La Quinzaine littéraire n°109

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UlnZalne littéraire du 1er au 15 janv. 1971

Domaine maghrébin

Entretien avec Yves Courrière

Max Ernst Prévert par Claude Roy

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Les Etats-Unis et leurs nouveaux Tocqueville

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Comment devenir , un ecrlvaln de télévision ?


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE ROMANS ETRANGERS

5 6 7 8 10 TIERS MONDE

Hubert Selhy Jr

Last exit to Brooklyn

par Maurice Nadeau

Mikhaïl Boulgakov Patrick White Paul Ritchie Lawrence Durrell

La Garde Blanche Le mystérieux Mandala Le Protagoniste Nunquam

par par par par

Mohammed Dib

Dieu en barbarie Formulaires L'Opéra fabuleux Les diamants de sable Le M'zab

par Michèle Cote

Gabriel Audisio Manuelle Roche

11

Yves Courrière

ENTRETIEN

13

Rafael Pividal B. Boie, J. Crickillon, J. de Decker Jacques Roubaud

14 POESIE HISTOIRE LITTERAIRE

16 ARTS 17

Roger Duchêne

Jacques Prévert Max Ernst

18 19 HISTOIRE

J adenoz Manteuffel Jean Meslier Maurice Dommanget

20 21

POLITIQUE

22 23

Jean Orieux E. Morin J.F. Revel R Néraud Claude Rane! Turgot

THEATRE

25 26 28

CINEMA TELEVISION

Georg Büchner John Arden Boulgakov Antoine Bourseiller Goldoni Jerry Lewis

François Erval, Maurice Nadeau. Conseiller: Joseph Breitbach.

La Quinzaine litternire

Comité de rédaction : Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski. Secrétariat de la rédaction et documentation Anne Sarraute. Courrier littéraire : Adelaide Blasquez. Maquette de couverture: Jacques Daniel. Rédaction, administration 43, rue du Temple, Paris (4e ) Téléphone: 887-48·58.

Georges Nivat Claude. Bonnefoy Jean Gaugeard Anne Fabre-Luce

Propos recueillis par Gilles Lapouge par François Châtelet par Serge Fauchereau par Alain Huraut

Plus de quartier pour Paris

1ulien Gracq Mono no aware

par Samuel S. de Sacy

Madame de Sévigné et la lettre d'amour Dans les galeries 1maginaires Ecritures Livres d'art

par Jean.Jacques Lévêque par Claude Roy

Naissance d'une hérésie Les adeptes de la pauvreté volontaire au Moyen Age Œuvres. Tome 1 Sur Babeuf et la conjuration des égaux Talleyrand ou le sphinx incompris Journal de Californie Ni Marx ni Jésus La gauche révolutionnaire au Japon Moi luif palestinien Ecrits économiques

par Jean Selz G. S. par Claùde Mettra

par Jean.Louis Bory par Jean Chesneaux

par Marc Saporta par M.L.

Metteurs en scène

par Simone Benmussa

Wovzeck L'â~e de l'Hospice La fuite Oh! America Le Marquis de Montefasco Ya, ya, mon général

par Lucien Attoun

Comment devenir écrivain de télévision ?

par Olivier Misaine

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris (7e ). Téléphone: 222·94·03. Publicité générale : au journal. Prix du nO au Canada : 75 cents. Abonnements : Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois : 34 F, douze numéros. Etudiants: réduction de 20 %. Etranger: Un an : 70 F. Six mois: 40 F. Pour tout changement d'adresse envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15551-53. Directeur de la publication : François Emanuel. Impression G.I.P.A.v. Printed in France.

par Gilles Sandier par Louis Seguin

Crédits photographiques p. 3 p. 4 p. 5 p. 7 p. 11 p. 12 p. 15

D.R. Alhin Michel Télé-Hachette D.R. D.R. Fayard D.R. D.~.

p. 16 p. 17 p. 18 p. 19 p. 21 p. 24 p. 25 p. 26 p.27

D.R: D.R. D.R. Skira RN. D.R. C.N.R.S. Bernand Bernand D.R.


....... IYR. D.

Un coup de maître "'A QUINZAIN. Huoert Selby IrLast Exit lo Brooklyn Trad. de l'américain par J. Colza Albin Michel éd., 312 p.

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Cet unique ouvrage d'Hubert Selby, publié en 1957 aux EtatsUnis et maintes fois réimprimé de· puis, avait attiré l'attention de la censure américaine et donné lieu, en Angleterre, à un procès spectaculaire. On ne s'étonnera pas qu'en France, dans le climat d'ordre moral instauré par le gaullisme, plusieurs éditeurs n'aient pas voulu courir le risque de la saisie. D'où le retard d'une publication qui honore les éditions Albin Michel dont on ne sache point qu'elles aillent généralement à la recherche du scandale. Comme la plupart des écrivains américains qui ne sortent pas de l'Université, Hubert Selby a exercé tous les métiers. Il a probablement fort bien connu les bas·fonds de New York, vécu sans doute au sein de cette sous-humanité dans laquelle il nous plonge et dont l'existence tourne autour d'un pôle unique : le sexe. S'il s'en évade, pour pein. dre les comportements d'un militant syndicaliste au cours d'une grève de plusieurs mois, ou encore pour nous révéler l'intimité d'un grand immeuble genre H.L.M., c'est toujours le même problème obsédant qui revient au premier plan : comment apaiser le monstre qui ronge chacun des individus mis en scène, qui les asservit à son pouvoir absolu ? Le récit de ces vies sans horizon, dans leurs manifestations quotidiennes secrètes, a de quoi, certes, choquer les délicats, d'autant que les choses du sexe sont appelées par des noms qui ne figurent pas dans les traités d'anatomie et que les diverses formes de son fonctionnement donnent lieu à des expositions fort complètes. On peut cependant douter que cette peinture d'une crudité sans égale - et qui laisse loin derrière elle le lyrisme panique d'Henry Miller comme le bel exercice rhétorique de M. Guyotat possède les attraits dont sont friands les amateurs d'une lit· térature spécialisée. Hubert Selby piétine tous les tabous que se croit tenu de respecter un langage honnête. Avec toutefois une rage laten· te qui dénonce le bon vieux puritanisme américain. Ce n'est pas par hasard que chacune des grandes parties de son ouvrage s'ouvre sur

une citation de la Bible. Bien qu'on voie réapparaître certains personnages, Last exit to Brooklyn n'est pas un roman. Une suite de tableaux plutôt, peints sur la même toile de fond ; la ville suburbaine de Brooklyn. avec ses docks, ses usines, ses quais, ses terrains vagues, son fameux pont. ses lieux de plaisir bistrots et boîtes - que fréquentent pédérastes. drogués, prostitués des deux sexes, marlous et truands, ses grands immeubles-dortoirs où s'entassent ouvriers et employés. Ce qui intéresse Selby, ce sont les milieux plus ou moins fermés, nécessairement en marge, où se manifeste. et souvent de façon explosive, la fraternité du vice, du délit, de l'anormalité ; davantage encore : des individualités, significatives ou exceptionnelles. avec leurs problèmes propres. En ce sens, et n'était une écriture très particulière, la démarche de l'auteur ne s'écarte pas d'une tradition du récit naturaliste et psychologique. Le premier coup de projecteur éclaire la boîte du Grec, cc un troquet minable ouvert toute la nuit à côté de la base militaire de Brooklyn ll, hanté par des marins en bordée, des militaires rentrant de permission, des prostituées et une bande de petits truands en mal de bagarre. Comme il fallait s'y attendre celle-ci éclate ; un pauvre troufion saoûl qui a manqué de respect à ces dames en fait les frais. Après qu'on lui a fracassé la mâchoire. défoncé les côtes, qu'on l'a laissé baigner dans le vomi et le sang. avant de tenter de l'écraser contre un mur à l'aide d'une auto pour faire croire à un accident, on bafan· ce ce pantin désarticulé par-dessus les barbelés du camp où il reste

accroché, cc le sang éclaboussant la chaussée en dégoulinant de sa tê· te ll. Les flics prennent le parti des truands contre la police militaire. Il ne reste plus aux assassins en puissance qu'à ·se congratuler à coups de grandes claques dans le dos. Voici, d'un coup. créée l'atmosphère du livre. Pour nous mettre au courant des mœurs d'un milieu d'homosexuels. Selby n'a pas été sans penser à Genet, dont le nom est d'ailleurs évoqué. Nous sommes conviés aux préparatifs et au déroulement d'une (c partie II entre pédérastes travestis. Georgette en est (c la reine ». qui domine le lot par ses ambitions intellectuelles - elle (il) lit à ses camarades, abrutis par la benzédrine et l'alcool, le Corbeau, d'Edgar Poe - et par ses problèmes sentimentaux : elle voudrait gagner définitivement Vinnie, un dur qui lui en fait voir de toutes les couleurs (il vient de lui planter quelques heures auparavant un couteau dans le mollet). Les durs arrivent, Vinnie. hé· las. n'a pas d'yeux pour Georgette et c'est au gros et suant Harry qu'elle se donne en s'enfermant dans un délire où elle se voit pénétrée par le cher Vinnie. A ses propres yeux comme à ceux de ses congénères elle a perdu la face. Son règne est terminé. Selby et Genet peignent la même pittoresque franc-maçonnerie. son code d'honneur, son rituel, sa vie en marge, ses rêves de compensation. Les lecteurs de Pompes funèbres ou de Querelles de Brest savent que l'auteur français ne recule pas devant la description de l'acte sexuel entre gens du même bord. Pourtant ce n'est pas cela qui retient au premier chef. L'étreinte n'est que la manifestation secondaire d'un com·

plexe fait d'amour, de révolte, de frustration, et qui cherche sa résolution au sein d'un univers poétique où l'imagination a plus de part que la réalité. Avec Selby nous affron· tons la matérialité brutale et nue des faits, nous sommes submergés par eux jusqu'à demander grâce. L'auteur a beau tenter de donner à Georgette une dimension supplémentaire, nous n'en demeurons pas moins au niveau de la manifesta· tion élémentaire. Genet nous fait pénétrer dans son univers. Selby nous transforme en voyeurs d'un spectacle repoussant et sinistre. Au point qu'on pourrait le soupçonner d'avoir voulu faire prendre l'homosexualité en horreur par les homosexuels eux-mêmes. Un souci. probablement inconscient, de (c moralisation », apparaît plus nettement encore dans l'histoi· re de Tralala, une toute jeune prostituée qui compte exclusivement sur ses c( beaux nichons» pour entauler de minables quidams et qui, alors qu'elle aime avant tout l'argent, pousse la bêtise jusqu'à refuser un parti qui la tirerait définitivement d'affaire. Après avoir descendu tous les degrés de la déchéance, elle finit sur un terrain vague, violée par « quarante ou cinquante » bonshommes, piétinée, mutilée, arrosée par le pipi des enfants. cc La grève » va nous faire péné. tr~r dans un milieu plus relevé; celui de l'honnête monde du travail. Le héros en est un militant syndi. caliste qui a (( des problèmes » avec son épouse et qui découvre tardivement qu'il est homosexuel. On nous l'a présenté comme un paresseux dont la principale activité consiste à chercher noise au patron. Par un enchaînement de manigances, il parvient à déclencher une ~rève.

~ La Quinzaine Uttâ'alre, du 1er au 15 janvier 1971

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En feuilletant...

~ Selby

Hâbleur, pénétré de son importance, il va pouvoir enfin jouer le rôle auquel il aspirait. C'est l'occasion pour lui de plonger la main dans la caisse du syndicat, de boire à sa

soif et de jouer les costauds, celle aussi d'échapper à la corvée conjugale. La grève, avec ses aléas, et bien qu'elle soit correctement décrite, n'est qu'un prétexte. Ce que l'auteur a voulu montrer, c'est la façon dont un homosexuel qui s'ignorait parvient, par approches succesSives, à découvrir et accepter sa vraie nature. Ce ne sera pas pour son bonheur. On peut faire confiance sur ce point à l'auteur qui révèle de surcroît son dédain pour les luttes ouvrières. Ce livre, bien sûr, dénonce. La dénonciation est implicite. Pour Selby, toute société comporte ses déchets, et l'américaine plus que toute autre. Il ne l'excuse ni ne la condamne, la question semblant hors de sa prise. Il se borne à raconter et à décrire. Les choses sont ainsi. Quant à l'espèce humaine, considérée en ces échantillons, elle n'est pas belle·à .voir, même si l'on s'élève d'un degré, parmi les· ouvriers, les employés, les petits bourgeois. Le sexe, l'argent, le mépris du semblable· et toutes les formes de la cruauté qu'on peut exercer à son égard en commençant. par le plus proche, voilà la vraie réalité. Du moins est-ce là- le prolongement qu'on peut donner à cette suite de récits dont le réalisme bru· tal prend corps à partir d'une écri· ture qui se veut elle aussi perpétuelle agression. La traduction rend assez bien la force pénétrante d'un discours qui mêle étroit.ement, dans le même paragraphe, dialogue, description, monologue intime, en un tout qui fait flèche pour se ficher solidement dans la sensibilité (on oserait presque dire la peau) du lecteur où elle vibre longuement. II n'est pas douteux qu'Hubert Selby sOit un grand écrivain et son livre un coup de maître.

Maurice N adeau

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La noyade de Villequier

Bousquet-Cassou

En 1930, Jean Cassou était le conseiller littéraire d'un tout nouvel éditeur : J.O. Fourcade. Il eut en mains le premier manuscrit de Joe Bousquet, le remarqua, et s'occupa de le faire publier. De ce- premier contact avec le jeune demi-paralysé de Carcassonne devait naître une amitié qui s'exprima en particulier dans une centaine de lettres envoyées par Joe Bousquet jusqu'à sa mort, en 1950. . -Jean Cassou publie 46 de ces lettres chez l'éditeur Rougerie, à Limoges, qui a fait paraître, déjà, . cinq recueils posthumes de Joe Bousquet. «J'admire à quel point notre amitié a été un partage, écrit Jean Cassou, et certainement l'un des plus vifs et des plus parfaits que j'aie pu. connaître.» Nous publierons prochainement dans ces colonnes une étude de Serge Fauchel'eau sur Joe Bousquet.

Des poètes pour lecteurs

Notre ami Georges Mounin, qui s'est fait connaître des lettrés avec Avez·vous lu Char? en 1946, n'a jamais dissimulé son amour de la poésie derrière son occupation prin· cipale : la linguistique. Il en donne une nouvelle preuve en rassemblant pour Poésie 1 quelques échantillons divers de douze poètes jeunes ou peu connus (et qui mériteraient sans doute de l'être davantage). «La poésie, écrit-il, n'est pas faite pour l'inter-consommation des poètes et des critiques, cette espèce de vase clos où fermente forcément quelque chose comme une Académie Française de quarante, quatre mille ou quarante mille élus... ", «elle est faite pour les lecteurs." Il avoue même une préférence pour « ceux qui n'écrivent pas de poèmes ", mais qui sont capables « de transformer en poème n'importe quelle situation vraie de notre vie" et qui risquent par là de se faire entendre- de tout un chacun. Par son choix, Georges Mounin montre qu'il se réfère malgré tout à un autre critère : la qualité. (Poé· sie 1, Poèmes de Bellay, Cousin, Della Faille, Dodat, Fortin, Godeau, Liberati, Malrieu, Perret, Pue!, Tilman,. Wise, Librairie Saint-Germaindes-Prés).

De bons esprits estiment que la biographie de Victor Hugo comporte une seule date déterminante : le 9 septembre 1843, où, à Rochefort, dans un café, un journal parcouru distraitement lui apprit soudain la mort absurde de sa fille Léopoldine. (Il l'appelait Didine; Juliette Drouet était pour lui Juju, et lui, pour elle, Toto; ne ricanez pas bêtement.) S'il a beaucoup évolué dans sa vie, il n'a subi qu'une seule mutation : celle-là. Et la même date marque, à un mois près, le milieu de son existence; le hasard chez un tel homme s'appelle destin. D'où les significations particulières du livre d'Yvan Delteil intitulé, un peu longuement, La fin tragique du voyage de Victor Hugo en 1843, d'après le Journal de voyage· autographe de Juliette Drouet (1843). 1 Ce qui se termina si mal, c'était Les fi dits. de Paulhan en effet une longue escapade des deux amants. Dont il n'est pas exclu Jean-Claude Zylberstein publie 1 que Hugo ait gardé quelque temps dans «Idées» (Gallimard) les enle sentiment d'une sorte de culpa-' tretiens de Jean Paulhan avec Robilité, et une confuse rancune enbert Mallet, radiodiffusés en juilvers sa partenaire. let 1952 et qui figurent depuis peu Sa propre relation, inachevée, et dims les Œuvres complètes (Cerla plupart de ses notes sont connues cle du Livre précieux). Quatre sur depuis longtemps. Du journal paralValery Larbaud douze de ces entretiens avaient été lèle de Juliette, révélé seulement en effacés par erreur. Paulhan les avait Les amoureux de Valery Larbaud 1952 par l'exposition de la Nationale, reconstitués et gardés dans ses carsont reconnaissants à la Société on n'avait pu lire jusqu'à présent tons où ils furent trouvés après que des fragments, souvent et inexsa mort. On a plaisir à y relire l'élo- des amIs du dit, de poursuivre la plicablement maltraités. ge, parmi les grands écrivains mé- publication de Cahiers qui entreA vrai dire, Yvan Delteil n'a pas connus, de Georges Limbour : « En- tiennent le souvenir de l'écrivain et cru devoir en donner une repro- . core un qui resplendira de tout son contiennent maints renseignements duction tout à fait intégrale. Il a éclat quand on aura depuis long- utiles aux érudits. Dans le n" 6 (nopréféré en insérer de nombreux et temps oublié les contrebandiers de vembre 1970) on trouvera en parti· culier une - histoire fort complète longs passages dans une narration la littérature, les tristes enfants continue, appuyée sur mille vérifid'Autant en emporte le vent...". On des collaborations de Valery Larcations patientes, scrupuleuses, mis'applique à réunir les merveilleux baud aux revues littéraires, depuis nutieuses, enrichies de notations inécontes de Limbour. On publiera « la Phalange" avant 1914 jusqu'aux dites. Qu'un travail de recherche peut-être un jour l'ouvrage qu'il a « Cahiers de la Pléiade» en passant aussi rigoureusement érudit se consacré à son ami du Havre, Jean naturellement par la «N.R.F." et laisse lire avec autant d'aisance et Dubuffet, qu'il a fait connaître aux « Commerce" (dont Larbaud fut le même, oui, malgré les résonances Parisiens. (Jean Paulhan : les In- co-directeur). Nino Frank, dont on sinistres, d'agrément - cela est bien certitudes· du langage, «Idées ", attend ·avec impatience le 3' tome de ses Mémoires brisées, donne une rare. Gallimard). image de Larbaud rencontré en Yvan Delteil est mort en 1957. Il 1926. (Cahiers des amis de Valery aura fallu treize ans pour que paLarbaud, Mlle Kuntz, Bibliothèque raisse son livre (chez· Nizet, place Han Ryner municipale, Vichy). de la Sorbonne). Trop tard pour permettre à l'équipe de M. Jean Louis Simon, qui a consacre JUSMassin d'en tenir compte au toG. L. M. qu'à présent sa vie, au conteur, me VI des Œuvres complètes de philosophe et poète Hari Ryner, puLes précieuses étrennes envoyées Hugo que le Club français du livre blie une étude biographique et cri- cette année par Guy Lévis Mano à achève de publier. Edition impotique sur celui que Jean Rostand, en ses amis comprend. : Poésies el sante; un peu confuse peut-être; préface à l'ouvrage, appelle «un chansons de Gil Vicente (avec texte pas trop maniable; d'une richesse grand solitaire" et qui incarne pour espagnol en regard), Douze Dizains incomparable; indispensable. Le lui «l'indépendance de l'esprit" : de Maurice Scève, «pour ennoblir contretemps est fâcheux; car· on ne « Il retiendra toujoUrs sa vertu sa- les mois ", le Chasseur Gracchus de saurait négliger aucune précision, lutaire et, plus que jamais en 1970, Kafka (texte français de Henri Pafût-elle minime, quand elle touche nous avons besoin de son pur' ·et· risot, 2 i!Dages de Max Ernst), Six à la noyade de Villequier, cette fin tonique enseignement ". fA ·la dé- Sonnets de Shakespeare (texte anqui commença tant de choses. couverte de Han Ryner, 160 p., glais, texte français de François Vic14,50 F, Roger Maria, éd.). S. tor-Hugo et Maurice Blanchard).


ROIIANI

La fin des temps ErRANGER. Mikhaïl Boulgakov

La Garde Blanche

1

Roman trad. du russe par Claude Ligny Robert Laffont éd., 336 p.

« Le troisième ange sonna de la trompette et il tomba du ciel une grande étoile enflammée comme une torche ». La Garde Blanche est une chronique de la fin des temps. Fin des temps douillets, fin des intérieurs choyés et protecteurs, fin des appartements protégés par la pénombre douce et heureuse des abat-jours orange, fin de toutes les notions morales, et en particulier de celle de l'honneur. De tout un monde ancien de tradition, de noblesse d'âme, de dévouement, de loyauté, il ne reste absolument plus rien, tout est trahi, tout est souillé, tout sombre dans la pire des couardises, et les héros n'ont plus qu'à crier : «Fichez le camp! suiveznous! sauve qui peut! » Et pourtant cette chronique effrayante, où tout sombre dans le grotesque ou la puanteur, a néanmoins un quelque chose de léger, de guilleret, d'alerte, qu'on a du mal à s'expliquer. Comme si, en dépit des deux citations de l'Apocalypse qui encadrent le récit, Boulgakov avait quelque secrète énigme en réserve, une toute petite clé, mais qui ouvrirait la porte de seco1U'8 menant de la Ville en folie à la sérénité du Paradis. Ce paradis moqueur et accueillant que voit en rêve Alexis Tourbine, et où le bon Dieu tient en réserve une place aussi bien pour les Junkers tombés à Kiev que pour les communistes que leur mort attend à l'héroïque Perekop. « Ils ne croient pas en moi, dit le Bon Dieu. Bon, et alors, que veux-tu que j'y fasse ? A vrai dire, ça ne me fait ni chaud, ni froid. Et à toi rwn plus. Et Ù eux, pas davtintage. Parce que moi, votre croyance, je n'ai rien à y gagner, ni à y perdre. L'un croit, l'autre ne croit pas, mais vous vous conduisez tous exactement de la mê-

me façon : en ce moment vous vous prenez à la gorge ». Ce monde où tous se prennent à la gorge, Michel Boulgakov l'a regardé avec attention et compassion, mais en refusant de partager les haines. Jeune homme rêveur et racé, au profil allongé, aux yeux embués, il a lui-même contemplé la fureur, et, médecin de son métier, il a essayé de soulager les hommes en fureur. Il appartient au monde qui s'écroule et il ne le cache pas. C'est un peu sa propre famille qui est ici décrite : cette entente intellectuelle, cette douceur des rapports, cette mutuelle confiance, ce goût amusé de la mystification qui délivre, ce dégoût naturel du bourgeois avide, accapareur, poltron, qui se retranche dans son chez soi, et qui cache son magot derrière la cheminée. Les Tourbine représentent ce que l'ancienne Russie possédait de mieux, ces aristocrates intellectuels, généreux, fidèles, libéraux. Eux ne se terreront pas. Nous les verrons sortir tous pour aller au devant du danger et mourir s'il le faut. Mais pour défendre quoi ?

Une chronique impitoyable La chronique impitoy:~le de Boulgakov montre, avec quelle ir0nie, qu'il n'y avait vraiment plus rien à défendre à Kiev, « mère des villes russes », berceau de la Russie, en ce Noël 1918 qu'il a choisi de décrire. La Ville est occupée par des Allemands prêts à s'enfuir, 1'1Jkraine est soi-disant gouvernée par un imposteur qui collabore avec les Allemands, mais qui va prendre la fuite comme un capon dans son train de luxe illuminé, la Ville est cernée par les hordes de Petlioura, une sorte de nouveau Stenka Razine à la tête d'une énorme cohue de paysans qu'anime la haine de la Ville et l'appétit secret de ses richesses.

La Qnlnzalne Uttaalre, du 1er au 15 janvier 1971

Mais la Ville se berce d'illusions et de fausses rumeurs. La mort sévit partout à l'entour, mais chez les Tourbine, autour de la table familiale, où éclatent la blancheur de la nappe et l'éclat de la porcelaine, rescapés des combats, les frères Tourbine et leurs amis de collège savourent, tout en jurant de temps à autre, le plaisir de se revoir, et d'entendre encore la gavotte que joue le carillon de la pendule, et de fredonner les vieux refrains chéris. On entend au loin la canonnade, l'angoisse est tapie au creux des cœurs, mais la vieille bibliothèque léguée par le père a toujours un bon vieux goût de chocolat. La rédaction au présent que fait Boulgakov a pour nous la naïveté d'un ancien kinétoscope. Le kinétoscope tressaute et les silhouettes courent ou rampent, ou tombent. Les imposteurs surgissent en un(' nuit, les unités de junkers regroupées un soir sont dissoutes le lendemain matin, les faubourgs voient se succéder les détachements avant-coureurs. La mort invisible fait crépiter des mitrailleuses jamais identifiées, «de jeunes coqs rouges s'envolèrent, légers et vifs, on vit paraître dans la pourpre du soleil couchant un cabaretier juif pendu par le sexe... la diablerie s'en donna littéralement à cœur joie ». Si l'o~ veut sentir comment meurt un pays, il faut lire les pages cruelles et alertes que Boulgakov consacre à l'exode, à la peur collective, au goût écœurant qu'a la défaite. «Bijoux, yeux effarés, cheveux lustrés, argent, tout fuyait ». Ce~ndant les Tourbine et leurs amis officiers, derniers preux d'une Russie qui n'a plus rien de chevaleresque et où grandit le pas lourd et assuré des bolcheviks, achevant de relire les Démons de Dostoïevsky, courent s'engager et jouent aux chevaliers porte-croix. Les plus jeunes et les plus enthousiastes n'arrivent pas à comprendre qu'ils n'ont plus que le temps d'arracher leurs épaulettes et de s'enfuir par les ruelles

tortueuses et les jardins innombra· bles de Kiev : tout est trahi, il n'y a plus rien à défendre.

Qu'a voulu dire Boulgakov? Qu'a voulu exactement dire Boulgakov? Le trio chevaleresque des Tourbine et leurs amis officiers, malgré leurs gentillesses et leurs colères ont quelque peine à vivre réellement devant nous. Ni le mari d'Hélène Tourbine, un arriviste poltron qui s'enfuit avec l'Hetman, ni son opposé, le courageux et lucide colonel Nai-Tours n'arrivent vraiment à vivre en profondeur. n y a dans leur psychologie quelque chose de trop rigide qui les rend fugaces et ridicules. Et quant aux frères Tourbine, c'est moins eux qui vivent que l'appartement de. la rue AléxeÏevski d'où ils partent pour l'exploit et reviennent pour mourir. Non, ce n'est pas dans ces portraits d'aristocrates vaincus que se situe l'étoffe réelle de ce livre. Elle est dans le film rapide, incohérent, les bribes de poignant et de quoticriptions unanimistes de la Ville, les brides de poignant et de quotidien qui se succèdent en s'ignorant, le tout sous la lueur sanglante des étoiles que l'Ange fait pleuvoir sur la Terre. Alexis est mourant dans l'appartement devenu terrier, mais le piano joue encore de temps en temps, absurdement. La Ville accueille avec délire Petlioura le brio gand, qui vient la violer et la piller. Mais au loin un train blindé bolchevik s'approche et le petit garçon Pétia voit en rêve une grosse étoile de diamant tomber dans un pré et courir jusqu'à ses bras. En fin de compte Alexis se remet miraculeusement, Hélène oublie son mari enfui et écoute les compliments de Chervinski, la guitare des Tourbine se remet à jouer et la vie, ironique, paradoxale, hypocrite, reprend son cours. « Tout passera. Les souf/ran-

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' . Boulgakov

ces, les tourments, le sang, la faim mendier un quelconque poste au et la' peste. Le glaive disparaîtra, et théâtre, fût·ce celui de balayeur. Il seules les étoiles demeureront, fut nommé conseiller au Théâtre quand ü n'y aura plus trace sur la d'Art et bientôt sa pièce des Tourterre de nos corps' et de nos efforts. , bine fut reprise et connut à, nouveau Il n'est personne qui ne 'sache cela. un grand succès. Le public était 'Alors, pourquoi ne voulons-nous comme fasciné par cette sorte d'élépas tourner nos regards vers gance inutile et héroïque 'que les Tourbine apportaient dans leur fa· elles? » Toute l'œuvre est comme accom- çon d'être vainèus. , Humoriste raffiné, spectateur inpagnée musicalement par un orchestre dont les cordes se font en- cisif des luttes humaines et des tendre en sourdine mais avec obsti- substitutions de l'histoire, Boulganation. Aussi bien les images très kov a conté dans un autre roman inattendues que les leitmotive, dont l'hi~toire de son livre ia Garde Blanle principal est celui de la tourmen- che. Les lecteurs français, paradoxa. te de neige, le côtoiement des in- lement, ont connu ce second roman, tonations les plus opposées, le hu- le Roman Théâtral, avant la Garde lulement de la Rumeur, le contre- Blanche. C'est, à peine transposée, point des thèmes' intimes et des l'histoire des mésaventures de Boul· grands thèmes épiques, tout est gakov dans le monde niesquin, peucomme soumis au frémissement de reux et conformiste des litt~rateurs cet orchestre à cordes, tendre et ai· de Moscou. La Grande Blanche s'y grelet, qui donne à toutes les démar- intitule la Neige Noire, par une che~ des personnages, et à toutes sorte de calembour, et l'auteur y les épreuves de la Ville une sorte décrit naïvement toutes les avanies de légèreté tragique et poétique, à qui l'assaillirent dès qu'il lut son mi-chemin entre le guignol et le œuvre à ses amis. Interdit à la puconte de Noël. blication, le roman est adapté pour la scène et, grâce à cette adaptation, l'auteur découvre le labyrinthe incroyable des vanités et des petitesses Staline aimait... , du monde cabotin. Déjà c'est presI..e destin de ce livre fut excep·' que le monde grotesque des littéra· tionnel. Une moitié environ de l'œu· teurs du Maître et Marguerite, où vre parut en 1924 dans la revue Woland distribue sa justice expéRossia à Moscou. Mais cette paru- ditive et sensée. On peut se demander si Boulgation fut interrompue et il fallut attendre, pour voir le texte complet kov gagne à être révélé dans l'orenfin publié en Union Soviétique, dre .inverse de sa bibliographie. Les l'année 1966. C'est que l'œuvre fut nombreux admirateurs du Maître et violemment attaquée dans les an- Marguerite accepteront.ils que le nées 20 par tout ce qui en Russie magicien inventeur des mythes qui avait l'llIilbition d'imposer une litté- les ont tant séduits soit ici avant rature d'inspiration pr91étarienne. tout un chroniqueur de la Russie La revue des « écrivains prolétai- de la guerre civile, ou sauront-ils res », En Sentinelle déclare la guer- découvrir sous la petite musique re à Boulgakov, coupable de faire aiguë ef irritante de la Garde Blanle panégyrique de l'ancienne Rus- che les prémices des grands mythes sie. Deux ans plus tard, Boulgakov du chef·d'œuvre de Boulgakov? eSt sollicité poul' donner de son ro- « Tout sera juste, c'est là-dessus man une version dramatique qui qu'est bâti le monde» dit le diable s'intitulera les Jours des Tourbine dans le Maître et Marguerite. Estet qui sera jouée avec grand succès ce cette idée de justice cachée, paau Théâtre d'Art de Moscou. Fait radoxale et presque folle que re· étrange, Staline lui·même aima cèle le chaos étoilé de la Garde beaucoup la pièce et sc rendit même Blanche? Georges Nivat quinze fois au théâtre pour la revoir. La pièce fut retirée de l'affi· La Garde Blanche est traduite che deux aris plus tard, à ,la suite des furieuses attaques des « prolé. avec élégance par Claude Ligny, qui tariens» qui en 1926 organisèrent était aussi le traducteur du Roman Théâtral. Malgré des inexacti· un « procès » contre le « boulgakotudes dans les termes de civilisavisme » et ses pernicieux. miasmes. tion, l'effort est réussi, pour rendre Plus tard, après bien des tribula· la rapidité" l'alacrité du style de tiqns et des persécutions littéraires, Boulgakov. Une alacrité qui semble Boulgakov dut s'adresser à Staline 'avoir beaucoup inspiré Nella Bielsdans une lettre personnelle pour ki pour sa préface au livre.

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Patrick White Patrick White' Le Mystérieux Mandala Trad. de l'anglais par André R. Picard Coll. « Du monde entier» Gallimard éd., 368 p.

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Patrick White sera-t-il le premier Australien à recevoir le prix Nobel? Peut-être. Cette année même son nom fut prononcé avec insistance comme celui d'un possible lauréat. De fait, son œuvre, commencée il y a un peu plus de trente ans avec Eden Ville, l'impose comme le pre· miel' écrivain de son pays. Jusqu'à présent, par rapport à la littérature anglaise, la littérature australienne était·elle plus qu'une littérature provinciale, d'une province éloignée, pittoresque, exoti· que, mais retardataire ? Et la force de Patrick White n'est·elle pas d'avoir fait ses classes et ses débuts en Angleterre, de s'être nourri de littérature européenne (et, aussi, de philosophie hindoue), enfin de n'être rentré chez lui qu'une fois parfaitement maître de son métier? Sans doute. Même s'ils ont généralement pour cadre la région de Sidney, ses récits ne nous dépaysent pas totalement. N'étaient les grands espaces, les déserts qui s'ouvrent à leurs portes, les banlieues qu'il décrit, semées de pavillons pauvres avec, çà et là, une belle demeure perdue dans un grand jardin, habitées par des employés ou des ouvriers qui, chaque matin, gagnent la ville par le train ou l'autobus, pourraient être celles de n'importe quelle grande cité européenne ou américaine. Ses personnages, petits bourgeois médiocres faussement satisfaits de leur sort, ratés dévoré~ d'ambitions déçues, torturés par la peur du sexe, hantés par le mystère de l'existence, s'enfonçant lentement dans la vieillesse, la déchéance, et la mort, ont des cousins chez Dostoïevsky et chez Beckett, donnent' pàrfois l'impression d'être à mi-chemin de Muychkine et de Molloy. On s'aperçoit alors que, d'une certaine manière, l'œuvre de Pa· trick White ressemble à son pays. Dans celui-ci, un très grimd modernisme, notamment technologique, n'exclut pas une mentalité traditionnelle, héritée de l'Angleterre victorienne. Dans les romans de White, on retrouve le même phénomène, mais inversé. La technique est celle des romans du XIXe siècle, mais les thèmes, solitude, échec,

déréliction, répétition, incommunicabilité sont ceux de la littérature contemporaine. Cela est particulièrement sensi·, ble dans le Mystérieux Mandala publié en 1966 et qui vient d'être traduit en français. Une fois de plus, le décor est Sarsaparilla, cette banlieue de Sidney qui par sa médiocrité, sa situation-limite entre les rumeurs de la ville et l'immensité de la campagne australienne, fascine Patrick White. C'est aussi semble-t-il, là banlieue pauvre, qui n'attire guère les citadins, et qui, en conséquence, a peu bougé. Une banlieue où l'on végète, où l'on s'enlise. Les frères Brown qui n'y font rien d'autre, qui y vivent depuis leur enfance, depuis le jour où leur mai· son a été achevée, avec son fronton classique - que leur père, Anglais émigré, avait exigé de l'entrepreneur. Le roman est l'histoire de ces jumeaux et de leur ratage, de leur impossibilité de faire quelque chose ensemble comme de vivre l'un sans l'autre; Waldo est l'intellectuel. l'orgueilleux, qui longtemps se croit promis à un grand destin littéraire. Arthur est un bon garçon, un peu demeuré, aussi lourd et pataud que son frère est mince et élégant, et qui, toute sa vie, garde dans ses poches les billes de verre ae son enfance. Seulement les dons de WaIdo tournent court. 'Les notes qu'il accumule ne feront jamais un roman, ni même un livre. Jusqu'à sa retraite, il ne sera qu'un petit employé de bibliothèque, distant à l'égard de ses collègues, convaincu d'être brimé par des supérieurs qu'il méprise. Arthur, avec son génie pour le calcul mental, réussit fort bien comme commis d'épicerie, et avec sa démarche de gros ours et sa naïve gentillesse, se fait aimer de tout le monde. Les deux garçons, puis les deux hommes, ,enfin, les deux vieillards sont comme prisonniers l'un de l'au· tre. Depuis l'enfance, Waldo hait son frère comme il méprise secrètement ses parents. Depuis l'enfance, Arthur qui admire Waldo est prêt à tout sacrifier pour, lui. Mais Waldo qui se méfie de tout étranger, qui est incapable d'être naturel avec quiconque, même pas avec Dulcie Feinstein dont il est amoureux, ~e peut jamais s'arracher à la, famille, à la maison de Sarsaparilla, son seul refuge. Et Arthur, malgré les sarcasmes de Waldo demeure dans l'ombre de celui-ci, re-


Paul ,Ritchie' nonce souvent pour lui aux amitiés qu'il pourrait nouer. Cependant c'est Arthur qui est le mieux adapté à la vie, Arthur qui a peut-être la vie secrète la plus intense, lui qui fait de ses billes l'incarnation du mandala, figure parfaite de la totalité.

Une mamere singulière La manière dont Patrick White conte l'histoire des jumeaux est singulière. S'il adopte les techniques classiques du roman de mœurs, la psychologie du roman d'analyse, il fait éclater son récit en deux parties qui sont comme les miroirs déformants - l'un de l'autre. Successivement, il donne sur les mêmes faits le point de vue de Waldo et celui d'Arthur. Mais si le second respecte relativement la chronologie et se donne ainsi comme une mise au point, une mise en ordre du premier, celui-ci mêle les époques, les événements, les fantasmes et, par là-même, révèle tout ce qui dans le vieillard sauvage et solitaire provient de ses peurs et de ses désirs d'enfant, dévoile son goût morbide de l'échec, son inadapta. tion fondamentale au monde. En fait, le drame des jumeaux, perdus dans leur banlieue, englués dans leur famille, égarés dans leur rêve est de n'être jamais entrés dans la vie. Pire, est de ne s'être jamais séparés l'un de l'autre, d'être restés liés comme ils l'étaient dans la matrice maternelle, d'être une sorte de couple monstrueux et hermaphrodite. De nombreuses scènes, symboliques ou précises, soulignent cet hermaphrodisme latent : la fas· cination d'Arthur enfant pour le personnage de Tirésias que Waldo, plus tard, prendra pour héros de son roman inachevé, le fait que les deux garçons, puis les deux hommes coucheront toujours dans le même lit, leur absence totale d'aventures sexuelles malgré quelques timides tentations, la scène hallucinante en· fin, où Waldo, vieillissant se pare d'une vieille robe de sa mère et joue de l'éventail devant la glace. C'est à de tels moments que le réalisme de Patrick White libère toute sa charge symbolique et que sous le monde qui nous est décrit on découvre un autre monde, mystérieux comme ce mandala qu'Arthur aper· çoit et reconnaît dans le scintillement de ses billes de verre. Claude Bonnefoy'

Paul Ritchie Le Protagoniste Trad. par René Daillie Coll. « Lettres Nouvelles » Denoël éd., 286 p.

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Cela commence à se murmurer : l'Australie est un curieux pays. Pays d'hier ou de demain? Les deux peut-être. Pays de pionniers, de colons au rêve vite réalisable, de super-société industrielle. Et pays si loin. Pour les géographes, cette île forme à elle seule, ou presque, l'un des cinq continents. Curieuse contradiction dans les termes. De toute manière, cela ne fait guère le compte. A quoi rattacher cette ile-continent ? A l'Asie dont elle se trouve le plus proche ? Certainement pas. A l'Europe originaire? De moins en moins. A l'Amérique du Nord, évidemment oui. Or les Américains ont toujours possédé une littérature vivace quand l'une des curiosités (par le vide) de la curieuse Australie semble être son dédain de la chose littéraire. Serait-ce le fait d'un pays en gestation ou d'un pays en avance sur les autres, à une époque où l'on commence à parler d'une mort de la littérature? Tout ce que l'on peut déjà dire c'est que l'immigrant passe pour s'y ennuyer ferme, en Australie. Il serait, en revanche, malséant d'omettre Patrick White, le plus grand des romanciers australiens, ce qui ne peut, malheureusement, s'énoncer sans ironie involontaire, puisque l'un des seuls. En France d'ailleurs, l'audience de Patrick White est demeurée fort restreinte. Il faudra peut-être attendre le prix Nobel que l'Académie littéraire (et diplomatique) de Suède ne manquera pas de lui décerner l'un de ces prochains automnes. Tout cela pour nous introduire - dans une mesure assez faible à un nouveau venu de qualité. Il se nomme Paul Ritchie. Il est né à Sidney et fit la guerre dans le Pacifique. « Peintre réputé» nous apprend ,la notice biographique, il abandonna les brosses pour se con· sacrer à l'écriture. Son premier roman parut.en 1962, puis vinrent le présent roman - premier traduit en français - et un troisième, intitulé les Confessions d'un ami du peuple. Or, devenu romancier, cet Australien cherche son inspiration à Ibiza, comme un quelconque b0hème ouest-européen... Le Protagoniste constitue ce que les Anglo-Saxons, amis du sport,

La Quinzaine UttUalre, du 1er au lS janvier 1971

aiment à nommer une performance. de figurer l'humanité ordinaire. La En voici l'argument qui tient chance gâchée par le départ de Hotout est là - en quelques lignes. ney est donc avant tout la leur. Ici, Un homme encore jeune, curieuse- 'c'est plutôt Dieu qui est mis à la ment appelé Honey, cherche une porta. Et pourtant - différence im· chambre dans le quartier populaire portante d'avec le Caretaker - Hod'une ville britannique. On lui ney a perdu, lui aussi, une chance, propose d'en 'partager une avec un la dernière peut-être. Honey est un nommé Hinds. Honey accepte et personnage hors de l'ordinaire, un paye d'avance. Il est très fatigué, peu fantastique - il y a du Mel· semble relever de maladie, et vou- ville en lui - mais il est homme de drait se reposer tout de suite. Mais chair et de sang, doit trouver les la dame et le monsieur propriétaires voies de son existence et s'enfonce lui font remarquer qu'il ne serait en une impasse. Honey n'est pas pas correct de s'installer avant le une allégorie. Ni plus ni moins que retour de Hinds ; qu'il vienne donc, ne sont allégoriques les logeurs, Honey, en attendant, prendre le leurs parents et amis. Le Protagothé et faire connaissance. Honey fait niste est à l'image d'une certaine connaissance et attend Hinds schizophrénie socio·culturelle. comme d'autres, attendaient Godot Mais qui sont les autres, tous les - jusqu'au milieu de la nuit. Hinds autres? Alf Lister, le logeur, est arrive enfin mais pourvu d'une un héros de 14-18. Il a conservé de fiancée, chassée de chez ses parents, la guerre une jambe douloureuse, et qu'il faut loger sans tarder. Ho- à peu près inutilisable, et des souve· ney reprend donc le sac qui consti- nirs. Son grand ami, Ted, ancien tue tout son bagage et disparaît. boxeur profassionnel, fut sherif duJ'ai parlé de Godot, mais on rant quelques décennies aux Etatspourrait davantage évoquer le Care- Unis. Il cultive, lui aussi, de glotaker de Pinter. Comme le careta- rieux souvenirs. Pour l'Ordre et ker, Honey s'est vu ouvrir les portes pour la Patrie, Ted et Alf ont, l'un de la maison: Il a eu sa chance, il et l'autre tué. Là résident leurs sou· l'a gâchée, il a été exclu. En fait, venirs principaux, fondamentaux le Protagoniste inverse l'équation peut-être, vaguement heureux, va· d'u Caretaker. Si le frère aîné du guement honteux, en tous cas Caretaker est, selon ma propre in· justifiés. Leurs autres souvenirs faterprétation, quelque peu Dieu le voris ont trait à toutes les horreurs Père, et son clochard l'homme quel- qu'ils ont pu observer au cours de conque, dans le Protagoniste c'est leur chienne de vie. Ils aiment à Honey qui abrite les derniers re· faire assaut d'horreurs - particuflets de la divinité; le ramassis des lièrement devant les dames - com· habitués de la Maison étant chargé me par une inconsciente et problé-

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Le dernier

~ Ritchie

matique tentative d'exorcisme, avec une verve rabelaisienne. Quant à Dottie, la femme d'Alf, c'est une ménagère qui n'a plus tout à fait ni le temps, ni l'âge d'être malheureuse. Mais, épouse sans enfants, d'uu homme âgé et impotent, il serait téméraire de la croire satisfaite. Sa jeune sœur MalI, n'a pas de chance non plus. Tous les hommes du quartier lui passent dessus, qu'elle le veuille ou pas. Elle a trente ans, un enfant naturel, Jim, et s'inquiète de son avenir. Quand le septuagénaire Ted lui propose de l'épouser, lui et ses économies, elle est sur le point d'y consentir.

En attendant Hinds Et ce n'est qu'une longue journée suivie d'une longue soirée poussée loin avant dans la nuit, par la faute de ce Hinds qui n'arrive pas. Comme à l'accoutumée on se chamaille et on se réconcilie daus la maisonnée. Les tasses de thé alternent avec les verres d'alcool cependant que les femmes cuisinent saucisses et purée. Alf joue les martyrs et les tyrans domestiques. Ted tourniquote lubriquement autour de Moll. Enfin un petit drame familial: Jim, qui n'aime pas que son oncle cherche à le tripoter, fait une fugue. Il faut aller en bande à sa recherche dans le parc voisin où Moll oubliera un moment son fils pour se laisser vio1er, à peu près sous les yeux de son vieux fiancé, par une terreur des parages. Honey, pour sa part, assiste à tout cela plus qu'il n'y participe. Il ne demande qu'une chose: aller s'iso1er, se reposer dans cette chambre mais cela justement ne lui est pas permis. Il lui faut demeurer présent à ce monde où il ne peut s'intégrer. Et comme c'est trop lui demander, son organisme réagit curieusement. Honey a d'étranges absences, de longs évanouissements qui terrorisent l'entourage, excitent la pitié, le mépris ou la fureur. Peut-on dire qu'Honey révèle les autres à eux-mêmes? Même pas. Cela supposerait une forme de communication. Tout au plus : il les tarabuste. Un animal étrange s'est introduit dans la basse-cour. On tourne autour de lui, on l'examine, on l'asticote mais en définitive, il gêne, on ne sait qu'en faire, on n'en a pas l'usage. Honey est frêle, doux, ne résiste pas quand on l'attaque, il a un air de pureté un peu obscène. Quand on lui adresse la parole et quand il consent à répondre c'est généralement par des

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propos volontiers sybillins. Alf l'injurie, Tet! le boxe, MalI tente de l'avoir par le sexe et Dottie par le sentiment. Mais rien ne sert à rien. Honey oppose finalement à tout une fin de non-recevoir, assortie ou non d'évanouissement. Furieuse, MoU fait boire à Honev, comme au Christ, du vinaigr~. Bouleversée, Dottie croit devoir révéler à ses compagnons que Honey est un saint. Mais non; Honey n'est pas un saint. Il ne fait que traîner comme un boulet des résidus d'une spiritualité dont il n'a pas plus l'usage que Alf ou Ted mais qui lui interdisent de s'amalgamer aux AH et Ted, de coucher avec MalI, comme tout le monde, d'épouser Dottie qui ne tardera sans doute pas à devenir veuve. Si le Protagoniste n'apparaît guère comme le produit d'une littérature australienne à l'état naissant. ce roman manifeste assez remarquablement l'une des tendances actuel-

Lawrence Durrell Nunquam Gallimard éd., 330 p.

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Lorsqu'un roman se propose comme la suite et la résolution d'un premier texte, comme c'est le cas pour Nunquam et Tune, la matière « du roman-solution» se troutrouve par là même condamnée à recouvrir celle du « roman-problème». C'est le cas pour Nunquam qui n'évite pas cette redondance interne. Ce ronlan est un retour sur Tune dont il résout les « blancs» volontairement laissés par Durrell dans l'aventure des personnages qui gravitent autour de la fameuse société Merlin. La solution proposée par Nunquam porte en effet à la fois sur la psychologie des personnages et sur leur comportement : nous retrouvons une Bénedicta pri-

vée de son mystère, parce que guérie de sa passion incesh'.euse pour son frère Julian. Elle connaît maintenant le parfait amour avec le narrateur Félix Charlosk, inventeur de l'ordinateur Ahel. Le frère de Julian, Jocas, meurt après s'être ré· concilié avec son frère, etc.

Phallocentrisme L'auteur se trouve donc sans cesse ramené en arrière et la matière du récit devient une sorte de « pèlerinage éclairant aux sources». L'identité véritable des héros, les événements qui avaient été laissés en SUSpellS font l'objet de ces retours, constituant des « histoires » présentées en abyme par rapport à la progression de l'action du roman qui s'en trouve considérablement ralentie. Par ailleurs, le phallocentrisme déjà évident dans Tunc semble s'ac-

les de la littérature anglo-saxonne...• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • L'idéalisme n'y désarme pas. On LES REVUES le voit cependant évoluer, élire volontiers un thème qui semble préLa Nouvelle Revue Française Georges Cogniot, Armand Lanoux, Lucis, s'incarner en une situation bien (N° 216). - Ce numéro de décembre cien Scheler ainsi que des lettres inécernée. Or que l'on y regarde d'un s'ouvre par des fragments d'un long dites de Zola à Jules Vallès. Verticales 12 (N° 4-5). - Cette repeu plus près, l'on s'aperçoit que la poème de Pierre Emmanuel : • Hymsituation est ambiguë, que le thème ne à la déesse -. Pour suivre, une vue qui se publie à Decazeville tente étude de Pierre Gascar sur Arthur une approche de la poésie en 1970: est diffus, que la morale est en ruiles auteurs y distinguent deux couRimbaud, une autre de Michel Gresset nes. La richesse particulière du Pro- sur Flannery O'Connor (avec un texte rants, l'un qui se situerait sous l'égide tagoniste tient à ce qu'il assume dé- inédit de la romancière sudiste) et de Tel Quel, l'autre qui poursuivrait une évocation de Dostoïevsky par le un certain humanisme poétique. Mais libérément une telle situation que pas un mot n'est dit des deux poètes Polonais Adolf Rudnicki. d'autres œuvres cherchent plus ou Esprit (décembre 1970). - Pour le les plus originaux de ces dernières anmoins consciemment à masquer. De nées et qui ne se rattachent à aucun premier anniversaire de la mort de Paul Chaulot, Esprit publie un ensem- de ces deux courants, Jacques Réda là vient qu'Honey n'est pas, et ne ble d'hommages signés notamment de et Jacques Roubaud. pouvait être une allégorie à la PinQuaternaire (N° 7). - Revue éditée René Char, André Frénaud, Jean Folter. Si Ted et Alf sont de pauvres lain, Guillevic, Georges - Emmanuel à Lens (Pas-de-Calais) par le poète diables, Honey tout en étant leur Clancier, Robert Marteau. Divers tex- Jeanpyer Poels et qui se situe très nettement dans la première veine. A contraire, n'en est pas moins un tes politiques complètent ce numéro pauvre diable et plus douloureuse- notamment sur • le parti et l'armée son sommaire : Michel Deguy, Michel Vachey, ,Jean-Luc Steinmetz, André Six, dans la politique chinoise., par L. ment. C'est un moine sans cellule, Vandermeersch et deux études sur de Gérard Duchene et Jean-Pierre Verhegun croyant sans foi et qui n'a pas Gaulle par Jean-Marie Domenach et gen. Manteia (N° IX-X). - Aux antipodes droit non plus à l'enfer des autres. Stanley Hoffmann. puisque publiée à Marseille, Manteia Europe (N° 499-500). - Fondée en Paul Ritchie a conçu là une œu1923, Europe publie son cinq-centième est directement dans la lignée telquevre particulièrement attachante. numéro consacré à la Commune de lienne. Outre quelques textes des forJ'ai bien parlé de performance. Il Paris. 388 pages pleines tentent d'épuimalistes russes, on relève les noms de est assez remarquable que l'on pren- ser ce sujet inépuisable. Parmi les ,Jean-Claude Montel, Gérard Arseguel, ne tant de goût à s'attarder en cette collaborateurs, Henri Guillemin, Hen- Jean-Jacques Viton, Jean Todrani, Charles Grive!. riette PSichari, Maurice Chavardès, Maison Lister, à entendre déblaté· rer deux vieilles ganaches et criailA l'occasion du centenaire de la ment d'une pensée dont Gide disait ler deux commères, à voir s'évanaissance d'André Gide, la Bibliothè- lui-même dans son Journal qu'il ne nouir un mort-vivant. En vérité, la que Nationale présente actuellement au serait pas aisé de cerner la trajectoire, Maison n'est pas cernée par les rues public une exposition consacrée à cet mais dont le propre fut d'appliquer à du quartier mais par de sombres écrivain. des préoccupations multiples et à une allées fascinantes, dont Paul RitPlus de 700 pièces ont été réunies disponibilité délibérée une exceptionchie connaît bien la géométrie, pal' par les organisateurs, telles que ma- nelle ferveur. nuscrits, éditions rares, correspondanL'exposition est animée par les ardes lointains hantés de mystères ces avec les plus grands écrivains de ressassés. Cet au-delà de la Maison, son temps, tableaux, gravures et sculp- chives sonores de l'O.R.T.F., grâce auxquelles on peut entendre Gide parler le discours intime de Honey, sup- tures d'artistes qui comptèrent parmi de Gide. ses amis, photographies et documents pliant et secret, l'empêche de dispersonnels. Du symbolisme à l'immo(Bibliothèque Nationale - Galerie paraître. raliste de la Porte étroite à Thésée, on Mansart - Exposition ouverte tous les 1ean Gaugeard pourra suivre ainsi le long chemine- Jours jusqu'en février 1971).


collection

U

PAVILLONS"

Durrell centuer considérablement ici dans le sens d'une érotisation facile du texte, qui se manifeste par exemple sous la forme d'anagrammes du mot Tunc (compréhensible seulement pour les lecteurs qui connaissent l'anglais), ou bien qui prend les espèces très contestables d'aventures mercantiles de la société Merlin - telle la névrose du Kolo que la statuette d'un dieu phallique est susceptible de guérir... pour ne pas mentionner la très improbable entreprise de commercialisation du sperme comme crème de beauté et les obstacles que peuvent rencontrer les « démarcheurs» à son obtention dans les pays musulmans. Des séquences de ce genre rappellent, mal à propos, je dois le dire, .les canulars des Copains, ces derniers étant d'ailleurs plus drôles parce que plus « directs ». Le Quatuor d'Alexandrie paraît situé à quelques années-lumière de ces facilités regrettables. Il y a pourtant une sorte d'action dans Nunquam, même si le sujet en est contestable par sa fragilité dramatique: il s'agit de la résurrection de la belle Iolanthe, petite prostituée grecque de Tunc devenue l'idole de Hollywood. Elle revit ici sous la forme d'un automate extrêmement perfectionné, produit de l'ordinateur Abel pour la psyché, et des dernières découvertes en matière de substances artificielles, telles que la guttapercha et le nylon, pour le corps. Elle est l'objet de l'amour inconditionnel et fétichiste de Julian qui a malheureusement subi le triste sort d'Abélard. L'artifice s'étend également à la savante taxidermie pratiquée par le Professeur Goytz qui fait une réclame assez peu convaincante pour ses futures victimes avec des slogans du genre « Mummy is a Mummy » (Maman est une momie). A la description de la mécauisa· tion inévitable de l'homme dans la société moderne que Durrell veut mettre en accusation dans son livre, s'ajoutent les « retombées» d'une culture psychanalytique (Freud et Ferenczi surtout) qui permet de dénoncer aisément l'érotisme anal représenté par le capitalisme. Analité et coprophilie semblent faire les délices de l'auteur: « Or, pain, excitation et accroissement sortant de la société anonyme du gros intestin en train de rêver. Et puis, par le même lien d'associations d'idées, du pot de chambre à Aphrodite, l'austère, la terrible, l'indifférente,

faisant carillonner son sexe comme une cloche ». (248). Ce qui sauve le roman d'une grande lourdeur, c'est l'incontestable don poétique de Durrell pour les paysages : Il peut en une phrase « visionnaire» nous montrer une « Athènes posée en équilibre dans ses creux violets, comme un fruit bleu sur les branches de la nuit » (232)... ou « L'Hymette tournant lentement sur son plateau et montrant sa nuque rasée »... Ou bien c'est la Turquie dont il résume la nature profonde en une phrase : « une lourde vague propulsée par la mort, la rêverie de quelque vieil alligator qui somnole dans la boue» (248). La fin du roman montre l'échec de la société dont Charlock, devenu Le président, s'apprête à détruire tous les contrats. La fin de la mystification touche aussi Iolanthe l'automate, qui précipite Julian dans sa propre fin, pendant l'enterrement de Jocas dans la cathédrale de Saint· Paul à Londres - dont les nefs sont comparées à des '« trompes de Fallope »... ? Destin douteux par excellence, mais qui veut mettre en évidence la faillite de la notion de culture comme' le dit l'auteur dans la post-face du roman. Il s'agit bien de combattre l'antiphysis pour retrouver dans une sorte de rousseauisme ironisant la « vraie et bonne nature» de l'homme. Mais le commentaire que Durrell veut faire de la théorie pessimiste de Spengler dans ce livre, et qu'il oppose à un freudisme superficiel n'est guère convaincant. Les outrages que la société capitaliste fait suhir à l'homme, l'excessive déshumanisation qui fait du bonheur « primitif» une sorte d'indéchiffrable palimpseste est pourtant le plus topique des sujets et l'auteur aborde certes en cela un des points essentiels de toute problémati'JUe concernant la « modernité ». Mais il semble bien que Durrell ait atteint dans le Quatuor une synthèse désormais indépassable, qui consiste à énoncer les termes de cette problématique et de la transfigurer aussi par l'intense poésie des lieux et le lyrisme délicat de la forme. Durrell sait bien sans doute que c'est seulement par le paysage comme métaphore qu'il peut, avec un étonnant bonheur capter l'essence de ses personnages dans ce qu'elle a de mouvances et de profondeur. Anne Fabre-Luce

La Qulnzalne Uttéralre, du 1"r au 15 janvier 1971

LE PREMIER CERCLE VOYAGES AVEC MA TANTE

LA GARDE BLANCHE JOURNAL DE LA GUERRE AU COCHON

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Mohammed Dib Dieu en barbarie Le Seuil éd., 112 p.

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Gabriel Audisio L'Opéra fabuleux Julliard éd.

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le système de résistance au pouvoir colonial en bouleversant les frontières établies entre bien et mal, vivant et inanimé, réel et imaginaire.

Dieu en Barbarie

Dieu en Barbarie délaisse une telle vision onirique du monde et il est permis de le déplorer. Par ce récit de forme tout à fait traditionLe M'zab nelle, Dib ne revient pas au chiffre Arthaud éd., 132 p. réaliste, mais très personnel, de ses débuts. L'Algérie, après huit ans de décolonisation, s'interroge. Dib nous fait entrer dans le débat en Ranger sous la rubrique maghré- prêtant ses préoccupations à quelbine des ouvrages aussi différents ques personnages qq'il suppose vique Dieu en Barbarie et Formldai- vant dans l'Algérie de 1970 : un res de Mohammed Dib, l'Opéra fa- chirurgien déçu par l'Indépendanbuleux de Gabriel Audisio, les Dia- ce, le Dr Berchig, un coopérant mants de sable et le ft! zab de Ma- francais, J.M. Aymard, le chef de nuelle Roehe relèverait de l'extrapo- cabinet d'un préfet, Kamel Waëd lation hâtive si un dénominateur et une sorte de mystique attardé, commun, l'Algérie, ne reliait, mal· Hakim Madjar, « mendiant de gré leurs dissemblances, ces ouvra· Dieu». Et nous voici lancés dans ges entre eux. Présente ou déjà de longues discussions nocturnes. dépassée, irréductiblement chevil- On conteste l'agression, par la civilée au cœur des uns, simple décor lisation occidentale, des structures ou prétexte à recherches romanes- mentales façonnées dans l'Islam. On ques et esthétiques pour les autres, médite sur le destin des petites nal'Algérie est saisie par chacun à tions du tiers monde coincées entre travers un prisme et un discours les « grands empires», soucieuses personnels. de se formuler à elles-mêmes leur Mohammed Dib, on le sait, a identité et de découvrir des voies quitté depuis longtemps son Oranie originales vers le socialisme. Il n'est pas facile de bâtir un natale pour s'établir en France et y écrire. Depuis 1952, une dizaine roman autour de tels thèmes et Dib d'ouvrages l'ont consacré. Les pre· n'a su donner ni véritable épaisseur miers romans venus des confins à ses personnages ni vraisemblance d'un réalisme balzacien et vague- à leurs relations. Les partenaires du récit se meuvent, comme des mament socialiste : la Grande Maison, l'Incendie, le Métier à tisser cam- rionnettes porteuses de rôles abspaient des scènes de la vie tlem· traits; leurs propos sonnent faux. cénienne ,où le régionalisme dé- L'échantillonnage en tout cas paraît bordait ses recettes et ses poncifs bien peu convaincant. Où renconpour <lire la prise de conscience trer ce grand' scout de coopérant, d'un peuple opprimé, l'éveil des ancien militant du réseau Jeanson, paysans et des artisans et celui venu en Algérie pour y trouver le même, des enfants des' classes ex- supplément d'âme qui manque à noploitées. Pour dire ensuite la guerre tre civilisation technicienne (d'où le et ses horreurs, le langage devenait titre Dieu en Barbarie) ? Et ce jeuinsurrection et sécession, à la ma- ne cadre algérien déchiré entre charité et socialisme, entre le rationanière surréaliste. Le « fantastique» de Qui se souvient de la mer et lisme appris en Europe et la nosCours sur la rive sauvage prend ap- talgie d'un monde traditionnel impui sur un réel hélas trop présent, prégné de foi religieuse? Il n'est - la guerre - pour le faire explo- pas étonnant que nous ayons du mal ser. Il est destruction d'un monde à communier avec de tels personnaque défigurent la mort et la faim, ges, surtout lorsqu'aux détours de comme une affiche lacérée. Ainsi, certaines lignes on retrouve tel ou les Minotaures dans Qui se souvient tel vieux cliché auxquels nous de la mer, échappés à la mythologie avaient habitués les écrivains de la la plus inquiétante, représentaient belle époque coloniale : à la diffé-

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rence du petit Français « simple et sincère» apparaît l'Algérien « men· diant» et « menteur» qui, trop facilement, « s'en remet à Dieu »... Le lecteur, dès lors, s'interroge: Mohammed Dib a choisi de vivre en marge de son pays et de s'adresser d'abord à un public « maghré. bin » hors du Maghreb. N'est-il pas trop coupé de l'histoire réelle des hommes qu'il met en scène, du par· tage quotidien de leurs vies, puisque leur problématique nous paraît si peu existentielle, leur dialogue en tout cas, plus imaginé à distance que véritablement entendu ? Les poèmes de Formulaires qui nous éloignent de l'Algérie actuelle et de ses prohlèmes nous permettent, du moins, de rejoindre le monde intérieur de Dib. A travers un lyrisme tantôt fluide et intimiste, tantôt résolument moderne, enrichi d'influences symboliste et surréaliste, nous voici invités à chercher « le mot des mots », « le chemin qui est une façon de redire la prière ». Dmhres et lumière éclatante se partao gent la conscience du poète qui n'a pas oublié « la sauvage vendange des chlores» : « la voix d'un dieu mort cherche dans sa mémoire par où l'ombre est entrée ».

Lieu de la mémoire « Lieu de la mémoire»... Ce titre d 'un Formulaire si consonant avec l'Algérie de Dib, convient hien davantage encore à celle que Gabriel Audisio fait revivre dans l'Opéra fabuleux, plus de trente ans après Amour d'Alger. L'auteur, aujourd'hui septuagénaire, ne s'est sans doute pas départi de cette utopie libérale qui lui faisait magnifier le métissage culturel des « Méditerranéens » et croire à la symbiose des coloniaux et des colonisés. L'Opéra fabuleux n'est pourtant pas une reprise des thèses chères à l'essayiste. Tout ensemble IDysse et Hérodote d'un pays inoubliable, Audisio veut ici, simplement, en « sauver quelques images ». Il n'a qu'à puiser à pleines mains dans les souvenirs de son enfance, à l'époque où ses parents, après avoir beaucoup bourlingué, guérissaient de leur nomadisme impénitent en se fixant à Alger. « L'Algérie de mon père » (lequel était alors directeur de théâtre) n'est pas pour Audisio. l'avatar d'un

mot devenu historique. C'est une réalité vivante où les anecdotes sa· voureuses relaient les méditations lyriques. Ecrivains en voyage, Gide, Pierre Louys, croisent Montherlant, Valéry. Plus tard Grenier, Rohlès, Camus fonderont « l'école d'Alger ». Audisio attache un grand prix à ces rencontres auxquelles il nous fait participer, et ce n'est pas le moindre mérite de ce livre qui par ailleurs attache par sa tendresse contagieuse, par un refus de la délectation morose, alors même qu'il se déploie dans les « méandres de la nostalgie ».

Trompe-l'œil et faux-semblant Si l'Algérie de cet enfant de la halle paraît réduite à des fictions d'opéra, peuplée uniquement d'hommes de lettres, c'est qu'elle fut pour les pieds-noirs comme pour ce « frangaoui », d'abord, un décor. « Restons-en à 1930, écrit Jules Roy dans sa préface, à l'odeur des hrochettes et au parfum du jasmin, aux vendeurs de cartes postales ohscènes sous les palmiers de la Régence et du Café d'Apollon ». L'Histoire ellemême leur était trompe-l'œil et faux-semblant. « On s'en foutait bien, à l'époque, moi le premier, de la justice! Personne ne nous l'avait enseignée. Notre vraie patrie était pour nous tous le soleil», écrit encore le préfacier.

L'Algérie des plages

et des pinèdes La hande qui enveloppe les Diamants de sable de Manuelle Roche a beau offrir au menu « Décor : l'Algérie. Atmosphère : la guerre. Personnage principal : l'Amour », elle promet plus que véritablement elle ne sert... Des hommes et des femmes certes, s'aiment et se déchirent d'un bout à l'autre de ce roman, où abondent de fines notations psychologiques. La guerre ne mohilise pas ces êtres enfermés dans leur subjectivité et jaloux de leurs conquêtes amoureuses. Tout au plus rompt-elle le charme de certaines heures. Cette Algérie est celle des plages et des pinèdes. Ce n'est pas un pays en guerre, même si quelques manifestants trouent parfois ce


Yves Courrière à "1'heure des colonels'~ Entretien de Gilles Lapouge tableau, « hérissant de drapeaux verts leurs voitures », se faisant « canarder» ,par les parachutistes, tandis qu'à Clos-Salemhier brûlent les villas.

Le M'zab Bien davantage nous retient et séduit sein ouvrage d'art consacré au M'zab. Après les pages liminaires de Mammeri, une soixantaine de très ,belles photos illustrent un texte dense et nerveux;. Manuelle Roche a su voir, et nous faire voir, la pureté de ligne de ces murailles ibadites, de ces terrasses éclatantes, de ces puits séculaires, de ces minarets qui dominent chacune des cinq villes comme autant d'index levés pour affirmer le Dieu Unique. Précieux par tout ce qu'il nous I1vre des traditions et de l'histoire de ces «puritains du désert », le commentaire n'échappe pas toutefois à un certain lijdactisme : il faut apprendre aux Algériens tentés par le modernisme à voir la beauté qu'ont su créer leurs ancêtres il y a dix siècles; il faut redonner aux Occidentaux la saveur' de la simplicité, leur apprendre à renonc,er aux décors factices dont la société de coD.S9mmation enveloppe leur existence... ' ' . Nous gêne également l'apologie idyllique de la vie au désert. Il est confortable de s'extasier à distance sur la sobriété de ces sociétés soumises à la raréfaction de toutes choses et sur la spiritul,llité cister· cienne qui s'en dégage (l'auteur fait, à ce propos, d'intéressants rapprochements entre l'éthique austère d'un Saint Bernard, les intuitions de Le Corbusier et celles des Kharé· jites réfugiés au M'zab). Les ré· flexions de Manuelle Roche sont hypothéquées par l'oubli de tout un versant de l'existence des Mozabi· tes: leur vie à l'extéri~ur, besogneuse et commerçante est passée sous silence. Sans cette émigration, les oasis du S1,ld auraient-elles pu survi· vre ? S'il y a un message spirituel au M'zab, il ne réside pas dans le seul dédain des biens matériels ou l'enfouissement au' désert, comme le suggère un peu vite l'auteur. Cet ouvrage d'art témoigne, on le voit, plus directement que les Diamants de sable de la « présence maghrébine ». Il dit, à sa manière, la fascination que continue d'exercer l'Algérie sur tous ceux qui ont été, peu ou prou, mêlés à son destin.

Michel Cote

Yves Courrière a vécu deux fois la guerre d'Algérie, comme acteur d'abord puis corn· me historien. Il a vingt ans en cette Toussaint 1954, quand' un groupe de maquisards allume la première étincelle de "incendie. Comme tous les hommes de sa génération, son destin sera modelé par celui de "Algérie.

Quand il doit accomplir son service militaire, en 1958, il est affecté à Paris, au service de presse de l'armée. Un jeune colonel, fort bril· lant. le dirige, il s'appelle Gardes. Voici entré dans le regard de Cour· rière le prèmier personnage de l'histoire à laquelle il consacrera plus tard cinq années de travail. D'autres' personnages suivront, si nombreux qu'aujourd'hui, après avoir écrit plus de 1 600 pages, Courrière n'a pas encore achevé sa tâche. Son troisième volume, l'Heure des Colonels (1) couvre les ,années 1957 à 1960. Il faudra encore un gros volume pout arriver à la proclamation de l'indépendance. Le 13 mai 1958, Courrière est en'core à Paris, avec Gardes. Il est ensuite dirigé sur l'Algérie et ce bidasse occupe un poste privilé· gié : affecté au 5" bureau, il surveille toute l'organisation politicoadministrative de la zone. Depuis cet observatoïre d'exception, Cour· rière comprend vite que les choses ne sont pas aussi simples que les propagandes contraires le disent : sous les images visibles de la guerre, il découvre un fantastique labyrinthe, des galeries obscures ou radieuses, une fourmilière dans laquelle grouillent les passions, les intrigues, les cruautés, les dévouements. Ce n'est pas dans les états· majors ou dans les cabinets mais là, au fond de ces souterrains étouffants, que se forge le sort de la guerre.

des soutiens militaires de l'agita· teur du forum, le cafetier Ortiz, précède de peu son retour en métropole. Les fascinations exercées par l'Algérie sont durables. De nouveau journaliste à R.T.L., Courrière ne cessera de hanter la scène du drame. Il retourne quatre-vingts fois en Algérie. Il couvre la conférence d'Evian, les révoltes deses· pérées et sanglantes de Bab-EIOued, la fusillade de la rue d'Isly. En tous les lieux de l'orage, Courrière est présent. Jusqu'au jour où l'O.A.S. le condamne à mort.

y. C. - Quelques années plus tard, en 1966, quand je me déci· de à quitter R.T.L. pour écrire l'his· toire de cette guerre, très vite, il m'apparaît que tout est à faire. Même la chronologie exacte de ces sept années, il faut que je l'éta· blisse moi·même. Et puis, la na· ture d'un pareil combat commande le secret absolu. Pas d'archives, une action clandestine, des initiatives locales, le mystère, tout est enfoui. Tenez : quand Delouvrier est nommé délégué général à AI· ger, quels sont ses rapports avec de Gaulle? Il a reçu peut-être trois lettres du général durant tout son mandat. 'Le dialogue se nouait à l'occasion des visites de Delouvrier à Paris. Il fallait le reconstituer bribe par bribe.

Le 16 septembre 1959, de Gaulle proclame l'auto-détermination de l'Algérie. Les pieds noirs entrent en transe. L'armée doute, se dé· chire et une partie de ses cadres, les colonels et les capitaines, atti« Cela ne signifie pas que mon se la révolte qui éclate en janvier expérience algérienne avait été avec la semaine démente des barriinutile. Elle m'avait initié au style cades. Déjà, Courrière ne peut de ce combat. J~ savais que tout partager l'aveuglemellt, ni la frénél'essentiel était dissimulé. En outre, sie des insurgés. Sa rupture avec le j'avais rencontré les hommes, iIIus· colonel Gardes, qui s'est avéré l'un , tres ou anonymes, qui conduisaient

La Qulnzalne Uttéralre, du 1er au 15 janvier 1971

la bataille. Enfin, les lieux m'étaient familiers et, pour mon projet, c'était essentiel. Pas seulement pour la couleur laca,le mais si l'on veut fixer correctement. les traits de cette guerre étrange et sauvage, Il faut savoir ce qu'est un paysan kabyle, -une mechta, il faut avoir 'partagé la vie ~e Bab-el-Oued, connaître les dédalés de la casbah. Vous dites l'histoire mais, dès les premières pages de L'heure des colonels, vous nous transportez dans -les djebels de Haute Kabylie. Il y a là I<rim Belkacem et son guide Aomar. Et vous nous faites en,tendre uneconvel'sation entre les deux hommes. Cela se lit avec' passion mais t;e dialogue, comme tous ceux' qui animent le livre, estce du grand reportage ou est-ce de l'histoire? y, C. ~ Il n'était pas q!Jestion d'écrire une histoire froide, de style universitaire. Mais je ne voulais ,pas davantage, sous prétexte de Cf faire vivant », inventer ou tra. hir les faits. Si donc je rapporte un dialogue entre Krim et son' guidé, c'est que ce dialogue a été tenu. J'en connais le sens, les résultats, le mouvement.

Ce qui suppose une documentation considérable.

y. C. - J'ai essayé de rencan-' trer tous les principaux sUnfivan,s; depuis les plus célèbres, comme Léonard, Mendès France ou Trin· quier, jusqu'à des hommes qui o~t joué un rôle de premier plan. sans qu'on le sache. Par exemple?

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~ Yves Caurrière

Y. C. - Chez les Français, un homme comme Jean Pouget. On le connaît, certes, mais surtout pour le rôle qu'il a joué en Indochine, auprès de de Lattre, puis à DienBien-Phu mais sait-on qu'il fut, en Algérie, un des maîtres de l'antenne gaulliste d'Alger avant le 13 mai? Même chose pour le capitaine Léger qui contrôlait ceux que l'on appelait • les bleus de chauffe -, c'est-iHfire ces ralliés du FLN qui travaillaient avec l'armée fratnçaise et qui étaient chargés d'intoxiquer les rebelles. Et là, il Y a une péripétie extraordinaire: ce travail d'intoxication réussit si bien que: Je chef de la Willaya 3, Amirouche~ est saisi d'une sorte de folie. Il imagine que toute sa willaya est farCie de traîtres et d'espions et 11, ,démantèle lui-même, par d'affreuses purges, son propre instrument de combat. Du côté des rebelles, le phénomène est identique; Tout le monde en France, a entendu parler de Ferhat Abbas, de Krim, de Ben Khedda, à la rigueur de Boussouf, de Si M'Hamed et d'Assedine, mais sait· on l'importance capitale d'un homo me comme Abane Ramdane, véri· table leader jusqu'au jour où Boussouf, avec la désapprobation molle de ses pairs, le liquide? C'est après sa disparition que le FLN, derrière une façade civile qu'illustre Ferhat Abbas, tombe sous la coupe des trois B Boussouf, Ben Tobbal et BeUcacem c'est·à· dire les colonels. Le titre du livre s'explique du, reste ainsi : l'heure des colonels, ne 'fait pas allusion seulement aux colonels français comme Gardes, Godard, Argoud, Trinquier ou Broizat. En face d'eux, il y avait aussi des colonels et, à bien des reprises, c'est un combat singulier qui les oppose. Votre livre apprend beaucoup de choses. les règlements de compte, à Tunis, entre les chefs du CEE, on en avait eu des échos mais j'avoue que, pour moi, je n'en soupçonnais ni la violence, ni "ampleur. Mais, en même temps, une autre question se pose : durant cette guerre, on avait le sentiment que les péripéties du combat pouvaient se multiplier, se contredire, mais qu'à la fin, par une sorte de pesée diracte de l'histoire, L'indépendance serait acquise. Or, votre livre ébranle ces convictions. Souvent, le résultat d'un hasard, une décision, un règlement de comp-

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Yves Courrière tes, une victoire semblent pouvoir infléchir le fléau du côté de la victoire ou du côté de la défaite.

Y. C. - Les deux idées sont vraies, à mon avis. Il est exact que jusqu'au bout, rien n'était joué. Les rebelles ont frôlé la catastrophe et il faut bien reconnaître que sur la fin, Challe, qui est un grand homme de guerre, détruit tout le système adverse. Mais cela, c'est ûn premier niveau. Au-dessous jouent d'autres forces. Même une liquidation radicale de l'appareil du FLN n'aurait pas mis fin au com· bat. L'idée de l'indépendance était devenue irréversible. C'est ce que de Gaulle avait compris. Vous placez une très belle phrase de Cholokov en épigraphe • En ce temps de trouble et de misère, frères, ne jugez pas vos frères-. Votre récit est impartial et pourtant, vos amitiés n'allaient sûrement pas aux fanatiques de l'Algérie française. Y. C. - Je voulais poser sur cette affaire si peu sereine un regard détaché. J'admets que devant certaines sottises ou devant cer· tains actes affreux des deux côtés du reste - il est difficile de conserver son contrôle. Mais, il y a plus : tlUand on. a une connaissance très intime, très profonde des hommes, eh bien, il devient difficile de les accabler, même si leur comportement paraît injustifiable. Et en outre, certains des par· tisans de l'Algérie française étaient des hommes absolument nobles, désintéressés et généreux. Je pen-

se aux jeunes officiers, ceux des SAS par exemple, que j'ai bien connus et auxquels je réserve une part importante du récit. Ils se tenaient pour des militaires révolutionnaires et ils voulaient passionnément une Algérie nouvelle, fraternelle. Ils étaient sincèrement décidés à mettre un terme aux erreurs, à l'exploitation, à l'humi· liation des musulmans. Pas de doute sur ce point : à leur manière, ils aimaient les musulmans. Et alors, ils ont vécu un déchirement cruel, parce qu'ils ont été broyés par la machine politique. Je crois acquis que de Gaulle avait accepté l'idée de l'i,ndépendance dès son retour au pouvoir, et même avant si l'on en croit les confidences qu'il fait au journaliste autrichien Rosenberg. Mais, il était obligé de cheminer par des voies ambigües et détournées. Il trompe donc les officiers révolutionnaires. Ceux-ci s'engagent à fond pour l'Algérie nouvelle et, bien pis, ils y engagent des musulmans qui seront plus tard sacrifiés. En écrivant ce récit, l'idée que vous vous faisiez des événements auxquels vous avez assisté personnellement s'est-elle modifiée? Y. C. - Je ne sais pas qui saisit le mieux la vérité, du journaliste ou de l'historien, sans doute les deux visions se complètent-elles, mais je peux vous dire qu'une sor· te de seconde guerre d'Algérie s'est en effet dévoilée au fur et à mesure que je m'informais. Cela est vrai, je crois, pour tous les acteurs du drame. Je suis frappé par le peu de choses que savent les responsables. Mendès France, en novembre 1954, ignore à peu près tout. Plus étrange encore : Massu, au moment de la bataille d'Alger, il n'en aperçoit qu'une part infime. Personne ne connaissait l'ensemble de l'échiquier. Bien sûr, cela est vrai pour tous les grands événements et Stendhal l'a dit de façon définitive. Mais, en Algérie, plus qu'ailleurs peut-être. C'est que les deux formidables organisations qui se défiaient étaient obligées, par la nature du combat, d'accorder une grande liberté d'~ 'lion aux acteurs. Du côté français, c'est éclatant. A Alger, les initiatives latérales les plus insensées étaient prises par des hommes d'un rang très modeste dans la hiérarchie. A un niveau plus élevé, le

détournement de l'aviOn de Ben Bella, le bombardement de Sakhiet le confirment. Et quand Delouvrier arrive à Alger, pas plus que Challe il ne sait vers quel point se dirige de Gaulle. Pendant des mois, il tâtonnera. Partout, donc, des incer· titudes, des silences, des initiatives locales. C'est aussi ce qui ex· plique la difficulté de l'information : dans cette guerre fragmentée, il faut reconstituer d'abord chaque morceau du puzzle pour avoir une idée de l'ensemble. Même après des années, les passions ne sont pas éteintes. Après vos trois premiers livres, comment les deux camps vous ontils lus?

Y. C. - Très sincèrement, Je conserve des amis des deux côtés, aussi bien chez les anciens parachutistes que chez les anciens combattants algériens. En Algérie même, les choses sont moinsclai· res. J'ai fait six voyages, depuis 1966 pour établir ma documentation. Je n'ai pas pu avoir de c0ntacts officiels av~ les dirigeants actuels mais on ne gênait en rien mon travail. • L'année dernière, en septembre, j'y suis retourné. J'y était depuis un mois, au YU de tous, lorsqu'une nuit, la police est venue m'arrêter avec ma femme, dans mon hôtel. J'ai été interrogé quatre heures par les hommes de la Sécurité Militaire. Ils .reprochaient rien aux ouvrages· -déjà publiés. Même, ils m'auraient plutôt félicité mais ils trouvaient qu'il n'était pas bon que les dessous de l'histoire soient connus. La rai· son ? Oh, elle est assez évidente: aucun des noms qui apparaissent dans ces pages, ou 'presque aucun, ne figure parmi les r'esponsables actuels, après l'éviction de Ben Bella. Tous ceux qui ont mené le combat sur le terrain sont morts, en exil ou sur la touche. Les policiers algériens m'ont f~t ,savoir que j'étais non pas • expulsé. mais • refoulé. d'Algérie. Depuis, je suis interdit de séjour.

Propos 'recueillis

par Gilles Lapouge. (1) Editions Fayard. Précédents volumes : Les fils de la Toussaint et Le temps des léopards.


• Un rire grinçant B. Baie, J. Crickillon. blie, à l'avance, dans le désert. 11 pitié qui incline l'idéal à être un J. De Decker, ... est dans le travers, tout à la fois, du peu moins sévère pour le réel; l'iroJulien Gracq duc de Saint-Simon, qui savait, nie procède par subversion, laquelle Bruxelles, Marginales, 80 p. d'entrée de jeu, sa cause perdue, consiste à It filer l'idéal jusqu'à son et de l'Indien qui décoche sa flèche plus extrême détail » jusqu'au poinl Quand il est question de ces tex· alors que trente soldats D.S. poin- précis où éclate son caractère dériLe nom de Julien Gracq n'est pas tes qll 'on appelle « littéraires II tent sur lui leur fusil.' soire; l'humour. lui, s'empare dl' de ceux qui circulent dans les ce sera probablement le cas de Plus l'idéal et (1 se laisse tomber ll, l'enCe qui meurt dans ce comba" conversations du Tout-Paris, intelde quartier pour Paris, ensemble de confus, sous ces convulsions extrê- traînant dans sa chute: il pervertit lectuel; et son œuvre, une dizaine de volumes, est finalement aussi à .« nouvelles ", le troisième, en cinq mes et que Pividal se plaît à laisser en mimant le tracé du sérieux avec l'écart des modes que lui-même. ans. que publie Rafael Pividal incontrôlées, c'est l'idée même de des gestes, mal élevés. on éprouve avant tout le désir de l'harmonieuse composition de la Ce nouveau texte de Rafael PiviLe numéro spécial que la revue savoir à queUe motivation profon. phrase, de l'écrit; c'est aussi la no- dal introduit peut.être quelque chobelge Marginales lui consacre n'est se d'autre, qui ne se situe ni dans de correspond cette écriture. On a tion qu'une leçon politique pourrait pas un recueil d'hommages mais un envie de déterminer dans quelle en être induite. Au vrai, il n'y u les eHets de surface de l'ironie, ni ensemble organisé d'études critiévaluation du « livre », du « livre plus d'ordre littéraire. Maintenant, dans la gravité de l'humour. Disons. ques : aucune anecdote, aucune délittéraire Il, de la « littérature» la littérature c'est n'importe quoi faute de mieux. que s'amorce et se monstration amicale, point de' bios'inscrit cette manifestation. Or, il (et c'est miracle que l'admirable contredit ce qu'on appelle esprit. graphie et point même de bibliofaut le voir d'entrée de jeu, il ne Michel Tournier y soit reconnu). L'esprit n'est ni feinte ni gravité: graphie : Julien Gracq est un auteur trop vivant pour établir déjà s'agit pas, pour Pividal, d'écrire De cette contingence. Rafael Pivi- il est mise en œuvre directe dl' des bilans. Les sept collaborateurs bien ou mal, avec ou sans style, en dal fait le constat. l'impossibilité réelle de tout sérieux. rassemblés par Jacques De Decker mettant ici (ou ailleurs) la virgule Mais assez parlé autour de lui. Lisez « La Police est là ll, « la pose sont volontairement tenus aux qui convient, de recopier formellelice qui se dit lala lala lala ll. ou Ce qu'il dit, c'est la même chosc, seuls livres; eux-mêmes sont d'une ment Malebranche ou Jean Genet, mais autrement conté. Paradoxale· « Pourquoi mange-t-on au restaugénération bien postérieure à celle de faire selon la rhétorique ancien- }Dent, le travers de Saint·Simon et rant ? », ou encore la pseudo.anade Gracq et il est bien probable ne ou selon la nouvelle. Il ne s'agit de l'Indien, c'est Charles Perrault, lyse sociologique de Il L'Ennui Il. et que la plupart ne le connaissent pas pas non plus de sélectionner les Mais, cette fois, il n'v a ni fée ni vous serez saisi de fou rire tant la personnellement. phrases ou les écrits en fonction citrouille : la pantoufle de vair .est réalité, patiemment décrite. paraît d'un quelconque jugement de goût. un godillot et Cendrillon, la bien- impossible. Lisez « Programme II et Chacun des essais de Marginales Le goût, comme le dégoût, est de aimée malaimante, a la pâle sil- vous serez glacé de désespoir et vous s'est tenu à un livre ou un aspect particulier de Julien Gracq : Bern· même nature en cette affaire : le houette d'un mannequin trop paré. rirez encore, mais en- grimaçant. hild Boie et J.L. Leutrat se pen· « mauvais» est toujours près de Le thème de ce mythe, c'est un jeu cette fois, parce que le possible S')' chent sur les romans, et Jacques l' Il exquis II ; il n'en est que d'un de marionnettes où l'auteur figure . donne manifestement comme irCrickillon consacre quelques pages léger déplacement... comme acteur-spectateur; le jeu est réel... excellentes au Beau ténébreux ; Prévenons deux malentendus: la Rafael Pividal est, exactement, sans histoires. quand bien même se Christian Hubin s'arrête à l'œuvre déplacé. Au point que l'on peut se profileraient, entre. les lignes. des critique aura vite fait de réduire ::ritique et Henri Piard examine les Plus de quartier pour Paris à. une demander pourquoi une maison antagonismes: celui. puéril, de l'enaffinités avec Ernst Jünger. Si après ce remarquable ensemble on pou· d'édition le publie (ou, plutôt, fant et de sa mère; celui, enfantin, alternative : produit « contestant ,. vait avancer une menue critique, ce comme il l'indique lui-même, on le du gendarme et du voleur; celui, de la société dite de consommation serait d'avoir négligé l'essai de (lui-même consommé) ou expression comprend trop bien : à une chance adolescent, du sexe et de la femme; (para.délirante) d'une suhjectivit~ Gracq sur André Breton, à ce jour sur dix, la bonne affaire est possi. celui, actuel, du conflit politique; encore, il me semble, le meilleur qùi ble ; au reste, c'est le bon moyen de celui, omnitemporel. des forces de malheureuse. Il n'y a rien de cela ait été consacré à Breton (1). dans le livre : celui·ci est la manise débarrasser, en cas d'insuccès, puissance et des valeurs d'impuis. d'un personnage encomhrant). Au- sance. Le livre est à lire comme on festation de la santé même. d'un On ne pense pas assez souvent teur ? Pividal n'en a pas la hauteur parcourt un damier' (conseil au lec· rire qui ne se dément jamais, de cel que Gracq est aussi l'auteur d'un (ou, pour parler plus strict, la trans· teur : feuilletez avant que de pren- esprit qui se plait' à mystifier (propetit volume de magnifiques poèmes en prose, Liberté grande~ et cendance). S'il est intéressant, ce dre le droit-fil de l'ordre des pages). visoirement) ses amis et à détruire l'on a plaisir à lire les· pages que' n'est pas parce qu'il y aurait en lui La logique qui préside au texte est ses ennemis, qui joue, d!lns une Jacques De Decker lui a consacrées. quelque chose de Joyce et de Kafka; textuellement· absente. Elle fausse candeur, de l'irréelle frontièAu moment où paraît la Pre$qu'Ue, ce n'est pas non plus parce qu'on sollicite non point l'ordre, mais re du normal et du pathologique. ce serai" peut-être l'occasion de ré· pourrait l'inscrire dans la suite ba· l'éventualité de n'importe quel or· qui fait le fou quand il parle du venir à ces proses : on verrait avec roque, mais moins composée, de dre. pourvu que soient respectées plus réel et qui parle, le plus réelle.. le' quart de siècle qui les sépare J .L. Borges. Ce qu'il présente, les règles. ment, de notre commune folie. l'étonnante cohérence de l'œuvre de comme un manœuvrier attelé à cette Il devrait aussi y avoir un prix Gracq, aujourd'hui comme hier, l'un Quelles règles ? Précisément cel· tâche qui ne l'amuse que par mo- '. les du constant déplacement. Il ne pour ce genre d'écriture : celle qui. des écrivains les plus Iibre~, l'un des plus exemplaires aujourd'hui~ menta brefs et dont il n'attend rien, s'agit pas de ces « montages », 'phrase après phrase, fait rire et qui. S. Fauchereau. c'est une suite de récits disparates fort en cours aujourd'hui, qui exi· tout ensemble, terrorise, maniant Il' en apparence, ne véhiculant aucun gent du lecteur qu'il ait assimilé, lieu coinmun comme source indéfi(1) J'y joindrai André Breton a-t-il dit message, sinon celui·ci : en ce do- au préalahle, une grille arbitraire. nie de dérision et de destruction. passe (Lettres Nouvelles, Denoël 1969) Charles Duits, passé comme le soumaine, tout message, toute démonsLe jeu porte sur le contenu. Dans et l'ordre de la pensée comme ex- de ligne Robert Lebel dans «Opus intertration sont et doivent tomber dans national", «étrangement inaperçu-. un raccourci surprenant de perti. pression minable de la folie du déla dérision. A cet égard, Pividal nence, Michel Foucault, dans un sir. Le rire, pas gai, est peut-êtrel~(IIMII·IIN.'i1i)'• • • • • • • • •·• • • • l'acte de ces décalages mêmes. Le donne la réplique formelle du tra· article récent (1), présentant DifféFrançois Caradec désire prendre vail de dé.composition accompli par rence et répétition et la Logique du. nôtre. contact avec toute personne possé·Cioran. Françoîs Châtelet dant de la correspondance, des dOCJJsens de Gilles Deleuze, définit les ments ou témoignages sur RaymonD Comme Cioran, Pividal, tant est procédés du sér~ux, de l'ironie et Roussel. par l'intermédiaire de son épaisse ·Ia crasse qui recouvre au·. de l'humour. Le sérieux a pour (1) Theatrum philosophicum, éditeur, Jean-Jacques Pauvert. 8, rue jourd'hui l'activité littéraire, pu· règle la conversion, c'est·à-dire cette .Critique,., n° 282, pp. 885-908. de Nesle. Paris-S-.

1

Rafael Pividal Pllts de quartier pour Paris Editions du Seuil, 190 p.

La Qldnzalne Uttênlre, du 1er au 15 janvier 1971

l

1S


BI.TOIR.

• .Le vert du pin I.ITTiR'&IR.

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.Jl!CCfUC:S Rouhaud

Mono no aware Gallimard éd., 265 p.

Il Y a d'abord ce qui se suffit; le poème. Un singulier « acord » préservé, sauvé parmi le retrait morcelé des choses en leur silence. Poème : le « fait» rare d'un faire qui com·pose les choses en disposant la scène du monde pour elles; la place faite où toutes les ~encontres sont possibles par un côté de' lune et d'automne ouvert à w~tuelle convenance. ,-Ce qui se suffit, comme le monde, ces « îlots délicieux» dont parle Claudel à propos de dessins japo. nais; (1 fantômes significatifs, tout pénétrés de cette acidité spéciale que la mystique locale appelle lc sentiment du Ah! (en anglais the Ah awareness) (1). l( Le sentiment des choses » (mono no aware) ras· semble en sa formulation équivoque l'étonnement redécouvert devant les 'cQoses et ce que prodiguent leurs présence et contour; mais non pas par 'manœuvre ou c~nfusion : plutôt l'accès re.frayé à l'indistinction pri· mordiale en laquelle se noue lc rapport au présent de l'homme et du monde ~ en aucun sens privilégié. 'On le voit, c'est l'inscription dàns les choses mêmes de la possi. hilité de langage qui est évoquée et "Constitue le thème et la trame du livre de Roubaud - en tant que l'objet qui s'ouvre pour donner à lire. . . (Toutes 'questions étant secondes l'interview qui demande des comptes sur le fonds japonais dé· cliné "ici, par ex., et d'une manière générale sur une « poétique» qui 'Se' déclare ailleurs, à côté; piégeant quelque aveu destiné à « prosaïser » le poème, à surprendre l' « auteur» telle une faute, etc. - c'est·à·dire "inessentielles, ne seron't effleurées qu'ensuite, exposées qu'elles seront alors; et tranchées, au souci déjà bien 'présent du poème). •Comment est·ce qu'il se suffit, le livre 't Mono no aware se rappelle à soi en poèmes dont les' unités sont, pour la plus grande part, des Ûi'nka - courtes pièces de trente et une syllabes distribuées en cinq vers selon le schéma 5-7-5-7-7. Tous entrent dans la ·composition suivant un rythme 'que l'impair gouverne et' qui reprend à son niveau la structure 'penta / heptamétrique du fanka. Des Il Dix Nagauta » qui le commencent à Rouille, solitude qui l'achève, le livre (est le) déploie-

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(ment de) la généralité donnéc comme son thème: le sentiment des choses. Il. s'agit de la parcourir, de lui dévoiler son corps afin de la montrer pour ce qu'elle est - non vaine généralité, mais 'ce qui, en son achèvement de lieu ouvert, laisse inachevé le recensement des choses qui se comparaissent. Achè· vement offert à l'incessante remise à jour dont les Anthologies successi· ves confient l'exemple dans la littérature japonaise et dont rend comp· te la préface au kokinshu (la secon· de des grandes Anthologies, Xe siècle) citée en exergue des Livres de saisons, p. 119. Chaque élan se re· groupe, avancée des vagues, saisons, nuits et jours. D'où le rythme du livre : progression par « stades » (on pourrait presque dire : à la manière dont l'entend l'épistémologie géné. tique de Piaget, i. e. par « intégra. tions »). Observons, pour arrêter un exemple, les Livres de saisons. Trois Il moments » de ce « stade » en conduisent la lecture, respective. ment de cinq, sept, et cinq tanka. Le premier des dix.sept le vert du pin toujours vert quand vient le printemps est vert un peu plus « Le vert du pin II est le référent de ce qui, tout en restant le même, est changé par la mêkhanê persistante des saisons; le Il plus ou moins» renvoie à la saison en fa· veur du ton commun qui marque les trois « Livres II variabilité (signifiée, outre que par le temps, par l'eau, le vent, les nuages, etc.) comparante de celle des sentiments humains le tourbillon de mon amour », 69) (3) ; rapport caché / dévoilé (64-68) ;.comparaison impli. cite (ainsi le bateau de 64, compa· rant nommé·caché) de la saison, qui ne cesse de revenir, et 'de la tradition comparaison induite par l'é~igraphe p. 122 : « ... (le poète) peut offrir sa vie aux fleurs qui tombent, mais pas aux feuilles de l'érable. Négliger ces principes signifie que l'on ne vit pas dans la familia. rité des vieux poètes. » La progression se fait par conti· guïté / ressemblance dans leregis. tre configuratif du tanka précédent; ainsi au second « moment» : ce qui est caché (64) ~ oreiller (65) - blancs nuages / cœur (66) ~ clins de soleil (67) ~ (dans une série décroissante des jaunes jusqu'à l'oubli) éclair / épis / automne / oubli (68) _ absentement / 'eau / tourbillon (69) ~ vagues (70) ; 69

«(

et 70 : cœur ~ amour. Le troisième « moment» {( ra· masse » en quelque sorte les deux premiers qu~il achève en nommant pour finir l'incertitude relancée quant au rapport monde-ego (i. e. au {( sentiment... »). Ce qui change est le même, le vert du pin; progressivement le poème dévoile en redondant sur lui.même, renvoyant la lune à l'au· tomne à la tristesse et réciproque. ment; aller-et-retour du monde el du langage, du poème qui se dé· nude jusqu'à l'os, s'exangue (Blanc pur s'ordonne en cinq moments respectivement de 5-7-5-7-7- tanka, soit réitérant le rythme propre du tanka) en même temps qu'il accueille la possibilité pure de se survivre (la série du Blanc pur s'ouvre précisément sur la question Il il quoi comparer / le monde / .... » p. 41) par cryptages et déguisements (... à la vague blanche derrière / un bateau parti à la rame / dans raIL' be, ibid.) - masques du Nô que charge le lent ressac de son énigme. Or, la concrétion de l'énigme : le monde et le langage sont au plus près par le poème; s'est primordia. lement donné l'espace d'habitation du monde, i. e. le dévoilement de l'habitable·même comme possibilité d'y séjourner, d'y inventer l'habitude (ainsi la répétition jamais lassante des mêmes comparants, la vague, la fleur, le bateau. etc.), modulation du corps au travail, à l'intimité du couple mœurs et coutumes, rituels et fêtes. Ce qui se passait déjà dès E le suintement insistant du Drame entre le cri parfois dilué et le rai· dissement dans la structure du jeu - a de nouveau cours, mais surmonté dans le présent livre plus encore; l'asthme du poème dans l'irrespirable ayant inscrit en vols d'éphémère ses jets douloureux par le poumon blessé, peut accomplir aujourd'hui plus au calme (celui de la grande maîtrise) la synérèse de l'air et du sang. Le parcours patient de Roubaud, est de reconnaître l'en· droit où s'espacent les choses, où leur souffle discret laisse encore entendre un appel. Alain H uraut (1) Pqul Claudel, Dodoïtzu, préface (in Œuvre Poétique, Pléiade, p.

756).

.'

Jacques Roubaud,' Quelques thèses sur la poétique (1), in « Change ", n° 6, éd. du Seuil, 3' trim. 1970. (3) Ces chiffres renvoient à là numérotation des textes dans le livre. (2)

Nous sommes en l'an-' née 1696 : cc ••• Mme de Sévigné, si aimable et de si excellente compagnie, mourut quelque temps après à Grignan chez sa fille, qui était son idole et qui le méritait médiocrement n. Ce verdict de Saint-Simon est resté longtemps celui de la postérité, éblouie, jusqu'à l'aveuglement peutêtre, par les charmes convenus et rassurants de la tendresse maternelle. La critique moderne, en y regardant de plus près. dérange ce confort moral; et enrichit de résonances insolites les interlignes des Lettres. Roger Duchêne Madame de Sévigné et la lettre d'amour Bordas éd., 418 p.

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C'est encore Saint·Simon qui affirme de Bussy.Rabutin qu'il était connu surtout ,« par la vanité de son esprit et la bassesse de son cœur, quoique très brave à la guerre ». 11 y avait entre les deux hommes une disl~onvenance essentielle. Et puis Bussy avait ceci de commun avec notre Léautaud : la malignité suf· fisait, pour lui, à faire preuve du vrai. Ce séducteur ne pardonnait pas à la marquise sa cousine d'avoir ri de ses avances; il se vengea dans son Histoire amoureuse des Gardes. ~'empêche que le portrait qu'on y trouve d'elle, piquant, méchant, indiseret, est peut-être, .en fin de compte, ressemblant. « Elle est d'un tempérament froid, au moins si on en croit teu son mari... Je crois que son mari S'etil tiré d'affaire devant les hom.mes, mais je le tiens cocu devant Dieu. » Fidèle à la foi conjugale, mais par insensibilité et non pas par vertu. Et peu .attachée à un époux qui eut la délicatesse de s~ faire tuel' en duel après six ou sept ans de mariage, lui rendant, le jour même où elle accomplissait sa vingt.cinquième année, la liberté. DQnt. elle s'enivra gaiement et follement. ,( Il y en a qui. disent que pour une femme de qualité,


Madame de Sévigné et sa fille par Samuel S. de Sacy son caractère est un peu trop badin », note encore Bussy, qu'appuient aujourd'hui les historiens. Elle allait trop loin; on le lui fit sentir, avec des mines pincées. Il y eut même des scandales mondains; sans pourtant qu'on lui attribuât jamais de vraies liaisons, malgré ses imprudences parfois provocantes. Son plaisir était d'aguicher les hommes, puis de se refuser ; nous ne pouvons nous défendre d'y soupçonner quelque égarement : comme si elle avait eu besoin d'étourdir en elle une insatisfaction profonde. Une veuve joyeuse; et deux enfants, Françoise-Marguerite et Charles, nés en 1646 et 1648, comme elle avait vingt et vingt-deux ans.· Laissons Charles, qui n'encombra guère son esprit ni son cœur (Ninon de Lenclos, qui eut des bontés pour lui, le jugeait peu viril). Quant à Françoise-Marguerite, destinée à illustrer tant d'homélies, elle commence par nous présenter les visages moins édifiants de la mésentente, de la révolte et de la rancune. Son enfance a été celle des enfants de l'époque, à qui leurs parents s'intéressaient peu. A dix-sept ans elle débute dans le monde. Sa mère approche de la quarantaine; c'est alors l'âge où une femme doit préparer sa retraite, et commencer à céder la place. Mme de Sévigné n'y songe point. Plus brillante, plus sémillante, plus turbulente que jamais. Elle ne cherche pas délibérément à éclipser sa fille, non; mais le fait est que les louanges qu'on prodigue à la fille n'ont d'autre objet que de rénover le style des flatteries adressées à la mère. La fille n'entre en compte que comme ornement ou parure de la vedette; . que comme rehaut de la coquetterie. Et puis il court trop d'histoires sur cette mère débordante. La fille se dépite, se replie, se bute... Ce qu'il advint d'elle à ce moment demeure confus. Il se peut qu'elle ait demandé sa revanche à une contre-dissipation. On lui prête des aventures où elle n'aurait pas imité les dérobades maternelles. Un complot se serait formé, sans succès d'ailleurs, pour l'offrir comme maîtresse à Louis XIV; s'agissant du roi, dans cette société étrangement sauvage, le proxénétisme honorait. Bref, elle finit en 1669 par épouser le comte d", Grignan, qui fut bientôt nommé lieutenant géneral en Provence, et qui s'empressa de communiquer la vérole à sa jeune femme, dont la santé tient tant

Madame de Sévigné

et sa fille

de place dans la correspondance de laire fut le grand critique du siècle la marquise. dernier, Proust l'est du nôtre). Sa Désormais affranchie, donc assa- thèse de doctorat - la première, gie, et attachée à son mari, elle se singulièrement, qu'on ait jamais fit une idée fort digne de ce qu'elle soutenue sur Mme de Sévigné devait à son intérieur, à son .rang, déborde d'ailleurs largement le suaux fonctions du lieutenant géné- jet auquel, faute de place, je semble ral. Toutes choses dont Mme de Sé- ici la restreindre: c'est un foisonvigné, curieusement, se souciait si nement où le lecteur risque de se peu qu'elle pressait inlassablement trouver désorienté tant que n'auFrançoise-Marguerite de venir re- ront pas paru les autres éléments prendre auprès d'elle sa plac", an- du vaste ensemble de travaux qu'on cienne. Elle ne visait .pourtant pas nous promet. Tenous-nous-en au à détruire le·' ménage (nulle trace sous-titre «... et la lettre n'apparaît chez elle de ce genre de d'amour ». jalousie) ; simplement, mais mous-' L'apparence un peu raccrocheuse trueusement si vous voulez, elle en s'explique: l'auteur entend analyoubliait les lois. Mme de Grignan ser non pas un exemple de l'amour dut un jour les lui rappeler avec maternel, mais un cas particulier fermeté : « Ne viendra-t-il pas une d'hypertrophie, pour né pas dire année où je puisse voir mon mari d'aberration. Il se garde pourtant sans quitter ma mère? En vérité, des excès risibles que nous avons je le souhaiterais fort; mais quand connus :. que n'a-t-on pas dit des il faut choisir, je ne balance pas à baisers de la mère sur la belle gorge. suivre mon très cher comte... » de la fille! Il se plaît néanmoins à reprendre maintes expressions de la marquise pour les rapprocher des Les choses Lettres de la Reli~use portugais'arrangent se; et, en somme, à confondre déliLes choses s'arrangèrent enfin. bérément le passionné et le passionOn ne sait trop comment. Toutes nel. Un peu trop, peut-être. Il arrive seules, semble-t-il, et peu à peu ; le que le lecteur 'se rebiffe. A tort, sans doute. Car enfin, un poids de l'âge et de l'existence calme les femmes énervées. Peut-être ai- certain dérèglement du langage deje grossi les traits de ce petit drame vrait·il nous surprendre de la part de l'intimité. Proportionnellement d'une femme gravement humiliée il ne tient pas tant de place dans à l'âge des amours par son inapti. la thèse de M. Roger Duchêne; tude, portée à transférer une affec· . mais il en est, en quelque sorte, tivité vacante, blessée par la reven· la condition, puisqu'elle démolit le . dication d'une fille en qui, naîve, manichéisme de notre imagerie elle n'avait vu qu'un moyen de ra· coutumière, toute perfection d'un' .viv:er sa propre gloire menacée du côté, et, de l'autre, tous les torts déclin, bafouée enfin dans son af· de l'ingratitude et de ·la sécheresse. fection épurée trop tard? Voilà M. Roger Duchêne démêle ces assez de causes et même de r8Ïsons ressorts embrouillés avec. beaucoup pour une démesure. d'érudition, et aussi avec une paA moins que nous n'allions comtience toute proustienne. Car pliquer à plaisir des choses simples. . Proust est son animateur et son ins- Dans la tendresse d'une mère pour tituteur, comme il l'avait été au· sa fille il entre beaucoup de compliparavant de M. Antoine Adam ou cité féminine; et donc d'un très de M. Jean Cordelier. (Si Baude- libre abandon. En réalité nous con·

La Qodu"'ne Uttâ'alre, du 1er au 15 janvier 1971

L'Hôtel Carnavalet, demeure parisienne de Mme de Sévigné

naissons fort mal Mme de Sévigné. Nous jugeons d'elle non pas par les lettres qu'elle a écrites, mais par celles qui nous sont parvenues. Ce qui fausse tout; ou du moins dolUle à notre sentiment un caractère par· faitement aléatoire. L'édition de la Pléiade, la meil· leure jusqu'à nouvel ordre; réunit dans ses trois tomes 1 155 lettres. Dont 809, soit presque les trois quarts, sont adressées à Mme de Grignan et à son proche entourage. Mettons encore à part 138 lettres à Bussy-Rabutin ; ce sont des « rabutinades» : M. Roger Duchêne insiste avec une très fine pertinence sur la manière qu'ont les destina· taires d'infléchir le style d'une correspondance. Il ne reste que 208 pièces pour couvrir un demi-siècle d'une activité épistolaire exercée avec .prédilection. Chiffre .év:l, demment absurde; d'autant plus que nous savons avec certitude qu'il y eut nombre de lettres à Mmè de La Fayette ou au cardinal de Retz, et qu'elles sont perdues: selon toute apparence elles nous auraient beaucoup appris; disparition sans remède. Il nous est impossible de situer les lettres à Mme de Grignan dans une perspective qui ait quelque chance de se trouver juste. Reste l'hypothèse, qui ne manque pas de vraisemblance, que cel· les-ci aient traduit la vérité la plus aiguë de Mme de Sévigné... Ah, que d'incertitudes! Mais n'est-ce pas leur mérite, qu.e de réanimer le portrait trop solennel d'une aïeule qui fut jeune, et qui fut troublée ? Samuel S. de Sacy

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ARTS

de l'exposition de TSARAS chez Suzanne de Coninck, rue de Beaune. ILSE VOIGT expose au Foyer du théâtre des Champs-Elysées, ses œuvres • ·Images de la Danse ., dans le cadre des ·Ballets <Je l'Opéra de Paris (21 décembre au 20 janvier 1971).

INFORMATIONS

Le Soleil dans la Tête 10, rue de Vaugirard Tél. : 033-80-91 LANGE NICKEL 21 décembre-15 janvier

Invitée par le Ministère de l'Instruction publique du Danemark, Joséphine Flglioli a organisé une exposition de 45 œuvres à Copenhague.

XXe SIECLE SONIA DELAUNAY peintures, gouaches, dessins, gravures jusqu'au 9 janvier 1971 14, rue des Canettes, Vie GALERIE DES PEINTRES GRAVEURS 159 bis, bd Montparnasse Tél. : 326-62-29 JEAN FRELAUT 1879-1954 aquarelles et gravures originales jusqu'au 16 janvier 1971 MAD-JAROVA dont c'est la première grande exposition parisienne à la Galerie Henquez - Saint - Joigny, bénéficie d'une renommée acquise tant en Bulgarie (24 expositions) qu'en Amérique et, depuis peu, en France. Outre les gravures rècentes, ce sont les gouaches de 1960 à 1969 qui composent la partie la plus intéressante

+ DE

L'. Académie Européenne des Arts-, dans le cadre habituel du Ménestrel, 29, rue de Marignan, présente jusqu'au 31 décembre sa nouvelle exposition avec les Œuvres de François Pinardon sous le thème: • l'Europe et l'Afrique Noire -. Pierre G. LANGLOIS. Natures mortes, foules, mais surtout paysages, offrent, à l'artiste, l'occasion d'user d'une palette à la fois subtile et forte, saisie dans un dessin ferme, d'un cubisme que n'assèche jamais le souci d'architecturer l'espace. (Galerie Vendôme.) Variété dans un groupe où se distin.guent les aquarelles de GLEIZES. BOBIN, les œuvres de MATSAKIS, d'un charme simple, de J. MONIER, scrupuleuses. AVO-VI:ZY s'attache à des compositions florales et Terence J. JERVIS nous propose un auto-portralt. (Galerie .Aor Volmar.) L1CA DAHAN. fortement empâtée dans une couleur sensuelle, la composition relève d'une abstraction simplifiée. Quelques notations en noir et blanc s'ont plus vigoureuses, nerveuses, et distillent une belle lumière. (Galerie Josie Peron.)

(Communiqué)

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Couverture d', «Esquisse., par Andy Warhol

JORN On a trop longtemps confondu expressionnisme et violence. La couleur jetée sur la toile n'est pas nécessairement crue. Et le jet peut avoir de subtils détours. Ainsi chez Jorn (galerie Jeanne Bucher) il ne faudra pas voir que l'Intensité. Il y a, dans les toiles récentes, des raffinements, des tendresses, des insistances qui élargissent considérablement la portée d'une œuvre qui perpétue cependllnt l'alacrité tenue, dans le groupe • Cobra -, comme condition essentielle pour ne pas choir dans l'académisme.

LE PARC C'est très précisément ce qui ressort d'une œuvre pourtant totalement différente par 'le style : celle de Le Parc (Galerie Denise René) elle aussi sauvée du formalisme des géométries réduites à l'essentiel par quelque chose de vif dans la couleur, une strideflce qui évoque curieusement, pour autant qu'on veuille bien admettre ce genre de comparaisons, le jeu très clair, • élevé -, du trombone de jazz J.J. Jonhson. Quelque chose de • 'filé -, disons, dans le chromatisme; que nous importe que celui-ci soit le produit mécanique de quelques combinaisons préalables. Le résultat, c'est-àdire le choix, a la valeur d'un style. Celui-ci a une force réelle, une vigueur attachante, un vibrato très prenant.

DOUCET Et pour continuer à jouer sur ces rapprochements si éclairants entre mu· slque et. peinture nous dirons que l'œuvre de Jacques Doucet (galerie Dina Vierny) procède, de même que celle de Roland Kirk, d'un • baroquisme du déchet - qui a parfois des accents de tendresse, parfois des agressivités nécessaires pour ne pas choir dans la joliesse, surtout quand on est aussi doué que Doucet, manieur de miettes, enchanteur de la poubelle. Il vous ferait, d'un Arman, un Bonnard! Ce qui n'est pas sans danger. Enfermés dans la matière plastique (en hibernation peut-être) les trésors d'une poche percée et rêveuse sont là, agen-

cés en petits tableaux d'une grâce et d'une beauté mélancolique qui vont attirer à l'artiste les foudres des théoriciens esthétiques actuels, surtout préoccupés d'éthique.

Andy WARHOL Les Saint-Just de la critique auront plus d'indulgence pour Warhol (à l'arc). Sa démarche a d'ailleurs très largement satisfait à leurs exigences de puritains du regard. Les systèmes de répétition, (l'accent est souvent mis sur cet aspect dans l'exposition actuelle) . va jusqu'à la destruction de l'image. L'ayant. banalisé - l'artiste la rend' à l'environnement: 'motif de papier peint. les grands thèmes de Warhol y sont recensés.' L'artiste a élevé un monument artistique à la stupidité publicitaire, à la falsification des mythes. Il y a, assurément, chez lui, un moraliste. Aujourd'hui d'ailleurs plutôt tourné vers le cinématographe qu'il traite non comme un art mais comme un simple instrument d'enregistrement.

KRUCZEK et FASSIANOS Conteurs, chacun à leur manière, Maria Kruczek (galerie Lambert) et Fas· sianos (galerie Facchetti) sont sur· tout des inventeurs qui métamorphosent la réalité. le premier dans des assemblages en relief, d'une bizarre· rie souvent goguenarde, le second en faisant courir un dessin narquois, svelte, pour parler de promenades à bicy· lette et de femmes comme en rêvent les adolescents. L'un et l'autre ne craignent pas la naïveté, la boursouflure, le « mauvais goût -. Mais c'est enlevé, prenant, d'une saveur incomparable.

FRIEDLANDER Faut-il parler de saveur, à propos de Friedlander (galerie la Hune) parce qu'il sait jouer avec de belles matières, faire chanter les lignes qui s'enlacent et se croisent, et fertilisent l'espace de leur croissance de végétaux monumentaux. Il y a là plus que du savoir : une effusion graphique qUI enchante.

Jeen-.Jacques Lévique


maIn 1 1

Jacques Prévert

leur!! de la sécurité et de la fixité de l'emploi (chaquè chose à sa place et chaque homme à ses pièces), les inspecteurs spécialisés de la spécia. lité y perdent leur temps. On sait que le célèbre peintre Victor Hugo a écrit également d'assez beaux poèmes. Que - le poète Paul Klee a peint des aquarelles, des gouaches et des huiles. Que Pablo Picasso est inscrit à la société des auteurs dramatiques. Que Jean Arp avait un joli brin de plume à son ciseau à froid. Le gardien de square siffle parce qu'il a aperçu quelqu'un qui marchait sur les pelouses. C'était I.ewis Carroll qui illustrait lui-même Alf,ce au Pays des Merveilles, Baudelaire qui dessinait très bien dans les marges de ses vers. C'était Henri Michaux qui dessinait pendant que le pion tournait le dos. On a surpris l'élève Berlioz à écrire de la prose, on a pris Charles d'Orléans en flagrant délit de composer de la musique, Degas en train d'écrire des alexandrins en cachette. Le maître d'école tape avec sa règle sur le pupitre : si tout le monde se mêle de tout, où allonsnous? Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées.

Imaginaires Skira éd., 109 p. Max Ernst

Ecritures Gallimard éd., 448 p.

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1NTROOl'CTION

Cette année-là, les pensionnaires de la Centrale s'emparèrent des geôliers, les mirent hors d'état d'exercer leur haute surveillance, les libérèrent de la prison qui consiste à être gardien de prison, leurs dérobèrent leurs clefs, ouvrirent les cachots et laissèrent toutes portes battantes, prirent la clef du greffe, celle de l'administration centrale, la clef des champs en prime et la clef des chants en sautoir. Plus personne ne s'y reconnaissait, c'est-à-dire que tout le monde avait repris connaissance : les vases communiquaient, l'écriture était automatique, quand on pensait la parole, la parole vous pensait. C'était le temps des grands sommeils, c'està·dire du grand réveil. Il n'y avait plus de tiroirs fermés, seulement des cœurs ouverts, et plus de spécialistes, seulement des généralistes. De cette saison en feu de la Grande Mutinerie, qui n'était d'ailleurs qu'un début, continuons le combat, il y a de beaux restes, qui constituent de superbes commencements. Les créateurs, ces artistes en chambre, ont une fâcheuse tendance à travailler aux pièces, mais aux piè. ces détachées, à cette chaîne qui enchaÎnc parce qu'elle segmente, et spécialise, parce qu'elle coupe en morceaux le moi comme Tropmann découpait ses victimes en tronçons dans une malle. :Mais cette année, les vagues sans relâche de la Grande Mutinerie laissent sur notre visage des signes merveilleux de noncloisonnement : Max Ernst l'écrivain, Jacques Prévert le peintre. Comme Ecritures, les poèmes de Max Ersnt, sont accompagnés d'images dont il est aussi l'auteur (Que faites-vous dans la vie? J'imagine - C'est une image? Non, j'imagine par écrits et j'écris en images) et que les images de Prévert sont aussi des collages auprès desquelles il colle des paroles, les catalogueurs de Manuels autoritaires ne savent plus à quel homme se vouer. Mais enfin, Monsieur, êtes-vous un artiste plastique ou un auteur graphique ? Etes-vous pein. tre ou écrivain ? Le poète - dessi· nateur - artiste - peintre - écrivain répond qu'~ est poète, et donc

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que tout le touche, et que par conséquent il touche à tout. Mais la règle du jeu officielle c'est qu'on ne joue pas pour jouer, qu'il faut savoir ce qu'on veut, ce qu'on fait, ce qu'on est. Qu'il faut avoir une fiche d'identité, une seule, et que si Monsieur Ingres jouait aussi du violon, on peut à la rigueur lui passer ce passe-temps mais ne pas l'autoriser à en faire sa profession, et à se définir trop vaguement comme un violoneux à pinceau ou un peintre à musique.

Des peintres plutôt doués On sait que les enfants de sept ans sont également, en général des peintres plutôt doués. «L'enfant, disait Freud, est un pervers poly. morphe ». Cette forme de perversité qui consiste à dessiner et chan· ter, peindre et sculpter, jouer des musiques et jouer des mots, est

La Qnlnglne Uttâ'alre, du Jer au 15 janvier 1971

Lit-/+

aussi une perversité polymo~e. Il est arrivé, plus fréquemment que ne le souhaiteraient les catalogueurs, que des pervers polymorphes ayant atteint l'âge dit adulte se refusent à se laisser coincer dans les placards à ranger les esprits. La Renaissance est peuplée de bonshommes qui dérangent les rangeurs parce que ce sont des hommes qui ne se sont jamais laissé ranger, hommes-or· chestre qui ne consentirent pas de mettre tous leurs yeux dans le même panier. Ainsi ce Vinci, voleur de sourires comme le chat de Cheshire, peintre, mathématicien, physicien, poète, philosophe; et Michel-Ange, sonnets en quatorZe vers, fresques en quatorze mois et toujours le diable à quatre. Mais la fameuse Renaissance n'arrête pas de renaître: William Blake passe entre tous les contrôles d'identité. Poète? Graveur? Voyant qui donne à voir ? Prophète qui fait entendrè l'avenir dans un coquillage? Les contrô-

Une chose à la fois? L'ennui c'est que garder les vaches n'est sûrement pas une vie, ni pour les vaches, ni pour les bergers. La preuve c'est que depuis Théocrite et Virgile, les vaches ne son· gent évidemment qu'à regarder passer les trains, trains de nuages ou trains de trains et les bergers qu'à jouer de la flûte. On nous apprend à l'école qu'il ne faut faire qu'une chose à la fois. Mais il n'y a que les morts qui ne font qu'une chose à la fois, et encore, les mythologies ont-elles des doutes là·dessus. Max Ernst s'est bien gardé de jamais faire une seule chose à la fois, et il perd la parole comme il perd ses ciseaux, son crayon ou ses pinceaux : pour ne pas se laisser prendre au piège de ne chasser qu'un lièvre le lièvre s'ennuierait et lui aussi. Jacques Prévert compose des collages comme ça lui chante, et il chante comme il découpe : en pensant des images et des phrases toutes faites et en les déplaçant si sournoisement qu'elles sont gaiement refaites - c'est-à-dire faites à neuf. L'erreur de ceux qui froncent le sourcil devant les incorrigibles, in· classables, les polyvalents, les poly-

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~ Claude Roy

poètes, les polymorphes des formes, ce n'est pas Seulement de s'imaginer que ce qu'on appelle les <l activités créatrices » ne sont pas un jeu (alors qu'elles sOnt justement le jeu de vivre dans sa forme en plus vive). Ce n'est pas seulement de confondre la rigueur du dessein avec les œillères du cheval de labour. C'est surtout de croire que « l'artiste» c'est quelqu'un qui a « quelque chose à dire» de la même manière que l'employé du télégraphe a un message à faire passer. La fameuse question: « Qu'avez-vous voulu exprimer ? » est la plupart du temps conçue par ceux qui la posent ou se la posent comme si « l'œuvre d'art» était la traduction en modèle réduit et « stylisé» d'un modèle extérieur à l'artiste, d'un segment de sa biogaphie ou d'un fragment de « monde extérieur ». Il y aurait dans ce cas, pour chaque « créateur» une solution, et une seule, à ce passage de l'image à l'imaginaire, du « signifiant » au signe. Mais ce que la dispersion de Max Ernst ou de Prévert nous rappel. le, comme avant eux celle de Hugo peintre - et - poète, et de tous les artistes qui avaient plus d'une flèche dans leur sac et plus d'un tour dans leur tour de main, c'est que, quel que soit le medium un homme qui joue aux jeux de l'imaginaire n'est jamais que le medium de lui-même. Ce que nous exprimons, poètes de sept ans ou de soixante-dix-sept, c'est d'abord la nécessité d'exprimer. Un poème de Max Ernst dit la même chose qu'un de ses collages, qu'un tableau ou qu'une gravure de lui. Un collage de Prévert dit la même chose qu'une chanson ou qu'un sketch de Prévert. Si vous rencontrez un poète, un ébéniste, un peintre, un ingénieur ou un horticulteur qui est en train de se promener, ne dites pas : «Voilà un promeneur qui a aussi beaucoup de talent », Dites plutôt : «Voici un talent qui a beaucoup de promenade ». Car personne n'est doué: il est seulement donné à quelques-uns, étant donné l'état actuel de la « ci· vilisation », d'avoir la possibilité de donner. Mais celui qui a la grâce de pouvoir donner, et dont on dit à tort qu'il a des dons, ce n'est pas d'une seule main, même à plume, qu'il aimera donner. Mais de toutes les mains, et sous toutes les formes. Il y a plus de choses entre le cœur et la tête que dans toute ton esthétique, Horatio. Claude Roy

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• Civilisations anciennes Les Trésors de l'Iran

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Texte de A. Mazahéri 120 ill. dont 87 pl. en couleurs Skira éd., 300 p., 175 F.

Le mot Iran est posé comme un discret couvercle sur un contenu aux profondeurs insondables. Une plongée à travers les siècles nous laisse vite égaré dans la géographie instable de ce passé fabuleux où nous chercherions vainement à discerner des frontières. Les traces des invasions macédonienne, arabe, turque, mongole, se superposent comme des alluvions infiltrées dans la terre et qui l'ont différemment fertilisée. Ces traces sont relativement modernes, car on peut appeler moderne ce qui commence au quatrième siècle avant notre ère dans un pays dont les racines plongent au cœur de civilisations apparues il y a six millénaires. Mais, si dans les brumes lointaines de l'histoire, se dessine, simplifiée mais encore saisissable, l'image des Mèdes et des Perses, des Scytes et des Par~es, nous ne savons pas toujours s'il s'agit d'une peuplade ou d'une dynastie, d'une tribu ou d'une secte, lorsqu'il est question, dans le bel ouvrage de M. Mazahéri, les Trésors de l'Iran, des Afshars et des Qadjars, des Arsacides et des Séfévides, des Kouchâns et des Carrhes, des Oghouz et Seldjouk, des Ossètes et des Abkhazes. Et lorsque nous commençons à nous orienter sur ce haut plateau oriental, nous nous sentons pris dans les sables mouvants de la grammaire en apprenant que le mot 1rak est l'ancien singulier du pluriel Iran. C'est alors qu'on se demande, après tout cela, si l'on peut vrainlent être Persan. Qu'il me soit donc permis de reprocher à l'auteur de ne pas aider suffisamment le lecteur occidental à y voir clair dans la forêt généalogique de ces populations et à établir un rapport entre elles et ce qui, par-dessus tout, nous intéresse, leur archéologie. Cela dit, ces conjonctures et cet écart des quelques civilisations qui ont toujours été les domaines privilégiés de l'histoire de l'art, donnent à l'étude archéologique de ces régions un intérêt d'autant plus grand qu'elles ont été longtemps négligées. A la fin du siècle dernier, Marcel Dieulafoy, qui venait de passer

Jeune femme, céramique 1500 av. J.oC. cinq années en Perse, avait éveillé un vif intérêt avec sa thèse sur l'influence de l'art des Sassanides sur l'art français du Moyen Age. M. Mazahéri reprend aujourd'hui cette thèse à son compte et montre aussi l'apport- des Sassanides à l'Extrême-Orient. Nous aurions aimé qu'il donnât plus de précision sur ce qu'il appelle le « g0thique iranien prémongol». Mais dans ce va-et-vient continuel d'influences esthétiques" et aussi religieuses (dont on trouve un signe

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L'art dans le monde»

(Albin Michel) .Civilisations anciennes du bassin méditerranéen nous conduit en lectio)J qui par l'éventail des sujets traités et le sérieux de ses informations prend de plus en plus rang d'une véritable encyclopédie. Civilisation ancienne du bassin méditerranéen nous conduit en Sardaigne, en Corse, aux Baléares, sans oublier les Ibères. Ces civilisations marginales qui se sont développées au III" millénaire avant notre ère 'sont d'habitude négligées dans les histoires de l'art. Le nuraghe de Sardaigne, les mégalithes corses commencent à être connus grâce au tourisme et les auteurs nous permettent de suivre l'évolution de ces arts. Des fouilles récentes à Majorque ont permis la découverte de Ses Paisses, de constructions qui révè-

inattendu dans le fait que le Bouddha du Grand Véhicule est coiffé avec le triple chignon des princes arsacides), dans cette islamisation de l'I ran et cette iranisation des Arabes, puis des Turcs, quelques points de fixation nous valent, d'une part, la construction de monuments d'une austérité féodale grandiose, comme la forteresse en brique crue de Tchakansourak, en Afghanistan, et, d'autre part, la création d'objets dont les plus connus de nous, depuis les découvertes faites en 1928 dans les régions montagneuses du sud-ouest de la mer Caspienne, sont les bronzes du Louristan. D'autres œuvres représentent quelques points culminants dans ce mélange de civilisation où un certain côté barbare (héritage des Scytes) se joint aux raffinements ornementaux qui ont sans doute donné au monde arabe l'esthétique de l'arabesque (héritage des Achéménides). Dans le très beau choix de documents que nous offre le livre, un exemple de ces raffinements nous frappe par l'usage qui a été fait au XII" siècle du graphisme de l'écriture: le minaret ghoride de Djam dont la tour, sur toute sa hauteur, présente, incisés dans la brique, les 97 versets du XIX" chapitre du Coran. Jean Selz

lent une civilisation plus vaste. Dans L'Orient hellénisé, Daniel Schlumberger nous conduit vers des civilisations mieux connues. Dans une remarquable synthèse, il étudie l'évolution de l'art parthe, en définit les contours pour examiner en particulier deux hauts-lieux : Palmyre et DouraEuropos. L'art de ces deux villes « caravanières» a réservé aux spécialistes, mais aussi aux amateurs d'art des découvertes sensationnelles (les fresques figuratives de la synagogue à Doura-Europos). L'étude de M. Schlumberger constitue une remarquable mise au 'point sur ces civilisations à la fois connues et mystérieuses. G. Lilliu et H. Schubart : Civilisations anciennes du bassin méditerranéen (Albin Michel). Daniel Schlumberger : L'Orient hellénisé (Albin Michel). G.S.


HISTOIRE

Les " partageux Tadeusz Manteuffel Naissance d'une hérésie : les udeples de la pauvreté voloillaire au Moyen Age Mouton éd., 116 p.

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Jca n Meslier Œllvres - Tome 1 Anthropos éd., 542 p. Maurice Dommanget SlIr Bubeu{ et la conjuration des tigaux Maspero éd., 392 p.

Il existe beaucoup d'histoires de la richesse. Il n'y a pas d'histoire de la pauvreté. Les hommes démunis n'entrent dans le champ de la connaissance que comme les desservants ou les victimes de ceux dont les biens prospèrent sur les privations d'autrui. Les sociétés antiques nourrissaient déjà cette mythologie toujours vivante au plus lointain de l'inconscient collectif : l'esclave, le pauvre parfait, puisqu'il n'a 'pas le droit de rien posséder, n'a pas le statut d'homme; il est ou exclu ou maudit. , Dès les débuts du Christianisme. les incertitudes du message évangé. lique, non sur les limites mais sur la nature même de la propriété individuelle, vont servir de refuge à des interprétations contradictoires. Toutes révèlent la difficulté de construire cette communauté des Enfants de Dieu où il n'est nul bien qui n'appartienne à tous. Le débat renaît avec une acuité singulière dans la chrétienté du XI" siècle, au moment où les terres occidentales émergent d'une longue anarchie et, dans une grande ferveur créatrice tentent, en organisant comme l'avaient fait les grands empires, les contraintes économiques, de donner un élan nouveau à la civilisation. L'Eglise est au cœur de ce mouve· ment: liée aux riches, elle a sa part de richesse et elle est contrainte de donner un fondement théologique à l'inégalité des conditions sociales et à l'appropriation individuelle des biens. C'est contre cette perversion de la parole christique que se manifestent, 'au moment où surgissent les premiers sanctuaires romans, les adeptes de la pauvreté volontaire dont le grand historicn polonais

récemment disparu, Tadeusz Manteuffel raconte les longues tri· bulations dans Naissance d'une hérésie. L'aventure commence avec les croisades : sur les routes de l'Orient, et précisément parce qu'ils ont tout abandonné, souvent sans espoir de retour, les vagabonds de la Terre Sainte ne se sentent plus liés à une organisation cléricale qui s'est glissée, presque subrepticement, dans les vêtements insolents de la richesse. En ses débuts, cette protestation au nom de l'innocence originelle apparaît comme une simple volonté de réforme contre les abus les plus criants d'une Eglise détournée de sa vocation. Mais cette protestation est si forte qu'elle va donner son visage à l'immense épanouissement monastique du XI" siècle finissant et du XII" siècle : cisterciens et pré. montés en témoignent, qui inspirent tout un évangélisme nomade où la pauvreté se trouve sacralisée. Mais ce qui était d'abord retour du Christ originel est bientôt remise en cause de toute l'architecture sociale. Les prophètes du dénuement., patarins, vaudois et en certaines contrées cathares sont une offense à l'ordre fragile de la cit~. Les voici peu à peu refoulés vers une avantgarde rouge bientôt transformée en hérésie. Condamnée, ce qui n'était que ten· dance se radicalise et se transforme en doctrine messianique. Mais cette monnaie de l'absolu, dont saint François tente de faire un soleil quotidien, si elle est rêve pour les mystiques, les marginaux ou les exaltés sans foi ni loi, sans feu ni lieu, est cauchemar pour la société dominante. Parodiant Platon, Rome soutient que nul n'est pauvre volontairement, car le dénuement comme l'opulence sont des dons de Dieu, et nul ne saurait, sans orgueil et sans mépris pour la, communauté, faire de sa pauvreté un privilège. Pour nombre de ces hérétiques, begards ou spirituels franciscains, la pauvreté n'était pas le refus du travail manuel et ne supposait pas le recours à la mendicité. Elle expri. mait surtout un besoin d'égalité so· ciale et de solidarité qui, à travers les idéologies des lollards, des hus· sites, de Münzer et des anabaptistes, va errer dans le psychisme occiden· tal jusqu'à l'âge classique. Mais peu à peu tout l'arrière·fond théologique de la pauvreté se délite : elle apparaît dans sa pleine lumière, et comme le fruit amer, privé de toute signification. d'un ordre donl l'op-

La QuInzaIne Uttéraire, du 1er au 15 janvier 1971

pression est le soubassemnt, avec le curé Meslier. A cet étrange desservant d'une paroisse des Ardennes qui, quarante-cinq ans durant, baptisa, maria et enterra {( les paysans, ses chers amis » dans son église et laissa après sa mort un extraordinaire document intitulé {( Mémoire des pensées et sentiments de J.M. » Maurice Dom· manget consacra voici quelques années une bouleversante biographie, à la mesure à la fois de l'humilité et de l'audace du petit prêtre d'Etrépigny. (1) Voici qu'aujourd'hui, par les soins de Roland Desné, paraissent les œuvres complètes de Jean Meslier. Babeuf Soulignons tout de suite que, sur biblique ou évangélique, Jean Mesle plan scientifique, cette publicalier tire les fils les uns après les tion est un événement. Pour la preautres pour en faire de la charpie, mière fois le lecteur français va patiemment, ne laissant dans l'ompouvoir entrer dans l'œuvre de bre aucun récit de l'Ecriture, n'escelui qu'en 1793 la Convention saquivant aucune des interprétations lua comme {( le premier prêtre qui échafaudées laborieusement, sécu· ail eu le courage et la bonne foi lairement, par ceux qu'il appelle les d'abjurer les erreurs religieuses >J, christicoles. Mais cette destruction et son itinéraire à travers ce monu· de l'intérieur de l'édifice chrétien ment de l'at4éisme moderne lui sera n'aurait peut-être qu'un intérêt his· grandement facilité par un appatorique, les idées de Meslier ayant reil critique sans nulle pesanteur et marqué de leur empreinte toute la par trois préfaces de Roland Desné, philosophie matérialiste depuis deux Jean Deprun et Albert Soboul qui siècles, si elles n'apparaissaient dans restituent Meslier à lui·même et à la beauté et la fraîcheur d'un lan· son village, comme à la pensée puis gage dont notre époque, délivrée du à l'histoire de son siècle, discours classique, peut enfin déA Etrépigny, à douze kilomètres couvrir l'originalité. L'écriture ici de Charleville, l'église où officia est celle d'un paysan : les mots y Jean Meslier est toujours là, et le ont leur poids de terre et de peine ; chemin qui conduit à Balaize, sa l'espérance en question, c'est' bien seconde paroisse, monte au flanc celle des hommes et des femmes d'une colline dont la configuration qui, saison après saison, arrachent n'a guère changé depuis l'aube du XVIIIe siècle. C'est dans la solitude . aux champs ce qui leur suffit ,à grand peine à survivre; c'est un et la pauvreté de son village que ce taires, la parole d'un peuple qui petit curé de campagne, dont la univers riche de symboles élémetJ.: colère et la générosité ne sont pas sait lire le ciel parce que le' ciel sans rapports avec les fureurs et les commande à la plùie et au soleil, blasphèmes de Bernanos (l'un dé· et qui sait aussi rêver sur son pasfendait les hommes contre Dieu, sé et son présent. La philosophie l'autre Dieu contre les hommes), ici est poésie et les idées prennent lentement construisit sa longue ré· corps ~ travers tout le tumulte de futation du christianisme. Sans li· l'humble existence quotidienne..Il vres, sans contacts directs ou épisen surgit le cri de révolte le plus tolaires avec les milieux, intelleccontinu, le plus authentiquement tucls de son temps, cet intuitif de populaire peut-être de notre littégénie allait donner à la philosophie rature, car le spectacle qui hante matérialiste beaucoup plus qu'un Meslier, c'est· celui « des uns qui souhassement conceptuel. Il allait se saoûlent et se crèvent de boire lui donner une chair frémissante et de manger en faisant bonne et traduire, en une imagerie vision· chère pendant que les autres meunaire, l'aspiration secrète, désordonnée, de tous les humiliés qui, dé· rent de faim ». L'œuvre de Jean Meslier devait couvrant les mensonges où se tisse connaître une étrange fortune tout leur misère, tentent de savoir ce au long du XVIII" siècle. Large. qu'il en est, au fond, de la vérité ment copiée par les hommes dt>!! de leur condition. Lumières, utilisée dans une perspecDe toute la trame de la théologie

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Meslier, Babeuf

tive déiste par Voltaire et confondue parfois avec « le bon sens D de d'Holbaçh, elle semble avoir été peu connue des héritiers intellectuels du curé des Ardennes, Babeuf et ses amis, réunis dans la conjuration des égaux. Il existe pourtant bien des points communs entre Babeuf et Meslier, comme si « le Mémoire » du début du siècle avait été le ferment secret du Mani/este des égaux. La révélation initiale dont sortira, ici ou là, la pensée maté,rialiste et égalitaire est la même : c'est la découverte du monde rural, de son, oppression, de sa détresse. Mais, comme le monUil Maurice Dommanget dans le recueil des articles qu'il consacra à Babeuf tout au long de'sa longue enquête sur 1'histoire du mouvement ouvrier, le ba· bouvisme représente la seconde étape de la pensée communiste. L'aventure de Meslier avait été une aventure de' la révolte, elle visait essen· tiellement à détruire les fondements théoriques de la société esclavagiste de l'Ancien Régime. Pour Babeuf. il ne s'agit plus de détruire, mais de reconstruire une société égali. taire et de lutter contre les perversions bourgeoises où s'est engagée la France révolutionnaire. Au-delà d~'-la théologie, le propos se' fait donc proprement politique. Dans la longue histoire de la pauvreté, on assiste ainsi à une mutation lente du territoire privilégié des « partageux D. Les hommes du Moyen Age voulaient, par un renon· cement volontaire aux richesses" sacraliser la pauvreté, réduire le besoin 'matériel pour mieux répon. dre à la soif de l'esprit. Il s'agissait de mettre en commun non les biens mais le renoncement aux biens. Ceux du XVIIIe siècle devaient d'abord assurer cette liberté matérielle élémentaire sans laquelle l'horiune perd sa condition humai· ne. Les uns et les autres peuvent nous aider, aujourd'hui, à définir la nature et la fonction de la pauvreté, dans un mond!! qui s'encombre de sa propre' richesse et où, comme le dit Henri Miller, « nous nous traînons d'un pas lourd, le

cerveau obtus et l'imagination encapuchonnée, parmi des miracles que nous ne discernons même pas D et où « toutes nos inventions, toutes nos découvertes mènent à l'anéantissement D. Claude Mettra (1) Dossiers des Lettres Nouvelles, Julliard.

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M. de Talleyrand Jean Orieux

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Talleyrand ou le sphinx incompris Flammarion éd., 864 p.

Le diable (boiteux) sait seul combien la vie de Talleyrand n'est pas simple. A commencer par la façon dont il convient de prononcer IlOn noin : Taille-rang, à l'ancienne, ou Talle-rang, modern'style - jamais Tallérand. A l'abri de ce nom qui compte parmi les plus anciens de France et de Navarre, si sûr de l'excellence de ses origines qu'il dédaigne de s'en prévaloir, le duc de Talleyrand.Périgord fut le contemporain privilégié d'une épo. que de notre histoire particulière. ment chahutée - celle qui nous a fait glisser de l'ancienne Monarchie à la nouvelle, celle de Juillet, en passant par la Révolution, l'Empire, la Restauration et une seconde ré· volution. De tous ces événements, Tallevrand a été le témoin, souvent l'acte~. Sans y laisser une seule des plumes de son splendide plumage. C'est de cet exploit que Jean Orieux nous invite à visiter les coulisses. Pareil. exploit ne va pas sans mystère. Il y a du sphinx en Talleyrand.. Du « sphinx incompris ». Orieux l'apprivoise d'abord, lui sourit, s'approche de plus en plus près, jusqu'à lui caresser l'encolure, puis il tourne autour pour le mieux décrire. La complexité de Talleyrand, Orieux la rcnd claire sans qu'elle cesse d'être complexe. Talleyrand continue d'être sphinx, mais parce qu'on commence à le connaître, on a l'impression de commencer à le comprendre. La méthode du dompteur Orieux? Faire revivre, remettre la couleur, le sang circule, la chaleur revient. Les dons de romancier, éclatants chez Orieux (qui ne se souvient de Fontagre ?) volent au secours du travail, réel, de l'historien. La documentation, abondante, a la bonne grâce de se faire oublier. Références, cita,tions sont là, tout 'armées - elles se tiennent en retrait ou entrent dans la danse pour nourrir non seulement. notre curiosité (et concernant Talleyrand elle est vive), mais notre plaisir. Plaisir à Orieux que ses précédentes biographies nous ont fait goûter, Bussy-Rabutin, Voltaire, et que ce Talleyrand enrichit. Evêque, ambassadeur, ministre .: que n'a-t-il été? que n'a-t-il fait? Noblesse d'ancien régime, église

constitutionnelle, exil en Angleterre coup. C'est ,cette sympathie. qui ex· et en' Amérique, le Directoire et ses plique la chaleur qui se dégage de banqueroutes, le Consulat et ses gre- ce livre d'histoire; et c'est cette nouillages, l'ascension fulgurante chaleur qui se confond avec celle du général Bonaparte, le despotisme de la vie. Talleyrand, Bussy-Rabu. paranoïaque de Napoléon - « cet tin, Voltaire: Orieux ne s'intéresse homme de sacre et de code », com- qu'à des personnages qui appartienme dit Jacques Prévert - : que et nent à la mênie famille d'esprits, qui n'a-t-il connu? Toute cela revit qui est aussi celle d'Oriéux. Des avec lui, tout cela respire, parle, ges· 'libertins dans l'acception du ticule, s'aime, se déteste, se combat, . XVIIIe siècle : des esprits libres; galope au galop d'un temps particu. libres aussi dans le plein exercice de lièrement rapide. Au centre -de la leur vie et de ses plaisirs; attachés piste, pareil au Monsieur Loyal au bonheur; pour eux·mêmes et d'un cirque - aux - étoiles à la pour les autres; tenant l'ennui pour mesure de l'Europe d'alors, c'est·à- la première des sottises et la sottise dire du monde alors civilisé (ou qui pour le pire des ennuis; se méfiant se croyait tel) : monseigneur le duc de la vertu surtout quand elle s'afde 1'alleyrand-Périgord, gourmé, fiche; haïssant l'intolérance consi· pomponné, parfumé,' la face blan- dérée comme une criminelle étroiche, le cheveu' blond-blanc puis tesse de l'esprit; goûtant le style lorsque finesse, élégance, légèreté, blanc-blond, la jambe traînante il avait réussi à faire de sa boiterie plus un certain sourire, y composent (un accident de la petite enfance), le visage d'une civilisation vérita· qui lui était une torture de chaque ble. instant, une démarche glissée Sympathie ne signifie pas indul•. d'une distinction inimitable. gence. Orieux connaît, et dénonce, les limites de ses héros : aussi peu Non qu'il tirât toutes les ficel· les : comment un seul homme eût-il de vigueur que de rigueur, et fort pu prétendre doininer tout ce bruit peu le sens des violences nécessaiet toute cette fureur? Napoléon res - pour ne pas dire une certai· lui-même... Non. Talleyrand s'il a ne lâcheté. Il s'en explique, parfois été parfois le diable qui jaillit de vertement avec M. de Talleyrand. Il la boîte au bon moment (à Vienne, arrive qu'il lui fasse honte : cette par exemple, en 1814 et 1815), n'a vénalité monumentale, par exemple, pas été le deus ex machina. Orieux au demeurant fort équitable (il a nous le montre bien : capable de vendu tout le monde, à commencer grimper au pouvoir, peu capable de par ceux qui l'ont acheté), ces fortu· l'exercer. Trop aristocratiquement nes astronomiques dont Talleyrand, nonchalant pour obéir à certaines dans le plein sens du terme, a joui, urgences vulgaires de l'action. Sans (Orieux donne les chiffres, le détail doute trop joueur pour s'engager à des « combinazione », les factures, fond. Au pouvoir même il préfère c'est ahurissant) - même quand on les risques de l'intrigue autour du comprend l'usage que Talleyrand pouvoir. Vie dangereuse que la en fait, le rôle du luxe dans sa vie sienne, tout bien considéré, parce et dans sa politique - tout de mêque sans cesse à la fois sur le devant me, M. de Talleyrand, tout de mêde la scène et dans les coulisses. me ... Et cette « plasticité» (c'est un euphémisme), qui inspirait à Vie dangereuse et luxueuse. Napoléon cette définition : « TaI· Orieux ne juge pas Talleyrand. Il dit ce que dit le philosophe de- leyrand, c'est de la ,merde dans un vant les montagnes : c'est comme bas de soie », faut-il en accuser seu· ça. Cette objectivité, tout histori- lement une intelligence (géniale) que (alors que la plupart des bio· trahie par un caractère (faiblissi. graphes précédents de Talleyrand me) ? Œdipe aussi érudit que souriant, ont, le plus souvent, condamné Orieux interroge son sphinx : « ton Talleyrand comme un ennemi, un traître) n'empêche pas le commen- - ou plutôt votre secret? » Lequel taire cursif - et malicieux. Orieux sphinx répond : « J'ai duré» ne se contente pas de faire vivre son comme l'autre avait répondu: « j'ai personnage, il le regarde vivre. Il vécu D. Mais à la différence de est le premier spectateur de cette Sieyès, Talleyrand ne s'est jamais caché, le 'peut.il ? il brille trop, on « renaissance ». Spectateur qui parle à voix haute pendant la repré- ne dissimule pas un feu d'artifice sentation, pour notre bonheur. sous un fagot, ou voilà le fagot Spectateur surpris, amusé, scanda- gerbe d'étincelles. lisé, complice, d'une complicité ] ean·Louis Bory où la simplicité entre pour beau-


POLITIQUE

Les nouveaux Tocqueville par Jean Chesneaux E. Morin Journal de Californie

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Le Seuil éd., 265 p.

J.F. Revel

Ni Marx ni Jésus Laffont éd., 264 p.

B. Néraud La gauche révolutionnaire au Japon Le Seuil éd., 158 p.

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La bourgeoisie « éclairée» de l'époque de Louis-Philippe était comme fascinée par les Etats-Unis. Un Michel Chevallier, un Tocqueville, croyaient y trouver la formulemiracle contre les révolutions socia· les, la voie vers un « progrès » sans violence. Alors que retentit de nouveau le « enrichissez-vous», alors que le « destin national» de la France prend à nouveau une rassurante silhouette piriforme, il n'est pas sans intérêt que certains aillent chercher une nouvelle fois aux Etats-Unis un modèle social, propre sans doute, à la critique de l'ordre ancien, mais garantissant en même temps qu'on pourra faire l'économie de bouleversements brutaux. Les uns cèdent à la séduction facile des autoroutes, des supermarkets et des orÙÏnateurs, et appellent à relever ce « défi». D'autres, plus suhtils, regardent du côté de la gauche américaine; ils en proposent une image pittoresque et colorée, mais inoffensive : une « révolution américaine » qui n'a plus rien de révolutionnaire. Il est certain qu'il se passe aux Etats-Unis quelque chose de fondamental : mouvement noir, féminisme libérateur et non plus seulement égalisateur, dissidence morale et culturelle de la jeunesse, formes nouvelles d'organisation sociale collectives )), « communes»), crise universitaire qui attaque l'idéologie par-delà les institutions. C'est sous sa version la plus opulente et la mieux organisée, dans ces EtatsUnis fiers de leur puissance, que la société capitaliste développée de notre temps est mise en question de la fa~on la plus radicale. Il s'agit d'abord de définir l'ampleur et l'originalité de ce mouvement historique; c'est ensuite qu'on peut essayer de définir sa capacité révolutionnaire. Si le lecteur de J.F. Revel est dans l'embarras pour répondre à ces deux questions, c'est qu'il (".st constammènt maintenu dans l'équivoque. L'auteur attire parfois l'atten-

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tion, mais fort brièvement, sur les forces de gauehe qui luttent eontre le système américain à l'intérieur de celui-ci. Mais c'est simultanément l'ensemhle de la société amérieaine qu'il nous présente comme intrinsèquement « révolutionnaire», libre des conventions selérosées de la vieille Europe, injustement victime d'un chauvinisme étroit. Cette naïve volonté de réhabilitation des Etats-Unis comme système global va jusqu'à se nourrir du procès des Huit de Chicago, pourtant dénoncé dans tout le pays comme une des formes les plus achevées de l'autoritarisme répressif et hypocrite. Elle invoque même les crimes de guerre américains du Vietnam, puisque les Etats-Unis seraient (p. 191) le premier pays dans l'Histoire à ne plus invoquer comme ultima ratio l'intérêt de la patrie... Revel relève sans doute que la gauche américaine se dresse contre « une société subordonnée au profit, dominée exclusivement par l'économie, régie par l'esprit de compétition et l'agressivité mutuelle de ses membres» (p. 228). Mais ce refus n'est guère intelligible, faute d'une analyse cohérente et développée des phénomènes qui rendent effectivement intolérable et irrespirable la société telle que la façonne et la contrôle l'establishment américain. Il ne suffit donc pas de répéter que la révolution de la seconde moitié du XXe siècle aura lieu aux Etats-Unis. Encore faut-il définir cette révolution par rapport au type de société qui est mis en question : à savoir la société industrielle dont les Etats-Unis sont précisément l'image la plus achevée. On ne peut présenter les Etats-Unis comme « modèle révolutionnaire» (autre formule de J.F. Revel) qu'à conÙÏtion de porter sur la société américaine des jugements aussi sévères que les nouveaux révolution· naires américains.

Morin a eu le

Il ne s'agit pourtant que d'une découverte esthétique, d'une expérience presque onirique (Il j'étais constammenthigh», p. 261). Les dissidents américains sont presque pour Morin un objet de curiosité ethnographique j'aimerais les voir vivre », dit-il p. 174, et jamais « j'aimerais lutter avec eux»).' Leur contact provoque un choc émotionnel sincère, mais qui ne va pas jusqu'à remettre en question le confort que procure au visiteur son appartenance à l'establishment

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académico-financier de San Diego. Ce voyage en Californie n'est finalement qu'un fête inoffensive et narcissique, au cours de laquelle on ne prend aucun risque je veux conserver mon statut de chercheur C.N.R.S., p. 204).

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Un art subjectif de vivre Et surtout, l'image que donne le voyageur de la gauche américaine est gravement déformée parce que dépolitisée. Morin en retient six caractères (p. 132) : chaleur enfantine, néo-rousseauisme, besoin de pureté chrétienne, tradition libertaire, communisme utopique, refus « katmandien » de l'Occident. C'est· à-dire que la lutte contre la société américaine, se réduit à une révolution « ~uturelle» a-politique. Sans doute, l'auteur admet-il qu'un des

SERGIO VILAR

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Les oppositions à Franco cc

kick ))

Avec Edgar Morin, l'optique se renverse. Les pages du Journal de Californie mettent au contraire à l'honneur les Il crisis centers » semilégaux, les communes, l'éco-mouvement, la recherche d'une coiltre-société et d'une contre-culture procédant du refus de la société peutêtre la plus luxueuse de notre temps. Au contact des dissidents américains, Edgar Morin a eu le

La Qldnza1ne UtlU'alre. du 1"r au 15 janvier 1971

kick, et ne s'en cache pas. Il s'interroge constamment, et souvent avec vigueur; il pose par exemple le problème nouveau des bases économiques à partir desquelles une « contre-société» peut se consolider à l'intérieur de l'ancienne: refus de la consommation conventionnelle, néo-artisanat, rôle privilégié du nouveau prolétariat (déclassés et marginaux).

essai' traduit de l'espagnol par E. de la Souchère, J.M. 'Fossey et J.J. Olivier. Un ouvrage qui passionnera tous ceux qui s'Intéressent à l'Espagne. Claude Coufton. LE MONDE. La synthèse, la plus riche et la plus fascinante, de toutes les forces qui luttent contre la dictature fasciste. R. Caccavale. L'UNITA, Organe du PCI. Plus encore qu'un ouvrage documentaire, une contribution directe Il la cause de la libération de l'Espagne. G. Lannutl. MONDO NUOVO, Rome, organe du PSIUP. Révèle l'existence d'une très large opposition, mare pour Imposer la démocratie. NOUS HORITZONS. Parti socialiste unifié de Catalogne. Cette Impressionnante série de déclarations recueillies au magnétophone permet de reconstituer toute rhlstoire de la résistance au franquisme. E. de la Souch6N. LE MONDE DIPLOMATIQUE.

Dossiers des lettres Nouveles 432 pages : 29 F

dirigés par Mlutce Nadeau

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Le fait

... Les nouveaux Tocqueville

courants de cette dernière «va se muer en révolte politique, dissociant ou mêlant la nouvelle guerilla urbaine et l'espoir magique que procure l'autre drogue, le marxisme-léninisme » (p. 139). Mais il est clair que cette voie ne l'intéresse pas; « ils ne peuvent pas savoir », dit-il avec la commisération de « l'ancien D. Point d'analyse de la notion de complexe militaro-academicoindustriel, si importante pour les contestataires américains. Aucune conversation sérieuse avec les p~. ibères Noires ou les militants des «radical caucuses» (1). L'âpreté de la lutte qui se déroule aux EtatsUnis se mesure pourtant à la vigueur de la répression, mais, celleci n'apparaît que par de brèves allusions (düficultés de la Free Press Commune). Tout se ramène à un certain art subjectif de vivre, qui se désintéresserait des structures réelles du pouvoir. Le film [ce tient un autre discours, et d'innombrables jeunes Américains s'y sont retrouvés.

Partiellement conscientes Il est bien certain que lès forces de dissidence, aux Etats-Unis, ne sont que partiellement conscientes de leur insertion potentielle' dans une stratégie de lutté globale, c'està-diré politique, contre l'ordre établi. Ce fait autorise-t-il à se satisfaire benoîtement de leur apolitisme partiel, à les « récupérer », comme on disait en mai 1968 ? Ne pourr.ait-on . pas au contraire, mais ce serait sortir du cadre dé cette chronique, .relier l'expérience originale 1e la gauche américaine à des recherches théoriques comme celles du Manifesta italien, qui enviSagent la nécessité «d'aller au-delà du renversement. du pouvoir d'état» (thèse 81), ou qui examinent la valeur militante des « objectifs intermédiaires» (thèse 82). Dans sa diversité (noirs, femmes, ouvriers, Indiens, Chicanos, étudiants, hippies...) le « Movement» américain ne peut-il· pas se définir comme une pluralité de luttes partielles, mais' qui ne SOJ;lt pas nécessairement réformistes dans la mesure où elles sont susceptibles de s'insérer dans une stratégie radicale d'ensemble? A un autre point de l'horizon, ne peuton pas relever un certain parallélisme entre la démarche spontanée de la gauche américaine et la déter·

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mination chinoise de créer l'homme nouveau, par une révolution culturelle qui ne se satisfasse pas des mutations mécaniques d'ordre politique et économique,· mais qui politise néanmoins la culture' au lieu de la diluer dans un fade « style de vie » ?

pales~nien

Claude Ranel Moi Juif palestinien Coll. « Libertés » Robert Laffont éd., 184 p.

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Voici un essai qui, malgré ses dimensions exiguës, prend place parmi les textes les plus importantS que nous apporte le grand-remueménage déclenché par les événeLa gauche ments de mai 68. Il montre à l'évijaponaise dence que rien ne peut· plus être admis, des vieux dogmes orthoCe qui nous fait défaut, c'est un doxes, sans un examen serré et livre qui situerait la gauche améri- même sans l'emploi d'un nouveau caine dans une perspective de lutte vocabulaire. Au surplus, peut-être le politique: celle par exemple de la séjour de l'auteur à Jérusalem a-t-il « gauche révolutionnaire japonaicontribué à enrichir une façon se ». Bernard Béraud a sans doute 'd'écrire qui avait désespérément cédé un peu facilement à la tenta- besoin d'apports extérieurs. tion du « répertoire de groupuscuLa thèse de Claude Ranel, déjà les ». Mais son essai met en évidence le rôle décisif de la lutte brièvement résumée en 1968 dans anti-impérialiste dans la formation une lettre écrite au Nouvel Obserde la « gauche combattante » (pour vateur pour protester contre l'attilaisser le terme de gauchiste aux tude de ce magazine à l'égard d'Isdivers amateurs de dossiers). C'est raël, a le grand mérite de mettre en vrai aux Etats-Unis, même si Revel forme un certain nombre d'idées et Morin Sont fort discrets sur ce que d'aucuns avaient épisodiquepoint. C'est tout aussi vrai au Ja- ment avancées, ici et là, mais· que pon, et le mot d'ordre « des Viet- nul ne s'était enhardi à articuler en nam dans les usines» relie le mou- forme de raisonnement cohérent et vement anti-impérialiste à la hitte complet. Sa présentation très dense ne permettant guère de le résumer, contre le patronat japonais. Même si cette gauche japonaise force est d'en conseiller la lecture semble curieusement insensible aux et d'en effleurer le sujet. problèmes de l'aliénation (technologie totalitaire, condition de la femme, culture) même si elle privilégie le politique à court terme plus La naissance que ne le fait la gauche américaine, elle se rapproche aussi de cette d'Israël dernière sur un autre point fondamental. Par-delà l'émiettement Pour Ranel, la naissance de groupusculaire, l'unité ne se fait l'Etat d'Israël est un .fait insurrecplus par l'autorité d'un appareil tionnel et désaliénant; il s'inscrit centralisé qui nivelle les initiatives, grand mouvement d'émanci· dans le mais par des médiations plus soupation du tiers monde; se trouve ples : celles du « mouvement ». une répression organisée affronté à Béraud marque bien l'importance de la part du « monde» arabe où de la lutte de rue comme « fédérales fedayines jouent le rôle de teur» des groupes maoïstes, trotsflics, chargés de rétablir l'Ordre. kystes, anarchistes... Certes, un ouvrage de franc-tiLe chemin de la gauche combattante dans les pays industriels n'est reur comme celui-là ne peut manpas un chemin tracé d'avance. quer de prêter le flanc à quelques Comme le dit Lu Xun, « dans les critiques, ni de se perdre padois commencements du monde, il n'y dans des polémiques stériles. Bien avait pas de routes sur terre; mais qu'il se défende d'invoquer à quel-, là où les hommes ont marché, les que titre que ce soit l'argument . chemins se sont peu à peu tracés ». « archéologique» selon lequel les Juifs auraient droit à la ·Terre ProJean Chesneaux mise pour le simple fait que leurs ancêtres s'y seraient établis trois mille ans plus tôt, l'auteur n'en re(l) Cf. L'homme et la société, avril 1970, n° 16, Le mouvement des vient pas moins à des considérations radical caueuses dans les sciences ~imilaires lorsqu'il évoque avec insistance le fait que la Palestine aphumaines aux Etats-Unis.

partient à ses deux «populationssouches »; de même, le zèle dont il fait montre lorsqu'il lui faut te. nir les Juifs de la Diaspora, épar. pillés dans le monde, pour des colonisés de l'intérieur, sur les territoi· res qui les accueillent, révèle un respect encore excessif pour certai· nes opinions-sur-rue. Le lecteur de bonne foi, qui n'a cure des querelles d'église, retiendra moins ces recours casuistiques que la, démarche même de Claude Ranel, soucieux de fonder son taisonnement sur le vécu contemporain plutôt que sur des disputations poussiéreuses.

Israël avatar colonial Partant des faits contemporains, donc, l'auteur constate que la négation systématique de l'Etat d'Israël par les Etats arabes s'appuie sur un présupposé: l'existence d'un « monde» arabe unique et cohérent, au sein duquel un élément étranger s'est inséré, dont l'illégitimité est admise a priori parce que la Palestine fait partie intégrante et irréfu· table de l'entité postulée dont on ne se préoccupe jamais d'établir l'authenticité. . A partir de là, les Palestiniens (selon la thèse « Fathidique ») ne seraient pas tant fondés à revendi· quer les territoires israëliens pOUr en avoir été dépossédés (ce qui apparaît historiquement et -juridiquement faux) que pour être euxmêmes des Arabes, héritiers de droit divin de tous les territoires compris entre le Maghreb et les confins asia- . tiques. A ce titre, il leur faut non pas' seulement combattre Israël mais le nier. C'est ce que nous enseigne d'ailleurs la lecture quotidienne de la presse. Dans cette optique, Israël ne serait qu'un avatar colonial; Mais, à l'opposé, Ranel pait du phénomène révolutionnaire, insur. rectionnel et désaliénant qu'a représenté pour les Juifs et pour le Proche·Orient, la création d'un Etat, à l'issue d'une guerre de libération nationale menée par une armée p0pulaire. Face à la «mondification arabiste» qui postule un «Ordre arabe », le fait israëlien devient ef· fectivement un scandale, sur lequel doivent s'appliquer - et s'appli. quent - toutes les forces répressives disponibles.


Turgot Dans ce sens, la guerre des Six· jours, n'a été, pour Israël qu'une nouvelle « insurrection discipli. née », une « émeute )J. La thèse était assez séduisante en soi pour que Claude Ranel n'eût pas eu besoin d'y ajouter des consi· dérations brillantes mais discutables qu'il tient pour indispensables à son raisonnement et qui le sont moins qu'il ne pense - concessions à ses adversaires semble-t-il qu'il pour· chasse à plaisir sur leur terrain. Ainsi brode-t-il brillamment sur le fait que les deux « populations-souches» du Proche-Orient ont été aliénées de façons différentes, l'une sur place, par sa permanence même et l'autre par privation de terroir et dispersion. Cela l'entraîne à chercher à établir que les Juifs forment un peuple sans territoire, colonisé chez les autres. Pour conclure que le retour au lieu d'origine était en soi l'acte désaliénant indispensable, dans l'optique même des révolutionnaires du Tiers Monde où s'inscrit cette libération.

Des faits, non des théories Il se peut que ce long détour soit nécessaire pour ébranler le lourd appareil de la néo-scolastique mar· xiste. Ranel pourtant ne semble pas s'y tromper, il part des faits plutôt que des théories, constate la présen. ce d'un peuple par soi-même libéré, en butte aux assauts de nouvelles puissances avides de le recoloniser et qui font peser sur lui tout le poids de leurs instruments de répression.

Le prix d'Auschwitz Cela ne signifie guère que l'auteur cherche à faire payer aux Palestiniens le prix d'Auschwitz comme certains courtisans trop zélés du nouveau totalitarisme s'empressent de le dire. Bien au contraire, nul plus que Ranel n'est sensible au sort de la population jumelle, mais tant que celle-ci s'en tiendra au rôle que lui a dévolu la thèse « mondificatrice », celui de gendar. me de l'arabité, la réversibilité de la situation est totale et « à la moin· dre défaillance de la ligne de feu, c'est Israël tout entier qui se transforme en Fatah, en moins de temps qu'il n'en faut au Conseil de Sécurité pour délibérer ». Marc Saporta

Turgot Ecrits économiques Préface de Bernard Cazes Coll. « Les Fondateurs de l'économie» Calmann-Lévy éd., 389 p.

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Après un d'Holbach, Bernard Cazes nous présente un Turgot. Sans doute n'a-t-il retenu que les principaux écrits économiques d'un auteur prolifique : l'édition Schelle des œuvres complètes comprend cinq gros volumes, soit plus de trois mille pages. Lorsque l'on songe à la courte vie de Turgot (cinquante quatre années) et à l'importance des fonctions qu'il a occupées (intendant du Limousin, contrôleur général des Finances) il faut bien se rendre à l'évidence qu'il s'agit là d'un homme peu ordinaire. Edgar Faure en un livre et quelques arti· cles qui firent naguère beaucoup de bruit, lui avait rendu l'hommage de l'historien, du financier et de l'homme politique. Bernard Cazes nous montre plutôt aujourd'hui comment Turgot est un homme des Lumières: ainsi s'explique la présence, en tête de l'ouvrage, du peu économique « Tableau philosophique des progrès successifs de l'esprit humain ». Il reste à parler de Turgot comme l'un des fondateurs de l'économie - tel est le titre de la collection. Turgot a réussi ce tour de force de garder l'amitié des physiocrates sans partager absolument toutes les doctrines d'une secte pourtant très exigeante. Sans doute, on trouve chez Turgot l'idée centrale de la prééminence de l'agriculture et de son produit net. Mais il s'agit là au XVIIIe siècle d'une vérité d'évidence (l'évidence cartésienne devenue physiocratique, à laquelle le docteur Quesnay consacra un article de l'Encyclopédie). Pour le reste, Turgot n'a pas ces formules tranchées qui exaspéraient tant, ou faisaient se gausser, les critiques et les ennemis de la physiocratie, mais des expressions subtiles qui annoncent Adam Smith. Turgot est l'un des héros du libé· ralisme économique. Le marché représente pour lui l'alpha et l'oméga en matière économique. Selon ses préférences, le lecteur moderne y verra un précurseur ou un ancêtre. Il semble, toutefois, comme le montre Bernard Cazes, que le débat ou· vert par Turgot n'est point refermé : sommes-nous à l'aube d'un nouveau libéralisme? M.L.

La Qldnza1ne Uttéralre, du lu au 15 janvier 1971

Metteurs en scène Deux livres viennent de paraître aux Editions du C.N.R.S. (1) qui constituent un important rapport des dernières années du théâtre international. Sous le titre les Voies de la création théâtrale sont réunies des études à propos de Grotowski, Eugenio Barba, le Living Theatre, Joseph Chaikin et Garcia pour le tome 1 ; Brecht, Frisch, Weiss, Césaire, et cabral Melo Neto pour le tome 2. Je ne parlerai ici que des spectacles étudiés dans le tome 1 parce qu'ils correspondent au mou· vement théâtral de ces dernières années et que dans le tome 2 les spectacles étudiés sont d'un intérêt inégal. Ces spectacles permettent à différents titres d'étudier l'évolution de la création théâtrale et des rapports de l'écriture dramatique et de la mise en scène. Il s'agit là d'un travail théorique fondé sur la prati. que théâtrale aussi bien que de descriptions de spectacles précis. La somme de ces travaux permet d'élaborer une théorie de la mise en scène et des rapports scène-salle en ce qui concerne la nouvelle architecture de l'espace scénique et la participation 'des spectateurs. Pour qui suit le théâtre d'un peu près, ces études n'apprennent rien qu'il ne sache déjà car elles ne représen. tent pas une réflexion critique, mais elles sont un maillon pour une histoire du théâtre. Dossiers de mi· ses en scène donc, indispensables comme outil de travail, retranscrip. tion d'un moment de théâtre, éclaircissements sur les techniques employées par les différents metteurs en scène... Il est important que ces spectacles puissent être préservés, que l'on puisse reproduire dans l'espace de la page le temps de la vision théâtrale (dans ce qu'on peut retranscrire d'elle). Je ne suis pas de l'avis de Pierre Bourgeade qui, dans un' article récent paru dans ce journal même, jetait l'anathème sur les théoriciens de la littérature et du théâtre àu nom de je ne sais quel privilège de l'acte créateur. Les théories théâtrales devraient au contraire se développer et être l'objet de publications en collections de poche. Elles représentent une contribution à l'événement théâtral, une approche, une meilleure connaissan· ce de la pratique de la scène. Les metteurs en scène eux-mêmes, cités dans ces deux volumes, ajoutent à leurs expériences pratiques une ré· flexion critique leur permettant une plus grande conscience et une

plus grande maîtrise de ieur technique. A l'occasion de cette parution, on pourrait se demander où va le théâ· tre des années 70. Est-ce la dictature du metteur en scène qui va continuer ou plutôt est-ce un renouvellement de l'acte théâtral qui est à venir, renouvellement par lequel le texte serait à nouveau un des élé· ments importants du spectacle? Le Théâtre-laboratoire de Wroclaw, l'Odin Teatret, Le Living Theatre, le Bread and Puppet ou l'Open Theatre, tous ont mis en évidence, se référant pour la plupart à Artaud, la primauté de la mise en scène sur le texte et ont élaboré, à partir d'un texte ou d'un canevas, des spectacles dont les éléments composants essentiels sont l'expression corporelle ou l'émission vocale. Souci également commun à toutes ces troupes: le retour aux grands mythes. Théâtre mythique, théâtre de technique de l'acteur, les deux éléments s'intègrent. Les metteurs en scène essaient d'atteindre dans l'acteur les racines inconscientes de ses actes et de les mettre à jour sur la scène. Ces actes devront atteindre à leur tour les racines inconscientes du spectateur. Transposition de l'expérience religieuse? catharsis? découverte d'un moi profond? ce qui est recherché l'est surtout en vue d'une libération de l'homme dans la société, en vue d'une dénonciation de cette société comme iépressive et destructrice. Le deuxième but, plus politique, prédomine dans les troupes américaines. Ce reto~r à une certaine forme de spiritualité, est-ce une évolution de la sensibilité de notre époque ? Est-ce une réaction contre les rapports sociaux actuels que cette volonté d'atteindre les « forces obscures de l'affectivité et de l'instinct? » Est-ce une façon « d'accéder à une lucidité plus grande », si c'est « l'instrument d'une meilleure connaissance de soi et des rapports avec autrui » ? Est-il si intéressant de remplacer Dieu ? Laissant une place vide pour certains, on voudrait par le théâtre lui redonner cours dans la vie. Grotowski ou l'Open Theatre ou 'le Bread and Puppet ou encore le Liviug ont peut-être ces préoccupations, mais ils ne peuvent parler de participation avec le public que si le public partage la même foi. ou ressent le même vide. Le spectateur devrait suivre l'exemple de recherche en soi et de dépouillement

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Théâtre des metteurs en scène

de l'acteur, devrait abattre son masque social. Peu sont susceptibles de le faire, c'est à ceux-là que le théâ· tre selon Grotowski s'adresse. Don de soi que fait le comédien, « acte d'amour» qui n'a plus Dieu comme objet aujourd'hui... Mais avonsnous besoin de penser en termes li( d'actes d'amour», de « confes· sion », avons-nous besoin de cette sainteté qui est une reconstitution suspecte de l'émotion chrétienne ? Il y a quelquefois un fossé entre ce que le spectateur reconnaît au pas· sage et ce qu'il n'arrive pas à saisir et il lui faut revoir le spectacle plusieurs fois ou être aidé d'une présentation ou de lectures postérieures. La difficulté de ces spectacles va à l'encontre de l'idée d'un théâ· tre populaire compréhensible par tous. Faut-il être savant pour aller

au théâtre? Est-ce que la destruction des structures· religieuses doit être véri. tablement ressentie comme un man· que ? En cela leur position est nostalgique donc réactionnaire. Grotowski parle d'un héritage « culturel et religieux qui serait transmis, pour ainsi dire, avec le sang »! Il "eut le transformer, le rationaliser, il parle à cet égard de « fascina· tion » et d' « inquiétude », de « ten· tation» et de « blasphème ». Mais jusqu'à quand aurons-nous à régler ses comptes au vieux christianis· me? N'est-ce pas là un poncif et n'y a·t·il pas chez Grotowski com· plaisance à ressasser ces problèmes alors qu'il se dit incroyant? La destruction des structures religieuses est ressentie comme un manque, pense Grotowski. D'une part

Autre poncif du théâtre actuel : « être contre la psychologie », et « démultiplier le personnage ». Un

même personnage sera joué par plu. sieurs acteurs différents. Idée très intéressante il y a quelque temps car elle démontait la structure du pero sonnage, car elle dénonçait tous ses plans et les exposait dans l'espace mais qui, maintenant, devient sys· tématique et trop souvent gratuite. Qu'est-ce que la psychologie au théâtre ? Au nom de quoi la critique-toOn ? Il faut refuser toute référence à un contexte extérieur au plateau, seul ce qui se passe sur la scène, devant le spectateur, à un moment donné importe. Mais le spectacle a besoin d'un point de référence afin que ses éléments composants, personnages ou événements, se colorent, sans quoi c'est

ESPRIT Contre la religion de l'école

• Hommage à Paul Chaulot • Le Parti et l'Armée en Chine • L'Europe de l'Est aujourd'hui • Charles de Gaulle • DÉCf:MBRE 1970: 8 F

l. ESPRIT 24

19, rue Jacob, Paris 6C.C.P. Paris 1154-51

Dispositif scénique pour «Kasperiana », D.din Theatret, metteur en scène : Eugenio Barba . il est dérisoire de les remplacer pat des rites et des célébrations de théâ·tre, d'autre part il serait révolution· naire de la faire suivre de la destruction de la hiérarchie sociale et familiale, sans cela elle n'aurait pas de sens. Au contraire, Grotows· ki ressent cette destruction comme un déséquilibre dans les liens sociaux. On retourne aux origines du théâtre par nostalgie des origines sacrées de l'homme, on se sert du théâtre car on n'ose pas avouer qu'on recherche Dieu. Le rite, la cérémonie, le retour aux origines sacrées sont autant de poncifs. Par contre, dans une perspective politique, comme proposition d'une nouvelle forme de société (le Living et sa vie communautaire), d'une transgression à la société établie, ces spectacles ont un plus grand inté· rêt parce qu'ils témoignent d'un malaise social, d'un phénomène p0litique vécu, d'une lutte quoti. dienne.

la dispersion et la confusion. Un ou plusieurs éléments doivent servir de point de référence, d'aimant autour desquels tout va se structurer, tout prendra un sens, une direction, des couleurs. Dans un spectacle, comme dans la peinture ou la musique, il doit y avoir des lignes de forces qui structurent la composition. Que « la pluralité s'intègre dans l'unité » écrit déjà Witkiewicz en 1921 à propos du théâtre et contre le théâtre psychologique et anecdotique. Il s'agit non pas de supprimer la psychologie, ce qui est infaisable, mais d'introduire une psychologie dévoyée, pervertie, creusant volontairement un fossé avec la psychologie vécue dans les rapports sociaux ordinaires. Théâtre de metteurs en scène, dit·on, et non plus théâtre d'auteurs? Certains nous offrent des spectacles où le texte n'est padois qu'un canevas, d'autres proposent leur lecture subjective du texte et

vont souvent le transgresser. Leur travail est, dans ce cas, extrêmement intéressant en ce qu'il est un commentaire de l'œuvre et reflète une attitude critique. Théâtre de l'expression corporelle, ditoOn, au détriment du texte ? Cela encore est en passe de devenir un poncif. Il n'y aurait pas de théâ· tre si le geste tenait lieu d'unique réalité, sans aucune intention autre que son propre mouvement. Si le théâtre a tendance à s'engager dans cette voie, il se trouvera dans une impasse, il aura vite fait d'arriver à ses propres limites. Il n'y aurait pas non plus de théâtre si le mot tenait lieu d'uni· que réalité. Le théâtre est l'intégration de ces deux éléments. C'est de ce rapport texte-geste que doit sur· gir le nouveau théâtre. De jeunes écrivains devraient retrouver le dé· sir du langage théâtral et, par.delà ce désir, contribuer au renouvellement de l'acte théâtral. Il faut que les auteurs puissent approcher le théâtre. Comment pourraient.ils faire une œuvre où le geste et le verbe s'intègrent si on ne leur donne jamais la chance de connaître la pratique théâtrale, si on les laisse dans cet isolement du discours écrit ? Le théâtre est le lieu de la parole proférée, de l'espace poétique, du geste fait langage, du langage fait action. Lorsqu'on parle de retour au texte il ne s'agit pas d'un retour au théâtre des littérateurs, mais c'est vers cette grande lutte verbe.espace qu'il faut aller. Simone Benmussa (1) Tome 1 : le Prince constant, d'après Calderon, mise en scène de J. Grotowski, Kaspariana, d'Eugenio Barba, the Brig, Frankenstein, Antigone, Paradise now, Living Theatre, the Serpent de J.C. Van Italie, mise en scène de Joseph Chaikin et le Cimetière des voitures d'Arra· bal, mise en scène de Victor Gar· ciao Tome 2 : Mère Courage, la Résistible ascension d'Arturo Ui, de Brecht, Andorra, de M. Frisch, L'Ins· truction, de P. Weiss, la Tragédie du Roi Christophe et une Saison au Congo, de Césaire, Mort et vie de Séverine de J. Cabral de Melo Neto. Metteurs en scène : E. Axer, I. Bergman, G. de Bosio, B. Brecht, H. Buckwitz, E. Engel, G.Garan, K. Hirschfeld, F. Kortner, P. Palitzsch, HA Perten, E. Piscalor, V. Puecher, J.-M. Serreau, S. Siquei· ra, J. Vilar, W. Wekwerth. Sous la direction de Jean Jacquot, les auteurs des études sont O. As· lan, C. Aubert, J.-L. Bourbonnaud, J. Jacquot, S. Ouaknine (tome 1), O. Aslan, D. Bablet, J.-C. François, P. Ivernel, P. Laville, J. Lorang, M. Meyer (tome 2).


Théâtre a'" Paris Georg Büchner Woyzeck Th. de Sartrouville

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JOhn Arden L'âne de l'hospice T.E.P. Boulgakov La fuite Th. des Amandiers

Antoine Bourseiller Oh! America Th. de France

WOYZECK Décidément la salle relativement rudimentaire de Sartrouville devient, par une programmation équilibrée et vivante, un véritable vivier : dernière révélation en date, un admirable Woyzeck présenté par une jeune troupe, l'Ensemble Dramatique de Rouen, qui joue habituellement dans son petit Théâtre du Robec (1). La pièce de Georg Büchner est depuis longtemps la tentation piégée des metteurs en scène. Quoi de plus exemplaire, en effet, dans sa forme comme dans son fond, que ce fait divers mélodramatique? Un brave soldat, manipulé par un capitaine paternaliste et désabusé et par un docteur cupide et desséché, et quelque peu aliéné lui-même, tue d'amour Marie, la misère faite espérance frustrée. Dans ce canevas pré-brechtien, où la distanciation est amorcée par la distance que Büchner met entre le récit et le commentaire, et où les chansons populaires annoncent les songs, on a pu voir, à travers le drame personnel de Woyzeck, le profil de la lutte des classes prémonitoires, ou le drame de l'aliénation psychologique et celui de la schizophrénie que reprendront les expressionnistes, ou bien encore la fable romantique de l'homme aux prises avec son angoisse métaphysique dont nous parleront Kafka puis Beckett et Adamov, co-traducteur avec Marthe Robert de la pièce (2). Toutes ces interprétations sont possibles, mais aucune ne résiste totalement à la démarche .interne d'une œuvre en apparence schématique, conçue en séquences brisées et dont le rythme est difficile à recréer. Le metteur en scène rouennais Michel Humbert, par ailleurs acteur remarquable, a choisi de rendre

Woyzeck dans toute sa complexité foisonnante, ses potentialités, ses hésitations et ses métamorphoses libératrices. Utilisant intelligemment le dispositif scénique de Marc Neveu, fait de fer rouillé et extraordinairement souple et mobile, aidé d'une troupe homogène et excellente, Michel Humbert reconstitue, à coups de silences provocants, de déplacements ralentis ou circonvulatoires, de flonflons populistes, de grincements de scie, de lumières ambrées et équivoques, la grande fête, naïve et innocente, poétique et cruelle, où le désespoir impossible le dispute à la réalité meurtrie. Un beau spectacle populaire qui participe de la tendresse envahissante, du rire délicat et de la force d'aimer troublante qui laisse à chacun son libre-arbitre.

L'ANE DE L'HOSPICE Tel n'est pas tout à fait le propos de Jean-Pierre Vincent, qui, dans cette même salle, a créé Le Marquis de Montefosco dont vous parle, par ailleurs Gilles Sandier. Ce que Vincent a admirablement réussi avec une pièce non brechtienne, Guy Rétoré l'a raté, au T.E.P., avec une œuvre qui veut concilier le brechtisme avec la tradition shakespearienne : L'Ane de l'Hospice, de John Arden, traduite originellement par Jacqueline Autrusseau et Maurice Goldring. Pièce ambiguë, s'il en est, qui réconcilie la gauche et la droite politicardes sur le dos refroidi de la démocratie. Mais adapter Arden au public français, ce n'est pas traduire en transformant. Pourquoi avoir, par exemple, remplacé l'inauguration, par les conservateurs et les travaillistes réunis, du local de la police par celle d'une autoroute, ce qui déplace automatiquement le propos initial? Remplacer des chansons populaires anglaises par des vers mal chantés sur une musique légère, c'est déraciner la pièce et la mettre en porte-à-faux. Les spectateurs français continueront d'attendre qu'on leur révèle, dans toute sa force lyrique et brechtienne à la fois, un jeune homme anglais qui finira bien un jour par se mettre en colère.

LA FUITE On attendait également beaucoup de la présentation de là Fuite, de

La Qu'ou'ne Uttéralre, du 1er au 15 janvier 1971

Une scène de " Woyzeck,.

Boulgakov, dont on connaissait essentiellement en France l'important roman le Maître et Marguerite et, plus récemment, la Garde Blanche. Né à Kiev en 1891 et mort en 1940, Mikhaïl Boulgakov, soviétique malgré lui et écrivain russe avant tout comme cet autre émigré de l'intérieur qu'est Soljenitsyne, a tenté tant bien que mal de résister moralement et physiquement à l'ostracisme d'une censure manifestement coupée du public. La Fuite, c'est la fuite du temps qui passe pourtant moins vite que l'Histoire en marche, mais c'est aussi la fuite intellectuelle de l'auteur lui-même devant une réalité qu'il s'est refusé à admettre totalement parce qu'il s'est refusé à la juner. A prendre parti, nettement. Et pourtant, sa pièce, divisée en huit songes, a pour toile de fond l'Histoire, encore chaude en 1927, de la guerre civile. Boulgakov suit même de près la débâcle, en 192021, des Blancs fuyant l'Année rouge. La pièce est en fait l'Histoire à contre-courant et a contrario : la Russie soviétique est déjà loin et les fuyards voient en rêve ce qui les attend, l'exil incertain ou la condamnation, les bas-fonds de Constantinople et les « taxis russes de Paris ". On parle beaucoup de Gogol et de Pouchkine à propos de Boulgakov, mais la Fuite me paraît être le négatif des Bas·Fonds de Gorki. Ce qui sépare ces deux pièces, c'est une Révolution attendue et qui a eu lieu. Et c'est beaucoup. D'où ce décalage, cette insatisfaction devant ce qui nous est donné à voir. L'auteur donne l'impression d'avoir réuni quelques archétypes de la littérature russe pour s'apitoyer, simplement parce que ce sont des hommes, même s'ils ont mal choisi leur camp, sur le malheur des Blancs vaincus. Il y a là quelque chose qui ressemble à une sorte d'auto-justification de la part de quelqu'un qui n'a pas pu choisir l'action.

A en croire les indications de l'auteur, on pouvait penser que, jouant de sa palette, et ayant opté pour le rêve, il peindrait quelque tableau fantastique de l'âme humaine, hésitant entre le cauchemar et l'espérance rêvée.. Or, la fresque attendue se présente plutôt comme une esquisse. Mais, fort heureusement, le metteur en scène Pierre Debauche, remarquablement aidé par une traduction très scénique d'Antoine Vitez et par un décor, stylisé et ouvert comme la mémoi· re rentrée, de Jacques Noël, gommant ce qui était mélodramatique pour élever le débat, est parvenu, bien souvent, à rejoindre le fantastique qui lui est· cher, pour tenter d'atteindre l'inconscient éveillé. Dessinant autour des personnages des halos persistants perdus dans l'espace, son travail est, dans les couleurs, les mouvements, d'une grande rigueur à laquelle de bons acteurs, venus d'horizons divers, se sont pliés avec foi et succès. Au Théâtre de France, Antoine Bourseiller a choisi, avec Oh! America, de nous montrer l'Histoire notée au jour le jour dans le carnet de voyage d'un auteur et metteur en scène européen visitant les Etats-Unis durant seulement trois mois. Lui non plus ne prend pas parti, et on le lui a reproché. C'est bien mal le connaître : Bourseiller n'a jamais eu l'intention de faire le procès de l'Amérique. Et même s'il y a quelque chose d'attachant dans sa démarche, l'Amérique qu'il a vue, nous la connaissions déjà: il a cru, à son tour, découvrir l'Amérique. et il ne nous a ramené, dans un «défilé rock et guitares., que l'œuf de Colomb. Lucien Attoun (1) Ce spectacle sera repris en Janvier dans la région parisienne. (2) Ce texte, comme l'Ane de l'hospice, est publié aux éditions de l'Arche qui viennent d'éditer dans la coll. Travaux : les Importants écrits de Brecht sur le thélltre, le cinéma, le réalisme, les arts et la ré· volution.

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CINilMA

Retour a'" Brecht Goldoni Le Marquis 'de Montefosco Le Grenier de Toulouse '

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« Un théâtre pourri jusqu'à l'os ". Ce n'est pourtant pas - on pourrait aisément s'y tromper du théâtre français tel que le pratique officiellement notre société, qu'il s'agit là, mais de la comédie italienne telle que la voyait, au XVIIIe siècle, Goldoni, quand il entreprit de la réformer. Jean Jourdheuil, « dramaturge " de ce spectacle, a quelque raison de faire le rapprochement, et de nous rappeler le jugement que Goldoni, qui se refusait à croire incompatibles enseignement et divertissement, prononçait contre une « commedia." exténuée, condamnée à mort pour avoir séparé le Théâtre et le Monde. Depuis lors, Brecht est passé par là, et il faut bien reconnaître qu'au moment où chacun se demande à quoi peut servir aujourd'hui le théâtre, il est tentant de répondre par le propos très. brechtien de Patrice Chéreau :. il peut servir à nous racont~r des histoires où on nous montre comment ça fonctionne entre les hommes, c'est-à-dire à nous éclairer sur les mécanismes des sociétés et sur les jeux qui s'y jouent. Comme aussi force est bien de constater que dans le néant du théâtre à Paris, les seuls spectacles récents qui aient eu quelque chose à nous dire sont ceux qui s'inscrivènt dans cette perspective, que ce soit Homme pour homme (dans la mise en scène de Sobel, à Gennevilliers), la grande Enquête de F.F. Kulpa, par Vitez, Toiler par Chéreau et 1789 de Mnouchkine (ces deuxlà il est vrai à Milan), ou même, encore que ces spectacles ne se veuillent pas brechtiens, Octobre à Angoulême, ou la Moscheta vue par Maréchal. Pour le Marquis de Montefosco devenu (le Feudataire dans la seconde version), J.P. Vincent et Jean Jourdheuil, qui l'ont fait jouer et traduite pour la première fois en France, avaient la partie belle pour lire la pièce, comme ils l'ont fait,- à travers les strictes lunettes de Brecht. Il n'est pas en effet un moment de l'imbroglio, dans la pièce de Goldoni, qui ne soit constitué par le jeu des contradictions sociales. Aristocratie, bourgeoisie, métayérs, paysans sont aux prises. Dans cette œuvre contemporaine de la Locandiera (1752) Goldoni continue de régler son compte à

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Jerry Lewis Ya, ya, mon général Elysées Lincoln Il Saint-Germain village

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une aristocratie pourrie, dont il n'a cessé de ridiculiser l'hégémonie, ici un jeune marquis, gamin taré qui ne quitte les jupes de sa Marquise de mère que pour tenter de mettre .à mal (droit de cuissage toujours) les filles du village: venu prendre possession d'un héritage acquis . par escroquerie, ce Don Juan œdipéen et minable va mettre le feu aux poudres. Mais les notables du bourg, bourgeois empê~rés dans leur obséquiosité dérisoire, leurs histoires de gros sous et leurs rodomontades de maris bafoués ne sont pas gâtés davantage (ni non plus leurs caquetantes épouses), quelque sympathie que Goldoni ait eue, un moment,' pour une bourgeoisie en lutte contre une aristocratie en décomposition. Il semble bien que, dans ce monde en faillite, seuls ceux qui n'ont rien à perdre, ce menu peuple vers lequel se tournera, pour finir, le Goldoni de Barouf à Chiogga - ici des paysans pauvres, d'autant plus libres qu'ils n'ont rien - sont présentés comme porteurs d'un espoir. Bref, la chose sociale fait tout le matériau de la pièce; même Arlequin et Pantalon, vestiges de la «commedia JO se retrouvent ici insérés dans la société : l'un est garde-champêtre communal (et prolétaire), l'autre, intendant de la Marquise. A partir de ces données de Goldoni, le déchiffrage de Vincent et Jourdheuil est remarquablement Intelligent, et clair; un peu systématique aussi, ce serait la seule réserve : une volonté comme enragée d'élucidation brechtienne, d'analyse socio-politique, le plaisir forcené de rendre tout explicite, et de tout expliquer par le mécanisme des classes; non seulement il n'y a pas un personnage qui ne soit envisagé comme prenant part à cette lutte des classes, et des groupes, mais

il n'y a pas un geste, pas une intonation, pas un gag, qui ne vise à révéler· une situation, à nous dire comment les situations transforment les caractères. Mais comme ce remarquable travail scénique se fonde sur un style de jeu qui sert aussi bien le rire que l'analyse, le plaisir est constant : un jeu distancié, souverainement libre, à travers lequel l'acteur, en parodiant les gestes convenus du rite social, joue àvec son personnage, le commente, le critique et nous dit le plaisir qu'il prend à s'amuser de lui, d'où l'impression de fête - une fête de l'esprit et du corps - que laisse cette mise en scène, notamment grâce au jeu de l'étonnant acteur qu'est François Dunoyer, Arlequin paumé mais indescriptible, r,evu à travers Buster Keaton et les Marx Brothers. Certes, les décors et les costumes qui sont beaux, rappellent outrageusement Chéreau : hommage? citation? référence irivolontaire? Il est vrai que Chéreau et Vincent on travaillé longtemps· ensemble. Mais tout y est :' les ruines vieux rose - société qui se déglingue velours 'blancs et lumière blanche, grands manteaux et chapeaux dans les beige et les grège, etc. - Il était peut-être maladroitd'accentuer cette référence, car il est bien évident qu'il n'y a pas dans ce spectacle, si lumineux et drôle, et intelligent qu'il soit, l'exceptionnelle puissance créatrice de Chéreau, son génie inventif, ce sceau, cette griffe, dont il marque chacun de ses spectacles et qui laisse à chaque fois .Ie critique médusé : on vient encore d'en être frappé avec le Toiler qu'il vient de créer à Milan). Gilles Sandier

Au premier regard, Which way to the front est une démystification. Il exploite la recette du film de commando dont, sinon le prototype, du moins le modèle le plus achevé reste les Douze salopards de Robert Aldrich, tout en déréglant ses ressorts et ses engrenages. La machine continue de fonctionner mais son mouvement, comme convaincu de sa futilité et de sa nuisance, ne consent plus qu'à tourner au hasard ou, au mieux, à l'inverse. A la place du baroudeur impassible, maître lucide et farouche de la vie et de la mort, un magnat las et terrifié de lui-même. Des laissés pour compte, réformés comme leur capitaine, prennent la place des repris de justice sauvages et héroïques. Le Noir, traditiqnnel otage du libéralisme, n'est plus l'intellectuel, ou le pur, du groupe mais, cyniquement, le chauffeur du milliardaire. L'aventure même, jadis marche hallucinée, ponctuée des brutalités sanglantes vouées au frémissement délicieux du spectateur, se transforme en promenade nonchalante. Ce serait toutefois appauvrir le dernier film de Jerry Lewis que d'y voir une simple parodie. Au moins au cinéma, l'apparition du dérisoire sonne le glas des genres et des séries. Elle est le dernier soubresaut commercial d'un moribond, l'ultime exploitation possible, par les Stooges, Abbott et Costello, jadis, d'un filon épuisé. Sans doute, Which way... entreprise commerciale aussi" obéit-il partiellement à la loi, mais cette soumission reste secondaire. La raison du film est ailleurs, dans le retournement singulier d'une classification. Jerry Lewis refuse le choix traditionnel entre le comique psychologique, classique, et le comique matériel, d'objets ou de situations, cher au burlesque et au slapstick, pour découvrir un chemin plusieurs fois entr'aperçu, par lui-même et par d'autres mais dont l'exploration n'est pas moins nouvelle et, pour la première fois, délibérée. Nouvelle d'abord par ce qu'elle rejette. Which. way... ne manifeste plus, vis-à-vis des choses et des événements, aucune agressivité. Le tOI1 est celUi d'une désinvolture superbe. Pour Brendan Byers III la ri-


Entre Jerry et Lewis

par Louis Seguin chesse n'est plus un moyen de conquérir mais une possibilité de dédaigner. Que l'armée des EtatsUnis. refuse de se vendre n'est pas le signe de sa vertu mais la tare d'une sottise irrémédiable, un refus d'accéder à l'ordre du dandysme que toute une part du film développera. Inversement les protagonistes, parce qu'ils acceptent leur achat, sont tenus pour dignes d'estime; leur accord est la partie visible d'un mépris fondamental.

fabricants et, d'autre part, la carrière de Jerry Lewis apparaît déjà comme un perpétuel affrontement avec le double. En 1958, dans Simple Simon ou l'anti.James Dean, premier écrit sérieux, en avance de plusieurs années, sur la vedette, alors, de Artists and Models (Positif, n° 29), Robert Benayoun insatiable inventeur, exégète et récipiendaire, décrivait par le menu le dédoublement de Joseph Levitch, producteur cerné de courtisans et de gardes du corps (il parlait, prémonitoire, de • général d'une clique Une maladresse stipendiée.), et de Jerry Lewis, parfaite créature pathétique et incertaine. C'était dix ans après les débuts de L'équipement du commando, surMy Friend Irma et .douze ans avant vêtement de luxe, uniforme de Which way... L'affrontement, et la grand faiseur, mitraillettes plaquées poursuite, n'ont jamais cessé, mais or et Rolls de campagne, est, de depuis quelque temps on sentait même, magnifié, détourné dè sa chez le chasseur une résolution vocation d'instrument guerrier comme les personnages renient leur' nouvelle. En 1963, Jekyll" avait été tout prêt, dans The Nutty Professar, destin de héros. Son utilisation, par de rejoindre Hyde, ou, ce qui reinadvertance toujours, est d'une maladresse parfaite. Au cours d'un" vient au même, de se laisser rejoindre par lui, mais le piègé manentraînement pourtant simplifié par les ressources de l'hydraulique et quait encore <le précision.' Which way... rompt alors avec le passé et du confort, les mitraillettes perforent les voitures qui passent tan- reprend, avec le ferme propos de forcer enfin la proie, la tactique sur dis que les obus de mortier ravaune nouvelle base et d'abord, comgent les. stations-services du' voisime on l'a vu, en éliminant toute nage. A quoi bon d'ailleurs l'efficapossibilité de distraçtion. cité? L'aventure est à l'image du yacht qui emmène l'équipe vers l'Europe. Elle glisse, dédaigneuse, Les mobiles médusant le danger, à peine bercée par la houle lente d'une mer d'huile. de la quête Lorsqu'il faut investir une forteresse et desceller une grille pour Dans un premier temps, il fallait qu'un général nazi s'y engouffre préciser les mobiles de la quête, comme dans une trappe, l'opération établir la certitude d'un déchirement et codifier les simulacres de est menée avec un mépris sardonique des règles. Les envahisseurs la chasse. L'opération est vite et se glissent derrière les sentinelles habilement menée. Le ql,ladragéfigées avec -la démarche des créanaire superbe qui s'avance dans tures de Chuck Jones. Ils font brûun murmure de servilité discrete,/ ler un chalumeau jusque sous les le voici qui médite un moment à pieds d'officiers insensibles, col'écart puis qui se retourne vers le public (les témoins réels, je veux gnent à tour de bras et accumulent les fausses captures sans provo- dire les. figurants du film, ne le voient pas), grimaçant, en train de quer la moindre réaction. Le téter spasmodiquement une sucette concret est devenu si malléable, si de plastique. Un peu plus tard, bien soumis à la puissance qui le provoque, qu'il finit par renoncer à pour avoir, épreuve qu'il ne peut la lutte, s'effacer de lui-même, aller supporter, rencontré une résistance, il se désorganise soudain, se au-devant de sa propre défaite. détruit en une succession frénétiReste à savoir au profit de quoi, de tics. ou plutôt de qui, s'effectue la reAprès le mobile, l'objectif. Bren~ traite. L'évidence de la réponse ne dan Byers III découvre que le mava pas 'sans incertitude. Dire qu'il réchal Kesselring lui ressemble s'agit de l'auteur, confondu avec le comme un faux-frère et décide, parhéros, ne suffit pas à rendre compte tant pour l'Italie, de le capturer et de l'originalité de Which way... car, d'une part, il est établi qu'~u ciné- de le remplacer. Enfin, la stratégie. Les épaves qu'il achète, vêt, nourma le propre des grands acteurs rit et commande sont plus que des comiques est d'être leurs propreS La Qulnulne Uttéralre, du 1er au 15 janvier 1971

larbins disposé à la flatterie; ils sont des miroirs, prétextes à affrontements préparatoires. L'und'entre eux, Jan Murray, le démontre en lui ressortant avec talent la suite complète de ses contorsions. Un second, Dack Rambo, porte le nom arboré par le double du Nutty professor : Love. Le profil et l'épaisseur mêmes de ces personnages secondaires renvoient inlassablement à Jerry Lewis. Ils sont à la fois les' preuves supplémentaires de son existence et les faire valoir de son génie. Le prouve ce qui est la scène clé du film. Avant l'assaut et la capture il s'agit de recréer la démarche de Kesselring, allure infiniment particulière, secret mystérieux de cette personnalité que l'on est venu traquer. Chacun alors de proposer sa version et toutes les imitations sont brillantes et plaisantes jusqu'au moment ou Lewis lui-même entre en scène et, en quelques pas, surclasse ses prédécesseurs de manière d'autant plus définitive que le modèle est un autre lui-même. Il ne reste plus, dit alors quelqu'un, qu'à imiter l'âme du double.

Pas d'extrapolation historiqùe Malgré les implications romantiques du thème, il faut se garder alors de toute extrapolation historique. Which way... n'est pas une nouvelle version de la Lutte avec l'Ange. Il est bien entendu que l'alter ego, si Lewis le'poursuit, ce n'est pas pour. lui arracher un secret ontologique, mais pour l'écraser sous son propre ridicule. L'investissement n'a d'autre raison, au moins au départ; que la destruc-

tion. Kesselring est un nazi, soit. selon l'optique parfaitement juste de l'auteur, non un génie du mal mais un pantin vil et odieux, un grotesque cafouilleux, dont les bévues, bien qu'orientées par l'imposteur, paraîtront couler de source. A peine dans la place, il fait subir au double le même traitement qu'aux S.S. qu'il est amené à décorer, un matraquage vengeur. Ce faisant, Il refuse toute métaphysique de confection et toute méditation morose. Il ne s'arrête pas à donner une issue favorable à la chasse, Il en brise la contradiction et du même élan dépasse son objectif. Le double maudit, traqué, .Investi et méprisé va permettre une autre confrontation et une autre destruction. Brendan Byers III s'en prend à Hitler lui-même. Sidney Mil· 1er, qui incarne le führer, saute, ef· frayé, sur une table avec le même mouvement que Lewis avait jadis pour se réfugier dans les bras de Dean Martin et ce rappel fragmentaire d'identité, d'inspiration chaplinesque, est là pour signifier que si le faux Kesselring séduit, cajole, bafoue et dynamite le maître de l'Europe, ce n'est pas seulement pour donner à l'auteur le plaisir gratuit de refaire l'histoire à son profit. C'est aussi et surtout pa~c~ que cet anéantissement est dans la logique accélérée du projet initiai, logique peu euclidienne d'ailleurs puisque la volonté s'y transforme délibérément en velléité, en volonté feinte, jouée et qui profite de sa fiction et de son jeu. La proie est devenue appât et prétexte, ainsi qu'en témoigne le rebondissement final. Incapable de s'arrêter, Lewis s'en prend au Japon, en attendant... Ainsi, au-delà de l'imitation, dE! la compétition. et de l'hallali, Which way... est, poussé jusqu'au paroxysme de la jubilation (le rire du spectateur est une sécrétion de sa propre euphorie), un cinéma Impérialiste de l'exploitation .de sol-mê~. Louis Seguin

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Comment devenir , ecrlV81D de télévision ?

'l'llUYUIOl!f

La plupart des écrivains produit des livres, mais au même titre sont écrivains ceux dont l'écriture vise le théâtre, le cinéma, la radio ou la télévision. Si la situation des producteurs de livres en France est aujourd'hui déplorable (1) la situation des écrivains dans les domaines autres que ceux du livre est pire : vendre le scénario d'un film, faire jouer une pièce, voir réaliser une dramatique T.V. sont des rêves aussi fous que ceux d'un joueur de tiercé. . La T.V. est aujourd'hui le medium de pointe et elle est déjà lourde de son propre dépassement : les images en cassettes, d'ici cinq ans, seront les plus importantes marchandises du loisir. culturel -. Les écrivains devraient donc trouver là un champ de travail leur permettant de se livrer à de nouvelles expériences, de prendre pied dans le réseau moderne des communications, de se consoler de la mévente du livre et de la désuétude croissante de la littérature éditée... Cette hypothèse de bon sens est pure folie par rapport à la réalité. La

IAVecAIR

télévision n'est encore pour les écrivains (mais ne devrait-elle pas l'être pour tout son public ?) qu'un objet de scandale. Les écrivains sont directement intéressés par la T.V. sur deux plans: 1) Premier moyen d'information, la T.V. n'accorde que peu de place à la littérature et d'une manière qui mérite une profonde critique. Quelques émissi'ons spécialisées laissent échapper l'essentiel et réduisent à peu près la littérature à un art d'agrément. 2) La T.V. emploie des auteurs pour produire un certain nombre d'émissions et à ce titre leur commande des œuvres·: scénarios, adaptations, dialogues pour films, séries et feuilletons; textes de pièces réalisées en video (2). Ces auteurs sont donc des écrivains de télévision. Qui sont les écrivains de télévision? Comment peut-on devenir écrivain de télévision? telles sont les deux questions qu'on doit se poser pour dévoiler l'articulation de l'écriture et de la télévi-

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sion. Remarquons d'abord que la télévision française est une de celles qui, en Europe, font le moins appel aux écrivains tant le nombre de dramatiques réalisées y est faible; celle aussi, sans doute, qui repousse le plus les écrivains de talent par son système de sélection, à tel point que nombreux sont déjà ceux qui préfèrent travailler pour la B.B.C. (Grande-Bretagne), la Bavaria (R.FA) ou la RAI. (Italie). La R.T.F., puis l'O.R.T.F. ont tout· fait pour échauder les écrivains en mettant sur pied un très curieux système d'humiliation qui va de l'absence totale de correspondance - pour un projet déposé dont on n'aura jamais de nouvelles à l'interminable délai de paiement (médiocre, d'ailleurs) en passant par la non-motivation des refus, la non-réalisation de textes commandés, la non-diffusion de textes réalisés, etc. La politique suivie jusqu'à cette année par le Service des Dramatiques pour obéir et plaire au Conseil d'Administration et à la Direction de l'Office a été déplorable. Aucun écrivain n'a été ici révélé, contrairement à ce qui s'est passé en Allemagne, et surtout en Grande-Bretagne. On s'est contenté d'inviter quelques privilégiés à se couler dans le moule de la grille des programmes sans tenter aucune expérience intéressante, sans prendre le moindre risque à l'égard de la création. Le seul résultat a été de former des fabricants de • dramatiques. qui se contentent le plus souvent de mettre à une nouvelle sauce les thèmes éculés du cinéma, du théâtre et du roman les plus désuets. Quelques noms pris au hasard permettent de se faire-une idée: Christine Arnothy, Jean Cosmos, Yves Jamiaque, Youri, Denise Lemaresquier... On en reste pantois surtout si l'on sait ce que cela doit au copinage et au • piston. et si l'on ajoute que la politique suivie à l'égard des réalisateurs est à peu près analogue. On a pu croire depuis près d'un an qu'un effort allait être fait. La création d'un Bureau Central des Textes, Idées et Projets d'Emissions, installé dans les bâtiments des Buttes-Chaumont a pu faire espérer aux auteurs qu'ils trouveraient de meilleurs interlocuteurs, que leurs projets seraient plus sérieusement étudiés, que la sélection serait mieux faite. Or, pour l'instant, ce B.C.T.I.P.E. est un échec. Il a bien permis une certaine

rationalisation des études mais il s'est heurté à deux problèmes insolubles : l'impossibilité de faire une prospection sérieuse en raison de la méfiance des écrivains à l'égard de l'O.R.T.F.; l'inefficacité totale, puisqu'il n'est tenu aucun compte de ses avis. Sa sélection reste entièrement platonique tant que le choix des émissions est le privilège des directeurs de chaîne. Après dix mois de fonctionnement ce Bureau est inutile.

Les neuf conditions

à remplir Alors, comment faire pour devenir écrivain de télévision à l'O.R.T.F., tel qu'il est? 1) Avoir le goût du jeu comme à la Loterie Nationale et, en plus, une très grande patience. 2) Etudier avec attention la grille des programmes pour savoir ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. 3) User du langage sans sortir des normes en vigueur. 4) Eviter la politique et l'érotisme. 5) N'écrire que des textes qui se terminent bien, afin de ne pas traumatiser les téléspectateurs. 6) Déposer ses projets au B.C.T.I.P.E. (3). 7) Convaincre un des • grands réalisateurs. (ceux qui sont à peu près sûrs de réaliser leurs projets) de s'intéresser à votre proposition. 8) Faire intervenir auprès de la Direction Générale quelques amis politiques; 9) Etre l'ami d'un directeur de chaîne. Ecrivains, voici quelques recettes pour voir vos œuvres sur le petit écran. Elles ne sont pas garanties car le hasard joue aussi beaucoup et la concurrence est rude. Mais n'oubliez pas que la radio (qui touche un moindre public et rapporte moins de droits) dispose de plus d'heures d'antennes et d'une plus grande marge d'audace; n'oubliez pas non plus que certains agents littéraires peuvent vous mettre en contact avec des télévisions étrangères... Olivier Misaine (1) Cf, le rapport du Groupe lettres de la Commission des Affaires culturelles du VI' Plan, dont des extraits ont été publiés par. le Monde. du 27 novembre 1970. (2) Moyen électronique de prise de vues. (3) 36, rue des Alouettes, Paris-Hr.


Livres publiés du 5 au 20 décembre cette nouvelle série, consacrée aux maîtres de la science-fiction.

ROMANS H~ANÇAIS

Yves de Bayser Le jardin Préface d'A. Pieyre de Mandiargues Tchou, 128, p., 18 F Un récit d'une grande densité poétique sur le rapt d'une jeune fille et sur ses consentements. Francis van Eyckeen Willy pour les intimes L'Or du Temps, 166 p., 24 F Aventures policières et érotiques. Stephan Wul Œuvres Le temple du pSssé Pièges sur Zarkass La mort vivante Coll. «Ailleurs et demain classique. Laffont, 368 p., 20 F Le premier volume de

32 ill. d'André Masson pour le tome IIi 32 i11. de Chagall pour le tome IV Coll. «La Gerbe illustrée. Gallimard, 512 et 572 p., 97 F le volume.

ROMANS ETRANGERS Ph. K. Dick Ublk Trad. de l'américain par Alain Dorémieux Coll. «Ailleurs et demain. Laffont, 272 p., 18 F Un roman de sciencefiction quelque peu psychédélique, qui a pour cadre le monde en 1992.

BIOGRAPHIES MEMOIRES •

REEDITIONS n.ASSIQUES

Lou Andreas-Salomé Correspondance avec Sigmund Freud 1912-1936, suivi du Journal d'une année (1912-1913) Trad. de l'allemand par Lily Jumel, avant-propos d'Ernst Pfeiffer Gallimard, 496 p" 39 F Voir le n° 26 de la Quinzaine. Maud de Belleroche Des femmes La Jeune Parque éd., 230 p., 24 F Une étonnante radioscopie de la sexualité féminine

André Malraux Œuvres· Tomes III et IV : L'Espoir et Antimémoires

à travers le portrait de quelques grandes artistes de l'érotisme. M. Bleustein-Blanchet La rage de convaincre 68 pages in texte Laffont, 448 p., 28 F Coll. «Vécu. L'étonnante aventure d'un homme embrasé dès son jeune âge par une vocation alors fort décriée : celle de la publicité. Georges Suffert Charles de Gaulle 1890-1970 ill. d'A. Gobert 650 photos Vilo, 400 p., 88 F La vie de Charles de Gaulle, de l'enfance à la mort, reconstituée par le texte et par l'imaye.

CRITIQUE HISTOIRE LITTERAIRE Emilien Carassus Barrès et sa fortune

littéraire Ducros, 227 p., Barrès cinquante ans après.

mutations qui .peuvent bouleverser le cours d'une destinée littéraire.

Pol Gaillard André Malraux 8 illustrations Bordas, 224 p., 12 F Les aspects à la fois contradictoires et indissociables de Malraux.

La littérature française Tome III : Les évolutions du XIX' slèle Sous la direction de H. Lemaître, A. Largarde et L. Michard, avec la collaboration de T. van der Elst et R. Pagosse 1 200 i11. en noir, 32 hors-texte en couleurs Bordas, 640 p., 96 F Du romantisme au symbolisme, en passant par la réaction naturaliste et sa contre-réaction « surnaturaliste -.

Emile Glénisson L'amour dans les romans de François Mauriac Editions Universitaires, 112 p., 29,95 F Les clefs d'une œuvre littéraire demeurée jusqu'au bout sous le signe de la contradiction. Simon Jeune Musset et sa fortune littéraire Ducros, 192 p., 16 F Le «cas Musset - en tant qu'exemple privilégié des

Le groupe et la rupture Ouvrage collectif Coll. « Change Seuil, 224 p., 24 F Breton, Artaud, Bataille, Aragon, Leiris : cinq

Une nouvelle forme d'équipement culturel LE COLLÈGE GUILLAUME BUDÉ DE YERRES a 1 CES 1200 élèves : enseignement général b 1 CES ·1200 élèves : enseignement scientifique et spécialisé c 1 CES i 200 élèves : enseignement pratique d 1 Restaurant libre-service. salles de réunion, centre médico-scolaire e 1 Logements de fonètion . f 1 Salle de sports avec gradins (1000 places) .....::--< '" et salles spécialisées ',""j;1~ g 1 Piscine ~ .'.' h 1 Installations sportives de plein air i 1 Formation professionnelle ,~' "li . et promotion sociale j 1 Bibliothèque. discothèque 'il' k 1 Centre d'action sociale, garderie d'enfants; conseils sociaux. accueil des anciens 1 1 Maison des jeunes m 1 Centre d'action culturelle: théâtre. galerie d'exposition, musêe. centre (renseignement artistique n 1 Foyer des Jeunes Travailleurs

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écrivains séparés avec violence mais unis dans une même démarche créative. Jacques Monférier Le suicide 12 Illustrations Bordas, 192 p., 12 F Un étude comparative des différentes orientations que ce thème a Inspirées à la littérature de tous les temps. René Rancœur Bibliographie de la littérature i,ançaise du Moyen Age à nos Jours A. Colin, 340 p., 33 F L'année 1969. Sainte-Beuve, Lamartine A. Colin, 152 p., 22 F Comptes rendus des colloques de la Société d'Histoire littéraire (8 novembre 69).

SOCIOLOGIE PSYCHOLOGIE

Aspirations et transformations sociales Sous la direction de Paul·Henry Chombart de Lauwe Anthropos, 388 p., 40 F Textes de deux colloques organisés avec le concours de l'Unesco, de l'Association Internationale de Sociologie, du C.N.R.S. et de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. .Domlnique Barrucand La catharsis dans le théâtre, la psychanalyse et la psychothérapie de groupe . Ed. de l'Epi, 400 p., 45 F Les principales formes d'action psychothérapique et les modalités du processus .cathartique. •

David Cooper Psychiatrie et antl-psychlatrle Trad. de l'anglais par Michel Braudeau Coll. • Le Champ Freudien Seuil, 192 p., 18 F La prise de position d'un psychiatre anglais contre la violence subtile qui, née dans la famille ou le milieu, s'exerce à travers

30

"Institution psychiatrique. Roland-Claude Gori Annick Bondoux Le vécu de l'alcoolique Illustré de dessins d'alcooliques Editions Universitaires, 200 p., 39,95 F Une étude à la fois structurale et descriptive, qui met l'accent sur l'échec de la thérapeutique communément en usage. Herbert Marcuse Culture et société Editions de Minuit, 392 p., 24 F Un recueil d'articles écrits entre 1933 et 1968 et qui constituent les fondements de la pensée de Marcuse sur le travail et sur le lois,ir.

Fayard, 320 p., 25 F Un bilan des travaux sur les phénomènes extrasensoriels menés au Laboratoire de parapsychologie de l'Université Duke. Miguel de la Puente Carl Rogers : de la psychanalyse à l'enseignement Ed. de l'Epi, 376 p., 39 F Une présentation de l'œuvre de Carl Rogers replacée dans son contexte culturel • et personnel. Robert S. de Ropp L'énergie sexuelle Trad. de l'américain par Denis Verguin Laffont, 304 p., 22 F Le rôle de l'énergie sexuelle dans le comportement humain, étudié d'un point de vue à la fois physiologique et historique.

Edgar Morin L'homme et la mort Seuil, 352 p., 29 F Nouvelle édition, revue .Theodore Roszak et complétée, du Iivr'eVers une contreclé d'Edgar Morin, pa...u culture pour la première fois Trad. de l'américain en 1951. Stock, 320 p., 25 F Une analyse originale du' phénomène Edgar Morin contestataire. Journal de Californie Seuil, 272 p., 18 F Th. Isaac Rubin Vivre ses colères Le journal rapporté Trad. de l'américain par Edgar Morin de son récent voyage par D. Barbier Laffont, 192 p., 15 F aux U.SA Du bon usage d'un sentiment beaucoup plus Siegfried Nadel . salutaire qu'on ne le La théorie de la croit communément. structure sociale Traduction et K. Sayabalian présentation par Le bonheur est à vous J. Favret Sodi, 204 p. Coll. • Le sens Comment échapper à la commun ,Editions de Minuit, pitoyable condition qui est celle de l'homme 232 p., 20 F dans le monde Par un précurseur de la contemporain . pensée structuraliste, né à Vienne en 1903, • émigré à Londres en David Victoroff 1932, mort en 1956. Psychosociologie de la publicité P.U.F., 144 p., 12 F Wardell B. Pomeroy Une étude, appuyée sur Les filles et le sexe les travaux les plus Trad. de l'anglais récents, des différents par Solange Bernard aspects psychiques et Buchet/Chastel, sociaux de la publicité . 186 p. Un guide destiné aux adolescentes et qui PHILOSOPHIE s'attache à mettre en évidence les facteurs psychologiques, Francisco Bravo physiologiques et La vision de l'histoire sociaux impliqués par chez Teilhard de leur développement Chardin sexuel. Cerf, 448 p., 63 F La réflexion de Teilhard Louisa E. Rhine sur le devenir humain Les voles secrètes et sa position par de l'esprit rapport à Saint Augustin, Coll.• Expérience Hegel, Dilthey et psychique Heidegger.

Bernard Halda Maine de Biran Bordas, 192 p., 10 F La vie et la pensée de ce philosophe dont l'influence sur les doctrines actuelles est de plus en plus marquée. Gérard Lebrun Kant et la fin rie la métaphysique A. Colin, 528 p., 89 F Essai sur la • critillue de la faculté de juger -. Georges Mounin Introduction à la sémiologie Coll. • Le sens commun Editions de Minuit, 224 p., 20 F Par l'auteur de • Clefs pour la linguistique - et de • La Communication poétique -.

ESSAIS J. Gaston Bardet Le trésor secret d'Ishrael 4 p. de hors-texte Coll. • Les énigmes de l'universLaffont, 472 p., 25 F Une analyse de la scission hébraïco-chrétienne et du chisme entre les Eglises d'Orient et d'Occident, fondée sur l'exégèse des Lettres-Nombres hébraïques.. Jean Baubérot Le tort d'exister Ducros, 264 p., 12 F Une analyse originale des problèmes théoriques posés par le conflit judéo-palestinien. J.P. Brisset La grammaire logique suivie de La Science de Dieu Préface de M. Foucault Tchou, 337 p., 32 F • Doctrine d'un ordre linguistique où se trouve démontré que les hommes étaient autrefois des grenouilles ... -. François Dagognet Le catalogue de la vie P.LJ.F., 192 p., 25 F Une tentative audacieuse de classification des espèces vivantes. La médecine moléculaire Ouvrage collectif sous la direction

du Dr Djian Laffont, 368 p., 20 F Un ouvrage rédigé par un groupe de médecins et de biologistes à l'intention de tous les publics.

l'époque contemporaine Trad. de l'anglais par D. Paveleski, avec la collaboration de M. Chpolyanski 22 cartes Coll .• L'Univers Historique Seuil, 1 200 p., 95 F Le premier volume de cette nouvelle collection qui se propose d'établir une médiation entre l'Université et le public amateur d'histoire.

Jean Pailhous La représentatiOiI de l'espace urbain (L'e:cemple du chauffeur de taxi) P.U.F., 104 p., 17 F Une analyse, étayée sur un exemple précis, des mécanismes mis en jeu par l'homme pour aClluérir la connaissance et la maîtrise de l'espace urbain.

Enric Espieut Histoire de l'Occitanie 2 cartes, :3 eaux-fortes originales de J.-L. Sévérac Editions Cap E Cap, 300 p., 24,50 F L'aventure d'une civilisation qui, en dépit des ravages d'une centralisation excessive, a continué de croire en elle-même.

Jean Sendy L'ère du Verseau La fin de l'illusion humaniste 8 p. de hors-texte Coll. • Les Enigmes de l'Univers» Laffont, 352 p., 20 F Une étude qui s'efforce de répondre aux questions que l'on peut se poser de nos jours sur la place de l'homme dans le cosmos.

Gérard Israël Jacques Lebar Quand Jérusalem brûlait 8 p. de hors-texte Coll. • Ce jour-làLaffont, 280 p., 20 F La chute de Jérusalem (le 29 août de l'an 70), reconstituée d'après des documents peu connus et replacée dans la longue histoire d'Israël.

Mario Mattioni Sur le chemin des anciens potiers 36 illustrations Editions Maritimes et d'Outremer, diff. Seuil, 152 p., 28 F . Par le directeur du Musée Départemental de Fort-de-France, un document de première main sur le monde métaphysique indien et sur ses soubassements archéologiques.

HISTOIRE

La France à l'époque napoléonienne Graphiques, tableaux A. Colin, 562 p., 18 F Le texte des communications et des discussions du Colloque organisé à la Sorbonne en octobre 1969. •

Henry Contamine La victoire de la Marne (9 sept. 1914) 32 pl. hors texte et 3 dépliants Coll. • Trente journées qui ont fait la France» Gallimard, 464 p., 42 F Une étude très nouvelle, qui s'appuie sur une documentation en grande partie inédite. Dictionnaire archéologique de la Bible 48 illustrations F. Hazan, 350 p., 90 F Un répertoire des noms géographiques de la Terre Sainte, avec leurs définitions actuelles. • Francis Dvornlk Les Slaves, histoire et civilisation, de l'Antiquité aux débuts de

Louise Michel La Commune Stock, 480 p., 18 F Réédition de ce livre célèbre, dans la réplique de son édition originale, et augmentée des souvenirs de son éditeur ainsi que de sa correspondance avec Louise Michel. M. Mollat P. Wolff Ongles bleus Jacques et Ciompl Coll. • Les grandes vagues révolutionnaires Cal mann-Lévy, 330 p., 22,30 F Les révolutions populaires en Europe au XIV· et XV· siècles. Régine Pernoud Jeanne devant les Cauchons Seuil, 128 p., 13 F Un essai sur Jeanne d'Arc, où l'auteur


Bilan de déceInbre confronte les principales thèses émises sur la vie et la personne de la Pucelle avec les documents historiques que nous possédons à son sujet.

POUTIQUE ECONOMIQUE Christian Bachmann Lénine Editions Universitaires, 168 p., 18,50 F Une introduction à la lecture des œuvres de Lénine qui met en lumière leur apport réel au marxisme. Jacques Bergier Victor Alexandrov Guerre secrète sous les océans 8 illustrations Editions Maritimes et d'Outremer, diff. Seuil, 200 p-., 18 F Deux grands spécialistes nous livrent le résultat de dix années de recherches sur le conflit qui se joue actuellement dans les océans. Claude Berthomieu

La gestion des entreprises nationalisées P.U.F., 384 p., 30 F Une étude critique de la gestion des entreprises publiques du secteur monopolistique de l'Etat. • Yvon Bourdet La délivrance de Prométhée Pour une théorie politique de l'autogestion Anthropos, 294 p., 21 F Une étude prospective sur les conditions d'instauration d'une société auto-gérée, qui met l'accent sur la dialectique fondamentale entre théorie et pratique. Eldrige Cleaver Sur la révolution américaine. Conversation d'exil avec Lee Lockwood Trad. de l'américain par M.-A. Levin Coll. .. Combats. Seuil, 160 p., 15 F Une analyse impitoyable de l'avenir de la société américaine, par le leader des Panthères Noires en exil à Alger. Walter Hallsteih L'Europe Inachevée Trad. de l'-allemand par Pierre Degon Laffont, 344 p., 24 F L'avenir de l'Europe

en tant que fédération (l'auteur fut longtemps président de la commission du Marché Commun).

Préface de C. Belliard 196 p., 16 F Une expérience du Service Civil International dans une région perdue de la Kabylie, en 1953.

Monique Laks Autogestion ouvrière et pouvoir politique en Algérie (1962-1965) Edi, 336 p. Une enquête sociologique qui met à nu, à travers un exemple concret, les caractéristiques historiques, sociales et mentales d'une société particulière, en l'espèce sous-développée.

Walter Lord Pearl Harbor Trad. de l'américain par B. Ullmann Coll. .. Ce jour-là. 24 p. de hors-texte Laffont, 256 p., 20 F L'attaque par les Japonais de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, reconstituée minute par minute. Pierre Masset Les 50 mots-elés du marxisme Privat, 208 p., 18 F Un répertoire alphabétique qui se propose de donner du marxisme, sous une forme ramassée et maniable, une solide connaissance de base.

Alexandre Marc De la méthodologie à la dialectique Presses d'Europe, 112 p., 12 F Les fondements philosophiques du fédéralisme. Edgar Morin Autocritique Seuil, 264 p., 20 F Réimpression d'un ouvrage écrit en 1959, après que l'auteur a quitté le Parti Communiste.

Lorenz Stucki L'empire occulte (Les secrets de la puissance helvétique) Trad. de l'allemand par Eliane Kadlec 12 p. de hors-texte Laffont, 392 p., 28 F Par le rédacteur en chef du journal zurichois .. Weltwoche •. Colette Verlhac Les méthodes d'intégration dans l'entreprise à Grenoble Asreep éd., 210 p., 11,40 F (1, rue GénéralMarchand Grenoble) Un essai de publication intégrée dans un Institut Universitaire, en l'espèce l'Université des sciences sociales de Grenoble.

DOCUMENTS Jean-Luc Bellanger La stupéfiante histoire des drogues Préface de J. Mabileau Nombr. illustrations Ed. Del Duca, 392 p., 25 F Une étude d'ensemble abondamment documentée. Guy Déjardin Frères Kabyles

La Qnlnplne Uttéralre, du 1er au' 15 janvier 1971

Minutes du procès d'Alain Geismar Préface de J.·P. Sartre Documents de .. L'Idiot international • Editions Hallier, 224· p., 12 F. Pierre Rousselet Le grand livre du chien Préface de M. Genevoix 40 ill. en quadrichromie, 381 ill. en deux couleurs, 310 ill. en noir, 340 dessins, 6 dépliants de 4 p. en quadrichromie Bibliothèque des Arts, 740 p., 160 Fies 2 vol. Une encyclopédie très complète sur .. le meilleur ami de l'homme -.

J..J. Servan-Schrelber Ouvrage collectif Coll. .. Planète Action. Planète, 147 p., 7,50 F Un ensemble de témoignages, d'enquêtes, éclairés par une biographie et complétée par une abondante iconographie.

THEATRE MUSIQUE Edward Bond Route étroite vers le Grand Nord Traduction d'E. Kahane. Julliard, 160 p., 20,40 F Une nouvelle pièce de l'auteur de .. Early Morning •.

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Gallimard Gallirmird Anthropos

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