La Quinzaine littéraire 111

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SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Mikhaïl Bakhtine

L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance

par J. M. G. Le Clézio

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ROMANS ETRANGERS

Günter Grass Gisela Elsner Milan Kundera

Anesthésie locale La génération montante Risibles amours

par Claude Bonnefoy par C. B. par Jacques-Pierre Amette

8

ROMANS FRANÇAIS

Robert Merle J .-L. Baudry

1Jerrière la vitre La création

par Lionel Mirisch Propos recueillis par Anne Fabre-Luce

10

POESIE

Jean-Pierre Brisset Benjamin Péret André Thirion

La grammaire logique Les Rouilles encagées Le grand Ordinaire

par Jean Schuster par Serge Fauchereau

12

INEDIT

R. Martin du Gard

Maumort

14

ARTS

15

Jean~Jacques Lévêque

Dans les galeries

par

F. Léger à Londres

par Jean-Marie Benoist

16

Christine Boumeester

Musicienne du silence

par Jean-Roger Carroy

17

Albert Dürer

Journal de voyage

par Françoise Choay

Henri Lefebvre

La fin de l'histoire

par René Lourau

Denis de Rougemont

Lettre ouverte aux Européens Le cheminement des esprits L'un et le divers ou la cité européenne

par François Bondy

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ESSAIS

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20

RELIGIONS

Paul Tillich

Histoire de la pensée chrétienne

par Paul Vignaux

22

HISTOIRE

Friedrich Heer

L'Univers du Moyen Age

par André Vauchez

23

ECONOMIE POLITIQUE

Robert Heilbroner

Les limites du capitalisme amencaln

par Bernard Cazes

24

THEATRE

A Nice : La pucelle Théâtre et combat Tom Paine au T.N.P.

par Lucien Attoun par Dominique Nores par L. A.

Eldridge Cleaver, black Panther Othon, le roi nu

par Roger DadoUD par R .. D.

Colette Magny

Feu et Rythme

par R. D.

François Erval. Maurice Nadeau.

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris (7 C) .

Crédits photographiques

p.

4

B. N. Estampes

Téléphone: 222·94·03.

p.

5

Le Seuil

Publicité Sénérale : au journal.

p.

7

Gallimard

Pris du nO au Can.adG : 75 cents.

p.

9

B. N.

Abonnementa : Un an : 58 F, tJin.Bt-troia numéros. Six mois : 34 F. dow:e numéro&. Etudiants: réduction de 20 %. Etranger: Un an : 70 F. Six mois: 40 F. Pour tout chtmsement d'adreae envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par manda4 chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15 551·53.

p. 10

Sagittaire

p. 13

D. R.

p. 14

Galerie de France

Gilles Sandier

25 26

CINEMA

27

MUSIQUE

Corueiller: 10eeph Breitbach.

La Quinzaine litteraire

Comité de rédaction : Georges Balanclier. Bernard Cazes, François Châtele4 Françoise Choay, Dominique Fernandes, Marc Ferro, Gilles Lapa., Gilbert Walusinski.

SecrétGriat de .10 rédGcrion et documentation Anne Sarraute. Courrier littéraire : Adelaide Blasques.

IVaqu.ette de couverture : 1acques DaDiel~

2

p. 15 U. R. p. 16

Hans Hartung

p. 18

Lüfti Ozkok

p. 20

Albin Michel

p. 21

B. N. Estampes

Directeur de 10 publicœion :

p. 22

Fayard

François Emanuel.

Rédaction, administration : 43, rue du Temple, Paris (4C)

Impreuion G./.P.A.V.

p.23 p. 25

D. R. Béatrice Heyligers

Téléphone: 887-48·58.

PriDted in France.

p.26

D. R.


I.E LIVRE DE

LA QUINZAINE

La révolution carnavalesque par J.-M.-G. Le Clézio

Mikhaïl Bakhtine L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance Trad. du russe par Andrée Robel Bibl. des Idées Gallimard éd., 476 p.

cle de Rabelais. Bien entendu, vouloir identifier notre monde au monde de Rabelais n'aurait aucun sens. Les ressemblances ne peuvent intervenir que pour nous révéler ces vérités perdues, et nous aider à mieux lire une œuvre dont les pouvoirs ont été si longtemps oubliés. L'actualité de Rabelais est une recherche salutaire plutôt qu'une évidence.

Il aura fallu attendre le livre de Mikhaïl Bakhtine pour qu'on s'aperçoive enfin du caractère révoUn doute de lutionnaire de l'œuvre de François quatre cents ans Rabelais - comme si les siècles qui nous séparent de cette œuvre, et toute cette gloire officielle, Que signifie cette quête· d'un art n'avaient servi qu'à la mieux ou- populaire ? Le doute qui a été celui blier, à la méconnaître, à la désap- de quatre cents ans de littérature prendre. savante n'a pas cessé d'exercer son Révolutionnaire : le -mot n'est malaise. Ce doute, c'est simplement pas trop fort pour qualifier cette la rupture, par suite de spécialisaœuvre, à la fois si ancienne et si tion, entre la littérature officielle et neuve, une œuvre à ce point régéné- la vie populaire. Le livre, particuratrice, dont les vertus sont encore lièrement à l'époque classique et au vivantes, une œuvre qui répond début du romantisme, n'a pas cessé totalement aux intentions de l'art: de renforcer sa qualification de fondée sur ce que l'homme a de moyen d'expression de la minorité plus intérieur, et en même temps dirigeante (les « lettrés»), s'oppo. révolte permanente contre la para- sant, et triomphant rapidement des lysie, la sclerose, la mort. Une œu- autres formes d'expression : théâvre qui nou.s permet, peut-être tre, danse, fêtes et rites carnavalesmieux qu'aucune autre dans l'his- ques. Le désenchantement qui a natoire de la littérature, ce passage turellement suivi une telle ·rupde la conscience individuelle à la ture, puis aujourd'hui le dégoût conscience universelle, qui est une . viennent moins de la déconnection des grandes raisons de l'art. de l'écrivain intellectuel avec le Mikhaïl Bakhtine nous reconduit reste de la société, que de l'absenvers cette œuvre, non pas comme ce de racines de son langage et de vers un mausolée, non pas comme sa mythologie individuelle. Le naen pèlerinage, mais comme vers une turalisme, le réalisme n'ont pu que source. Nous sommes invités à reM constater cette absence de racines, connaître chez Rabelais des vérités cette insignifiance qui pourrissait qui sont celles de notre temps, des le langage. L'échec de la littérature mouvements, des idées, des appels politique est l'aboutissement de cétqui sont, malgré la séparation des te impuissance. C'est là sans doute siècles, les nôtres. qu'on trouve les raisons du trouble L'art populaire, tout d'abord. Si qui s'empare aujourd'hui de la litce débat a tellement d'importance térature, du langage, de la culture. aujourd'hui, c'est que l'histoire de Les cultures sont en péril dès l'insla littérature (comme l'histoire des tant qu'elles ont cessé d'être nourévénements) est sans doute, non un ries par la terre elle-même, par la recommencement (ce qui serait profondeur de la vie. Aujourd'hui insensé), mais une spirale. La situa- cette· rupture est loin d'être résotion de l'écrivain, la voici à nou- lue. Mais la rencontre, et la reveau semblable à celle qui existait à connaissance de l'œuvre de Rabe· la fin de la période médiévale. Tou· lais, telle que nous la présente tes les similitudes apparaissent : Bakhtine, pourrait être un moyen même explosion sociale, même ten- de résoudre cette rupture, de retation de la destruction, même exas- nouvele:r: la littérature. pération du langage. La libération En effet, à quoi peut bien serdes masses populaires, leur accès au vir la littérature, si ce n'est à cetlangage, leur accès à l'expression, la te entreprise de conscience : reconreconnaissance des forces premières, naître tout ce qu'il y a dans l'homet surtout, l'affrontement entre le me, tout l'infini de ses possibilités langage populaire et le langage sa· et de ses arrangements avec l'univant, font de notre culture une vers? Tout se passe comme si la culture très proche de celle du siè· littérature cherchait sans cesse à

La QuInzaIne Uttéralre, du 1"r au 15 février 1971

sortir d'un cercle trop étroit pour elle, trop étroit pour la conscience humaine. Briser les cercles, ce n'est possible qu'à certains moments de l'histoire. Le principal obstacle à cette libération est, bien entendu, l'idée de l'art. Lorsque l'art, la culture, sont des expressions dirigées, ou lorsqu'ils sont des illustrations, des .attributs luxueux, c'est qu'ils n'ont plus guère de pouvoirs sur la réalité; ils créent et sont soumis à des lois qui dénaturent et mystifient le réel. L'œuvre de Rabelais, au contraire, est toute libération, débordement : elle brise les cercles (tous les cercles de la. culture féodale, des rhétoriqueurs, des sorbonnards, ennemis de l'expression populaire et du Gay Sçavoir), et surtout, elle crée un nouveau langage (vocabulaire, système d'images, mythes) qui est le triomphe de la réalité. C'est cette consécration du réel par le langage qui est la granQe révolution rabelaisienne. Il ne saurait y avoir d'autre littérature révolutionnaire; car à quoi bon vouloir la rénovation d'une société, sa transformation, quand le langage qu'on emploie est un langage prisonnier, incomplet ? Les manifestes, les proclamations des lois du langage sont les privilèges du monde savant, du monde lettré. Mais la violence et le pouvoir immédiats de Rabelais sont hors de toute politique. Ce sont des mouvements en liaison directe avec le fonds vital de la société humaine, avec tous ses mythes et secrets. Cette violence nous livre sans décalage, sans atermoiement, le flux des vé· rités que la psychanalyse et les sciences humaines doivent déchiffrer ensuite avec peine. Aujourd'hui, et à la lumière du livre de Bakhtine, l'échec du réalisme nous semble évident. L'art populaire, ·c'est-à-dire l'expression de tout· l'homme pour tous les hommes, brise les cercles des castes et d.e la culture officielle lorsqu'il est né lui·même dans la réalité populaire. Lorsque tout en lui, vocabulaire, thèmes, mythologie, vient de cette région inculte et essentielle qui est le lieu de la véritable pensée humaine. .Pourtant, ce serait une autre erreur que de faire de Rabelais le porte-voix des classes populaires de son temps. Ce rôle n'a· jamais été le sien. Rabelais a brisé le cercle de la littérature officielle et des Sorbonnards, il n'a jamais. voulu rompre celui de la société féodale.

Son œuvre ne parle ni d'une lutte de classes, ni d'une lutte de voca· bulaires (le propos du réalisme). Sa révolution est autre, et en vérité, plus durable. Elle est avant tout verbale et littéraire, c'est·à-dire destruction et fécondation de la li~­ térature. Bakhtine souligne avec justesse la proximité de cette œuvre et de la fête populaire, et le lien qui l'unit avec le fond de la tradition populaire. Cette proximité n'est peut-être pas imniédiatement motrice (Rabelais ne s'adressait, après tout, qu'à un public restreint), mais elle est l'occasion de cette bataille entre conscience et inconscience, entre la vie et la sclérose de la mort. Cette proximité est aussi le grand miracle du XVI" siècle.

La libération par les mots La 'libération par les mots : en exprimant toute la richesse des thè· mes populaires, la force. comique, la conception cosmique du peuple, Rabelais a inventé les chemins de la véritable littérature, qui est le chant de toute une société. Com· parées à cett~ œùvre, les tentatives individualistes de notre littérature contemporaine semblent bien pâles, et bien vaines. Mikhaïl Bakhtine, avec un souci d'ethnologue, nous fait mesurer exactement l'abîme qui sépare notre monde de celui de Rabelais. Quelque chose a disparu, s'est éteint mystérieusement, quel. .que chose d'indéfinissable qui était l'âme même du XVIe siècle; une confiance dans les élans de la vie, peut-être, ou bien cette nécessaire adéquation entre le langage et l'instinct que des siècles de puritanisme et d'absolutisme intellectuel ont détruite. Cette libération par les mots, qui est le pouvoir de Rabelais, Bakh· tine nous la montre s'exerçant, non pas intelligiblement à la manière d'une théorie (comme po,ur la litté· rature de révolte, depuis le romantisme jusqu'au surréalisme), mais naturellement, immédiate· ment. Chez Rabelais, la conscience de la force du langage n'est pas le fruit d'une réflexion ni .d'une critique. Les livres sont actifs, ils possèdent le mouvement même de la vie. Ils ne sont pas le produit d'une analyse, ils n'établissent au· cun absolu de la littérature. Les

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~ Le Clézio

liens de la culture. sont ici des liens réels, que n'ont brisés aucune nécessité sociale, aucun interdit de clas· se. S'il y a des sources à une telle littérature, ce sont celles qui ont donné naissance à toute une com· munauté d'hommes. A l'époque de Rabelais, le monde gréco-romain fonde un passé mythique, qui dé· borde le cadre de la simple litté· rature; c'est l'origine des légendes, des thèmes populaires. La rupture entre cette cosmogonie populaire et le trésor de la culture n'est pas encore achevée. La littérature ellemême n'a' pas encore établi son langage, à l'abri des grammaires et des interdits officiels. Elle est encore, à certains égards, beaucoup plus proche du récit, de la poésie orale, que du texte imprimé. Le mot est dit, crié ou chanté avant d'être écrit. En nous faisant sentir la proximité du langage de Rabelais avec le parler des bateleurs de foire, avec les cris des marchands de la rue, avec le jargon des notaires, des bedeaux et des écrivains publics, Mikhaïl Bakhtine nous restitue exactement l'univers verbal du XVIe siècle. Il s'agit d'un monde vivant, où la littérature n'est pas encore arrêtée. où tout est encore possible; un monde où le langage n'est pas seulement l'expression de la pensée raisonnée, mais aussi l'exercice d'un pouvoir. Les mots doivent vaincre et convaincre, ils sont incantation, répétition, force comique aux prises avec le réel, lutte à la fois destructrice et rassurante. Ils avilissent la cogitation, renient l'analyse, et en même temps ils assurent le triomphe d'une autre sorte de compréhension, qui est l'affirmation de la supériorité de la vie. Voilà la grande vérité rabelaisienne : cette dialectique de la des· truction et du triomphe. Cette vé· rité ne peut être révélée par la culture officielle, par l'intelligence. Elle est la force de la culture populaire, de ce que Bakhtine appelle l'esthétique du grotesque, et qu'on pourrait appeler aussi la révolution carnavalesque. En nous révélant les liens qui unissent le XVIe siècle et les thèmes carnavalesques (démys. tification du pouvoir politique et religieux, profanation de l'arbitraire mystique et des sacrements, puis réhabilitation instinctive des forces « basses» de la vie : sexualité, nutrition, défécation) Bakhtine nous fait découvrir la véritable révolution rabelaisienne. Il ne s'agit pas d'un message, ni d'un terrorisme

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Breughel: La Fête au village littéraire, mais bien de la continuation d'une inspiration popu· laire, anarchique et victorieuse : le combat que la masse humaine livre, avec ses moyens propres, à la dictature de l'intellectualisme et de la science. Un tel mouvement n'est pas libérateur par accident : il l'est fondamentalement. Une telle culture n'est pas née de la contradiction entre un peuple et ses dirigeants; elle est sa force naturelle, son ex· pression, son être. Cette culture trouve son origine dans toutes les civilisations .primitives. Tous les thèmes analysés par Bakhtine, en rapport avec la conception carnavalesque du monde, sont des thèmes' élaborés dans les cultures primitives. Si leur force est immédiate (destruction.fécondation), elle n'est pas inconsciente. Rabelais utilise un matériau qui a été perfectionné et rendu cohérent au cours de millénaires de littérature orale. Le carnaval est une représentation théâtrale, aux actes coordonnés, employant une grande variété de langages : cris, chants, mimes, danses rituelles. Sa symbolique s'oppose à la culture officielle, non seulement sur le plan stratégique, politique, mais aussi sur le plan qualitatif. La vérité de la culture populaire, conçue et révélée par Rabelais, est encore vivante aujourd'hui. Le folklore a peut-être complètement dis· paru en France, mais les littératures des civilisations orales qui ont survécu jusqu'à nos jours nous enseignent la même correspondance. Le thème du gigantisme, qu'on retrouve dans presque toutes les litté· ratures primitives, symbolisant le triomphe de l'homme sur la nature; les thèmes digestifs, sexuels, scatologiques (ce que Bakhtine ap-

pelle le « bas II matériel), ainsi que la relation copulation-nutrition, accouchement.défécation; la plupart des images corporelles ; la détérioration du sacré, c'est·à-dire humiliation des dieux et des esprits malins (l'image d'un créateur saoul, ou trompé par sa femme, ou battu par scs fils). Ces thèmes se reconnaissent, avec des variantes, dans des mythologies aussi éloignées que la culture Yoruba, méla· nésienne, amérindienne. La signification de toutes ces mythologies étant bien, comme le dit Bakhtine, cette lutte contre la peur cosmique : « La culture populaire ignorait cette peur, l'anéantissait au moyen du rire, de la corporalisa. tion comique de la nature et du cosmos, car elle était fortifiée à la base par l'assurance indéfectible en la puissance et en la victoire finale de l'homme. Par contre, les cul· tures officielles utilisaient souvent, voire cultivaient, cette peur afin d'humilier et d'opprimer l'homme ». (p. 333, note 1). Au fond, la grande question po· sée par le livre de Bakhtine, c'est de savoir si cette culture populaire a réellement disparu. Selon Bakhtine, le miracle de la cohésion entre le langage écrit (conscient) et les grands thèmes régénérateurs de la culture populaire, n'a eu lieu qu'une fois, dans l'œuvre de Rabelais. Ensuite, la culture officielle, la Sorbonne, la sclérose des exégètes et l'abstraction ont détruit ce souffle, ont aboli cette inspiration. Non seulement la compréhension immédiate (l'assimilation) des Livres de Rabelais n'est plus possible aujourd'hui, mais encore l'idée même d'une telle création littéraire. Le lieu de la culture populaire nous est devenu étranger. La voix

de la culture populaire a cesse d'être audible. Est-ce possible? Certes, des siècles de langage officiel ont rendu ces voix difficiles à entendre. On ne se délivre pas en un instant d'habitudes de voir, de concevoir qui ont gouverné l'esprit pendant si longtemps. Vouloir une telle liberté sans délai serait vain. Et pourtant, il n'est pas imaginable que ces forces réelles, vivantes, ces forces qui ne sont pas imaginaires, qui ne sont pas illogiques, ces forces qui sont liées à la nature de l'homme, à sa société, à son comportement aussi étroitement que ses habits et ses nourritures - il n'est pas imaginable que ces forces qui ont inventé nos mythes et notre langage aient disparu aussi facilement. Bakhtine dessine le portrait de la société qui a soutenu Rabelais comme d'une société morte, dont les secrets et les énigmes ne seraient déchiffrables que par des archéologues. Mais d'où vient alors que l'œuvre de Rabelais soit restée si vivante, si proche de notre monde? Est-ce parce qu'au milieu de ces ruines, de ces débris méconnaissables, les livres sont demeurés debout, presque intacts, comme miraculés, pour réveiller en nous les souvenirs? Ou bien est-ce parce que toute œuvre de langage, lorsqu'elle est ainsi faite de vérité, est pour ainsi dire éternelle, puisqu'elle nous unit d'un seul coup à l'origine de la parole ?

Le carnaval a disparu Non, il n'est pas imaginable que le sens de l'œuvre de Rabelais soit aujourd'hui perdu. Certes, le fond de la culture populaire n'est plus aussi apparent. Le carnaval a disparu d'Europe, le langage de la place publique est domestiqué, les scènes et les représentations du gro· tesque se sont affaiblies. Le creuset bouillonnant qu'est une langue en genèse, tout ce chaos et toute cette ivresse, aujourd'hui sont éteints. L'emprise de la culture officielle n'a jamais été aussi forte, aussi oppressante.: censure, interdits, mots· fétiches, saturation linguistique. La plupart des débats idéologiques con· temporains se situent à ce niveau abstrait, intellectuel, « sorbonnard », ignorant délibérément la pensée populaire. Le mépris de l'homme cultivé pour la « masse »,


ROMANS

Anesthésie générale

ETRANGERS son désir de la manipuler au moyen de la science, témoignent justement de l'aggravation de cette rupture entre le monde officiel et le monde populaire.

Le monde populaire n'est pas mort Et pourtant le monde populaire n'est pas mort. Il n'est pas muet. De nouvelles possihilités d'expression s'offrent à lui aujourd'hui, une nouvelle vérité est en train de naη tre. La musique, la danse, les nouveaux rites et les nouvelles formes parlent de cette libération des for· ces populaires, devant laquelle de· vra hien reculer la tyrannie de l'écrit. Les grands thèmes exécraleurs·fécondateurs de la littérature primitive, les voici très proches. Ce sont eux que l'on reconnaît grâce à l'analyse psychique dans les ohsessions du monde moderne; ce sont ces thèmes anciens. tellement liés à l'homme qu'il n'est plus possihle de les dissocier de sa nature. qui resurgissent çà et là dans l'histoire littéraire. Comment comprendre autrement les œuvres de Sha· kespeare, de Gœthe, de' Hugo, et la plus grande partie de la littéra· ture moderne depuis Laulréamont ? Comment refuser l'héritage de siè· cles d'obsessions qui pèse sur toute la pensée contemporaine. et donl les secrets triomphants de la violence, de l'érotisme, de la vie digestive, aujourd'hui révélés un à un au prix d'une sorte de honte, étaient écrits en clair dans l'œuvre de Ra· belais '? La littérature ne peut feindre longtemps d'être détachée du corps des hommes. Elle est le produit irrésistihle de la masse humaine, son émanation, son chant, sa pensée. Les mots des individus ne restent pas longtemps seuls. Interrogés, ils révèlent l'appartenance de l'homme à son milieu, et le réseau caché des forces de la vie. C'est pourquoi des livres comme ceux de Rabelais, lorsqu'ils sont lus par des hommes comme Bakhtine, sont à ce point irremplaçables méthodes pour mieux vivre, ils apprennent à l'homme que le langage n'est pas destructeur mais régénérateur, et que les pouvoirs de la vie, ces pou· voirs triomphaux, dont l'ordre instinctif n'est pas vraiment intelligi. hIe, sont les seules raisons de ce qu'on nomme la littérature. J.M.G. Le Clézio La

Qldnzafne

Günler Gras~ Anesthésie locale Trad. de l'allemand par Jean Amsler Editions du Seuil, 272 p.

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Le den liste détartre, gratte, évide, curette, arrache, colmate, pose collets. couronnes et bridge Dégudent. Assis dans le fauteuil Ritter. un patient, quadragénaire depuis peu, professeur. ancien ingénieur, contemple - allumé ou éteint l'écran de télévision qui a pour hut de détourner son attention de la douleur comme les piqûres et l'A rantil ont anesthésié sa mâchoi· re et ses dents. Le dentiste parle : de l'occlusion défectueuse et de l'antépulsion man· dihulaire, href du prognathisme, de son client, puis des .progrès de l'art dentaire et de ses appareillages, en· fin de tout, de l'assistance médicale, de la jeunesse, de la politique, de la guerre, et accessoirement, de Sé· nèque, ponctuant régulièrement son discours de li décontractez·vous ll, cc abaissez la langue Il, « rincez· vous ll, li respirez par le nez ll. Le patient répond parfois, raconte à son tour sa vie, l'extraction de ses dents de lait, sa jeunesse, son enrôlement à dix.sept ans dans le ser· vice du déminage juste derrière le front, son expérience d'ingénieur, ses prohlèmes de professeur. Le plus souvent, la bouche ouverte, rendu muet par le grattoir, la rou· lette, les pansements, le plâtre, ou par les trois doigts en pince de l'assistante, il projette sur l'écran de télévision ses souvenirs, ses rê· ves, ses angoisses, il prolonge la conversation réelle - et nécessairement morcelée - par une autre, imaginaire, fantaisiste, fantastique, mais, à hien des égards plus essentielle que la première. Même en dehors des séances, le jeu se poursuit. Avec sa mâchoire insensihilisée, ses gestes comme ralentis par les analgésiques, le prognathe professeur Eberhardt Starusch - que ses élèves appellent irrespectueuseemnt Old Hardy ne peut oublier celles-ci. Son den· tiste devient - réellement, fictivement - son confident, son conseil· 1er, tandis que tous ses actes, présents ou passés, se trouvent projetés sur l'écran de télévision, mêlés aux im~es de l'actualité, des variétés, de la publicité, se fondent et se confondent avec tous les événements du monde.

Uttéralre, du 1er au 15 février 1971

Nous sommes en 1967 à Berlin Ouest. Kiesinger est au pouvoir. Les Américains font la guerre au Viet· nam. Les Allemands adultes enterrent leur mauvaise consciencc sous les délices de la consommation, ou ~omme Irmgard. la collègue d-;;:hèrhardt, l'avivent pour se for· tifier dans leurs convictions démocratiques. Les étudiants s'agitent. Comme d'hahitude, donc, GÜn· ler Grass hrasse les faits, bouscule la chronologie, saisit dans urt mê· me mouvement ou disperse dans un même tourhillon le rêve et la réa· lité, le suhjectif et l'ohjectif, l'histoire et la fiction. Ses lecteurs ce· pendant risquent d'être déroutés par la construction et le ton d'Anesthésie locale. Certes, les points de repère ne manquent pas qui nous rappellent l'univers familier de l'auteur. Le professeur Starusch est, comme le nain Oscar du Tambour, comme Amsel, Mattern et le chien Prinz des Années de Chien originaire de Dantzig. Mieux, Starusch s'identifie à Stortebeker, qui, à dix-sept ans, fut à Dantzig, le chef d'une hande de jeunes, la hande des Tanneurs, ce qui lui valut d'être enrôlé comme démineur dans un hataillon disci· plinaire. Ainsi Starusch-Stortebeker est un. personnage des Années de Chien. Par ses souvenirs, la guerre est présente. Plus encore par ce qu'il dit du père de son ex-fiancée, le feld·maréchal Krings dont il fait et refait inlassahlement la hiogra. phie, ou par les remords de sa collègue, Irmgard Seifert, militante de gauche, qui ne se pardonne pas les lettres délirantes qu'elle écrivait à sa mère au temps des (1 jeunesses hitlériennes ll. Seulement, Grass, même s'il joue toujours avec le temps et l'espace. semhle avoir perdu de son souffle épique. On ne retrouve pas ses longs récits portés par un lyrisme intarissahle, débordant d'images, charriant ensemhle, entraînant dans un rire d'apocalypse le tragique et le grotesque. Tout, ici procède par ruptures et reprises. Comme dans certains chapitres des Années de Chien, mais de façon beaucoup plus systématique, l'auteur multi· plie les scènes hrèves, ohlige le lecteur à renouer des fils constamment rompus, à reconstituer à travers leur perpétuel entrecroisement la continuité des différents récits (la jeunesse de Starusch, son séjour à la cimenterie comme ingénieur, la guerre du feld-maréchal, les projets révolutionnaires des lycéens

Philipp Scherhaum et son amie Vero, etc.). Dans ce sens, cette fois. Grass va beaucoup plus loin. Non seulement chaque scène est donnée comme l'élément d'un puzzle, mais la plupart des événements sont racontés plusieurs fois, chaque fois de manière différente, de tellè sorte qu'on assiste à une permanente déformation ou à une prodigieuse réinvention de la réalité. Ainsi l'histoire de Starusch, de ses relations avec son dentiste, avec son ex-fiancée, avec sa collègue Irmgard, avec le feld·maréchal Krings, avec ses élèves gauchistes, ne cesse de se développer, de se dé· faire, de se hriser en mille facettes aux reflets divergents, de se repren· dre et de se recomposer. Mais cet éclatement impose dans le récit une succession de touches brèves, tantôt lyriques, tantôt descriptives, tantôt analytiques. Au flot torrentiel des précédents romans succède une construction savante, un art subtil de mosaïste, jouant sur plusieurs plans, proche de certaines recherches du nouveau roman, et que cer· tains lecteurs jugeront (c anesthésié ll. Sans doute on peut regretter qu'A'lesthésie locale n'ait ni l'ampleur ni la verdeur sauvage du Tambour. Mais n'est-ce point le sujet même qui contraignait Grass à adopter un autre mode de composition, une autre écriture sans pouiautant renier son génie verbal et ses dons inventifs? Il lui était impossihle de décrire la société de consommation et ses problèmes sur le mode épique, d'évoquer lyriquement la confrontation en 1967 des gens de sa génération quadragénaires cette année-là - avec leurs propres souvenirs comme avec la jeunesse contestataire. De ses armes favori·

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Günter Grass

tes, seules lui restaient donc le gr0tesque, la dérision, le jeu. Ic), en effet, le tragique s'est en· volé. Si les personnages se souvien· nent de la guerre, celle-ci n'est plus qu'un fantôme. Elle n'apparaît plus dans sa brutale réalité, seulement comme l'origine d'un complexe de culpabilité (qui hante Irmgard et que d'autres s'efforcent d'exorciser, d'effacer) ou sous les espèces du jeu. Ainsi le feld·maréchal Krings reconstitue dans une caisse à sable, et .gitgne toutes ses batailles jadis perdues - jusqu'au jour où sa fille décide de le contrer, de l'obliger une nouvelle fois à capituler. Quant aux guerres présentes, elles sont loin· taines. Personne ne veut en enten· dre parler. Cela dérangerait le confort, la paix, la prospérité enfin retrouvés. Et les étudiants qui, sans les avoir connus gardent vivaces la haine de tout ce qui est injustice, torture, guerre, n'ont pas d'autres recours pour protester contre la pré. sence américaine au Vietnam que les manüestations spectaculaires, qqe le jeu, le happening.

Un happening C'est bien un happening qu'imagine l'élève Scherbaum, de 12" a pour dénoncer publiquement les atrocités commises au Vietnam. Ce happening consisterait à faire brûler un chien, Max, son basset à poil long, devant la terrasse d'un pâtissier à la mode. Mis au courant son progressisme, son honnêteté lui valent des confidences - Starusch veut détourner le lycéen d'un projet qu'il juge d'abord romantique, stupide, puis dangereux. Dangereux parce qu'efficace. « C'est seulement si un chien brûle, dit Scherbaum, qu'ils pigeront que les Amerloques brûlent des hommes là-bas ». Aussi le professeur redoute le pire. Les grosses bourgeoises qui s'empüfrent en toute bonne conscience de gâteaux à la crème vont lyncher le jeune homme, peut-être le tuer. « Ce qui m'importe, dit Starusch, c'est Scherbaum, parce qu'il est un homme, mais ce qui comptera aux yeux des Berlinois, c'est le chien parce qu'il n'est pas un homme ». Pour sauver son élève, qu'il voit perdu, mort, après un acte qui serait indéfiniment à recommencer, il envisage mille solutions, y compris d'agir à sa place. Si fasciné qu'il soit par le projet, l'ancien chef de la bande des Tanneurs

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L'horreur quotidienne s'emploie à le désamorcer, c'est-àdire à calmer, à endormir la révolte de Philipp. L'aide que lui apporte son dentiste, alors, n'est pas seule· ment réelle. Elle est métaphori.· que : Comme Scherbaum « a mal au monde, on s'efforce de lui faire une anesthésie locale ». Autant dire que toute la société contem· poraine est localement anesthésiée. Et pour Grass qui moque aussi cruellement le confort béat de la bourgeoisie s'empüfrant de gâteaux que les interrogations masochistes des intellectuels ou les tentatives adroites, voire puériles, des jeunes - mais récupérables gauchistes, il s'agit bien de toute la société. Se dissolvant et se reprenant sans cesse dans les vapeurs de l'anesthésie comme un rêve dans un demi·sommeil, le récit de GÜn· ter Grass est bien accordé à son propos. Ses personnages, Starusch, son dentiste, Irmgard, qui sans cesse refont, réinventent leur histoire et l'histoire, qui vont jusqu'à infléchir l'histoire de Scherbaum ne sont pas dérisoires ou névrosés. C'est leur acceptation pure et sim· pIe de la réalité telle qu'elle est qui serait dérisoire. Leurs efforts pour se situer dans notre monde, pour accepter ou pour rejeter l'anesthésie - à la fois locale et généralisée expriment le malaise d'un monde qui refuse d'entendre parler de ses propres souffrances, d'une A Il e m a g n e qui souhaite effacer ensemble sa culpabilité et celle des autres qui, en fermant 'les yeux sur les violences présentes, e s p ère faire oublier celles qu'elle a commises. La pire condamnation de cette société de l'abondance est celle-ci : la violence contre l'homme l'émeut moins que la destruction de ses fétiches. Il est symptomatique qu'Heinrich BOil dans Fin de MiSsion et Günter Grass dans Anesthésie locale aient fait du jeu, du happening le moyen le plus efficace, parce que le plus surprenant, de protestation. Le conscrit qui brûle une voiture, l'étudiant qui brûle un chien (d'appartement, pas un berger ou un chasseur) s'attaquent aux fétiches de notre société, à ses dieux, ridicules mais tout-puissants. On ne se consolera pas en disant que cela vaut seulement pour la société allemande. On sait quel rôle anesthésiant ont joué en mai 68 les voitures brûlées et le retour de l'essence. Claude Bonnefoy

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Gisela Elsner La génération montante Traduit de l'allemand par Lily Jumel Coll. Du Monde entier Gallimard éd., 200 p.

Jeune femme ravissante si l'on en croit ses photographies, Gisela Elsner, sitôt qu'elle écrit, change de voix, de visage, de sexe, d'âge, adopte un point de vue singulier, de nail ou de demeuré, propre à tous les émerveillements ou à toutes les terreurs, celui, toujours, d'une sorte d'affreux Jojo ayant un cousinage lointain avec des gens très divers, Alice, Zazie, Molloy ou le nain Oscar, mais qui ne demande l'avis de personne pour dire ce qu'il pense. Si Gisela Elsner prend ainsi ses distances avec le monde, c'est pour mieux le décrire dans son étrangeté ou son horreur quotidiennes, pour le redécouvrir derrière le voile des habitudes et des idées reçues. Dans les Nains.Géants, son pre· mier livre qui lui valut le prix Formentor en 1964, un enfant parlait. Dans la Génération montante, son second roman, le narrateur est un adolescent au développement physi. que monstrueux, à l'intelligence dé· ficiente (du moins selon les nor· mes courantes) et inquiétante.

Une effarante logique L'enfant des Nains-Géants racontait les faits et gestes de ses parents, la goinfrerie de son père, le professeur, les menus travaux de sa mère, disait sa relation aux objets ou à son propre corps, notamment à ses pieds, plats et souvent couverts d'ampoules, transformait la visite chez le docteur (amateur de chiens) ou la promenade dominicale des citadins dans la forêt en autant d'aventures épiques ou insolites. Son récit était comme tricoté à l'envers, ne se référant jamais à des concepts généraux, à un savoir théorique. Pour l'enfant, tout événement, tout geste nouveau étaient des découvertes, exigeaient une ou des interprétations, mais celles-ci n'étaient possibles qu'à partir des éléments limités de son expérience. Ainsi une inscription n'était pas lue, mais décrite lettre à lettre au moyen de termes comme barre, rond, haut, bas, en travers, ouvert, fermé, et des chiffres de un à dix. seuls connus

du jeune narrateur. Minutieuse comme celles des artistes nails qui peignent les arbres feuille à feuille, cette description était d'une effarante logique. Et d'un humour sin· gulièrement absurde, car si tout était dit de l'apparence, de la maniè· re dont l'inscription se révélait au regard, seul le sens échappait qu'il aurait fallu reconstituer en dessinant chaque lettre d'après sa description.

Une succession d'histoires Curieusement, cette manière de dérouler tous les aspects du monde sensible, de le saisir dans son infinie variété n'engendrait pas une impression d'éparpillement. Les objets, les formes semblables étaient donnés séparément, certes, mais reconnus comme semblables, ils introduisaient dans le récit, avec le prin. cipe de répétition, l'amorce d'un ordre, et presque d'un savoir. Bref énumérant ses essais, seS erreurs, ses succès, comme ses joies et ses craintes, le petit garçon contait son apprentissage de là vie, nous proposait du comportement des adultes ,,!-ne vision apparemment déformée, mais en vérité cruelle ou cocasse, et toujours juste. Dans la Génération montante, Gisela Elsner conserve le même procédé. Là encore, il n'y a pas d'histoire, mais une succession d'histoires, de notations, de digressions, le seul lien entre elles étant la voix, les sou~enirs, les tics de langage, les références aux gestes habituels d'un narrateur unique. Qu'un adolescent remplace ici l'enfant des Nains-Géants, ne change pas grandchose, semble-t-il, puisque cet adolescent, si grand et si gros qu'il a le plus grand mal à se déplacer, qu'il sort très peu de sa chambre où sa principale occupation consiste à écorcher ses boutons et à enlever ses croûtes, est demeuré singulière. ment infantile.

FraÎcheur du regard Pourtant l'auteur évite le procédé, et le second livre n'est pas la suite ou le redoublement du premier. Certes, on y trouve le même sens de la description minutieuse, la même manière naïve - tenant à la fraîcheur d'un regard encore sans


Un rO.lDantislDe sec Milan Kundera Risibles amours Trad. du tchèque par François' Kérel Coll. « Du monde entier» Gallimard éd., 225 p.

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parfait - sauf quand il pressent une menace pour sa personne ou, référence, sans expérience de simplement, pour son apathie. Mais transformer un événement banal rien n'échappe à ce contemplatif. en drame burlesque, de rendre l'ha- Sans mémoire, sans savoir, sans débituel insolite. Mais, malgré les ap- sir, il est pure attention, il enreparences, les points de vue diffè- gistre et décrit tout ce qui se passe rent; l'adolescent Noll n'est pas autour de lui, dans l'instant, lcs l'enfant Lothar. Lothar cherchait à allées et venues, les habitudes, lcs apprendre, à progresser. S'il se manies des voisins, les interprètc rebellait contre le monde des adul- à partir de quelques données fragtes, c'était par dépit de ne point mentaires. Le bain de la famille le comprendre, par rage de n'y être Eibisch, le duel d'observateurs, de point admis. Quand il parlait de la voyeurs qui oppose le' narrateur et goinfrerie de son père, des colères . Madame Mindel, vieille femme paépiques de l'infirme Kecker, des .ralysée, immobile devant .sa fenêtre ridicules du docteur ami des bêtes, comme lui dans sa chambre, sont ce monde lui apparaissait visible- autant de scènes d'une drôleric ment comme un merveilleux théâtre cruelle et étrange. Progressivement, Gisela Elsner de marionnettes. Pour le fils Noll aussi, les adultes ressemblent à des fait basculer le réel dans le fantasmarionnettes. Seulement cela ne lui tique. Un cQtirt séjour à la campafait ni chaud ni froid; il 'n'a au- gne suffit pour que le confort petit cune envie d'apprendre quoi que ce bourgeois des Noll soit totalement soit - mieux, il se réjouit de ne remis en question, pour que toutes rien retenir - et ne désire aucune- les certitudes disparaissent. A l'aument monter sur le théâtre et se berge d'abord~ puis dans une ferme mêler aux activités des autres. Sans singulière où tous les domestiques doute, à la fin du récit, et contre sont littéralement « animalisés », le toute attente, on le voit accepter un narrateur, arraché à son monde, à emploi, mais cette acceptation est sa paix, à la contemplation de soi, aussi dérisoire que l'emploi lui-mê- découvre une humanité grouillante, me, symbole de la mécanisation et grotesque, inquiétante, d'autant de la deshumanisation du travail plus inquiétante qu'elle obéit seulepromis à la «génération montan- ment à ses impulsions et à ses caprices, qu'elle n'a pas comme lui le te D. En fait, le jeune Noll qui appelle privilège de la quasi-immobilité, ses parents «mes nourriciers» ne d'une indifférence non point malafait rien d'autre qu'être là, simple- dive, mais sereine et lucide. Car ment présent à sa graisse, à ses sous la satire et le jeu, sous le masbobos, à ses humeurs, à ce qui tombe que de l'enfant chétif ou du géant plus ou moins fortuitement sous demeuré. Gisela Elsner dissimule son regard. Son seul intérêt est une pénétrante lucidité. Sous le repour son apparence. Le reste est gard de ses personnages, c'est notre donné de surcroît qu'il contemple monde qui st< révèle et qui se disavec une indifférence souveraine, sout. C.B. qu'il raconte avec un détachement

.La Qidma.... Uttâ'alre, du 1..r au 15 février 1971

Les phrases nettes qui composent le recueil de nouvelles Risibles amours, outre qu'elles ont l'air de rudement bien savoir où elles vont, forment un monde de noir et de blanc, de grisaille et de neige (alors qu'aucune neige n'apparaît réellement). La note dominante, c'est l'absence de couleurs, une austérité du regard, du paysage et des silhouettes. Kundera est un écrivain qui vient du froid : on travaille, on aime, on rêve, mais tout ça dans un gel intérieur.' Il y avait ça aussi chez quelques cinéastes de la génération Kundera. Chez Milos Forman (les Amours d'une blonde), chez Ivan Passer; ce qui ne signifie pas froideur. Ces gens prennent les choses, les gens, les sentiments au plus près. Ils traitent de ce qui leur est proche, de ce qui les environne. Kundera met en scène des filles qu'il a sans doute connues. Il laisse ses personnages dans le' cadre tchèque des années soixante. Etudiants, docteurs, couturières, femmes de ménage composent cet univers quotidien. Des hôtels, des bureaux, des hôpitaux et des universités servent de cadre à ces récits. On voit tout de suite qu'on est à des années-lumière du roman français. Ce besoin irrépressible de parler de l'aujourd'hui., des visages qu'on connaît, se traduit dans le style par un côté « fonceur ». Pas d'adjectif tarabiscoté, de phrase qui s'embrouille dans ses propres charmes. Kundera ne nous fait pas rencontrer ses personnages. Il nous cogne à eux. Ce qui n'empêche pas une sulJtile radiographie de leurs motivations': avoir un métier plus intéressant, briser sa solitude, sortir du cadre quotidien. Lire le recueil de nouvelles de Kundera, c'est être invité à sortir avec des amis, connaître la vie de chacun, partager la table, le lit, les vacances. On ferme le livre avec l'impression d'avoir rencontré Klara, Edouard, Elisabeth, avec l'impression d'avoir sorti des garçons et des filles l'espace d'un week-end. Tout ceci a un parfum de bonne humeur. Mais c'est très apparent. L'auteur n'est pas dupe. Sous un ton volontiers désinvolte (et presque

charmeur sans le faire exprès), sous un jeu de surfaces assez vif pour paraître chatoy~nt, se révèle un monde de frustrations, de sentiments cachés et de ~apports compliqués, mais vrais. Au détour d'un paragraphe le masque est arraché : c'est la confession, son chant pur èt direct: « Ce qu'il regrettait le plus de ne pas trouver dans la vie, c'était l'insouciance. La route de sa vie était tracée avec une implacable précision. Le travail faisait plus qu'absorber huit heures par jour; il imprégnait le reste de la journée de l'ennui forcé des réunions et de l'étude à domicile ». Dans cette ambiance dépressive, la seule manière de lutter, c'est de plaisanter. Une telle attitude vaudra d'encourir des risques disproportionnés (voir le roman de Kundera justement intitulé la Plaisanterie). Le narrateur' accepte pourtant de jouer le jeu. Plaisanter, c'est l'oxygène, la seule façon de lutter contre la pression de la société. Mais ce jeu peut aussi se pratiquer dans le cadre de relations intimistes entre un homme et une femme. Et le résultat est tout aussi catastrophique. C'est le cas dans la nouvelle la plus belle, la plus déchirante : le jeu de l'auto-stop. Jeu d'une cruauté insoutenable entre un garçon et une fille qui s'aiment, mais qui veulent aller jusqu'au bout dans la comé.' die qu'ils ont décidé de se jouer (elle joue à la prostituée et lui au conducteur sadique). Kundera, qui est le vrai meneur de jeu nous fait assister à cet échange effroyable de coups, et finalement la dureté du combat rappelle le froid éclair de la révélation de l'Autre dans des r0mans comme les Liaisons dangereuses, ou les Mauvais coups de Vail· land. Un couple se démolit sous nos yeux. C'est Albee aussi, une certaine violence contemporaine. Aisance, souplesse. Sûreté du trait. Kundera joue au chat et à la souris avec ses personnages. Il est toujours le chat, d'ailleùrs. Par moments il agace presque, de trop de maîtI'ise. Mais comme la \lérité est au bout de chaque phrase on n"ose pas s'en plaindre. L'analyse révèle trop bien l'envers du décor, tristesse, solitude, et ce quelque chose de morne qui accable les gens, ce quelque chose qui tient à la société plus qu'aux individus. C'est la leçon de ce livre qui n'en donne aucune: on n'enlève pas un certain' tragique en pratiquant un socialisme sans visage. Jacques-Pierre Amette

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J. L. Baudry

Les prodromes Robert Merle

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Derrière la vitre

Gallimard éd., 421 p.

Le monde romanesque de Robert Merle est bien loin de l'imaginaire. Ce qui s'y trouve d'inventé n'est que confirmation et reflet d'une réalité d'ordre historique et de portée documentaire. L'auteur raconte, et surtout il témoigne, avec d'ailleurs une évidente honnêteté. Pour ce faire, il s'entoure de porte-parole, de personnages «argumentaires", dont l'existence, dans le roman, a valeur de preuve. Ce sont l'intelligence de sa présentation, la générosité passionnée de ses lignes de force, qui confèrent à l'œuvre sa qualité littéraire, et non pas l'intérêt porté au développement d'un récit en soi, à travers les richesses internes d'une écriture. Robert Merle est un romancier à idées, autrement dit à sujet. C'est ainsi que dans Derrière la vitre il aborde, entraîné sans doute par son expérience personnelle de professeur, le problème de la contestation étudiante. Rien de dialectique, il est vrai, dans ce livre, qui se défend de déboucher sur un point de vue défini. Pas de démonstration, mais une imagerie habile et souvent convaincante qui reprend les différents aspects de la question. Le lieu : Nanterre. Le temps : une journée (au sens historique du mot), celle du 22 mars 1968.

Le 22 mars à Nanterre Il était intéressant de choisir cette période d'agitation pas tout à fait pré-révolutionnaire, plutôt que la pleine violence et la démesure dramatique des événements de mai. En outre, le 22 mars à Nanterre a eu à la fois valeur de germe et de symbole, et Robert Merle pouvait y analyser des éléments non encore déformés : vie étudiante «normale ", puissance apparemment intacte du mandarinat, solidité du pouvoir... ; tout en levant à chaque pas, et jusque chez les individus les plus éloignés du mouvement, les causes et les premières manifestations d'un irrésistible mécontentement. En se gardant soigneusement de décrire, l'auteur nous introduit dans telle ou telle psychologie exemplaire : étudiant communiste, fille à papa, gauchiste, assesseur du doyen, étudiant apolitique mais «sympathisant ", fille en mal de virginité à perdre, maître-assistant..., et même (c'est le personnage le plus conventionnel, en dépit de ce qu'il représente humainement) ouvrier algérien du bidonville de Nanterre. Le livre apparaît ainsi comme une mo-

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saïque de monologues intérieurs, chacun écrit dans le 'langage supposé typique psycho-sociologiquement. Ce qui est amusant et bien fait, mais ne va pas sans une certaine stylisation forcément artificielle. Une stylisation qui, heureusement, n'est pas une schématisation absolue. Car Robert Merle sait enrichir ses personnages, d'abord d'un passé (où les parents n'ont vraiment pas le beau rôle), et aussi d'un 'registre d'émotions, de troubles, de contradictions, assez étendu pour permettre de multiples variations de la voix. Disons que l'écrivain étoffe psychanalytiquement ses créatures, pour atténuer leur caractère trop fonctionnel de représentativité d'une tendance, d'une origine ou d'un âge.

Une jeunesse difficile ))

«

Au soir du 22 mars, tout, semblet-il, est rentré dans l'ordre (les groupuscules ont évacué la tour administrative qu'ils avaient décidé d'occuper pour obtenir la libération de leurs camarades «embastillés,,). Beaucoup d'étudiants et de professeurs auront traversé cette journée sans se rendre compte de son importance, indifférents ou préoccupés, comme la veille et comme le lendemain, par leurs problèmes immédiats et personnels. Cela encore, Robert Merle nous le fait intelligemment sentir. La vie n'est pas une, et les actes même collectifs sont le résultat moins d'un consensus' que d'un réseau hasardeux d'espoirs, de désirs et de soucis égoïstes, baignant dans la crainte et dans une fondamentale apathie. Pourtant - mystérieusement peutêtre - la machine est en marche. Pour le lecteur, au terme de ces pages attrayantes et assez équitables dans la plupart des cas, il y a réellement le sentiment d'avoir vécu à l'intérieur de ce Heu clos (hélas) qu'est une Faculté comme celle de' Nanterre. D'être allé derrière la vitre, côtoyer ces enthousiasmes, ces tourments, cette précoce veulerie chez certains. D'avoir connu ou retrouvé une jeunesse difficile au double sens du mot : pas commode, mais ne se contentant pas des biens - matériels et intellectuels - tout mâchés, que la société lui offre et veut lui transmettre pour tout héritage. Derrière la vitre c'est aussi un effort sincère pour ~ller, derrière la fausse transparence des gestes et des paroles, voir ce qui, dans le cœur des hommes déçus ou révoltés, annonce et prépare une autre vie.

Lionel Mirisch

La première question qui se pose concerne le titre de votre ouvrage. Pourquoi : La Création avec en sous-titre • Premier état : l'an· née» ? Jean-Louis Baudry. - J'al choisi le mot de • création. parce qu'il représente un concept particulièrement chargé sémantiquement dans la civilisation judéo-chrétienne. Il renvoie en même temps à une double dimension religieuse et idéologique. Il évoque la création divine et la création artistique. C'est un terme qui traverse l'ensemble de notre espace idéologique. Je l'ai mis entre guillemets dans le titre car il convoque tout un arrièrefonds et qu'il fonctionne ainsi comme antiphrase par rapport au reste de la création. D'un autre point de vue encore, la création représente tout un espace signifiant délibérément ignoré par l'Occident. Le titre doit donc convoquer des cosmogonies et des civilisations exclues de nos perspectives habituelles. Le sous-titre : Premier Etat : l'année, fait de cette dernière une sorte de matrice formelle qui doit faire apparaître le travail signifiant ainsi que la résistance de la matière, non celle de l'esprit dans le sens valéryen du terme. L'année est aussi la matrice qui scande et rythme la production fol· klorique ou mythique dans le texte. Cela dans le sens même qui nous en est donné dans ies textes de l'anthologie sanskrite par exemple. Enfin l'année représente àussi le cycle éternel de la naissance et de la mort. Le mot année renvoie donc aussi au mot anneau? J.-L. B. bien sûr.

Oui, c'est aussi cela,

Pouvez-vous m'éclairer sur le sens de la notation chiffrée qui acompagne chacun des 365 frag· ments de votre texte? J.-L. B. - Cela est fort simple chaque fragment est précédé de quatre chiffres qui correspondent respectivement à la saison, au mois, à la semaine et au jour. En plus de cette structure, il y a aussi un changement de temps trimestriel qui fait que l'on passe successivement de l'imparfait, au futur, puis au présent et enfin, retour à l'imparfait.

On distingue quatre structures pronominales dans votre livre, à quoi correspondent-elles? J.-L. B. - Chaque forme couvre une semaine du mois. Les quatre formes sont d'abord la structure neutre de la première semaine, le tu qui renvoie ensuite au scripteur lui·même, puis le couple je-tu qui sont l'homme et la femme, et enfin dans la quatrième semaine j'utilise l'indexation plurielle. Les fragments sont précédés de titres, quels sont les thèmes que vous évoquez là ? et pourquoi? J.-L. B. - Je crains que cette question ne demeure sans réponse. Sans doute le choix de ces motsthèmes ressortit-il à l'ordre du désir et de l'inconscient qui sont à l'œuvre dans l'écriture. Mais il n'en demeure pas moins que ces motsthèmes indiquent un travail à partir du signifié. Le thème est en effet un signifié, que le signifiant efface au fur et à mesure. C'est dire, ce qui est important, c'est que dans la production du texte, on part du signifié pour aller vers le signifiant et non pas vers le référent comme on a coutume de le faire. Le motthème fonctionne donc comme un inducteur au niveau du sens et de la production du signifi~nt.

y a·t-il un rapport entre votre conception du • fragment» et celle que s'en faisait Novalis dans son Encyclopédie, par exemple? J.-L. B. - Oui, dans la mesure où le fragment est opposé au système en tant qu'achèvement, ou linéarité. Comme Bataille, je vois dans le fragment une opposition au discours du sens, à la discursivité exhaustive. Et puis, un système de pl'oduction est toujours fragmentaire, tout comme le rêve. S'agit-il, dans votre texte de gra· vitations ou de palimpsestes? J.-L. B. - Les deux processus existent : le palimpseste en tant que recouvrement du texte par luimême; celui-cI se trouve traversé dans toutes ses couches par une sorte de lumière. Mais la gravitation se joue, elle, au niveau de l'espace interstellaire de la cré. tian et vous savez que je fais appel à la théorie de la gravitation de Newton.


et "la Création"

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~Œ~ last exit to Brooklyn Traduit de l'américain

Michel-Ange

Dans cette parturition infinie du texte, vous évoquez Newton, en effet. Mais aussi, Héraclite, Démocrite, le feu, les atomes ... Comment justifiez-vous le cheminement de la vision qui va des "prélèvementspré-socratiques à ceux de la physique newtonienne? Est-ce pour la diachronie du sens dans ses différents énoncés à travers les âges, ou bien s'agit-il de mythes et de « logos" en alternance? J.-l, B. - J'opère ces différents prélèvements»» pour faire surgir lp. texte matérialiste exclu. Mais ces sources sont volontairement fondues de manière à ce qu'aucune ne prenne un relief ou une importance particuliers. J'ai voulu donner une perspective du savoir qui fasse saisir une sorte d'unité de la production signifiante. D'où la diversité des prélèvements hindous, chinois,· sumériens, dans lequel vient se fondre le texte matérialiste scientifique lui-même. ce

A propos du rythme vous indiquez je crois les mots ce apparition, recouvrement, superposition, effondrement .. ? J.-L. B. - Oui, ce sont ceux-là mêmes qu'emploie Engels à propos du mécanisme cyclique de l'univers. La production du signifiant se fait par rapport au mouvement dialectique de l'univers. Mals on peut aussi

La

(détail)

voir dans ce rythme celui même de l'inconscient, ou celui de la castration qui provoque la création à partir du démembrement comme l'évoquent les mythes sumériens, semblables en cela aux processus bien connus de la mitose cellulaire, du corps humain. Peut-on parler de lecture «en creux" au sens derridien du terme ? Y a-t-il, comme on en a le sentiment perfusion et interchangeabilité de tous les éléments de cette production qu:est votre texte? J.-l, B. - Oui, absolument, la langue est prise ici dans son sens essentiellement permutatif. On peut voir dans la Création un analogue du mythe d'Isis à la recherche des morceaux perdus d'Osiris. Je puis d'ailleurs siQnaler qu'Isis signifie savoir. La quête d'Isis est donc comme le parcours de l'écriture elle-même, la recherche du signifiant et de la co-naissance.

"Après plus de dix ans de censure et d'autocensûre, de maquis à New Yor1< et de procès à Londres, voici, en français, le livre terrifiant. Un monde où tout est sexe parce que rien n'est amour." JACQUES CABAU / L'Express. "Avec Selby, nous affrontons la matérialité brutale et nue des faits, nous sommes submergés par eux jusqu'à demander grâce. Il n'est pas douteux qu'Hubert Selby soit un grand écrivain et son livre un coup de maître." MAURICE NADEAU / La Quinzaine Littéraire. "C'est la force et l'audace assez criarde, le réalisme, l'argot, le coup de poing à l'estomac. Il y a dans ce livre une espèce de rage, terrible comme un règlement de comptes: on n'y résiste pas." MATTI:lIEU GALEY / France-Soir. "Un grand livre, cruel et sans concessions." Le Nouvel Observateur. "Du sein de l'horreur, la fureur de vivre, quelque chose de haletant, monte comme un chant de gloire." JEAN SULIVAN / Le Monde. "Un des livres les plus forts qui nous soient venus d'Outre-Atlantique." TRISTAN RENAUD / Les. Lettres Françaises. "Un document d'un sauvage réalisme épique." PIERRE KYRIA 1Combat.

ALBIN MICHEL

ALBERTO

MO

~IA

le paradis nouvelles

Après ce " premier Etat - en écrirez-vous un deuxième? J.-l, B. - Je pense que oui, mais pour le moment je ne puis en par1er. Mais je crois qu'on peut en supposer l'existence, comme celle de l'adulte peut être postulée à partir de l'enfance et de la genèse. Propos recueillis par A. Fabre-Luce

QuInZaIne Uttéralre, du 1"r au 15 février 1971

vu

un enfer par Moravia

FLAMMARION 9


Parcours· de Jean-Pierre ,

'

par Jean Schuster Jean-Pierre

Briss~t

passant par Jacob Boehme, dont la préoccupation est de découvrir la vérité des origines de l'homme, telle qu'elle demeure scellée par les écritures sacrées.

La grammaire logique La science de Dieu précédé de

7 propos sur le 7e âge par Michel Foucault Tchou éd., 337 p.

III. Le parcours sexuel

1. Le parcours du langage Voici une partie de l'œuvre de Jean-Pierre Brisset livrée au public. Garantie par Michel Foucault, elle a quelque chance d'acquérir une audience. Elle ne manquera pas, non plus, d'alimenter les prochaines recherches scientifiques 'sur la sémantique des quelques revues à la mode. Pour l'heure, réjouissons-nous que l'ombre peu à' peu se dissolve autour de pensées « marginales » que le surréalisme avait signalées sans écho il y a quelques dizaines d'années. S'il est juste d'évoquer à propos de Brisset les nombreux auteurs qui se sont adonnés à des opérations de chirurgie verbale (à Roussel et à Wolfson, cités par Foucault, à Duchamp, Fargue, Roussel également, Desnos, Leiris, Michaux, Joyce, mentionnés par Breton, on pourrait ajouter Lewis Carroll, les dadaïstes, Cummings, Cabanel), il convient de souligner l'originalité du projet de Brisset : ici, l'ambition est autrement plus grandiose, le but est différent; il ne s'agit pas de forger un nouvel outil qui libérera les images (Roussel), ni de désarçonner le sens commun par des collisions homophoniques (Carroll, Duchamp), ni de découvrir dans la décomposition d'un mot une signification plus objective, plus juste, plus profonde que la signification originelle (Leiris). Brisset, quant à lui, tente de pénétrer les secrets de l'origine humaine. Foucault, lucidement, écrit : « Les mots, ce sont

des fragments de discours tracés par eux-mêmes, des modalités d'énoncés figées et réduites au neutre. A vant les mots, il y avait les phrases; avant le vocabulaire, il y avait les énoncés; avant les syllabes et l'arrangement élémentaire des sons, il y avait l'indéfini murmure de tout ce qui se disait. Bien avant la langue, on parlait». En ce sens, nous serions beaucoup plus tentés de rapprocher la démarche de Brisset des incursions de la tradition hermétique dans le domaine. du langage, à travers la-éabale phoné#que ou langue des oiseaux. Brisset, ce-

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Jean-Pierre Brisset pendant, ne saurait être pris pour un initié. Ses violentes diatribes contre les langues mortes (hébreu, grec et latin) coupent court à toute hypothèse de ce genre. Il reste qu'ici comme là, c'est à la question des question posée par Kant « D'où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous ? » qu'il est cherché réponse. On doit souhaiter désormais que la lecture de Brisset invite à le situer dans d'autres courants que celui défini par les ouvriers du langage, si l'on admet que Foucault a effectué à cet égard le travail indispensable.

Il. Le parcours mystique Comment, d'abord, négliger le qui circule dans tous les écrits de Brisset et qui commande le rythme de- publication de ses livres, le choix du moment où la parole sera proférée? L'auteur est illuminé par sa mission, sinon de prophète, du moins de divulgateur mystici~me

des prophéties de Daniel et de Jean. S'il publie en 1890 le Mystère de Dieu est accompli, c'est, explique-til, que cet ouvrage est la septième trompette de l'Apocalypse, qui doit retentir, d'après Jean, sept ans après la révélation du septième sceau. Or, le septième sceau a été' révélé en 1883 par la Grammaire logique. Par la suite, Brisset reviendra sur cette chronologie et attri· buera à la Science de Dieu, publiée en 1900, le rôle de la septième trompette. D'après Jean, en effet cette septième trompette doit reten· tir trente ans après la chute de' l'antéchrist; celui-ci, pour Brisset, n'est autre que le Pape auquel le gouvernement italien a retiré tout pouvoir temporel en 1870. A partir d'un matériel double le langage, les prophéties - Brisset tente de fixer le point initial d'une ontogenèse.' A d'autres époques, son message se serait inséré dans le courant théosophique - et hérétique - occidental qui va de Joachim de Fiore à Swedenborg en

Une autre dimension de l'œuvre de Brisset, qui n'a pas échappé à Breton, est un pansexualisme aussi constant qu'exubérant; lci, -les citations abondent : « Le sexe est le premier astre » (Mystère de Dieu). « Se hattre en duel : les deux démons, le membre dur, veulent réci· proquement s'enfiler ou se le fourrer dans le bec. Cela n'arriva point avant la venue des deux testicules qui, dans tout duel, sont représentés par deux couillonS stimulant réciproquement leur membre actif ». (Mystère de Dieu). « La force sexuelle est seule créatrice de toute la parole humaine, comme elle l'est de tous les humains ». (Science de Dieu). « Le feu d'amour a tout créé; c'est du sexe que le soleil, la lune et les étoiles se sont élancés dans l'immensité ». (Origines humaines). « D'une manière générale, les mots qui désignent le sexe mâle désignent aussi la femme et ceux qui désignent le sexe féminin désignent aussi l'homme. La femme est aussi la propre chair de l'homme et l'homme la propre' chair de la femme. Les deux ne sont qu'une chair. Cette loi est frappante dans le mot con qui nomme le sexe féminin et l'homme stupide; de même, la femme est le membre de son mari. Il s'ensuit que celui qui touche à la femme d'un autre caresse le membre de cet autre et celle qui prend le mari d'une autre femme prend le con de cette dernière. Il y a plus de moralité dans ces quelques lignes que dans le plus beau traité sur la sainteté des lois du mariage; car le beau lan· gage est une incitation au vice»

(Origines humaines). Cette explication, enfin, du port des décorations que n'aurait certai· nement pas contredite Freud : « On reconnaît les esprits atteints par les démons sexués à la rage qui pousse les plus hautes intelligences huniaines à s'accrocher des rubans rouges, verts, violets et de toute autre couleur; d'autres s'attachent des médailles, des cordons, des croix sur le corps, autour du cou, en travers du ventre, etc. Ces fous ont besoin d'un tire-l'œil que les autres n'aient


8risset pas» (Science de Dieu). Un tel pansexualisme laisse d'ail· leurs rêveur quant à l'orthodoxie spiritualiste de Brisset. On peut deviner un système où le Dieu nommé serait une figure sans vertus transcendantes, comme, semble-t-il, chez Fourier, un principe spirituel postérieur aux origines de l'existence, ce qu'attesterait au besoin cette phrase magnifique... « car l'esprit est né de la chair et pour cela la chair a dû être torturée par tous les feux de l'amour furieux» (Mystère de Dieu).

IV. Le parcours de la révolte Enfin, Brisset révolté, voire libertaire. Donnons-lui la parole, une parole qui n'est pas sans rappeler, j'y reviens, celle de Charles Fourier, dont il faudra bien également le rapprocher, ne serait-ce qu'eu égard à la démesure du projet et à son élaboration solitaire, en écart absolu avec toutes les normes et les méthodes de pensée en usage : « Les peuples détruiront ceux qui les ont armés les uns contre les autres et les nations seront brisées comme les vases d'un potier. L'esprit de nationalité disparaîtra comme est disparu l'esprit provincial» (Science de Dieu). « Les lois ne doivent avoir d'autre but que d'assurer à tout homme la plus grande liberté individuelle et chacun doit faire ce qui lui semble bon » (Science de Dieu). « Or, quand les armées auront été détruites, que la guerre aura été bannie et jetée dans l'étang de soufre et de feu, quand les clergés ne ruineront plus les peuples ni ne les angoisseront plus avec la crainte de la mort et la peur de l'enfer, il y aura une abondance de biens, de paix, de tranquillité, de bonne volonté les uns envers les autres qui constituera et donnera au corps humain toute la mesure de satisfaction qui lui est bonne et utile» (Prophéties accomplies).

V. Le parcours biographique La vie de Jean-Pierre Brisset nous est presque entièrement cachée. Je reprocherais à Michel Foucault, toutefois, d'être trop péremptoire lorsqu'il commence son « 7" propos sur le 7" ange » par ces mots : « Ce que nous savons de Brisset D. Nous en savons un peu

Refus d"obteD1pérer plus que Foucault ne le dit, notamment par Brisset lui-même. Il aurait fallu prendre la peine de lire l'œuvre en entier au lieu de s'en tenir aux deux seuls livres réédités. 1 - Bibliographie : aux sept publications indiquées, il faut ajouter la Methode zur Erlenung der Franzoesischen Sprache (Nouvelle Méthode à l'usage des Allemands), un volume in 8° de 264 pages Magdebourg 1874. C'est probablement le premier livre de Brisset. La référence est donnée sur la couver· ture de la version de 1878 de la Grammaire logique. 2 - Brisset n'a pas été seulement officier de police judiciaire et professeur de langues vivantes (précisons : français, allemand et italien de 1871 à 1881) mais aussi officier de l'armée qu'il quitte en 1871 « pour ne pas être amené à l'étouffement de la République» (Le Mys. tère de Dieu). Ce détail, dans une biographie si pauvre, a peut.être son importance. La publication du Mystère de Dieu « chez l'auteur, en gare d'Angers (St-Serge) », laisse supposer, en 1890, une fonction aux chemins de fer. 3 - En 1912, Brisset est victime d'un canular monté par quelques écrivains (dont Jules Romains) qui lui décernent ironiquement le titre de Prince des Penseurs. Une photo, reproduite dans l'Anthologie de l'Humour Noir, représente Brisset à cette « cérémonie ». 4 - Brisset paraît n'avoir résidé qu'à Paris, où il est en 1878, 18, bd Montmartre et à Angers où sa présence est sûre en 1883, 1890 (gare St-Serge) et en 1913 (19, rue St-Lazare). Rien n'indique avec certitude qu'il soit originaire d'Angers. Cependant, le nom de Brisset est très répandu dans la région. Sa date de naissance ne peut être 'de beaucoup postérieure à 1845 puisqu'il est officier en 1871. Notons qu'un autre grand visionnaire, Henri Rousseau, naît en 1844 et vit à Angers de 1861 à 1868. Nous perdons toute trace de Jean-Pierre Brisset en 1913, à la publication des Origines Humaines. L'Université s'ouvre aujourd'hui à des aventures de l'esprit que naguère elle ignorait ou tournait en dérision pour les abandonner à l'exaltation des poètes. L'essentiel est de savoir qui sera dévoré : les voix majeures récupérées par la philosophie officielle ou celle-ci, précipitée dans la décomposition par une absorption gloutonne de pensée subversive ?

La Qwdnza1ne Littéraire, du 1er au 15 février 1971

Benjamin Péret Les Rouilles encagées Coll. «Le désordre" Eric Losfeld éd., 80 p.

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André Thirion Le Grand ordinaire Coll. «Le désordre" Eric Losfeld éd., 180 p.

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Le Grand ordinaire et les Rouilles encagées ne sont pas inédits puisque le premier de ces livres a paru en 1943 et le second en 1954, mais leur diffusion fut si restreinte qu'ils sont encore très peu connus. L'ouvrage de Benjamin Péret est daté de 1928 et celui d'André Thirion, bien que repris au début de la Seconde Guerre Mondiale, avait été entrepris et en partie rédigé en 1929 et 1930. Ils appartiennent donc à la grande période surréaliste. Même en tenant compte de leur première édition, la parution tardive de ces livres peut surprendre. Les surréalistes ont fait grand cas de l'érotisme et se sont souvent donné toute licence de le célébrer. S'il y avait quelque danger à le faire trop ouvertement - Desnos s'était vu condamné pour la Liberté ou l'amour - on pouvait toujours faire paraître un livre délibérément érotique, comme le Con d'Irène, sous le manteau. Mais Péret se pré. occupait bien peu de la publication de ses écrits et Thirion, après avoir fait partie du groupe au début des années trente, avait abandonné la littérature, désenchanté semble-t·il - sa préface de 1970 ne donne aucune explication. Quoi qu'il en soit, les deux livres présentaient évidemment en leur temps des difficultés de publication : ne pouvant paraître au grand jour, ils ne répondaient pas non plus aux goûts spécifiques des amateurs de curiosa et n'auraient pu faire l'objet d'une édi· tion vendue sous le manteau. Deux ouvrages (faudrait-il dire outrages ?) à la fois tn;>p choquants et pas assez vicieux pour les bonnes âmes et pourtant fort dissemblables.

Une énorme farce Les Rouilles encagées est une énorme farce. On y retrouve les têtes de Turc de Péret, les curés et les militaires, mais son habituelle violence a fait place ici au rire, un gros rire rabelaisien se plaisant au gigantisme et aux énumérations loufoques. Un déluge séminal... Les personnages en ont jusqu'aux genoux, les plus jeunes enfants se noient! «Le foutre montait toujours... Tous, hommes et femmes, commencèrent à avoir peur, à l'ex-

ception de Machevit" et ce terrible débordement «pénétra dans les meubles qu'il féconda avec de grands hurlements rappelant le vent dans les cheminées alors que leS bûches flambent et que leur chaleur chatouille agréablement les sexes sommeillants... " Les amateurs de lecture érotique ne sauraient supporter que l'humour saccage ainsi toute vraisemblance. Les Rouilles encagées est une charge du roman érotique et Péret dut beaucoup s'amuser à l'écrire, autant qu'Yves Tanguy à l'illustrer.

Des choses âpres Le Grand ordinaire possède un ton tout différent. On ne s'embarrasse pas là non plus d'une histoire romanesque suivie : on passe d'hôtels particuliers en hôtels meublés et de cabines de navire en chambres de province où vous pouvez là comme ailleurs tomber dans un pandémonium d'animaux bruegheIiens qu'on massacre au cours d'on ne sait quelle chasse ou rituel érotique et noir. Ici, lorsqu'on nargue le lecteur, c'est qu'on a, sous couvert de délire et de satÎ're désinvolte, des choses âpres à lui faire entendre: défense de la femme ou réquisitoire contre la morale en cours que les passages scabreux sont destinés à heurter de front.

Nourri de Diderot et de Fourier Celui qui déclare : «Je n'étais pas intégré dans le grand système du décervelage, bien que je ne fusse pas tout à fait à l'abri des éclaboussures " est nourri de Diderot et Fourier qu'il invoque à plusieurs reprises. A la révolte de 1930 d'autres colères rentrées s'étaient ajoutées en 1940; elles surgissent au long du livre en des pages très dures. On appréciera plus d'une fois à la ~ecture l'écart ou le rapprochement des deux époques où le livre fut écrit. Les années trente et les années quarante, les années soixante-dix : plusieurs pages du Grand ordinaire rendent l'addition moins simpliste. Notons enfin que l'illustrateur, Oscar Dominguez, a suivi le travail profond de l'écrivain, introduisant dans ses dessins surréalistes, l'effigie grotesque et dûment médaillée du Maréchal Pétain. Sourire amer d'André Thirion, grand rire de Benjamin Péret en leur refus d'obtempérer... Serge Fauchereau

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INEDIT

R. Martin du Gard •• Avant de mourir, en 1958, Roger Martin du Gard avait travaillé durant quinze ans à la rédaction des Mémoires du colonel de Mau· mort. Cet ouvrage, inachevé, mais dont l'auteur souhaitait la publication, il n'est pas sûr qu'on le lise bientôt. Le manuscrit reste en effet bloqué à la Bibliothèque Nationale à la suite de malentendus relatifs à la succession de l'écrivain. Nous avons eu en mains une partie de ces Mémoires : 500 pages environ, qui jettent un jour nouveau sur l'œuvre de Martin du Gard et modifient quelque peu l'image traditionnelle qu'on se fait de l'auteur des Thibault. A l'intention de nos lecteurs nous avons détaché les pages sui.vantes. Bertrand de Maumort, étudiant à Paris, ne connaît encore de l'amour que de rares plaisirs tarifés quand il rencontre, chez un peintre, une jeune Martiniquaise, modèle : Zabette. Il cherèhe à la revoir chez elle, rue Mouffetard, où l'emmène la tante de Zabette : Célie.

Ce devait être un ancien hôtel cossu de l'Ancien Régime. Les fer· ronneries des fenêtres étaient belles, et· le grand escalier de pierre, vaste et clair, ·avec sa rampe forgée, au· rait eu grand air encore, si le revê· tement des murs n'avait été si pa· tiné par la crasse des générations, si les différents paliers, plus ou moins décarrelés, n'avaient pas toujours été remplis de paille, de papiers, d'épluchures, et surtout s'il n'avait pas été, du haut en bas, upe sorte d'annexe commune à tous les logements de la maison, un endroit où l'mi faisait sécher les lessives, où l'on envoyait jouer les ribambel· . les d'enfants, où les femmes te· naient leurs assises; s'appelaient d'un étage à l'autre, riaient, jacassaient, se disputaient parfois, et, l'été, venaient y coudre ou y éplu· cher des légumes dans la fraîcheur du courant d'air.

La maison était' colonisée par la Martinique et la Guadeloupe. Je crois que pas un seul de ses nom· breux habitants n'était sans quelque accointance avec « les Iles», et la plupart étaient de couleur. On n'y paddt guère que le patois créole. On y vivait dans une promiscuité de jour et de nuit. Toutes les portes des logements étaient, à perpétuité, ouvertes, et c'était un va·et-vient continuel pour se demander des services, échanger des ustensiles, partager des provisions, s'offrir du chocolat, des sucres d'orge, des pastilles, des caramels, avec d'intermi· nables palabres, un gazouillis de volière exotique, des éclats de rire, parfois des larmes et des sanglots, toutes les manifestations excessives et puériles de la joie et de la souf· 12

france, et du haut en bas de la gran· de bicoque sonore, résonnaient de tendres interpellations : Il Bonjou, ché ? Comment va, ché ? Comment ou allez, là-dedans? Toute douce, ché... Et ou ? » « Hélas, m'z'amis, voyez ce macaque! » Et les Doms les plus inattendus : Nounoune, Edoualize, Coroliane, Néphélie. Je me rappelle un vieux, couleur d'ébène, qui se nommait Hilarion, et dont la tignasse crépue était pres· que blanche, et un autre, qu'on appelait Tertullien, et qui avait un œil couvert d'une taie. Mais les hommes étaient rares. C'était une ruche de femmes et d'enfants, un matriarcat où les couples formant ménage étaient peu nombreux, où les adultes ne venaient guère qu'en visite. Les quelques hommes qui habitaient là étaient généralement de vieux grands.pères que leurs fil· les hébergeaient, choyaient et bous· culaient, envoyaient faire les cour· ses, faisaient moudre le café et torcher les .enfants. Tante Célie· habitait seule, tout en haut de cet étrange phalanstère, deux pièces grandes et claires, qui se prolongeaient par un grenier ; en principe, elle couchait dans l'une et cuisinait dans l'autre, mais il y avait un fauteuil à bascule et un panier à ouvrage près du petit fourneau, et la table de la chambre était toujours encombrée de vaisselle, quand ce n'était pas la table de nuit, car elle apportait souvent son repas sur un large plateau de bois, qu'elle appelait le fray, et dî· nait,sur un coude, allongée sur le lit. Elle m'introduisit sans la moin· dre gêne dans ce désordre invraisemblable, qui me parut plus féeri· que que sordide, car tout était méti-

culeusement propre, et le soleil en· trait à flots par les grandes croisées ouvertes. Elle me fit asseoir dans la chambre, sur le canapé de satin vieil or à glands noirs qui faisait face à la cheminée, s'assit sur le lit de palissandre, qui était fait et recouvert d'un couvre-pieds bleu de ciel. en damas, et, le plus naturellement du monde, retira ses petites bottines de chevreau mordoré et ses bas blancs, car elle vaquait toujours pieds nus aux soins du ménage. Elle débarrassa une table, qu'elle approcha du canapé, y mit une nappe propre, apporta des ass~ettes de porcelaine à fleurs, des verres à pied, une bouteille de rhum, disposa les gâteaux qu'elle avait choi· sis et que j'avais achetés, sur un plateau de vannerie, et commença à nous confectionner ce « petit punch» martiniquais auquel je devais prendre tant de goût : un demi-verre de rhum blanc, un morceau de glace et un zeste de citron. Je pensais à Zabette, j'écoutais les bruits de la maison, je souhaitais éperdument la voir entrer brusquement chez sa tante. Et après? Je ne savais pas, je n'avais aucun projet précis, je ne supposais même pas que je parvienne jamais à l'avoir, mais je demeurais braqué s~r l'idée fixe, le petit corps brun, si souple, Zabette, Zabette... Et je ne regardais même pas la belle fille assise à côté de moi ; du moins je ne la regardais pas en homme, je ne la voyais pas, belle et désirable, et accessible, peut-être. Je ne me di· sais même pas que cette rencontre, cette dînette improvisée, étaient bien étranges, bien encourageantes. Le regard que nous avions échangé chez Phylée, et où je m'étais senti découvert, me faisait croire à une espèce de complicité tacite de la part de la tante, une complaisance possible, qui me la rendait sympathique, qui me faisait mettre je ne sais quel fol espoir en sa complicité. Je ne me trompais pas complètement, puisque ce fut elle qui me parla, la première, de .Zabette, tandis que je cherchais encore dans ma tête un subterfuge pour mettre la conversation sur la petite. Le bavardage de Célie, tandis qu'elle dévorait les gâteaux avec une lenteur gourmande, m'avait appris bien des choses sur la famille. C'était une honorable famil· le de Fort-de-France, où le père, M. Cyprien, tenait un magasin. De quoi ? Elle ne pouvait le dire. Là· bas. le commerce n'était pas parti-

cularisé. On était « ma 'chand n. Ün vendait de tout, pauvrement, un peu de papeterie, un peu de quincaillerie, un peu de linge, des graines, des filets de pêche, voire des lunettes et de petits bijoux. Azaline. la sœur aînée, était venue la première en France. amenée à Paris par le sous-directeur d'une rhume· rie. qui, peu après, l'avait abandonnée. avec Zabette, qui venait d(' nai· tre. Abandonnée, mais placée dans une maison de commerce, aux Halles, où maintenant elle était comptable, et où, depuis dix-huit ans. elle avait courageusement gagné sa vie. C'est elle qui avait attiré Célie, sa cadette, à Paris. malgré la volonté du père Cyprien, et lui avait envoyé l'argent du voyage. Célie avait débarqué seule, en France. à seize ans, douze années plus tôt. Elle avait donc vingt-huit ans, aujour. d'hui. Très bonne élève à l'institu· tion des Sœurs de Fort-de-France. munie d'un certificat d'études. ayant le goût des études, elle avait vécu plusieurs années chez sa sœur. y avait préparé l'examen des pos· tes, et obtenu un emploi, à Paris. Elle avait peu à peu conquis ses grades, et occupait maintenant une bonne place au Bureau central des Postes et Télégraphes. Elle avait depuis longtemps cessé d'habiter chez sa sœur. Dès qu'elle avait pu, elle avait loué ce petit appartement libre, au haut de la maison. Azaline et Zabette avaient occupé successivement divers logements dans l'im· meuble, et elles habitaient maintenant un des meilleurs appartements au premier. J'avais donc sans m'en douter passé devant leur porte, et je regret. tai fort de ne pas ravoir su. J'interrogeai gauchement Célie sur sa nièce, sur sa vocation de danseuse. Elle me regardait, en souriant bizarrement puis elle se' leva, et revint avec un gros album de cuir grenat à fermoir ouvragé, pour me montrer les photos de la famille. Je dus subir d'abord la mère Cyprien, grosse mulâtresse en costume de Martiniquaise, et le père Cyprien en redingote de toile blan· che, un vrai nègre, celui-là, noir, lippu, crépu, dont le ventre s'ornait d'une imposante chaîne d'or à breloques. Elle tournait les pages, avec émotion, envahie par des souvenirs. - La voilà, dis-je brusquement, en apercevant la photo de Zabette, à treize ou quatorze ans, en première communiante, son petit visage brun au milieu des mousselines


Maumort blanches toutes raides. - Qui? Zabette? Non, c'est moi, chè' ! Je la regardai, déçu. C'est vrai que Zabette lui ressemblait beaucoup, et je ne m'en étais pas avisé plus tôt. - La voilà, Zabette, me dit-elle. en me montrant un bébé noiraud, à demi.nu, dans les bras d'Azalinc. Et la voilà encore quand elle était à l'école. Et la voilà, quand elle a fait sa communion. Et la voilà, chez son professeur... La photo, qui devait être récente, la montrait en tenue d'exercice, cou et bras nus, en culotte bouffante, ses longues jambes de petit Il rat» gainées d'un maillot collant, faisant des pointes le long d'une barre fixe. Je me taisais. Gentiment, elle mit sa main sur la mienne. - Vous la trouvez jolie. ché' ? Je levai les yeux. Elle souriait, malicieusement, et me regardait avec une espèce d'affection attendrie. Elle baissa- la voix et me demanda, à l'oreille : - J'ai bien vu que vous la trouviez jolic... Vous voudriez... faire z'ami avec elle? Non 't Je n'eus pas besoin de répondre, mon visage devait être assez éloquent. - Mais sa mama la surveille beaucoup, ché... Elle est déjà très coquette, la diablesse ... Cet hiver, il y a eu des histoires, elle a eu un bon z'ami. et puis un autre, et puis ùn autre ... Sa ma ma l'a su ... Hou! quelle histoire! ... Pourtant, à seize ans, c'est naturel. Mais ma sœur veut qu'elle travaille, et s'il y arrivait un petit malheur, vous savez, ça serait fini pour la danse, et tout. .. Un « iche (1) du bon Dieu» est vite arrivé, ché ! Elle me fit comprendre qu'elle n'était pas aussi vigilante que la mama de Zabette sur la conduite de la petite, et qu'elle acceptait de faciliter les choses et de fermer les yeux. Mais Zabette voudrait-elle? Je la remerciai avec feu. Elle me proposa d'aller voir si Zabette était là et, sous un prétexte, de l'amener. Je restai seul, un instant, avec les serins et la vieille chatte. J'étais en proie à un grand émoi, à l'idée de revoir Zabette dans des conditions si favorables. L'entremise de Célie m'ouvrait des facilités que je n'aurais pas ose espérer. Comment serais-je arrivé, seul, à mes fins ? (1) Un enfant bâtard.

Mais la malchance voulait que Zabelle fût sortie, aussitôt après le déjeuner, avec une famille de voisins qui avait des filles de son âge. Il s'agissait d'une partie au Bois de Boulogne, dans l'île du Lac, d'un goûter sur l'herbe, et Azaline ne savait pas quand sa fille rentrerait. J'eus la force de dissimuler un peu ma déconvenue. Revenez ce soir, après le dîner, me dit·elle. Elle sera revenue, je l'aurai vue, ct peut-être... Je suis reparti, affectant le calme, mais j'avais les jambes brisées. Il était tard pour gagner Neuilly; et il m'eût été difficile, puisque j'avais congé le lendemain, de reve· nir à Paris ce soir même. D'aillt'ur~ je me sentais dans un état fiévreux qui exigeait la solitude, et je n'avais aucune envie d'assister à la réception ce jour.là. Je dus aller jusqu'~ la poste de la Bourse pour expédier un pneumatique à Tante Ma. Je prétextais de mon travail : je restais à Paris pour travailler certaines parties de mon examen, avec un camarade, et je n'étais pas sûr de pouvoir venir le lendemain. Je lui dis que je coucherais rue de Fleurus. Mais, en moi.même, c'est une tout autre nuit que j'imaginais ... Une première nuit d'amour! C'est bien ce qui m'échut. Mais tout autrement que je n'avais pu le prévoir. J'errai tout ce dimanche·là dans le Paris du printemps, de café en café, d'un banc de square à un autre, essayant en vain de fixer mon attention sur le manuel que j'avais dans ma poche, et sur des notes de cours. Journée interminable et anxieuse. A huit heures trois quarts. j'étais rue Mouffetard. J'avais impatiemment attendu le crépuscule pour être plus certain de grimper l'escalier san;; être vu. L'immeuble entier bruissait comme une île pleine d'oi· seaux. Je croisai peu de locataires dans l'escalier, qui était sombre, mais de chaque logement, dont les portes étaient ouvertes et où les lumières étaient allumées, s'élevaient des rires, des cris, des interpellations, des bruits de cuisine et de vaisselle, de fritures grésillantes, d'odeurs de mangeaille, tout le joyeux tapage des dîners du dimanche. Célie m'ouvrit. Le logement était sans lumière, et j'eus la certitude que cette pénombre était intentionnelle, et que Zabette était là. Je me trompais. Consternée, Célie m'accueillit avec des soupirs et des

La QulDzalne Uttéralre, du 1er au 15 février 1971

Roger Martin du Gard, à l'époque où il rédigeait les « Mémoires du colonel de Maumort", en 1944 « hélas, m 'zamis ! Il, comme s'il était survenu une catastrophe. La famille des voisins n'était pas rentrée pour dîner, Azaline pensait qu'ils avaient emporté assez de provisions pour dîner au Bois, et qu'ils ne rentreraient qu'à la nuit. De toute fa· çon, c'était manqué. Célie n'avait aucun moyen de voir Zabette seule ce soir et de tâter le terrain. Il n'y avait rien à espérer ce jour-là.

J'avais vécu tout l'après-midi dans une telle attente, une si imprudente certitude, une telle tension nerveuse, j'arrivais là si sûr d'avoir enfin la première aventure que je cherchais depuis des années, que je fus incapable de crâner. Je ne pus rien répondre. Je fis quelques pas, comme un homme assommé, et je m'effondrai sur le canapé, sanglotant éomme un gosse. On peut avoir près de vingt ans, même beaucoup plus, et s'apercevoir s.oudain qu'on est encore un très petit garçon ... Célie s'élança, bouleversée - Pauv' ché'i L.. Pauv' grand ché'i ! ... Elle s'était assise près de moi, de biais, sur le bord du siège. tournée vers moi, et ne sachant comment me consoler, me touchait les bras, les mains, les genoux. Je n'avais aucune vergogne ~ lui laisser voir mon désespoir. Je me sentais aussi à l'aise avec elle que si nous nous connaissions depuis toujours. Ce qu'il y avait en elle de si affectueux, de si maternel, me faisait oublier la femme. J'avais mis ma confiance en elle, . je comptais sur elle pour at· teindre Zabette, je n'éprouvais au· cune timidité à lui laisser voir mes larmes et mesurer l'excès de ma dé· ception. Et je trouvai tout naturel qu'elle mît son bras autour de mes épaules et me serrât doucement contre elle,

pour me consoler. J'y trouvais mê· me la seule atténuation à mon malheur, à mon dépit. Je n'aurais pas eu le courage de rester seul. Pauv' ché'i! répétait-elle. Comme il a du chagrin, le pauv ! . Comme il l'aime déjà, sa Zabette . Elle s'était rapprochée, attira doucement ma tête contre elle, dans un geste très maternel, très doux, très spontané, et, me laissant aller, je posai ma tempe sur sa poi. trine. Elle l'y maintenait d'une. main qui caressait mes cheveux, et son autre main était posée sur mon genou. Nous restâmes ainsi quelque temps sans bouger. Elle n'avait plus sa robe de l'après-midi, elle avait une robe d'intérieur, ample et flottante, un peignoir léger de percale 'à fleurs, et je sentais contre ma joue, à travers l'étoffe, la douce chaleur de sa chair. Je fus un peu gêné quand je m'en aperçus et que la secousse de mon premier dépit commença à s'atténuer. Mais cela était à la fois un peu gênant et très doux, et il y avait tant de simplicité, de camaraderie, dans son attitude ! Je ne bougeais pas. Mais déjà je ne pensais plus beaucoup à Zao bette. Je pensais à l'étrange situation où je me trouvais là, cajolé par cette femme que je ne connaissais que depuis quelques heures. Elle s'était tue. La nuit tombait vite, et l'on distinguait mal les objets de la chambre. J'eus le sentiment q~ quelque chose était en train de changer, en elle, en moi. Nos respirations devenaient plus courtes, un peu oppressées. Alors elle pencha son visage, approcha sa bouche de mon oreille et murmura, très bas : - Ti sais, si ti avais tant envie faire l'amour ce soir, pauv' ché'i... moi, je veux bien avec toi...

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A. Il TS

Dans les lJaleries velles. Dans sa période récente par le vocabulaire de la couleur il exprime les différents tempéraments de l'être humain. La recherche de Bellegarde se situe au même niveau que les recherches sémiologiques actuelles. HELION

En marge de la rétrospective du Grand-Palais le petit accrochage de la galerie Weiller, consacré aux peintures de Jean Hélion datées de 1928, 1929, peut paraître bien modeste. Il a toutefois l'avantage de montrer les deux faces de ce peintre Janus qui, figuratif, devient abstrait pour d'ailleurs revenir à -la figuration ultérieurement. On voit qu'Hélion, par nature, serait plutôt un expressionniste : ma· tière véhémente, touche emportée, sensuel-le et forte, pour montrer des accents, jeter des lumières, souligner des formes. Ce caractère d'ardeur qu'II maîtrisera plus tard le 'fait aborder l'abstraction avec c:.uelque chose de dru dans le tracé graphiQUe qui annonce les grands signes-balafres de Franz Kline et les noirs profonds de Soulages. GROUPE

Eclectique, mais séduisant, ce groupe où l'on retrouve (galerie L. 55) le futuriste Pettoruti, 'les abstraits Nouveau et Domela, et Marcelle Cahn, l'une des premières abstraites dont le registre formel va des petites notations intimistes, mordantes, • wolsienne. même, dans leur brièveté incisive jusqu'aux belles cadences géométriques qui ordonnent l'espace comme une musique. MARGERIE

Music: Nous ne sommes pas les derniers, 1970 LE VAOUANC

Supposez des images prises de folie ; vous reconnaissez au passage des bribes, venues du fond de la mémoire .. d'illustrations sur lesquelles, enfant, on s'attarde à rêver de voyage~, d'apparitions; imaginez des agencements -bizarres qui défient les lois de la perspective, de la pesanteur; imaginez un ordre au-delà de la raison, vous avez une oeuvre de Le Yaouanc (galerie Maeght) _ Ses collages, ses objets-assemblages sont naturellement dans l'optique de ce que le surréalisme a rendu si familier que même la décoration s'en est emparée. -Et si l'on - peut déjà craindre, en raison de l'usure inévitable des images (cf. Abraham Moles), un désamorçage de celles qui ont le plus profondément marqué notre formation; celles d'Altdorfer, d'Arcimboldo, de Dali, de Piranèse, de Chirico (n'est-ce pas lui qui provoqua des • vocations. aussi impérieuses que celle d'un Tanguy, par exemple?) on peut aussi ,espérer que, grâce à une certaine trituration de ces éléments propres à enchanter "imagination, une nouvell-e vie est promise aux façades des temples inondés de lune, aux statues d'athlètes données en exemple dans les académies, aux places d'une stricte géométrie, aux équerres, compas, astrobales c:.ui constituent, parmi beaucoup d'autres, quelques-uns des ingrédients qui entrent dans la composition d'oeuvres du type de celle de Le Yaouanc et

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qui perpétuent, en fait, un art de réflexion rêveuse. Lorsque le surréalisme adopta Chirico il mettait la lumière sur toute une activité de l'esprit -que la peinture peut encore, d'une manière vraiment privilégiée, donner à voir.

Music En regard de cette oeuvre d'une rigueur qui n'exclut pas -l'humour, mais un humour au second degré, du genre de celui de Raymond Roussel, la peinture de Music (Galerie de France) relève plutôt du message. Parce qu'il a été témoin des cauchemars des camps de concentration, Music a voulu, par une série de peintures, dessins et gravures, perpétuer l'horreur d'une mort qui n'est ni celle, brève et fatale, de l'accident, ni celle, lente mais douce, de la vieillesse, mais la mort e:,ui se regarde elle-même, travaille avec une lenteur perverse, pétrit le corps, le vide, le noue en d'étranges masses pesantes où les mains épousent des courbes déclinantes du plus terrible effet. Curieusement, Music qui s'était si longtemps plu à ourler des couchers de soleil sur des collines dont son trait épousait la douceur tranquille, adopte presque les mêmes rythmes pour énumérer des corps qui retournent à l'éternité de la matière. Ainsi, loin de le particulariser, lui donne-t-il un aspect universel. Tout à fait justifié à un moment, justement, où sont nombreux ceux qui s'inquiètent de la

généralisation de la violence, du mépris de la vie et de la dignité humaines. Avec un calme effrayant il met le doigt sur la dimension de solitude qu'entraîne la mort. Car même dans le retour à l'unité fondamentale de la nature, le corps, dans un dernier !Sursaut. un battement de main, un cri qui s'est étouffé, tente une dernière fois de s'exprimer dans sa personnalité profonde. Tout cela est dit sans grandiloquence, par un dessin e:.ui ouvre des regards comme on ouvre _des plaies, décide d'un geste qui est aussi une chute, une fuite, un renoncement des énergies rendues à l'éternité. CLAUDE BELLEGARDE

Changement encore, radical, de problème, -avec l'oeuvre de Bellegarde qui vient de faire l'objet, au Musée de Poche, d'un ouvrage dû à Gérald Gassiot-Talabot et d'une exposition à la galerie Bongers. Accordant à la couleur des pouvoirs psychiques il a travaillé à l'élaboration d'un langage chromatique pour proposer des ambiances propices à une condition donnée de l'être humain qui ne reçoit plus cette peinture sur un plan strictement spéculatif mais, réellement, comme une médecine. D'ailleurs, soucieux d'acquérir une plus grande efficacité, Bellegarde a eu l'idée de construire de véritables cabines où le spectateur est totalement enveloppé par les couleurs d'ambiance, et, de ce fait, réveillé à des sensations nou-

Une exposition qui alors passa inaperçue nous a révélé il y a quek:.ues années le jeune peintre Margerie qui, admirateur de Matisse faisait chanter en longues, souples et voluptueuses ondes, -la couleur. Les rapports avaient de belles franchises mais le dessin restait sommaire. U a, éclaircissant sa palette, lui donnant un tonus nouveau, élargi ses combinaisons graphiques. Des silhouettes paysagées s'organisent, des plans s'imbriquent comme dans un théâtre. Aujourd'hui non content de combiner à l'infini des notes qu'il sait tirer, allonger, moduler aussi avec raffinement, il analyse _ picturalement les méthodes de travail de Oe'lacroix et donne un prolongement du Sardanapale plus pompéien que baudelairien, monstrueux et fascinant comme une superproduction hollywoodienne. Ainsi, après les interrogations de Picasso (sur Manef et Poussin), celles de Baj (sur Picasso) et celles de Herman Braun (sur Velasquez et Picasso), voici un nouveau témoignage de cette survivance de la peinture s'alimentant indéfiniment d'elle·même. Jea~acques

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F. Léger Une fois de plus la Tate Gallery s'illustre par une exposition fort réus·sie. Après le réseau subtil et hallucinant des toiles de Magritte en 1968, après les fastes héraldiques des portraits de l'Image EIi· zabéthaine, le plus vivant des musées de Londres nous donne à voir en une fête de couleurs et de li· gnes, plus d'une centaine de toiles produites entre 1918 et 1928, regroupées sous le titre Léger et le Paris du Puriste. Cette confrontation est faite de toiles fort variées, mals unies non seulement parce que les tableaux de Fernand Léger en forment le pivot et le centre de référence, la clef, au sens musical, mais aussi par la parenté de leur idiome et de leurs thèmes, qui se découvre graduellement à mesure que l'on parcourt cette salle vaste et claire, construite sur deux niveaux, en un trajet qui permet les retours en arrière, les comparaisons synchrones, les coups d'œil panoramiques. Il convient de rendre hommage au talent des organisateurs de l'exposition, John Golding et Christopher Green, qui ont su sélectionner les toiles les plus aptes à présenter une anthologie pertinente, composant un réseau rigoureux et structuré, où l'on apprend à voir, alors que l'on croyait savoir ce qu'était la peinture des années vingt, où l'on découvre ce qui pourrait être un nouvel académisme, au cœur d'une époque que l'on pensait être celle du tourment, de la révolte, du chaos inaugural dadaïste ou surréaliste. Or, après l'explosion du Cubisme et du Futurisme, John Golding réussit à montrer que s'instaure un ordre, un sens structuré. Non que ces tableaux de Léger, de Mondrian, d'Ozenfant, de Delaunay, de Jeanneret (futur Le Corbusier), de Braque, de Juan Gris, de Picasso manquent de chaleur et de couleur; bien au contraire : jamais l'usage des contrastes et des harmoniques puissantes n'a peut-être atteint ce degré de force intelligente; mais là où la couleur dispose toute sa puissance, en même temps la forme atteint sa plénitude et sa perfection. Le découpage chronologique 1918-1928 se justifie parfaitement et se révèle être un angle de vue particulièrement fécond pour l'historien de l'art d'abord, qui au lieu de se voir limité dans son enquête à la personnalité d'un seul • créateur. se volt offrir au contraire l'occasion d'une confrontation d'expressions, lui permettant le re-

pérage d'influences locales ou empiriques, aussi bien que la mise à jour d'un lexique, voire d'une grammaire de cet art pour lequel la distinction entre figuration et non-figuration semble bien artificielle. Mais déjà le simple niveau de l'histoire anecdotique et événementielle se trouve dépassé au profit de l'approche que Panofsky nommait iconographique : dans le calcul très juste opéré par les organisateurs entre succession temporelle et rapprochements formels synchroniques, il est loisible de construire toute une aventure sémantique et syntaxique faite de ressemblances structurales ou d'affinités de rapports de couleurs, faite de la succession de l'aventure d'un thème que l'on retrace tel un fil d'Ariane entre les œuvres de peintres fort divers : avatars de la guitare chez Picasso, Juan Gris, Braque, etc. Génération des formes, passage de la guitare à la bouteille, de la bouteille à la lampe, selon une série de transformations rigoureuses où les grammairiens générativistes auraient droit de retrouver une parenté sur le plan pictural avec leurs thèses linguistiques; de l'engendrement structural de la forme, au questionnement de la machine et de sa présence dans la composition, il y a là aussi un cheminement rigoureux, qui nous mène des géométries courbes d'Ozenfant, ou de Jeanneret, aux horlogeries et engrenages de Léger en passant par son traitement • tubiste • des personnages. Beaucoup de jeux sont permis au sein de cette. intertextualité • (1) picturale, et aucun d'eux n'est gratuit, tant cette plage de temps sise entre 1918 et 1928 représente pour cette gerbe de peintres dont chacun suivra un itinéraire différent, le temps de la réflexion, de la confrontation et de l'expérimentation audacieuse et Intelligente, dans un noeud de convergences. Oui donc oserait soutenir que les grilles de lecture panofskienne ne seraient applicables qu'à l'art représentatif jusqu'au XIX· siècle, tant l'explosion contemporaine emporterait la peinture dans l'individualité, dans la sauvagerie, dans la fragmentation? S'il y a au contraire quelque pertinence à opérer des rapprochements sémantico-syntaxiques entre les œuvres, s'il y a quelque raison d'appeler graphie la peinture et d'en tenter l'analyse dans les graphes et graphèmes qu'elle présente, s'II faut bien dire

La Qnlnzalne Utta'alre, du 1er au 15 février 1971

" 8.

Londres

que l'œuvre d'art est texte, c'est ici que par excellence cela peut se formuler; et pas seulement dans l'occurrence empirique de ces • mots dans la peinture» que Gris, Picasso, Braque, et parallèlement à eux Klee, inscrivent au sein de l'espace plastique : il y a une lettre picturale, une combinatoire de sèmes plastiques, linéaires et colorés dont le langage se déchiffre comme une héraldique passionnante : redondance de l'espace de Léger dans sa partie de cartes, ellipse des natures mortes d'Ozenfant, citations subtiles avec ou sans guillp.mets, d'œuvres classiques littéraires autant que picturales opérées par les Delaunay. Le purisme ce serait alors cette quête éperdument platonicienne de l'essence ou de l'idée d'un objet vu, mais prise au piège des apparences et de la joie de la forme et de la couleur, elle deviendrait à travers toutes les Abschattungen la recherche phénoménologique de l'essence, qui peu à peu, grâce à des décalages, à des fracturations calculées et construites perdra ses illusions substantialistes pour se passionner de structures. Echappant à la fois au danger de la rétrospective d'un seul peintre, Léger, et aux pièges de l'historiographie picturale, cette exposition qui a parié pour un décentrement fécond et rigoureux, au profit des relations formelles entre les œuvres vient admirablement se placer sous le signe du décloisonnement, dont l'espace matériel de la galerie serait alors le plus éloquent symbole. Mais l'idiome commun de tous ces peintres, la force de leur cÇ>mplicité, c'est d'avoir su sortir de l'alternative entre l'immobilité soporifique de la n~ture morte et l'explosion chaotique et informe de la révolte dadaïste, pour peindre avec la plus grande variété et la plus grande cohérence les lois du mouvement : tout bouge en cette exposition, depuis l'explosion radiolaire et lettriste du Canon en action de Gino Severini jusqu'aux Eléments mécaniques 1924 de Léger, ou à la montre de G. Murphy (1925), mais parallèle à ce mouvement perceptible dans l'engrenage mécanique de la toile sur elle-même, ou dans le vertige de la Ville de Léger (1919), nous apprenons que l'engendrement d'une forme par un jeu de lignes et de couleurs, que la genèse d'un équilibre au sein d'une nature morte est précisement le mouvement : des natures mortes {

Les Maisons, 1922 qui vivent, qui bougent sous nos yeux, dans leur apparente synchronie figée, voilà qui, plus profondément que la dérive empirique d'un mouvement immédiat, nous enseigne que les lois fondamentales du mouvement peuvent d'autant mieux se peindre qu'elles sont elles-mêmes structures, architecture. Ce sera alors ces admirables • Eléments mécaniques sur fond rouge. de Léger (1924) ou ces variations ri· goureuses d'Ozenfant sur le thème de la courbe, de l'arc, de l'anse, etc. Géométrie secrète de la forme et de la couleur complice de la nouvauté mécanique et technique de notre modernité, et pourtant jamais la peinture n'a su aussi bien maTtriser son rapport aux sources les plus classiques : via ses allusions au classicisme de Poussin, fait de différence et de répétition qui ordonne la différence, sans tuer l'unicité de son énoncé, le Purisme pa·risien communique avec Platon et Pythagore.

Jean-Marie Benoist

(1) Pour reprendre la belle 'e~pre88Ion de Julia KrlsteV8.

Parallèlement à l'exposition de Londres, Il faut signaler l'extraordInaire sélection de dessins de Léger présentée à la galerie Claude Bernard. Une série de dessins éèhelonnés de 1904 à 1955 retrace l'Itinéraire complet de celui .qui fut peut-être d'abord dessinateur avant d'être peintre : il apparaît égaiement à travers ces Images (d'une constante qualité) comme l'artiste qui, dans cette génération, fut le plus fidèle et le plus égal à lui· même dans la plus grande diversité du style.

BIKhoYer

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Musicienne du silence Christine Boumeester était depuis quelques mois hospitalisée à l'hôpital de Villejuif où elle est morte le 10 janvier. De nombreux amis et admirateurs, parmi lesquels Zao-Wou-Ki, Pierre Soulages, César Domela, Samuel Beckett, Raoul Ubac, Vercors, B. Anthonloz, ont accompagné au cimetière Montparnasse, le 16 janvier, cette femme et ce grand artiste dont l'extrême discrétion allait jusqu'à l'effacement. Beaucoup d'autres, loin' de Paris, tinrent à manifester leur présence par la pensée : Alain Resnais, qui lui avait consacré un court métrage, Hans Hartung, etc. A la veille de ce dernier Noël, son mari, le peintre Henri Goetz, lui avait offert ce poème:

Elle était née à' Djakarta (alors Batavia), le 12 août 1904, d'une famille créole de hauts fonctionnaires chez qui le silence, en toutes circonstances de la vie, était la règle. Jusqu'à la fin, ce dimanche matin 10 janvier, cette règle restera celle de Christine Boumeester. Mais, de ce qui accusait le rigorisme austère de son éducation, ,elle avait fait une force de subversion par la grâce. A dix-sept ans, elle arrivait en Hollande où ellé obtint, en 1925, le diplôme de professeur de dessin. En.- 1935, venue à Paris pour un séjour limité, elle n'en repartit pas : elle y avait épousé le peintre Henri Goetz. Alors que l'Occident avait découvert le fait pictural pur à travers l'exotisme des estampes extrême-orientales.

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CHRISTINE Ton silence nous emplit de songes muets Ton songe, de silence doux chanté Ton chant, de printemps solitaire Ton soleil, d'ambre gantelé de sole. Ta transparence Inquiète nous réconforte. Christine tu es bien parmi nous Ta douceur de cristal, rayon de nuit solaire, Guide discret, fragile msis aussi juste, Comme tes yeux limpides, nous purifie. Henri Goetz le 23 décembre 1970

ce fut des Nabis, dont ses premières œuvres accusent diversement l'empreinte (Vuillard, pour certaine somptuosité intimiste; plus tard, surtout, Bonnard, pour une hardiesse sans em· phase avec laquelle elle se risquait à déplacer les règles d'organisation de l'espace) , qu'elle reçut, paradoxalement, renouant aussi à travers eux avec un univers qui était. sans l'être tout à fait, celui de ses propres origines, la révélation de la peinture de l'Occident. Le fait qu'elle sOÏJ arrivée très vite, dès 1937, à l'abstraction et ne se soit jamais souciée de s'en faire une doctrine peut n'être pas sans rapport avec l'aventure de cette adolescente d'entre deux mondes qui, débarquée en une Europe dont le contact

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à certains égards la consterna, ne put répondre à l'énigme qu'elle était devenue à elle-même qu'à partir du moment où elle sut se créer de toutes pièces un monde, non sans chaussetrapes et sans effrois mals, dès le départ, si magistralement dominé qu'il semble fait uniquement d'enchante· ments et de vertiges féeriques. Elle était dès lors en pleine maîtrise d'une écriture et d'une vision qui resteront toujours les siennes. D'autant 'qu'à vivre, extérieurement, en mimétisme quotidien avec les harmonies sourdes, à l'écoute des menues nou· velles de la' nature, elle attendait de son seul travail, minutieusement lyrique, patiemment attentif aux points infimes d'acupuncture où se manifeste à vif le passage des plus forts influx, qu'il la révèle, au jour de la toile ou du papier blanc, acquise du plus profond d'elle-même aux métamorphoses d'un espace dont elle connaissait tous les secrets par l'intérieur. Elle travaillait à vue de ciel, comme pour mieux se réfléchir à sa propre lumière. Ses moyens étaient dl· vers et, un peu à la façon de Klee, elle n'hésitait pas à recourir, dans la même œuvre, à plusieurs techniques d'expression. Art des. passages - subtils, des tensions imprévues. Epiphanies ou catastrophes, mais toujours - l'Instant, merveilleux, dramatique, d'un sus· pens ou d'un renversement des oppositions, d'une abolition des contrain· tes qui régissent l'ordre de l'univers fêtes d'un art souverain qui découvre la sérénité dans l'exaltation de ses pouvoirs : ce sont ces grandll dessins de nuées, tonifiants comme des rêves d'olone, qui portèrent Gaston Bachelard à écrire, à propos de Christine, un de ses textes les plus poétiquement denses, où tout se trouve dit d'un coup; ce sont aussi des toiles où les couleurs, ici d'une fluidité de lavis, appellent à l'opposé des étincellEtments de quartz, des opacités de basaltes, où le plain-chant des neiges et des brumes répond à l'élancement d'hymnes lancés comme des pics à la lumière du matin; ce sont, surtout, des aquarelles, minuscules parfois, mais articulées comme des cosmos - sur un papier devenu rétine par la grâce d'un rien de pigment, d'une ou deux notations colorées qui le sensibilisent, les noces du ciel et de la terre revivent à la ren·

contre heureuse d'un paraphe tracé sans faillir et d'une simple griffure basculant comme une graine en plein vol. Du haut en bas et de bas en haut, tout communique selon ces lignes de force que les peintres-moines de la Chine nommaient • veines de dragon -, - de, ces dragons, ou varans, que les jonques venaient capturer vivants, paraît-II, pour les ménageries de l'empereur, dans ces îles où était née Christine. Entre tant de souvenirs, Je la revois à contre-jour, assise sur un haut tabouret, traçant, d'une main sûre de son fait, une petite pierre lithographique à même le genou, tandis que par grille interposée du vitrage au toit de l'atelier, au-dessus de sa silhouette penchée de brodeuse à la Vermeer qui aurait' été initiée, sans le savoir, aux rites des fêtes naturelles et des éléments, la cime d'un arbre, le ciel d'avant le soir se faisaient signes et, en silence, à l'unisson, pour ainsi dire, des estampes et des dessins que ma femme et moi feuilletions, parlaient d'elle, à son propre insu, comme à travers sa volx que des vers écrits par elle, il y a vingt ans, en dédicace d'une de ses premières eaux-fortes, feront entendre mieux que je ne pourrais l'évoquer: Un oiseau qui chante une fois par an les mots tombent de mille feuilles mais il ne chante pas pour rien peut-être et récho dure toute une vie. Mystérieusem~nt acquise à tous les refus raisonnables, sereinement accordée à toutes les véhémences qui dénoncèrent la résignation, secrète· ment alertée et complice par le cœur des déraisons salubres qui protestèrent au nom de la vie, son aptitude à s'effacer au bénéfice d'une lumière qu'elle savait, par vertu de son art, mieux que personne donner en partage n'était que pour faire le clair sur terre. Son ombre, désormais, nous la dessine toujours plus grande, à perte de vue. Un blanc. Un trait. Un blanc. Elle avait écrit ces deux lignes encore: On n'habite que le pays où les illusions sont sans limites. Jean-Roger Carroy


La trace fulgurante de Dürer Albert Dürer Journal de voyage aux anciens Pays·Bas ' Bruxelles, éd. de la Connaissance

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«A Roger van Gelern qui m'a donné une coquille d'escargot et des monnaies d'or et d'argent va· lant un quart de florin, J'ai donné en échange les trois grands livres et un cavalier gravé... J'ai donné à Jean, l'orfèvre, la Véronique que j'ai peinte à l'huile en échange d'une hyacinthe et d'une agathe... J'al échangé mon portrait de l'Empereur contre une, pièce de toile blanche... J'al fait le portrait à la plume de Félix à genoux. Félix m'a fait cadeau de cent huîtres •• Cent huîtres contre un Dürer. Car la voix qui nous parvient de ce monde lointain du troc, répercutée par des valeurs et des convoitises étranges, est bien - paradoxe celle du grand Albert Dürer : l'auteur de l'Instruction sur la manière de mesurer citée par Képler et Galilée, le théoricien du Traité des proportions du corps humain (1), celui-là même qui, si l'on en croit Erasme et Melanchton fut, de son temps presque aussi fameux par ses écrits que par sa peinture, et que notre temps tient, à bon droit, pour l'un des créateurs de la modernité (2). Mais ces lignes n'étaient pas destinées à la publication. Elles proviennent du Journal de voyage aux anciens Pays-Bas : non point récit littéraire, 'exercice du style ou de l'affectivité, mais avant tout aidemémoire et comptabilité quotidienne des lieux visités, personnages rencontrés et surtout des recettes et dépenses au cours d'un voyage d'affaires. Puisque aussi bien, c'est essentiellement à fin de vendr~ les livres de ses gravures, édités par lui-même, que Dürer, âgé de quarante-neuf ans quitta Nuremberg te 21 juillet 1520, flanqué de sa femme et de sa servante pour entreprendre l'étonnant périple. qui devait le mener jusqu'en Zélande et le faire séjourner tour à tour et durant plus d'un an, ~ Bruxel.les, Anvers, Bruges et Gand. De prime abord, on pourrait être tenté d'abandonner le Journal aux historiens de l'éco'nomie auxquels il apporte un échantillonnage exceptionnel de prix absolus et comparés (nuitée d'auberge, pourboires, bouteilles de vin, fourrures, chaussures, fruits, objets exotiques, pier-

res précieuses, perroquet, pantoufles, batterie de cuisine ...). En fait, par-delà cette positivité économi~ que, l'immédiateté, l'absolue nonsophistication de ce journal restitue au peintre sa vraie dimension histor'ique. S'il découvre parfois le personnage psychologique (joueur à l'occasion âpre au gain et généreux à la fois) il révèle surtout le réseau de contradictions culturelles ou Dürer est pris, l'intrication et le chevauchement des systèmes de savoir, de croyance et de pratiques qui dictent ses comportements. Voyez l'argent, et la place que tient le troc en un temps de capitalisme naissant et chez un person· nage qui a vécu en Italie et côtoyé les financiers de l'époque. Voyez les relations sociales : pris dans la trame des traditionnelles structures corporatives où il jouit de son prestige d'artisan, il est cependant Portrait à la pointe d'argent intégré dans le milieu des humanls· En d'autres termes _le -Journal tant observer sur place, l'imaginaites, reçu en seigneur à la cour im·--- peut être lu comme un commentai- re médiéval resurgit tout puissant, périale et fait m'entir les prévisions re des travaux de Panofsky sur enraciné dans ses bestiaires fanqu'il exposait à Pirckheimer dans Dürer ou plutôt, comme la preuve, tastiques. sa lettre de Venise en 1506 : «Oh. au niveau du comportement quotiCette admirable édition du Jour· comme j'aurai froid en pensant al( dlen des chevauchements que le nal dont les' dessins à la pointe soleil! Ici je suis un seigneur, là- grand historien d'art a fait appad'argent semblent posséder la quabas un parasite -. De même il est raître au niveau de la peinture et du lité des originaux trouvera Un probouleversé par l'arrestation de graphisme:. même en sa pleine longement dans l'exposition des Luther au lendemain de la Diète de maturité il ne devait jamais devenir maîtres des anciens Pays-Bas des Worms (et c'est là l'occasion du un pur artiste de la Renaissance _, XV· et XVI· siècles qui' vient d'ouIl reste pris dans certains champs vrir au 'cabinet des, dessins du catégoriels du Moyen Age. Louvre (3). Ces quatre-vingt-quatorLes Editions de la Connaissance ze pièces d'une exceptionnelle imont complété leur très belle édition portance (appartenant' tout~s aux du Journal (précédée d'une Intro- collections du Louvre) permettent duction par ses traducteurs) par la en effet de situer à la· fols l'art suite des .dessins à la pointe d'ar- gothique des Pays-Bas (van Eyck, gent, aujourd'hui dispersés, qui -van der Weyden, vàn der Goes, les constituèrent le carnet de croquis maîtres du passé dont Dürer 'se fait quotidien, homologue du Journal, montrer les œuvres) ; la période da et par une série de dessins à la transition, celle de 'Mabure et de plume exécutés également pendant Patenier que rencontre Dürer, du le voyage de 1520-21. frêle Lucas de Leyde dont Il fait le Ils constituent bien le volet com- portrait et que son passage change plémentaire du Journa" : non seu- à jamais; et l'épanouissement qui lement défilent les lieux et les suivra (Bruegel). Etonnante galerie personnes cités, mals apparaît, ren- où le .visiteur découvrira la trace forcé par le jeu dialectique du texte fulgurante de Dürer et pourra comJeune fille, pointe d'argent ;et de l'Image, l'affrontement de prendre le contexte où elle s'Insseul long passage lyrique du Jour· deux mondes.' Ou, plutôt, voit-on, crit. dans le champ pictural de la Renal) mais il demeure attaché à la Françoise Choay vision religieuse du Moyen Age et naissance affleurer des couches profondes, témoin et marque' du recense les miracles. Et dans le do(1) On trouvera de larges extraits de Moyen Age. Ainsi l'expérimentation, maine de la peinture, s'il met, en ces deux textes dans l'excellent petit l'observation sur le vif, la faveur homme de la Renaissance, l'histoiDürer de Pierre Vaisse dans la collection Miroirs de "Histoire, Hermann, Paris. aussi du portrait symbolisent la re de l'art en perspective, adopte (2) Panofsky, son meilleur décrypteur, mentalité nouvelle. Dürer va au ras, déjà le comportement du musée affirme même que « si jamais on peut dire il y dessine ses animaux sauvages lorsque nous le voyons donner des l'un grand mouvement art,lstique qu'il fut pourboires pour se faire montrer et ses lions, par ex~mple, témoil'œuvre d'une personnalité. la Renaissance dans les pays du' Nord fut l'œuvre d'A. d'anciennes peintures, le passé et gnant d!un véritable observation Dürer -. ses plus g~ands maîtres sont néan- scientifique. Mais, lorsqu'il s'agit (3) De von Eyck à Sj)renger, musée du d'une baleine éch,ouée Sllr la côte moins, pour lui, frappés d'un indice Louvre, cabinet des dessins. Pavillon- de de Zélande et qu'il s'en fut pour- Flore. d'imperfection.

La Qldnza1ne Uttéralre, du 1er au 15 février 1971

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ESSAIS

L'arguDlent par René Lourau ou les intuitions: le' physicien, l'homme d'Etat) le philosophe, le psychanalyste, le sociologue, l'historien, sont de ce point de vue logés à la même enseigne. Comprenezvous pourquoi ces différents, spécialistes de la totalité éclatée se mettent tous à parler le même langage « existentiel» dès qu'il s'agit de diagnostiquer le proche avenir de' la planète? Dans Psychanalyse de la situation atomique, un disciple de Mélanie Klein, Fornari, laissait il y a quelques temps miroiter le Néant heideggerien à travers l'am· plification des « angoisses primitives», lesquelles, scientifiquement, pe doivent rien, en principe, à « l'angoisse originelle» du .philosophe allemand. Avec un langage tout différent, Lefebvre n'est pas très éloigné de ces formulations, qui semblent rejeter dans l'idylle Malaise dans la civilisation, de Freud. Henri Lefebvre La lin de l'histoire collection « Arguments », Minuit éd.

mence l'interprétation. Celle de Lefebvre, non exempte d'ambiguïté, va ce~ndant dans un sens bien défini. Celui d'une question ouverte sur l'avenir désormais problématique de l'histoire comme science L'histoire se meurt. Sinon en (historiographie) et de l'histoire tant que discipline' mi-~ientifique, comme développement infini des mi-littéraire, du moins en tant que contradictions. représentation collective de toutes La thèse défendue est la suivances mécaniques compliquées d'où te: ou bien l'Etat continue son sort notre présent et notre avenir. ascension, totalisant de plus en plus , Encore un cadavre à ranger dans . les moindres aspects de notre exisla ~orgue philosophique où repo- tence, bloquant tout mouvement, sent déjà, soigneusement disséqués, effaçant par la pression idéologividés de leurs entrailles, embau- que et par la force les contradicmés,. les cadavres de l'Homme,' de tions gênantes, et alors c'est la fin Di~u, de l'Art, etc. Le «Hitler de l'histoire. Ou bien l'Etat com· connais pas» des sondages d'opio mence à dépérir (comme l'indinion révèle le complot ourdi par quait Marx), la société sans classes les" appareils et les idéologies en remplace la dictature du prolétariat vue de dérober à notre connaissance ou la dictature tout court, les for« la table des matières théoriques » mes étatiques, les institutions liées (Marx) de l'humanité. c'eSt ainsi directement -ou indirectement à que s'engloutissent dans l'oubli tel l'Etat sont liquidées et font place versant d'une œuvre vaste et poly- à un autre système institutionnel, morphe (Hegel, Marx, Nietzsche, les rapports de production sont bouleversés dans le sens de PautoF~ud...), ou la face caèhée de tel processus historique (lutteS paysan· gouvernement et de l'autogestion, et nes et ouvrières, ~voltes nationa- alors c'est le signe que l'histoire les matées, soulèvements partiels continue, qu'elle est plus chaude immédiatement r é p r i m é s, lente que jamais, et qu'elle fait apparaîconstrUction des institutions qui tre sans cesse de nouvelles contradictions. contrôlent la planète...). Telles sont les deux grandes hypothèses à la fois sociologiques et Titanic ou Lusitania politiques (et philosophiques) de Sans que nous y prenions gar- Lefebvre. Une troisième hypothèse de, une connaissance disparaît, une est pourtant avancée. Celle d'un ca· taclysme partiel ou général, susm~moire fait naufrage. Titanic ou Lusitania? Heurt de quelque ice- ceptible de renvoyer dos à dos les berg imprévisible ou torpillage par deux autres « temporalités» possiun ennemi qui ne respecte pas les bles. La terreur atomique introduit règles du jeu? C'est ici que com- en effet une variable dans le calcul

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Hypothèse de base En fait, il est permis de se demander si c'est bien de trois hypothèses qu'il s'agit. La seconde celle que Lefebvre qualifie d'utopique, sans que ce terme soit péjoratif, propose une continuation de l'histoire par le dépérissement et la disparition progressive de l'Etat. Mais ne faut-il. pas être très optimiste ~ur séparer cette éventualité de la troisième? Imagine-t-on que l'Etat va dépérir et disparaître par une lente dégradation:, par un travail de sape exempt de violence? La vieille taupe de la Révolution est-elle un animal de salon ou un travailleur .de force? Certes, tout un courant révolutionnaire, parti de la jeunesse américaine, oonsidère aujourd'hui que les institu· tions, le mode de production, l'Etat policier, peuvent être progressivement détruits de 1'jntérieur, par le refus de participer, la marginalisation, le style de vie exemplaire, la désertion (drop-out) à l'égard du système. Mais l'histoire de ces der· nières années, et ce qui est en train de ~ développer en ce moment même, montrent que ce courant est bien obligé de mettre du vin dans son eau, de reconnaître le rôle de la violence, des luttes de masse, de l'affrontement inévitable, un jour ou l'autre, avec l'Etat et sa force armée. La lutte silencieuse ou massive contre l'Etat est une condition indispensable au dépérissement de l'Etat, même si l'on veut bien voir dans ce dépérissement une « loi»

de l'histoire. Il en va de même, du reste, pour ce qui est de la destruction des actuels rapports de production (salariat, profit, règne de la marchandise, système totalitaire de la concurrence et de son aboutissement le monopole, division du travail productif calquée sur la division bureaucratique du travail etc.). Marx s'est moqué de ceux qui croient à de « paisibles métamorphoses » de la société. Si métamorphoses il y a, elles sont produites non par une fatalité historique, mais par les hommes, quand les hommes peuvent imaginer le changement, et quand ils sont en mesure de le provoquer malgré d'autres 'hommes qui s'y refusent et luttent polU' conserver la société instituée. L'hypothèse catastrophique - la troisième -- est suspendue sur le possible, le probable changement de forme de l'Etat, que ce changement corresponde momentanément à un renforcement et à une fin de l'histoire, ou qu'il corresponde à une lutte victorieuse contre l'Etat. Ni le triomphe d'un Etat mondial .totalitaire, ni le succès d'une résistance contre le totalitarisme étatique ne sont envisageables en dehors de Violentes convulsions, pouvant aller jusqu'au cataclysme. Si nous pouvons conserver les deux « mythes scientifiques » du triomphe de l'Etat et du dépérissement de l'Etat, comme deux voies possibles de l'histoire dans les années à venir, il est clair aussi qu'une même hypothèse de base se trouve derrière ces deux prospectives: l'hypothèse de base de la violence, de ·l'affrontement entre des forces qui, tout en se constituant sous nos yeux, n'ont pas encore acquis une configuration suffisamment précise pour que les schémas classiques puissent en rendre compte.

Tiercé Quand L e f e b v r e autonomise l'éventualité catastrophique vis-à-vis des deux autres éventualités, ce n'est plus le sociologue ou l'historien qui parle. C'est le philosophe fasciné par Nietzsche. Penseur de l'auto-clestruction de l'histoire (et de la philosophie, et de la morale), ce dernier, au fond, retire à Hegel son -pessimisme étatique et à Marx son optimisme révolutionnaire. Contre Hegel, Nietzsche voit une histoire qui marche non vers le triomphe de l'Esprit Absolu et de


Rougemont et l'Europe

final son signe extérieur, l'Etat, mais dans le retour au Grand Désir et à la Grande Innocence. Contre Marx (même s'il ne l'a pas vrai· ment lu), il annonce un naufrage brutal de l'histoire. Mais pourquoi toute une partie du livre de Lefebvre est-elle consa· crée à une méditation sur les trois géants Hegel, Marx et Nietzsche ? Pourquoi ce tiercé gagnant? Les choses se seraient-elles jouées dès le dix-neuvième siècle ? L'histoire qui se fait n'a·t-elle pas d'autres témoi n s aussi significatifs, sinon aussi prestigieux, que ces trois témoins de la naissance et de l'établissement du Second Empire allemand? Pourquoi pas un tiercé Marx-Nietzsche-Weher? Ou bien Nietzsche-Freud.Heidegger ? Ou, si l'on quitte en partie le jardin de la philosophie, pourquoi pas Marx· Freud·Mac Luhan ?

textes. Par exemple, lorsque des mouvements ou des groupes révolutionnaires de type moderne (et même les mouvements et partis traditionnels !) veulent faire connaître leur programme ou une de leurs actions, c'est au cinéma, à la T.V., au magnétoscope qu'ils ont recours, plutôt qu'à une longue et ennuyeuse analyse théorique qui ne sera lue que par les convertis.

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Denis de Rougemont Lettre ouverte aux Européens Alhin Michel éd., 224 p.

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Le cheminement des esprits La Baconnière, Neuchâtel L'un et le divers ou la cité européenne La Baconnière, Neuchâtel

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L'Histoire : encore un cadavre à ranger dans la morgue philosophique. Lefebvre opte pour l'utopie qui ouvrirait la porte à plusieurs histoires possibles.

Depuis un quart de siècle, Denis de Rou g e mon t, historien de l'amour-passion, vit l'Europe en tant que passion raisonnable. Le Centre Européen de la Culture à Genève dont il fut le fondateur et reste l'animateur vient de fêter ses vingt ans et à la même date parais. sent deux livres et une plaquette que Denis de Rougemont consacre à ce qu'est devenu son thème majeur. Voici un écrivain engagé expression dont il peut revendiquer la paternité - doué d'une persévérance, d'un goût pour les tâches pratiques qui ne sont pas communément associés avec ce terme. Denis de Rougemont peut affirmer:

Cette dernière proposition ne constitue pas un tiercé pour rire. A peine une provocation en vue de mettre l'accent sur tout un plan de la réflexion historique que l'analyse des media, du rôle de la technologie, dévoile en creux. Une hypothèse, non retenue par Lefebvre, serait en effet que la fin de l'histoire - et le déclin de l 'historiographie - auraient pour condition objective, sinon pour origine, la montée de « l'âge électrique», la colonisation de la vie quotidienne et surtout du contrôle social par la technologie, le déplacement suhi par les idéologies, les théories, les philosophies et autres messages à la suite du bouleversement du me· dium qui leur sert de support. Sans se dissimuler que la thèse de Mac Luhan repose davantage sur des éblouissements empiriques que sur une reconstruction théorique digne de Hegel ou de Marx, il n'est peutêtre pas inutile de chercher les domaines et les frontières' ou sa véri· fication est possihle. Cette vérification est aisée surtout pour ce qui est de l'histoire écrite, enseignée, transmise par les

« L'Europe absorbe le plus clair de mes jours pour ne rien dire de mes nuits. » (Cheminement p. 150). Cette Europe désirée n'est pas, à ses . yeux, une création nécessaire dont l'Histoire, la Raison, le Progrès se chargeront; c'est un critère de jugement et une entreprise. En vérité, Denis de Rougemont nourrit « une certaine idée de l'Europe» aussi tenacement que Charles de Gaulle nourrissait « une certaine idée de la France» - et rien ne nous dit qu'un de ses textes - par exemple à propos de ce que la cul· ture européenne ne doit pas aux Nations et ne leur a jamais dû ne sera pas un jour proposé (mais non -pas imposé) comme lecture aux écoliers européens. Selon Denis de Rougemont qui a consacré à ce sujet des travaux, animé des séminaires et des colloques, dans le domaine de la culture au sens le plus large tout a été européen d'emhlée y compris la contagion de l'idéologie nationaliste elle-même. On pourrait même déceler chez cef auteur. quelque ferveur « euro-gaulliste » lorsque, par exemple, il écrit : « L'Europe a sécrété Hitler, mais en douze ans elle l'a éliminé ». L'Europe seule? Rougemont est conscient du scandale d'une Europe qui est une im·

La Qulnzalne Uttéra1re; du

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Pour ce qui est de l'histoire comme développement des contra· dictions sociales - l'histoire faite par les hommes, on peut déjà percevoir quelques signes d'un déplacement de politique que les orga· nisations révolutionnaires classiques et même les syndicats ont du mal à reconnaître. Bien des « actions exemplaires» (barrages, séquestrations, prises d'otages, ou simplement occupation des lieux de travail ou

des lieux de décision) peuvent-elles être référées uniquement à un retour de l'anarcho-syndicalisme et à l'esprit de 36 ? La diffusion immédiate, nationale et parlois planétaire de tels « messages» nous invite pour le moins à réfléchir sur les ruses que l'histoire utilise au moment où les moyens de communication de masse changent radicalement le jeu social. Mais le tiercé de Lefebvre n'est pas dû au hasard. Tout ce soubassement théorique parle aussi bien par ce qu'il exclut que par ce qu'il contient. En optant, dans les dernières lignes de son livre, pour l'utopie entendue comme pôle dialectique de l'impossihle (et bien réel !) état de choses actuel, il laisse la porte ouverte à plusieurs histoires possihles. En jouant devant nous sa fin (qui ne peut être que la fin de tout), l'histoire nous invite à remplir de toute notre imagination l'avenir - ce sac de possihles. Et c'est là l'argument final pour se mettre - enfin à commencer l'histoire.

au 15 février 1971

René Lourau

puissance entre deux puissances, entre deux Empires massifs dont la population additionnée est pourtant inférieure à celle de notre « cap de l'Asie». Ce n'est pas, pense-t-il, d'une Europe des Nations ou des Patries, soit de quelque juxtaposition cérémonieuse, qu'une volonté européenne surgira jamais. Seule une Fédération serait capable d'éviter les satellisations brutales ou subtiles. Il en va ici, Rougemont le démontre, de l'avenir de la culture pour le moins autant que de la croissance économique et de la sécurité. Cette Europe - ici la cOmparaison gaulliste n'est plus de mise ne serait pas une Super-nation, mais le moyen de « distribuer l'Etat» aux différents niveaux d'application utile selon la diversité des perspectives et des besoins. Entre l'Europe et les Régions, l'Etat-Nation aura des fonctions de plus en plus modes-tes. Ne fait-elle pas surtout écran entre les « foyers-locaux» et la grande communauté? « Je crois à la nécessité de défaire nos Etats-Nations. Ou plutôt, de les dépasser, de démystifier leur sacré, de percer leurs frontières comme des .écumoires, de narguer ces frontières sur terre' et dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il' est vrai, pour gêner ce qu'il faudrait aider : les échanges culturels, les mouvements de personnes, la concertation rationnelle des productions industrielles et agricoles. Mais elles ne servent absolument à rien pour arrêter ce qui devrait l'être: les tempêtes et les épidémies, la pollution de l'air et des fleuves, les attaques aériennes, les ondes de la propagande et les grandes contagions dites idéologiques. Elles empêchent simplement de bien traiter ces problèmes». (L'un et le divers). Ce circuit direct Europe-Régions n'était pas, me semhle-t-il, au centre de,:; travaux antérieurs de Denis de Rougemont. C'est donc le résultat d'expériences, de réflexions nouvelles et mérite d'autant plus notre attention. Pour ceux qui ont depuis longtemps éprouvé que les Etats-' Nations ne suffisaient plus, qu'ils devenaient trompe-l'œil ou trompecitoyens, les motivations d'une construction européenne ont varié' à travers les années, même si l'in. piration restait la même. Il y 'a eu l'expérience antifasciste; il Y a eu ensuite --:- pourquoi le nier ? - la

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RELIGIONS

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Rougemont

Rougemont croit désormais que les Etats-Nations sont incapables de se surmonter, d'être le support d'une Fédération - ceci malgré l'expérience suisse et malgré celle des Etats-Unis qui fut son modèle. Bien sûr, il ne passe pas à l'autre extrême, celui d'une Europe unie, issue d'un vote direct des électeurs comme l'avait proposée - s'en souvient-on? - l e R.P.F., et particulièrement M. Michel Debré lorsqu'il militait dans le Mouvement Européen. Non. A mi-chemin entre Nation et citoyen. Rougemont pour sa part mise sur la Région Il seul échelon de participation, de responsabilité ». Les Régions surgissent ou resurgissent de toute manière, leur structuration s'impose désormais à tous, au-delà des idéologies. Rougement se borne à quelques exemples et compte sans doute sur les recherches collectives - notamment du Centre Européen de la Culture pour analyser plus à fond ce Il néorégionalisme» et ses conséquences. peur commune d'un stalinisme -expansif, et ce ne serait pas la première fois qu'une organisation politique serait fondée sur une crainte raisonnable. Il y a eu, après 1945, la conviction erronée que l'unité fédérale était le préalable de tout relèvement économique européen. Ensuite est venue tout à l'opposé, la Foi dans l'Europe de l'acier, du charbon, et des choux, dans une union politique surgissant du progrès économique, d'un « processus entamé» qui deviendrait croyait-on, irrésistible. Aujourd'hui nous savons que l'Europe unie n'a été nécessaire, ni comme infrastructure ni comme superstructure d'une économie prospère. Cela ne prouve encore rien Il à la longue » mais la durée estelle vraiment notre alliée? Rougemont évoque un humoriste qui songeant aux Autorités de Bruxelles dessinait Il Europe enlevée par un escargot ».

La région, seul échelon de participation, de responsabilité La Région serait-elle le Taureau espéré ? La Confédération Helvétique - Rougemont le rappelle volontiers - n'a pas été faite contre les Cantons, et la Constitution fédérale Il garantit leur souveraineté ». Pourquoi l'Europe, à son tour, ne garantirait-elle pas· les Nations?

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Les éléments d'un dialogue Les objections surgissent si les Etats-Nations ne se sont pas laissé exproprier Il par en haut», pourquoi se laisseraient-ils grignoter Il par en bas» pourquoi cèderaientils aux Régions des parts de souveraineté qu'ils refusent à la Communauté? Comment, par 'exemple la région de Bâle qui enjambe trois Etats trouverait-elle une autonomie réelle aussi longtemps que l'union monétaire et fiscale de ces trois Etats fait défaut? La Région, ce pourrait être une simple décentralisation sans conséquences politiques majeures, exactement comme la Communauté a été un instrument utile sans devenir pour autant une autorité politique réelle. Existe-t-il en réalité un raccourci économique, militaire - ou régional qui puisse dispenser de l'acte constituant, d'un Pacte politique entre Européens, liant leurs Etats? Je n'en suis pas convaincu. Toutefois Denis de Rougemont est un de ceux qui ont le plus réfléchi à la question. Ses propositions sont des éléments d'un dialogue. Et c'est précisément au dialogue auquel nous convie l'écrivain qui veut nous faire prendre conscience des continuités souhaitables et des ruptures nécessaires. François Bondy

Paul Tillich Histoire de la pensée chrétienne Payot éd., 332 p.

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En publiant l'Histoire de la Pensée chrétienne de Paul Tillich (1886-1965), les éditions Payot mettent à la disposition des lecteurs de langue française des conférences données en 1953 par le grand théologien germano-américain à New York, Union Theological Seminary, durant le semestre de printemps: il s'agit d'une sténographie du cours non révisée par l'auteur. Dans une telle situation, on ne s'attend pas à trouver une expression parfaitement élaborée, on rencontre dans leur vivacité immédiate des réactions caractéristiques.

Il ne faut sans doute pas lire ces quelque trois cents pages traitant de vingt siècles de pensée complexe avec l'exigence d'exactitude qui convient à l'historien spécialiste de telle ou telle période : nous aurions, pour notre part, des réserves expresses à formuler, par exemple, sur la manière dont Tillich présente l'inspiration et l'influence du grand théologien franciscain Jean Duns Scot. L'intérêt de l'ouvrage est d'être une histoire d~ la théologie par un théologien, un Il dogmaticien » auteur d'une Théologie Systématique en trois volumes publiés en Amérique de 1951 à 1963 mais préparée en Allemagne dès 1925, auteur aussi d'une Théologie de la Culture : série d'études qui ont repris en 1959 le thème d'un essai de 1920 pour la Kantgesellscha/t. L'attention, la sensibilité à Il la conjoncture culturelle », incluant le moment d'évolution sociale où il vit inspirent l'œuvre de ce spéculatif qui fut, dans l'Allemagne de Weimar, un des fondateurs d'un Il socialisme religieux» à la fois en sympathie et confrontation avec le marxisme du prolétariat social-démocrate. Le sens de cette conjoncture profane explique pourquoi, à l'opposé de Karl Barth dont la monumentale Dogmatique exclut tout fondement philosophique, réduit à la fonction de purs instruments les concepts empruntés par la théologie à la philosophie, Paul Tillich est un théologien philosophe qui entend répondre à la question : Il comment faire accepter le message chrétien à des esprits modernes» ? Il indique cela avec force en se situant, à la fin de son Histoire, dans l'évolution de la

théologie protestante; on ne peut éviter de Il tenter une synthese entre le christianisme et la mentalité moderne, car l'homme est toujours l'homme, tout en étant soumis· à l'autorité de Dieu. Mais il ne peut jamais être soumis à Dieu de telle façon qu'il cesse d'être humain ». n faut donc, par une méthode dite de Il corrélation », faire voir Il que le message chrétie1l est la réponse à tous les problèmes posés par Chumanisme qui se critique lui-mème ». Au jugement de Tillich, l'histoire qu'il vient de retracer Il suggère» ce projet (324-325); elle réhabilite les théologies de la médiation - V ermittlungstheologie - qui cherchent à Il transmettre le message de l'Evangile dans les catégories intellectuelles propres à chaque époque» (208). L'Histoire de la Pensée Chrétienne s'éclaire donc à la lecture du petit livre, tout récemment traduit aux Presses Universitaires de France (dans la collection Sup) : Religion biblique et ontologie; la tâche de (1 corrélation » avec la religion concerne en effet une philosophie qui ne se limite ni à la logique ni à l'épistémologie et n'a pas de l'Etre identique à Dieu une notion plus statique que celle de Maître Eckhart. Ouvrage d'un théologien philosophe, l'Histoire de la Pensée Chrétienne diffère cependant et foncièrement, d'une histoire de la philosophie, malgré le caractère délibérément intellectuel, conceptuel même que signale le terme (1 pensée ». L'introduction traite de la notion de dogme et déclare qu' (1 autrefois», ce cours se serait appelé Il histoire des dogmes », à condition évidemment de prendre ce dernier terme en un sens aussi large que Il doctrines de l'Eglise ». Quelles que soient les façons diverses et opposées d'en concevoir la réalité, l'idée d'Eglise est .lei essentielle : l'idée d'une communauté à laquelle on se joint en acceptant sa confession de foi, indispensable « loi ecclésiale ». Ne méconnaissant pas le problème de l'autorité dans l'Eglise et la présence dans le christianisme ancien de la tendance juridique qui devait aboutir au catholicisme romain du Concile Vatican-l, Paul Tillich estime par contre que, le doute étant Il l'un des éléments de la foi elle-même », l'acceptation globale du Il corps de doctrine» communément admis n'exclut pas le doute sur telle ou telle doctrine particulière. A l'encontre de la conception prétiste de


Une histoire de la théologie par Paul Vignaux la théologie regenitorum qui réserve l'office de théologien aux « régéné. rés », à ceux qui ont été cc ,conver· tis », il rappelle que, selon sa dogmatique, peut faire de la théologie tout cc homme qui considère le message chrétien comme la chose la plus importante pour lui... on ne peut rien exiger de plus» (p. 312). cc La chose la plus importante... » : c'est l'Ultimate Concern du théologien philosophe, un équivalent de l' « Unique Nécessaire» de Maurice Blondel requis pour qu'il y ait salut. De ce point de vue où le dogme exprime la vie réelle de l'Eglise et sa piété, même mystique, et où ses formulations les plus abstraites, « à l'aide de notions grecques difficiles à cerner», ont répondu au cc besoin de conserver la substance du christianisme», on comprend l'intérêt de Tillich pour la théologie de l'Eglise ancienne, plus profonde que « celle qui fut populaire au XIXe siècle» par sa façon d'exprimer « le paradoxe chrétien », par son identification du « Logos universel » à la personne de Jésus dans « un événement historique unique ». La christologie est au centre de la perspective; la gravité des controverses qu'elle a suscitées devient manifeste à qui réfléchit que cc l'absolu du salut exige un sauveur absolument divin ». Ce qui renvoie au monothéisme de l'unique créateur de tout et à la doctrine de la trinité « conçue pour permettre de parler de Dieu comme d'un être vivant ». Le sens des débats spéculatifs qui ont précédé et suivi les grands conciles de Nicée et de Chalcédoine apparaît ainsi, l'accent étant mis sur « la réflexion pure· ment intellectuelle» des Pères de l'Eglise. Il n'est pas question d'op. poser le message biblique à l'expression qu'en a donnée la spéculation grecque. Si l'on n'oublie pas que « la philosophie hellénistique était liée aux traditions my!?tiques de l'Orient », on admettra sans peine que « ce qui nous apparaît comme des notions abstraites a pu être utilisé comme confession mystique». Un théologien philosophe qui, dans sa jeunesse, a étudié Schelling ne partage pas l'hostilité de certains de ses confrères protestants à l'égard d'un mysticisme qui peut être, qui a été christianisé : alors que Barth dénonce « le vide de la théologie négative», Tillich aper· çoit, en deçà du Verbe éternel qui la révèle, la divinité comme un « abîme insondable » et se demande

La QuJuzaineUttéraJre,

s'il ne doit pas au pseudo.Denys l'Aréopagite, « le mystique chrétien par excellence», la tension de sa propre pensée vers un « Dieu audessus de Dieu ». Il ne néglige pas pour autant Saint-Augustin « qui, plus que tout autre, représente l'Occident » et duquel il reconnaît dépendre. Nous pouvons maintenant englober sous un même regard les écoles médiévales et le catholicisme du Concile de Trente à nos jours (deux autres chapitres qui occupent presque cent pages) : entre les si· tuations théologiques des deux périodes, il y a certes continuité, mais aussi un contraste qui interdit l'identification. La continuité réside dans la conception à la fois sacramentelle et hiérarchique d'une Eglise où « les sacrements représentent l'objectivité de la grâce du Christ, présente dans le pouvoir objectif de la hiérarchie»; quoiqu'il estime « quasi magique» l'efficacité ex opere operato du sacrement romain, Tillich pose la question : « Quel est le sens de la pensée sacramentelle? C'est cela que les protestants ont à apprendre car ils l'ont oublié» (178-180). Cette question de « la pensée du sacré», ils peuvent la comprendre aussi par l'Eglise d'Orient (U8). Si le Moyen Age a pour problème fondamental celui de la réalité transcendante manifeste dans une institution, « une société sacrée» il n'a pas été « aussi uniforme que notre ignorance nous le fait supposer» ; malgré ses insuffisances, la synthèse de l'Histoire de la Pensée chrétienne témoigne d'un sens juste de la diversité des théologies médiévales ; elle reconnaît qu' « au Moyen Age, mystique et scolastique sont inséparables»; elle inferprète le réalisme médiéval des universaux en considérant ces derniers comme « des pouvoirs d'être (telle la nature humaine) qui transcendent l'indi· vidu » ; elle précise que, pour l'ecclésiologie médiévale comme pour Augustin, l'Eglise, corpus mixtum, s'assimile au Royaume .de Dieu « en ceci que les grâces sacramentelles sont présentes dans la hiérarchie» mais s'en distingue en ceci que « les dépositaires » des mêmes grâces sont cc' des pécheurs» (160, 165-166, 173). Par contraste, avec l'Eglise médiévale, l'Eglise romaine issue de la Contre-Réforme apparaît étroite et autoritaire, spécialement depuis le Concile Vatican-I : l'autorité n'est plus celle d'une « tradition vivante D, mais d'une

du 1er au 15 février 1971

Duns Scot (1266-1308)

tradition « formulée»; elle se confond « avec l'autorité du pape » (163) ; Tillich estime que l'influen· ce des Jésuites a, de plus, abouti à « une condamnation implicite d'Augustin lui-même» et, en matière d'éthique, à l'élimination de l'au· tonomie de la conscience indivi" duelle (248, 251). Il juge que les traités catholiques de théologie sys· tématique montrent que, « la réponse à toutes les questions fonda~en­ tales » étant « imposée », la « créa· tivité dynamique » a été perdue en ce d~maine (245). On doit regretter que la date du cours et celle du décès de son auteur l'aient empêché de tenir davantage compte de la diversité des pensées dans l'Eglise romaine, diversité qui est apparue avec éclat après le Concile Vatican-II. Nous avons dit comment, en fin de volume, Tillich situe sa méthode de « corrélation» dans l'évolution de la théologie protestante. De ce dernier chapitre, il faut au moins retenir la nécessité de considérer « avec sérieux» la théologie de « l'orthodoxie protestante du XVIe siècle au XVIIIe siècle : une « scolastique protestante par son raffine· ment méthodologique», de fait « une grande théologie» dont la compréhension est indispensable à celle des doctrines postérieures (307). On pourrait aussi retenir l'idée que « l'autonomie moderne de la raison vient directement de l'autonomie mystique supposée par la doctrine de la lumière intérieure D (318). Le précédent chapitre sur la théologie des réformateurs est domi· né par la présentation de Luther

comme « homme, qui a surmonté, intérieurement, le système romain » pour avoir entièrement « repensé D les rapports entre Dieu et l'homme, un Dieu de pure miséricorde agissant dans le Christ cc de façon paradoxale» et un homme dont <'« au. cun élément de personnalité» n'échappe à c( la puissance structurale du mal» constitutive du pé. ché : non pas des péchés, tels ou tels actes, mais le péché qui com. me « incroyance » s'oppose à la foi. Quelles que soient les insuffisances que l'Histoire même de la pensée chrétienne relève dans les doctri. nes de Luther, on comprend l'influence décisive que le premier des Réformateurs a exercée par son radicalisme sur un théologien philosophe pour qui 1'« incroyance» est séparation du « pouvoir d'être », de cc la réalité divine ». La « foi absolue» ne consiste pas en c( une acceptation des doctrines, fussentelles chrétiennes », mais en « l'acceptation de la puissance même dont nous venons et à' laquelle nous allons» (227). Telle est la dimension à la fois ontologique et religieuse que, dans cette histoire comme dans toute son œuvre théologique, Paul Tillich a voulu rendre sensihle à ses étudiants de l'Union Theological Seminary, où, à son arrivée aux Etats-Unis, la théologie de la Réforme était, nous dit-il, « presque totalement ignorée ». Paul Vignaux

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L'âge d'or de l'Occident

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Friedrich Heer

ger une menace, dans l'infidèle un ennemi qu'on ne peut combattre que par les armes. Sûrs de leur foi et de leur bon droit, les chrétiens d'Occident ont·ils été jamais plus « fermés» qu'en 1204, lorsqu'ils détruisirent et pillèrent Constantinople, au terme d'une expédition primitivement destinée à secourir la Terre Sainte? Et n'est·ce pas au contraire aux XIIIe et XIVe siècles, dans le sillage de saint François et de saint Dominique, que naît l'idée de mission qui, progressivement et sans éclat, va prendre la relève de la croisade, à mesure que celle-ci s'enlise ou dégénère ?

L'Univers du Moyen Age A. Fayard éd., 485 p.

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Le lecteur français sera peut-être déconcerté, au premier abord, par ce livre qui relève d'un genre littéraire peu en honneur, de nos jours, dans notre pays : l'histoire des idées, que son auteur enseigne à l'Université de Vienne. En dépit d'un titre prometteur, l'ouvrage se ramène en effet à une étude de l'univers mental, intellectuel et artistique des hommes du Moyen Age. Le contexte économique, social et politique est évoqué de façon rapide et allusive dans une preDllêre partie. Il ne s'agit que de peindre à grands traits le décor de: vant lequel va sa dérouler ce qui, pour F. Heer, constitue l'essentiel du spectacle historique : les mouvements de l'esprit et du cœur. Quand on a pris son parti... de ce parti pris, on se heurte à une autre difficulté : l'Univers du Moyen Age est un livre à thèse. C'est ce qui fait son intérêt mais aussi sa faihlesse, car les objections envahissent le lecteur à bien des moments. Pour l'auteur, la civilisation de l'Occident médiéval a commencé par être largement ouverte aux influences extérieures; puis, à partir du milieu du XIII' siècle, elle s'est progressivement fermée et sclérosée. A une Europe sans frontières politiques et culturelles succède, dans les derniers siècles du Moyen Age, une Europe cloisonnée et sectaire : celle des Etats et de l'Inquisition. La sève proprement médiévale s'est déjà tarie: c'est le début de la civilisation de l'Europe moderne qui, d'intolérance en nationalismes, aboutira aux grandes tueries de la première moitié du XX, siècle.

Le temps des occasions perdues Profondément européen et libéral, F. Heer voit dans le Moyen Age central une sorte d'âge d'or de l'Occident, mais aussi le temps des occasions perdues. Cette vision orientée, qui privilégie avec amour deux siècles de notre histoire et noircit les suivants, est-elle bien acceptable? Et d'abord, ce Moyen Age central mérite-t-il les éloges que l'auteur lui décerne? Les qualités d'ouverture dont ce

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Richesse et diversité du XIIe siècle

En Italie, l'aristocratie préférait en général mener une existence citadine et construisait ses demeures dans des villes telles que San Gimignano, en Toscane dernier fait honneur aux hommes des XI' et XIIe siècles, ne sont-ils pas, dans une certaine mesure, la marque de leur relatif sous-développement par rapport aux mondes plus évolués qui les entourent ? Si des clercs pleins de curiosité se mettent à l'école des philosophes arabes, n'est-ce pas avant tout pour combler les lacunes de leur propre culture et découvrir, en même temps que des textes nouveaux, des méthodes de raisonnement plus efficaces? Plus que d'une ouverture, il s'agit d'une volonté d'appropriation et d'assimilation. Comment oublier d'autre part que la rupture avec l'Orient byzantin et la Guerre Sainte contre l'Islam par le biais des Croisades, datent précisément

de cette période qu'on nous présente comme « ouverte» ? Certes, les Etats ont encore des frontières môuvantes, et la Chrétienté demeure une réalité : un Anglais peut devenir évêque de Chartres et un moine français prendre la tête d'une abbaye danoise ou hon· groise. Mais cette mobilité n'existe guère que dans le monde des clercs, qui constituent à travers tout l'Occident une caste homogène, dont l'unité est assurée par une communauté de culture et d'inté· rets. Les laïcs, en revanche, surtout dans les campagnes où vit l'immen· se majorité de la population, ne connaissent guère que l'horizon limité de leur seigneurie. Seigneurs ou paysans, ils voient dans l'étran-

Si la thèse de l'auteur est contestable dans son ensemble, elle a cependant le mérite de mettre en lumière l'extraordinaire richesse et la diversité de la civilisation occidentale du XIIe siècle, dont beaucoup de virtualités ne se sont pas réalisées par la suite. Et il est indéniable qu'à côté de cette efflorescence culturelle et artistique, les siècles postérieurs, malgré les grandes cathédrales gothiques et la Divine Comédie, paraissent étriqués et comme desséchés. Dans ce monde des poètes courtois et des Goliards, des bâtisseurs d'églises et des premiers scolastiques, F. Heer évolue avec une admirable aisance. Grâce à la qualité du style, très bien rendue en français par le traducteur, M. de Gandillac, ce sont de loin les meilleurs chapitres du livre. En dépit d'un certain nombre d'erreurs matérielles, dont on veut espérer qu'elles sont dues à des coquilles typographiques, l'auteur domine cette période exceptionnelle. Cela lui permet d'évoquer avec bonheur Abélard et les premiers intellectuels parisiens, saint Bernard et l'humanisme belliqueux des Cisterciens, Aliénor d'Aquitaine enfin et les cours du Midi, où s'élabore un nouveau type de rapports entre l'homme et la femme. Pour ces chapitres, et pour bien d'autres notations qui attestent une connaissance en profondeur de la mentalité médiévale, l'ouvrage de F. Heer mérite d'être lu, même si on ne partage pas tous les postulats de son auteur.

André Vauchez


iCONOlll1i

L'avenir du capitalisme POLITIQUII

Robert Heilhroner

Les limites du capitalisme américain Postface de Roger Priouret Ed. Hommes et Techniques 135 p.

Robert Heilhroner est un économiste (et non point un sociologue, comme le dit le prière d'insérer) qui enseigne à New York. Jusqu'ic~ deux de ses ouvrages seulement ont été publiés en France : une histoire de la pensée économique aux Editions de la Colombe, et un livre sur le sous-développement, aux Presses Universitaires de France. Comme il ne bénéficie pas de la renommée un peu mondaine d'un Galbraith, on est agréablement surpris de voir paraître un troisième livre, qui il est vrai se situe dans un genre actuellement très prisé du public, celui de la prospective, et traite d'un sujet qui ne laisse à peu près personne indifférent, à savoir ce que j'ai appelé ailleurs l'espérance de vie du capitalisme. Pour appréhender un sujet aussi la référence au passé - et à quoi vaste, l'auteur s'est imposé une d'autre pourrait-on se raccrocher si démarche intellectuelle rigoureuse, l'on veut procéder de manière raique suggère d'ailleurs le titre et qui sonnée? - il se demande de quoi consiste à s'interroger successive- est mort le régime féodal. Ce n'est ment sur la capacité du système pas d'une révolution violente, mais capitaliste à évoluer, sur les d'une incompatibilité irréductible contraintes en quelque sorte struc- entre le réseau de droits et de deturelles qui s'opposent à ce que voirs qui sous-tendait la société du cette évolution aille trop loin, et manoir, et l'adoption de plus en enfin sur le nouveau système qui plus générale de l'échange de type paraît appelé à se substituer au ca- monétaire comme instrument de la pitalisme. A la première question, vie collective. L'équivalent de cette Heilhroner répond que le capitalis- force sournoise de subversion, l'aume américain recèle des capacités teur le voit dans le progrès des d'absorption non négligeables, au connaissances scientifiques et de triple point de vue de l'améliora- leurs applications techniques, dont tion du niveau de vie des catégories les répercussions sont, au sens fort modestes de la population, de la du mot, anti-capitalistes. En effet maîtrise des fluctuations conjonctu- elles se traduisent selon lui par des relles, et des relations entre l'Amé- problèmes d'environnement et de rique et le reste du monde. n esti- chômage technologique qui dépasme au contraire que ce capitalisme sent les capacités d'auto-adaptation (ou plus précisément en anglais le de l'économie de marché, et plus en~ business system) est inapte à certai- core par un affaiblissement de la nes transformations qui le feraient motivation économique en raison tout autre que ce qu'il est : réduc- de l'accroissement du niveau de tion marquée de la part du revenu vie : à longue échéance, de plus en national advenant aux possédants, plus de tâches s'accompliront, non disparition de la motivation écono- parce qu'elles permettent d'acquémique comme source importante du rir un argent dont on a besoin, mais comportement humain. parce que l'on estime nécessaire ou On pourrait évidemment arrêter désirable de les effectuer. Cette sole raisonnement ici et envisager ciété vraiment nouvelle se caractéripour l'avenir une sorte de persistan- serait par une grande confiance ce dans l'être s'accompagnant de dans la capacité de l'homme de progrès graduels à la marge. Pour maîtriser son avenir, par une apHeilhroner cette éventualité paraît plication massive de la science et de peu probable à long terme. Utilisant la technique aux problèmes sociaux,

Business in the USA?

La Qllbmdne Uttéralre, du 1er au 15 février 1971

et enfin par l'éminente dignité conférée à l'accroissement du savoir.

La traduction de ce livre sé lit facilement et l'on a plaisir à signaler que l'index a survécu dans le passage d'une langue à l'autre, mais le libellé des trois tahleaux (pp. 16,. 65 et 100) est assez inexact pour fausser les idées du lecteur non prévenu ; on aurait également aimé que Tocqueville fût cité « en version originale » et non retraduit de l'anglais. L'éditeur a eu la honne idée de demander à un commen· tateur averti, Roger Priouret, de confronter ces vues sur l'Amérique avec la situation française, ce qu'il fait avec beaucoup de finesse et de clarté. en soulignant tout ce qui sépare les deux pays et que l'on a trop .tendance à ouhlier : absence d'idéologie économique vigoureuse poussant au développement industriel par l'initiative privée, tradition d'interventionnisme étatique; caractère familial et cc non professionriel» de la gestion de beaucoup d'entreprises, autant de différences dont il faut tenir compte si l'on veut faire un hon uSage des réflexions de Robert Heilbroner sur le capitalisme· d'outre-Atlantique. Bernard Cazes

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Iros et lDtérol

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La méthode seleDtlIlque .e171 eD phllolophle

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L'épopée eeltlque d'lrlode

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.ature et lormes de la sJIDpaWe

Gatalope IV dlDl&llde au BdlUou Parot, Ienl. qL 101, boalennt"t-8erlllalD; Paria ..

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A Nice: La Pucelle .. Très cher Gaston, tout ce qui est un anniversaire pour toi en est un du même coup pour moi.; signé Delphine Seyrig ... Pour le gamin que j'étais, Joly était mon préféré des comédiens de Dasté, un comédien comme j'aurllis aimé l'être., écrit Marcel Maréchal tandis qu'Alain Resnais précise: Cl J'ai eu la chance de travalller deux jours avec Gaston Joly. Il était le tailleur dans Muriel •. Gaston Joly, vous connaissez?

tuelles, comme il en est des classes sociales, qui ne se recoupent pas nécessairement.

Pour réussir dans son entreprise, Gabriel Monnet s'est astreint à un recensement et à un rassemblement des activités culturelles de la région. C'est aussi qu'il tient à une collaboration amicale avec Patrice Blot qui, désormais, veut animer au Palais de la Méditerranée un département ouvert à la création contemporaine, et que .Iui-même a compoIl vient pourtant de fêter ses sé un programme éclectique et vingt-cinq ans de comédien de la équilibré. Il a invité Alain Rais et décentralisation théâtrale. C'était ses Spectacles de la Val.lée du au Centre national Nice-Côte d'ARhône à présenter, au théâtre de zur autour de Pucelle, de Jacques Nice, avec succès, Colonel TurAudiberti. Il y joue, et fort bien, le . quoise, du Soviétique Nicolaï Tirôle effacé de Mathieu avec • cet khonov; Guy Lauzin mettra en exemple professionnel et humain -, scène Testarium, de Mrozek et Candont parle Hubert Gignoux, en dide, d'après Voltaire, adaptation • vrai comédien, solitaire dans les de Richard Monnod, tandis que luidifficultés, fervent dans le travail, même assurera la création de Coconstructif dans les critiques, un quin de coq d'O. Casey, après comédien comme en ont besoin les celle de Pucelle. centres dramatiques -, pour reprendre la définition de Jean Dasté Avec Pucelle, Audiberti renouvelqui salue à son tour les noces d'arle une fois de plus son brillant gent de Gaston Joly. Mais connaisexercice de jongleur réinventant, sez-vous ce comédien? au-delà des mots recréés et chanLa décentralisation théâtrale a tés à nouveau, des situations qui vont s'enfilant jusqu'à perdre hases vedettes sans lesquelles elle leine. Le théâtre' d'Audiberti est n'aurait pas résisté longtemps aux celui de la mesure déraisonnable coups de boutoir de toutes sortes, comme peut l'être une rivière qui et des plus bas, mais ces vedettes sort soudain de son lit. C'est l'œun'auraient pas résisté sans des covre d'un homme qui n'a jamais, médiens comme Gaston Joly qui semble-t-i1, pensé. théâtre - et qui me paraît être le symbole même de voyant la scène comme il voyait le l'élan généreux et ingrat que fut, monde, c'est-à-dire en poète, a tradepuis la libération, ce mouvement ligence seule ne serait que froide théâtra( à travers la province : vaillé d'instinct. Avec Pucelle, une échec ? réussite? on ne sait plus fois de plus, le poète « viole l'His'trop : mais ça existe, ça vit ou ça 'survit, selon les villes. Est-ce suf- toire », d'où ft sort la légende» qui fit de Jeanne d'Arc « une panoplie ». fisant? La décentralisation n'a sûrement pas encore compris le fameux • non-public - découvert en mai 68 à Villeurbanne. Pour l'instant elle a pu surtout rassembler un public qui, pour reprendre l'expression de Pierre Bourdieu, fait preuve de • bonne volonté culturelle -. Un effort sans précédent a été consenti mais il n'aura de sens profond et durable que si des moyens considérables sont mis au service de cette animation, et partant au service de la nation. Et il ne s'agit pas seulement d'augmenter les subventions (1) : le théâtre, comme tous les arts 'doit s'apprendre à l'Ecole. L'enseignement doit permettre l'épanouissement des sensibilités artistiques. Et accessoirement de vocations. Il existe des classes intellec-

Pour Audiberti, Jeanne c'était ou c'est - deux: ft Joannine sur la guerre J) et Cl Jeannette dans la terre •. Le poète ne cherche pas, apparemment, à démêler l'écheveau et il lui importe peu que Jeanne ait été oui ou non pucelle (mais étant né du Saint-Esprit, à Antibes, il a quelques doutes !) ce qui l'intéresse, c'est le conflit de mémoires assurées, triomphantes et contradictoi;es : "l'ennemi, c'est l'autre et l'on a besoin de l'autre pour s'épanouir -. C'est le miracle de ft la solitude double où se réflète le merveilleux •. Magicien et faiseur de mots, Audiberti offre à Jeanne un faux miroir. Bien sûr, .. c'est irrégulier". le ppète • pourquoise " autant qu'il

pellt et les spectateurs restent... • coises -. Mais, sans avoir l'air d'y toucher, d'une pichenette, Audiberti nous rappelle que le monde est insupportable et que la gloire ne se souvient que de ceux qui ont sur la créer pour ce monde qui passe son temps à compter les points. Le spectacle conçu par Gabriel Monnet, autour d'un beau décor d'André Acquart, est simple et bourru, léger et vaporeux. Mais d'où vient âlors la distance que l'on ressent parfois à l'égard d'un travail pourtant excellent? C'est qu'il y a en fait dans Pucelle deux pièces en une et celle narrée et jouée par Gilbert, le poète. aux prises avec l'Histoire, ne peut passer la scène que lorsque l'acteur recrée la saveur des contes anciens dont Audiberti avait retrouvé le secret. Comment, par exemple, jouer sa plus belle pièce, la Fête noire, sans dire les commentaires et indications poétiques de l'auteur, sinon en déséquilibrant l'œuvre? Par ailleurs, on a beau, pour hâter l'implantation des Centres, construire des Théâtres transformables à prix réduits, il reste que la scénographie est un art juste tant il y a un rapport étroit entre le spectacle et le lieu scénique. Et le décor de Pucelle, fait d'un cylindre découpé, est un peu perdu dans la moitié de ce hangar de luxe : il aurait fallu pouvoir le cerner aux trois côtés de .fauteuils et ne pas jouer frontalement comme avec une scène à l'italienne ou sans coulisses (3).

1

Gilles Sandier Théâtre et combat

Stock éd., 368 p.

Un livre qui n'aurait peut-être jamais vu le jour sans mai 1968. Un moment, Gilles Sandier a cru qu'allait s'anéantir· autour de lui tout ce qui depuis des années avait été la matière de sa réflexion. La culture? : «Nous avons cru qu'elle

avait en elle une vertu libératrice, qu'elle pouvait aider à changer le monde et l'homme en permettant à des yeux de s'ouvrir, à des consciences de s'éveiller. à des actes de se mettre en branle. " Brusquement,

ce qui lui est apparu, c'est à quel point elle était liée à un système politique et idéologique qui, au contraire, empêchait tout changement. Il s'est plu alors à imaginer que certaines relations conventionnelles, comme les relations scène-salle, telles qu'elles existaient ne seraient plus possibles. Mais, autour de lui, déjà, tout recommençait. C'est ce recommencement que Sandier interroge, Le théâtre, tel qu'on l'a vu se faire depuis vingt ans, aurait-il pu, conçu différemment, être un élément de la lutte révolutionnaire, peut-il le devenir ou est-il lié aux fastes de l'ère bourgeoise et destiné à mourir avec elle? Cette interrogation justifie la reprise de textes écrits, jour après jour, ces dernières années, pour « Arts» et « la Quinzaine littéraire », et invite à la relecture. Il s'agit d'examiner le passé et de s'examiner soi écrivant, dans le passé, sur la production théâtrale du moment : tout le contraire d'une position confortable. Si l'avantage immédiat saute aux yeux : la saisie au bond de l'événement, dans le chaud de la Cependant, tel qu'il est, et malpremière vision, il y a remise en gré ces inconvénients indépendants question du jugement et à partir de critères qui ne sont plus les mêmes. de ses artisans, ce spectacle est de Le livre se tire bien de l'aventure. ceux que l'on aime à voir dans un Ennemi jut:é du théâtre-catéchiste Centre. Silvia Monfort, d'une beauté de gauche qui, loin de mobiliser lumineuse et légère, qui est Joannipour l'action, fait «tenir sage les ne ou la clé des songes, s'oppose à fidèles en nourrissant leur bonne France Beucler, Jeannette .::nlaidie, conscience », Sandier assimile le menue mais rayonnante de présen- . théâtre populaire, théâtre de prise ce scénique; si la troupe est hode conscience politique, à une pédamogène, on peut détacher Liliane gogie. Comme tel, il ne peut s'accommoder de confort intellectuel ou Ponzio, Jean-Jacques Delbo, les pamoral. rents et Henri Massadan, discret Cet esprit d'insubordination, il le et fin écuyer; et en allant voir montre, commandant les styles de Pucelle vous pouvez aussi redéjeu de notre temps : ce que Plancouvrir, en Mathieu, GastOiI Joly chon, Lavelli, Maréchal, Chéreau ont que vous finirez bien par reconnaîimposé, c'est la prise en charge de tre un jour dans la rue. Sera-ce cel'aventure littéraire par de beaului de ses noces d'or avec la décencoup plus vastes images du monde tralisation théâtrale? qui ébranlent le monde réel fermé sur ses orthodoxies. Lucien Attoun En elle-même, la démarche est (1) On pourrait déjà réduire l'inégalité déjà révolutionnaire. criante entre la province et Paris qui absorbe plus de 40 % des subventions de l'Etat.

Dominique Nores


Tom Paine au T.N.P. Paul Foster Tom Paine

de l'entreprise: une partition musicale remarquable de justesse, parodique et tendre à souhait, de Karel Trow, un décor ~t des costumes de Max Schoendorff qui finit par se montrer à l'étroit sur l'immense plateau de Chaillot! et, enfin, une réalisation précise de Rosner maître d'œuvre. les comédiens, encadrés par des chanteurs et les danseurs de Barbara Pearce, contribuent honorablement à la comédie musicale. De plus, et c'est la marque d'un grand directeur d'acteurs, tous seraient à citer. Comme beaucoup d'habitués du T.N.P., j'avais déjà vu dans de petits rôles Annick Fougery, mais c'est pourtant la première fois que je lui découvre une telle autorité, une telle aisance; Roland Bertin, qui avait été un extraordinaire roi Constantin à s'y méprendre, dans le Prix de la Révolte au Marché noir, est ici, par exemple, dans le rôle de louis XV, car les acteurs jouent plusieurs personnages, étonnant de ressemblance; Guy Michel, révélé par Opérette, se confirme comme un acteur de premier plan; Jean Benguigui se renouvelle et s'impose avec esprit; Armand Meffre et Raymond Jourdan apportent le poids de leur métier avec suffisamment de discrétion pour que l'on remarque leur talent tandis qu'Henri Virlojeux, qui joue pourtant le rôle de Tom Paine, n'éclipse personne.

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T. N. P.

Tandis que la Mama, de New York, arrivée fort opportunément à Paris, avec des spectacles lyriques remarquables, permettait de relancer le Théâtre du Vieux-Colombier, de nouveau rendu à sa véritable vocation, un des auteurs révélés par ce haut-lieu du nouveau théâtre américain fait ses grands débuts français avec Tom Paine. Tom Paine est un héros légendaire de l'Histoire des Etats-Unis dont il inventa le nom après avoir contribué, en 1776, dans un pamphlet, le Sens Commun à faire découvrir l'Amérique aux Américains en leur redonnant le sentiment de leur propre dignité, de leur liberté qu'il fallait arracher aux Anglais. l'insurrection triomphe et Tom Paine retourne en Angleterre, son pays natal, pour y publier, en 1786, les Droits de l'Homme qui lui valurent une condamnation à mort par contumace et une hospitalité enthousiaste de la Convention l'accueillant par acclamations comme député du Pas-de-Calais! Destin prodigieux et fantastique d'un homme libre, donc déraciné, qui, auteur également de l'Age de Raison, emprisonné, et échappant par miracle à la répression de la Terreur, s'en retourne, désabusé, aux Etats-Unis ingrats : en écrivant le Sens Commun, Tom Paine avait accouché d'une montagne qui écrasera la souris blanche et tendrement naïve qu'il aura été un homme, et non pas un héros, perdu dans une légende qu'il avait suscitée mais qui ne l'atteindra pas.

Un auteur contestataire On voit bien ce que Paul Foster, auteur contestataire et citoyen du monde par l'esprit, a pu voir au-delà de l'histoire exemplaire de Tom Paine : l'Amérique si grande et immense se perd dans ses contradictions d'opulences outrageantes au point de lui sembler à vue d'homme de plus en plus petite jusqu'à n'être plus qu'un point sur la carte de l'imagination frustrée. Et, ce point, qui a fait tache d'huile de par le monde, n'est pas près de s'effacer pour réenfanter une vie renouvelée. Cependant, théâtralement, comme beaucoup de nouveaux auteurs

. La

Quinzaine

amencains, Foster n'échappe pas au piège du fond généreux et de la forme faussement avant-gardiste. A vouloir appeler un chat un chat et imaginer en même temps un monde où les hommes ne vivent plus comme chien et chat, tout en faisant se superposer signes et symbolismes dans un cadre traditionnel et étroit, ces pièces sont souvent mi-chair mi-poisson. la remise en question du théâtre, les acteurs jouant à jouer, ne procède pas d'une remise en cause globaliste. Il ne suffit pas à Foster de nous raconter • la vie et la mort de Tom Paine, prophète d'un nouveau monde -, pour tenter de provoquer en nous, à travers la distanciation historique et géographique, un réflexe d'auto-défense, il souhaite également dénoncer nos habitudes culturellement mondaines, sans pour autant refuser les règles de jeu habituelles de la cérémonie théâtrale. Et tout cela ne va pas sans engendrer une certaine confusion. l'adaptateur, Claude Roy, a eu

Uttéralre, du 1er au 15 février 1971

beau transposer la pièce en • gauchisant - quelque peu la version française, il n'en reste pas moins que la première partie, la plus longue d'un spectacle qui dure trois heures, a besoin, comme dit le Sergent, «qu'on l'explique -. Et ce n'est probablement pas par hasard si la seconde partie, plus libre dans son adaptation, et plus française quant à ses références passées et présentes, est plus lisible et en tout cas plus accessible. le metteur en scène Jacques Rosner s'est pourtant attaché à cerner le texte tout en se refusant à s'effacer devant l'auteur. En fait il s'agit moins d'une mise en scène que d'une réalisation à grand spectacle. Comme il l'avait déjà montré brillamment, mais avec une pièce plus forte, Opérette, de Gombrowicz, Rosner tente une ouverture vers le public dit populaire qu'il veut conquérir sur son supposé terrain de prédilection: le divertissement total, une opérette moderne, intelligente et brillante. Tout a été mis en œuvre pour la réussite

Un travail de haute précision Jacques Rosner a fait là un travail de haute précision. Mais, quelles que soient ses qualités originelles, Tom Paine, quoique créée seulement en 1968, appartient déjà à l'histoire du théâtre américain. le théâtre évolue très vite. Et si l'on ressent, de. plus en plus fortement aujourd'hui, le besoin de retour au texte structuré au théâtre, ce retour ne se fera pleinement que lorsque les grands courants ravageurs du théâtre contemporain seront totalement maîtrisés, assimilés et dépassés. Il commence déjà à l'être comme en témoigne une nouvelle génération d'auteurs français prête à éclore et à qui Il faudra bien se résoudre à ouvrir grandes les portes des lieux de création. De toute façon elle ne semble pas vouloir se laisser réduire au silence comme la précédente! lucien Attoun

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Black Panther rait appeler la substance historique et politique, tandis que des caractères typographiques, très belles capitales blanches et rouges, découpent, reprennent ou prolongent le discours de Cleaver. Mals là encore, on peut esti· mer que l'exlgetlce technlco-joumalistique a prévalu aux dépens de l'expres· sion cohérente et ferme du système des Black P8nthers; les Images d'actualité demeurent trop souvent de simples illustrations, pathétiques sans aucun doute, mais fragmentaires et passagères; épisodes parmi d'autres dans une exposition un peu hétéroclite, . des Images comme l'assassinat du Vietnamien par le G.I. ou le bébé brûlé au napalm pouvaient être reprises à chaque articulation du film et revenir comme une obsession, l'obsession américaine et la nôtre aussi bien, et, selon Cleaver, un facteur déterminant du mouvement révolutionnaire améri.. cain ; le recours à la tYpographie constituait un moyen économique et souple de présenter certains aspects re-

Eldridge Cleaver, Black Panther film de William Klein, réalisé en Algérie, 1970 - 1 h 20 Studio Saint-Séverin, Jean Renoir.

I

Gros plan du visage d'Eldridge Cleaver, hachant menu son discours politique; portraits en pied de Cleaver aux larges épaules déambulant dans une ruelle de la Casbàh d'Alger, et son exil comme redoublé et dramatisé d'être ainsi suivi à la trace au sein d'une foule • autre ., d'être pris dans la curiosité envahissante des enfants et des adolescents; violence et humour mêlant leurs pointes dans le geste de Cleaver achetant dans une petite boutique un couteau à cran d'arrêt pour couper les c... (the bowls) à ce • mafioso. de maire de San Francisco, Alioto mais aussi bien à Ronald Reagan, gouverneur de Californie, ou à Richard Milhous Nixon, président des Etats-Unis d'Amérique, ou à l'un quelconque de ces politi· ciens interchangeables bourrés d'honorabilité, et aux mains, accuse Cleaver, dégoulinant de sang - toutes ces images, constitutives de ce qui pourrait être la première partie du film de William Klein consacré à • Eldridge Cleaver, panthère noire., relèvent encore, assez fâcheusement (quoique plus discrètement que le Cassius Clay réalisé par Klein il y a quelques années) d'une vision journalistique traditionnelle de l'interview, fondée sur une équivoque essentielle qui tiendrait dans cette double formule : mise en vedette et mise en accusation (ou mise à mort, s'il est vrai que l'opération journalistique doit être fermée sur elle-même, véritable monade sans autre perspective ou résonance que la place strictement assignée sur la page ou l'écran, sans autre durée que son immédiateté, immédiatement engloutie dans le flux infernal des informations, de l'Information-fétiche); à s'attarder et à revenir sur chaque pore de peau, sur un lobe d'oreille orné ou non d'une boucle, à égrener des propositions frappées de la solennité que donnent le silence et l'obscurité, la caméra construit, fabrique un objet audio-visuel spécifique, auquel la prise de vue et la prise de son directes ou le ton • conversation spon· tanée. ne donnent en aucune façon un cachet d'authenticité : Il n'y a pas de cinéma direct ou de cinéma-vérlté, la moindre image, et à plus forte raison une succession ou un montage d'images constituent déjà un système d'interprétation et de déchiffrement, organisé selon des niveaux multiples brassant avec plus ou moins de pertinence des valeurs fantasmlques, Imaginaires, symboliques, des élaborations conceptuelles et des références à plus ou moins multiples relais aux aspects déjà considérablement construits des diverses couches de réalité. Le principe même de l'interview étant, par ailleurs. de faire parler (avouer?) un sujet soumis à des questions presque toujours teintées d'agressivité, les interrogations prennent vite la forme de l'Interrogatoire, et tendent à situer ce type de dialogue dans la catégorie du policler-judlciaire-psychiatrique. Sans doute, la discrétion et "amitié de Robert Scheer, collègue de Cleaver il la revue Ramparts et auteur de l'in-

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Eldridge Cleaver troduction au livre de Cleaver intitulé Panthère Noire (1), et la grande habileté de William Klein évitent-elles le pire; encore eût-on aimé voir se dégager avec netteté ce qui fait - à notre sens, certes - l'originalité d'Eldridge Cleaver : le fait que l'existence propre et les diverses expériences de Cleaver résument, d'une façon certaine, l'histoire de la communauté noire américaine, le fait, en outre, qu'à partir de sa rencontre avec le Black Panther Party, sa volonté et ses projets s'identifient à la volonté et peut-être à l'avenir de cette même communauté; la délinquance (vol; viol), le chômage, la prison, la tentation de la révolte individuelle, la • promotion culturelle. avec le succès de son recueil Un Noir il l'ombre (2), l'expérience vécue avec les Black Muslims, le rejet de la • négritude. et des solutions. culturelles. à la Baldwin, l'expérience vécue de "assassinat quotidien par les Blancs, sa candidature aux élections présidentielles, ses responsabilités au sein du BPP, un exil qui le mène de Cuba à Alger, ses rencontres avec des représentants des mouvements -africains de libération, le refus du racisme et la conscience d'un facteur politique noir spécifique, l'assimilation du marxisme-léninisme et l'ouverture à l'internationalisme révolutionnaire - autant de marques constitutives de la personnalité de Cleaver et de sa surprenante coïncidence avec les formes les plus typiques de la condition noire et les lignes, encore en pointillé, de son futur. Deux procédés efficaces contribuent à la construction du film : les inserts d'actualités (manifestations d'étudiants, assauts de la police lors de la convention démocrate de Chicago. séances de la commission McClellan d'enquête sur le BPP, images de la guerre de partisans au Mozambique images de la guarre du Vietnam, mon trant entre autres un soldat américain assassinant à bout portant un prisonnier vietnamien et un bébé brûlé au napalm, etc.) apportent ce qu'on pour-

marquables de Cleaver écrivain et polémist&.écrivain au souffle puissant, à la' griffe agile, capable d'enlever les détails les plus terre-à-terre (on n'a pas fait pour rien vingt années de prl· son!) dan~ des survols apocalyptiques, et polémiste redoutable, à la pensée précise et acérée, à l'obscénité destructrice (cf. par exemple le discours de Stanford, in Panthère Noire) ; mals le film de Klein, se concluant sur ce dernier aspect (Cleaver répétant plusieurs fols : • 1, 2, 3, 4 1 fuck Reagan, 1 fuc:k Nixon 1.) et n'abordant que trop hâtivement le thème de la mort qui menace Cleaver (car le moment est sans doute venu où la police américaine veut avoir la peau d'Eldridge Cleaver, de Bobby Seale, et surtout de Huey P. Newton, le prestigieux créateur du BPP) , s'enferme définitivement sur l'anecdotique et le romanesque. Roger Dadoun (1} Coll. • Combats " Seuil, 1970. (2) Coll. • Combats " Seuil, 1969.

Othon, le rOI• nu I

~e Jean-Marie

Straub

Luxembourg 1.

Introduisant sur l'écran Othon, pièet que ce négligée de Corneille Corneille pourtant tenait pour l'une de ses meilleures - Jean-Marie Straub convie paradoxalement, à travers une succession de blocs séquentiels massifs et une fiction rigoureusement discrète, à une lecture active du texte ....!.. une lecture dépouillée des appâts, apprêts, apparats, appareillages, avec lesquels se lit (se lie) traditionnellement le poème cornélien. La gigantesque architecture de formes multiples - le Vers, l'Acteur, la Mise en scène, le Décor, la Salle, le Public, etc. - qu'on peut grouper sous le concept très élargi de Théâtralité, voraces maquerelles du diclble, se volt démantelée, et c'est ce démantèlement, ce système de biffures, de renversements, de ruines, qui en vient, espèce de travail inconscient suscitant et sapant à le fois l'image manifeste, à composer la dynamique et la pertinence du film. Deux éléments sensibles, nécessaires supports, encadrent de leur irrécusable permanence le fil du texte: voitures vues et entendues dans la "Rome actuelle du haut du Palatin, et costumes (toges. casques, etc.) signifiant la Rome antique; sur J'anachronisme produit par cette paire antagoniste se tend, dans toute sa raideur, le fil du texte. Mais les figures les plus simples et les plus naïves sont aussi celles qui inclinent aux combinaisons les plus tortueuses; on ne sau· rait s'arrêter au pur constat : il y a Rome et le costume; leur présence synchrone dans l'image audio-visuelle établit une • étrangeté. qui ne reste pas contemplative, mais opère comme mécanisme d'échange: si le costume est romain, Rome est un costume, en italien il costume, c'est-iHiire aussi la

coutume, une manière d'être, de sentir et de percevoir, une matrice Idéologique Inscrite dans la Bildung, le système de formation, le patrimoine culturel, etc. du Français. La formule • Rome n'est plus dans Rome. pourrait illustrer le travail idéologique .effectué et qui se caractérise, en gros, par une triple expulsion du sujet : de son langage, de son lieu, de son histoire; à l'adhésion spontanée et entière du sujet à son I-angage concret quotidien, la forme alexandrine apprise dans le Corneille de l'école fait barrage, imposant un modèle contraignant et hégémonique (discours oflclel, style • noble ., etc.) ; et la romanité cornélienne, la forme • Rome antique. et sa surcharge de connotations exile le sujet de son hic et nunc, et brouille le lieu et le temps où Il pourrait Inscrire· son action et son histoire. La théâtralité traditionnelle sacrait le texte roi pour mieux kl sacrifier; origine glorieuse, substance prlmor-· diale et suprême référence, le texte n'entrait en fait en lecture que pour être mis à mort: dans l'obscénité de l'espace théâtral, "exhibitionnisme de· la scène, les travestis costumiers, la pornographie sonore de la diction, le fétichisme du public, etc. La caméra de Straub biffe tout cela avec Intré-· pidité : la main d'Othon, figée sur sa toge, pulvérise tous les codes gestuels cornéliens, et surtout les accents étrangers des acteurs, le débit monotone, morose. rapide, neutre, souvent· à peine audible, font du texte un roi nu, tendent à restituer une ligne pure et ce du texte. sa • textualité. n'est pas l'une des moindres récompenses de cette entreprise ascétique, de cette décantation-incantation - à offrir thérapeutiquement aux élèves des écoles et surtout aux professeurs - que de tracer, dans sa nerveuse assurance, la vision politique machiavélienne de Corneille.

R. D.


COLLECTIONS

" Musique " et "Traditions musicales " (Buchet 1Chastel)

Colette Magny 1

Colette Magny Feu et Rythme (Le Chant du Monde, LDX 74444)

• Je n'appartiens pas au monde de la chanson» affirme Colette Magny (1). et c'est un fait d'évidence qu'elle ne saurait rien avoir de commun avec ce système compact et féroce de gangs - Industriels et mar· chands du disque, Impresarios, directeurs de salle, éditeurs de journaux, producteurs d'émissions, politiciens des loisirs ou de la culture, etc. qui détiennent l'effarant pouvoir de traquer à tous moments et en tous lieux des dizaines de millions d'être9 humains, leur faisant subir, dans la sphère même où pourraient émerger des sentiments de liberté, d'autonomie, d'authentique jouissance, une espèce d'aliénation radicale, analogue à peu près à ce que Brecht nommait l'ilQ1)loitation (2). . De la débilité véhiculée et cultivée par un tel système, le travail de Colette Magny se situe, on s'en doute, aux antipodes. Ou'en l'entende dénoncer, avec son Impérieuse véhémence, • l'écœurant, atroce », namour préfabriqué des chansonnettes à la mode: • on n'aime jamais comme ça, dans aucun pays, dans aucun milieu, dans aucune classe. L'amour, c'est les tri· pes en l'air... »; et elle en témoigne, dans un chant d'amour foudroyant trois simples lignes transposant, trans-figurant une toile goyesque de François Jolivet : • Prends-mol, me prends pas/Je suis comme la bite/Je n'aime que toi... ». Après la redoutable soumission du premier vers, la métaphore de la bête, lovée dans les mots, se déploie dans la voix qui gronde; cris et cordes s'emmêlent et se harcèlent, et élèvent dans un crescendo affolé un espace sonore et mobile pour recevoir l'immense rugissement de l'amour autour duquel vient se nouer un rire venu d'on ne salt quelle jubilation ou quel désarroi... Plus que sa capacité à opérer par le chant de fasclnantas lectures d'œuvres picturales, le dernier disque de Colette Magny révèle avec quelle maîtrise l'artiste a su Intégrer à son génie le meilleur des recherches musicales contemporaines, tant pour l'exploration systématique des multiples ressources de la voix humaine que pour les liaisons volx-instruments. S'emparant d'un texte de LeRoi Jones, Brave Nègre, Colette Magny le prend véritablement au mot - au mot Nègre, qu'elle fait exploser dans tous les trajets suggérés par t'écrivain, extirpant notamment de la sonorité centrale, l'accent grave, des résonances obsessionnelles d'une prodigieuse efficacité, avant de marteler les syllabes nettes et pleines de la formule finale: Nègre au cul nQir. Dans U.S.A./DQudou, quelques phrases dites supportent les éruptions et les déflagrations vocales, l'intervention d'une seconde voix modulant plaintes et mélopées et les cordes des basses produisent une mêlée sonore poussée jusc:,u'à l'exacerbation, une frénésie où s'étreignent la révolte actuelle (. l'été on crève, on monte sur les toits, on tire.) et la vision apo-

calyptique (. la prochaine fols le feu »). Jabberwocky, un quatrain de Lewis Carroll traduit par H. Parisot. propose quelques stupéfiants exercices de haute voltige vocale Colette Magny réinventant à sa manière le langage des mots-valises inventé par Carroll. Ces rapides Indications, pour désigner un ensemble de chants dont les plus infimes éléments - une sonorité, une nuance, un silence - Olé· rlteraient une minutieuse analyse, con· firment l'ampleur et la variété du registre de Colette Magny. On le savait - et on sait que plus d'une station confortable et dorée lui fut offerte, pour qu'elle s'y enferme et s'y ressasse : que n'est-elle restée chanteuse de blues, alignée sur les plus grandes, les Bessie Smith, Ella Fitzgerald, Mahalia Jackson, et occupant une place unique dans le monde hors des Etats-Unis; que n'estelle restée l'auteur de Meloc!>ton, ouvrant dans le genre gracieux une veine Intarissable et le pactole; ou chanteuse poétiQue, l'incomparable ln· terprète de Victor Hugo (Les Tuileries, Chanson en canot, La Blanche Aminte), de Louise Labbé (Baise m'encQr), de Rimbaud (Chanson de la plus haute tour), de Machado (J'al suivi beauCQUP de chemlns) .._ Avec la chanson politique telle qu'elle la pratique, Colette Magny devient plus difficilement « récupérable - : Vietnam 67, Vlva Cu· ba, Les gens de la moyenne, Bura Bura appellent crûment à la lutte contre l'oppression, dénoncent l'exploitation, la mort atomique, chantent la révolution dans sa brûlante actualité; lorsque la révolte de Mal 68 allume en France même des lueurs de révolution, Colette Magny, happée par l'événement, chante dans les usines (. Le podium des usines Renault, ce fut mon Olympia» dlt-elle) et produit un disque, unique en son genre, où la parole des étudiants et des ou· vriers est répercutée par des chansons qui évoquent avec force et précision ·Ia condition ouvrière. A ceux c:,ui l'accusent d'en faire trop, de la politique, Colette Magny répond brutalement : • ça ne sera jamais trop 1 Jamais trop, tant qu'il y aura le Vietnam, le Biafra, le capitalisme partout 1. J a 01 ais trop, lorsqu'on sait que le parti communiste sirote du Sacha Distel le soir même où les accusés de Burgos sont condamnés à mort! Aussi Colette Magny pourl;uit-elle sa longue, longue marche - annexant à son œuvre poétique/musicale, avec une vitalité croissante, de nouveaux domaines; elle tente aujourd'hui, avec Michel Puig, d'élaborer un opéra moderne sur une pièce de Beckett; et elle travaille à donner expression musicale au mouvement des Black Panthers... Il serait donc grand temps de balayer tous les interdits qui empêchent une artiste de la trempe de Colette Magny, populaire dans la plénitude véritable du terme, de s'exprimer devant des publics à sa mesure les plus vastes et les plus fervents.

R. D. (1) (3) (4) Gullere et Musique. tév. 1970. (2) Cf. les remarquables Ecrits sur la Iltté· rature el l'erl, 1, 2 el 3, L·Arche. Disques cités ; cas 62 416, 33 l. . Le Chanl du Monde ; LOX 74 319 (JO cm); Magny 68. T-TK·Ol (JO cm).

La Qulnzalne Uttéraire, du 1er au 15 février 1971

A un médiocre compositeur, un poète symboliste demandait plaintivement de bien vouloir ne pas déposer de musique le long de ses vers. Aucun musicien, aucun amateur de musique, aucun collectionneur de disques ne sera jamais tenté de supplier Edmond Buchet, l'homme-de-musique du célèbre duo éditorial Buchet-Chastel, de ne pas poser les livres de ses collec' tlons musicales à côté du piano, des partitions ou de l'électrophone. Ce serait bien plutôt le contralr<:. Si on ne peut pas se contenter de subir la musique; si l'on cherche avant tout à la recevoir; si on veut bien comprendre l'univers des sons pour mieux le sentir; si la musique fait partie de la vie et pas simplement de l'environnement, alors le travail patient et éclairant poursuivi Ici se révèle Indispensable. Edmond Buchet a longtemps hésité entre deux passions : les livres et la musique. Ayant découvert sagement qu'II est malsain de se laisser- déchirer par ses passions et qu'il vaut mieux les embrasser toutes, Il est devenu un éditeur qui écrit sur ce qu'il adore et qui publie ce qui le fait vivre Intérieurement. Les deux ouvrages qu'II a consacrés lui-même à Beethoven sont déjà des classiques de ia musicologie. Le mot est quelque peu empesé et figé. E. Buchet n'écrit pas pour les • spécialistes -, même s'il est un érudit savant et minutieux, capable de satisfaire le pius exigeant d'entre eux. Il écrit de la musique et sur la musique pour «l'honnête homme -, sans jamais condescendre à descendre, mais sans donner à l'explication des textes musicaux un pédantisme agressif. Il sait citer un exemple nécessaire dans une parti· tion, analyser la structure d'une œuvre sans accabler l'amateur par un feint professionnalisme. Il sait reconstruire à travers la cathédrale sonore de l'univers de Bach le visage d'un homme et l'atmosphère d'une époque. d'une culture. Il salt démailloter la momie de Beethoven d'une légende accumulée comme la patine et la crasse sur un tableau de maître, pour nous restituer l'homme Beethoven dans la fraîcheur vivante de son génie. En cette « année Beethoven - qui a vu s'amonceler tant de pieuses et fades exégèses, le livre d'E. Buchet est le compagnon Idéal du mélomane. Il s'appuie sur des documents très sûrs, tels que les témoignages des amis et des contemporains du maître et surtout sur ces Let· tres de Beethoven et ces Carnets intimes du manuscrit Fischoff que le • maître de chapelle - des éditions Buchet-Chastel a eu l'heureuse idée de republier récemment en même temps que le célèbre (et Introuvable) livre de Berlioz sur celui que Nietzsche dénommait le • bouledogue sublime -. Avec le Beethoven et sa famille, de R. et E. Sterba, tout cela compose un ensemble prestigieux dans une série à laquelle nous devons déjà le Bach et sa famille, de K. Geiringer, le Journal intime, de Robert et Clara Schumann. Sans parler de ce • faux qui dit la vérité ", un des bestsellers de la littérature musicale, la célèbre Petite chronique d'Anna Mag· dalena Bach où l'auteur, à force d'ingéniosité, d'érudition et de talent a su

nous faire revivre de l'Intérieur l'Intimité du Cantor. Sa connaissance approfondie de la grande musique d'Occident et des II· vres français et étrangers qui peuvent enrichir, préparer et prolonger les plaisirs de l'exécution ou de l'audition, ne détourne pas E. Buchet d'être atten· tif aux grandes traditions musicales extra-européennes. Déjà la collection qu'il dirige lui-même avait étendu vers l'Est son domaine en publiant la très utile et sérieuse Histoire de la musique russe de Michel R. Hoffmann. Mals l'intérêt que portent les compositeurs contemporains, de Messiaen à Berio, les chorégraphes modernes, de Maurice Béjart à M. Cunningham, aux musiques de l'Orient, la curiosité du public pour les domaines sonores d'Ex· trême - ou des moins extrêmes Orient rendait nécessaire une collection à la fois savante et claire d'Initiation à ces nouveaux contlnent8 de l'oreille. C'est à l'homme à qui l'Unesco avait confié l'animation de la célèbre collection de disques des musiques extra-occldentales, c'est à Alain Daniélou qu'Edmond Buchet a demandé de diriger la série Intitulée «Les traditions musicales -. A 80n actif il faut porter déjà, confiés aux meilleurs ethno-muslcologues, des ouvrages sur l'Inde du Nord, l'Iran, le Vietnam et la Turquie. Pierre Landy vient d'ajouter à cette liste une Mu81que du Japon digne des études qui l'ont précédée. L'amateur de jazz n'est pas non plus tenu à l'écart au nom de ces ségrégations entre les divers langages musicaux que l'esprit de chapelle a trop longtemps fait prévaloir mals dont tous les mélomanes véritables s'accordent aujourd'hui à dénoncer la caducité. Musique noire, du grand écrivain noir LeRoi Jones, est un livre indispensable à qui veut comprendre l'histoire, le développement et les significations de la musique des Noirs américains, de l'art Soul. Le Guide des disques de Jazz, qu'a établi le Président de l'Académie de Jazz, Maurice Cullaz, est beaucoup plus et mieux qu'un Index discographique, c'est un • companlon book - du connaisseur. Dans le même esprit, Jacques Lory a donné aux édl· tions Buchet-Chastel un Guide des DI. ques qui embrasse avec discernement l'ensemble de l'édition des disques du marché français et dont la nouvelle édition, présentée à l'occasion des fêtes de fin d'année, a été considérablement enrichie par ses soins. • De la musique avant toute chose préconisait Verlaine. Edmond Buchet serait probablement tenté d'ajouter à l'injonction du poète : de la musique, oui, mais avant toute chose l'intelligence, la connaissance et l'approfon· dissement de cette musique. C'est à quoi il s'emploie en offrant à l'immense public qui va du compositeur et de l'interprète aux auditeurs de la radio, de la télévision et du disque, des livres qui ne sont pas des mots • déposés - le long de la musique, mais des clefs du monde sonore, les amis silencieux et savants de la voix universelle des grands musicie'ls. Adélaïde Blasquez

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Un roman qui a pour toile de fond la campagne pierreuse de ,la Dordogne (voir le n° 36 de la Quinzaine).

ROMANS FRANÇAIS

• Samuel Beckett Le dépeupleur Editions de Minuit, 58 p., 6 F Un texte Inédit de Beckett, écrit en français en 1966.

ROMANS ETRANGERS

Kingsley Amis L'homme vert Trad. de l'anglais par Marcelle Sibon Stock, 248 p., 25 rUn roman fantastique par l'auteur de «J'en al envie tout de suite (voir le n° 1 de la QuInzaine),

Roger Bordier Les éventails Seuil, 224 p., 18 f Par l'auteur d' « Un Age d'or - et du « Tour de ville - (voir les nO' 22 et 79 de la Quinzaine).

Benigno Cacérès La solitude des

autres Seuil, 144 p., 15 F Par l'auteur de « La Rencontre des hommes -, de • L'Espoir au cœur et du « Bourg de nos vacances - (voir le n° 36 de ,la Quinzaine). • Jean Cayrol N'oubliez pas que nous nous aimons Seuil, 160 p., 15 F Un récit à la fols classique et antl-tradltionnel par l'auteur de « Mldlminuit - (voir les nO' 1, 44 et 88 de la Quinzaine) •

Jacques Doyon Yob ou la mort de Yob CotI. «L'InitialeMercure de France, 88 p., 7 F Un premier récit d'un ton fort original. Gaston Leroux La reine du sabbat Losfeld, 512 p., 30 F Le meilleur livre de Gaston Leroux, réédité pour la première fols depuis quarante ans Georges Pâques ••• Comme un voleur Julliard, 320 p., 20,90 F Un roman écrit en prison, à partir de faits vécus.

JérOme Pelgnot La tour Ch. Bour~ols, 96 p., 14,30 F

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mort en 1963 et considéré 'Comme un des fondateurs de' la littérature soviétique.

Mikhail Boulgakov Cœur de chien Champ Libre, 158 p., 17 F Un roman de politiquefiction Interdit en Union Soviétique et qui valut à son auteur l'opprobre des dirigeants du PartI.

Yoram Kanluk Hlmmo, roi de Jérusalem Trad. de l'hébreu par Erwin Spatz Stock, ,176 p., 20 F Un livre qui a pour cadre un hôpital de l'armée juive au cours du siège de Jérusalem en 1948.

Fred Chappell Le dleu-polsaon Trad. de l'américain et préfacé par M.-E. Colndreau Coll. «Dans rEpouvante Ch. Bourgols, 288 p., 23,70 F Un livre qui s'Inscrit dans la grande tradition fantastique américaine.

Ira Levln Un bonheur Insoutenable Trad. de l'américain par Frantz Straschltz 'Laffont, 392 p., 20 F Par l'auteur de «Rosemary's Baby-.

Gûnter Grass Anesthésie ,locale Trad. de l'allemand par Jean Amsler Seuil, 272 p., 20 F • Gwyn Grlffln Les fils de Dieu Trad. de ,l'anglais par L. Rostaln et F. Romieu A. Michel, 304 p., 24 F .Une étude très acérée d'un milieu et d'un caractère, avec, pour toile de fond, l'Afrique Or'lentale britannique en 1948.

Vsévolod Ivanov Quand J'étals fakir Préface et traduction par Vladimir Pozner Gallimard, 288 p., 23 F Un recueil de nouvelles écrites dans 'les années 20 par l'auteur du «Train blindé n° 1469-, né en 1895,

Siegfried Lenz La leçon d'allemand Trad. de .J'allemand par Bernard Krelss Laffont, 464 p., 28 F Un des écrivains les plus représentatifs de la nouvelle génération allemande.

Wyndham Lewis Terr Trad. de l'anglais par B. lafourcade Préface de L. Durrell Ch. Bourgois, 576 p., 38 F Paru en 1918, un roman dans la tradition de James Joyce et de D.H. Lawrence.

Alberto Moravia Le paradis trad. de l'italien par S. de Vergennes Flammarion, 288 p., 22 F Un recueil de nouvelles qui mettent en scène des femmes de la bourgeoisie romaine en proie au mal de la société de consommation.

Kenzaburo Oë Une affaire personnelle Trad. de l'anglais par Claude Eisen Stock, 184 p., 22 F Un roman lucide et cruel sur les problèmes d'un jeune père dont la femme vient de mettre au monde un enfant anormal. Peter O'Donne! Modesty Biaise et le plnce-fesse Trad. de l'anglais par Jane Fillion Denoël, 232 p., 1~ F Six nouvelles ayant pour héros la célèbre Modesty Blaise et son complice Willie Garvln.

POESIE

Roland Bacrl Poèmes colère du temps Denoël, 176 p., 15 F Un recueil à la fols poétique et humoristique, par le «poémiste - du • Canard Enchainé-. • Guillevic Paroi .Gallimard, 228 .p., 20 F (Voir les nO' 31 et 76 de la Quinzaine).

.Octavlo Paz Versant est Trad. de l'espagnol par B. Péret, Y. Amory, G. Flgueroa, J. Roubaud, R. Munler, C. Esteban Gallimard, 200 p., 20 F Une sélection des poèmes écrits par Octavio Paz entre 1957 et 1968, auxquels s'ajoutent quelques textes Inédits.

Jean Queval En somme Gallimard, 264 p., 25 F.

BIOGRAPHIES MEMOIRES

Gallimard, 418 et 424 p., un vol. 35 F Une correspondance écrite pendant la période où 'le romancier émigre avec sa famille aux Etats-Unis et devient citoyen américain.

Arletty La défense 2 cahiers de 4 p. de hors-texte Ed. de la Table Ronde, • Auguste Strindberg Lettres à 240 p., 18 F Harriet Bosse Le monde d'Arletty à Trad. du suédois travers ses c·arnets par Jacques NaviUe intimes, carnets dans Co'rnmentaires de 'lesquels défile une T. Eklund étonnante galerie de Mercure de France, portraits. 248 p., 21 F Les lettres écrites par l'écrivain à l'actrice J. de Bourbon Busset Harriet Bosse de 1900 Comme le diamant· à 1908 : un document (Journal IV) essentiel à la Gallimard, 264 p., 21,25 F connaissance du cas Un nouveau volume Strindberg. !lll ce Journal, qui se présente, plus encore QUe ceux qui l'ont A~uste Strindberg précédé, comme une Journal occulte méditation sur Trad. du suédois l'amour conjugal. par Jacques Naville Mercure de France, 192 p., 16 F Norman Carr Un journal commencé L'Impala blanc en 1896 et qui. concerne Trad. de "anglais 'le mariage de Nombr. Illustrations Strindberg avec Stock, 240 p., 25 F Harriet Bosse. Racontée par lui-même, la vie aventureuse d'un grand observateur de la Roger L Williams nature et des bêtes Le prince des sauvages. polémistes : Henri Rochefort Trad. de 'l'américain Theodore F. Harris par A. Ralli Pearl Buck, ma vie 8 hors-texte Trad. de l'américain Editions de Trévise, par Lola Tranec 350 p., 35 F Stock, 360 p., 28 F Une biographie précise Une biographie écrite et fort bien documentée en étroite collaboration de ce journaliste avec la romancière. exceptionnel. Emilienne Moreau La guerre buissonnière Editions Solar, 288· p., 19,40 F La vie d'une famille française engagée dans la Résistance. Louis Pauwels Monsieur Gurdjieff Seurl, 448 p., 29 F La vie et la pensée d'un homme dont l'influence a été essentielle pour beaucoup de grands esprits de notre temps • réédition.

• Andrél Woznessenskl La poire triangulaire Trad. du russe par J.J. Marle Denoël, 290 p., 19,50 F Un recueil qui groupe la plupart des poèmes • Thomas Mann Lettres 1937-1947 de cet auteur accusé Trad. de f-allemand de « formalisme - par les critiques officiels par Louise Servicen Avant-propos, notes et mais qui jouit d'un ~rand prestige parmi la postface par Erika Mann jeunesse soviétique.

CRITIQUE HISTOIRE LITTERAIRE

André Breton Avec des textes inédits d'André Breton Ed. de La Baconnière, 287 p., 27,50 F Un ouvrage collectif auquel ont collaboré notamment B. Péret J. Paulhan, J. Gracq, J. Starobinskl - réédition.

J. Chaix-Ruy Soljenitsyne ou la descente aux enfers Ed. dei Duca, 154 p., 12 F Une analyse approfondie de l'œuvre de


Livres publiés du 5 au 20 Janvier Soljenitsyne, comparée à celle de Dante, Dostoïevsky et Kafka. Henri-François Imbert Stendhal et la tentation janséniste Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique Librairie Droz, 204 p., 25 F Un aspect inattendu du Beylisme: les affinités de Stendhal avec une forme de pensée essentiellement contestataire. Claude-Edmonde Magny Littérature et critique Payot, 456 p., 43,60 F Un livre qui rassemble les principaux textes de l'auteur parus dans diverses revues, de la guerre à 1960. Jean-Pierre -Richard Etudes sur le romantisme Seuil, 288 p., 20 F ,par l'auteur de • Littérature et sensation., un ensemble de textes consacrés à des auteurs aussi différents que Balzac, Lamartine, Vigny, Hugo, Musset, Guérin et Sainte-Beuve.

Michel Rlffaterre Essais de stylistique structurale • Nouvelle Bibliothèque Scientifique. Flammarion, 368 p., 38 F Un ouvrage qui rassemble les travaux menés par l'auteur à Columbia University autour de la méthode d'analyse structurale appliquée aux études de style.

SOCIOLOGIE PSYCHOLOGIE Erich Berne Analyse transactionnelle et psychothérapie Pour un système de psychiatrie Individuelle et sociale Trad. de l'américain par Sylvie Laroche Payot, 288 p., 35,70 F Une nouvel'Ie méthode thérapeutique qui a été introduite avec succès aux Etats-Unis. Edward M. Brecher Les sexologues Trad. de l'américain par S. Zolotoukhine Préface de W.H. Masters et V.E. Johnson

Laffont, 408 p., 24,20 F L'histoire de ces hommes dont les recherches ont posé les bases d'une conception plus saine des problèmes sexuels. Jacqueline Dana Sylvie Marion Donner la vie, 9 mois de la vie du couple (guide de la grossesse et de l'accouchement) Seuil, 288 p., 25 F Un guide à la fois juridique et social, médical et psychologique. Monique Gueneau L'enfant et son désir d'aimer Les parents et la sexualité de leurs enfants Le Centurion, 144 p., 13,50 F Une analyse des relations interprofessionnelles au sein de la famille à travers l'observation de nombreux cas et faits. Jacques Hochmann Pour une psychiatrie communautaire Seuil, 272 p., 21 F Une nouvelle conception de la maladie mentale: la sociopathie, qui vise à traiter le malade mental au sein même de son milieu . Oswalt Kolle Expérience de l'amour moderne Trad. de l'allemand par L. Rosenb\lum Laffont, 376 p., 22 F L'ouvrage qui a inspiré le Hlm d'Initiation sexuelle présenté sous le titre du • Miracle de ·l'amour -. Georges lerbet Introduction à une pédagogie démocratique .P.aldo-guldes • le Centurion, 144 p., 13,50 F Une approche objective de la pédagogie fondée sur une analyse soclo'logique de l'enseignement en France et sur les données d'une psychologie scientifique. René Lourau L'analyse InstitutionneHe CotI. • Arguments • Editions de Minuit, 304 p., 30 F Une nouvelle méthode d'intervention, dans le

La QuinzaIne Uttéralre, du 1er au 15 février 1971

domaine des sciences sociales, fondées sur l'analyse des rapports que le spécialiste entretient avec le système des institutions qui lui donnent la parole. F.-A. Mesmer Le magnétisme animal Edition établie par Robert Amadou Payot, 408 p., 42,60 F Une édition critique et annotée de l'ensemble des textes de Mesmer sur le magnétisme animal.

Wilhelm Reich la fonction de l'orgasme L'Arche, 304 p., 19,50 F Deuxième édition revue et corrigée de cet ouvrage dont nous avons rendu compte dans le n° 90 de la Ouinzalne. David Reuben Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe... sans jamais oser le demander Trad. de l'américain par F.-M. Watkins Stock, 392 p., 25 F En tête de la liste des best-sellers aux Etats-Unis, un livre salué comme l'ouvrage le plus original jamais publié sur ·les problèmes sexuels. Serge Viderman la construction de l'espace analytique Coll. • La psychanalyse dans 'le monde contemporain. Denoël, 352 p., 29 F Une remise en question de quelques-unes des illusions du psychanalyste.

Georges Pascal L'idée de philosophie chez Alain Bordas, 416 p., 35 F Une étude qui s'efforce de montrer l'actualité, la cohérence et l'originalité d'une pensée qui n'a jamais sacrifié à la mode thèse.

Thierry Maulnier Gilbert Prouteau L'honneur d'être juif Laffont, 272 p., 19 F Une analyse de ce qu'il est convenu d'appeler le • génie juif ., avec un bilan de ses apports dans tous les domaines de la pensée.

ESSAIS Georges Charrière la signification des représentations érotiques dans les arts sauvages et préhistoriques 69 figures in texte, 37 documents photographiques Maisonneuve & Larose éd., 212 p., 50 F Un livre qui se situe à la pointe des recherches actuelles dans le domaine de la sémiologie, de l'ethnologie et de la linguistique.

François Mauriac Le dernier bloc-notes Tome V : 1968-1970 Flammarion, 360 p., 32 F

Eric Muraise Testament pour un monde futur Julliard, 400 p., 25,60 F Une étude à la fois analytique et prospective des dangers du monde moderne.

E. Von Dâniken Retour aux étoiles Trad. de l'allemand par Anne Gaudu Coll. • Les Enigmes de l'Univers. 75 i'IIustrations Laffont, 272 p., 20 F Par l'auteur de • Présence des Extraterrestres ., une réflexion sur le passé et le futur de l'humanité.

Pierre Neuvi'lle Ces autres vies que vous avez pourtant vécues A. Michel, 256 p., 18 F Une réflexion sur les sphères inconnues de notre monde à trois dimensions. •

PHILOSOPHIE Louis Mi"IIet Spinoza Bordas, 144 p., 10 F Les points essentiels d'une philosophie qui fonde une psychologie, une politique, . une mystique.

Jean Joussellin Vivre demain dès aujourd'hui (Recherche pour une nouvelle manière de vivre) Editions Ouvrières, 304 p., 25 F

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Arnold Kaufmann Jacques Pezé Des sous-hommes et des super-machines 18 photos hors texte A. Michel, 272 p., 27 F A la recherche d'un éc,uilibre entre la technique toujours grandissante et ceux qui l'appliquent ou la subissent.

Jean-Michel Rey L'enjeu des signes Lecture de Nietzsche Seuil, 288 p., 24 F Une nouvelle lecture du texte nietzschéen même, où Nietzsche et Freud paraissent se recouper à chaque instant.

Catherine Dreyfus Jean-Paul Plgeat Les maladies de l'environnement la France en saccage CoH .• Le point de la Question. Ep. Denoël éd., 288 p., 29 F A travers des photographies et des exemples puisés en France, une sévère mise en garde contre les ravages d'une certaine conception de l'urbanisme.

Fred Weber Aptitudes et caractère par la physlognomle Ed. du Mont-Blanc, 308 p., 39,60 F Une introduction à cette science chère à Balzac et qui a pour ambition d'épuiser la complexité de l'être humain.

L'homme peut-il concevoir dès maintenant un destin proche quoique différent du présent?

Octavio Paz Deux transparents: Marcel Duchamp et lévI-Strauss Trad. de l'espagnol par M. Fong-Wust et par R. Marrast 1 hors-texte Gallimard, 192 p., 20 F La réflexion d'un poète sur un peintre et sur un anthropologue que tout sépare hormis une certaine constante qui fait de l'esprit humain • Je miroir transparent permettant1e passage Incessant de la nature Il la culture-. Phtlippe Sellier Le mythe du héros Bordas, 208 p., 9 F Une analyse de ce mythe depuis l'antiquité jusqu'au superman des bandes dessinées.

Pierre Tchaadaev Lettres philosophiques présentées par François Rouleau Librairie des Cinq Continents éd., 240 p., 24 F La version originale de ces lettres écrites en français et qui n'avaient jamais été publiées intégralement : un document exceptionnel sur la pensée russe au XIX· siècle. Pierre Teilhard de Chardin Johan Gunnar Andersson Dans le sillage des sinanthropes Présentation de P. Leroy Fayard, 108 p., 17 F L'ensemble des lettres inédites échangées entre le savant suédois Andersson et Teilhard de Chardin à propos de la découverte de • l'homme de Pékin.;

HISTOIRE Marcel Cerf Edouard Moreau L'âme du comité central de la Commune • Dossiers des Lettres Nouvelles. Denoël, 290 p., 22 F A l'occasion du proche centenaire de la Commune, une monographie de l'une des figures les plus marquantes du Comité central de la Garde Nationale. Maurice Crouzet

De ta deuxième guerre mondiale à nos )ours Coll.• Histoire Illustrée' de l'Europe • Flammarion, 216 p., 13,50 F Les grandes lignes du redressement de . l'Europe et de ses limites après la Seconde Guerre Mondla1e. John DQs Passos la guerre de M. Wilson Nombr. illustrations Trad. de l'américain par J. Carlender Stock, 432 p., 35 F Une histoire lréclse et documentée e t'entrée des Etats-Unis dans la Première Guerre Mondiale, par le romancier récemment disparu. Wltl et Ariel Durant Les leçons de l'histoire Rencontre, 208 p., 17,60 F

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Un ouvrage dû aux auteurs d'une monumentale • Histoire de la civilisation. et qui s'efforcent ici de mettre en lumière 'Ie sens même des mouvements apparemment llésordonnés de l'Histoire. •

Giorgio Falco La sainte république romaine Fayard, 420 p., 30 F Un profil historique du Moyen Age axé autour de la fondation de l'Europe sur des bases chrétiennes et romaines. Jean-Julien Fonde Leclerc et le Vlet-Nam Laffont, 392 p., 22 F Un témoignage de première main sur une période décisive de l'histoire du Vietnam. Jacques Isorni HIstoire véridique de ta Grande Guerre Tome IV Avec ,la collaboration de ,louis Cadars 28 p. de cartes Flammarion, 588 p., 48 F De 1'entrée en guerre des Etats-Unis jusC:(J'à l'armistice de Rethondes. Georges Lefebvre Quatre-vlngt-neuf Préface et post-face par Albert Soboul Editions Sociales, 328 p., 20 F . Une reconstitution claire et précise d'une page essentielle de l'histoire de 'la France. Maurice Lombard L'Islam dans sa première grandeur • Nouvetle Bibliothèque Scientifique • F:lammarlon, 248 p., 36 F les origines de fessor et de la force du monde musulman. Pierre Marlel Les c.bonarI 'Planète, 288 p., 31 F L'histoire de ce mouvement de • contestation. avant la lettre, qui fut 1a terreur des règnes autoritaires et réactionnaires. R. Héron de Villefosse Les grandes heures de la Commune librairie Académique Perrin, 288 p., 30,1Q F Une reconstitution de la Commune, qui nous transporte tantôt dans le camp des Insurgés, tantôt dans celui des Versaltlals.

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Jon Kimche Le secooo réveil arabe Trad. de .j'anglais par Henriette' Joël 8 p. de hors-texte laffont, 25 F Cinquante années d'histoire arabe analyftées de façon très ouillée et sur la base d'une document(!tion' rigoureuse.

Desroche Editions Ouvrières, 168 p., 24 F Une expérience intercoopérative au pays basque espagnol.

Donald Mac Lachlan Bureau 39 Trad. de l'anglais par Pierre Martory Fayard, 418 p., 30 F . Un témoignage de première main sur les activités du Service de Renseignements de la Marine Britannique au cours de la seconde guerre mondiale.

Traduction de Joseph Feisthauer Le Centurion, 288 p., 19,30 F Le problème du sens et • de l'avenir des religions.'

• Jean Lacouture René Coste Nasser Eglise et vie Seuil, 360 p., 24 F économique Un livre qui, à travers Editions 'Ouvrlères, 'les péripéties de 304 p., 24 F l'entreprise nassérienne, Les responsabilités de s'efforce de circonscrire William Rodgers fEglise dans les l'avenir même de Rolande Trempé L'empire I.B.M. domaines politiques l'Egypte et du monde Les mineurs de Carmaux Trad. de l'américain et économiques. arabe. 1848-1914 par R. et P. Olcina Préface de J. Godechot 8 p. de hors-texte M. Dortel..claudot Editions Ouvrières, • Yvon Le Vaillant Laffont. 376 p., 34 F Etat cie vie 504 et 512 p., 150 F Par un journaliste du Sainte Maffia : le et raie du prêtre Une étude d'histoire • New York Herald dossier de l'Opus Del Le Centurion, sociale réalisée à partIr Coll. • En direct. Tribune., l'histoire de 152 p., 14,10 F de documents cette entreprise et celle .Mercure de France, Le statut du prêtre exceptionnels et 376 p., 27 F de son fondateur, dans l'Eglise, des Tom Watson. notamment de Une étonnante enquête, . origines 11 nos jours. documents patronaux. qui démonte 'Ies rouages de cette vaste Maffia Elsa Oliva Gerhard Ebeling au pouvoir en Espagne, La partisane' Eisa F. de Vaux de Foletier L'essence de le fol et partout présente Mille ans d'histoire Trad. de l'Italien chrétienne dans le monde. des tsiganes par Fernand Rude Trad. de l'allemand • Les Grandes Etudes Co'lI.• Femme. par G. Jarczyk avec la Dale McConkey Historiques. Denoël/Gonthier, collaboration de l. G1ard Fayard, 288 p., 26 F Le management 208 p., 18 F Seuil, 224 p., 18 F par les résultats Une étude très 'L'histoire d'une Le premier livre traduit complète, qui rend Essai traduit de partisane en français d'un des compte de l'histoire de l'américain par qui, à vingt ans, a théo'loglens protestants P. Rocheron ce peuple ainsi que de combattu dans 'les les plus marquants Ep. Denoël éd., montagnes italiennes, à ses structures de ,la nouvelle génération 256 p., 18 F sociologic:,ues. :Ia fois contre 'les postbuftmannlenne. Un ouvrage pratique qui' puissances allemandes • s'efforce de mettre le et contre ·Ie régime de Pierre Lauzeral management à la 'portée son propre pays. POLITIQUE Saisir le Christ de tous. ECONOMIQUE aujourd'hui Un renouveau sous le Claude Mol~y signe de saint Paul THEATRE Jean-Yves Calvez L'Amérique sous Le Centurion, Aspects politiques les armes 176 p., 12,90 F et sociaux des pays Achim D'Arnim Seuil, 288 p., 21 F Une évocation très en vole de Une analyse impitoyable Le coq de bruyère vivante de la vie et de développement Trad. et adapté par du • complexe militaire l'œuvre de Dalloz, 298 p., 32 F Michel Arnaud Industriel. américain. Paul de Tarse. Un livre objectif et fort Losfeld, 168 p., 12 F bien dQCumenté, par Un grand romantique Maurice Roy André Manaranche l'auteur d'un livre allemand, frère de la Les commerçants Un chemin de liberté célèbre sur Karl Marx célèbre Bettina entre la révolte Seuil, 240 p., 18 F (J.-Y. Calvez est (1781-1831) . et la modernisation Une redécouverte de provincial de la Seuil, 176 p., 16 F tout 'le champ de la Compagnie de Jésus). Une analyse approfondie Dominique Nores dogmatique chrétienne. de la situation actueUe Colette Godard Jean Carrai du commerce en France Lavelll Georges Tavard La prise du pouvoir et de son avenir. Ch. Bourgois, La religion ,. mondial 288 p" 23,70 F l'épreuve des Danoël, 264 p., 19,50 F Deux spécialistes du Idées modernes Les mécanismes théâtre tentent de cerner DOCUMENTS Le Centurion, politiques et la riche personnalité de 170 p., 15 F économiC:(Jes utilisés Lavelli à travers ses Richard Collier Une théologie de par 'les U.S.A. et mises en ::;~ène Le fleuve oublié de dieu d'Arrabal, Gombrowicz, l'avenir chrétien. l'U.R.S.S. pour édifier Fayard, 317 p., 28 F leur pouvoir. Un document qui se lit Panizza, Ionesco... comme un roman : J.P. Deliiez HUMOUR "l'aventure du caoutchouc Françoise Sagan' " Les monopoles Un piano dans l'herbe à travers l'histoire. SPORTS Editions Sociales, Flammarion, 192 p., 16 F DIVERS 212 p., 15 F Le texte de. !a pièce Oriana Fallacl Essai sur le capital actuellement jouée au La vie, la guerre financier et Jean-Louis Brau théâtre de l'Atelier. et puis rien l'accumulation Guide du bricoleur Trad. de l'itaHen monopolistique. 45 figures ln texte par J. Rémillet A. Michel, 224 p., 18 F CoB.• Vécu. RELIGIONS Quintin Garcia Laffont, 344 p., 25 F Les coopératives Henri Gault Une année de la vie Peter L. Berger IndustrieNes cie Christian Millau d'une femme reporter La religion dans la Mondragon Guide de la nuit au cœur du monde ,. ....s conscience modeme Préface d'Henri en guerre.

Julliard, 320 p., 31,30 F Nouvelle édition remise à jour Pierre Klossowski Pierre Zucca La monnaie vivante losfeld, 45 F Dans 'le cycle de • Roberte ., un bel album dont le texte et ,les dessins sont dus à Kiossovskl et ies photographies à Pierre Zucca. Edouard Kressmann Du vin considéré comme un des beaux-arts Denoël, 288 p., 19,50 F Par un grand spécialiste en la matière, un livre aussi savant que savoureux. Philippe Soria Musculation-volle Préface llu Colonei Crespin 160 i1iustratlons Laffont. 176 p., 25 F Par l'entraîneur national de l'équipe de France. ML Vidal de Fonseca Le bonheur des oIseeux 8 p. de hors-texte Laffont, 320 p., 18 F

POCHE LITTERATURE Colette

La seconde Flammarion. Jean-Louis Curtis Les jeunes hommes Livre de Poche. Max Gallo La grande peur

de 1989 Bibliothèque Marabout. Claire Gallois Une fille cousue de fil blanc livre de Poche. Elisabeth Goudge L'appel du passé livre de Poche. Villiers de "Isle-Adam Contes et récits Présentation de Jacques Chupeau Bordas/Classiques Contemporains. Daphné llu Maurier Jeunesse perdue livre de Poche.

A. Pieyre de Mandiargues Soleil des loups Bibliothèque Marabout.


Bilan de janvier Marcel Proust Les plaisirs et les Jours Livre de 'Poche. Pierre Schoendoerffer L'adieu MI roi Livre de Poche. Georges Simenon Malgret 'livre de Poche. Terry Southern Mason Hoffenberg e-dy Livre de Poche.

POESIE Lord Byron Le captif de Chillon Le Chevalier Harold (Chant Ill) Bilingue AubierFlammarion. Lautréamont Les chents de Maldoror Présentation de Philippe Sellier Bordas/Classiques Contemporains. Norge Les oignons et caetera Flammarion/Poésie

THEATRE Jean Audureau Le jeune homme Gallimard/Le Manteau d'Arlequin Une pièce retenue par la Compagnie Renaud-Barrault pour un de ses prochains spectacles. Serge Behar Babel 75, suivi de Adieu Véronique Stock/Théâtre ouvert. André Frère Comédies à une volx Gallimard/Manteau d'Arlequin. Giraudoux Amphytrlon 38 Présentation de Pierre Brunei Bordas/Classiques' Contemporains. J.C. Grumberg Arnqrphe d'Ottenburg Stock/Théâtre Ouvert Une pièce inédite de ce jeune auteur dont une œuvre a été récemment présentée , à la télévision.

H. de Montherlant La vOie dont le prince est un enfant Livre de Poche. Martin Sperr Scènes de chasse en Bavière Texte français de Michel Dubois L'Arche La pièce qui a Inspiré , le fl1m de Peter Flelschmann.

ESSAIS Louis Armand Michel Drancourt Le pari e~rop6en Livre de Poche. Georges Bataille La part maudite Seuil/Points. Michel Borwlcz L'Insurrection du ghetto de Varsovie Julliard/Archives. Jacques Chastenet La France de M. Fallières Livre de, Poche. Christiane Collanges Madame et le management -Livre de Poche. Jean Fourastié Essai de morale prospective Denoël/Médlations. te Corbusier Manière de penser l'urbanisme 16 p. d'Ulustrations Denoël/Médlations. Marcel Mauss Essais de sociologie Seuil/,Polnts. Bertrand Russell La méthode scientifique en philosophie Notre connaissance du Moncie extérieur Petite Bibliothèque Payot. Max Scheler Nature et fonnes de la sympathie Contribution à l'étude des lois de la vie affective Petite Bibliothèque Payot. JacQUes Vaché Lettres de ~e précédées e 4 essais d'André Breton Losfeld/Le Désordre

La Quinzaine Uttéralre, du 1er au 15 février 1971

INEDITS Marcel Batall'lon André Salnt-Lu Las Casas et la défense des Indiens Julliard/Archives La colonisation espagnole en Amérique au XVIe siècle. ' Denise Braunschwelg Michel Fain Eros et Antéros Réflexions psychanalytiques Petite Bibliothèque Payot A partir de l'étude clinique d'un cas précis, une analY,se des aspects multiples de lasexua'lIté au sens psychanalytique du terme. Michel Devèze et le monde à la fin du xvur siècle A. Michel/L'Evolution de ,l'Humanité Une confrontation très vivante des différentes civilisations dont l'évolution sera désormais marquée par le développement des rapports intercontinentaux. L'~urope

Farba La chair de la viRe Pierre Jean Oswald Un roman-poème dont le thème central est l'homme face à ses Interrogations éternelles., Max Gallo Tombeau pour la Commune Laffont/Libertés Une démythification de la Commune et, à travers elle, le procès de l'Histoire telle qu'on nous la raconte. La C.F.D.T. Préface d'E. Descamps Seuil/Politique ILes documents fondamentaux de la C.F.D.T. depuis 50 ans, commentés par les principaux leaders de la grande centrale ' syndicale. Robert Latouche Les origines de l'économie occidentale '(Iye·XI" siècles) A. Michel/L'Evolution de l'Humanité La résurrection de la civilisation occidentale par la mise en place de ses bases économiques.

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LA QUINZAINE LITTERAIRE VOUS RECOMMANDE LITTERATURE Fred Chappe Il Günter Grass Guillevic Norge Octavio Paz Strindberg Voznessenskl

Le dieu-poissOli Anesthésie locale Paroi Les oignons et caetera Versant est Deux transparents Journal occulte Lettres il H. Bosse La poire triangulaire

Bourgois Seuil Gallimard Flammarion Gal,limard Gallimard Mercure de F. Mercure de F. Denoël L.N.

Nerval et la chanson folldorlque Prospective sociale Marxisme et sciences humaines Dessins La monnaie vivante Journal de Californie Vers une contre-culture

Cortl A. Colin Gallimard Denoël Losfeld Seuil Stock

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