à exprimer l'inconnu -.

Un baroque athée Tout désormais sera Migof et pour ma part, j'identifierais volontiers ce messager de l'inconnu' à la mort; ce qui pourrait par ailleurs confirmer la tendance au baroque relevée dans la période précédente. Mais si baroque il y a, c'est d'un baroque athée qu'il peut s'agir car la mort, pour Schultze n'est pas

Mais il serait aussi facile qu'inutile et vain de les déclarer empruntés à tel artiste ou tel mouvement car Schultze en use avec une liberté et une maîtrise qui rendent son écriture éminemment personnelle. Il est bon, à ce propos de lire le texte recueilli dans la brochure éditée à. l'occasion de cette exposition, dans lequel il analyse ses rapports avec les peintres et les œuvres qui provoquent sa sensibilité. On y verra qu'une des racines de cette œuvre est une réflexion permanente sur l'art et son adéquation à notre époque. Rue Berryer tous les aspects de l'œuvre de Bernard Schultze sont présentés et il s'en dégage une unité qui souligne l'importance de cet artiste solitaire, lequel dans le tohu-bohu des tendances actuelles dont il opère une sorte de synthèse, pourrait bien être une amarre solide pour l'art de demain. Marcel Billot

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Hommage à Lors du décès de Lucien Goldmann, • La Quinzaine Littéraire. a souligné combien était cruelle cette perte, non seulement pour les étudiants et pour les chercheurs, mais aussi pour tous ceux qui se préoccupent de sciences sociales. Aujourd'hui, nous présentons un dossier destiné à mettre en évidence l'importance de la pensée goldmannienne. André Akoun rend compte des deux derniers ouvrages de Lucien Goldmann; Angèle Kremer-Marietti analyse les aspects théoriques de sa recherche; Sami Nair, qui fut son dernier collaborateur, présente ses projets.

Lucien Goldmann philosophe des sciences humaines Plus que tout autre, Lucien Goldmann· a mis l'accent sur le caractère total de la vie sociale; et cette vie sociale il l'a ressaisie dans ses manifestations spirituelles, s'attachant tout particulièrement aux problèmes de l'œuvre, qu'elle soit philosophique, littéraire, esthétique, qu'il s'agisse d'histoire, d'histoire littéraire, de sociologie. C'est parce qu'il ne séparait pas le côté matériel et le côté spirituel de cette vie sociale totale, qu'il s'est posé la question de la création et qu'il a, à travers ses recherches, longuement médité sur ce que doit être la bonne méthode pour aborder et traiter l'objet des sciences humaines. Au-delà de la lutte idéologique et polémique, Goldmann s'affirme à nous comme celui qui a longuement et sérieusement travaillé à parfaire l'outil de la pensée dialectique, préparant ainsi les voies difficiles de la sociologie de l'esprit. Le souci de ne jamais perdre de vue la considération de la totalité lui faisait déplorer la propension des chercheurs contemporains (cela en 1952) à se perdre dans les recherches parcellaires et à négliger ainsi les. transformations qualitatives des structures sociales ", et surtout «la dimension historique des faits humains ". Or, l'appréciation de la qualité et la dimension historique échappent fatalement dans la structure sociale que Goldmann désigne par les termes

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de • capitalisme d'organisation ", ou que d'autres nomment. société de consommation ". Malgré les conquêtes indiscutables de cette forme de société, celles-ci se doublent, non moins indiscutablement, des pires dangers en regard des valeurs htlmaines. Ce sociologue a mis l'accent sur ce qui constitue le mal du demi-siècle, résultant, non plus du capitalisme en crise, mais du capitalisme d'organisation, dont l'Etat a réglé les mécanismes de régulation avec les doubles garanties : sur le plan de l'essor économique et sur celui des crises

politiques. A cette base matérielle correspond une pensée dominée par des préoccupations scientistes, rationalistes, anhistoriques. étrangères aux valeurs qu'avait promues la philosophie du Tiers-Etat. Le point de vue de la totalité, sur lequel Georg Lukacs insistait dans son ouvrage Histoire et cons· cience de classe, est selon Lukacs et selon Goldmann le principe marxiste par excellence, c'est le • support du principe révolutionnaire dans la science. selon les termes de Lukacs. Il faut reconnaître, en faisant les réserves qui s'imposent sur la pauvreté relative des procédés opératoires mis en branle par Dilthey et Jaspers, que chez ces deux philosophes non marxistes, le même principe joue un rôle déterminant dans l'édification des sciences humano-historiques auxquelles ils ont, surtout Dilthey, largement travaillé. D'ailleurs la psychologie (ainsi que toute l'épistémologie) de Piaget, qui se veut totalisante, a trouvé auprès de Goldmann l'approbation que chacun sait. L'unité du sujet et de l'objet, que Marx affirme en supprimant l'opposition classique de la nature et de l'histoire, est ce qui apparaît lorsque l'on considère dynamiquement et génétiquement les faits humains, et non plus statiquement. Ce point de départ de Goldmann, dans le domaine méthodologique, se trouve énoncé au début du deuxième chapitre de Sciences humaines et philosophie: al Le processus de la connaissance scientifique étant lui-même un fait humain, historique et social, cela impli· que, lorsqu'il s'agit d'étudier la vie humaine, l'identité partielle entre le sujet et l'objet de la connaissance. C'est pourquoi le problème de l'objectivité se pose autrement en sciences humaines qu'en physique ou en chi· mie. b1 Le comportement humain étant un fait total, les tentatives de séparer ses aspects .. matériel» et .. spirituel» ne peuvent être, dans le meilleur des cas, que des abstractions provisoires impliquant toujours de grands dangers pour la connaissance. C'est pourquoi le chercheur doit toujours s'efforcer de retrouver la réalité totale et concrète, même s'il sait ne pouvoir y parve· nir que d'une manière partielle et limitée. et, pour cela, intégrer dans l'étude des faits sociaux, l'histoire des théories sur ces faits et, d'autre part, lier l'étude des faits de conscience à leur localisation historique et à leur infrastructure économique et sociale (éd. Gonthier, p. 33-34).

Comme on le voit, le problème de l'objectivité dans les sciences humaines est nécessairement abor-

dé et résolu sur le principe de la totalité, si l'on retient, outre la totalité homme-nature. outre la totalité de l'objet des sciences humaines. le fait non négligeable que le connaissant entre lui-même dans une totalité dans laquelle il examine ce qui deviendra le connu. Aus· si, le statut du sujet peut-il être discuté. voire imposé. et cela sur· tout dans la volonté de pratiquer l'interdisciplinarité dans les sciences historico-sociales. Ce fut le thème de la conférence que fit Goldmann le 28 février 1970 à la Société française de philosophie, conférence dans laquelle il repoussait d'une part la position positiviste dont les recherches suppriment le sujet, d'autre part, et, cela va de soi, la position idéaliste, dont les études ne portent pas sur la réalité.

Comprendre la totalité Il faut comprendre la totalité. dans le vaste domaine de la sociologie, comme celle des faits humains et de leur signification, car • les faits humains ne parlent jamais d'eux-mêmes et livrent leur signification seulement lorsque les questions qu'on leur pose sont inspirées par une théorie philosophique d'ensemble" (Ibid., p. 141). Une sociologie se double· donc d'une typologie : en cela Max Weber a vu juste quand il a estimé ne pouvoir comprendre la réalité humaine sans se référer à ce qu'il appelait des • types idéaux,,; mais Goldmann fait des distinctions qui ont échappé à Weber, ainsi deux catégories fondamentales sont-elles nécessaires : celles de conscience possible et de conscience réelle. La première, la conscience possible, c'est cc le maximum de réalité que saurait connaître une classe sociale sans heurter les intérêts économiques et sociaux liés à son existence en tant que classe (Recherches dialectiques, éd. Gallimard, p. 100) ; la seconde, la conscience réelle, c'est ce que cette classe cc connaît en fait de cette réalité pendant une certaine période dans un certain pays. (Ibid). Là, sont donc nécessaires des ana· lyses concrètes qui seules pourront révéler cc le degré concret de développement de la conscience ouvrière à un certain instant et à un certain endroit» (Ibid.). Les dangers alors évitables sont les surestimations et les sous-estima-


Lucien Goldmann 1

tions propres aux diverses tendances d'interprétation, et cela même au cœur du marxisme. La distinction des deux types de conscience est d'autant plus efficace, aussi bien dans la recherche que dans l'action politique, qu'elle introduit un facteur intermédiaire (le maximum de conscience possible) entre le niveau des normes et le niveau des faits; en effet : • La conscience réelle est le résultat des multiples obstacles et déviations que les dif· férents facteurs de la réalité empi. rique opposent et font subir à la réalisation de cette conscience possible - (Sciences humaines et philosophie, p. 125).

Sociologie et histoire Ces observations conviennent d'ailleurs à l'histoire comme à la sociologie. Dans le court et. intéressant chapitre sur La pensée historique et son objet (Ibid., p. 19-31). Goldmann montre que la sociologie et l'histoire étudient les mêmes phénomènes; aussi est-il impossible de réunir les résultats de la sociologie et de l'histoIre et faut-il enfin réaliser • une science concrète des faits humains aui ne peut être qu'une sociologie histori· que ou une histoire sociologique-. Dans cette perspective de la tota-.' lité, le • Nous - devient donc la réalité fondamentale, et non plus "ego cartésien. Ce que nous cherchons dans l'histoire, ce sont. les transformations du sujet de l'action dans le rapport dialectique hommes-monde, ce sont les transfo.... mations de la société humaine(Ibid., p. 26). L'action humaine est l'objet des sciences humaines, l'action humaine du passé est celui de l'histoire. Or, "activité humaine a un caractère total qui fait que. les grands écrivains représentatifs' sont ceux qui expriment, d'une manière plus ou moins cohérente, une vision du monde qui correspond au maximum de conscience possible d'une classe - (Ibid., p. 60); d'où l'intérêt que Goldmann portait, comme nous le précisions au début de r.et article, à la création ph!losophique, littéraire ou artistique. Il a cherché à dresser les règles nécessaires à l'établissement de l'histoire de la philosophie, compte tenu du principe de totalité : la pensée dialectique • s'oppose au rationalisme cartésien non seulement par le contenu de ce qu'elle

enseigne mais aussi par la méthode qu'elle préconise, car elle part de l'idée de totalité et affirme que les parties ne peuvent être comprises en elles-mêmes en dehors de leur relation dans le tout, aussi peu d'ailleurs que le tout en dehors des parties que le constituent, ce qui explique la permanente oscillation entre les vues d'ensemble et les analyses de détail qui caractérise les ouvrages de Hegel et de Marx (Recherches dialectiques, p. 25). A propos de toute œuvre de création intellectuelle, il faut savoir que les ouvrages de tout penseur expriment. une vision unitaire et totale du monde - (Ibid., p. 33); les comprendre, c'est avoir réussi à saisir d'une part la structure de l'ensemble de "œuvre et d'autre part la fonction des différents ouvrages dans cette œuvre. Goldmann retient un concept de Lukacs pour définir ce que sont la philosophie et l'art : ce sont des formes, • des expressions de certaines visions du monde, de certaines manières de sentir l'homme et l'univers - (Ibid.). Les quatre éléments essentiels de toute étude historique d'une œuvre donnée sont les suivants :

1) Rétablissement de la totalité cohérente de la pensée étudiée. 2) Analyse des inconséquences indi· viduelles du penseur dues à la survivance des anciennes formes de pensée sur certains points subordonnés à des concessions devant les pouvoirs (Eglise, Etat). 3) Analyse des inconséquences individuelles du penseur dues au désir d'éliminer les paradoxes et les conflits trop flagrants avec la réalité. 4) Analyse des limites immanentes de la vision du monde représentée par le penseur étudié (Ibid, p. 39-40).

Au lieu d'opposer l'individu et la société, le génie et son époque, Goldmann montre que, bien au contraire, les personnalités puissantes s'identifient avec les forces de la conscience sociale • dans ce qu'elle a d'actif et de créateur -. La totalité de la conscience et de l'action, qui commence dans la perception, se réalise pleinement dans l'œuvre créée. L'excellent article Matérialisme dialectique et histoire de la littérature (Recherches dialectiques, p. 45-64), qui avait pri· mitivement paru dans la Revue de Morale et de Métaphysique, fait très justement de l'écrivain de génie .celui dont la sensibilité est la plus vaste, la plus riche et la plus universellement humaine -.

La QulDzaIne Uttéra1re, du 16 au 28 février 1971

Angèle Kremer·Marlettl

Lucien Goldmann

Marxisme et sciences humaines Coll. « Idées» Gallimard éd.

Structures mentales et création culturelle

1

Anthropos éd., 450 p.

Lucien Goldmann est mort récemment. Deux livres de lui qui viennent de paraître : « Marxisme et sciences humaines» (Gallimard, coll. Idées) et « Structures mentales et création culturelle » (éd. Anthropos), lui permettent de participer encore aux dialogues et aux controverses qui animent le monde de la théorie sociale. Ces livres de Goldmann, qui sont des recueils d'articles, de notes, de travaux divers, nous introduisent dans la double préoccupation qui a caractérisé le dernier état de sa réflexion : une défense et illustration du « structuralisme génétique» contre les conceptions d'auteurs tels que L. Althusser, R. Barthes ou C. LéviStrauss; un exposé des principes et méthodes d'une sociologie marxiste de l'art, illustré d'analyses concrètes (P: Valery, J.-P. Sartre, W. Gombrowicz, J. Genet, SaintJohn Perse, etc.). A une époque où le marxisme était devenu la vulgate d'une Eglise absolument close, Goldmann fut de ceux, très rares, qui voulurent sauver Marx de ce qui du nom de marxisme se parait indûment. Il fit connaître en France - malgré l'opposition de . leur auteur qui répudiait des recherches que son Parti avait condamnées - les travaux de Georges Lukacs et plus particulièrement : Histoire et conscience de

classe. Aujourd'hui, l'ancien dogmatisme est mort qui ne voyait dans l'intelligence que le plus court chemin d'une citation à une autre et on évalue mal de quelle importance de tels efforts furent pour préserver l'avenir même d'une tradition intellectuelle marxiste en France. D'une façon injuste et oublieuse certains jeunes chercheurs rejettent avec mépris l'œuvre de Goldmann qu'ils voient marquée du sceau infamant pour eux - de l'hégelianisme. Mais il n'est pas certain que l'œuvre de Goldmann ait fini de s'adresser à nous. Mieux qu'aucu. ne autre elle sait nous rendre sensibles à la relativité des visions du monde et au devenir historique dans sa perpétuelle destructuration et

restructuration des formes de la culture. Elle nous rappelle aussi au . danger d'une certaine foi aveugle en la science qui n'est que la résur· gence du positivisme. La pensée de Goldmann, héritière de Marx - en tout cas de ce Marx nourri de Hegel et Feuerbach et dont on trouve les effets depuis les œuvres de jeunesse jusqu'au Capital inclus - s'organise autour de la notion de réification dans laquelle il y a un concept équivalent à celui du « fétichisme de la mar· chandise ». La réification c'est la transformation, dans la société ca· pitaliste, des relations qualitatives et authentiques entre les hommes en simples relations quan)itatives. « Leur essence en tant que relations

sociales et interhumaines disparaissent de la con.science des hommes pour réapparaître sous forme réifiée en tant que propriété des eha-· ses ». (Marxisme et sciences humaines). De ce concept de réification, Goldmann tire une vision éthique et politique du monde. Prisonnière du monde des choses, mais se refusant à être chosé elle-même, la conscien· ce exprime son aspiration à l'au· thenticité. La révolution, forme la plus élevée du conflit entre l'authentique et le réifié retrouve· sa signification idéologique : le mouvement par lequel l'humanité prend possession de son essence, par la médiation de l'action du proléta. riat. Les créations culturelles et les œuvres d'art s'expliquent, elles aussi, dans la société capitaliste à partir de cette réification. L'œuvre est un compromis entre les valeurs au· thentiques et l'univers dégradé. Mais cette affirmation générale

• te


~ Goldmann

n'est que le préalable à la sociologie du roman qu'élabore Goldmann. La méthode d'analyse sociologique de Goldmann est structuraliste puisqu'elle procède du principe que la réalité sociale est une articulation de niveaux structurés. Cependant la référence à la structure ne se fait pas, chez Goldmann, à paI1ir du modèle de la linguistique ou de la pluriologie de Troubetskoy, mais -en voisinage avec la Gestalt-théorie. Le niveau' structuré n'est pas un «modèle» (comme chez LéviStrauss) dont les éléments n'auraient d'autre réalité que différen.tielle. Il est une organisation réelle dont les parties qui la composent forment une totalité du fait de leur réseau d'interconnexion. Ces niveaux structurés sont dans des rapports d'homologie. Ainsi l'organisation formelle d'une réalité culturelle comme « le genre romanesque » et celle de l'échange économique en société capitaliste révèlent-elles une véritable isomorphie... «au point qu'on pourrait parler d'une seule et même structure qui se manifesterait sur deux plans différents ». L'analyse structurale cependant ne saurait être le dernier mot du sociologue qui n'a jamais affaire à des structures figées mais à une matière historique. Les stnlctures, qui ne sont ni invariables ni permanentes, sont toujours l'aboutissement d'une genèse; « aussi ne peut-on comprendre le caractère significatif d'une structure qu'à partir d'un ensemble de situations actuelles à l'intérieur duquel elle est née des tentatives du sujet, déjà structuré lui-même par son devenir antérieur, de modifier des structures anciennes pour répondre aux problèmes posés par ces situations... » (Marxisme et sciences humaines). On peut ne pas être satisfait par les conclusions de Goldmann. On peut, en particulier, contester nombre d'analyses un peu cavalières (en particulier certaines analyses de l'œuvre de Freud). Il est un point qui demeure : les questions qu'il a posées restent celles d'une sociologie . marxiste authentique. Goldmann voulait, sans sacrifier un des termes à l'autre, comprendre la relation entre structure et histoire. Il voulait aussi maintenir la relation entre Savoir et Pratique sociale c'est-à-dire entre science et politique. ,Il y va de l'avenir de la théorie marxiste de réussir une telle gageure. André Akoun

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Le cheDlinernent d~une pensée Sans doute n'est-il pas encore temps de reprendre l'œuvre de Lucien Goldmann pour la restituer en son originalité nue; Goldmann est mort comme par surprise : douloureuse, cette surprise l'est encore pour ceux qui l'ont connu vi~ vant, mais qui ne se résignent pas à le croire disparu. Pourtant... Son œuvre, nous aurons l'occasion d'en parler ailleurs, et plus profondément; ici, apportons le témoignage de l'ami sur les préoccupations nouvelles, sur les projets, bref, sur ce qui allait malheureusement devenir la pensée dernière de Lucien Goldmann. La rigueur méthodologique dont il avait fait une des principales exigences dU chercheur soucieux d'efficacité et de vérité, cette rigueur permettait à sa pensée d'évoluer continuellement, d'analyser d'autres méthodes, d'aborder consciemment d'autres régions de la connaissance, de penser d'autres problèmes, de répondre par d'autres questions et de questionner les réponses établies. Son activité théorique se déployait plus spécifiquement sur un champ à trois niveaux : la sociologie de la littérature, la philosophie et la sociologie générale. Il précisait bien, d'ailleurs, que ces disciplines étaient finement liées entre elles et que, dans l'esprit du chercheur, derrière leur apparente autonomie relative devait se tenir le réseau serré de la trame méthodologique. La sociologie de la littérature, c'est là urie science qu'il a contribué à créer et à laquelle il a fourni un statut épistémologique difficilement contestable. Sur la base de la théorie marxiste, Goldmann résume de façon synthétique les principales caractéristiques de l'œuvre littéraire: • L'œuvre littéraire se caractérise par quatre traits d'inégale importance: son caractère rigoureusement unitaire, sa richesse, le caractère d'univers réel ou virtuel de l'ensemble des éléments qui la constituent, et son caractère non conceptuel. • Parmi ces quatre traits, sa structure significative est constituée par son unité et son caractère d'univers C..). .Or,une sb'ucture significative il caractère d'univers virtuel ne saurait jamais être élaborée par un seul individu. Elle est - de nombreuses recherches l'ont montré - toujours œuvre collective.» (1) Mais s'il est vrai que l'œuvre est un élément de la réalité sociale, Goldmann ne pose pas pour autant

de médiation directe entre l'auteur, l'œuvre et la collectivité. Justement, c'est au chercheur maître de ses moyens que revient la tâche de construire cette médiation en la révélant. L'œuvre est chargée de sens; le critique doit non seulement reconstruire l'articulation de ce sens, remodeler sa dispersion, mais encore se demander pourquoi .ce sens et d'où vient-il, de quelle source cachée peut-il surgir, qu'estce qui le rend possible et temporel. Et disposer convenablement toutes ces questions exige du critique une maîtrise parfaite de la dialectique et une connaissance profonde, essentielle, de la théorie marxiste. Ces dernières années, approfondissant sa méthodè d'analyse à partir de l'acquis consigné dans Pour une sociologie du roman, il

tique des Hautes Etudes tenait toujours à vérifier la méthode proposée en la référant à des textes divers et en la confrontant à d'autres méthodes. Il a ainsi consacré l'année 1970 à l'analyse des poèmes en prose de Baudelaire, au Centre de Sociologie de la Littérature qu'il dirigeait à Bruxelles (3). Mais Baudelaire, Genet, Valéry et même Sartre l'avaient retenu dans l'attente de la grande analyse qu'il voulait consacrer à Marx et à la pensée marxiste. Ce projet, Goldmann l'avait élaboré depuis longtemps, depuis la rédaction même du Dieu caché. Et en vérité il ne fut jamai~ abandonné, mais simplement «remis. à plus tard, reculé à un avenir prochain, sans doute parce qu'on n'écrit pas un Marx comme on quadrille un

Aux Editions Gallimard Le Dieu caché (1956). Recherches dialectiques (1959). Pour une sociologie du roman (1964). Introduction à la philosophie de Kant (1967). Aux Presses Universitaires de France Correspondance de Martin de Barcos, abbé de Saint-Cyran (1956). Aux Editions de l'Arche Racine (1956). Aux Editions Gonthler Sciences humaines et Philosophie (Collection Médiations - 1956). avait entrepris une recherche qui visait à circonscrire, sur le plan du style, des modèles réduits de la structure globale de l'd!uvre, ce qu'il appelait des microstructures. Cette tentativ~ cependant n'était pas, pour Goldmann, une concession aux modes passagères, ni à leurs vaines récriminations contre l'analyse fondamentale. Car, là encore, Goldmann considérait que l'analyse stylistique est intégrable par sa méthodologie. La dichotomie forme/contenu est elle-même formelle, donc arbitraire. Goldmann soutient que l'œuvre procède de l'unité : « Il est impossible de séparer une forme et un contenu •. Mais en dernier lieu, l'instance déterminante est cependant le contenu d'où surgit la structure significative globale. Goldmann rappelle constamment, et insiste même sur « la primauté de l'univers sur l'expression, de la structure significative globale sur Iles structures partielles et de leur liaison étroite et significative. (2). Et il est vrai que son œuvre porte témoignage de l'application de ce principe méthodologique. De même, l'enseignement qu'II prodiguait à l'Ecole pra-

Valéry. Il y fallait surtout du temps, et une longue réflex-ion dont il faisait modestement bénéficier ses étudiants de l'E.P.H.E. : le dernier cours qu'il a donné à l'Ecole portait sur les Grundrlsse, que Goldmann analysait en partant directement de l'original allemand. Mais il avait eu d'autres préoccupations philosophiques. Il avait étudié Heidegger, Lukàcs, Sartre et Malraux, et il espérait avoir mis en lumière I~ structuration interne de la pensée et de la littérature existentialistes. C'était là le résultat d'un travail étalé sur plusieurs années. Il souhaitait que des chercheurs marxistes s'attachent à constituer un modèle global de la pensée existentialiste, un peu comme lui-même avait jadis tracé celui du Jansénisme. Ce travail, il voulait le voir repris par des chercheurs plus jeunes, qu'il a contribué à former. Goldmann poursuivait parallèlement ses recherches en sociologie générale. Il s'attelait particulièrement à l'analyse de la société occidentale contemporaine, autant pour la comprendre que pour réfléchir sur ses transformations et les


Une culture de la pudeur moyens possibles pour atteindre le socialisme. Ses analyses (basées sur des catégories telles que capitalisme d'organisation, conscience possible, conscience réelle, etc.) quant au rôle de la classe ouvrière, de la bureaucratie, Insistaient plus nettement, surtout depuis Mai 1968, sur les problèmes posés par les couches dites marginales. Par rapport aux groupes • gauchistes -, qu'il préférait appeler plus justement des • mouvements radicaux puisqu'ils sont qualifiés de • gauchisme - par des forces réformistes sinon conservatrices, Goldmann avait une attitude de sympathie agissante en même temps qu'il tentait d'analyser plus profondément le phénomène. Quelques jours avant sa brutale disparition, \1 écrivait encore: • (.oo) les mouvements radicaux sont 'à la fols un des symptômes des transformations en cours et un des facteurs qui permettent d'espérer que ces transformations pourront prendre des formes progressistes et valables pour la culture, la dignité de l'homme et le socialisme.• (4)

Comprendre ce radicalisme et l'aider, c'était pour Goldmann comprendre qu'\I fallait changer le monde et y participer. De cette conviction, \1 ne s'est jamais départi ; dans le même texte, JI ajoute : • Aujourd'hui encore, et malgré toutes les transformations qu'II est extrêmement Important d'analyser de manière positive et scientifique, l'alternative formulée par Marx et Rosa Luxemburg reste toujours valable; aux deux pôles extrêmes de l'évolution se dessinent les deux Images de la barbarie et du sociaIIsme.• (5)

Contre la nuit du dogmatisme, comme dans l'enthousiasme révolutionnaire de Mai 68, Goldmann réaf· firmait et confirmait sa conviction dans l'avenir. socialiste; seule la mort prématurée a figé une pensée politique en pleine évolution. Saml Naïr (1) Structures mentales et création culturelle, Paris, Anthropos, 1970. Préface, p. XIII. (2) Op. clt., p. 345. (3) Ce travail sera d'ailleurs utilement publié, en 1971, par la Revue de l'Institut de Sociologie. (4) Marxisme et sciences humaines, Paris, Gallimard, 1970, Préface, p. 12. (5) Ibid., p. 14.

La

Qadnzalne

1

Marguerite Dupire L'organisation sociale des Peul Plon éd., 624 p.

L'ouvrage de Marguerite Dupire est une somme, résultat de Ion· gues années de recherche (son premier contact avec les Peul de l'Adamawa et du Niger date de 1950), riche en résultats neufs, issus directement de l'enquête ou d'une interrogation intelligente des études antérieures, celles de G. Vieillard et de D.J. Stenning notamment. Pour l'auteur, l'ethnographie comparative ne saurait être ni hâtive, ni complaisante; on ne trouvera dans son ouvrage nulle ombre de confidence, aucune sen· sibilité manifeste à la tristesse des tropiques ou à l'ambiguïté de l'Afri· que. Marguerite Dupire va son chemin, et quel chemin : de la Mauri· tanie au Cameroun par le Sénégal, le Mali, la Haute-Volta, le Niger et le Nigéria, sans quitter un instant du regard le but fixé - la compa· raison des types d'organisation sociale des différents groupes peul, sédentarisés, semi-nomades et noma· des. Le langage du spécialiste de la parenté, l'abondance des termes vernaculaires ne facilitent pas la lecture, malgré la clarté du style et la présence d'un index. Le lecteur qui aborde cette œuvre d'une beauté austère doit savoir qu'il lui faudra, six cents pages durant, montrer un peu du courage et de la ténacité dont elle témoigne. L'intérêt de la comparaison tient ici au fait qu'elle s'applique à un même ensemble culturel et à des groupes dont il est ainsi possible de mettre les divergences en rapport avec l'implantation, l'écologie, l'bistoire, l'environnement socio-politi. que, etc. L'auteur s'attache princi. palement à l'étude de trois Cl blocs géographiques et culturels» : le bloc oriental, le plus nomade, le bloc guinéen, le plus sédentarisé, le bloc occidental, où le style de vie pastoral s'est conservé; l'analyse de chaque groupe est reprise systéma. tiquement dans chacune des quatre parties de l'ouvrage : ainsi l'analyse comparative s'approfondit en même temps qu'apparaissent plus clairement certains traits communs à l'en· semble des groupes peul. Dans une première partie, l'au· teur étudie le mariage (premier ma· riage et mariages secondaires), les groupes domestiques, dont l'organi. sation présente une grande diver·

UttUalre, du 16 au 28 février 1971

moniales (au Djolof). Dans une quatrième partie, consacrée aux dif· férents types d'union matrimoniale et aux visées politiques de stratégies matrimoniales, l'auteur s'atta· che à mesurer l'importance et à définir le rôle de l'endogamie de groupe et de lignage. Je reviens un instant sur ce der· nier point, capital dans la démarche , de l'auteur et caractéristique de sa méthode. Marguerite Dupire se propose en effet de comparer les dif· férents modèles de mariage préférentiel aux fréquences observ~ dans la réalité. Les divergences ainsi constatées entre les différentes sociétés sont ensuite interprétées au niveau structural, en les situant en fonction de leur intensité et par rapport aux institutions ,de ces sociétés. Les différents types d'union sont recensés, grâce à l'étude systématique des généalogies et des chaî· nes généalogiques, en fonction de divers critères : importance des relations agnatiques, utérines et croi. sées continues; ordre préférentiel des cousines de tous degrés; fréquence des unions avec des femmes sité Cl du type nomade le plus auto- de générations succesSives et· alternome et démocratique au type agri. nées; caractères du lévirat et du cole collectiviste ,et plus ou moins sororat. gérontocratique », les modes de fi· liation et les relations de parenté ; une secOnde partie, dans une persDeux groupes pective plus dynamique,' étudie l'histoire de l'implantation des Deux groupes s'opposent de façon grands groupes migratoires, les mo- significative si l'on tient compte du dèles résidentiels des communautés premier critère : un groupe Cl palocales - en partie calqués sur les tricenirique» (Wodaabe du Niger, types de groupements domestiques Foula de Guinée) où la relation - la dynamique des unités ligna. agnatique est dominante, la relation gères,et résidentielles (segmentation, utérine absente, et un autre groupe scission, fusion et fragmentation), (Haboobe et Latyé du Sénégal) où et de façon générale les rapports la relation agnatique est moins im· entre groupes sociaux et groupes portante et la relation utérine abrésidentiels'. sente, le groupe Jengel du Sénégal La troisième partie approfondit étant dans une position intermédiai· et élargit à l'ensemble desdifféren· re (appartenant au premier groupe tes ,sociétés comparées l'étude des pour la dominance des relations relations d'inégalité qui étaient ap- agnatiques et l'ordre préférentiel parues constitutives des rapports en· des cousines, à l'autre pour les au· tre indivi4us et entre lignages; tres cPitères). Ainsi se justifie une l'examen des strates sociales dans première proposition d'après la· une société dominante comme celle quelle Cl le choix dans chaque sodes Foula, ou dans des sociétés non ciété se porte en priorité sur les dominantes comme les Peul du Sé· catégories de parentes allant dans négal et les nomades orientaux, ma· le même sens que ses institutions :1. nifeste partout leur caractère hiérar· Cette proposition se nuance 'en chisé et non symétrique; témoin in- fonction de l'appartenance socW~ direct et actuel de ce caractère : le des enquêtés, l'agnatisme des gl'Ou· refus de tenir pour un fait acquis pes dirigeants Foula étant par exem· l'émancipation des serfs, ce refus pIe plus accentué que. celui des-li:' se traduisant selon les cas par des gnages libres sans pouvoir politique•. restrictions apportées au droit d'usa· Pour l'ensemble, Marguerite Dup~ . constate l'existence d'une forte ten·ge des terres (au Fouta Toro) ou une exclusion des relations matri· dance à l'endogamie non sewement

.

21


HISTOIRE

Le conte kabyle

~ Les Peul

dans la ligne agnatique mais aussi en ligne utérine ou à l'intérieur de la relation croisée continue. Elle fait un sort à part au mariage croisé matrilatéral, dont Lévi-Strauss a montré qu'il était l'instrument idéal de l'échange généralisé, plusieurs témoignages et arguments l'aidant à supposer qu'il était autrefois la forme préférentielle d'union.; l'évolution vers l'endogamie serait à mettre en rapport avec la concur· rence inter-lignagère pour le pouvoir politique. Le schéma hyperga. mie (réception de femmes de ligna. ges dominants) cession de femmes aux unités sans pouvoir rétrécissement de l'endogamie du groupe lignager est celui de l'accession au pouvoir, tant chez les nomades orientaux et les Latyé où c'est le groupe entier qui désigne le chef - que chez les Foula - où il est désigné par le niveau politique supérieur. L'ouvrage s'achève ainsi sur des suggestions qui sont autant de déclarations de méthode et d'indications de recherche: d'une part, l'auteur situe le lieu d'une recherche historique possihle qui relève de l'anthropologie, car les institutions et les avatars dont elles portent la trace renvoient à un passé qu'elles aident à comprendre; d'autre part elle rappelle à l'anthropologie politique que ses ambitions ont besoin de l'anthropologie sociale et en apporte une brillante démonstration par son analyse des formes d'alliance constitutives du prestige et du pouvoir. Marguerite Dupire confirmera dans leur opinion aussi bien les anthropologues de la stratégie que ceux qui, tel Maurice Godelier parIent de la « plurifonctionnalité » de la parenté dans cert~es sociétés ; mais elle se veut ethnographe et n'entre pas dans leurs débats; sa tentation serait plutôt le culturalisme, le désir de faire apparaître sous la diversité des institutions certaines permanences, une identité de la société peule, de sa « cul· ture », que caractériseraient l'individualisme et l'horreur de la mort. Marguerite Dupire suggère dans son introduction que la forme impersonnelle de son ouvrage lui est imposée, tout autant que par les règles du genre, par le désir de ne pas trahir la réserve que les Peul lui ont ap· pris à respecter. Ainsi la rigueur un peu hautaine de son œuvre serait tout à la fois un témoignage dp. fidé. lité et l'expression métaphorique d'une culture de la pudeur. Marc Augé

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Camille Lacoste-Dujardin

Le conte kabyle

I

Etude ethnologique Coll. Domaine maghrébin François .Maspero éd., 534 p.

Par son caractère éminemment pédagogique et ses vertus récréatives, le conte occupe dans les littératures orales une place privilégiée. Longtemps délaissé par les ethnologues, le conte vient d'accéder à la dignité de «document ethnologique ", selon la fonnule de Mme Camille Lacoste - Dujardin qui a .consacré sa thèse de doctorat au «Conte kabyle •.

L'intimité du groupe Pour Mme Lacoste-Dujardin, «il s'agissait d'expérimenter une démarche ethnologique inhabituelle: appréhender une société à travers son expression culturelle, et plus précisément, ses contes oraux ". L'argument principal de l'auteur est que le conte, œuvre collective, fixe et permanente, permet au chercheur de «pénétrer dans l'intimité même du groupe" donc, de l'appréhender «de l'intérieur ", sans «courir le risque d'une assimilation et sans perdre le bénéfice de sa propre extériorité ". L'auteur, que des "circonstances" de la guerre d'Algérie ont empêchée de se rendre sur le terrain, a réuni 99 textes de contes kabyles en 'langue originelle, recueillis .au siècle dernier par divers chercheurs. Elle a ensuite procédé à une analyse dont la méthode tient à la fois de celle des folkloristes - typologie - et de celle des structuralistes - valeur sémantique du conte. Cette approche méthodologique et analytique rigoureuse débouche sur une explicitation du contenu des contes. Mme C. Lacoste dresse une sorte d'encyclopédie du monde kabyle, encyclopédie à cinq entrées: le cadre (espace-temps), le monde masculin (l'apprenti producteur, l'adulte, etc.), le monde féminin (la maison, fonctions nourricières, etc.), magie et religion (le surnaturel, Islam),les relations (homme-femme, famille, etc.). Ce vaste tableau du monde kabyle correspond parfaitement à l'image que les auteurs européens ont pu donner de la Kabylie... au siècle dernier. «

Affaire de femmes»?

Ce décalage temporel est certainement dû au fait que le conte, dans la mesure où il peut refléter les structures de la société qui l'a créé, présente en dernière analyse des caractères diachroniques indis-

cutables. Figés par l'écriture, les contes recueillis par Mouliéras, Frobénius, Hanoteau, etc., vers les années 1880, sont caractéristiques de la société kabyle de cette époque. Tant et si bien que le lecteur kabyle ne peut s'empêcher de sourire à la lecture de l'ouvrage de Mme Lacoste, qui n'est pas sans rappeler une certaine littérature fabriquée dans les «bureaux arabes ». Certaines affirmations de l'auteur ne nous semblent pas correspondre à la réalité. Ainsi, quand Mme Lacoste écrit - à la suite de H. Basset - qu'en Kabylie, 'le conte "est affaire de femmes ", rien ne nous paraît plus discutable. Si tel était le cas, comment expliquer alors les emprunts à des littératures étrangères, arabe en particulier, quand les auteurs supposés des contes les .femmes - ne sont jamais et n'ont jamais été en contact avec l'étranger? En vérité, l'empreinte des hommes dans la création des contes est plus importante qu'on pourrait le croire. Tous les contes que Mme Lacoste qualifie " d'orientaux" ont été plus ou moins importés et «kabylisés» par les travailleurs émigrés kabyles. Il est de notoriété publique en Kabylie que les contes moraux ou à caractère religieux - les plus valorisants pour le récitant - sont encore récités par des hommes.

Un cours d'élocution D'aut're part, Mme Lacoste affirme que le style des contes est très simple, pour ne pas dire simpliste, parce que destinés à un public enfantin. Rien n'est plus inexact. Le style du conte est, au contraire, extrêmement élaboré, complexe malgré une apparente simplicité. C'est le style « littéraire. par excellence. Pourquoi? Il faut savoir que le conte constitue en fait un véritable cours d'élocution pour les jeunes Kabyles destinés à siéger un jour à l'assemblée du village (tajemat). Ce n'est pas par hasard que toutes les reparties stéréotypées, très appréciées dans les débats de la tajemat, sont présentes dans les contes. La meilleure garantie pour un Kabyle de passer aux yeux de ses concitoyens pour un homme lettré, en pleine possession de la langue et de la culture, a toujours été et reste le recours, lors des débats, à des citations, jeux de mots, vers extraits de contes ou de poèmes. Pratique encore plus répandue dan s les civilisations «écrites ". Ouvrage agréable à lire et sans doute le résultat d'un sympathique effort de compréhension de notre société berbère.

A.-H. Nait-Iratene

Claude Mauriac

1

Un autre de Gaulle Journal 1944-1954 Hachette éd., 408 p.

Claude Mauriac a assuré la direc· tion du secrétariat particulier du général de Gaulle dès la libération de Paris, en août 1944, jusqu'à octobre 1948; il a dirigé ensuite l'excellente revue Liberté de l'Esprit qui était liée au R.P.F. mais qui comptait surtout à son sommaire les noms de Raymond Aron, Roger Caillois, KM. Cioran, ou Francis Ponge. Pendant toute cette période, il a tenu son journal et il vient de le publier. C'est un document très précieux et passionnant parce qu'il révèle la face cachée de la légende, celle que, précisément, on déplorait ne jamais entrevoir dans les Mé-

mOlres. La petite histoire y trouve naturellement une mine d'informations. Par exemple, on voit le Général essayer en 1946 sur son interlocuteur la formule de Churchill qu'il utilisera vingt ans plus tard pour éluder une question embarrassante de Philippe Viannay sur l'affaire Ben Barka, lors de sa conférence de presse du 21 février 1966 : « C'est le fait de mon inexpérience... Malraux y fait déjà tourner ses disques ; la grande faihlesse du Général, répète-t-il, est de « n'avoir

jamais pris un repas avec un ouvrier », et il place, en 1953 la comparaison avec Philopoemen, le der· nier des Grecs, qu'il. reprendra une dizaine d'années plus tard. Evoquant la répudiation des lois consti· tutionnelles de la Troisième, Claude Mauriac évoque en juillet 1945 les Cl sourires des initiés» et cite comme tels Palewski et Pompidou. Déjà... Ce n'est pas le côté le moins saisissant du livre que la découverte de cette petite société, « l'entourage », avec ses rites et ses mythes que l'on retrouvera transfigurés par le pouvoir. L'énigme du gaullisme s'y dégage de ses prestiges,. laïcisée pourrait-on dire par les notations quotidiennes du Journal, éclairée aussi et padois de manière inatten· due comme dans le parallèle esquissé par Malraux entre le général de Gaulle et... André Breton! S'il est un mythe qui ne résiste pas à cette lecture, c'est sans nul doute celui de l'infaillihilité gaul. lienne. Il a subi tout dernièrement un rude démenti· concernant la der· nière décennie, à propos de la vision de l'inévitable indépendance


Un De Gaulle DlOinS connu de l'Algérie qui se serait imposée au Général dès son retour au pouvoir en 1958 : M. Pompidou s'est chargé, dans sa conférence de presse du 22 janvier, de préciser que la «grande révolution» n'avait eu lieu qu'en 1961 (1). Mais avant le retour au pouvoir ? De la Libération à l'échec du R.P.F., Claude Mauriac nous montre avec une admiration sans cesse renouvelée, mais inquiète parfois, ce qu'il appelle « la naïveté sublime du génie ». Les confirmations de ce que l'on savait plus ou moins y apparaissent neuves par le ton singulier que le talent de l'auteur a su saisir et qu'il restitue après plus de vingt ans : l'hostilité à l'égard des « Anglo-Saxons» par exemple, le « mépris de fer» pour les hommes et les partis, étaient connus, mais

désert en avait été la condition. Le rèdressement de la France était alors conçu à l'image des dommages de guerre, c'est-à-dire comme une reconstruction à l'identique. Il fanait retrouver l'intégralité des positions d'avant 1940 et, singulièrement, des positions impériales. Pas un instant la reconquête de l'Indochine, qui commenÇait pourtant à inquiéter, ne fait question pour le général de Gaulle; au contraire, les « partis » se voient reprocher leurs velléités d'entente avec Ho Chi Minh. De quel côté était alors la lucidité ? Et ne parlons pas d'une politique allemande qui était déjà anachronique ,en 1920. On s'interroge alors : quelle. part fallait-il faire à l'amertume, donc à une certaine mauvaise foi, de celui qui avait conscience d'avoir « man-

JEAN ORIEUX

TALLE

D un best seller EPFLAMMARION

Un document très précieux et passionnant parce qu'il révèle la face cachée de la légende

on les découvre portés à up degré de fureur à peine imaginable; les obsessions historiques nous étaient familières également, mais il est amusant d'apprendre que le Général a expliqué à Paulhan la différence entre légitimité et légalité en recourant à l'exemple d'Isabeau de Bavière... Ces thèmes se trouvent dans les Mémoires, mais drapés et apprêtés ; ici, on les voit naître au jour le jour et s'exprimer spontanément. Il s'y ajoute les erreurs de calcul sur lesquelles le mémorialiste de Colombey avait naturellement glissé et que l'on soupçonnait sans être assurés de leur ampleur exacte. Elles se révèlent monumentales, qu'il s'agisse de la certitude d'être rappelé par la « force des choses » aussitôt après la démission de janvier 1946 ou, plus inquiétante, de la conviction, répétée comme un leitmotiv, de la guerre inévitable. Le mystère gaullien, défini comme le contraste entre la profondeur des intuitions sur le monde et l'archaïsme obstiné des représentations, se dissout dans les propos rapportés par le Journal de Claude Mauriac. Il est bien difficile de discerner au milieu de ce ressentiment généralisé la lucidité qui a fasciné tant d'esprits par la suite, comme si l'accablement de la traversée du

qué le train», et quelle part aux convictions profondes? Le général de Gaulle juge les Français « décourageants» et s'écrie le 2 avril 1946 : « Après le désastre que la France a subi, je ramène les Gaulois sur le Rhin et je les y réinstalle. Vous croyez qu'un seul Français songe à s'en étonner .et à s'en réjouir? Pas du tout... Et à peine aije le dos tourné que le gouvernement français abandonne le Rhin, l'Indochine et la Svrïe...» Mais dans un moment de 'dépression, le 2 février 1947, il explique qu'il « ne dépend du pouvoir d'aucun homme de relever la France alors que les moyens de ce relèvement ( ...) lui sont refusés. Seulement moi, ajoute-t-il, j'amusais les Français avec des drapeaux. Je les amusais avec le Rhin. Bref je leur faisais oublier leur misère». Etait-ce les Français qu'il « amusait », ou luimême? La politique de grandeur étaitelle donc un divertissement dont la vanité était consciemment perçue, ou une obsession sincère poursuivie pour elle-même? Sans doute l'un et l'autre à la fois; la contradiction en était surmontée par une rhétorique de l'identification dont on a pris l'habitude depuis, mais dont l'expression spontanée cause parfois un choc : « Je suis toujours la

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

Sigmund Freud

MALAISE DANS LA CIVILISATION Georges DumézU

DU MYTHE AU ROMAN Gilles Deleuze

PROUST ET LES SIGNES Clément Ro88et

LOGIOUE DU PIRE

~ La Qnlnzaine Uttéralre, du 16 au 28 février 1971

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~ De Gaulle

France!» s'exclame-t-il en août 1948. Ce sont les incertitudes, les nostalgies et les frustrations de la France elle-même, telle qu'il se la représente, que vit le général de Gaulle personnellement. De là naît ce sentiment d'étrangeté qu'il suscite chez ses interlocutebrs. Après un entretien, François Mauriac confie en février 1945 à son fils :

«J'ai eu l'impression désagréable d'être enfermé pendant une demi· heure avec un cormoran... et qui parlait cormoran... » Cette identification glorieuse et malheureuse qui est née à Londres (Georges Boris (2) parlait à ce propos de « complexe de Back Street » pour qualifier le besoin d'une légitimité personnelle si longtemps contestée par les Alliés), apparaît cristallisée dès cette époque et désormais immuable. Elle est probablement à la base de certains caractè· res curieux du style gaullien qui procède si volontiers de la tautologie (l'Algérie algérienne, l'Europe européenne...) et s'appuie sur des antithèses poussées à leur degré extrême ; le discours gaulliste (et plus seulement gaullien car il atteint à une espèce d'idéologie)' s'organise alors autour d'oppositions catégoriques en~ l~ hien et le mal : le chef en qUI s mcarne la France et les partis qui la divisent, l'indépendance et l'abandon, la démocratie « directe» qui rassemble et la démocratie représentative qui disperse, ou encore la Politique (noble) et la politique (sordide). Il est fascinant de découvrir grâceà Claude Mauriac à quel point le dedans et le dehors du personnage coïncident et comment, dès la Libération, il habite sa statue. L'admiration qu'il inspire à son interlocuteur confère au témoignage de celui-ci un ton de fidélité éloquente qui ne peut laisser le lecteur insensible, et d'autant moins qu'il n'obscurcit pas le discernement. Il admire mais il voit : « De Gaulle,

, comme disait Jean Cocteau à proPos de Hugo, c'est un peu le général de Gaulle qui se prend pour le général de Gaulle ». Pierre Avril général de Gaulle avait alors estimé que les solutions qu'on avait envisagées, qu'il avait envisagées pOlir l'Algérie, d'autonomie interne ou de système fédéral ou confédéral n'avaient pas de chances de réussir.. » et qu'il fallait donc négocier. L'affirmation dément celle des Mémoires d'espoir. (2) Dans sa lettre à Léon Blum du 22 juin 1942, reproduite dans Servir la République, Julliard, 1963, p. 301. '(1) Le

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Le jeu des pétroliers André Nouschi

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Les lunes pétrolières au Proche-Orient Flammarion éd., 144 p. Denis Bauchard

1

Le jeu mondial des pétroliers Le Seuil éd., 144 p.

L'œuvre d'André Nouschi constitue un travail considérable de recherche historique. L'auteur se réfère notamment à de très nombreux documents des chancelleries européennes ou d'Etats du Moyen-Orient depuis la dernière décade du XIXe siècle jusqu'aux années 1930; il les a passés consciencieusement au crible d'une critique objective, se refusant obstinément à tomber, comme tant d'autres, dans la solution de facilité qui consiste à attribuer aux secrètes et retorses manœuvres des Sociétés pétrolières tous les événements politiques 'Ile quelque importance qui ont secoué le Proche-Orient depuis trois quarts de siècle.

Une recherche de l'événement C'est précisément cette recherche obstinée de l'événement véridique qui nuit à l'intérêt, pour le lecteur moyen, de l'ouvrage de M. Nouschi. Elle conduit en eUet à deux insuffisances regrettables : d'une part à un très net déséquilibre entre la période allant jusqu'en 1948 qui couvre 70 pages contre 5 seulement à l'histoire des vingt dernières années, pourtant fertiles, elles aussi, en événements; on peut notamment s'étonner que la création de l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole en 1960 ne soit même pas mentionnée, alors que cet organisme joue maintenant un rôle majeur sur la scène du MoyenOrient. D'autre part, on peut regretter une absence presque totale des données économiques du problème, en matière de prix de revient et de partage des profits entre autres, absence qui nuit à une bonne compréhension de certaines décisions politiques. La méthode adoptée par M. Denis Bauchard est tout autre : dans la ligne de nombreux ouvrages de la jeune collection « Société », il présente, sous un titre sans prétention, une analyse précise et très pertinente du jeu des forces en présence

Une phase du raffinage

sur l'échiquier pétrolier mondial.

Grâce à la clarté de l'exposé et à sa progression didactique, on découvre avec un intérêt croissant les nombreuses séquences d'un « jeu » complexe. Après un rapide historique qui couvre un siècle d'histoire pétrolière moderne, puis une présentation de la géographie contemporaine de la production, de la consommation et des transports, nous arrivons à un des chapitres les plus intéressants intitulé «les joueurs JI, qui constitue en fait un résumé des données essentielles de l'économie pétrolière : le pétrole y est heureusement présenté en quelques pages comme une industrie lourde, aléatoire, concentrée et internationale. Une observation cependant : le jeu du pétrole n'est aléatoire que pour les petites entreprises; il est avantageux pour les grosses (contrai.rement à d'autres loteries où plus on prend de billets, plus les chances de perdre augmentent).

Les « règles du jeu D Le chapitre suivant, sous le titre «Règles du jeu », traite des rapports entre Etats producteurs et Sociétés exploitantes ; il montre comment en moins d'une vingtaine d'années, les rapports sont passés d'une situation coloniale à une situation où le dialogue est jugé inévitable par chacun des partenaires et où, grâce en grande partie à l'action cohérente menée par l'Organisation des Pays Exportateurs de Pé-

trole, les Sociétés productrices ne conservent que moins d'un tiers des profits. Les étapes de cette évolution sont présentées avec clarté et les mécanismes fort complexes de fixation des prix et de partage des profits sont analysés avec précision; ceepndant, le fondement économique de l'évolution n'est pas mis suffisamment en évidence : le profit au stade de la production peut en effet être décomposé en deux éléments, une rente minière qui appartient normalement à l'Etat concédant, et une marge de commercialisation qui revient logiquement à la Société qui possède les débouchés (1). L'auteur analyse ensuite avec pertinence l'attitude de deux Etats consommateurs : les Etats-Unis qui mènent une politique à la fois protectionniste et malthusienne, et la France qui après avoir conduit une politique de présence au MoyenOrient, puis de recherche de pétrolefranc danS ses dépendances Outremer, semble adopter maintenant une politique « tous azimuts» qu'elle s'efforce de faire cautionner par ses partenaires européens. Enfin, M. Denis Bauchard fait un certain nombre de précÏ!lions sur l'évolution dans les années à venir. Elles nous paraissent avoir de fortes chances de se réaliser en ce qui concerne par e~emple les perspectives limitées sur le marché international des Sociétés nationales formées par les Etats producteurs et la place prééminente que continueront à occuper les grandes Sociétés internationales, sans doute plus nombreuses qu'aujourd'hui. Par contre, il nous semble que l'auteur sousestime la capacité de l'O.P.E.C. à surmonter ses difficultés et à demeurer un partenaire majeur sur la scène mondiale et que, contrairement à son opinion, on assiste peutêtre maintenant à· un retournement durable de la tendance du marché après la forte dépression des quinze dernières années. Mais il ne s'agit là que de pronostics que les faits seuls pourront confirmer ou démentir. En tout état de cause, l'ouvrage de M. Bauchard deviendra vraisemblablement dans la littérature pétrolière française le classique que l'on attendait.

Daniel Durand (1) Sur ce point, voir notamment les conclusions de la troisième édition de la Politique pétrolière internationale, par Daniel Durand (édition c Que sais-je JO).


James ou pas la premlere OpiniOn, devant James ou pas, est une impression de fragilité. La fluidité très grande d'un récit auquel ni les héros ni l'auteur ne prennent, semble-t-il, intérêt, paraît s'y être alliée au mépris des lieux et, non contente de refuser les ancrages solides et rassurants de la prospection psychologique ou morale, s'adonner aux vices de l'incertitude, de l'esquive et du déconcertant. Entre ses pairs du jeune cinéma suisse, Michel Soutter s'est, après quatre films, réservé la place la moins confortable, parce que la moins facile à repérer et la plus dédaigneuse de l'architectonique. Son territoire est rebelle à l'aménagement. James ou pas est un film sur les rencontres et leurs incertitudes. Les objectivités du hasard y annulent, ou favorisent, méprisent dans tous les cas, des plans et des projets eux-mêmes assez peu convaincus. Le chauffeur de taxi Hector se rend dans un village ou James l'a, encore que l'invite ne soit pas tout à fait établie, convoqué. Ensemble ils s'en vont chercher Eva à l'aérodrome, après que l'automédon ait fixé à sa femme et à un ami un rendez-vous où il ne viendra pas. Hector et Eva s'aiment. James est tué. Eva apprend qu'il l'adorait en silence. Hector et Eva se quittent. Au-delà de ces quelques repères rien d'assuré, et surtout pas la chronologie. En arrivant auprès du village de James, au début du film, Hector entend un coup de feu et voit une silhouette courir dans un champ, entre deux bouquets d'arbres. Il devra, au dénouement, supposer qu'il a croisé sa propre temporalité, perçu les ombres et les échos d'un assassinat, ou d'un accident, qui ne devait survenir que le lendemain. La connaissance réciproque des protagonistes n'est pas mieux lestée d'évidence. Lorsque Hector assure à Eva qu'il a jadis connu James, la sincérité ou l'affabulation sont également problématiques. Elle-même assure tout aussi gratuitement qu'elle venait, à chaque fin de semaine voir James avec le seul souci de lui tenir compagnie, ignorant, ou voulant méconnaître tout ce qu'il pouvait ressentir à son égard. Nul ne peut, ou ne sait, affirmer sur quiconque la moindre vérité. Les surprises et les réversibilités du temps, la conjecture permanente des réunions et jusqu'à l'hypothèse dont se masquent les héros eux-mêmes, obstinément, dé-

pouillent l'espace de toute consistance. Michel Soutter ressent pour les clichés touristiques du paysage suisse le même dégoût que ses compatriotes Tanner, Roy, Reusser ou Goretta. Comme eux, il préfère aux montagnes, aux glaciers, aux forêts et aux alpages les collines et les brumes de la campagne genevoise, où la mollesse des contours tremble dans un halo de vapeur froide. Mais il va plus loin encore, et s'acharne à détacher ses héros et leurs aventures de leur cadre, même réduit à la banalité la plus ordinaire. Hector, James ou Eva sont de perpétuels dépaysés. Ils ne manifestent pas, par rapport aux convenances esthétiques de leur paysage national, un simple mépris des clichés mais une indifférence complète. Ils ne regardent plus. C'est à peine si l'on devine derrière eux un reflet d'eau et si quelques mouettes égarées traversent le cadre de l'écran. Le mouvement luimême est ralenti, attristé. Les autoroutes ne s'y avalent plus dans la fièvre traditionnelle d'un jazz plus ou moins moderne. On y glisse avec, en contrepoint feutré, la douceur mélancolique de quelques notes de piano. Les trains, vus à travers une fenêtre, ne sillonnent plus en flèche la campagne mais semblent sur le point de s'y arrêter, englués. Michel Soutter prend à l'inverse les procédés les mieux reçus d'un cinéma qui se veut d'aujourd'hui. Il ne casse pas le temps et ne brise pas l'espace mais les amollit, les dissout et les vaporise, pour mieux les mêler à la substance intime d'une brume hivernale. Soutter ne se contente pas de refuser la beauté de son décor, il en détruit la possibilité même. Sa mise en scène aussi procède au rebours de la coutume. Alors qu'il s'agit encore, même chez les plus révolutionnaires, de situer, de réunir ou d'affronter, il déplace, disperse et évite. L'importance accordée aux événements, soigneusement gommée, en bouleverse la hiérarchie. Cette subversion commence avec les phrases et les mots du dialogue. Leur accentuation ne tient aucun compte des valeurs normalement attribuées aux péripéties. Plus encore, ce qu'elle prendre à contre-pied, ce n'est pas à proprement parler la lettre de la prédication mais bien plutôt l'habitude qui l'étaye. la diction de James ou pas est strictement imprévisible; il est impossible de savoir quelle phrase imposera le cri,

le murmure ou la modulation. Il arrivera que la voix monte pour dire des banalités, et que les meurtres et l'amour soient annoncés de la . façon la plus neutre, mais il surviendra aussi que l'inverse puisse se produire et que l'accent soit placé là où il était attendu. Il n'est aucunement question de remplacer une théâtralité par son contraire mais d'en abolir le fondement et la possibilité. James ou pas conduit à leur aboutissement nécessaire les tentatives, moins réussies, des films précédents où l'on sentait une volonté opiniâtre de ne pas succomber aux tentations du langage. Lorsqu'il arrive aujourd'hui à Soutter de ne plus suivre ses personnages, ou bien de les figer, ce n'est plus tellement pour créer une attente ou bien pour provoquer chez les spectateurs les angoisses du vide et de l'immobilité. C'est plus simplement, et plus machiavéliquement peut-être, pour établir et accentuer la fragilité des événements, pour transformer le fortuit en institution. Michel Soutter, cependant, a garde de s'en tenir au goût maniaque de la destruction pure, au démontage linguistique fignolé selon les dictats de la toute dernière mode. Son refus des apparences et des lois n'est pas le produit d'une systématisation banale mais une forme efficace de pudeur. En bouleversant l'ordre des importances et, du

même coup, en mettant à nu l'usure d'une habitude dramatique, il cherche à découvrir et à maintenir, périlleusement, un équilibre nouveau des rapports et des sentiments. Car ce film qui semble, à chaque plan, refuser le pathétique est aussi un film où le spectacle se trouve constamment renvoyé aux règles et aux conditions les plus concrètes de son fonctionnement et, du même mouvement,. magnifié. Aussi sûrement que la routine il refuse les illusions de la spontanéité. Hector, à deux reprises, avant le générique et dans le cours du film, tandis qu'il accompagne James pour le conduire au terrain d'aviation, prononce deux plaidoyers euphoriques, exaltant successivement le T.N.P. et un match de football. Dans l'un et l'autre cas il décrit surtout les prémices, l'entrée à Chaillot ou les passes d'échauffement auxquelles se livrent les joueurs lorsqu'ils pénètrent sur le terrain. Ces préliminaires suffisent pour qu'il puisse redire son obsession, sa hantise de la lucarne, cette proposition que le spectacle est à la fois ouverture sur une réalité et limites, non pas le laboratoire d'un démiurge au rabais mais un poste de vigie où il est possible d'assister à l'éclosion de l'événement ou des sentiments. Cette mise en scène tire sa force de sa propre contradiction. Elle refuse de se soumettre aux ornières de l'habitude pour mieux vouer sa disponibilité toute neuve et ses efforts aux éclatements les plus brutaux et les plus soudains. Malgré ses apparences de mollesse et d'évanescence, il est peu de cinéma aussi inatériel et aussi violent que le cinéma de James ou pas. Les objets y méprisent les bienséances de la présentation esthétique mais n'en pèsent pas moins de tout leur poids et de toute leur étrangeté, comme ces morceaux de sucre qu'entasse Hector, au cours d'une longue pause, en une pyramide maladroite. Les lieux ne se perdent dans le brouillard que pour mieux surgir par les déchirures de la vapeur, comme cet admirable plan d'oiseaux et de fûts où s'avance Eva. Les sentiments enfin, secrets et étouffés, scintillent t<>-ut à coup en cristallisations soudaines. Hector refuse les règles du monde ouaté où il vit. Il aime la douce et fragile Eva avec une détermination presque brutale. Il n'hésite pas, aussi, à briser pathétiquement son amour lorsque le poids d'un passé

~ La Qlllhm"ne Uttéralre, du 16 au 28 février 1971

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ENTRETIEN

En URSS

~ James ou pas

trop proche risque d'en fausser le sens. Que tout se passe sans grandiloquence ni réserve feinte est un argument de plus en faveur de la qualité la plus profonde du film, sa mesure. C'est aussi la condition de san âpreté. Derrière le tempo lent et uni de ses apparences, James ou pas est un film déchirant. Sa modernité vient de ce que, dans le même temps qu'il affirme ce déchirement, il en méprise les lois, les raisons, les modes et les conséquences. Le tragique de la passion d'Eva et d'Hector est de n'avoir, dramatiquement, aucun poids ou plutôt, ce qui revient au même, d'avoir le même poids qu'une passade décrite parallèlement. Eva regarde l'homme qu'elle aime, le corps de l'homme qui l'a aimée et des oiseaux en cage avec un même détachement apparent, un même sourire. Mais il faut savoir que cette indifférence est la rançon de la sensibilité, que cette sensibilité ne peut retrouver son poids qu'en refusant les hiérarchies de l'analyse et, du même coup, les règles d'une société figée, de même que, pour voir les choses, il faut savoir détourner son regard du ciel gris des idées mortes. Entre le camp des âmes et des figures et le camp des personnes et des choses, Michel Soutter a choisi le second, le seul où il soit possible de retrouver la matière et la vie. Louis Seguin Comme nombre de cinémas marginaux ou frontaliers, le jeune cinéma canadien provoque des réactions passionnées et passionnelles, qui ont les vertus de leur fièvre mais pâtissent aussi d'une généralisation hâtive et dogmatique. Une bonne occasion de faire un détail critique est offerte par l'Office National du Film Canadien qui, du 10 février au 2 mars projette au Studio Marigny une dizaine de films. On y verra que l'essayiste Pierre Perrault (Les Voitures d'eau, Un pays sans bon sens) et le chroniqueur Jean-Pierre Lefebvre (Jus· qu'au cœur, Mon amie Pierrette) sont gens de cœurs, de goût et d'esprit, qùe Gilles Groulx, Don Owen ou Marcel Carrière ont des talents .plus inégaux ou plus discutables et que d'autres enfin, ou bien sont à découvrir, ou bien sont négligeables.

L. S.

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Le «cas Rostropovitch.; l'organisation de la vie musicale moscovite au niveau des responsables et des débou~ chés ; la jeune musique russe, ses rapports avec la musique officielle et avec l'avant-garde internationale : tels sont les principaux thèmes d'une interview que la Ouinzaine Littéraire diffuse aujourd'hui et à l'issue de laquelle notre interlocuteur a jugé préférable de garder l'anonymat. Disons qu'il s'agit là d'une expérience directe dont l'authenticité et la représentativité ne sauraient, à notre avis, être mises en doute, pas plus d'ailleurs que son caractère passionnel : s'il confirme sur quelques points des mœurs politiques et des «traits de culture • qui ne sont désormais plus un secret pour personne, ce témoignage jette sur certains faits un éclairage assez nouveau pour mériter notre attention.

Sous le prétexte d'un remaniement du calendrier de tournées des artistes russes internationaux, le bureau Goss-concert de Moscou a rendu publique une décision des organes officiels dont il dépend : Rostropovitch ne serait pas autorisé à créer à Paris, comme prévu en janvier, le concerto de Dutilleux et une sonate d'Ohana. Cette - mise au piquet. d'un interprète si populaire en France a-t-elle été ressentie à Moscou comme un avertissement, comme le début d'une série de mesures ou n'a-t-elle été imputée qu'aux actes et à la personnalité de Rostropovitch? X. - C'est Rostropovitch personnellement qu'on a voulu punir mais sa carrière n'en souffrira pas. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un cas généralisable étant donné que très peu nombreux sont ceux qui, comme lui, auraient pu prendre position pour Soljenitsyne : peut-être Richter; à la rigueur Kogan. De toute façon, Rostropovitch se moque de tout cela. On sait que Rostropovitch avait auparavant fait paraître dans la presse une lettre ouverte où il dénonçait de façon virulente la méthode qui consiste, dans son pays,

à museler les gens de talent. Comment cette prise de position a-t-elle été accueillie par l' -intelligentsia. moscovite? X. Professeur en vue, aux Conservatoires de Léningrad et de Moscou, Rostropovitch n'avait j . mais dans le passé, à l'occasion de procès retentissants, pris des positions qui auraient pu mettre en cause sa place officielle. Sa réac> tion a donc surpris tout le monde. Sa femme, Galina Vichnevkaia venait de se voir interdire une tournée au cours de laquelle elle devait interpréter un cycle de mélodies : peut-être Rostropovitch .t-i1 • pris la mouche. et, enflé sa prise de position personnelle à la mesure d'un scandale international. Sa • lettre ouverte. commence en effet par mentionner Soljenitsyne mais se termine sur le nom de sa femme. Son - interdiction. peut-elle être définitive? X. Rostropovitch est trop connu à l'étranger pour que le g0uvernement puisse se permettre· de le punir très longtemps : cela va peut-être durer six mois, un an au maximum. L'interdire définitivement serait d'ailleurs, pour le g0uvernement auquel il procure des devises, une très mauvaise opé,. tion financière et une mauvaise propagande. Dans sa lettre ouverte, Rostropovitch a émis des jugements sur la liberté artistique dans son pays et stigmatisé, en particulier, • les personnes absolument incompétentes auxquelles, qu'il s'agisse de littérature ou d'art, appartient toujours le dernier mot •. Qui visait-il, à votre avis? X. - Il existe en U.R.S.S. une commission culturelle qui décide qui envoyer à l'étranger et qui se compose d'anciens musiciens et de personnes qui n'ont rien à voir avec la musique. Les uns jugent du talent de l'interprète, les autres de sa valeur morale. Si bien qu'il existe d'excellents musiciens qui n'ont pas la moindre chance de venir en Occident. Ceux que l'on autorise à venir sont ceux qui sont bien en cour ou qui passent pour être calmes. Chacun fait l'objet d'une fiche, établie par le parti et par les syndicats, indiquant ses fré-

quentations, son niveau de moralité et supputant ses réactions à l'étranger : les risques qu'il veuille y rester, la possibilité d'une conduite déshonorante, etc. Comment s'y prennent les jeunes interprètes, sortis du Conservatoire, pour s'engager dans une carrière de soliste international? X. - Un peu comme partout: ils donnent des soirées et cherchent à se faire envoyer à l'étranger pour y disputer des concours internationaux. S'ils y remportent des résultats brillants, on leur accorde, toujours en fonction de leur moralité, la possibilité de tournées à l'étranger. Et pour se faire connaître seulement en U.R.S.S.?

X. - Là aussi, il faut être bien noté. Richter, par exemple, qui est sorti du Conservatoire juste après la guerre, a attendu vingt ans pour obtenir une parcelle de gloire, simplement parce qu'au Conservatoire, parmi les matières obligatoires, figure une épreuve sur l'histoire du parti communiste dont il s'est désintéressé. Il a participé brillamment à un concours intérieur mais a attendu vingt ans pour se produire à l'étranger. Autre exemple: Anatole Vedemikov, un pianiste inconnu en France et connu seulement en Russie par des disques d'excellente qualité vient, à l'âge de Richter, de donner son premier concert en Bulgarie. Et la Bulgarie n'est pas vraiment un pays étranger. Ceci non pour ses opinions négatives - il n'en a pas - mais pour une absence d'opinions positives. Il se moque de la politique et il ne faut pas s'en moquer. Les autres, les plus connus, s'ils n'ont pas d'opinion, font semblant d'en avoir. Passons aux auteurs : quel genre de contraintes pèsent sur eux et celles-ci se situent-elles toutes au niveau de la création? X. - Le critère moral a, dans le cas des compositeurs, beaucoup moins d'importance. Ce qu'il faut, c'est devenir officiel ; et pour cela il faut écrire de la musique grise, banale et il faut entrer à l'Union des Compositeurs. A partir du moment où on y est entré, on peut se permettre quelques libertés. Mais il faut y entrer.


une musique parallèle Le terme de compositeur «officiel.. et «non officiel.. est d'ailleurs inexact puisque la plupart d'entre eux, y compris ceux qui formeront ensuite l' «avant-garde .., se forcent pendant un temps à écrire de la musique plate pour entrer à l'Union des Compositeurs et avoir une chance de voir leurs œuvres diffusées. Sans bénéficier d'une aide officielle considérable, même les membres de l'Union des Compositeurs qui ne se trouvent pas cc dans la ligne .. peuvent donc, en principe, être interprétés à l'étranger. la création • de pointe. se faitelle en vase clos ou se maintient· elle au courant de la vie musicale internationale? Par quels moyens concrets y parvient-elle, dans ce cas?

X. - Les jeunes auteurs, comme d'ailleurs certains interprètes, sont généralement au fait de toutes les nouveautés étrangères. On peut même dire qu'ils n'en ignorent rien grâce aux partitions, aux disques et aux bandes enregistrées qu'ils se procurent. Ils possèdent tous un magnétophone et se passent de l'un à l'autre des bandes repiquées de façon souvent presque inaudible. Les disques au marché noir sont très rares et coûtent extrêmement cher, cinq fois leur valeur environ. Un service de location de dis· ques s'est donc organisé chez les particuliers, selon un certain tarif comme pour les bandes. De quels lieux ces compositeurs disposent-ils pour se faire entendre et quel genre de public touchent· ils? X. - Il existe des concerts de musique contemporaine dont la seule différence avec les grands concerts officiels est qu'ils ne disposent d'aucune publicité dans les organes de presse ni de moyens d'affichage et qu'ils se donnent dans de petites salles. Sans toucher le grand public, essentiellement en raison du manque de propagande et du petit nombre de places disponibles, ces concerts ne lui sont pas interdits. Plus généralement, il existe deux sortes de manifestations musicales à Moscou : les concerts de masse, du genre de ceux de la Salle Pleyel mais qui, grâce à leur prix modique, touchent un public beaucoup plus humble; et puis des concerts auxquels n'as-

sistent que des gens liés à certai· nes salles pour des raisons professionnelles. Ils ont lieu dans des clubs d'artistes, d'intellectuels, aux différentes sections de l'Académie des Sciences, etc. et sont ouverts à la musique moderne. Plus libéraux et plus jeunes, les concerts donnés à l'Académie Gnéssine - l'équivalent de votre Ecole Normale de Musique - touchent une majorité d'étudiants. Pouvez-vous nous citer quelquesuns des auteurs contemporains dont vous pensez qu'ils aient un avenir? X. - Rabinovitch, jeune, brillant, inspiré, qui use de techniques aléatoires; Karetnikov, plus âgé, d'une facture plus stricte, postwebernienne; Sousline, Schnitke, Denissov, Volkonski... Il y en a bien d'autres encore, mais Sophia Goubai· doulina est celle dont le style paraît le plus généreux et varié, dans des œuvres' parfois électroniques. Où travaille-t-elle dans ce domaine?

~ernier

X. -

Dans l'atelier de musique électronique qui dépend de l'Union des Compositeurs. l'isolement relatif de cette élite volontaire, tient-il à une politique officielle ou à l'incompréhension des masses? X. - Le gouvernement se défie de cette musique parce qu'elle est influencée par l'art occidental et ne correspond pas à un idéal nationaliste. Il voit dans sa promotion le danger qu'elle attire à elle, non pas les masses, mais un public assez important. La marge cultivée de la population est, en effet, plus étendue à Moscou qu'à Paris. Les masses sont sans doute plus gri. ses, informes et analphabètes, mais l' «intelligentsia.. est beaucoup plus nombreuse et intéressante. Ou'avez-vous pensé du festival de musique contemporaine française qui s'est déroulé dans les grandes villes d'U.R.S.S., en novembre dernier? Ouel en fut le succès et l'audience? Peut-on considérer qu'il ait marqué une ouverture ou un progrès dans la vie musicale? X. - Ce festival a bénéficié d'un succès énorme auprès d'un public très mêlé, curieux de savoir ce

La Qulnzalne Littéraire, du 16 au 28 février 1971

Rostropovitch. en famille

qu'il en était de cette musique contemporaine française qu'annonçaient les affiches. Tout le monde pensait que Sancan et Dutilleux, Claude Pascal et Jolivet représen· taient réellement la jeune musique; et tout le monde a été extrêmement déçu. Tout le monde, ou seulement les spécialistes .,

X. - Presque tous ceux qui ont assisté à ces concerts étaient des spécialistes ou des amateurs éclai· rés : il y en a suffisamment à Moscou pour emplir les plus grandes salles. On peut cependant considérer, étant donné la rareté de ce genre de manifestations, que celleci marquait un progrès puisque, s'il ne s'agissait pas de musique d'avant-garde, il s'agissait au moins d'œuvres contemporaines. les auteurs français qui ont par· ticipé à ce festival auraient-ils in· volontairement fait le jeu de la musique • officielle ., donnant par exemple à penser que les choses n'étaient guère différentes chez nous? X. - Le gouvernement français avait eu le mérite de proposer l'exécution, dans le cadre du festival, d'œuvres de Boulez et de Xénakis. Le gouvernement russe les a refu· sées, ce qui a été en effet assez payant pour lui. Il est certain que les orchestres officiels sont incapables d'exécuter ces deux auteurs dont la notation même leur est étrangère, alors qu'il existe, au niveau de l'interpré-

tation, parallèle à l'élite créatrice, une élite d'instrumentistes capables de lire les partitions modernes. Ils se comptent sur les doigts de la main. Il semble, cependant, que ce' retard de l'Interprétation sur les autres pays ne puisse être considéré comme un facteur durable de sclérose dans l'évolution de la vie musicale : étant donné les qualités intrinsèques des Instrumentistes et des orchestres, le fossé doit p0uvoir se combler rapidement. Il existerait donc deux musiques russes, l'une officielle et l'autre • parallèle. ; s'exerce-t-il entre elles une interaction par réajustements successifs et les tolérances officielles ne se multiplient-elles pas à mesure que s'affirment les audaces clandestines? X. - On peut considérer, en ef· fet, que la musique officielle, 5011-. cieuse de ne pas se discréditer aux yeux de l'étranger et du public, avance elle pussi, mais à un rythme très lent et le moins possible. Ouel est, auprès des musiciens et mélomanes russes, le prestige de la France? X. - La France semble d'U.R.S.S. un pays où s'exerce une totale II· berté créatrice. Etant donné le caractère cosmopolite de la musique contemporaine, l'ensemble des pays où peut s'exprimer une musique vivante exerce sur les jeunes compositeurs russes un attrait et une Influence. Pour le prestige, la France vient très loin après l'AI· lemagne et les U.S.A.

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TBI!JlTIlE

Les théâtres populaires décors blancs et cuivre de lannls Kokkos, respire le travail soigné mis généreusement au service de la pièce, en l'occurrence un texte typiquement « français., nous dit-on.

Rien ne va plus dans les Théâtres populaires: on y joue à la roulette russe. Prenant prétexte des perturbations provoquées essentiellement par des étudiants en art dramatique le soir de la présentation à la presse de Tom Paine, comme il y a trois mois lors de la générale de la Moscheta, on tire à boulets rouges sur le T.N.P. et l'on va jusqu'à dire que Guy Rétoré, qui vient de mettre en scène au TEP. les Ennemis, de Gorki, en prendrait la direction, alors que Georges Wilson n'a pas démissionné, et que, par contre, le Théâtre de France est toujours dirigé par un administrateur générai aux attributions limitées. Le directeur d'un autre Théâtre National serait démissionnaire tandis que Roger Planchon, en raison de travaux de réfection dans son Théâtre, tourne avec ses spectacles et que son ancien collaborateur, Jacques Rosner est chargé, au Centre Dramatique du Nord, dont la cohabitation avec le Théâtre Populaire des Flandres s'annonce difficile, d'une action de théâtre professionnel, sans disposer des structures nécessaires. Robert Hossein se verrait confier la Maison de la Culture de Reims dont l'actuel directeur vient pourtant à peine de succéder à son créateur • muté" à Besançon. Georges Vitaly ne semble avoir aucune difficulté à présenter à Paris la Logeuse d'Audiberti, dans son Théâ· tre La Bruyère, tout en dirigeant la Mai~on de la Culture de Nantes (en viendrait-on, désormais, à confier des Théâtres publics à des directeurs du secteur privé qui, pour avoir pratiqué une politique de qualité, connaissent de graves difficultés financières, tel, par exemple, André Barsacq, que le nouveau succès du Théâtre de "Atelier, le Bal des Chiens, de Rémo Forlani, pourrait aider... provisoirement?) Enfin, une Troupe Nationale Perma· nente, celle du Limousin, peut, sem· ble-t-i1, un mois après l'échec parisien de Savonarole, de Michel Suffran, venir jouer, à Paris, au Théâtre Edouard VII, le Train de l'Aube, de Tennessee Williams, alors que le spectacle était annoncé dans le circuit régional pour lequel la troupe a été subventionnée. André Malraux, rêvant de bâtir • les cathédrales du XX' siècle", avait donné un grand essor à l'action de Jeanne Laurent; son successeur, Edmond Michelet, tentant « l'ouverture dans la continuité" et faisant de la Comédie Française • la première Mal· son de la Culture de France" qui, sous l'impulsion de Pierre Dux, entrouvre prudemment ses portes aux nouveaux auteurs, a tenté de colmater les brèches provoquées par les événements de mai 68, et le nouveau ministre des Affaires Culturelles, Jacques Duhamel, se trouve désormais placé devant une situation confuse et pour le moins déconcertante. Pourra-t-il la redresser rapidement? Il paraît urgent de mettre sur pied une véritable politique culturelle nationale, à laquelle l'O.R.T.F. pourrait être associé, à moins que l'on ne veuille tendre peu à peu vers une politique de diffusion, donc de consommation, en Ignorant que la mission des Pouvoirs publics est d'abord de

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« Français ", qu'est-ce à dire? Fautil rappeler que dans Pleins Pouvoirs, Giraudoux lui-même, en une conception pré-gaullienne, distinguait entre • le mot France" et • le mot Français", qui évoque, selon lui, • l'idée de l'improvisation et de la mesure provisoire"! Et, en effet, toute une génération a été fascinée par le théâtre de Giraudoux, confondant, du reste, dans une même estime le romancier et le dramaturge. Conçu dans un moule traditionnel, le théâtre d'idées vieillit mal. Et ce ne sont pas seulement les idées qui vieillissent - le théâtre de Sartre est par excellence un théâtre à éclipses - mais toute une conception de l'art dramatique: que reste-t-il aujourd'hui du théâtre de Camus?

Une scène de

«

Bal des chiens»

susciter et de promouvoir la création sous toutes ses formes et... sans critère de rentabilité commerciale: la culture, qui est le vécu accumulé, est un droit au même titre que l'enseignement. Le moment est venu de faire un bilan lucide et de recenser les équipements, les· hommes et les besoins. Du reste, ce recensement se révé· lerait insuffisant s'il n'était doublé du pouvoir de l'imagination: il faudra repenser les moyens de l'action théâ· traie et inventer, en renouvelant les structures et les rapports, de véritables solutions désaliénantes pour le créateur. Comment continuer à admettre que des metteurs en scène réputés puissent dépendre d'une Commission d'Aide aux Jeunes Animateurs déjà dans l'impossibilité de soutenir efficacement de nouveaux talents? Ce serait, par exemple, le cas de J.-L. Barrault, redevenu metteur en scène indépendant, contraint de reprendre, au Théâtre Récamier, l'Amante Anglaise, de Marguerite Duras, montée par Claude Régy, avec l'admirable Madeleine Renaud? Comment le Théâtre du Soleil, malgré l'aide du Ministère, peut-il continuer à travailler, sans vé· ritable statut sécurisant, alors qu'il vient, avec 1789, repris à la Cartoucherie de Vincennes, de signer l'événement théâtral de l'année? Tout cela ne peut plus faire sérieux: si les torts ne sont pas que d'un côté, Il n'en reste pas moins que la bonne volonté de quelques fonctionnaires portant, discrètement, à bout de bras la décentralisation dans les moments difficiles, ne peut constituer une solution. Si l'on veut aller de l'avant, en alliant liberté de création et gestion, il faudra provoquer une vaste confrontation en nouant le dialogue avec ceux qui font, et qui sont, bons ou mauvais, le théâtre en France: les colloques singuliers ou séparés ne suffisent plus. La Commission du VI' Plan a fait des propositions raisonnables et minimales; elles pourraient efficacement servir de base de discussion à des Etats Généraux du théâtre.

Il est probable que Jean Vilar, le père spirituel de la décentralisation théâtrale d'après-guerre, doit évoquer avec quelque mélancolie le soir où, pour la dernière fois au T.N.P., il jouait, avec quelle ruse et quelle force tranquille, Ulysse dans La Guerre de Troie n'aura pas lieu! Mercure prend avec son dernier spectacle une savoureuse revanche: la presse ne l'avait guère ménagé, et même, elle l'avait parfois très durement attaqué (on a même fait à son propos du poujadisme... de gauche bien sûr!) Donc, l'occasion tentante est là, et une partie de la presse fait amende honorabe : La Guerre de Troie sera un grand succès. Ne chicanons pas trop. Je dirai néanmoins que les comédiens ne sont pas aussi • justes" que l'on veut l'écrire - certains d'entre eux, Francine Bergé, par exemple, sont mal à l'aise - que José-Maria Flotats, excellent pourtant, est un Hector trop tendre dont la jeunesse perturbe les rapports avec Pâris et surtout avec Priam, son père, et qu'enfin, même si les comédiens crient un peu trop, surtout dans la première partie, l'ensemble de la mise en scène de Jean Mercure, dans des

Si Judith· reste une belle tragédie, la Guerre de Troie a moins bien résisté au temps. Et je crois que Vilar avait eu raison de cerner la pièce dans ce qu'elle a de tragique, de plus humain et de moins frivole, en gommant, par exemple, la niaiserie agaçante d'Hélène. Car, c'est finalement le mécanisme stupide de la guerre qui nous est montré. Mais que l'on ne vienne pas, pour autant, parler de la lucidité de Giraudoux! Il avait peut-être • prévu" Munich et la guerre, ce qui ne l'empêchera pas de devenir, selon le mot d'Aragon, • Cassandre à la Propagande" et sur· tout de publier, en 1939, dans Pleins Pouvoirs, quelques pages racistes et antisémites que ne renierait pas un Xavier-Vallat,et dont le moins que l'on puisse dire est, l'erreur étant humaine, et surtout pour les écrivains, qu'elles relevaient plutôt de la méprise. La Guerre de Troie a bien eu lieu, mais pas à Cusset où Giraudoux s'était retiré sous sa tente et achevait la mise au point de Littérature. Entre Littérature et Situations, c'est Sartre, malgré tout, qui est notre contemporain. Lucien Attoun

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Livres publiés du 20 janv. au 5 fév. ROMANS FRANÇAIS

ROMANS ETRANGERS

Jean Cassou Le voisinage des cavernes A. Michel, 432 p., 27 F Par l'auteur des • Harmonies viennoises '.

Tibor Cseres Jours glacés Avant-propos de V. Charaire Trad. du hongrois par A.-M. de Backer, Ph. Haudiquet, G. Kassai Gallimard, 192 p., 18 F Un roman qui met en scène quatre rescapés de l'ancienne armée hongroise alliée aux Allemands, réunis en 1946 dans une cellule de prison.

Guy Rohou Le bateau des îles Gallimard, 208 p., 10 F Des souvenirs d'enfance avec, pour toile de fond, un port de l'Ouest pendant la guerre. Jean Wagner Khamsin Editeurs Français Réunis, 200 p., 17 F Un roman dont le héros, un kibboutzin israélien, s'interroge, au cours d'une nuit de garde, sur les diverses facettes de sa propre identité.

Wim Hornman Le rebelle Trad. du néerlandais par Maddy Buysse Préface d'Y. Courrière Fayard, 368 p., 26 F Une biographie romancée de Camillo Torres, ce prêtre sud-américain qui combattit aux côtés des guérilleros.

Yasunari Kawabata Kyôto Trad. du japonais par Philippe Pons A. Michel, 256 p., 18 F Par le Prix Nobel de Littérature 1968 (voir le n° 99 de la Quinzaine) . Orhan Kemal Sur les terres terttles Trad. du turc par O. Kemal et J. Bastuji Gallimard, 384 p., 28 F Un récit populaire sur un monde qui n'a pas changé depuis le Moyen Age. V. S. Naipaul Un drapeau sur l'île Trad. de l'anglais par Pauline Verdun Gallimard, 240 p., 21 F Un 'recueil de nouvelles ayant pour cadre la Trinité et offrant une peinture humoristique des mœurs d'un milieu d'origine hindoue.

Rabelais Œuvres complètes illustrées en 1873 par Gustave Doré 940 gravures, bandeaux et culs-de-lampe Editions Michel de l'Ormeraie, 1 500 p., 78,40 F Reproduction intégrale de l'édition de 1873.

POESIE Octavio Paz Jacques Roubaud Edoardo Sanguineti Charles Tomlinson Renga Présentation par Claude Roy Gallimard, 104 p., 15 F Un poème né de la rencontre de quatre poètes d'aujourd'hui et d'une vieille tradition littéraire orientale.

Tchékhov Œuvres III Récits (1892·1903) Traduction d'Edouard Parayre Textes revus par Lily Denis Notes de Claude Frioux Bibliothèque de La Pléiade Gallimard, 1 048 p., 55 F

REEDITIONS CLASSIQUES Jean Giono Les grands chemins Coll. • Soleil. Gallimard, 232 p., 28 F

BIOGRAPHIES MEMOIRES CORRESPONDANCE

Philippe Hériat La Bruyère du Cap Les Boussardel 1 29 illustrations Gallimard, 272 p., 39 F

Pierre Bertin Le théâtre et (est) ma vie

Propos recueillis par Robert Tatry Préface de J.-L. Barrault 27 portraits Le Bélier, 260 p., 28,86 F Recueil de souvenirs, galerie de portraits et réflexion sur la • théâtralité. et le méti·er d'acteur. J. F. Chiappe Georges Cadoudal ou la liberté librairie Académique Perrin, 656 p., 33,60 F 16 p. d'i11. h.-t.; Vie et mort de ce comploteur breton dont on va bientôt fêter le bi'centenaire. Valery Larbaud G. Jean-Aubry Correspondance 1920-1935 Introduction et notes de Frida Weissman 1 frontispice Gallimard, 272 p., 25 F Lettres de Valery Larbaud à celui qui fut son ami et biographe.

Une nouvelle forme d'équipement culturel LE COLLÈGE .GUILLAUME BUDÉ DE YERRES a 1 CES 1200 éléves : enseignement général b / CES ·1200 élèves : enseigne men' scientifique et spécialisé c / CES i 200 éléves : enseignement pratique d 1 Restaurant libre-service. salles de réunion, centre médico-scolaire e 1 Logements de fonCtion f 1 Salle de sports avec gradins (1000 places)

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La QuInzaIne Uttéralre, du 16 au 28 février 1971

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.Valery :Larbaud Léon-Paul Fargue Correspondance 1910-1946 Texte établi, présenté et annoté par Th. Alajouanine Gallimard, 376 p., 35 F Un recueil de lettres qui éclaire d'un jour nouveau la vie, l'œuvre et les relations des deux écrivains. • Marcel Proust Marcel Proust Tèxte établi, présenté et annoté par Philippe Kolb Plon, 496 p., 30,60 F Proust par lui-même à travers sa correspondance • Michel Seldow Robert Houdin Nombr. illustrations Fayard, 45 F Une biographie du célèbre magicien dont on fêtera en 1971 le centenaire.

CRITIQUE HISTOIRE LITTERAIRE Bernard Baritaud Pierre Mac Orlan Gallimard, 240 p., 23 F Une étude qui rend compte d'aspects souvent négligés dans l'œuvre de Mac Orlan

en honneur par l'auteur dans ses études sur Baudelaire, Mallarmé, Racine et Valéry. Colin W. Nettelbeck Les personnages de Bernanos romancier Lettres Modernes Minard, 224 p., 30 F Une nouvelle livraison de la «Bibliothèque Bernanos •. Andrew Oliver Benjamin Constant écriture et conquête du moi Lettres Modernes Minard, 286 p., 25 F. Georges G. Place Hector Talvart Joseph Place Bibliographie des auteurs modernes de langue française (1801-1969) Editions de La Chronique des Lettres Françaises, 338 p., 250 F Le 19' tome de cet instrument de travail bibliographique et critique remarquable. Lionel Richard Littérature et nazisme Maspero, 208 p., 14,80 F Une étude documentée sur la politique culturelle nazie et, à travers elle, sur la fonction de l'écrivain et ses responsabilités. Jean Richer Nerval, expérience et création 32 p. de hors-texte Hachette, 744 p., 60 F Biographie du poète et étude critique sur son œuvre.

et autres essais Jean Rouger Gallimard, 336 p., 37 F Baudelaire et la Recueil de textes vérité littéraire théoriques des Fleurs du mal qui tentent de suivi des Antilogies remonter aux sources Nouvelles Editions de l'histoire de Debresse, l'homme, à la lumière 168 p., 15 F de Marx et de Une analyse Lévi-Strauss. qui aboutit à une démystification partielle de Baudelaire,. S.-F. Nadel Byzance noire su!vi.e ~'une medltatlon à partir Trad. de l'anglais par M. E. Baudez des thè.~es baudelalnens. Préface de Lord Lugard « Bibliothèque d'Anthropologie. Jacques Vier Maspero, 620 p., 40 F. Histoire de la littérature française XVIII' siècle Tome 2: les genres PHILOSOPHIE littéraires et l'éventail des Sciences Humaines Robert Blanché A. Colin, 1 056 p., 99 F La logique et son histoire d'Aristote à Russel A. Colin, 368 p., 35 F. SOCIOLOGIE

PSYCHOLOGIE Mary Douglas De la souillure Essai sur les notions pollution et éIe tabous Trad. de l'anglais par Anne Guérin Préface de Luc de Heusch « Bibliothèque d'Anthropologie. Maspero, 200 p., 14,80 F Etude sur J'élaboration d'un ordre symbolique par le truchement des rites de pureté et d'impureté.

.Paul Bénichou Didier-Jacques Duché Gérard de Nerval Adolescence et et la chanson puberté folklorique Hachette, 192 p., 25 F. José Corti, 392 p., 64 F Une étude qui s'adresse .Sigmund Freud non seulement Malaise dans la aux nervaliens .F. Van Rossum-Guyon civilisation mais aussi aux fervents Critique du roman Trad. de l'allemand de la musique Essai sur par Ch. et J. Odier populaire. .. La Modification» P.U.F., 112 p., 10 F. de Michel Butor Réédition. Jean-Pierre Diény Gallimard, 304 p., 32 F Le monde est à vous Une thèse Daniel Furia La Chine et les livres qui prolonge les Charles Serre pour enfants travaux de la nouvelle Techniques et 32 pl. en noir h. t. critique. sociétés et 4 pl. en couleurs h. t. Liaisons et Gallimard, 160 p., 32 F Dominique Schnapper évolutions Un essai-témoignage L'Italie rouge et noire Préface de F. Braudel sur l'énorme Les modèles culturels A. Colin, 448 p., 47 F. littérature que la Chine de la vie quotidienne réserve à ses deux à Bologne cents millions Phyllis Greenacre Gallimard, 224 p., 24 F d'enfants. Traumatisme, Une étude sociologique croissance où "auteur et personnalité Charles Mauron s'est servi de la Trad. de "anglais par Le théâtre société bolonaise C. Stein-Monod de Giraudoux comme d'un Préface d'Ernst Kris José Corti, 288 p., 32 F microcosme pour P.U.F., 336 p., 27 F Un ouvrage qui s'inscrit étudier les dans la tradition modèles 'culturels de de la méthode la péninsule tout Luc de Heusch psychocritique mise entière. Pourquoi l'épouser?

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Maurice Dayan P.U.F., 228 p., 14 F Les extraits les plus significatifs de l'œuvre du philosophe dans les domaines du comportement, de la perception, du langage, de l'art et de l'histoire. Jean Piaget Les explications causales Avec la collaboration de R. Garcia P.U.F., 192 p., 25 F Un ouvrage qui se présente comme une introduction à la publication d'un ensemble de travaux sur les questions essentielles de l'explication causale. Clément Rosset La logique du pire Eléments pour une philosophie tragique P.U.F., 184 p., 18 F Les philosophies tragiques opposées ·à la vision plotinienne.

P.U.F., 212 p., 30 F Une analyse de la valeur relative du patrimoine littéraire islandais et danois à la lumière des travaux de l'auteur sur la structure de la théologie indo-européenne. Pierre P. 'Grassé Toi, ce petit dieu 1 A. Michel, 288 p., 24 F Les domaines insoupçonnés de l'âme humaine sur lesquels la science n'a pas de prise. Henri Mignot Miroir des mœurs Nlles Editions Debresse. 192 p., 15 F Une étude sur la sagesse populaire à travers les proverbes et autres lieux communs.

Hegel Marcel Moré La théorie de Le dieu Mozart la mesure et le monde des oiseaux Traduction Gallimard, 184 p., 14 F et commentaire Le roman d'une par André Doz rencontre: celle de P.U.F., 208 p., 19 F l'auteur Présenté, et de Mozart. dans une traduction .Eric Weil ! nouvelle, le texte Essais et conférences de la troisième section Steven Rose Tome 1 du premier livre La chimie de la vie Coll. «Recherches en de «:La Science Nombr. photos Sciences Humaines. de la logique •. Gauthier-Villars, Plon, 328 p., 24,60 F 314 p., 29 F. Une série de A travers les méandres Hegel et la pensée conférences sur Hegel, de la biologie le Droit, moderne moderne. l'Histoire, etc. Textes publiés sous la direction de Jacques d'Hondt • Victor Segalen P.U.F., 224 p., 20 F Stèles, peintures, ESSAIS Les textes équipée d'un séminaire sur Plon, 592 p., 51 F. Hegel dirigé par .Pierre Antoine A la fois un récit Jean Hyppolite Morale de voyage au Collège de France sans anthropologie et une méditation (1967-1968) . Editions de l'Epi, sur l'art, la sculpture 130 p., 14 F et les images Michel Jouhaux Une définition que la Chine de 1900 Le problème de l'être de la morale qui fait fi offrait à l'explorateur et l'expérience morale des abstractions et à l'érudit. chez Maurice Blondel de la pensée théorique Réédition. Nauwelaerts, au bénéfice 690 p., 133 F des vérités concrètes Jean Valnet Le blondélisme face de la vie quotidienne. Docteur Nature aux antinomies Préface de L Bodard de la philosophie Pierre Daix Fayard, 456 p., 28 F moderne. L'aveuglement devant Pour une médecine la peinture naturelle, M. Mahmoudian 16 pl. hors texte Les modalités Gallimard, 272 p., 23 F nominales en français Une réflexion sur (Essai de syntaxe l'accueil fait à la fonctionnelle) « peinture moderne ., HISTOIRE P.U.F., 280 p., 18 F qui met en cause Une étude fondée l'évolution de sur la méthode de la l'idéologie, des linguistique systèmes de Georges Bonnet structurale signification et des Dans la tourmente et fonctionnelle structures de la (1938-1948) connaissance. «Les Grandes Etudes Merleau-Ponty Contemporaines. Existence et dialectique • Georges Dumézil Fayard, 320 p., 28' F Textes choisis par Du mythe au roman Le deuxième volume


Livres publiés du 20 janv. au 5 fév. des Mémoires de l'ancien ministre; il traite de la guerre et de l'occupation.

A. Eroussalimskl L'impérialisme allemand passé et présent Editions de Moscou, 530 p., 17 F L'évolution de l'Allemagne depuis le début du XX" siècle. Claude Galarneau La France devant l'opinion canadienne 17~1815

Préface d'A. latreille A. Colin, 416 p., 110 F A partir d'un tableau de la société canadienne française, une étude qui tente de montrer comment elle a pu restée liée à l'ancienne mère patrie. J.-F. lemarignier La France médiévale Institutions et société Bibliogr., index, 22 figures A. Michel, 416 p. 42 F les mutations de la société et de son économie ainsi que le mO\Jvement des idées. Francis ley La Russie, Paul de Krüdener et les soulèvements nationaux: 1814-1858 Préface de M. Baumont Avant-propos de R. Portal Hachette, 320 p., 40 F Un ensemble de documents inédits qui met en lumière les constantes de la politique russe face aux mouvements révolutionnaires dans le monde. Pierre-Yves Pé'choux Michel Sivignon Les Balkans P.U.F., 288 p., 26 F les données démographiques, historiques et économiques de la péninsule balkanique suivies d'une présentation des différentes nations qui la composent. Yvonne Turin Affrontements culturels dans l'Algérie coloniale Maspero, 428 p., 26,70 F tes aventures de la • mission civilisatrice. de la France dans l'Algérie du XIX" siècle.

POLITIQUE ECONOMIQUE

où les de en de

R. Ertel. G. Fabre, E. Marienstras . Citoyens en marge (Etude sur les minorités aux U.S.A.) Maspero, 460 p., 23,70 F les aspects fondamentaux du problème minoritaire dans une société dont l'idéologie est un déni de l'existence de ces cultures minoritaires.

lucien Sfez L'administration prospective Bibliogr., index A. Colin, 432 p., 39 F les méthodes nouvelles et les organes prévisionnels appelés à modifier l'avenir de la société française.

DOCUMENTS

Henri Guitton A la recherche du temps économique Fayard, 208 p., 18 F Une étude qui s'efforce de mettre en lumière les différents aspects du temps à l'intérieur duquel se déploient les actes économiques.

Jacques Frémontler La forteresse ouvrière: Renault Fayard, 384 p., 25 F Témoignage sur la vie ouvrière dans une grande entreprise française. Tania Ghirshman Archéologue malgré mol 86 illustrations A. Michel, 432 p., 39 F la vie au jour le jour d'une mission archéologique en Iran.

Pierre lalumière Les finances publiques A. Colin, 480 p., 42 F les institutions financières de la V" République analysées selon une nouvelle méthode d'étude des phénomènes financiers et, notamment, d'un point de vue sociologique.

Claude Glayman Ubertés pour les régions Bretagne et Rhône-Alpes Fayard, 416 p., 28 F La renaissance de la province.

Edmond Michelet La querelle de la fidélité Peut-on être gaulliste aujourd'hui ? Préface d'A. Malraux • En toute liberté. Fayard, 190 p., 18 F l'autobiographie politique d'un gaulliste irréductible.

Raymond Thévenin Meurtriers sans aveux Fayard, 352 p., 22 F le deuxième vofume d'une série intitulée • les grands procès d'assises. (1969-1970) .

A. Piatier, P. Cahuzac, L. Chambadal Economie et mathématiques E1éments et exercices Tome 2: Analyse statistique et applications à l'économie P.U.F., 448 p., 40 F les données de base de l'analyse statistique et ses applications. Paul Serant La Bretagne et la France Fayard, 448 p., 30 F la question bretonne.

l'auteur expose postulats de base sa politique matière régionalisation.

Peter Whittle Un après-midi à Mezzegra Fayard, 224 p., 20 F la fin . de l'Italie fasciste et les cinq dernières journées de la vie de Mussolini.

J.-J. Servan-Schreiber Le pouvoir régional Grasset, 208 p., 9 F Un manifeste municipal et régional

La Qlllnmine Uttéralre, du 16 au 28 février 1971

et aux langues de l'Orient ancien. J.-M. Aubert Morale sociale pour notre temps Desclée de Brouwer, 160 p., 18,70 F Un résumé de l'enseignement social de l'Eglise situé dans son contexte théologique. Wilfrid Daim Le Vatican et les pays de l'Est Fayard, 256 p., 22 F Une analyse due à un journaliste et écrivain catholique, de l'attitude de l'Eglise sur un certain nombre de questions d'une brûlante actualité. A. Hamman Le baptême Fayard, 144 p., 7,45 F Une étude appuyée sur l'expérience théologique et pastorale de "auteur. Pedro McGregor La lune et les deux montagnes Trad. de l'anglais par Henri Drevet 39 documents h. t. coll. • les chemins de l'impossible. A. Michel, 264 p., 24 F la magie et la sorcellerie dans le Brésil d'aujourd'hui. Francis Rapp L'Eglise et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Age P.U.F., 384 p., 30 F Un tableau de l'Eglise d'Occident durant les XIV" et XV· siècles.

REUGIONS

P. Teilhard de Chardin Toujours en avant Desclée de Brouwer, 178 p., 13,90 F Un recueil de textes courts qui contient l'essentiel de la vision et des lignes directrices de Teilhard de Chardin.

John M. Allegro Le champignon sacré et la croix Trad. de l'anglais par Ida Marie A. Michel, 304 p., 29 F Une exégèse de la Bible fondée sur l'origine et la racine des mots communs aux Sumériens

Morris West, Robert Francis Sur le mariage et le divorce Fayard, 232 p., 20 F Deux laïcs, un catholique et un anglican font le procès de l'Eglise sur l'épineuse question du divorce.

HUMOUR DIVERS Sir de Bazaroff Suivez la flèche A. Balland, 116 p., 9,50 F les aventures animiques d'une flèche passionnée d'introspection. Raymond Lindon Guide du nouveau savoir-vivre A. Michel, 256 p., 15 F Un ensemble de conseils et de suggestions agrémentés de réflexions humoristiques et d'anecdotes historiques. Anne loesch Les adultes infantiles Hachette, 224 p., 20 F Une galerie de portraits. John Ray, Michel Bernard More love 76 photographies A. Balland, 112 p., 39 F Un ballet photographique sur un texte de Michel Bernard.

POCHE LITTERATIJRE J. Boulenger Les romans de la Table Ronde 10/18 (3 tomes) Claude Simon Le palace 10/18 R. L. Stevenson L'étrange cas du Dr JekyU et de Mr Hyde Bibliothèque Marabout.

POESIE Volker Braun Provocations pour moi et d'autres Traduit et présenté par A. lance, Pierre Jean Oswald :la poésie des pays socialistes l'un de. tout premiers poètes est-allemands de la nouvelle génération. Paul Eluard Poésie 1913-1926 Préface de Claude Roy Gallimard/Poésie.

léon,Paul Fargue Epaisseurs suivi de Vulturne Gallimard/Poésie.

ESSAIS Paul Foster Tom Paine Adaptation française de Claude Roy Gallimard/Théâtre du Monde Entier Voir le n° III de la Quinzaine. Jean Vauthier Les prodiges Gallimard/le Manteau d'Arlequin (Voir les nO. 40 et 88 de la Quinzaine.) Boris Vian Théâtre 10/18. Charles Bettelheim L'économie allemande sous le nazisme Tomes 1 et 2 Petite Collection Maspero. Charles Tillon Les F.T.P. la guérilla en France 10/18.

INEDITS Pierre Amiet Les civilisations antiques du Proche-Orient Que sais-je? Henri Amouroux La France et les Français de 1939 à 1945 A. Colin/Dossiers Sciences Humaines Des documents essentiels à la compréhension des événements politiques et des préoccupations du public pendant cette période. F. Billacois, J.-C. Hervé, R. Robin, A. Zink Documents , d'histoire moderne Tome 2: Religions et religiosité, la pensé, les Européens dans le monde A. Colin/U2 Un recueil de documents divers portant sur les XV'", XVII" et XVIII" siècles, regroupés par grands thèmes.

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Connaissance de l' Orient Bibhouti Bhousan Banerji

La complainte du sentier traduit du bengali par France Bhattacharya Par un auteur de l'Inde contemporaine, la vie quotidienne des pauvres Bengalis contée au fil des jours; la quête du bonheur que poursuit un petit garçon. Le film "Pather Panchali " a été tiré de ce livre.

Ling Mong-tch'ou

L'amour de la renarde traduit du chinois, préfacé et annoté par André Lévy Douze contes du XVII- siècle chinois: un chef-d'œuvre littéraire de l'époque Ming, où prose et poésie, réel et merveilleux se fondent.

Contes d'Ise traduction, préface et commentaires de G. Renondeau Primitives et raffinées, les œuvres de conteurs anonymes du X- siècle japonais: une clef indispensable pour comprendre les origines de la littérature japonaise moderne.

L'œuvre complète de TchoLlallg-t~eLL traduction, préface et notes de Liou Kia-hway Enfin la version intégrale des écrits du grand philosophe chinois qui éclaire le tao. Ecrite au IV- siècle avant J.-C., l'une des œuvres littéraires les plus éclatantes de la Chine ancienne.

P' OU Song-ling

Contes extraordinajres du pavillon du loÙ3-ir traduit du chinois - introduction deM. Yves Hervouet Vers la fin du XVII- siècle, l'un des esprits les plus curieux de la littérature chinoise a réuni les histoires de fantômes, de démons et de mystères dont étaient friands ses contemporains.

Kouo Mo-jo·

Autobiographie Mes années d'enfance - traduit du chinois par P. Ryckmans Le plus célèbre des écrivains de la Chine contemporaine dépeint sur le vif la vie dans le Se-Tchouan à la fin du siècle dernier: les survivances traditionnelles côtoient les mesures de modernisation.

Kouo Mo-jo

Poèmes traduit du chinois, présenté et annoté par Michelle Loi A travers un demi-siècle de poésie, les recherches de fond et de forme pour moderniser la poésie chinoise et l'adapter aux besoins de son nouveau public.

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GALLIMARD


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