Quinzaine Littéraire n°105

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SOMMAIRE

R~riIlet

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Alain

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ROMANS FRANÇAIS

Jacques Tehoul Edith Thomas FrançoisSonkin Jean Freustié Robert Lapoujade Michel Déon

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LlTïERATURE ETRANGERE

Malcolm Lowry

Projet polLr une révolution à New York

par Anne Fabre-Luce

L'amour réduit à merci Le jeu d'échecs Eve et les autres Les gendres Isabelle L'Inadmissible Les poneys sauva/{es

par Lionel Mirisch par Maurice Chavardès par par par par

André Dalmas Alain Clerval Anne Fabre-Luce Alain Clerval

Sombre comme la tombe où repose mon ami Lettres

par Geneviève Serreau

11 ENTRETIEN

Durrell, écrivain et peintre

Propos recueillis par Claude Bonnefoy

12 HOMMAGE 14

Au toscin de l'Histoire Un inédit de Soljénitsyne

par Georges Nivat

16 EXPOSITIONS 17 18

L'Univers de Kienholz Le Kunstmarkt de Cologne Dans les galeries Les murs de Brassaï

par Gilbert Lascaux par Marcel Billot

Raymond Chandler

par Jean Wagner

par Roger Grenier

19 HISTOIRE 20

Charles de Gaulle Jean Baechler

Mémoires d'espoir Les phénomènes révolutionnaires

par Pierre Avri! par Bernard Cazes

21 ETHNOLOGIE

Robert JauIin

Le paix blanche

par Jean Duvïgnaud

23 CINEMA 24

Peter Sasdy Robert Kramer

Une messe pour Dracula Un rêve d'insurrection

par Roger Dadoun par Louis Seguin

25 THEATRE

Witkiewicz

par AdoH Rudnicki

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Lettres à la Quinzaine

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach. Comité de rédaction : Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski.

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Anne Sarraute.

Courrier littéraire : Adelaide Blasquez. Maquette de couverture: Jacques Daniel. Rédaction, administration 43, rue du Temple, Paris (4e ) Téléphone: 887-48-58.

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Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris (7e). Téléphone: 222-94-03. Publicité générale : au journal. Prix du nO au Canada : 75 cents. Abonnements : Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois : 34 F, douze numéros. Etudiants : réduction de 20 %. Etranger: Un an : 70 F. Six mois: 40 F. Pour tout changement d'adresse envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15551-53. Directeur de la publication : François Emanuel. Impression S.I.S.s. Printed in France.

Crédits photographiques p.

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Observer/Transworld Denoël p. 3 Vasco p. 5 Denoël p. 6 Denoël p. 7 Gallimard p. 8 Gallimard p. 9 Denoël p. 10 Ch. Bourgois p. I l Galerie de Seine p. 12 Observer/Transworld p. 13 Observer/Transworld p. 15 Observer/Transworld p. 16 Norbert Nobis-Bonn p. 17 Christel Hesse p. 18 Brassaï p.20 D.R. p.21 D.R. p.23 D.R. p.24 D.R.


1.. I.IY • • D.

Le roman comme jeu I.A QUINZAIN. Alain Robbe-Grillet Projet pour une révolution à New York Minuit éd., 214 p.

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Autant et plus encore peut-être que la Maison de Rendez-vous, ce dernier roman d'Alain RobbeGrillet nous convie à considérer la fiction comme une aventure ludique. Dans UI;le série de scénarios construits en abyme, l'auteur est, en effet parvenu à produire une fiction totalement « irrécupérable» des points de vue de l'identité du narrateur ou des personnages, de celui de la chronologie ou de la « factualité » des événements. Comment réussir à faire un texte duquel aucune vérité ne subsiste après la lecture, et qui rompt avec toutes les amarres de la vie réelle ? Cela demande un grand talent, un point de vue critique incessant et une virtuosité dans la « mise à distance» que Robbe-Grillet semble posséder au plus haut degré. Une des clefs possibles de ce livre où le mixage de type cinématographique, le brouillage systématique de toute piste amorcée sont également soutenus, est une situation fort banale, sorte de « Monsieur le Marquis rentra à huit heures ». En effet, un homme, le narrateur, attendu par sa femme, rentre chez lui, et dépose ses clefs sur une console dans l'entrée de la maison. Le roman consistera à remplir et à déployer au maximum cet événement initial, essentiellement neutre. Pour ce faire, on utilisera par exemple, les couvertures des romans policiers dont on « visualise » les images sur les rayons de la bibliothèque en haut dans la maison. Ces images s'associeront aisément en tant que « situations» terminales avec l'insertion de la clef dans la serrure et la symbolique phallique qu'elle implique. Le bruit des clefs que l'on dépose se convertira en un fracas de vitre qu'un agresseur imaginaire vient de briser pour pénétrer jusqu'à la femme qui attend dans la chambre. Les bris de vitre feront sept petits poignards transparents destinés à transpercer la chair offerte d'une victime ligotée sur un lit, et dont l'image est peut-être sur la couverture déchirée d'un des romans policiers en question. Ce que Bernard Pingaud disait de la lecture du Nouveau Roman en général demeure vrai: C'est un labyrinthe dans lequel le jeu ne consiste pas à sortir, c'est-à-dire à

comprendre la complexité, mais à s'y perdre. Dans Projet pour une révolution à New York, ce jeu se poursuit dans le sens d'une véritable propédeutique de la gratuité et du « désengagement » total pour le lecteur. En raison du poids considérable du système de valeurs avec lequel celui-ci aborde la lecture en général, rien ne lui est en effet plus difficile que de se défaire de ses habitudes de juger, de « valoriser » constamment les éléments de la fiction les uns par rapport aux autres d'une part, et aussi de les confronter sans cesse avec sa propre échelle de valeurs. La lecture de type ordinaire correspond toujours à la confrontation de deux « W eltsanschaaungen», c'est mon monde contre et par rapport à celui que l'auteur me propose qui se trouvent immédiatement « mis en jeu ». Lire, c'est opérer une série de saisies des éléments du texte, les enregistrer « comme» vrais ou moins vrais, bons ou mauvais, par rapport à soi. Tout l'arsenal aristotélicien dont nous avons hérité, les principes de cohérence interne du récit, les notions de Il supérieur» et Il d'inférieur », les concepts de péripétie, de reconnaissance ou de némésis adhèrent encore puissamment à l'esprit du lecteur contemporain. D'où sa Il déception» en face d'un roman de ce type qui est un antirécit, se détruisant lui-même au fur et à mesure qu'il s'élabore (comme l'indiquait Sartre à propos du Portrait d'un Inconnu de Nathalie Sarraute). Le lecteur aura, devant l'inutilité de ce bagage de valeurs, la sensation d'être Il joué », alors qu'il devrait entrer dans le jeu de la nonvaleur et jouir précisément du Il délestage » qui lui est proposé. Mais entrer dans le Il ludique» est infiniment plus difficile que de suivre les parcours traditionnels : c'est aller dans le sens toujours révoqué ou révocable de toute vérité comme le tentent certains philosophes tels que Eugen Fink (Le Jeu comme symbole du Monde, Minuit, coll. Il Arguments ») ou Kostas Axelos (Le Jeu du Monde, Minuit, coll. Il Arguments »). Ces pensées vont d'ailleurs beaucoup plus loin, qui proposent la totalité du monde comme jeu, et pas seulement la fiction. Si l'on décide d'acquiescer aux contraintes d'un ludisme radical en matière de roman, force nous est alors de permettre à la notion de gratification de changer de lieu et de sens. Au lieu de se situer ?Our le

Dessin de Vasco. lecteur au niveau du Il juste », du Il bien », ou du Il vrai », elle vient investir une autre région, celle du jeu des articulations des variantes proposées pour un événement dont le contenu est indifférent en Soi. Considéré dans cette perspective, Pro jet pour une Révolution à New York est une remarquable leçon de Il désappropriation » : Le narrateur (Il Disons Il je », ce sera plus simple », écrit Robbe-Grillet) est un transfuge délibéré; il assume tour à tour l'identité de tous les autres personnages, visant ainsi une Il panique des assurances vitales » chez le lecteur qui doit être constamment Il désorien té» et qu'on projette dans une errance joueuse où se succèdent indifféremment réel et imaginaire, sans distinction et sans rupture. Pourtant, l'univers Il facultatif » ainsi composé peut encore être jugé, mais seulement de manière globale et extérieure : on y verra l'épanouissement complaisant d'un monde de fantasmes sadiques, sorte de théâtre intérieur dans lequel les personnages peuvent être récupérés grâce à la cohérence de leur rôle : la femme, masochiste, y joue la Il victime », objet d'un plaisir différé et substitutif. L'homme maîtrise et détruit dans cet objet la chair qu'il hait et qui le fascine par sa virginité. But du désir et de la haine, lieu de résolution des pulsions re-

foulées et des passages à l'acte imaginaires et irréversibles pour le voyeur, la femme polarise en tant que proie toutes les gravitations irréelles qui s'ordonnent autour de sa Il facticité» charnelle. L'interprétation psychanalytique s'impose d'ailleurs devant une symbolique aussi insistante et répétitive. On pourra aussi souligner l'effet Il assujettissant » (ramenant au sujet) de cette fiction dont le but n'est autre que de renvoyer à elle-même, donc à un solipsisme caractérisé. Le Il matériau» d'où sortent les images (c'est-à-dire la Il situation initiale, et les objets qui composent les scénarios, tels que les objets abandonnés sur le terrain vague ou les accessoires d'un magasin où l'on vend des masques, de faux poignards, des mannequins de son, etc. ») est lui-même systématiquement démystifié en vue de la mystification à laquelle il va contribuer. On cherchera en vain la présence d'une conscience angoissée par sa finitude, un engagement précis d'ordre politique ou humain. Le narrateur semble jouer à se faire peur par la titillation que procure une imagerie savamment orchestrée. Ce livre est donc susceptible de susci· ter, par un retour honique des choses, un appel à la profondeur qu'il veut précisément éliminer. Heureusement, un humour étonnant soutient à chaque ligne un récit qui déborde de toutes parts ses frontières. Il met en évidence une distance critique constante de la part de l'auteur - qui commente ses propres Il séquences », se fait interroger sur les erreurs ou les contradictions de l'histoire. On rit des Il valences » imaginaires et folIes qu'il accroche insolemment aux moindres détails. En véritable Il passe-muraille» le narrateur traverse les surfaces pour se et nous retrouver de l'autre côté de distributeurs de bonbons dans le métro new yor· kais, il se travestit quand le besoin s'en fait sentir, ou décolle laborieusement les masques de chair de son visage entre deux scènes. Il semble qu'il doive absorber beaucoup de Marie-Sanglante pour avoir la force de tenir tous ensemble les innombrables fils de ses marionnettes jusqu'au brouillage final dans lequel tout et tous se confondent. Mais, comme le dit un de ses personnages (Laura, qui est tantôt sa femme, tantôt une petite fille qui serait sans doute du goût de Mathias dans le Voyeur) : Il Pour lt Ile petite vérité, il y a des milliard" et ~

La Quinzaine Littéraire, du ]"' au 15 novembre 1970

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Robbe-Grillet

da milliards de mensonges, alors... vow comprenez... »)Pour « Monsieur le Marquis rentra à huit heures », la suite de la soirée est un délire synonymique de variantes de son emploi du temps. La Révolution - qui n'est heureusement qu'à l'état de projet - est elles aussi une variante de variante - celle de la réunion de malades mentaux venus «consulter» pour une narco-analyse. Le « narrateur » nous confie d'ailleurs parfois qu'il ne parvient pas à « caser» tous les éléments de ses variantes (manière de nous impli. quer dans le jeu) : « Quant à l'escalier de fer, j'y pense, dit-il, on l'utilisera quand même », et force nous est de lui faire confiance. On aimera, je crois, les policiers sadiques - « mais la vareuse et les bottes n'empêchent pas les sentiments humains... » - qui se font servir des sandwiches au jambon par leurs victimes pendant les « pauses », et qui demandent aux ravissantes suppliciées de manger aussi « pour leur inventer des faits précis et significatifs ». Car il s'agit « d'alimenter» convenablement ce petit délire oral et spéculaire. Alors les « vampires de métropolitain JI, les hommes en blanc munis de délicates et précises seringues. les jeunes blousons noirs mimant l'action révolutionnaire seront les bienvenus pour défoncer les portes en trompe-l'œil, pour incendier lentement les rousseurs tendres de mannequins à la chair exquisement blanche. L'auteur prend son bien où il le trouve - parfois dans ses autres romans. n propose Edouard Manneret (la Maison de Rendez-vous) comme «solution possible» à une action irréelle, et décrit avec un plaisir qu'on imagine grand une mygale descendante de la scutigère de la Jalousie, perçant le sein blanc d'une victime, «ravie », extasi~ comme le supplicié chinois qui fascinait Georges Bataille (et dont la photographie ne le quittait jamais). Plus exigeant que le roman traditionnel où l'identification com· plaisante était toujours proposée au lecteur, ce livre nous enjoint de transgresser nos frontières et d'assumer «pour voir» la totalité de « l'illusoire li de la fiction en tant que tel. Exercice passionnant pour qui s'intéresse à ses propres au-delà, à ces «variantes D inconnues de nous-mêmes qui nous attendent de l'autre côté de nos « vérités D. Anne Fabre-Luce

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Un langage strict

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Jacques Tehoul L'amour réduit à merci Le Seuil éd., 222 p.

Bien des jeunes romanciers, semble-t-il, refusent (ou veulent ignorer) une certaine dichotomie : celle qui conduisait nos auteurs de naguère à séparer le « privé » du « social », la vie des individus de celle du monde. Non qu'ils aiment « situer» leurs héros dans un contexte, professionnel ou autre, trop précis, mais ils leur imposent une responsabilité quasi historique, qui dépasse ce qu'a d'accidentel et de petit leur propre drame. Tel est le cas de Jacques Teboul, dont l'Amour réduit à merci est d'enfants biafrais « constellé» squelettiques, de cadavres déchiquetés de Vietnamiens, de morts arabes de Nanterre... Raymond (en) appelle (à) Jeanne, qui n'est plus, (l'a-t-il tuée ?), mais à travers la

,

banale déchirure de l'absence et de la souffrance il lit : FNL vaincra, il découvre Hanoï, Camin, Chicago. Il a perdu, ou brisé, son amour, mais il paye ainsi pour toutes les injustices, toutes les tortures, tous les crimes de l'univers. Ce qui épaissit le roman, lui donne à la fois du poids et une certaine opacité. Comme dans les œuvres très chargées, on manque de lumière, on manque d'air. Ce que veut d'ailleurs Jacques Teboul, incontestablement. C'est pour nous oppresser qu'il se bat. Ses pages serrées, souvent belles en soi, sont faites pour nous prendre à la gorge. Mais d'où vient alors cette relative indifférence du lecteur, cette impression de demeurer à l'écart d'un livre qui se déroule (armée en marche) loin de lui, sans lui ? Probablement du parti pris allégorique. Jacques Teboul accumule des bombes qu'il se hâte de désamorcer. Quel mot chez toi corres-

pond à cette vr.swn si forte qui te hante au moment même où tu ressens la violence de l'injustice? La vieille gravure est toujours exposée dans la vitrine. C'est la page de garde d'un livre très rare de Fulgosus. Un carton dactylographié : L'Amour réduit à merci. L'amour aveuglé par un bandeau est enchaîné à {Ln arbre. D'autres personnages l'entourent. Tout ceci est très allégorique. La distance ainsi posée décolore un peu la vision. On entend des cris, mais on ne perçoit qu'un murmure. Heureusement, ce murmure a la forme des phrases acérées et ardentes de Jacques Teboul. Ce langage strict et pourtant musical, brutal et pourtant savamment composé, s'étage, se replie, se déploie, et l'on admire qu'il ne soit jamais inutile. Dans l'Amour réduit à merci, si la .fable lasse un peu, le texte demeure, métal brûlant, compact et sans paille. Lionel Mirisch

A

Se creer sOI-meme Edith Thomas Le jeu d'échecs Grasset éd., 272 p.

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Eve et les autres Mercure de France éd., 160 p.

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Une femme dresse le bilan de sa vie. Non que cette vie soit proche de sa fin, mais parce que le sentiment d'échec qu'éprouve Aude demande à être en quelque sorte vérifié. Ce qu'elle a raté, c'est son épa. nouissement de femme, plus précisément d'amante. Aucun homme ne lui a donné ce qu'elle espérait. Et l'amour, un temps partagé, de la jeune et instable Claude a fini dans l'amertume. Aude s'interroge donc. Pourquoi cette malchance? Serait-ce inaptitude à s'harmoniser avec autrui ? Serait-ce maladresse? « Je suis timide et retirée, dit-elle d'elle-même, avec, tout à coup, des flambées de hardiesse. » Du portrait qu'avec un pointillisme psychologique extrêmement habile en brosse Edith Thomas, il se dégage, en fait et avant toutes choses, la peur de s'illusionner : n'être dupe de rien, écrit la narratrice, « pas même de l'illusion du honheur. »

Pour que le bonheur ne déçoive pas, le mieux est peut-être de le créer soi-même, au lieu d'attendre qu'autrui vous l'octroie. Aude, par exemple, ne pourrait accepter « d'être définie» par un homme. Femme, elle veut être sa propre lumière, non le reflet d'un mâle; elle décidera d'assumer sa liberté même si cette liberté la voue à la solitude du cœur et des sens. Elle aura, volontairement, un enfant « sans père », un enfant né d'une blessure, presque d'un désespoir, mais à qui elle s'efforcera d'apprendre le bonheur et l'espoir, en même temps que la volonté et le courage. Edith Thomas n'a pas attendu d'écrire ce livre pour s'intéresser, comme elle dit, à « la solidarité des femmes entre elles dans un univers qu'elles n'ont pas fait et dont elles ne sont pas responsables.» Plusieurs de ses ouvrages précédents sont consacrés à celles qui ont tenté de changer le monde, en se changeant padois elles-mêmes, de Jeanne d'Arc à George Sand, en passant par les Pétroleuses, les Femmes de 1848 et Pauline Roland, en attendant l'essai annoncé sur Louise Michel. . En publiant une nouvelle édition d'Eve et les autres (qui avait

paru chez un autre éditeur en 1952), elle nous offre une huitaine de cours récits - mi-nouvelles miapologues - qui, tout en rajeunissant avec entrain et impertinence la Bible, mettent les points sur les i d'un certain féminisme.

Le ton est donné par cette réplique de la femme de Loth à son époux : « Je te hais pour ce que tu as voulu faire de moi : un être qui n'est jamais que le reflet de toi. » Mme Putiphar, la Femme adultère, Judith, Marie elle-même qui - comme l'Aude du Jeu d'échecs - se fait faire un enfant naturel (non sans l'abriter astucieusement sous la pseudo-paternité de Joseph), toutes ces femmes affirment une personnalité qui rejette l'empreinte masculine. Sans aigreur, mais ironiquement, Edith Thomas remet les choses à leur place, taillant, décousant, raccommodant l'Ancien et le Nouveau Testament. Le plaisir qu'elle y a pris est évident. On le partage volontiers, tant ces historiettes sont vives, adroitement conduites, en· jouées. L'intention, cependant, demeure grave.

M aunce Chavardès


Une satire heureuse François Sonkin Les Gendres

à la mode, de la psychanalyse - ne peut apporter de remède. Autour d'eux, la foule des gendres se referme. Ils suffoquent et leurs yeux sont ternis de buée comme ces miroirs qu'on approche de la bouche des gens presque morts.

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Coll. Lettres Nouvelles Denoël éd., 192 p.

Le livre de M. François Sonkin n'est pas un roman au sens conventionnel où l'on continue à l'entendre. Ce n'est pas d'autre part l'un de ces ouvrages qui semblent avoir pour seule ambition de bouleverser pour le rendre plus obscur le mode traditionnel du récit et de l'écriture. Il s'agit, je l'écris « toutes pro~u­ tions gardées », d'une tentative . originale et fort habilement conduite de donner de la civilisation et de l'existence quotidienne que celle-ci IL engendre», une relation qui soit à la fois émouvante, exacte et acceptable pour un lecteur, aujourd'hui quelque peu saturé de ces comparaisons.

Un langage Emouvant, exact et ~acceptable, ce roman l'est en effet par une qualité essentielle, celle du langage. Sans jamais rien devoir à quelque mode que ce soit, cette réussite mérite d'être soulignée, car elle n'est pas commune: syntaxe, voca· bulaire, utilisations facétieuses du lieu commun, métaphores inattendues, tout cela crée, entre l'écrivain et son lecteur, une complicité par quoi l'image la plus dérisoire ou la plus cocasse devient l'arme la plus sûre. Tel est l'attrait d'un récit dont l'auteur a su jusqu'à la fin préserver la grâce naissante. De cet ouvrage, on peut aussi dire qu'il est le livre des métamorphoses, ou plus exactement .(pour revenir à son titre) le « lieu» de l'engendrement - de ce phénomène qui fait de l'homme contemporain, non pas un adulte, mais cet être nouveau, cet hybride de l'univers mécanique, que l'auteur appelle un gendre. Le gendre est un conservateur, mais d'une espèce inédite: il engendre moins l'ordre que la tristesse qui l'accompagne, moins la propriété que la provocation de l'injustice, moins la prospérité que l'ennui qu'elle fait naître. La marée des gendres couvre les villes modernes, envahit ses rues, pénètre dans ses appartements. La seule fonction de ces gendres semble être le maintien des conditions les plu!! favorables à leur reproduction. Le gendre est à la fois devenu l'époux et le

Mai 68

protecteur de son propre développement - il est l'hermaphrodite ·de la civilisation qui l'occupe: en même temps policier et victime, directeur et dirigé, sujet et objet de toute activité. L'auteur a divisé son livre en trois parties qui correspondent, chacune, à trois états concrets, à trois métamorphoses de ses personnages principaux : un père, Marc, et sa fille Nature. Celle-ci est une adolescente encore gracieuse, qui survit aux frontières du monde des gendres. Cependant constamment menacée, Nature sera bientôt, en dépit de la présence de son père, attirée, puis absorbée par la marée civilisatrice. Marc la voit s'éloigner de lui, changer de formes et de regards, devenir l'épouse, la Femme monotone d'où toute fraîcheur est désormais absente. Devant elle, en elle « chaque jour passe et se vide comme un sac. fatigué, si mou qu'elle ne sait par où le saisir. » Elle est Claire, l'attribut du gendre. Quant au père « il se retrouve seul, tout est éteint, tout est devenu froid, soigneusement froid, soigneusement éteint et propre comme une allée bien ratissée ( ... ) Avec son sang, son sperme, ses idées, il se sent perdu comme dans un canot pneumatique de naufragé abandonné seul dans le néant, entre assis et debout. »

La foule des gendres Pour le père et pour la fille, a présent chacun de leur côté, commence la morne navigation de l'exotisme, au sein de la pesanteur croissante des corps, à laquelle nulle thérapeutique y compris celle,

La Quinzaine Uttéraire, du }o. au 15 novembre 1970

La troisième et dernière partie du livre a pour ca9re Paris au mois de mai 1968, quand l'agitation commença d'étourdir et quelquefois de dérouter l'ordre établi. L'événement sépare définitivement la fille, devenue inhumaine, au sens proRre, invulnérable à toute émotion, de son père. Pour lui ce sera comme une renaissance, quand, sur les barricades il accompagnera Mai, cette jeune fille, si semblable à sa fille adolescente. L'aventure durera jusqu'à la reconquête, quartier par quartier, de la ville investie par l'armée des gendres. Mai, la jeune révolutionnaire, se perdra dans la foule abusée et vaincue, tandis que

Marc, enfin dépossédé de tous ses rêves, abandonnera un univers où l'adolescence même est devenue suspecte : « Marc acheta une grande poupée, très grande, très bête, avec de grandes nattes, un très grand sourire et de grandes cuisses de bébé. Il ne reconnut aucun gendre parmi les permissionnaires. Il regagna la chambre de son hôtel. Il fit un ballot de ses vêtements, ses objets de toilette, son manteau, sa petite voiture et la poupée. Il ne lui restait plus qu'à nouer ses draps bout à bout pour s'échapper de la prison. » A l'écart on le voit, de tout rappel idéologique, se tenant, par son langage, dans le domaine concret, si je peux dire, de l'écriture, ce livre n'est pas un ouvrage de circonstances. Il n'exploite aucune facilité .et ne se permet aucune complaisance dans l'allusion. Disons simplement pour conclure qu'une imagination verbale, constamment en éveil, a fait des Gendres une satire heureuse et un divertissement. André Dalmas

HELENE CIXOUS le troisième corps les commençements Le style d'Hélène Cixous demeure, puissant, nombreux, violent. Il est celui "d'un guerrier de la vie", décidé à vaincre ses démons intérieurs, acharné dans sa quête et sa possession du monde par le langage. On ne peut qu'admirer l'ampleur du registre, la variété des tons, qui va de la colère à l'abandon savant, en passant par l'angoisse, l'insolence, le rire, le sang, les larmes.

Hélène Cixous est d'autant plus poète qu'elle saisit le paradis ou l'enfer dans les choses quotidiennes.

JACQUELINE PlATIER Le Monde

HELENE DE WIERLYS La Quinzaine Littéraire

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Un regard clair

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Jean Freustié Isabelle La Table Ronde éd., 320 p.

Cette Isabelle dont le prénom pastel fait penser aussitôt à des faveurs d'un vieux rose, à un médaillon ancien" n'a guère de ressemblance avec l'autre Isabelle, la fragile hé· roÏne du récit de Gide. Nul amour brisé ne la rattache à son passé, au contraire, d'une jeunesse éblouis· sante, elle est à l'âge où l'épanouis. sement des formes éveille en tout homme, fût-il son père, de troubles pensées et une curiosité au fond très naturelle. Mais, chez Jean Freustié, la peinture des passions choisit toujours le détour d'une situation scandaleuse pour montrer que les sens ne peuvent guère trouver un secours ou un apaisement dans les conventions, l~ sens du devoir ou du péché. Paul, divorcé depuis quinze ans, n'a guère ,veillé que de loin à l'édu· cation de sa fille dont Sonia, son ancienne femme, a la charge. Mais il n'a pu, cette fois, résister au ca· price de jouer les pères nobles. Il emmène la jeune fille en vacances dans sa propriété de Haute·Proven· ce. Pour un solitaire qui vit à la campagne, entre les livres à lire, ceux à écrire, que ses amours pas· sées ont rendu, la quarantaine ve· nue, mi·amer, mi·détaché, la pré. sence d'une jeune fille de dix.sept ails, sûre de ses charmes, récemment avertie des dangers et des morsures de l'amour, voilà précisément la me· nace qui va bouleverser ses habitu· des, son bonheur tranquille. Ce voluptueux qui, comme tous les hommes de plaisir, s'est toujours tiré, grâce à son scepticisme et sa lassi· tude, des situations compliquées, ou scabreuses, comment cette fois a·t·il pu sortir de ~ette aventure : rêver d'être l'amant de sa fille sans pou· voir, ni se séparer d'elle, ni se résoudre à commettre l'irréparable? Pour Isabelle, Paul, qu'elle n'a jamais vraiment connu, est un hdmme comme les autres que l'ex· périence et son mystère, son métier d'écrivain parent d'un prestige neuf. L'amoralité de ce livre, et l'on y songe peu tant elle s'exprime avec naturel, se marie, d'une manière qui fait le charme acide de tous les livres de Freustié, à un esprit positif, au regard clair que l'écrivain, médecin de son métier, pose sans jamais perdre son sang-froid,

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ni son goût méticuleux du détail, sur tous les déportements de ses personnages. L'auteur mêle au récit du séjour d'Isabelle des fragments de roman écrits par Paul où l'autobiographie interfère avec les souve· nirs de la jeune fille quand elle était enfant, et l'on voit par l'approfondissement que le récit dans le récit donne au livre, se dessiner le propos subtil de l'auteur : fiction et réalité ont besoin de l'équivoque et de l'interdit pour se nourrir l'une de l'autre et s'enrichir de toutes les nuances subtiles de l'imaginaire. Le brusque surgissement de la jeune fille fait découvrir à Paul, non seu· lement les satisfactions ambiguës de la paternité, mais surtout le poids du temps. Qu'Isabelle non seule· ment ne soit pas fâchée du désir qu'elle inspire, mais aille, même, jusqu'à suggérer à Paul de disposer d'elle si tel est son bon plaisir, peut paraître une rouerie ou un jeu pervers, mais pour ces deux' êtres que la vie n'a jamais mis dans le cas d'être vraiment l'un pour l'au· tre un père et une fille, pourquoi n'en irait·il pas ainsi? Fût-elle sa fille, aucune femme ne peut consentir à voir ses avances, ou sa coquetterie demeurer sans réponse. Isabelle précipite la séparation pour échapper à ce père qui, pour n'être pas un modèle de vertu, n'a pas eu le courage de commettre l'irréparable. En échange, elle laisse à Paul son amie, la douce et paisible Maryvonne qu'il n'a pas les mêmes raisons de respecter. Paul est un écrivain, il préfère l'imagi. naire, ses chimères, aux réalités. Isabelle dont il n'a pas su faire sa prisonnière aura seulement réussi à relancer douloureusement les sou· venirs, dont il fera la matière d'un nOUVf:au livr.e. On a l'impression, qu'à l'image de la pure et gracile Isabelle de la première partie du récit, Freustié a voulu en médecin tirer une deuxième épreuve de la jeune fille où elle apparaît abîmée par la vie. C9mme toujours chez lui, le goût de sonder les reins et cœurs l'emporte sur les rêves et la poésie douce amère. Les analystes qui font l'étude du cœur humain ont généralement un penchant excessif pour l'introspection ou le lyrisme. Jean Freustié offre l'exemple fort rare d'un psychologue qui met à étudier la poé. sie du cœur, non la froide passion du libertin, mais l'œil critique et patient du thérapeute. Alain Clerval

L~hoDlDle

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foudroyé

parce qu'il la fait ». Le roman cons· Robert Lapoujade L'inadmissible titue alors une sorte de labyrinthe Denoël éd., 196 p. dans lequel les récits se superposent, Robert Lapoujade, peintre et ci· se succèdent, se remplacent sans néaste, nous apporte dans ce roman transition, selon le pur courant as· la présence multipliée dans l'espace sociatif de la conscience imageante. et dans le temps d'une conscience Un pessimisme profond traverse les différents plÛ"ëow's 'du, rêcit : foudroyée : celle d'un homme, dé· puté et historien qui est doublement l'humanité ressemble à un troupeau blessé, dans sa propre histoire - par d'éléphants qui s'écrasent les uns les autres dans leur course précila trahison de la femme qu'il ai· pitée vers la mort. Pour retracer mait - et aussi par l'histoire du monde à laquelle il rattache son l'aventure de :ta confusion humai· aventure personnelle. Dans ce dou· ne, la voix du narrateur se fait pluloureux éclatement de l'être, devenu rielle : Cf. Ainsi suis· je facilement le témoin, Charlemagne autant que infiniment poreux et vulnérable, les événements d'ordres subjectif et 1acques Relde ou que Lennie. Comment trouver le point et pourobjectif se mêlent indissolublement quoi y attribuer une telle imporen une sorte de « bouillie des ori· gines » où convergent tous les temps tance ? » demande le narrateur. « Il me suffit d'attendre et de laisser et tous les lieux. Le récit est alors fonctionner les cercles, intervenir comme un immense présent qui se le moins possible. Nous sommes les dilate et draine indifféremment avec autres et le néant» (p. 26). soi les alluvions issues du passé, du Une prose faite d'interférences présent et de l'avenir. dans laquelle se recoupent inlassaL'éclatement de la' conscience blement les différents cercles issus met en évidence la faillite de l'homo me. « Nous étions des émergences d'un pro-jet initial, tel apparaît ce roOlan qui doit autant aux technicomposites, inventant le sublime ques du Nouveau Roman, qu'à celle et... des paumés» dit Jacques Relde, deil images cinématographiques ou le narrateur. Mais n'est·il pas luimême et au niveau du discours au tachisme vibrant et discontinu de la création picturale. même qui constitue le livre « une Des personnages émergent cepen· émergence composite inventant le sublime » ? quand il « présentifie » dant rlu jeu des interférences, et qui évoluent autour de la personne délibérément le procès de Jeanne du narrateur : sa femme Lennie, d'Arc, l'aventure du Gaullisme, objet de désir et d'amour, devenue celle de Franco, ou une « liquida. tion » planétaire à venir? Pour le la proie éphémère et très klossowskienne de photographes érotomanes, narrateur, les faits historiques sont ses trois enfants disparus eux aussi le tuf dont toute conscience contem· poraine 'se "nourrit. « L'homme est , par un jour de Mai, et dont le nar· rateur croit entendre les' appels détoujours près de l'histoire, dit-il,


Prestiges de J'aventure sesperes. Il semble que la perte de la femme aimée soit le mobile qui pousse son mari à faire converger l'Histoire dans ce qu'elle a d'apocalyptique. Un grand amour qui finit provoque l'effondrement de toutes les histoires, intérieures" et extérieures. Mais en généralisant le mal, la douleur, les supplices, en convoquant l'Histoire, l'amant blessé s'exerce à assumer sa propre souffrance, et aussi sa viduité. C'est pourquoi, Lennie, c'est aussi. Jeanne d'Arc en butte aux brutalités de ses gardiens, subissant les insultes de ses juges. Elle peut aussi devenir une reine traînée par son nouveau maître, violée dans sa chair, béante de plnisir et de honte dans les bras de l'amant. « Dans notre société coexistent tous les niveaux de conscience, de l'homme du Moyen Age et même du primate au mandarin. Le passé est une sorte de tare que nous transformons en livres d'images» dit Jacques Relde. Ce sera donc par la multiplication des consciences possibles qu'il ,pourra parvenir à « annuler» Lennie, à la restituer à l'Histoire, à lui conférer sa valeur mythique. « Telle qu'en elle-même enfin », elle apparaîtra intégrée aux courants multiples de l'aventure humaine dans le monde, par l'effet de ce nouveau viol qui consiste pour le narrateur à lui imposer son propre vertige qui n'est plus celui de l'amour mais celui de l'identité. Que devient en effet la signification d'un amour quand on l'occulte par le meurtre d'Henri IV, par l'image du feu atteignant le corps blanc et pur de Jeanne, par la vision des rites érotiques « communautaires » des groupes « hippie », ou par le spectacle de la bombe frappant Hiroshima ? Puisque l'amour est révolu qui permettait de perdre ensemble la notion du temps, puisqu'il n'est plus possible de vivre les moments uniques « en éclatant de toute part et en conjuguant l'amour, à travers un saut infini de deux corps lovés tissant obstinément un creux sans mesure », il reste à faire l'histoire du monde à laquelle renvoie cet amour et, ce faisant, « faire le tour de soi-même », Avec un style extrêmement visuel, une technique de convergence parfois inégale, mais pourtant saisissante par la violence des images, l'Inadmissible se propo~ comme un étonnant kaléidoscope de la « contemporanéité », Anne Fabre-Luce

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Michel Déon Les poneys sauvages Gallimard éd., 504 p.

Voici un écrivain qui n'a pas craint d'écrire un roman qui soit un roman, avec des destins entremêlés, le bruit tragique et les lames de fond de l'Histoire des quarante dernières années et le grandissement mythique que l'action confère aux individus dès lors qu'ils sont assez doués pour la parer des prestiges de l'esprit ou la relier au sens tragique de la vie, comme au sourd battement de leur sang. Il s'agit, à travers une large fresque fertile en rebondissements, qui s'ordonne à partir de quatre expériences d'homme, de montrer le dé· clin de l'Occident, pour emprunter à Spengler les prophéties nihilistes dont Michel Déon a entrepris d'illustrer l'exactitude lugubre. On peut, bien sûr, le déplorer, mais, seul, un tempérament de droite, et comme il nous y invite lui-même, il faut rattacher l'auteur à une famille d'esprits", pouvait entreprendre une œuvre de cette ampleur, sans craindre d'utiliser le moule hors d'usage du roman-fleuve, parce que sa facture et ses conventions répondent aux propos apologétiques ou polémiques, parfois irritants, qui sous-tendent le déroulement du récit. Nous retrouvons ce qui frappe toujours la pensée de droite d'un anachronisme pathétique ou enfantin, c'est-à-dire tous les thèmes sur le destin, le dépérissement des civilisations, les chevaleries du néant, la décadence ou le fatalisme historique, car ils se situent toujours, hors de ce monde, "dans le ciel intemporel de la transcendance et des valeurs éternelles où la dévolution des dons et des fonctions par grâce d'état ou droit de naissance, fait face à l'irruption scandaleuse d'une contingence grossière et abusive. Après tout, si l'on accepte ces don· nées et parti pris romanesques comme les lois du genre, pourquoi bouderions-nous le plaisir de ce livre, tant les dons du conteur s'imposent avec force ? Et puis, n'y a-t-il pas dans l'œuvre de Michel Déon une incu"able nostalgie de l'enfance, ce royaume secret habité par le songe, qui bai· gne le livre tout entier d'où, en filigrane, le refus désespéré d'être exilé du paradis à l'ombre des épées. Le livre de Michel Déon trouve précisément son ressort dramatique dans

La Qulnzalne Uttéralre, du 1" au 15 novembre 1970

l'opposition entre l'ordre des valeurs scellées dans l'initiation aristocratique et le règne de la matière acharnée à blesser l'esprit. Le narrateur, un Français, écrit, à l'aide de confidences et de livres, du balcon de Spetsai l'histoire de quatre hommes, Georges Saval, Horace Mc Kay, Barry Roots et Cyril Courtney, que le hasard d'une année d'études a réunis à Cambridge en 1938, à la veille de la guerre. Au terme de cette année rendue encore plus merveilleuse par les prémices de la catastrophe et le crépuscule automnal dont la mémoire embellit une société menacée, ces quatre hommes, unis dans l'ad· miration de leur maître d'études, Dermot Dewagh, se sont prêté un serment d'allégeance mutuelle et ont fait le pacte de refuser des destins médiocres. C'est à l'histoire des membres de cette confrérie éparpillée à travers le monde au gré des caprices cruels de Clio que Michel Déon a voulu nous intéresser, et il y parvient tant les charmes 'et les prestiges de l'aventure sont prenants. Tous les événements marquants des trente dernières années passent tout au long du roman, Munich, Dunkerque, l'Occupation, la guerre froide, l'Algérie, la Hongrie et la Tchécoslovaquie, les différentes crises du Moyen-Orient... pour marquer de leur empreinte profonde le destin des héros du livre. Ces quatre poneys sauvages image allégorique d'une vie en liberté, loin du béton cellulaire et de la violence, sont en effet hantés, malgré ou à cause de leur engagement politique, par la nostalgie d'un retour aux sources d'une nature pacifiée. Par nécessité romanesque et par goût de la prédication, l'auteur en a fait des types qui incarnent une passion exemplaire de notre époque, mais qu'un principe destructeur, l'air empoisonné du temps que nous vivons, a dévoyés. ' Ainsi, la foi nationaliste dé Barry Roots, pour n'avoir pas su résister à l'expérience de l'inhumain inhérente à la servitude du renseignement, glisse dans le communisme, voué pour les besoins de la politique russe, à une apostasie constante pour goûter, sur le tard, aux plaisirs des sens dans les bras d'une mégère du Pirée. Pour avoir suivi l'itinéraire inverse, agent double au service de sa Gracieuse Majesté, qui devient espion soviétique, Horace Kay n'en éprouvera pas moins les mêmes humiliations : il sera expul.

sé de Russie, désavoué par les siens, envoyé dans un camp de travail forcé. Quant au journaliste Georges Saval, témoin placé au cœur de l'événement, il sera pris dans l'en· grenage et le tourbillon aveugle de l'Histoire, sourdement miné par le spectacle des horreurs et des men· songes, couverts du voile ténébreux de la raison d'Etat ou justifiés par les desseins tortueux de l'idéologie. N'ayant pu faire éclater la vérité sur le massacre de Katyn et sur la fameuse entrevue de Gaulle Si· Salah, il fera retraite en hlande. Le poète Cyril Courtney fauché en pleine jeunesse sur une plage à Dunkerque, couvre de son ombre, comme la mélancolie des espérances trahies, l'enlisement inexorable des survivants dans les impostures du siècle. Quant' aux femmes, Sarah,

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Giono après mai 68 ~

Déon

la mangeuse d'hommes, unie à son mari, Georges Saval, par un pacte qui survit aux aventures fugitives que sa quête d'absolu lui fait rechercher avec une espèce de folie, ou Delia Courtney, la sœur de Cyril, hantée par la mémoire du poète disparu, ce sont des figures nées d'un romantisme échevelé qui sont moins des caractères romanesques que la substance des rêves ou l'idéalisation des concepts que les héros masculins prêtent du fond de leur solitude à l'éternel féminin. Un désenchantement que rehausse le contrepoint romantique de l'aventure et de la passion, court tout au long du livre et lui inspire sa conclusion : la leçon d'une sagesse qui ne trouve plus d'apaisement que dans la retraite des grands espaces rendus à l'illusioq 4'un âge d'or miraculeusement préservé. Pourquoi ne serait-on 'pas tenté, un moment, d~ partager la morale désabusée de Michel Déon ? Il est vrai que toutes les causes finissent par se valoir et que de droite ou de gauche, il s'est trouvé depuis un demi-siècle, assez d'hommes pour payer de leur vie le dévouement à un idéal trahi par ceuxlà mêmes qui l'inspiraient. L'absurdité de l 'Histoire est dans l'horrible prodigalité de vies humaines immolées au confort des médiocres. Le pessimisme de Michel Déon est celui d'une génération qui eut vingt ans en 40, connut l'humiliation de la défaite, mais aussi vit l'illusion lyrique de la résistance se consumer dans les incertitudes de la guerre froide, et soudain prospérer sur le terreau des idéologies en lambeaux l'opulence des sociétés industrielles si avides de renier leur héritage. Et les Anglais ont observé l'effritement sans gloire de la grandeur impériale. On comprend que les quinquagénaires d'aujourd'hui posent sur l'univ~rs un regard profondément dégrisé. Qui ne se sent à la fois dépossédé de ses mirages et à jamais guéri des doctrines qui ont fait tant d'hommes se parjurer pour rien ? Malgré son pessimisme un peu trop systématique, le livre de Michel Déon déborde de vitalité et d'un prodigieux amour des hommes, il nous retient par la peinture d'un univers où le pittoresque, l'exotisme, les couleurs éclatantes, les rivages de la Grèce, les sortilèges de l'Orient déplient l'arc-en-ciel qui sert de théâtre à une action admi· rablement menée.

Alain Clerval

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LES REVUES

La Nouvelle Revue Française (n° 214). Important et passionnant numéro spécial consacré à « Vie ou survie de la littérature -. Le propos en est défini par Marcel Arland : «Une confuse terreur s'est installée dans nos Lettres. On s'interroge : faut-il faire éclater le langage comme on a fait éclater les genres'? 'ramener l'œuvre à l'illustration d'une théorie? se réfugier dans l'indifférence? Ou faut-il comme le font nos' ~ollaborateurs, garder foi dans le destin de l'écriture et de l'art ? Chacun d'eux, selon son mode personnel et s'~s goûts, entend servir une cause commune. «Parmi ces collaborateurs, Jean Grosjean, Jean-Marie Le Clézio, Pierre Oster, Jean Grenier, Brice Parain, André Dhotel, Jacques Réda, Anne Fabre-Luce, Berl1ard Pingaud, Marthe Robert, Claudë allier, Julien Green, Alain' Clerval, etc.

Critique (n° 281). - Roland Barthes ouvre' ce numéro avec une étude sur Charles Fourier. Suivent des essais de Philippe Sollers (par Roger Laporte), Philip Roth (par Pierre-Yves Petillon), Jean Cocteau (par Claude Hodin) et la théologie protestante par Hervé Rousseau.

Une aes dernières photos de

En feuilletant... Anatole France inédit Le Cercle du Biliophile poursuit avec régularité son édition des œuvres complètes d'Anatole France. Vingtcinq volumes son1" 'annoncés, le dixneuvième vient de paraître : formant, dans cette présentation reliée, le tome troisième et dernier de la Vie littéraire, il apporte plus de trois cents grandes pages inédites en librairie. Elles ont été exhumées par M. Jacques Suffel, qui a établi toute l'édition avec la science et le tact qu'on lui connaît.

S. A paraître en novembre aux éditions du Seuil, le Journal de Californie est le fruit d'un séjour de quatre mois qu'Edgar Morin vient de faire aux Etats-Unis où il a vu vivre la révolution culturelle dont il étudie les principales manifestations.

Après Libres enfants de Summerhill, paru récemment au Mercure de France (voir le n° 98 de «La Quinzaine -), A.S. Neill, répondant aux questions qui lui furent posées par ses lecteurs à la suite de la publication de l'ouvrage, précise sa conception d'une éducation libre et «non dirigée - dans un livre p8$ l'anarchie, intitulé la Liberté annoncé chez Payot (PëiJte Bibliothèque Payot).

Le livre de Marcel Ruby comble une lacune puisque aucun ouvrage d'ensemble n'a jamais été consacré à notre connaissance, à Jean Zay. M. Ruby a dû recourir aux sources les plus diverses - mémoires, documents d'archives, témoÎgnages pour recomposer ce destin fulgurant : député à 27 ans, ministre à 31 ans, assassiné à 39 ans, ' ' Un des mérites de Marcel Ruby est de pr~senter un tableau exhaustif, du reste impre'ssionnant, de l'œuvre accorripllépar Jean Zay. Dans le domaine de l'enseignement, il a été un infatigable mal1ieur d'idées. tl ne s'est pas contenté de porter la scolarité obligatoire à 14 ans. Il a défini les trois enseignements parallèles - classique, encore en moderne et technique vigueur; il a voulu faire de la classe de 'sixième une «classe-vestibule» propre à traduire, dans :la vie réelle, les souhaits souverrt exprimés d'assurer une orientation effective des élèves. L'ouvrage de Marcel Ruby se présente ainsi comme une précieuse source documentaire, à la fois sur Jean Zay et sur une période passionnée et dramatique de la vie française. Il brosse aussi un portrait, à la fois fervent et sensible, de celui que Jean Cassou appelait «le ministre de l'intelligence française -, depuis son enfance dans les rues ombreuses et fleuries d'Orléans jusqu'à ce fossé où l'on devait retrouver son cadavre, abandonné par les miliciens, le \22 septembre 1946. (Marcel Ruby : La Vie et l'œuvre de Jean lay).

Europe (n° 498). Numéro littéraire et musical puisqu'il est consacré au bicentenaire de Beethoven. Dans un sommaire un peu touffu. on notera les contributions Qe Max-Pol Fouchet, Franz Hellens, Yves Florenne, Jean de Solliers ainsi qu'un inédit de Romain Rolland.

Esprit (septembre 1970). Multiples thèmes dans cette livraison : la situation de l'Orient (avec Jacques Berque), la Yougoslavie (avec Albert Meister) , la Colombie (avec Julien Brieux), la politique industrielle française (avec Henri Provisor). Mais nous retiendrons surtout un récit de Philippe Jacques : «New York, couleurs croisées - sur le racisme aux EtatsUnis.

Les Temps modernes (n° 289-290). La Chine et l'Italie sont les deux pôles d'attraction de ce gros numéro des Temps modernes. A quelques exceptions près (dont celle de Charles Bettelheim). tous les collaborateurs sont italiens : ils relatent en détail les luttes sociales de ces deux dernières années. Quant à la littérature, elle n'est guère représentée que par un texte sur le langage par le poète Jacques Garelli. J. W.


Le retour aux sources .TRANGlam Malcolm Lowry Sombre comme la tombe où repose mon ami Trad. de l'anglais par Clarisse Francillon Lettres Nouvelles Denoël éd., 300 p.

Il existe par le monde un clan secret de lecteurs dont les membres ne se connaissent pas toujours entre eux. Ils ont en commun les rues, les places, les jardins et toutes les cantinas d'une petite ville mexicaine, Quauhnahuac. ils n'ignorent plus rien des pouvoirs du mescal et de la tequila, et ils ont aussi leur mot de passe : • Le gusta este jardin que es suyo? (un peu comme • Le presbytère n'a rien perdu de son charme:.. • de notre enfance). Tous. un jour ou l'autre, sont descendus au fond de la barranca parmi les détritus et les chiens crevés pour y reconnaÎtre le visage de leur frère le Consul. Les membres de ce clan n'ouvri· ront pas sans une extraordinaire émotion ce .livre posthume de Malcolm Lowry, où le Consul est devenu pour son createur ce qu'il a toujours été pour eux : une ombre familière presente-absente, et plus terriblement réelle que la plupart des vivants. C'est que quelqu'un est revenu en arrière, huit ou neuf ans après, sur ses propres traces. Là où il s'était passé, voici des années, quelque chose d'unique. Là où il avait plongé suffisamment loin sous le gouffre du volcan pour atteindre la racine du feu et en faire jaillir une œuvre. Mais, comme le dit un personnage de Beckett : « On ne descend pas deux fois dans le même pus », on ne revient jamais sur ses propres traces, on en dessine d'autres, même si .par instants, et jusqu'à l'hallucination, votre pas d'aujourd'hui recouvre exactement le pas de celui d'autrefois - que vous n'êtes plus. Et tout se complique encore si, comme ce Malcolm, vous êtes écrivain et avez fait surgir il y a huit ou neuf ans un double de vous-même, un certain Geoffrey Firmin, Consul, qui s'est mis à vivre sa propre vie dans une aventure de langage où vous vous trouvez si étroitement impliqué que vous ne savez

plus du tout si vous êtes en train de vivre un livre ou d'écrire votre vie. Donc, Malcolm Lowry a parcouru plusieurs milliers de kilomètres vers le Sud, depuis sa plage canadienne jusqu'au Mexique, et il abrite en lui au moins trois personnages dIfférents qui ne vont pas manquer de s'entre-déchirer: le vieux Malcolm (c'est-à-dire le jeune) d'autrefois, celui qui se saoulait pendablement, ignominieusement, sans mesure, à la tequila et au mescal, chaque nuit; le Consul, enfermé dans les pages d'un manuscrit non encore édité, et qui n'en finit pas de mourir au fond de la barranca; et enfin le Malcolm d'aujourd'hui, un Malcolm assagi, qui s'est remarié (avec Margerie Bonner), a cessé de boire, se veut optimiste, sain, heureux. Il est bien évident, pour quiconque entre dans ce livre, que ce dernier Malcolm-là ne va pas tenir longtemps, que les deux autres auront sa peau et que, probablement, c'est cela même qu'il est allé chercher làbas, si loin dans le temps et dans l'espace. Et il. faut encore .en compter un quatrième, Sigbjorn Wilderness, héros de Sombre comme la tombe..., frêle déguisement de Malcolm, projection de lui-même écrivant et écrit (car tout au long du voyage, il prend fébrilement des notes, en ramènera une valise au Canada). Vingt fois, au cours du livre, il s'interroge : pourquoi être revenu. au Mexique? Tournant autour de la vraie raison; qui lui fait peur~ il invoque divers prétextes : notre maison sur la plage de Dollarton avait brûlé, dira-t-il. Il est vrai qu'elle a brftlé, et qu'un manuscrit (ln ballast to. the White Sea) a été irrémédiableènt détruit dans l'incendie. Mais lui et sa 'femme en avaient construit une nouvelle, qu'ils laissent derrière eux inachevée pour courir au Mexique, lui vouant de loin en loin au cours du voyage une pensée nostalgique et tendre. Comme elle est belle, de loin, cette petite maison, œuvre de leurs mains, symbole d'Un paradis (volontairement) perdu, d'un paradis dans lequel Lowry n'a jamais açcepté de vivre - afin peut-être de pouvoir le rêver. Il est l'homme de l'enfer et il le sait bien. Au cours d'une dispute durant ce voyage (et il dut y en avoir d'affreuses), PrimeroseMargerie exaspérée ira jusqu'à dire: « C'est toi qui as mis le feu à natTe maison », Elle n'a' sans doute pas tout à fait tort, et c'est Lowry lui-même qui transcrit l'ac-

La QuiDza1ne Uttéralre, du 1" au 15 novembre 1970

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Malcolm Lowry, l'année de sa mort. cusation. Belle occasion d'ajouter encore cette culpabilité-là à toutes les autres, obscures ou précises, dont il ne cesse de se torturer. Non, l'important n'est pas là. L'important, c'est qu'Au-dessous du Volcan est achevé depuis deux longues années. et que pas un éditeur n'en veut. Ce manuscrit n'existe, dérisoirement, que pour lui et pour sa femme, il ne lui a' servi ni à se justifier ni à se faire « reconnaître» ni à communiquer avec qui que ce sOit. Donc Lowry retournera à l'endroit même où cette unique aventure littéraire a commencé et où son imagination l'a située tout entière, dans le lieu de sa « damnation» humaine qui fut a~i celui de son.

« salut» littéraire car Lowry, en dépit des échecs, n'a jamais douté qu'Au-dessolLs du Volcan ne fût un grand livre. Ce n'est pas l'ami Juan Fernando Martinez qu'il est allé retrouver au Mexique (de tous les prétextes invoqués, celui-là est certes le moins convaincant), c'est le Consul et lui seul, c'est-à-dire. Lowry écrivant le Consul, Lowry saoul, replié dans le chaud ventre noir de l'ivresse pour y mourir et Y' renaître comme le Phénix mythi. que, déclenchant les démons de la peur et les fantasmes magiques, Lowry décrivant en titubant les cer· cles de l'enfer, parce que tel est son parcours d'écrivain. Comme tous· ceux que secouent les cyclones

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Jacques Prévert

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Il a été tiré à part 1000 exemplai~es num~rolés reliés pleine peau

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de l'imagination, il installera en luimême son théâtre où délires et terreurs jouent un ballet sans nom mis en scène par un régisseur ivre. Mais pour que le jeu fascinant continue, il ne faut pas que la mort réelle (la vraie, la mort bête, physique) intervienne. Un soir, cependant, Sigbjorn-Lowry tentera sans y croire de se suicider. Il est ivre, il saisit son rasoir et, « pour voir» se coupe le poignet. Primerose-Margerie accourt à son appel et les choses rentrent rapidement dans l'ordre. Erreur de parcours, l'affaire est racontée ra'pidement par Lowry, presque furtivement - ses pages les plus intenses il les réserve à des cauchemars infiniment plus habités. Se suicider c'est renoncer à tout et même au royaume de la mort, renoncer à vivre sa mort au long des jours ce que sait si bien faire Lowry. Malgré tout, suivant le fil qui doit le mener à Juan Fernando, Sigbjorn se heurte réellement, sans pouvoir l'éviter, à la mort. Oui, ce Fernando, apprend-il, (l'un des modèles du Dr Vigil du Volcan) a été tué, voici deux ans, d'un coup de couteau alors qu'il était borracho, oui il a été enterré à tel endroit, oui on l'aimait bien et on le regrette à la Banque Ejidal dont il était un efficace employé. Avec un luxe inaccoutumé de détails concrets, Lowry retrace la scène : les employés de la banque, leur gentillesse, les locaux tout neufs, la place des bureaux et des fenêtres, et, face à ce décor neutre dénué pour une fois de toute angoisse, Sigbjorn-Lowry stupide butant contre l'évidence. Ainsi, Fernando est mort et la foudre n'est pas tombée, le monde ne s'est pas écroulé. La réalité a toujours quelque chose d'incroyablement simple. Comme disent les morts de Genet au moment de crever les « paravents» du Grand Passage : « Eh bien... C'est ça... Et on fait tant d'histoires ». Lowry est comme délivré d'une possession. Doux somnambule, il erre dans Oaxaca, délié pour un temps de ses cauchemars, capable d'atteindre à une intelligence sereine de la vie et des choses. Peut-être, précisément à cause de cette mort, la vie est-elle devenue possihle? La vie ne se nourrit-elle pas tout naturellement, sans aucun tragique, de la -mort? C'est un Lowry en état second qui rédige (trop rapidement il est vrai et comme s'il craignait que la vision ne tienne pas) les dernières pages de Sombre comme la tombe..., trans-

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Pour les fans

Lowry

figurant aussitôt en symbole le sens de cette expérience : en passant, il a visité les anciens locaux de la Banque Ejidal (où il a connu Fernando) et n'a plus retrouvé qu'une façade morte derrière laquelle a explosé une végétation luxuriante d'arbustes et de buissons en fleurs. La mort a perdu son aiguillon, la Banque Ejidal, en ruines, est devenue un jardin. Poussant un peu plus loin l'image, c'est tout le pays d'Oaxaca qu'il voit transformé (grâce aux prêts de la Banque, et donc à Fernando) en un immense jardin. « Le gusta este jardin que es suyo? Evite que sus hijos lo destruyan!» Nous voici revenus à la petite phrase clef qui traverse le Volcan. Phrase innocente, devenue dans l'esprit délirant du Consul: « Nous expulsons ceux qui détruisent ». Du jardin de l'Ejidal, comme de tous les autres (y compris, bien sûr, du Jardin d'Eden), Lowry. n'est-il pas sans cesse, et par vocation, exclu? L'on sait comment s'acheva ce voyage, quelques jours après la visite à Oaxaca : Lowry, pris dans une cascade de malheurs burlesques ou dramatiques, se fit expulser du Mexique par la police. La vision pacifiée qui clôt le livre n'est en fait qu'une brève respiration entre deux cauchemars, et toute l'aventure de ce retour mexicain demeure, comme en témoigne le titre, sous le signe de la mort tragique, de l'angoisse : Sombre comme la tomhe où repose... pas seulement mon ami, mais ma jeunesse gâchée, où repose le Consul ivre, où je me vautre, moi, écrivain raté, incapable d'amour, ivrogne tournant en rond dans de vains délires, malade de solitude, iinpuissant depuis toujours à comprendre le sens de mon propre destin. Jamais constat d'échec ne fut plus désespérant que celui dont est tissé ce roman. Faut-il ajouter qu'il n'est pas fait, que les trois liasses (elles forment ensemble 700 pages) d'où Margerie Lowry et Douglas Day ont tiré le présent ouvrage n'étaient encore que trois essais, jugés sans doute à demi ratés par leur auteur, que Lowry les eût certainement travaillés durant des années avant de les livrer au puhlic, et qu'on n'a peutêtre pas le droit· de violer ainsi les processus de la création ? Les membres du « clan» ne peuvent, malgé tout, que s'en réjouir. Quant aux autres...

Geneviève Serreau

Raymond Chandler Lettres Trad. de l'américain par Michel Doury Préf. de Philippe Labro Christian Bourgois éd., 372 p.

Raymond Chandler appartient à cette race d'écrivains qui ont des fanatiques et qui, en même temps, n'ont pas droit aux recensements officiels. Dans leurs histoires de la littérature amencaine contemporaine, M. Dommergues n'en souffle mot tandis que M. Jacques Cabau se contente de le citer comme disciple de Dashiell Hammett. Mais cet « écrivain de polars », comme il s'intitulait lui-même, a réussi à attirer autour de ses quelques livres toute une famille, ceux que Labro, dans sa préface, appelle les chandlerophiles. Nous nous reconnaissons (parce que le signataire de ces lignes ne se cache pas d'en être) par cent signes qui sont autant de mots de passe et il suffit de prononcer le nom de Philip Marlowe, le détective privé créé par Chandler pour que nous nous sentions en pays connu. Ce culte touche toutes les clASses sociales: un docte professeur d'Université, Philip Durham a consacré une thèse à l'auteur de la Dame du Lac, Jean-Luc Godard le cite dans Pierrot le fou et Labro raconte qu'après une émission de télévision sur Chandler, il reçut « quelque vingt lettres dont une d'une dame vivant dans un château de province et qui (lui) disait que Chandler faisait partie de sa famille... »

Ce sont deux de ces fanatiques, Dorothy Gardiner et Kathrine Sorley Walker qui ont compilé les nombreuses lettres écrites par Chandler pour composer ce recueil intitulé Chandler Speaking, devenu en français tout simplement Lettres. C'est bien la première fois qu'un éditeur consacre un ouvrage à la correspondance d'un auteur dit de second rayon. Livre instructif, non seulement pour les membres de la famille (pour ceux-là, il est une mine), mais pour tous ceux qu'intrigue le mystère de la création littéraire. C'est une aventure singulière que celle de Chandler. Taquiné par le démon d'écrire pendant son adolescence, il avait publié des poèmes dans des revues londoniennes avant de se lancer dans lcs aHaires. Jusqu'au jour où, aux alcnlours dc la quarantaine, il découvrit Dashiell Hammett dans la revue « Black Mask ». Il sentit quc le schéma formel inventé par Hammett était celui qui lui convenait. Contrairement à ce qu'on a dit, il ne copia pas Hammett. Il infléchit ce schéma en lui imprimant ses propres préoccupations. On ne trouve chez lui nulle trace de dénonciation sociale et même politique comme dans la Moisson Rouge ou la Clé de verre. Ce qui intéressait Chandler, c'était l'homme cherchant sa vérité dans une marche au cœur d'un monde pourri. Son héros, il l'a choisi détective privé parce que le détective privé est un homme qui cherche : « C'est un homme solitaire et fier et il attend de vous que vous le traitiez en homme fier, sinon vous serez désolé de l'avoir jamais rencontré. Il parle le langage d'un homme de son temps - c'est-à-dire avec un humour brutal, un sens vivant du grotesque, le dégoût de la vulgarité, le mépris de la peiitesse. Notre histoire est l'aventure de cet homme à la recherche d'une vérité cachée et ce ne serait pas une aventure si elle n'arrivait pas à un homme fait pour l'aventure. » Ce qui frappe quand on lit ces lettres, c'est le souci constant de Chandler d'être' un écrivain véritable s'exprimant à travers un moyen populaire. Il avait délibérément choisi un genre dit mineur mais, à l'intérieur de ce moyen mineur, il v.oulait avoir sa propre écriture, comme il avait son propre univers. On le voit sans cesse parler de la magie des mots. Ses pr~­ cupations premières sont d'ordre stylistique: « Au bout du compte, si peu qu'on en parle ou qu'on y


Durrell, écrivain et peintre pense, ce qu'il y a de plus durable, c'est le style; et c'est le meilleur investissement qu'un écrivain puisse faire de son temps (n.) On n'y parvient pas en essayant, car le style auquel je songe est une projection de la personnalité, et avant de pouvoir projeter une personnalité, il convient d'en avoir une. Mais si c'est le cas, on ne peut la projeter sur le papier qu'en pensant à autre chose. » Et les lecteurs de Chandler se sont souvent aperçus qu'en plein milieu d'une enquête policière, on trouve une description patiemment fignolée. Le tour de force vient de ce qu'elle n'a rien à voir avec l'histoire et qu'elle s'y intègre parfaitement.

Un romantisme émouvant Et puis l'on découvre un homme, un homme fin et intelligent, plein d'humour et de ~nsihilité. Ses pages sur sa femme sont sl'un romantisme émouvant. A 67 ans, lorsque sa femme (elle avait dix-huit ans de plus que lui) mourut, il écrivit à un ami : « Pendant trente ans, elle fut le battement de mon cœur. Elle était cette musique que l'on entend au bord de l'inaudible. Mon plus grand regret, maintenant inutile, est de n'avoir jamais rien écrit digne de son intérêt, de ne pas avoir fait un livre à lui dédier. l'y avais songé, mais je ne l'ai jamais écrit. Peut-être n'aurais-je pas pu l'écrire. Peut-être comprend-elle maintenant que j'ai essayé, et que le sacrifice de plusieurs années d'une carrière littéraire assez insignifiante m'a semblé un bien petit prix à payer, si j'ai pu la faire sourire quelques fois de plus. » Et, comme Marlowe, son héros, c'était un homme d'honneur qu'on aurait voulu avoir Pour ami. « Il aurait pu, comme Proust, dit Philippe Labro dans sa préface, écrire que la seule impression qui lui restait de la vie était de la tristesse dominée par la fatigue.» Proust-Chandler : la comparaison paraîtra à certains irrévérencieuse. Mais en ces temps où la littérature se rapproche de plus en plus des jeux de rhétoriqueurs, aux heures de découragement, ce sont ceux-là qu'on relit. Après tout, n'est-ce pas là le premier but de la littérature : aider à vivre ? Jean Wagner

Une librairie-galerie est le lieu' naturel de rencontre des peintres et des écrivains. Aussi Marthe Nochy prépare-t-elle pour le 4 novembre, dans sa boutique du 93, rue de Seine, deux manifestations conjointes : un vernissage et une signature. Côté jardin, Oscar Epfs présentera ses tableaux. Côté cour, Lawrence Durrell dédicacera son dernier roman, Nunquam qui viendra juste de paraître chez Gallimard. Mais quelques jours auparavant, qui trouvait-on au sous-sol réservé à l'exposition, en train de choisir les toiles, d'ordonner l'accrochage? Lawrence Durrell. Oscar Epfs, sans doute, devait corriger les épreuves de Nun· quam. Mais qui est Oscar Epfs ?

L. D. Le chef de gare du Mont Athos. Vous le remplacez parce qu'il n'a pas pu abandonner son poste.

L. D. Evidemment, puisqu'il n'y a pas de gare au Mont Athos. Donc...

L. D. Lors de sa première exposition, il y a quelques an· nées, les gens ont d'abord cru à son existence. Mais on a fini par.savoir qu'Oscar, c'était moi. Alors, pour la seconde, je ne peux plus me· cacher derrière Oscar. Mais vous gardez le nom.

peut rappeler Constantinople, un peu comme si je faisais de l'illustration. Avant de devenir Oscar Epfs, étiez-vous un grand amateur de peinture?

L. D. Oui. Mais je ne vous dirai pas quels sont les peintres que j'admire. On pourrait croire qu'ils m'ont influencé.' Peutêtre même m'ont-ils influencé.

Mais je suis trop faible en technique pour que cela soit visible. Vous exposez ici des œuvres de deux sortes, des peintures à l'huile représentant des paysages ou des personnages plus ou moins schématisés et des gouaches très fluides, presque abstraites, avec un caractère onirique ou surréaliste. D'une technique à l'autre, le style change, est-ce l'effet d'une évolution?

L. D. J'aime bien Oscar Epfs. L'ŒUVRE POETIQUE DE

Comment êtes-vous venu à la peinture?

TCHICAVA U TAM·SI

L. D. Pour moi, c'est d'abord un excellent délassement. Je ne peux pas taper plus de deux heures par jour. Mais après avoir écrit, je peux peindre.

ARC MUSICAL

Les deux activités vont de pair, mais est-ce que l'écrivain influence le peintre, et réciproquement?

précédé de

~PITOM~

Avec une IntroGuetlon de CI.lre CM. un recueil Inddlt et 1. nlédltlon du recueil qui valut A l'outeur le Grand Prix de du Fo.tl.ol mondl.I cleo Arta n6gre. lM. Collection • P.J.O.• Poche. 5.00 F

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LE MAUVAIS SANG suivi de FEU DE BROUSSE et A TRICHe..CŒUR la r66dltlon dans la collection

L. D. Quand on travaille sur un sujet, on a naturellement l'esprit occupé par ce sujet. Si le roman m'emmène à Constanti· nople et si je le laisse pour peindre, ce qui vient sur la toile

La Quinzaine Littéraire, du 1" au 15 novembre 1970

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Au tocsin

~: Durrell

l. D. J'ai commencé par la gouache. Je m'y sentais à l'aise, et je m'y sens toujours à l'aise. Je travaille très librement sur papier buvard. Encore un matériau d'écrivain.

l. D. Qui me convient parfaitement. Et le format qui est celui des buvards de ma papeterie de Provence est la dimension idéale, celle où je m'exprime le mieux. Avec la gouache surtout, j'avais, j'ai encore, le sens de la naïveté. Avec l'huile, j'ai découvert de nouvelles difficultés, et je l'ai perdu. L'huile donne envie de dessiner, mais vous prive de la - merveilleuse liberté de la gouache. Et quand on essaye de dessiner on est littéralement crucifié parce qu'on devient conscient de ce qu'il faudrait et de ce qu'on ne peut pas faire. Mais vous nous présentez une -exposition très cohérente, très intéressante.

l. D. Je vous remercie. Je le souhaite. En tout cas, elle était nécessaire. Mes toiles avaient envahi le garage. Le voilà débarrassé et je vais pouvoir remettre ma voiture à sa place. Le jour du vernissage, vous signerez votre roman. Comment le situez-vous dans votre œuvre?

l. D. Nunquam est le deuxième volet, le complément de Tune. D'un livre sur l'autre, je pense avoir fait le même enjambement que dans le Quatuor. Devant Tune, les critiques ont souvent été gênés parce qu'il y avait beaucoup de points d'interrogation et peu de réponses. Celles-ci se trouvent dans Nunquam.· En fait,. l'ensemble est .comme un seul volume en deux parties. C'est maintenant seulement que le lecteur pourra juger de la structure du récit et si cette structure tient le coup. Cela n'empêche point sans doute l'apparition de thèmes nouveaux.

l. D. Le thème central de Nunquam, c'est la révolte d'Aphrodite contre la civilisa•tlon. On retrouve ici ce que les Grees nommaient l'Ubris.

1.2

Cette Aphrodite, qui est-elle?

L. D. C'est une femme inventée, plus exactement fabriquée artificiellement, à l'image d'une morte. Mais cette créature née de la technique est si semblable à l'autre qu'elle aussi veut sa liberté. Elle se révolte contre la civilisation technique, mais d'abord contre le monde extrêmement structuré de la société Merlin. Qui tenait une place importante dans Tunc.

L. D. Oui, mais cette fois, tout ce qui concerne cette société est éclairé et son mystérieux directeur, Julian, vient sur le devant de la scène. Retrouve-t-on les mêmes décors et des lieux aussi pittoresques que le bordel d'Athènes?

L. D. Cette fois, ce serait plutôt des casinos. Tout est axé sur le climat impersonnel, inhumain d'une grande société industrielle dont les activités ont pour cadre Londres, New York, Constantinople. D'où le trouble de l'inventeur, prisonnier de ses inventions, et qui pour pouvoir les réaliser doit accepter d'uti-. liser les laboratoires, les possibilités techniques de la société, de travailler dans un milieu où la liberté n'a pas de sens. D'où la révolte de la femme. Avec cette femme; vous êtes presque dans la science-fiction.

L. D. D'une certaine manière, on est poussé à en faire. Tout le monde écrit si bien aujourd'hui qu'un écrivain doit faire un effort pour attirer le lecteur, sans pour autant trahir ce qu'il veut dire. Quelquefois, les critiques ont reproché à mes bouquins un côté mélodramatique. Mais c'est donc qu'ils ne sont pas si éloignés de la vie quotidienne. Voyez les journaux. Chaque jour ils nous racontent des mélos. En fait, plus que de la science fiction, le ton de Nunquam se rapprocherait de Poe. Mais avec une ·action très rapide et un peu macabre. Propos recueillis par Claude Bonnefoy .

Jamais peut-être la reconnaissance n'est venue si vite à un grand écrivain.' En sa paradoxale situation d'écrivain «inexistant -, exclu de la littérature de son pays, Soljénitsyne vient de recueillir l'hommage le plus prestigieux qui soit. Peut-être parce que son œuvre répondait à

une interrogation plus anxieuse que jamais sur le sens de l'action humaine. Et que, parti du même absurde cruel et clos où nous enferment Kafka et Beckett, il ne s'est pas laissé emmurer. Et pourtant, de quel total dénuement Soljénitsyne nous est venu!

« Cet hiver-là, j'arrivai à T achkent presque mort. Oui, je venais là pour y mourir... Mais on me renvoya à la vie, pour un bout de temps encore. » (la Main droite). Ainsi renvoyé à la vie « pour un bout de temps encore », cet homme a décidé de porter témoignage sur son voyage au bout de la mort. Témoignage obstiné, inflexible, cruel, mais qui, loin de déboucher

sur la nuit, introduit la lumière au plus noir du vingtième siècle. Nous tous, les lecteurs de Soljénitsyne, avons été bouleversés par le fait brut de ce témoignage. Mais nous n'en avons pas tout de suite compris le sens, ni le message. Il faut dire que toute l'œuvre connue de Soljénitsyne se préS«fJlte, en apparence, comme un récit documentaire. Qu'il s'agisse de l'énor-


de J'histoire par Georges Nivat me fre!qUe du Premier Cercle ou de l'humble récit de Matriona, le discours de Soljénitsyne a toujours l'air d'être une simple narration : une journée d'Ivan Denissovitch, .ou bien deux journées de la prison des savants. Mais cette simplicité est trompeuse... Il faut voir d'abord que cette œuvre, d'emblée, débute par un chef-d'œuvre extrêmement riche, empli de résonances : le Premier cercle. Œuvre extraordinaire à plus d'un titre. D'abord par l'immensité de la fresque sociale comparée à l'exiguïté du, temps de la narration : ministres, juges, diplomates, écrivains, policiers, bagnards de toutes origines, moujiks illettrés ou savants de premier ordre, tous ordonnés en deux cercles superposés, et symboliquement rassemblés, au centre" du roman, en deux banquets symétriques : celui des repus, apparemment « libres» mais rongés par l'angoisse et déjà harponnés par l'absurde, celui des bagnards, apparemment soumis, mais au fond libres par le fait même de leur absolu dénuement... Et ces deux cercles superposés sont reliés par le fil de l'angoisse et du choix moral : Innocent Volodine, le saint malgré lui, rejoint dans sa chute vertigineuse les héros de l'abnégation que le premier cercle rejette vers les ténèbres du septième. Œuvre extraordinaire aussi par la fermeté absolue du jugement porté sur une histoire qui obsédait encore nos esprits : le stalinisme, cette ombre immense portée sur la révolution russe et tout notre XXe siècle. Soljénitsyne fait plus que récrire une histoire si opaquement camouflée : ill~ rejuge comme à un Jugement Dernier, il nous fait en· tendre ce « toscin muet» qui hante les rêves de son héros Nerjine et que seule Anna Akhmatova aura su, si différemment, faire entendre à l'égal de lui. Cette force extraordinaire s'explique ainsi: d'emblée, dès sa première grande œuvre, l'écrivain a trouvé la clé de son œuvre et son message aux hommes. L'histoire des hommes vient de basculer comme un iceherg. L'homme d'après les camps n'est plus le même, l'Histoire post-concentrationnaire n'est plus la même, ne peut plus avoir le même sens qu'avant. Non que le mal n'ait existé auparavant, bien sûr, mais jamais auparavant il n'avait été scientifiquement concentré avec tant de perversité. Cette lumière noire qui monte des camps irradie notre bis-

toire, notre, culture et change même la notion ancienne d'héritage cultu· rel. Grotowski aussi a, dans son théâtre, cette intuition centrale et obsédante que tous les héritages an· ciens doivent être révisés depuis Auschwitz et Dachau. Chez Soljénitsyne ce renversement est total : ni la Russie, ni la poésie, ni Pouch. kine, ni le courage des Décembristes, ni les souffrances d'Anna Karénine n'ont plus le même sens après l'enfer aux sept cercles (dont six nous sont épargnés...) Ceux qui reprochent à Soljénitsyne d'en revenir toujour5 au même thème ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre: Soljénitsyne part toujours du même thème parce que pour lui toute notre histoire contemporaine, et ce que nous léguerons à nos enfants, part de là : ce dénuement total où l'homme a été replon. gé. Mais tout renaît aussi à partir de là et Soljénitsyne, à sa façon, nous redonne le monde. « Je me sentais étreint d'une pitié déchirante, sans bien savoir de qui j'avais pitié... Etait-ce de mes contemporains, ceux qui étaient morts de froid dans le district de Damiansk, ceux qu'on avait brûlés dans les fours d'Auschwitz, ceux qu'on avait «redressés» au Djezkazgan, ceux qui achevaient de mourir dans la taïga - et pour qui à jamais ces jeunes filles resteraient inaccessibles - ou bien peut-être était-ce d'elles que j'avais pitié, de ces jeunes filles qui ne sauraient jamais, et à qui jamais on ne pourrait raconter? » Ainsi s'exprime le narrateur du court récit de la Main droite, exilé loqueteux, usé par dix ans de camp et par tous les poisons que le cancer et les drogues déversent dans son organisme. Ce texte nous rappelle que Soljénitsyne, homme et écrivain tellement russe, aurait eu à dire, en tout autre point de notre planète, un message à peu près similaire. Car cette rupture dans l'héritage des valeurs et des cultures vaut aussi pour nous, est aussi en nous. « Même à nos époques de perversion massive, quand la question se pose : Pour qui donc faut-il œuvrer ? pour qui donc se sacrifier ? On doit répondre avec assurance : pour la justice. Elle n'est PAS DU TOUT RELATIVE, tout comme la conscience. D'ailleurs elle est la conscience, mais non point personnelle, de toute l'humanité en même temps ». (Lettre à trois étudiants, Octobre 1967). En un sens, le Premier Cercle est

un poème où, au-delà du dénuement total, Soljénitsyne rend manifeste, par toute la construction symbolique de son œuvre, la naissance de cette conscience non personnelle mais collective. Ce n'est pas fortuitement qu'il a mis au centre de son roman le symbole mystique du Saint Graal. Ce Graal que peint en secret Kondrachov, que contemple Nerjine apl'ès l'épreuve du revoir avec sa femme, ce Graal dont a rêvé le Moyen Age mystique et qui a méta· morphosé les chevaliers batailleurs en héros du renoncement, c'est, dit Soljénistsyne, « un instant qui peut survenir dans la vie de c1wque homme, lorsque tout à coup, Ü aperçoit l'image de la Perfection. Autre symbole central à toute l'œuvre, celui de l'Arche, l'Arche invisible qui regroupe les héros et les emmène vers la plus grande liberté intérieure. Ces symboles veulent dire que seul le Nouvel Age chrétien offre un précédent comparable de cataclysmes vécus, de naufrages absolus des cultures héritées, et de nouvelle création absolue des valeurs. Par ces signes venus du XIIIe siècle, Soljénitsyne veut nous guider dans le chaos qu'il décrit. Nerjine, ce chercheur du vrai, ne trouvera ni auprès de l'incorruptible Rouhine, ni auprès du limpide Sologdine, ni même auprès du touchant, fruste, et merveilleux Spiridon. Mais par l'effet de cette poésie de la sainteté qui sous-tend toute l'œuvre, il rejoint Innocent Volo-

dîne, le saint malgré lni, précipité du confort de l'épicurien dans la nuit de Kafka... Cette poésie de la sainteté, ene anime, ou illumine, awm bien Ivan Denissovitch que l'admirable Matriona ou le communiste Gratchikov. Elle se retrouve en les deux doctoresses du Pavillon da Cancéreux et plus encore dans le doux et résigné Sighatov. Mais avec le Pavillon l'art de SoljéQitsyne se diversifie et s'épanouit. n ne s'agit plus de montrer la « rupture » elle-même, mais ses lointains effets, les ruines et les cauchelllBJ'!l causés. Le monde social décrit s'épaissit, l'enchevêtrement des discours semi-indirects (si partieulier à Soljénitsyne) nous donne de cette chambrée de malades une vision vraiment pluriangulaire. Toujours présent, le cataclysme des temps modernes hante les cauohelllBJ'!l dantesques de Roussanov, les yeux hagards d'Ephrem, les remords de Chouloubine. Mais à présent tout renaît sur les ruines anciennes. C'est véritablement «le premier jour de la création D. Parce qu'Oleg, le véritable héros soljénitsynien, en dépit de ses épreuves et de ses rancœurs, sait écouter la voix du renoncement et de la contemplation. n n'aura pas Zoé; Véga, il le sent, lui est interdite ; il retour-' nera au paradis pierreux d'OuchTerek, mais il sentira renaître en lui le monde en sa fraîcheur premIère : «Il palpait et n'osait pœ encore .;roire à son bonheur : le.~

~ La Quinzaine Littéraire, du 1" au 15 novembre 1970

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objets existaient bel et bien, et ses yeux recommençaient à voir... » Par-delà la minutie réaliste, par· delà les cauchemars et les supplices du remords, Soljénitsyne nous conduit à ces instants de re-naissance qui sont pleinement mystiques. Ils étaient déjà dans le Premier Cercle, dans Ivan Denissovitch et dans la Maison de Matriona, mais ici ils sont véritablement les sommets : dans un monde recouvré, presque enfantin, où la lente sagesse ouzbek symbolise le paradis ancien, Oleg parcourra la vieille ville et il trouvera dans le dédale ombreux des ruelles et la merveille rose de l'ouriouk en fleur et le courage de renoncer, de repartir.

Une conquête sur la mort Sans l'absolu dénuement expérimenté au camp, ces yeux ne ver· raient rien, cet ouriouk ne signifie. rait rien. La poésie grave et contemplative de Soljénitsyne est toute conquise sur l'absurde et sur la mort. Elle est aussi, par ces éclats de lumière qu'elle dérobe aux ténèbres, l'annonce et l'acceptation de la mort que le monde moderne pré. tend si naïvement nier. « C'est seulement lorsque le train, après une secousse, s'ébranla que, là où se trouve le cœur ou bien l'âme, quelque part à l'endroit essentiel de la poitrine, quelque chose se serra... Le train roulait et les bottes de Kostaglotov, comme privées de vie, dodelinaient au-des· sus du couloir" les bouts tournés vers 'le bas. Un méchant homme avait jeté du tabac dans les yeux du macaque rhésus. Pour rien... sim· plement comme ça... » Ainsi Oleg, bercé dans sa mort, au terme de tant d'épreuves devientil enfin et « une miette de son peuple », et une miette de l'universel. Car c'est là, incontestablement, quc conduisent les cycles soljénitsyniens. Ce sont des cycles de la rédemption. Qu'on se rappelle les derniers mots de Chouloubine à Oleg : « Parfois je sens avec tant de clarté que ce qu'il y a en moi n'est pas encore tout moi. Il y a quelque chose de très indestructible, quelque chose de très très haut. Quelque chose comme un éclat de l'Esprit Universel. Vous ne le ressentez pas ? » Cet éclat, ou cette « lumière qui est en toi» (Saint Luc) est le terme du poème. Georges Nivat

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Un inédit de

Soljénitsyne

La lumière qui est en toi La lumière qui est en toi est une pièce écrite par Soljénitsyne en 1960. L'action se passe dans un pays anglo-saxon imaginaire, dans un milieu' de savants occupés à résoudre des problèmes de cybern6tique. A l'Institut de Philippe on cherche à remodeler le psychique de l'individu, tandis que Terbolm étudie l'application de la cybernétique à la science sociale et à la politique. Alex, un ami de Phi-

lippe, et comme lui un ancien bagnard, tout en étant fasciné par cette science nouvelle, s'obstine à poser certains problèmes moraux, qui sont tout simplement ceux auxquels Soljénitsyne confronte le camionneur Ephrem Poddouïev dans le Pavillon des Cancéreux, lorsqu'il lui met dans les mains le petit conte de Tolstoï intitulé fi De quoi vivent les hommes?» G. N.

La scène se passe chez Philippe Radagaïs, dans le grand salon de sa villa. Ses amis et collaborateurs sont tous rassemblés, tandis que dans une pièce cachée de la maison, la femme de Philippe, malade d'un mal incurable, achève son existence douloureuse et solitaire.

que je laisse tomber. Je ne sais pas encore. Pour moi la question essentielle dans la vie a toujours été le pourquoi? Car enfin, dans le moindre de nos actes ... je sors de chez moi, je sais toujours où je vais et pourquoi, j'achète quelque chose, je sais toujours pourquoi... Dès qu'il s'agit d'un acte important, on admet de ne pas savoir, de ne pas réfléchir. Tenez, je travaille chez Radagaïs depuis six mois déjà et je pose la question à droite et à gauche : pourquoi est-ce que nous faisons tout cela? Personne ne peut me répondre. Pourquoi la science en général? On me répond: c'est intéressant, c'est un processus qu'on ne peut arrêter, elle 0st liée aux forces productrices ... Mais tout de même : pourquoi? De toutes parts on nous refile des buts pour le moins étranges : il faut travailler pour le travail, il faut vivre pour la société. SINBARD. - C'est un but élevé, grandiose. En quoi vous déplaît-il ? ALEX. - Grandiose? Ce n'est pas un but. ' SIN BARD. - Et pourquoi pas? ALEX. - Mais voyons, si je vis pour vous et que vous viviez pour moi, nous voici en circuit fermé. De toute façon, ça ne répond pas à la question: « pourquoi vivons-nous? -. TERBOLM. - Oui mais quand vous dites «pourquoi vivonsnous -, vous posez mal le problème. Nous ne sommes pas nés d'un acte de notre propre volonté et avec une intention

TERBOLM. - Et elle, pendant ce temps, elle est couchée, les yeux au plafond, sous l'éclat cru des lampes. Le moindre changement de position est douloureux pour elle. Et nous, ici, nous sommes tous au courant, et nous échangeons des sourires, comme si nous ne savions rien. Le monde est ainsi fait : il nous est donné de nous réjouir ensemble, mais pour souffrir, pour mourir, on est seul. (Une longue pause). Koriel! Sérieusement, venez travailler chez nous. ALEX. A parler franchement, Terbolm, ce n'est pas seulement la cybernétique sociale, mais aussi la science en générai qui ne m'inspire aucune confiance. La science a prouvé qu'elle savait se mettre au service des tyrans. TERBOLM (après un moment de réflexion). - Ce n'est pas la science qui engendre les tyrans. Aux époques barbares, dans les pays incultes, ils sont plus nombreux encore. ALEX. - Oui mais la science aussi a déjà su leur être utile. TERBOLM. Bien sûr. Des mains sans scrupules s'en sont saisie! C'est pourquoi il faut créer une société idéalement régularisée où la science ne saurait plus être employée à mal. ALEX. - Il est fort possible

préalable. « Pourquoi -. on pourrait poser la question à Dieu ou

à ... SINBARD. - Doucement, n'allons pas y mêler le Bon Dieu. TERBOLM. - La religion est chose ridicule, toute le monde le sait. Alors on pourrait poser la question à nos parents. ALEX. Mais nous-mêmes sommes des parents. Donc, pourquoi donnons-nous la vie? TERBOLM. - Voilà, de cette façon-là, ça devient possible. Ou bien encore : dans la mesure où nous sommes déjà au monde et où nous sommes déjà devenus des êtres conscients, quel but nous fixons-nous personnellement? Ou bien alors, nous ne nous en fixons aucun et flous vivons par amère nécessité. ALEX. - Eh alors, Sinbard? Votre but? Et le but de vos enfants à venir? SINBARD. - Le bonheur, bien sûr, quelle question naïve? ALEX. - Bon, mais qu'est-ce que le bonheur? TERBOLM. - Bon, admettons que le bonheur ce soit la plénitude spirituelle. Celui qui éprouve la plénitude de sa vie, celui-là est heureux. ALEX. - Vous y êtes presque, mais ce n'est pas encore cela. La sensation de plénitude, les bons motifs peuvent la donner autant que les mauvais. La vie du savant est remplie, celle d'une petite vieille solitaire qui soigne des chats malades... Mais celle du salaud aussi qui s'enrichit sur le compte des autres, celle de la chenille aussi, qui ronge l'arbre fécond. Si tout cela c'e~t le bonheur, alors peut-on en faire un but? Ne faudrait-il pas faire une distinction entre ces bonheurs-là? SINBARD. - Oui mais qui va faire la distinction? Vous? Moi? Pourquoi votre- critère du bonheur serait-il plus juste que le mien ou le sien? ALEX. Ni le mien, ni le vôtre, mais celui ,de la loi morale intérieure! Etre heureux, d'accord, mais pas en contradiction avec cette loi ! SINBARD: Quoi encore? Une loi morale intérieÜre? Innée peut-être (il rit aux éclats). Etudiez la médecine! Dans notre organisme il n'y a tout bonnement pas d'organe où se-logerait une loi morale intérieure.


Soljénitsyne

ALEX. Je connais votre théorie : expliquer tout l'homme, Raphaël et Chopin y compris, par les hormones. Oui! Vous deSIN BARD. vriez 'étudier la vie hormonale! Et la morale absolue, c'est un conte de bonne femme. La vérité est toujours concrète! La morale est toujours relative! ALEX. - Il Y a quelque chose qui cloche dans votre histoire de morale relative! Elle vous permet de justifier n'importe quel crime! Violer une petite fille c'est toujours mal,dans n'importe quelle société! Et battre un enfant aussi ! Et chasser une mère de sa maison! Et répandre la calomnie! Et manquer à sa parole! Et abuser de la confiance d'autrui! SINBARD. Bobards! Galimatias que tout cela! ALEX. - Comment? Il se peut que tout cela soit bien? SINBARD. - Et tuer ses pro-

pres parents quand ils sont vieux, est-ce bien ou mal? Allez poser la question à Kabimka! Il existe des tribus où c'est bien, où c'est humain! TERBOLM. - Alors peut-être que la loi existe et ne s'éclaire pour nous qu'au long des millénaires! Peut-être qu'elle est en outre sujette à une programmation complémentaire dans chaque société? SIN BARD. Vous en avez encore pour longtemps à vasouiller comme ça? 11 n'existe pas de morale absolue! Et il n'existe pas de loi morale intérieure ! Et quand bien même elle existerait, aucune force ne pourrait nous obliger à en tenir compte! (Alda apparaît. Ils ne le remarquent pas). ALEX. - Une telle force existe! SINBARD. - Nommez-là! ALEX. - La mort! L'énigme

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 novembre 1970

permanente de la mort. L'obstacle permanent devant nous, 'la mort. Vous pouvez .. étudier la cybernétique, les galaxies azurées, il reste que vous ne pouvez pas sauter à pieds joints par-dessus la mort ! SINBARD. Le temps viendra où nous le pourrons! ALEX. Jamais! Tout est mortel dans l'univers, même les étoiles! Et nous sommes contraints d'élaborer notre philosophie en fonction de la mort aussi ! Afin d~y êtr.e préparés! SINBARD. ~ J'en ai soupé des leçons de morale funèbres! On s'en sert pour étouffer la vie vivante, bouillonnante! Combien de temps nous prend-elle, cette fichue mort, un instant nu de renoncement! C'est un infime facteur annexe, en regard de notre vie longue, variée, haute . en couleur! ALEX. - C'est vite fait, mais ce n'est pas vite dit quand il s'agit de lui trouver un sens. Ne vous cachez pas, elle vous trouvera bien! TERBOLM. - Nous parlons de' la mort comme si ce n'était pas nous mais quelqu'un d'autre qui devait mourir. SINBARD. - Nous parlons de la mort comme si nous devions mourir tous les jours! le globe terrestre est vaste! Des hommes, il y en a trois milliards. C'est quasiment improbable qu'à tout instant donné, par cette porte (il indique celle de droite), là, tenez, je me tourne sans crainte de ce côté, que par cette porte donc, pénètre la mort de quelqu'un. (Tous se tournent vers la porte, attendent un instant. Personne n'apparaît. Sinbard émet un petit· rire. Profitant de la pause, Alda, qui s'est rapprochée d'Alex par derrière, lui touche la main. Il se retourne). Et mieux encore, regardez, je vais même jeter un coup d'œil dans l'entrée (il regarde). Personne là non plus ! ALDA. Tu es encore en train de discuter? Tu n'en as pas assez? C'est sinistre.

Traduit par Alfreda Aucouturier, extrait du Cahier SoIjénitsyne qui paraîtra prochainement aux Editions de l'Herne sous la direction de Michel Aucouturier et de Georges Nivat

PRIX NOBEL 1970 SOLJENITSYNE

li PIIEMIER

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un chef d'œuvre incontesté • le premier romancier soviétique à la dimension d'un Tolstoï, d'un Dostoïevski. CL Rey (le NooveI Observateur) • Un grand roman: un document tragique. lIIclu S_issanl (La Croix) • Une admirable méditation sur la c0ndition et la grandeur de l'homme, capable de résister à l'enfer dont, à l'instar de Dante, l'auteur décrit ici le premier cercle. Hélèlle za••ysa (le Monde) • Un très grand livre. llalll'lce ....._ (la lluinzaine littéraire)

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100 mille ROBERT.a LAFFONT 15


EXPOSITIONS

L'univers de Kienholz

Un

«

environnement» de Roxy's. détail.

Roxy's (1961) : tapis usés jusqu'à la trame, meubles démodés, objets venus des marchés aux puces et qui s'accumulent. Sous une image du général Mac Arthur, c'est un immense et vieillot bordel. Un crâne de porc constitue la tête de l'imposante mère-maquerelle. Une fille nue, plus ou moins démembrée, la tête rejetée en arrière, victime et appeau, est couchée sur une machine à coudre; ou bien peutêtre cette machine à coudre (qui attend, comme dans la phrase de Lautréamont, un parapluie et la copulation) fait-elle partie de son corps. Une rose transperce son cou, un écureuil a fait son nid dans sa poitrine. Asseyezvous dans un des tristes fauteuils du Roxy's et, pour les autres vi· siteurs de l'exposition, vous de. venez un client dépaysant de l'effarante et réaliste maisonclose. Une telle description (d'ailleurs incomplète) montre la complexité des univers de Kienholz (1). Complexité des formes; des sensations; des affects et des idées qu'ils éveillent. Cette complexité est un déclencheur de perturbation. Il n'y a pas de message précis, de forme simple, d'ordre esthé-

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tique apparent. Chacun se perd dans les détails, dans la multiplicité des objets, en un théâtre de la désolation. Le rideau s'ouvre sur une scène à la fois banale et déroutante où nous devons pénétrer. On pense aux premières lignes du Souffleur de Klossowski, prélude aux étrangetés érotiques : « Soudain la lumière s'é· teignit, les chuchotements .se turent dans la salle, le rideau se leva sur la petite scène. On reconnaissait une chambre aux papiers verts assez sordides; dans l'angle, un évier, auprès duquel un réchaud à gaz allumé, sur lequel fumait une bassine... » Il est trop faci le de refuser cette complexité et, sans regarder les œuvres, de définir l'effort de Kienholz comme une violente agression contre l'american way of Iife. Nommer la violence est une manière de limiter les perturbations que les œuvres provoquent en nous. Mieux vaut ne pas se hâter d'interpréter. Il est d'ailleurs vain de parIer, à propos d'une œuvre, de transgression, d'attaque ou de déconstruction, si l'on ne précise pas aussitôt les modalités et les fonctions de ces violences. Pour ne pas diminuer la force de Kienholz, on se contentera de

remarques modestes et dispersées. Il faut d'abord noter que, selon les environnements, les modes d'appréhension sont différents. On entre dans Roxy's et on s'égare dans ses accumulations poussiéreuses. On s'installe à une table au fond du bar surpeuplé The Beanery (1965), plein de bruits et d'odeurs; les clients ont une horloge comme visage. D'autres œuvres ne nous enveloppent pas, mais se situent en face de nous: la voiture où s'embrassent deux êtres à tête commune de The Back Seat Dodge' 38 (1964) ou l'horreur véhémente de l'avortement (1962). Nous exclut davantage The State Hospital : à travers une petite fenêtre nous apercevons un malade mental nu, lié, marqué par les coups et les privations, et son double; leurs têtes sont formées de bocaux où nagent des poissons. Le Mé· morial de guerre portable (1968) impose une autre manière encore de saisir l'œuvre : ni égarement, ni perception globale, mais lecture dirigée de gauche à droite. C'est un livre d'images contre la guerre. On s'interrogera aussi sur le besoin de vérité de Kienholz. Il

ne réalisera pas son tableauconcept The black leather chair, s'il ne peut pas acheter, aux Noirs qui la possèdent, la chaise faite par un maître blanc avec la peau de leur arrière grand-père. Il ne montre que des objets utilisés, usés : traces de gestes disparus. Pour produire son bar, il achète les vieilles tables de l'établissement et le bar « réel» cesse de se ressembler pour permettre à son image de mieux le reconstituer : curieux détournement du réalisme! Les rapports des œuvres et de leur producteur constituent un autre problème. Kienholz apparaît, au premier abord, comme la réalisation parfaite d'un mythe américain: celui du pionnier ha)ile et honnête. Il a fait plusieurs métiers; il sait tout installer dans son exposition comme dans sa maison (l'une des dernières fermes près de Los Angeles) ; luimême se définit autant comme chasseur que comme artiste : « Dis seulement, précise-t-il à Gilbert Brownstone, que je suis un tireur d'élite et qu'à 200 mè· tres je fais mouche ». Mais ce pionnier est hanté par les failles de la société; il montre les vieillards abandonnés, les couples désaccordés, l'accouchement douloureux, la guerre, les malades battus; et le temps qui ronge tout : l'horloge est le visage des habitués du bar; elle trouve aussi une place sur le pubis d'une prostituée du Roxy's. Aux yeux du chasseur, fort de sa bonne volonté, la société est un vaste bordel où nul n'est méprisable, mais où il est difficile d'être heureux, et où la mort est à l'horizon. Cette reconstitution du monde, si elle se fait avec une violence critique, refuse d'apparaître comme une dénonciation simpliste. Il convient de lui appliquer la définition négative que donne Michel Leiris du dernier livre de P. Guyotat : «Ce n'est pas un enfer, non plus d'ailleurs qu'un paradis D. De tels univers visent à rendre impossibles les manichéismes, les oppositions élémentaires du bien et du mal, du vrai et du faux, du beau et du laid. Ils veulent « dissoudre .. ces notions elles-mêmes. Gilbert Lascault (1) Exposition organisée par l'A.R.C. et le C.N.A.C. au C.N.A.C.. 11. rue Berryer, du 13-10-1970 au 16-11-1970.


Le <Kunstmarkt de Cologne Dans les galeries Le Kunstmarkt de Cologne a été institué en réaction à Dokumenta par une association de galeries de "Allemagne fédérale que la ville de Cologne, laquelle se pose volontiers en rivale de Dusseldorf dans le domaine de l'art, accueille à la Kunsthalle chaque année en octobre durant six jours. C'est donc avant tout une manifestation de caractère commercial et la chère Iris Clert qui tout au long de la journée battait la semelle près de son camion "off Kunstmarkt -, n'a fait qu'enfoncer des portes ouvertes en le dénonçant dans la . presse locale. Ses véhémentes déclarations traduisaient en fait l'ennui qui se dégageait de l'ensemble de ces galeries dont pas une ne semble défendre ou imposer qui que ce soit. Ennui que les organisateurs ont senti puisqu'ils envisagent d'inviter des galeries étrangères l'an prochain. Il serait bon en effet de secouer les collectionneurs rhénans - et le public qui les suit en se ruant sur les multiples - . qui ronronnent depuis des années dans le pop, le cool, le minimal, le new realism, etc.; car ce sont encore Rauschenberg, Warhol, Donald Judd, Rosenquist et leurs épigones allemands qui tiennent la corde à côté des vedettes nationales Beuys, Ueker, Wunderlich dont l'œuvre ressortit de plus en plus à la fabrication, et Bernard Schultze qui, au contraire, approfondit sans cesse sa recherche. La nouveauté, on espère la trouver à côté de la Kunsthalle, sur la place où la ville de Cologne a dressé une immense tente pour abriter toutes les petites galeries habituellement contestataires du Kunstmarkt afin d'éviter toute manifestation perturbatrice. L'atmosphère y est assez excitante, c'est vraiment la foire, mais c'est la foire aux croûtes, aux bijoux de trottoir, aux gadgets pornos. En ville, l'impression serait plus favorable, sans doute parce qu'une exposition particulière établit mieux un contact qu'un amoncellement disparate sur les trois parois d'un stand. Il n'y a cependant pas de quoi pavoiser et l'on est assez déçu de voir les peintures de Max Ernst pour la maison d'Eluard à la Galerie

Gravures pour le mur Deux artistes, Florlnl et Louttre, ont réalisé des bols gravés en taille douce qui «transposent à l'échelle monumentale. (2 X 3 m) les qualités essentielles de la gravure en creux. Dans cette différence de dimensions apparaît clairement l'ambiguïté sémantique du mot gravure : procédé certes, mais aussi estampe, c'est-à-dire objet précieux prédestiné au carton à dessin ou au sous-verre. Par référence à la fonction, on pense à des tapisseries (avec la même ambiguïté, mais en sens inverse) mais la matière ne suit pas... Il s'agit donc d'éléments décoratifs tout à fait nouveaux Galerie Jeanne Bucher, 53, rue de Seine.

Hamisky Ursula : Pfelz-Haus.

Zwirner qui exposait l'année à cette époque dernière Fahlstrôm! Zwirner se trouvait ainsi dans la lignée de la Galerie Baukunst, laquelle ne pèche pas par des excès avant-gardistes, se plaisant plutôt à rassembler des valeurs consacrées autour d'un thème, " Œuvres de la maturité -, cette année. La seule justification de ce genre d'exposition est la qualité et on doit reconnaître en l'occurrence que de Baumeister à Vieira da Silva en passant par Bonnard, Jawlensky, Klee, Léger, Monnet et trois esquisses de Nolde pour des tableaux qui ne furent jamais peints, on l'y trouve à un très haut degré dans la centaine d'œuvres accrochées. Parmi les expositions particulières, c'est assurément celle de Rafael Canogar à la Galerie Klang qui est la plus satisfaisante. Une dizaine de tableaux présentent des silhouettes isolées ou des scènes de foule auxquelles sont intégrées des moulages de bras et de mains ou des vêtements plastifiés qui dramatisent le geste ou l'attitude dans un dessein incontestablement politique avec une force, une violence contenues tout à fait convaincantes. Dans son sous-sol Klang présente des personnages d'un jeune Allemand, Siegfried Neuenhausen. L'influence de Segal, de Kienholz y est manifeste, mais il s'y ajoute une cruauté froide qui fai.t frémir. Il faut dire que le lieu, le sujet, la mise en scène accentuent cette impression : un homme torturé, le visage

masqué par des bandelettes, vêtu d'un blouson de cuir, est assis le front reposant sur le dossier de la chaise, les mains ligotées dans le dos, devant une demi-douzaine de personnages aux crânes nus, vêtus de manteaux de cuir, imperturbablement anonymes. On retrouve cette demi-douzaine de personnages, mais cette fois l'absence du torturé les rend assez anodins, à Aixla-Chapelle, dans la collection du Dr Ludwig, ce chocolatier mécène dont il faut dire deux mots, car il se pourrait bien qu'il soit le responsable involontaire de la monotonie du marché allemand remarquée au Kunstmarkt. En quelques années Ludwig a rassemblé la plus prodigieuse collection de l'art des années 60 qui soit, exposée en permanence à Cologne et à Aix-la-Chapelle. Il est le pactole pour les marchands et les artistes dont il trouve chaque matin dans son courrier des dizaines de lettres l'invitant à venir voir leurs œuvres. Comment connaissant ses goûts, ne chercherait-on pas alors à le séduire? Dieu merci, il semble assez éclairé, même s'il commet parfois d'impardonnables erreurs comme l'immonde Allen Jones d'Aix-Ia-Chapelle, A Aix, dans les salles rococo de la Neue Galerie, on préparait une manifestation Wostell avec pylône de ligne haute-tension et enclos empli de terre dans laquelle étaient plantées une vingtaine de pelles destinées, j'imagine, à en modifier la surface au gré des visiteurs. Il y avait

La galerie Arnaud présente la quatrième exposition personnelle d'un artiste de 27 ans. Sculpture? peinture? qu'importe! Pendant quatre années de silence, Hamisky a mûri une mise en question (séditieuse et non dénuée d'humour) tant de l'espace traditionnel de la peinture que du côté rassurant de la géométrie. Car ces beaux objets de bois, magnifiquement réalisés, sont en fait pleins de subtiles et déconcertantes transgressions. Le cadre, le châssis sont là, mais gauchis, leur continuité de «bons rectangles. n'est qu'apparente, voire rompue. Et si la planéité de la toile peinte ou le vrai relief de la sculpture nous sont familiers, combien déconcertent et même inquiètent ces surfaces apparemment sages mais qui ont la ferme volonté de ne pas le rester... Galerie Arnaud, 212, boulevard SaintGermain (jusqu'au 14 novembre).

Sculpture et acier Un précédent de taille dans le milieu industriel : à l'occasion d'un Congrès International de sidérurgistes à Paris, la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française a organisé pour huit jours, dans le patio de l'Hôtel Inter-Continental où se tenait le congrès, une exposition de sculptures en acier. Le cadre, récemment rénové par l'architecte Olivier Vaudou qui, non sans humour, en a fait un espace contemporain, se prêtait à ce rassemblement d'une exemplaire qualité. L'organisateur, François Wehrlin, avait visé un panorama éclectique, où s'Intégraient même des œuvres de peintres, tel Vasarely (qui n'étaient d'ailleurs pas parmi les meilleures). Davantage, la Chambre Syndicale de la Sidérurgie avait commandé pour la circonstance deux œuvres à van Thienen : un mobile, subtil, aérien, d'une grande intelligence poétique, destiné à la pelouse; et, à Claude Viseux, un bar. Pour réaliser ce splendide objet qui exprime sa double vocation de sculpteur et d'architecte, celui-ci 'a eu la libre disposition de moyens techniques qui ne lui avaient jamais été accessibles : l'expérience est convaincante. N. Blschower.

~ La Quinzaine Littéraire, du 1"' au 15 novembre 1970

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Les murs de Brassai' •

Cologne

également Ursula dont j'avais vu à Cologne un étonnant portrait de Mark Moyens, Ursula qui exposait sa • pfelz-Haus -, œuvre aussi délirante qu'ambitieuse. Imaginez la tente de La Dame à la Licorne à l'usage de la Gloria Swanson de • Sunset Boulevard» : au milieu d'un jardin fait de pierres peintes taillées dans la mousse de plastique d'où jaillissent des plumes de paon, et de têtes de mannequins p,eintes et fardées d'or, ornées à profusion de pacotille, se dresse une sorte de kiosque rond entièrement fait de fourrure et surmonté d'un faisan aux ailes déployées. L'intérieur est meublé d'une coiffeuse et d'un fauteuil. Tout, naturellement, y est fourrure meubles, lampes, radio, coffret à bijoux et autres accessoires; et sur les parois multicolores car Ursula a marié la fourrure acryl ique aux peaux naturelles les plus diverses : vison, guépard, singe etc., àu milieu d'éclats de miroir disséminés, un tableau, pas en fourrure mais un vrai et de la meilleure veine d'Ursula, • Hommage à Beardsley -, ce qui est tout naturel... Mais tout cela n'est pas aussi aimable qu'on pourrait le croire, car il s'y glisse d'innombrables babioles qu'Ursula dénature d'une manière insidieuse qui est loin d'être toujours confortable et s'il s'agit bien ici d'un enchantement, c'est au sens premier du mot qu'il faut J'entendre. Marcel Billot

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Morceau de mur, par Brassaï.

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Brassaï se fait rare, en France tout au moins. Plus occupé à faire qu'à se faire valoir, il photographie, sculpte, écrit. New York lui a rendu hommage en 1968, au Museum of Modern Art. Mais à Paris, nous n'avions pas vu d'exposition depuis celle de la Bibliothèque Nationale, en 1963. Une nouvelle galerie, ouverte par les éditions Rencontre (1) et qui se destine à J'art de la photo, a eu J'heureuse idée, pour son inauguration, de nous ramener Brassaï. Un Brassaï nouveau, d'ailleurs : le maître du noir et Llanc, le premier photographe de la nuit se voue ici à la couleur. Les morceaux de murs qu'il a photographiés constituent un

épilogue inattendu à l'aventure des graffiti. Brassaï photographie les murs depuis 1930, comme en témoignent de vieux numéros du • Minotaure -. Ses photos de graffiti sont trop connues pour qu'il soit la peine d'insister. Brassaï a déchiffré les murs écorchés comme un réseau de signes, les traces d'une civilisation, et les aveux d'Un inconscient individuel ou collectif. ft Brassaï est un révélateur de microcosmes inconnus dont le temps accumule invisiblement les vestiges, écrivait Mauriac. Ainsi la photographie a révélé sur le Saint Suaire de Turin l'empreinte du Fils de l'Homme. Ainsi l'empreinte de l'homme apparaît vaguement sur le sor· dide mur de Brassaï.» Avec ces photos couleur tout change, Ce sont toujours des murs, mais il ne s'agit plus d'humanisme. L'important dans la couleur, dit Brassaï, c'est la couleur. Tout au plus J'artiste s'estil amusé à suggérer par des titres quels dessins évoquent pour lui les écorchures, les boursouflures des murs : pas de deux, farandole, vieille Chine, Apocalypse ... Mais ce n'est q'un jeu, comme de voir des figures dans les nuages. Découpée par le regard du photographe, dans le cadre de son viseur, voici en fait une éblouissante galerie de tableaux non figuratifs. Il y a de quoi être pris de vertige et répéter, comme dans une scène fameuse : • Petit pan de mur jaune, petit pan de mur jaune. - Seulement ce n"est pas Bergotte, ici, qui est en danger de mort. C'est J'art abstrait tout entier. Combien de tableaux modernes, usant de terre, de sable, de goudron, imitent à grand peine le mur, tandis qu'ici le mur arrive à égaler les plus beaux tableaux. Bien sûr, si l'art abstrait n'avait jamais existé, le photographe ne le verrait pas sur les vieux murs. Ce n'est pas la nature qui a inventé l'art. Je veux simplement diré que, pour peu que nous apprenions à regarder, elle l'imite avec une habileté stupéfiante. Elle a pour elle le temps, artisan incomparablement patient et laborieux, et aussi, cette fois, J'œil de Brassaï. Roger Grenier (1) 40. rue du Cherche-Midi, 7 octobre au 7 novembre,

du


HISTOIRE

La Ve vue par de Gaulle « Quelle puisse être l'interprétatwn

Charles de Gaulle Mémoires d'espoir T. 1 Le Renouveau (1958-1962) Plon éd., 314 p.

1

« Vous qui aimez la gloire, soignez votre tombeau; couchez-vous y bien; tâchez d'y faire bonne figure, car vous y resterez. » Chateaubriand

Il n'est pas facile de parler brièvement du général de Gaulle. Il suscite des sentiments vifs et contradictoires : admiration et exaspération, dévotion et fureur, dont il faut soigneusement dévider l'écheveau afin de parvenir à se rendre « agaulliste» - comme Merleau-Ponty se voulait acommuniste. Pareil effort de détachement, on le verra plus loin, est toujours utile quand on lit les Mémoires d'espoir, bien que la passion ne soit guère excitée par cette composition un peu froide parfois, francbement ennuyeuse, et généralement dépourvue de la verve sarcastique que le Général mettait si volontiers dans ses interventions : C'est un monument qu'il élève pour la postérité. Le livre souffre de ce caractère solennel qui fige l'histoire. Pour tout dire, on éprouve un sentiment un peu fade, de « réchauffé» après les Mémoires de guerre et après les allocutions et conférences de presse de la décennie écoulée; l'espoir, précisément, n'est plus là pour enlever l'auteur, ni l'événement pour inspirer à l'orateur ces bonheurs d'expression qui rendait inimitable un style d'autre part si visiblement emprunté aux grands modèles. Il lui arrive même de commettre un solécisme : « J'ai convenu avec René Coty des détails de la transition » (p. 32) (l).

Le fonctionnement du régime Dix-sept mois après son départ, Charles de Gaulle livre donc l'interprétation authentique (c'est-àdire par l'auteur lui-même) de ses actes. Disons tout de suite qu'il est un point qui ne provoquera ni surprise ni controverse : ce sont les pages sur le fonctionnement du régime. Elles confirment pour l'essentiel ce que l'on savait déjà, illustrant en particulier cette autorité personnelle que j'avais proposé, dans le Régime politique de la ye République, d'appeler le Principat:

que l'on veuüle donner à tel ou tel article, c'est vers de Gaulle en tout cas que se tournent les Français... » (p. 284). On y découvre aussi un tableau familier de la vie à l'Elysée qui est peut-être la partie la plus attachante du livre parce que la plus naturelle. Quel dommage que le Général n'ait pas renoncé à ne présenter de lui-même qu'un portrait en majesté! Il ne se départit qu'à la fin de sa roideur, faisant allusion aux attaques qui l'incitent à se répéter, comme Octave « Quoi ! tu veux qu'mi t'épargne et n'a rien épargné! » (p. 312). Gaston Monnerville est même pardonné, semblet-il (p. 292)...

de ruse. Mais on lui passe tout cela et même il en prend plus de relief s'il s'en fait des moyens pour réaliser de grandes choses ». Une fois « les grandes choses » réalisées, leur accomplissement efface rétroactivement les « moyens» et l'œuvre seule demeure. Bien plus, il explique candidement à Nixon en 1960 : « Comme beaucoup de professionnels de la politique et de la presse ne conçoivent pas l'action publique sans tromperies et reniements, ils ne voient que de la ruse dans ma franchise et ma sincérité » (p. 258). Ces rapprochements entraînent toutefois des questions. S'il savait vraiment dès le début qu'il « n'y

Une composition un peu froide parfois, franchement ennuyeuse, et dépourvue de la verve sarcastique que le Général mettait si volontiers dans ses interventions...

Il n'y a pas d'illusion à se faire sur la' chance qu'a ce vœu d'être entendu pour le prochain volume. Comme t'?us les commentaires qui ne relèvent pas de l'adhésion inconditionnelle, celui-ci ne manifeste-til pas « l'aigreur, la critique et la ratiocination» de la « coalition hostüe des amitiés et des stylographes »? On aurait pourtant bien aimé connaître les cheminements de sa pensée, mais la présentation qu'il en donne exclut le doute et l'indécision. D'emblée, il avait vu juste, et si les événements n'ont pas répondu plus vite, ou mieux, à la clairvoyance de son dessein, la faute en incombe aux autres. Ainsi de l'Algérie. Quand il prononce, le 4 juin 1958, le fameux « je vous ai compris », il jette à la foule « les mots apparemment spontanés dans la forme, mais au fond bien calculés, dont je veux qu'elle s'enthousiasme sans qu'ils m'emportent plus loin que je n'ai résolu d'aller ». On en conviendra volontiers, mais le « Yive l'Algérie française! » de Mostaganem? Il signifie simplement que « le jour viendra où la majorité d'entre eux (les Algériens) pourra choisir le destin de toUS» (p. 53). On saisit ici le procédé qui illustre l'affirmation du Fil de l'Epée : « l'homme d'action ne se conçoit pas sans une forte dose d'égoïsme, d'orgueü, de dureté et

La Quinzaine Littéraire, du 1"' au 15 novembre 1970

avait plus d'issue (... ) en dehors du droit de l'Algérie à disposer d'ellemême» (p. 150), comment expliquer que la guerre ait duré encore près de quatre années? La responsabilité en serait imputable à « l'incertitude collégiale » et aux « ambitions rivales des dirigeants du F.L.N.» (p. U8) qui n'ont pas compris qu'ils auraient dû déposer les armes comme l'appel de la « paix des braves» les y invitait dès l'automne de 1958 et que le reste (c'est-à-dire les conditions qu'ils finirent par arracher au général) leur aurait été donné par surcroît... La reconstruction de l'histoire surprend par son impavidité, mais elle n'est pas nouvelle. Déjà le 13 mai, qualifié de « sursaut national » sur le moment devait se transformer en « entreprise d'usurpation» quatre ans plus tard; les dénégations répétées du livre (pp. 21 et 27 notamment) visent simplement à exorciser, une fois pour toutes, le « péché originel» de la ye République. Plus étranges sont les pages sur l'Allemagne et la politique étrangère. Au passif de la IYe République (et des « Anglo-Saxons »), le Général retient la réunification des trois zones d'occupation en 1949 et l'abandon de la Sarre (p. 14), puis il remonte vingt-cinq ans en arrière pour déplorer qu'on ait renoncé

« aux réparations qUt eussent pu

nous procurer les moyens d'industrialiser notre pays» (p. 173) et il rappelle enfin les propositions fai· tes à Staline en 1944 : ramener le peuple allemand « à la structure politique qui lui était naturelle », ce qui eût permis « de prélever à leurs sources les réparations dont l'Allemagne était redevable» (p. 239). Il ne s'agit pas tant de confronter, ces bonnes intentions, que l'on connaissait, à la réconciliation avec « mon ami Adenauer» : le pragmatisme du général de Gaulle sait tirer un trait sur les occasions perdues, on l'a vu pour l'Algérie et il expose aussi pour l'Outre-mer. Il s'agit plutôt de la vision histori· que persistante que ces propos dévoilent au lecteur stupéfait. En 1970, témoigner tant de nostalgie pour les calembredaines de « l'Alle· magne paiera»! Et que dire du reproche fait aux Anglo-Saxons concernant « l'arrêt hâtif des combats qui, le U novembre 1918, survenait au moment même où nous allions triomphalement cueillir les fruits de la victoire ». (p. 179) ? Sommes-nous devant des convictions de jeunesse, des idées reçues dans le milieu militaire des années vingt, qui resurgissent au soir de la vie ou, plus sérieusement, devant une sorte de faille que l'âge révèle en l'accusant? Entre un univers anachronique, peuplé de Gaulois, de Germains, d'Ibères et de Lusitaniens, où la France accomplit « les gestes de Dieu », et l'extraordinaire intuition des courants contemporains si souvent constatée, le contraste constitue l'un des mystè. res gaulliens. Loin d'en livrer la clé, les Mémoires d'espoir l'obscurcissent encore. « Sur la pente que gravit la France, ma mission est toujours de la guider vers le haut, tandis que toutes les voies d'en bas l'appellent sans cesse à redescendre. » La formule, qui -termine le Renouveau, évoque irrésistiblement celle des Mémoires d'Outre-Tombe « le voulais, moi, occuper les Français à la gloire, les attacher en haut », mais Chateaubriand ajoutait: « essayer de les mener à la réalité par les songes... » Et si le général de Gaulle s'était, en fin de compte, persuadé de la réalité des songes'? Pierre Avra (l) Signalons à la même page u~e inexactitude de détail : Jean Berthom n'était pas député mais sénateur.

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"Sociétés et révolutions nu entièrement déterminé par ses propres exigences» (p. 17); dans

Jean Baechler

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phénamènes révolutionnaires Coll. «Le sociologue » P.U.F., 260 p.

Sur un sujet aussi rebattu que brûlant, il semblait difficile de faire œuvre tant soit peu originale. La mrprise est donc totale, en lisant ces 260 pages sur les phénomènes révolutionnaires, de découvrir une pensée rigoureuse, exigeaq,te envers elle-même, et formulée au surplus dans un langage d'une clarté assez rare de nos jours. Les esprits méfiants soucieux de cataloguer n'auront pas ici la tâche facile. Que Jean Baechler soit historien mais se réclame des sciences sociales risqUe de les laisser indifférents car en France, les controverses méthodologiques entre histoire et sociologie sont à peu près inexistantes; qu'il s'avoue peu convaincu de la rentabilité scientifique de certaines hypothèses du marxisme fera davantage tiquer, mais une lecture attentive du texte montre qu'ici l'adage « qui n'est pas avec est contre» ne s'applique point (et d'ailleurs Baechler a consacré son précédent livre, paru chez A. Colin, à une élucidation de la politique de Trotsky); le parti adopté par l'auteur de n'étudier les phénomènes révolutionnaires que par référence à l'ordre social qu'ils nient le fera peut-être classer parmi les "structures-fonctionnalistes, ce qui aux yeux de certains n'est pas un compliment (1), mais l'accusé pourra répondre à juste titre que loin de vouloir démontrer que les « bons systèmes sociaux se reconnaissent à ce que leurs régulations homéostatiques les préservent» de toute perturbation sérieuse, il se borne à énoncer que l'on ne saurait comprendre une institution quelconque, ou l'essence d'une société, « tant

que l'on n'a pas détecté et analysé ce qui les nie » (p. 85).

Deux traits permanents Bien plus : il ressort de ce livre qu'aucun système social n'est exempt de phénomènes révolutionnaires, car au cœur de tout système concevable il y a deux traits permanents générateurs de conduites de refus : d'une part, L'arbitraire des institutions et des valeurs, en vertu duquel chaque société ne représente qu'un possible parmi d'autres, et prête de ce fait le flanc à la contes·

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le même temps, aucun sous-système n'a vocation à déterminer l'ensemble du système social auquel il appartient. 4. Le dernier niveau est celui des « cas », autrement dit « l'étude des

événements, que nous définissons comme des réalisations de possibles» (p. 19). C'est ce schéma que J. Baechler va appliquer à son objet, qu'il entend dans un sens large toute

«(

contestation de l'ordre qui fait intervenir la violence physique d'un côté et/ou de l'autre» - p. 43), beaucoup plus large donc que les révolutions stricto sensu. Partant en effet de ce qu'il appelle p. 58 « l'essence du phénomène révolutation; d'autre part, la rareté du pouvoir, des richesses et du prestige, inégalement répartis entre les membres d'une collectivité. Au premier facteur correspond l'exigence de liberté, au second, celle d'égalité. Et c'est lorsque l'ordre social concret par lequel s'incarne cet arbitraire et cette rareté n'est pas accepté que les phénomènes révolutionnaires viennent à l'existence. L'auteur a pris la peine d'expliquer en tête du livre la démarche qu'il a suivie pour étudier ces phénomènes, démarche suffisamment générale au demeurant pour s'appliquer à n'importe quel objet d'investigation. Elle se déroule en quatre étapes ou plus exactement sur quatre niveaux, qui sont : 1. La recherche des caractères communs à tous les objets étudiés (par exemple la « racine » des révolutions, la logique de leur dynamique, et des fonctions qu'elles remplissent). 2. La recherche des différences, qui se traduit par la construction d'une typologie des phénomènes révolutionnaires, pour déboucher ensuite, dans les cas les plus favorables (la linguistique par exemple), sur une systématique et une combinatoire. 3. L'étude des corrélations fondamentales, c'est·à·dire la quête des variables explicatives (politiques, économiques, sociales et éthiques) qui rendent compte de l'existence des différents types dégagés au niveau 2, travail accompli en partant d'une double hypothèse: chaque ordre de phénomènes est marqué par ce qui se passe dans d'autres sous-systèmes et Il n'a pas de conte-

tiOnnaire, à savoir une lutte à mort pour le pouvoir », il propose "de retenir au niveau 2 trois grands types : les marginalités, passives (suicides, crimes, maladies mentales) ou actives (guerres paysannes, serviles, etc.) qui ne visent guère le pouvoir; les contre-sociétés soit d'évasion, soit agressives (sectes, "brigandage, mafias, millénarismes), qui visent le pouvoir Il mais sans possibilité objective de l'emporter »; enfin les révolutions proprement dites où le pouvoir est visé et effectivement conquis, et qui fait l'objet d'une typologie particulière - voir notamment le tableau très suggestif des pp. 154 - 155, qui croise cinq catégories de révolutions et neuf (1 descripteurs » diversement combi. nés dans chacune d'elles. Si l'on passe au niveau des corrélations fondamentales, on nOlera au risque de simplifier grossièrement un raisonnement fort subtil - que chez J. Baechler il se dessine une sorte de hiérarchie des variables explicatives dans laquelle les variables économiques se trouvent dans une position assez mineure (les arguments fournis à l'appui sont d'ailleurs convaincants), et que les" variables primordiales semblent être d'ordre politique (2) - celles qui ont trait au pouvoir - et éthique terme qui s'applique aux comportements faisant intervenir des jugements de valeur ou découlant d'une décision arbitraire. Quant aux variables sociales, c'est-à-dire au rôle des groupes sociaux dans la détermination des phénomènes révolutionnaires, elles jouent par le biais d'une tripartition distinguant, non point comme chez Dumézil ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent,

mais l'élite, le peuple et la canaille:

Les précisions fournies sur le contenu de chacun de ces termes éclaireront, je pense, ceux qu'un tel vocabulaire pourrait indisposer (ou réjouir prl.maturément). Ils n'ont en tout caS llUcun caractère normatif. L'élite regroupe tous ceux qui s'approprient « une proportion plus grande» (p. 194) des biens rares, mais aussi - sont-ce les mêmes ? ceux qui « dans une activité

déterminée, se révèlent les plus aptes» (p.143). Le peuple se partage ce qui reste des biens rares, et la canaille le li: Lumpen-Proletariat » de Marx, comprend ceux qui sont rejetés à la périphérie du système social. Quant aux groupes sociaux, il alimentent dans des proportions variables les trois « acteurs» cidessus. Jean Baechler est bien conscient que toute tentative d'analyse systématique se heurte à ce qu'il appelle les « problèmes de devenir », ou si l'on préfère l'intégration des changements qui se manifestent sous forme de l'apparition de types normaux ou de modifications dans le poids relatif des variables explicatives. Il répond à cela deux choses. D'al>ord que l'on peut essayer de constituer une science particulière axée sur les phénomènes de mutation (pp. 30-31), comportant elle aussi les quatre niveaux précités. Ensuite que toute démarche scientifique ne peut manquer de s'interroger sur les changements susceptibles d'intervenir dans son champ d'investigation. L'auteur s'y est essayé pour sa part en conclusion, en esquissant une « prospective » des phénomènes révolutionnaires où il prévoit une tendance à la multiplication des types 1 et 3 dans les régîmes politiques monopolistes, tandis que les contre-sociétés se· raient plutôt la marque des régimes pluralistes. Bien sûr, cela se discute, comme on dit. Mais grâce au livre de J. Baechler, la discussion pourra se mener d'une manière plus ordon· née, plus honnête et plus fructueuse que s'il n'avait pas existé. On souhaiterait pouvoir écrire cela plus souvent.

Bernard Cazes (1) Voir par exemple le compte rendu que Thomas Bottomore a consacré au politicologue américain Lipset dans le N-Y Review of Books du l~r octobre dernier. (2) Le poids des variables politiques pourrait tenir au fait qu'elles interviennent à la fois du côté de l'arbitraire des conventions régissant la vie en société, et de la contrainte de ra..eté, celle qui regarde la distribution du pouvoir.


ETHNOLOGIE

Les Blancs en accusation Robert J aulin La Paix blanche Introd. à l'ethnocide Coll. « Comhats » Le Seuil éd., 424 p.

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«Je me souviens de deux Africains qui, en 1955, étaient venus au Musée de l'Homme, protester contre l'ethnologie. Ils ne toléraient point qu'on les prît comme objets de science : ils se sentaient déshumanisés. Leur colère, ainsi traduite, m'avait surpris D. A cette époque, Robert Jaulin apprend le métier dont il partage évidemment les valeurs et les préjugés. Il n'a découvert encore ni les populations du Tchad (1) ni les Indiens Bari de Perija aux 'confins colombo-vénézuél iens.

TI s'étonne : l'anthropologie paraît sûre d'elle-même, délivrée des illusions de sa jeunesse (Levy-BruW) ou de ses rêveries littéraires (attribuées à Griaule). Elle se constitue en science positive. L'œuvre de Claude Levi-Strauss est là, massive, suhtile, envahissante. Qui a résisté au structuralisme des années 50-

60 ? (2). Puis, Robert Jaulin découvre ce qu'on appelle cc le terrain », la vie au milieu d'hommes de culture et de rationalité différentes, rencontre la toujours cachée mais vivante revendication à l'existence que masquent les rites, les c( systèmes de croyance », les diverses relations traduisibles en signes mathématiques, voire traductibles en langage d'informatique. Chez les Indiens Bari des marges amazoniennes, Indiens en proie aux missionnaires, aux « savants » venus des pays industriels « avancés », aux aventuriers de tout poil, Robert Jaulin au cours de longs séjours découvrira autre chose : que l'anthropologie masquait un piège. Plus précisément, et le sachant ou non, il parcourt le cheminement critique qui, au siècle dernier, avait conduit Nietzsche à la contestation radicale de la philosophie occidentale. Et d'abord s'agissant de l'objectivité... Objectivité armaturée d'observations multiples, de constats partiels, de mesures, d'analyse sémantique. Objectivité sûre de soi, comme la « raison » de l'époque des « lumières» pouvait l'être d'elle-

Robert laulin sur «le 'terrain

».

même. Or, cette objectivité est cc liée à la non-insertion de l'ethnologue à la société indigène, elle « ne consiste qu'en une insertion négative pour cette société, celle qui exprime la négation culturelle commise par notre civilisation face à tout autre. » Négation inaperçue par le savant, impensée même et d'autant plus malsaine ou dangereuse qu'elle reste masquée : ne renvoie-t-elle pas à une volonté informulée d'intégration et de possession des cc autres » par notre culture, de réduction de la complexité cc en soi » à mi système admis sans discussion comme cc normal » - pour ne pas dire cc naturel» ! Ici se situe le long débat et la longue observation de Robert J aulin. Les pages que la Paix blanche consacre à la vie quotidienne des Indiens Bari sont d'une force indiscutahle, et cela d'autant plus que l'auteur ne tente pas de ramener les aspects multiples de la vie des villages où il vit à un cc modèle » : chercher à redistribuer la variété de la vie apparente et masquée dans la trame du langage, notre langage, n'est pas chose simple. Du moins, à travers cette analyse, Robert Jaulin découvre-t-il que la vie collective des Indiens (comme celle des Mricains de la Mort Sara) mérite plus qu'une observation ou même une connaissance européenne, que l'ethnologue ne peut, sans trahir ceux dont il partage la vie, devenir la sentinelle avancée du monde occidental. L'ethnologie, entre l'évangélisation des missionnaires et l'évangélisation des trafiquants; se donne pour ce qu'elle n'est pas, une connaissance désintéressée.' D'où

La 0UInzalne Uttéraire, du 1" au 15 novembre 1970

prendrait-elle ce désintéressement? Là nous trouvons les pages les plus fortes et les plus neuves du livre de Robert J aulin, si riche par ailleurs : la civilisation blancheeuropéenne-capitaliste ou socialiste moderne se donne pour objective et cc libérée» parce qu'elle postule sans le dire sa propre supériorité. D'où lui vient cette supériorité? De ce qu'elle estime avoir dominé, concilié et ramené à l'unité les diverses tendances à partir desquelles elle s'est constituee au cours du temps.

Or cette unité est fausse: l'Occident et la pensée européenne ne présentent point cette unité ahstraite, toute dominée qu'elle est encore par des instances qui correspondent à des régions mal connues ou simplement cachées à son regard actuel. Le mélange des cultures dont l'Occident se croit l'heureux résultat n'est qu'un bouillon de cultures encore agissantes. Si bien que le regard porté sur l'autre risque fort d'être faussé par ce simple fait que Fethnographe est déjà, sans le dire ou sans le savoir, autre par rapport à lui-même : comment prétendrait-il observer objectivement alors qu'il n'a point lui-même réglé les contradictions ou les déchirements qui composent sa réalité vivante? Il ne lui reste donc qu'une issue - celle de feindre la réconciliation pour assurer l'intégration, s'enfermer dans un « scientisme» pour dominer et réduire, postuler une inégalité de développement pour distribuer les sociétés diverses suivant une ligne .unique dont l'origine se perd dans la « sauvagerie » et l'issue dans « notre civilisation» fût-elle dédaignée par l'obsérvateur. En fait, Robert Jaulin esquisse ici un renversement (une révolution, si l'on veut!) analogue à celui qu'accomplit la nouvelle physique au début du siècle : pas plus que la ~

LALIBRAIRIEHACHETTE ETCLAUPETCHOU Présentent:

LBS USUBLS , •• volume

nouveau dictionnaire de

citations francaises • par PierreOster

16000 citations du XI· au XX· siècle

2· volume

nouveau dictionnaire des

difficultés du francais • par Jean-Paul Colin toua Iss secrets d'J bon

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COLLECTIONS

~ "autin

lumière ne peut servir de milieu cain, aujourd'hui très· connu, étu· homogène puisqu'il faut tenir compdiait les « cultures » de ces peuples te de sa vitesse ~t de ses variations, misérables. Survient l'invasion japonotre connaissance scientifique ne naise qui prive les Alliés du caout· peut constituer un point de réféchouc de Malaisie. " rence pour analyser l'autre :" la Fort de la connaissance qu'il a diversité des sociétés humaines. prise des paysans misérables du « La civilisation occidentale », Nord-Est, l'ethnologue leur parle, écrit Robert Jaulin en conclusion de les fanatise, les exalte. TI les entraîson livre « réunit des SQciétés origi- " ne dans une immense croisade à naires d'horizons bien distincts, et travers le désert et la forêt vers les ces lignes d'horizon ne sont jamais anciennes plantation$ de caoutchouc absolument détruites mais plutôt tombées en désuétude voici cinoccultées, lors même qu'elles interquante ans et que la guerre réaniviennent dans des définitions sans me. Longue marche soutenue par la cesse nouvelles que l'Historicité de passion ethnologique du nouveau cette civilisation élabore ~). Texte prophète. A l'arrivée, sur deux mil· capital - et qui remet en question liers d'hommes, il en survit à peu l'idée d'une histoire unique (sur près une centaine. laquelle vivent également complices Image extrême, sans doute, mais '"Capitalistes et communistes) et celle comhien symbolique. Ailleurs, sans "d'une distrihution hiérarchisée des le vouloir et sans le chercher, l'ansociétés. thropologue se fait l'instrument Idée dangereuse aussi (1). Ne d'une pénétration et d'une assimimet-elle pas en cause l'ensemhle lation là où il devrait aider des difdes'sciences de 'l'homme? Certes, férences à s'affirmer fût-ce Robert Jaulin n'est pas tendre lors· contre lui-même. Le grand intérêt qu'il analyse les « mœurs universidu livre de Robert Jaulin est de taires» dont il montre la mesquinous rappeler que le rapport de nerie et dont il dénonce les intérêts l'observateur et de l'observé est une composés (en ce sens, cela ne va relation de domination, que la réa· guère mieux en sociologie, on peut lité vivante de l'ethnologie serait s'en assurer tous les jours!) Mais d'aider les sociétés examinées ou ce n'est pas seulement la vie des rencontrées à affronter leurs prolaboratoires qui est menacée, c'est pres mutations, à s'imposer à le principe d'une connaissance qui elles-mêmes, même par la violence remplace la différence par le sys- qui est la marque de leur dynamis. tème, la structure, l'appareil de me. Eliminons ici tout souci politique : derrière la réflexion de Robert signes. Les règles que nous décelons chez Jaulin apparaît une sorte de guévales autres ne sont·elles pas les prorisme scientifique : pulsion qui jections suhlimées ou désespérées de n'est. point étrangère à la science nos conflits insurmontés? Ne puisqu'il s'agit d'aider des sociétés ~onduirait-elle pas à" contester viovivantes à exister non plus comme lemment aussi la tentative aujourobjet de contemplation ou de discusd'hui" générale (comme le fut le sion scientifique, mais comme agent structuralisme des années 50) pour dynamique de création collective. réduire l'existence au langage, à En ce sens, le livre de Jaulin est la linguistique, à la sémiologie? Le comparable à l'Histoire de la folie fOl:malisme contemporain n'est-il de Michel Foucault: le fou comme pas, lui aussi, une tentative « néole sauvage ne sont-ils pas le résidu coloniale », mais dirigée contre nodes fantasmes d'une civilisation tre propre réalité ? européenne, souffrant d'elle-même Or, l'important est de traiter la et des autres ? différence pour elle-même, d'admetlean Duvignaud tre cette différence en dépit de la (1) La Mort Sara (<< Terre humai· complaisante· et confortable idée qui ne »), Plon. rappeler qu'à cette (2) nous assure que l'humanité est uni- époque, Faut·il et tout à fait seul, G. Gurvitch verselle : différents sont les sauva- reprochait au concept de structure ges et différentes entre elles les d'immobiliser les sociétés observées dans une figure figée, réductible" à sociétés et les types qu'ils représen- l'idée que l'observateur se faisait de l'histoire - et de l'avenir? . tent. (3) Nous savons ce qu'il en coûte On relate encore aujourd'hui d'avancer de telles suggestions pour dans le Nord-Est brésilien, dans l'avoir fait dans un sens très voisin, dans les mêmes termes, voici l'Etat de Céara, l'aventure survenue sinon dix ans dans Pour entrer dans le XX· à des paysans pauvres de cette siècle (Grasset). Comme le disait déjà . _région .d\ll'ant la dernière guerre. Nietzsche, l'Université et la science sont les institutions les plus intoléAlor.!! jeune, un ethnologue améri- rantes.

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Cercle du Bibliophile • Les grandes heures de l'histoireest le titre d'une nouvelle collection du Cercle du Bibliophile : des historiens, des biographes nous y présenteront une série de témoignages directs sur tel ou tel épisode de l'histoire universelle qu'ils s'attacheront à faire revivre, quelle que soit leur optique particulière, selon les méthodes des grands reportages contemporains. Premiers titres : la Révolution russe, par Richard Kohn; l'Expédition d'Alger 1830, par Henri Noguères; le Collier de la Reine, par France Mosslker; les Cent jours, par Emmanuelle Hubert. Chez le même éditeur, où l'on annonce une réédition en 10 volumes des Œuvres de Gustave Flaubert, préfacées par Maurice Nadeau, nous sera proposée une collection des chefs-d'œuvre de Romain Rolland, qui comprendra 21 volumes abondamment illustrés et précédés d'une introduction générale due à Jean Guéhénno, auxquels viendront s'ajouter les 6 tomes du Journal des années de guerre 1914-1919, préfacé par Louis-Martin Chauffier.

Chez Seghers Deux nouvel·les collections, ce moisci, aux éditions Seghers; sous le titre des. Maîtres modernes -, la première, dirigée par Jean-François Revel, se propose de présenter, sous un éclairag~ qui n'aura rien de conventionnel, les hommes qui, par leur pensée, leur œuvre ou leur action, contribuent de façon profonde à façonner l'esprit de notre temps. Premiers titres : Marcuse. par A. Mac Intyre, une ét.u~e très critique; Lévi-Strauss, par E. Leach, monographie sur un Jmaître de la pensée moderne par l'un de ses adversaires; Frantz Fanon, par David Caute. La deuxième collection annoncée chez Seghers et dont le titre n'a pas encore été fixé; sera inaugurée par une étude de Marc Saporta sur le roman américain : Histoire du roman américain.

Chez Albin Michel • Les critiques de notre temps. est le titre d'une nouvelle collection de Garnier présentant des textes critiques significatifs, consacrés à des auteurs célèbres. Elle sera inaugurée ces jours-ci par trois premiers ouvrages : Claudel, qui regroupe des textes de Claude Roy, Ionesco, Pierre Emmanuel, et de nombreuses critiques sur l'œuvre de l'écrivain, avec une présentation d'André Blanc; Malraux, présenté par Pol Gaillard et commenté par André Breton, Trotsky, Gaëtan Picon, Pompidou, Sartre, etc.; Camus, recueil de textes critiques de Nathalie Sarraute, Robbe-Grillet, Sartre, Barthes, etc., présentés par Jacqueline Levi-Valenski. Signalons d'autre part qu'une nouvelle série reliée va s'ajouter prochai-

nement à la collection de poche Garnier-Flammarion. Certains titres, déjà publiés, bénéficieront de cette nouvelle présentation. Parmi les premiers volume.s annoncés : les Fleurs du mal, Eugénie Grandet, le Rouge et le noir, Madame Bovary, l'Odyssée. Les livres seront vendus au prix de 10 F.

P.-J. Oswald François-Noël Simoneau dirige, aux éditions Pierre-Jean Oswald, une nouvelle série consacrée à • La poésie des pays scandinaves - et qui sera constituée d'anthologies et d'œuvres parmi les plus marquantes d'une littérature encore mal connue en France. Le premier titre, Et maintenant, nous permettra de découvrir Goran Sonnevi, qui est le chef de file de la nouvelle poésie suédoise contestataire.

Chez Laffont Deux nouveaux titres dans la collection • L'écart -, inaugurée récemment chez Robert Laffont avec la Deuxième personne, de Jean Bouvier-Cavoret ·(voir le n° 103 de .La Quinzaine-) et dont la vocation,. rappelons-le, est strictement littéraire : l'Ile mouvante, premier roman d'Alain Gauzelin qui nous plonge dans l'univers onirique d'un enfant fasciné par une femme au point de chercher à s'identifier entièrement à elle; la Femme éparpillée, par Laudryc, qui, dans ce nouveau roman, met en scène une femme de notre temps dont il se plaît à nous révéler l'intimité la plus secrète.

Garnier Dans la collection • L'évolution de l'humanité - d'Albin Michel, où la réimpression prochaine de deux titres récemment parus : la Cité grecque, par G. Glotz et la Société féodale, par Marc Bloch, doit être saluée comme un beau succès commercial, compte tenu de la difficulté d'accès des ouvrages et de leur tirage initial qui est de 35000 exemplaires, on annonce la parution de deux volumes inédits consacrés à l'histoire de Byzance : la Civilisation byzantine et les Institutions de l'Empire byzantin, :par Louis Bréhier. Deux nouveaux titres également dans la collection • Cités d'art - du même éditeur, avec Cités de l'Inde mongole, illustré par de tr-ès belles photographies de W. Swaan ainsi que de reproductions de miniatures et d'objets d'art disséminés dans des collections européennes ou américaines, et Cités flamandes, par William Gaunt. Enfin, dans la collection • L'art dans le monde -, paraît un ouvrage de Daniel Schlumberger où, tenant compte des progrès les plus récents des fouilles archéologiques, l'auteur s'est efforcé de comprendre quel a été le destin de l'art grec au-delà des frontières de l'empire romain, c'est-à-dire en Syrie, en Mésopotamie, dans l'Iran, dans l'Inde : l'Orient hellénisé - L'Art grec et ses héritiers dans l'Asie non méditerranéenne.


CIN~IIA

Un Dracula travailliste Une messe pour Dracula (Taste the blood of Dracula) Film anglais, 1970, de Peter Sasdy, avec Christopher Lee (Le Triomphe, v. o.)

l

La forêt originelle - celle qui ouvre le film et qui s'ouvre pour le film, et qui est aussi "espace-matériau désignant une primitivité du monde, un Urwelt - ne montre pas beaucoup ses feuil'Iages; les troncs noirs, épelés comme des notes, traversent panoramiquement l'écran pour donner forme à quelque lointain inquiétant. La calèche noire venue d'ailleurs arrive jusqu'ici, jusqu'à nous, pour nous • mettre dedans -, puis s'éloigne et se perd dans les profondeurs obscures - dans LA profondeur, spatiale ou psychique, c'est tout un, que son mouvement, par son inscription entre les cylindres noirs et silencieux des fûts, figure. Ainsi, deux objets (la forêt, la calèche) ou plutôt deux formes combinées (un espace, un mouvement) nous dirigent, d'emblée, en quelques plans stéréotypés, vers le mythe, vers le fantasme. Mais comme il faut, dans tout film de série, introduire de nécessaires variations, le réalisateur d'Une messe pour Dracula, Peter Sasdy, joue à nous • dérouter, : la route de la calèche se perd définitivement dans l'ail·leurs, emportant un père menaçant et son fils idiot; et surtout, au lieu des personnages traditionnels, maléfiques ou charmants, c'est un voyageur de commerce, gras, transpirant, mastiquant et loquace qui occupe l'écran; et lui qui cherche à écouler sa petite camelote, c'est devant une sacrée • marchandise qu'il va bientôt se trouver, après avoir été éjecté de la calèche. Cette première • fausse entrée, est en effet suivie d'une seconde, qui est, à sa manière, une • sortie, : sortie d'un précédent film d'horreur, le Dracula et les fem· mes, de Freddie Francis, dont la dernière séquence est reprise ici, sous les yeux exorbités du commerçant : traqué par les croix du Christ, Dracula tombe d'une église en ruines et s'empale dans une énorme croix dressée parmi des rochers; il se vide de son sang il se vide, littéralement (comme l'inconscient, le film d'horreur, et c'est une des racines de l'horreur, prend tout à ·Ia lettre), il n'en reste rien (Dracula, c'est précisément le Rien comme fonction, comme forme opérante), rien sinon son enveloppe, l'immense cape noire doublée de rouge, des breloques, son anneau et sa plaque, c'est-à-dire son nom, et enfin ce matériau de choix pour toute reconstitution fantasmatique, une mouture impalpable de sang, du Dracula· en-poudre. Chacune de ces dépouilles vise à ·nommer ce rien, à désigner l'être de Dracula comme un manque essentiel; la cape repliée nomme l'abserice du corps, l'anneau l'absence du doigt-sexe, ,la plaque l'absence de l'identité qui assure la permanence substantielle de tout être, et le' sàng . minéralisé, véritable perte matérialisée, nomme l'absence du sang biologique, de cette matière qui se retrouve incessamment dans sa propre circulation et qui fait la Vie. En provoquant, assez laborieusement,

comme on le VOit, la rencontre surprenante de l'horreur et du commerce, Peter Sasdy s'est assuré à bon compte une certaine originalité; laissant alors de côté les hypothèses de travail draculéennes, ou horrifiques, il se livre, complaisamment et plaisamment, à une description critique de la bourgeoisie puritaine anglaise: on sort de l'église en famille, on rentre éans une maison cossue, on consigne sa fille dans sa chambre parce qu'elle a parlé à un garçon, on est sévère, autoritaire, cha.ritable - mais, derrière la mission de charité où des misérables se restaurent, se tient un boréel de luxe où le bourgeois-type, M. Hargood et ses deux compères se livrent à tous les plaisirs: strip-tease d'une danseuse enveloppée d'un serpent phallique, prostituée adolescente chevauchant l'honorable bourgeois, champagne versé par un homosexuel enfariné... La lubricité ira jusqu'au satanisme : on paie mille guinées pour obtenir du commerçant les dépouilles de Dracula et recevoir, du Prince des Ténèbres ainsi acheté, de nouvelles et plus affolantes sensations. Mais les bourgeois, couards, reculent devant le geste ultime : goûter au sang de Dracula (tel est le titre anglais) ; dans une chapel·le en ruines, un jeune lord ruiné, qui a servi d'intermédiaire pour les tractations, reconstitué et absorbé le sang draculéen, s'écroule, dévoré du dedans par "effroyable liqueur; trompés sur la marchandise et en même temps terrorisés, les bourgeois s'acharnent sur lui à coups de bottes et coups de canne et le tuent. Troisième partie : retour de Dracula, vengeance de Dracula. Le réalisateur, sociologue moralisateur, convoque Dracula pour punir les méchants bourgeois. Convocation, et non invocation : invoquer eût été laisser libre jeu à la dynamique du fantasme, régler discrètement le déroulement des • chaînes signifiantes', faire résonner les sortilèges du mythe. Peter Sasdy est trop raisonneur, trop préoccupé de vraisemblance, de narrativité, de réalisme; là où s'imposaient des climats horrifiques, la palpitante alternance des apparitions-disparitions, des présences-absences, il offre des gestes simplement horribles, trop explicites, sagement disposés sur la ligne univoque du récit et non pas éclatés dans l'espace polyvalent du fantasme: Alice tue son père (qui voulait voluptueusement la fouetter) d'un coup de cravache au visage; Lucy tue son père à coups de pieu ; Jérémie tue son père d'un coup de poignard. A chaque fois, Dracula surgit pour compter les points: et d'un, et de deux, et de trois. Le Prince des Ténèbres transformé en justicier calculateur! On comprend qu'il y mette peu de conviction; et Christopher Lee, inamovible détenteur du rôle, parvient sans se forcer à faire passer ce manque de conviction - réservant ses meilleurs effets pour la séquence finale où Dracula, à nouveau traqué, assiégé par les croix, gravit son • chemin de croix, jusqu'au vitrail où une croix de verre le brûle et l'anéantit : chute, écrasement, décomposition; Dracula redevenu néant, mouture de sang, la boucle est bouclée, et l'amorce esquissée pour une prochaine boucle, un prochain film : ressasse-

La Quinzaine Littéraire, du 1 er au 15 novembre 1970

ment du mythe, ressasse ment du fantasme, que le film d'horreur offre avec une rare évidence. D'où vient que les objets draculéens (cape, anneau, plaque, sang) ne parviennent pas à composer ici une grande forme fantasmatique s'il est vrai que la figure de Dracula renvoie à l'angoisse de castration (cf. Freud, « le Fétichisme '), au motif de la mère archaïque • mauvaise, (Dracula enveloppe ses victimes et les. vide -), à l'intrication ténébreuse d'Eros et de Thanatos, etc. ? Film commercial, c'està-dire fabriqué pour répondre à une demande précise et contraignante du marché, le film de Peter Sasdy présente ce remarquable avantage d'inscrire en lui-même, comme • en abyme " sa propre commercialité; de même que le film' en tant qu'objet fini intitulé Une Messe pour Dracula est vendu aux spectateurs, de même, dans le film, le personnage Dracula en tant que sujet est vendu à des consommateurs; ce Dracula 1970 se voit dès lors marqué d'une espèce de style mercantile ou • consommatoire. assez piquant : le commerçant surmonte son horreur pour emporter les pièces de Dracula en prévision d'une future vente; et au cours de la reconstitution emphatique du sang, dans la chapelle, 'les trois bourgeois, sagement alignés le verre à la main, espèrent fermement en avoir pour leur argent... Traitée ainsi sur un mode opératoire, pragmatique, compta-

ble si l'on peut dire, l'image horrifique perd de sa force d'impact; et les résonances mythiques (les ténèbres, le démon, la résurrection, etc.) s'affaiblissent pour laisser apparaître, en filigrane, quelque chose comme une idéologie travailliste (les riches, tyranniques et méchants et finalement punis) rehaussée d'un cerne luthérien (richesse = lubricité = satanisme). Tel est le pouvoir du fantasme qu'il perce néanmoins à travers ces moralités et ces calculs, et provoque quelques excès significatifs : le sang démoniaque, filmé en très gros plan, ne déborde pas seulement des verres, il déborde du Cidre réaliste de l'écran, il vient, dans la nausée, solliciter l'inconscient; et surtout, dans les premières images, le sang de Dracula qui coule, puis se fige, puis grandit dans un long travelling avant pour devenir un grandiose paysage qui se minéralise, rappelle que l'une des vocations principales du cinéma, assumée avec franchise par le film d'horreur, n'est pas de s'essouffler après une illusion de réalité, mais bien de • déréaliser " de saper et de subvertir les principes de réalité qui fondent notre saisie du monde - fonction de subversion que la culture hégémonique désamorce avec succès en traitant l'horreur par le discrédit, le mépris, ou ,le ricanement. Roger Dadoun

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"ice

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par Louis Seguin

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Robert Kramer

Un rêve d'insurrection Racine.

Ice appartient d'abord, et c'est un aspect qui surprend en un film qui veut être marginal par les circonstances de sa fabrication comme par les voies de sa diffusion, à la tradition la plus habituelle. Cette aventure d'un groupe de révolutionnaires qui exécutent le prélude de leur insurrection est contée selon les recettes les mieux éprouvées du film noir. la construction du scénario, rigoureuse et ternaire, est des plus classiques. les insurgés fomentent .leurs plans, les exécutent et se replient en trois moments de durées presque égales. le décor est le champ clos de l'Asphalt Jungle, la forêt urbaine des immeubles fantômes et des rues luisantes, des ponts et des aéroports, où mûrit la sauvagerie des affrontements. leur pittoresque n'est pas seulement aussi éprouvé qu'ingénieusement recréé, il renvoie aux mêmes anciens principes des pionniers. la ville cruelle et corrompue est confrontée à l'innocence de la nature. la retraite champêtre, dans la pureté de la neige, qui, à la fin du film, est l'un des thèmes dominants s'éloigne peu, pour n'en rester qu'au cinéma et sans remonter à Thoreau, des conclusions de Murnau, dans L'Aurore,' ou bien de Huston même si Kramer, comme I·e second, prenant du recul devant la vieille tentation, montre que le refuge est peu sûr, semé de menaces diffuses et pièges anesthésiants. la distribution suit les règles ~u système. Elle s'organise autour de trois héros principaux à qui sont attribués des rôles sans surprise. Il y a le héros d'hier, le héros d'aujourd'hui et le héros de demain, dont sont décrits l'abandon, l'aventure et le mûrissement, mais il y a aussi les comparses soigneusement étiquetés et classés, dont l'abondance et la diversité complètent et compliquent ce que l'élaboration primitive peut avoir de trop linéaire. Apparaissent donc les séides, les confidents, les marginaux, les témoins, les victimes et les lâches, toutes les silhouettes qui, depuis longtemps, sont à l'arrière· plan la substance même du • cinéma américain •. le style, lui-aussi, renvoie à la tradition. le vocabulaire, sans doute, a changé mais la fonction demeure. l'élégance impersonnelle des grands chefs opérateurs des années quarante et cinquante, leur photographie grise et glacée, les cadrages distants de la mise en scène, ont cédé la place à un langage plus direct, où l'appareil est tenu à la main, où l'on traque les personnages pour les abandonner avec un même arbitraire apparent et où il est joué sur l'âpreté même de l'imperfection. Mais l'effet, donner au spectateur un semblant de réel, une vérité Immédiate, presque tactile, du récit, reste le même. Seules les règles de l'illusion ont changé en s'adaptant. le dynamitage de la chaufferie d'un immeuble est, aujourd'hui comme hier la fracture d'un coffre-fort, conté avec une minutie tatillonne, avec un semblable souci de ménager l'attention et de

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de Kralller

provoquer l'inquiétude. Et la morale décalque sur la permanence du style sa propre continuité. S'il est normal d'évoquer encore John Huston ce n'est pas seulement eu égard à la présence d'un même pessimisme relatif (Kramer termine son film sur une note d'espérance assez problématique) mais parce que, dans l'œuvre de l'Irlandais, se succèdent coup sur coup We were strangers et Asphalt Jungle. les insurgés de Ice sont les nouveaux étrangers de la jungle urbaine. Certaine faveur critique rencontrée par le film de Kramer s'explique d'abord par cette familiarité. Pour l'amateur de Daves, Hawks, Huston, Siegel. Hathaway et autres - je mêle à dessein des talents très divers - la vision de Ice est une plongée dans un monde connu et apprécié. Et cette reconnaissance doit être inscrite à son avantage. Il s'agit certes d'un hommage mythologique mais on ne saurait le condamner au nom de ce recours. l'usage réfléchi du mythe peut relever du souci de se faire entendre et non pas d'une mystification idéaliste.

Une fable politique Car Ice est une fable politique et son récit veut avoir une force démonstrative, sinon pédagogique. Il fait assister à la préparation, l'exécution et à la conclusion provisoire d'une • offensive régionale., d'une insurrection révolutionnaire dont la portée est volontairement limitée.' Projetée dans un avenir • à peine. fictif, elle est un essai de porter, aux Etats-Unis, la lutte révolutionnaire à un niveau plus élevé. Elle veut être l'équivalent yankee de l'attaque cubaine de la Moncada. Ce discours politique recherche à la fois la précision et la souplesse, la rigidité et la ,fluidité. le cadre historique est délimité avec soin : les Etats-Unis, escaladant un nouvel échelon de l'impérialisme, sont entrés en guerre avec le Mexique. Le lieu et la technique de l'action : occuper des groupes d'immeubles et s'y livrer à un travail de sabotage et d'agitation, sont, eux aussi, minutieusement retracés. A partir de là Kramer ombre son trait. Car ce jeu classique et reconnaissable qu'il s'est distribué, il cherche dans un second temps à le brouiller, pour en rendre l'usage moins facile, moins évident. Il voile les portraits de ses héros et estompe les lignes de l'action et freine du même coup les identifications et les repérages trop aisés. Les masses, auxquelles seul le dialogue, et quelques personnages épisodiques, font allusion, ne forment, Armée de libération Noire ou classe ouvrière, qu'un arrière-plan brumeux. L'ennemi luimême, la Security Police, mi-police politique mi-groupe d'extrême droite, est environné d'un certain mystère, encore que l'on puisse facilement l'identifier comme un composé de Minutemen et de' C.lA. Mais dans cet effort même de dissimulation, Kramer utilise encore une tradition formelle plus qu'il ne la combat. Il ne polit les aspérités du pittoresque et des péripéties que pour forcer l'accès à un discours plus essentiel, comme un

Il est arrivé que lce soit apprécié comme une critique du • révolutionarisme., ou tout au moins comme un tremplin intelligemment préparé pour le développement de cette critique, et admiré en tant que tel..On joue pour cela sur les scrupules même du film, en • devinant. une énumération de velléités dans ce qui n'est qu'un souci d'énumérer des possibles. Bien que Kramer ait dit : • Nous commençons à voir qui et ce que nous sommes., on lui fait gloire de refuser ce début de reconnaissance. Il devient alors possible de s'en tenir aux plus superficielles explications psychanalytiques et d'identifier la castration de l'un des héros, joué par le metteur en scène . lui-même, avec une mise en question de l'aventurisme.

peintre use du glacis et avive la couleur aux dépens de la touche. l'idéologie, et c'est le point le plus important, est, elle aussi, volontairement occultée. Passé l'affirmation d'une lutte violente nécessaire contre l'Etat, affirmation étayée de quelques péroraisons et inscriptions dont les sentences, plus morales que politiques, sont d'ailleurs l'aspect directement militant du film, la stratégie de l'insurrection apparaît, dans lce, comme un curieux mélange de foco, de blanqulsme et de bakouninisme, une sorte de Journal de Bolivie rêvé et fort peu marxiste. Le remarquer n'est pas opposer à une utopie de l'insurrection une méthode, disons plus léniniste, ou plus maoïste, mais bien lui rendre sa coloration de pur projet. lce est une hypothèse, non une expérience, et ne veut pas être plus, mais à partir de cette résolution première, et de la constatation d'insuffisance qui en découle nécessairement, Kramer a cherché à mettre le plus possible d'atouts dans son jeu. A aucun moment il ne s'adonne aux joies tentantes d'un aventurisme du récit. Cette multiplicité des personnages secondaires, qui étaye le trio central des héros, est un aspect de cette prudence. Chacun représente une possibilité d'action ou de réaction, positives ou négatives, devant le projet ou l'événement. Une jeune fille nommée Linda incarnera, par exemple, les faiblesses de ce que l'auteur nomme la • fausse conscience., abandonnant, peut·être trahissant, ses camarades tout en énumérant les raisons du • il faut bien vivre. ordinaire. Les contacts avec l'extérieur se gardent, pour les mêmes raisons, de tout enthousiasme. . Au cours de leur investissement, les Insurgés ne découvrent qu'un agglomérat passif, manifestement peu ouvert à l'information comme à la provocation. Cette indifférence, ou ailleurs la peur, lorsque des parents affolés et ignobles veulent se débarrasser de leur fille blessée qui pourrait les compro-' mettre, sont le refus de projeter dans l'avenir un optimisme mystificateur. Ce pessimisme méthodique, hustonien justement, est conséquence normale, lucide, du caractère fondamentalement hypothétique de lce, qui, par ailleurs, semble avoir été fort mal compris.

Ce commentaire hâtif rappelle les gloses les plus bourgeoises du mouvement de mai et jusqu'à cet article de Minute, voici quelques mois, où l'on assurait que Fidel avait été châtré par la police de Batista et que cette diminution physique, prétexte en outre à un calembour subtil, expliquait la férocité et l'imbécillité de sa révolution. Cette interprétation malhonnête pèche par son caractère partiel. Kramer, en effet, non seulement condamne le vaincu pitoyable qu'il incarne et anéantit mais complète sa propre critique en introduisant non seulement des héros plus positifs mais un autre personnage qui, en se perdant à la fin dans le désespoir de sa propre analyse, assigne des limites à toute critique possible de l'entreprise décrite. lce veut être un film sur la nécessité pressante, immédiate, de l'action et d'une action insurrection· nelle, par-delà l'attentat individualiste de son précédent film On the Edge.

La nécessité d'un choix l'un des propos du film est de pousser à bout ses divers protagonistes, de les acculer jusqu'à ce qu'ils apprennent, de la bouche même de la Nécessité, à quel bord Ils appartiennent. lce est, encore, un film moral parce qu'II insiste sans jamais se lasser sur la nécessité du choix. Il faut, répète-t-II, abandonner le jeu, ce jeu même auquel Il participe et qu'il décrit en même temps sans complaisance, dans cette scène par exemple où les personnages discutent et bavardent de façon ouvertement théâtrale, à la limite de la parodie. La morale, une fois encore, rejoint la polUique puisque, loin d'être une mimique de l'aventurisme, elle se donne comme un plaidoyer pour la pratique et pour la pratique la plus violente, par-delà le désespoir et la peur. L'aube qui se lève, au dénouement, n'est pas le signe d'un espoir facile, mais elle n'est pas non plus si désespérée que d'aucuns pourraient, ou voudraient, le croire. Elle .est l'indice d'une lucidité qui veut faire équilibre au rêve. Si finement ciselée soit-elle, la médaille n'en a pas moins son revers. Hypothèse d'une in~urrection et invi-


THflATRE

Witkiewicz par Adolf Rudnicki tation à l'action, lee laisse après lui d'autres regrets que les repentirs méthodiques fournis par sa propre réflexion. Car, au-<lelè de l'exaltation facile, et qu'il rejette, d'un public intellectuel, c'est sa nécessité politique qui, en fin de compte, pose un problème. La prospective, comme on dit, si sincère et scrupuleuse soit-elle, est, en l'occurrence, d'un maniement fort dangereux. Il ne semble pas que Kramer ait été suffisamment conscient du risque inhér~nt à sa méthode. Qu'a-t-i1 voulu faire? Proposer un manuel idéologique et pratique de l'insurrection? Qu bien, dans une supposition plus favorable, clarifier par le filtre de la fiction des données troubles et confuses ? L'un et l'autre propos paraissent également discutables. La fiction en effet ne peut manquer d'inviter à une dangereuse abstraction. Kramer a bien insisté sur la proximité nécessaire de la vérification expérimentale, mais cette proximité qu'il veut infinie, jusqu'au point ou l'hyperbole rejoint l'asymptote, il la donne, du même mouvement, comme indéfinie. Les remarques que, dans la revue Que faire?, Dennis Berger alignait à propos du livre de Neuberg, l'Insurrection armée (n° 3, p. 61), on peut les adresser au film de Kramer, ·et les aggraver. Trop appliqué, l'exorciste supprime l'exorcisé et, du même coup, il devient possible de lui faire, en partie, grief, des interprétations douteuses de son film, si injustes soient-elles. La pesée et la défense d'une pratique future, faossement tenues pour une négation de cette pratique, s'y font à coup sûr cette fois aux dépens de la pratique présente. Sa rêverie minutieuse, si scrupuleuse soit-elle, n'en arrive pas seulement à s'étouffer sous le poids des précautions oratoires. Elle prend le pas sur l'analyse de l'aujourd'hui. En refusant, par une pudeur aussi estimable que l'on voudra, de donner corps dans son film à la lutte de masse, l'auteur finit par en résoudre la réalité tactique. Insidieusement, involontairement, une substitution s'opère. A l'heure où la lutte s'organise d'abord, aux Etats-Unis, autour de l'exploitation et de la révolte noires, il fait un film blanc, même s'il parle à l'occasion et avec toute la sincérité souhaitable, des frères d'une Armée de Libération Noire, extrapolation du Black Panther Party et de la League of the Revolutionary Black Workers. La rupture avec l'équipe de Newsreel, qui participa au film et par ailleurs s'occupe de cinéma militant • ici et maintenant. n'a sans doute pas d'autres raisons. Le cinéma, dans lee, apparaît à plusieurs reprises dans le cinéma. Des actions y sont filmées. On y monte, discute et montre des films destinés à l'agitation. Qr il est symptomatique qu'au dénouement, tandis que l'on tire quelques leçons éparses et cependant que les slogans du film se durcissent et s'abstraient de plus en plus, s'éloignant du combat pratique, soit intégralement montrée et commentée une toute nouvelle tentative de ce cinéma, parfaitement bavarde, esthétisante et confuse. L'une des moindres originalités de lee n'est pas de renouer, par ce biais imprévu, avec le cinéma de Jean-Luc Godard.

De nouveau, je m'en suis convaincu : la force de Witkiewicz est sa langue, le jargon d'un élève enfermé dans sa chambre, répondant à coups de citations d'une lecture riche, bien que d'un volume réduit, applicables à quelques problèmes définis, faciles à cerner, qui l'empêchent de vivre et dont il s'est enivré. Qui sont: 1 - L'Etre. Pourquoi, . pour quelles raisons vivonsnous? La rareté de telles questions dans notre littérature surprend. Il y a là vraisemblablement une conséquence de la précarité permanente de l'Etat, de notre indépendance, de malheurs nationaux incessants qui, paraissant plus brûlants, masquent tous les autres (pour être juste, nous n'avons pas non plus un seul vrai roman d'amour, ni un. seul personnage de femme « modèle -). 2 - Le catastrophisme; il renforce l'actualité de l'écrivain; c'est aujourd'hui seulement que nous avons compris ce qu'était la menace d'une extermination totale. 3 - Le sexe; bonnes femmes, femmelons, femelliums, mégamatres payant de fausse monnaie, emprisonnant les victimes qu'elles chassent en enfer, de véritables «pieuvres -; Witkiewicz est chez nous le seul auteur ayant senti la force et l'odeur du sexe; il n'y a rien en lui du maître d'école jouant des coudes, non seulement dans la critique, un domaine que l'on pourrait après tout abandonner aux pourceaux, ce qui serait tout de même un malheur, mais aussi dans les lettres. 4 - L'art et le génie.

Trop de préoccupations à la fois Ces quatre problèmes sont toujours mêlés pour une même bouillie que l'on retrouve dans chacune ou presque des répliques de chaque personnage. Malgré cela, ce n'est pas pour autant un théâtre de problèmes qui n'apparaissent jamais à l'état pur. Cet écrivain, rêvant de la pureté, de la Forme Pure, n'a jamais grandi jusqu'à elle; il en est la négation. Il ne présente non plus jamais de drame, et même ne comprend pas bien ce que c'est; il est écartelé par trop de préoccupations à la fois

La Quinzaine Uttéraire, du l or au lS novembre 1979

(<< il ne savait pas vivre -). Au fond, c'est toujours le théâtre d'un seul et même homme qui ne réussit jamais à se libérer de soi, ne serait-ce que le bref instant qu'il faudrait pour voir le monde autrement que de son regard intérieur particulier. Il se donne toujours pleinement. Qu'il ne puisse se permettre de s'éloigner de lui-même d'un pas, cela se voit précisément dans sa langue. Indépendamment de la personne qui parIe, de ce qu'elle dit, du temps et du lieu, nous entendons presque toujours la même chose. Il est de ceux qui doivent élever chaque affaire jusqu'à un rythme déterminé, une « kacha -, une ritournelle qui seule satisfait l'oreille. Tous, chez lui, slmt soumis à ce rythme, à cette mélodie. Les personnages morts depuis longtemps et qui remontent en scène pour leur costume, la couleur, parlent comme les autres.

Grand dans son infirmité Même lorsque la langue devient une question d'être ou de non-être, comme dans le cas de Jean Mathieu Charles Lenragé, un paysan parvenu à la Présidence de la République qui ne peut se libérer de la couleur de son langage; ce qu'il reconnaît, mê-

me là Witkiewicz est impuissant. Il ne sait pas, il ne peut pas faire certaines choses, il ne peut pas s'écarter de sa stylistique particulière si caractéristique. Le théâtre de Witkiewicz est bien le théâtre de Witkiewicz. D'un dramaturge raté. D'un peintre raté. D'un philosophe raté. Toutefois qui ne ressemble à personne d'autre et qui est grand dans son infirmité. D'ordinaire, je suis le premier à rire à son théâtre. Il m'est un jour venu à l'esprit que Boy, le critique chagrin, devait être vraisemblablement aussi le pre· mier à rire. Mais j'appartiens également à ceux dont le rire passe le plus vite. Dans un compte rendu, un autre critique, Irzykowski reproche à Witki~­ wicz de s'amuser à bon compte. Dans les années vingt, on pouvait le déchiffrer de la sorte, bien que ce ne soit pas là la preuve d'une oreille par trop musicale, au contraire; il fallait être et très sourd et très sûr de soi sourd et sûr de soi comme on ne peut l'être que face à ses contemporains pour ne pas entendre dans les textes de Witkiewicz quelque chose de très surprenant et qu'aucune analyse ne saisit. Il n'y a pas là de tournure bien policée, fignolée autour d'une bonne table (chose que Witkiewicz m'a dite un jour à propos de Conrad), mais on entend le son d'une authentique folie. Aujourd'hui, cela ne fait plus aucun doute : son flair devait percevoir des odeurs auxquelles les autres étaient insensibles. Dans la folie qu'il attribuait si généreusement à ses personnages, sa propre folie se mêlait à la folie du monde, sortie à l'évidence aujourd'hui seulement. Ce n'était pas une folie imaginée, comme le jugeaient ses contemporains, plats dans leur lucldité, sinon il n'aurait pas usé du poison dans cette petite ville frontière, ce matin de septembre 1939. Il lui semblait que la catastrophe qu'il avait prophétisée était survenue et il sortit à sa rencontre. Il était prêt à l'accueillir. Il s'avéra que ce n'étaient pas des trucs de style. Et c'est maintenant que l'on entend le couinement des rats qui l'avaient poursuivi toute sa vie, jusqu'à l'atteindre enfin.

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Lettres Avec le premier article de Pierre Bourgeade : Littérature 70 (la Quinzaine n° 100), nous pensions ouvrir une intéressante discussion sur l'état de la littérature aujourd'hui. Tel Quel, visé dans cet article, nous a fait tenir une réponse que, .naturellement, nous avons publié intégralement. C'était le droit de Pierre Bourgeade de répondre à son tour aux attaques dont il était l'objet de la part de Tel Quel. Nous avons publié également sa réponse. Mais où les choses se gâtent, c'est quand les amis de Tel Quel (à preuve la lettre cidessous de François Wahl à l'un des directeurs de la Quinzaine) nous morigènent pour avoir pu-

blié cette réponse de Bourgeade. Aurions-nous dû censurer Bourgeade, ou lui fermer la bouche? Ces habitudes, d'un certain journalisme, ne sont pas les nôtres. Et puisque Jean Pierre Faye était lui aussi pris à partie par Bourgeade, va pour la réponse de Jean Pierre Faye. Cela dit, nous pensions faire profiter nos lecteurs d'une discussion, non d'un règlement de comptes. Puisqu'il paraît impossible de s'expliquer sans avoir recours d'un côté comme de l'autre, à l'attaque ad hominem, nous déclarons, pour ce qui nous concerne, le débat clos. Nous le reprendrons, sur d':mtres bases, et peut-être d'aut~es interlocuteurs, quand l'occasioll sera plus favorable.

Une lettre de Paule Thévenin Mon cher Maurice, Dans la réponse de M. Bourgeade à Philippe Sollers, parue dans le dernier numéro de La Quinzaine littéraire, parmi des allégations fantaisistes dont le saugrenu suffit à dénoncer l'irréalité, je relève, concernant Tel Quel, ceci : • On utilise les dépouilles d'Artaud-. Il ne peut d'évidence s'agir de la Parole soufflée, par Jacques Derrida, ni de la Pènsée émet des signes, par Philippe Sollers, parus il y a cinq ans déjà, devenus textes de référence et cités, d'ailleurs, dans les colonnes mêmes de la Quinzaine Littéraire. Seule, donc, ma récente collaboration à Tel Que/-peut. être visée. Vous savez, pour avoir été il y a plus de vingt ans l'un des premiers à défendre l'œuvre d'Antonin Artaud, le prix que j'y attache. Vous savez aussi qu'il ne peut m'être reproché de publier à tort ou à travers des rengaines de souvenirs ou des travaux

fréquents et approximatifs. L'étude à partir du Retour d'Artaud, le mômo, qui a été publiée dans Tel Quel est le résultat d'un travail de vingt années sur les textes d'Antonin Artaud. Que l'on ne soit pas d'accord sur l'approche de lecture que j'ai tentée, je puis l'admettre, mais qu'à son propos on puisse écrire la phrase que j'ai relevée dans la réponse de M. Bourgeade, et employer, s'agissant d'Antonin Artaud, un terme aussi malvenu que ·celui de • dépouilles -, cela, non. J'ai produit au jour un certain travail, c'est tout. A ce compte, on pourrait dire que, dans S/l, Roland Barthes. utilise les dépouilles de Balzac -. Quant à • l'utilisation - du nom d'Antonin Artaud, du concept de théâtre total ou de théâtre de la cruauté à propos de quelque repr~sentation que ce soit, à Paris ou à l'étranger, d'autres s'en chargent. Paule Thévenin.

Réponse de Fay.e à Bourgeade M. Bourgeade n'arrête plus d'être occupé à chatouiller l'avant-garde. Pour nous qui nous soucions bien peu de cette étiquette surannée et militaire, nous n'avons pas mis de hâte à répondre à ses continuelles polémiques. Celles-là, il les place où il peut:

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il n'est pas regardant sur l'idéologie. Dans le Figaro il injuriait Marx, dans la Quinzaine il le revendique. Dans le Figaro il assurait à son public que le numéro 3 de CHANGE i sur le Cercle de Prague était tout simplement l'apologie des blindés du maréchal Gretchko... Dans la Quin-

zaine son ridicule pamphlet a osé affirmer que les linguistes tchèques ou soviétiques étaient, contre les écrivains et les poètes, du côté des policiers. C'est surtout ce dernier point qui m'amène à lui répondre finalement. Que M. Bourgeade ignore tout de la grande amitié inventive qui liait poètes et linguistes justement - Khlebnikov, Maïakovski, et Jakobson, Brik, Polivanov, à Petrograd; Nezval, Seifert, et Jakobson encore, et Teige, à Prague - qu'il choisisse d'ignorer tout cela, c'est son affaire. Que Polivanov, grand linguiste et révolutionnaire, fondateur de l'Union des Ouvriers Chinois, ait été fusillé au cours de la répression stalinienne, Bourgeade pouvait l'ignorer - du moins avant la parution de CHANGE 3 précisément. S'il n'a même pas ouvert ce numéro, qu'il se taise à son sujet. S'il l'avait ne serait-ce que feuilleté, il aurait lu dès la page 5, que ce volume est un hommage à Prague. Et cela, qui fut publié en Août 69, prend un sens précis à l'heure où les linguistes de Prague, survivants ou disciples du Cercle et lointains descendants du Cercle de Moscou, sont destitués, privés de leur enseignement et de leur salaire, jetés à la rue. Ce scandale devrait mobiliser la gauche révolutionnaire et marxiste, tout entière, ici. Bourgeade (tout comme ceux à qui il fait mine de s'opposer) ignore ou feint d'ignorer que la lutte pour la pensée libérée se poursuit sur tous les plans. Pendant l'ère stalinienne, l'imposture de Nicolas Marr en linguistique comme celle de Lyssenko en biologie ont fait régner la. répression et la régression dans leurs domaines propres. Réglant les questions de la science à coups de dénonciations idéologiques. La science soviétique s'est frayé un chemiil difficile et grand à travers la délation et la calomnie - et aussi appuyée par des solidarités courageuses. Mais ce n'est pas son privilège : il

existe des impostures « scientifiques ., ici. Et là-bas comme ici, il existe des Bourgeade pour jouer le rôle traditionnel des calomniateurs et des délateurs. Que tout nous sépare de Tel Quel - à quoi Bourgeade feint de nous amalgamer, et qui vient encore d'aboyer à nos talons de façon burlesque, dans la presse suisse ... - c'est fort clair pour qui n'est pas aveugle. Quand on sait comment, de Samarcande, Polivanov écrivait à ses amis du Cercle de Prague les messages chiffrés d'un appel au secours messages que la Gestapo allait saisir plus tard au domicile de Roman Jakobson - on ne se sent aucun appétit pour les petites tentatives actuelles de ceux qui voudraient redonner à Jdanov et à Staline une certaine «acceptabilité., toute parisienne. au niveau de la mode littéraire. Rendre à la critique de Marx sa force entière est tout autre chose. Et si nous venons de traduire dans CHANGE 6 un admirable texte de Polivanov, ce n'est pas simplement pour honorer une victime des répressions. C'est parce que la théorie de la poésie y est aussi rigoureuse que neuve. A un moment où la mode s'est emparée de la « théorie • ; où les littérateurs de tout genre en imitent de façon moliéresque les tics et les jargons sans le moins du monde en soupçonner les enjeux, les méthodes et la fondamentale probité, il est fortifiant de reprendre appui sur ce qui a eu lieu à Petrograd dans les années vingt, à Prague dans les années trente, et qui demeure pour nous contemporain. Le fol'Pore culturel de Paris en vit depuis dix ans sans le dire, sans même le savoir, et voici déjà qu'il commence (voir certains articles risibles, et délateurs, de la revue «Cinéthique.) à reprendre à son compte, par pur bluff. les dénonciations jdanoviennes qui visaient alors la grande et géniale constellation russo-tchèque.


à la Quinzaine Quant à nous - nous, collee- titudes basses de la calomnie tif CHANGE - notre projet pro- personnelle: au style Action pre est tout autre, mais on ne le Française. Nous rions des catéchismes résumera pas ici pour les beou parasoins de Bour~ade. Nous n'a- pseudo-théoriques, vons pas comme d'autres, un scientifiques, comme des cangadget à célébrer: plus tard on cans de café. Nous pensons tous verra l'espace que nous aurons-- que l'invention, dans la science, dessiné et jalonné. Mais nous se fait à de tout autres niveaux. avons en commun d'être tout Comme le risque de la poésie. à Pour finir, Bourgeade, inquiet, particulièrement méfiants l'égard d'un certain mixage en- couvre Sollers de fleurs. Et tre le «style artiste - et la nous formons un vœu : que « théorie -. Et aussi, à l'égard Pierre Bourgeade, à force d'en d'un certain renouveau des avoJr le désir, entre à Tel Quel écritures arrogantes à la Mon- et qu'il y soit heureux. therlant, dans le genre Bourgersou Sollade. Du retour aux plaJean Pierre Faye

ment publiés. elle rIsque de glisser ver s un scepticisme hautement condamnable, etc. Enfin, ., chacun de ceux qui se sont séparés de Marx ou de Freud., renoncent Ipso facto ., à toute rigueur ". On pourrait répondre que tous ceux qui ne se sont pas suffisamment rapprochés de Tocquevll/e ou de Wittgenstein.... mais à quoi bon? En Invoquant ainsi des noms augustes. on arriverait à un magnifique ;eu de société. à la façon du fameux questionnaire de Marcel Proust. Je trouve que ce type d'argumentation n'est pas sérieux. F. E.

Une lettre' de. Philippe Sollers Le 19 octobre 1970

U ne lettre de François Wahl: Lorsqu'on collabore à un journal, on que Marx ou Freud aient toujours, doit d'abord se demander s'il n'a rien dans chacune de leurs proférations, fait le choix que le savoir reconnaîpublié dont on ait à se désolidariser trait COmme définitif; mais il est saiabsolument. C'est une étrange avensissant que chacun de ceux qui se ture de vous avoir fait confiance, à sont séparés de Marx ou de Freud Maurice Nadeau et à vous, à la nais.-.' sance-ue --L-a- -'Quinzaine~--et-de"-' se"·-~ait.- aU'iTlême"lnstantr -renoncé à-toute rigueur. Il est déjà assez clair que trouver aujourd'hui avoir publié en c est le même processus, exactement, ce lieu où paraît le dernier texte de Bourgeade. Car de cela vous êtes qui se répète pour Lacan. Sollers a bien de la chance (c'est-à-dIre qu'il la comptable à tous. ceux, iecteurs et collaborateurs, qui ont travaillé avec mérite bien) : tout semble indiquer que vous. Pardonnez-moi de vous le dire, ses ennemis sans exception ne peumais être directeur de journal, cela vent le combattre· sans commencer de finir de penser. se mérite aussi. Raciste à sa façon, fasciste dans Tant pis. François Wahl. sa procédure imagière, produit typique d'un ressentiment de cancre contre un (1) Là-dessus, Il y aurait beaucoup Il dire de travail où il enrage de .n'avoir pas sa l'évolution de • La Quinzaine. dans son ensemble, Il commencer par ce numéro où s'étale un place, ordurier de bout en bout (et Le Clézio dont Maurice Nadeau est bien le c'est bien le seul Intérêt de ce morseul Il dire qu'II n',alt jamais déçu. pendant qu'on parle, comme en passant, et d'un effleuceau que de faire revenir dans le rement vague d'Hélène Clxous et de Guyotat. réel ce que l'écriture, et celle d'abord de Sollers, ne peut, comme telle, que contourner) : ce serait déjà assez pour engager la responsabilité de qui le,publie. Mals il y a beaucoup plus grave, à Cette lettre a été adressée à mol longue échéance : car ce qui se joue par François Wahl. Je voudrais donc à travers tous ces textes de Boura;outer quelques remarques persongeade, à La Quinzaine et ailleurs, c'est nelles. le refus de la discipline du théorique, Je ne partage pas la ma;eure partie c'est-à-dire de la science là ou elle des options littéraires ou politiques de est possible et de la rigueur partout. Pierre Bourgeade. mals 1/ m'a semblé En ce point, à cette marque, s'effecque son article dans le numéro 100 tue le partage radical sur quoi nous précédé d'all/eurs d'un ., chapeau. de devons tous nous compter. J'attendais la rédaction - permettait une discusde vous que vous n'y trébuchiez sion qui ne devait pas dévier nécespas (1). sairement vers des attaques personPour finir, et si vous alléguez de nelles. quelque scepticisme (à quoi quiconque Pour revenir à la lettre. ;e m'étonne fait profession d'efforts intellectuels de son ton ml-eommlnatolre, mi-apocan'a aucun droit), je ferai seulement lyptique. ., La Quinzaine Littéraire. cette remarque qui ne laisse pas de n'est pas méritante si elle ne partage me stupéfier quant au devenir, simpas toutes les opinions de François plement, du débat : il n'est pas sOr Wahl sur quelques romans récem·

Réponse de F. Erval

La Quinzaine Uttéraire, du

]"r au

15 novembre 1970

C'est en vain que Marguerite Bonnet, dans son article sur Alain Jouffroy paru dans le dernier numéro de la Quinzaine, .prête à Tel Quel au contraire de notre pratique qui consiste à poser et à maintenir dialectiquement des contradictions - l'intention saugrenue de • sauver Aragon' d'un rapprochement compromettant.. L'essentiel de la polémique entamée contre IJOIll.l...PM....I.lw.f.f,oy .pQC1e....en effet.JOJl~.

damentalement, sur la question de savoir si, oui ou non, les pensées de Georges Bataille et d'André Breton sont,' à la base, antagonistes : question théorique à laquelle, malgré l'agi· tation qu'elle provoque, nous donnons, la réponse : oui. Pour ma part, j'ai écrit (Tel Quel 42), et je répète, • qu'aucune a u t 0 rit é intellectuelle n'égalait. à mes yeux celle de Ba-taille. Il me semble que cette formulation est claire. J'ajoute que le style. plaintif. n'est pas mon genre, pas plus que la recherche des • bonnes grâces. de qui que ce soit, étant saris dieu et sans maîtres. Si je' proteste à nouveau, c'est contre une campagne de presse qui tend obstinément, et sans fondements, à présenter Tel Quel ou moi· même comme • staliniens. ou • jdanoviens.. Cette calomnie, à laquelle nous répondrons tou;ours avec netteté, comporte son envers projectif et mécaniquement diffamatoire, chez certains : celle, proprement ignoble, de • fascisme.. Rien ne justifie contre nous ce vocabulaire, ni dans nos actes, ni dans nos écrits. Et' l'on peut se demander quelle est la fonction de diversion idéologique de telles accusations répétées, mensongères, au moment où la répression policière s'accentue dangereusement dans notre pays. Philippe Sol/ers.

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Livres publiés du 5 au 20 oct. Julliard, 304 p., 20,90 F L'aventure d'une dizaine d'hommes dans le désert africain, pendant la seconde guerre mondiale.

ROMANS FRANÇAIS Jean Anglade Un front de marbre Julliard, 288 p., 20,90 F Une épopée burlesque sur un thème funèbre la guerre. Lucie Faure Le malheur fou Julliard, 352 p., 20,90 F Par l'auteur de • L'autre personne ", la radioscopie d'un couple qui se détruit. Patricia Finaly Le gai ghetto Gallimard, 192 p., 16 F L'aventure, racontée avec un humour féroce. d'une petite fille juive sous l'occupation et après. René Havard Albert Kantoff Les enfants de chœur

Claude Louis-Combet Infernaux paluds Flammarion, 240 p., 18,50 F L'itinéraire d'un homme en prise avec les mots, avec son enfance et avec les interdits. • B Poirot-Delpech La folle de Lithuanie Gallimard, 232 p., 20 F Voir le n° 104 de la Quinzaine. Clarisse Nicoïdeski La mort de Gilles 1 Mercure de France, 176 p., 16 F (Seuil) . (Voir la Quinzaine n° 104) Michèle Perrein La chineuse

Julliard, 256 p., 19 F Par l'auteur de • La Sensitive ". Bernard Ponty Le séquestre Gallimard, 208 p., 15 F Un roman qui a pour cadre un collège t'3nu par les Jésuites. et qui nous montre le trouble suscité par le monde moderne dans le célèbre ordre religieux. • N. Ouentin-Maurer Portrait de Raphaël Gallimard, 160 p., 12,70 F L'histoire d'une passion, d'un pur amour entre deux adolescents. Rezvani Coma Ch. Bourgois, 160 p., 17,10 F Une autobiographie sous forme de roman de politique fiction, Oil l'on retrouvera les personnages et l'atmosphère des • Années-Lumière ., et

' des • Années-Lula ~ (voir les nO' 36 et 59 de la Quinzaine) .

Joffre, l'impératice Eugénie, etc. Marie Susini C'était cela notre amour Seuil, 192 p., 16 F Une belle et poignante histoire d'amour et sans doute le meilleur roman de l'auteur de • Plein soleil" • Un pas d'homme" et • La Fiera ".

Rezvani La voie de l'Amérique Ch. Bourgois, 528 p., 25,60 F Une condamnation sans appel de notre monde américanisé et mercantile Rezvani Les américanoïaques Ch. Bourgois, 160 p., 17,10 F Où l'on voit deux clochards décidés à rétablir par eux-mêmes une justice que l'Amérique bafoue, lancés dans une étonnante aventure.

Jean Vuilleumier Le rideau noir Collection de • L'Aire" Coopérative Rencontre, 164 p., 17,85 F Un livre singulier sur l'ambiguïté des relations humaines, par le rédacteur littéraire de la • Tribune de Genève"

Michel Robida Le dragon de Chartres Julliard, 352 p., 23,70 F Second tome de • Un monde englouti ", les souvenirs à peine romancés d'une enfance où revivent Clemenceau,

Paul VVerrie La souille Mercure de France, 296 p., 22 F Un premier roman qui a pour thème la fuite d'un homme traqué au moment de la Libération.

Franz VVeyergans On dira, cet hiver... Julliard, 256 p., 19 F Un très jeune couple d'aujourd'hui. Jean Yvane Les pèlerines Denoël, 208 p., 14 F Par l'auteur d' • Un cow-boy en exil " (voir le n° 82 de la Quinzaine).

ROMANS ETRANGERS James Baldwin L'homme qui meurt Trad. de l'anglais par Jean Autret Gallimard, 456 p., 32 F A travers l'histoire d'un acteur noir américain, l'image d'une société déchirée par la haine et par la peur. Chester Himes L'aveugle au pistolet Trad. de l'anglais par

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G. Girod de l'Ain Joseph Bonaparte Librairie Académique Perrin, 478 p., 30,10 F Une biographie étayée sur des correspondances en grande partie inédites et qui jette un jour nouveau sur la personnalité du frère aîné de Napoléon.

Joseph Roth La toile d'araignée Trad. de l'allemand par M.-F. Charrance Gallimard, 224 p., 17 F Publié en Allemagne, sous la forme d'un feuilleton, en 1923, et redécouvert en 1966, la première œuvre de l'auteur de • Hôtel Savoy. (voir le n° 69 de la Quinzaine) •

Michel Bataille Le cri dans la mer Julliard, 152 p., 19 F Jacques Roubaud Mono no aware Le sentiment des choses Gallimard, 272 p., 21,25 F Cente quarante-trois poèmes qui ont pour point de départ un poème japonais ancien et témoignent de la fascination exercée sur l'auteur par la poésie japonaise.

• Maurice Barrès Charles Maurras La République ou le roi Correspondance inédite 1888-1923 réunie et. classée par H. et N. Maurras Commentée par H. Massis Introduction et notes de Gu Dupré Plon, 708 p., 40,90 F.

Philippe Gavi Che Guevara 16 hors-texte Editions Universitaires, 176 p., 18,50 F

Colette L'entrave Flammarion, 240 p., 8 F Auguste comte Système de politique positive ou traité de sociologie Œuvre complète, du tome VII au tome X Editions Anthropos, 2600 p., 192,40 F les 4 vol.

C. Pasquel Rageau Ho Chi Minh 16 hors-texte Editions Universitaires, 192 p., 18,50 F Une minutieuse étude biographique, complétée d'une bibliographie critique et d'une chronologie synoptique.

Zola Les Rougon-Macquart Tomes V et VI Présentation et notes de Pierre Cogny Préface de J.-C. Le Blond-Zola 86 illustrations (t. V) 90 illustrations (t. VI) Seuil, 720 et 704 p., 20 F le volume.

Jules Romains Amitiés et rencontres Flammarion, 240 p., 24 F Un recueil de souvenirs fourmillant de portraits et d'anecdotes

CRITIQUE HISTOIRE LITTERAIRE

Sièyes et sa pensée Nouvelle édition revue et augmentée par Paul Bastid Hachette, 672 p., 75 F Sieyès penseur, juriste et diplomate.

BIOGRAPHIES MEMOIRES CORRESPONDANCE

R. Christofanelli Le journal de Michel-Ange le Fou Trad. de l'italien par P. Alexandre Planète, 376 p., 35 F Une reconstitution, fort bien documentée, du carnet de notes de l'artiste.

REEDITIONS CLASSIQUES

Marcel Jouhandeau Journaliers XV Confrontation avec la poussière octobre 1963-février 1964 Gallimard, 208 p., 14,75 F.

POESIE

Ch. Marchellonizia P.U.F., 216 p., 22 F Ecrit entre 1933 et 1936, ce livre rassemble les quinze premiers chapitres d'un ouvrage que Trotsky comptait consacrer à Lénine.

Par l'auteur des • Ouvriers. (Mercure de France) une reconstitution passionnante et passionnée de la vie et de l'œuvre du Che.

Henïi Robillot Préface de M. Duhamel Gallimard, 272 p., 22 F Par l'auteur de • La Reine des pommes. et de tant d'autres romans policiers, un pamphlet sur le ghetto noir de New York où nul n'est épargné.

Gilles Deleuze Proust et les signes P.U.F., 200 p., 12 F Réédition considérablement augmentée (voir le n° 103 de la Quinzaine) .

Alexis de Tocqueville Œuvres complètes Jacqueline Leiner t. lX Le destin littéraire Correspondance d'Alexis de Paul Nizan et ses de Tocqueville avec étapes successives Pierre Paul Royer·CoUard 9 pl. hors texte et avec Jean-Jacques Klincksieck, 301 p., 28 F Ampère Une importante Texte établi, annoté et contribution à "étude préfacé par du mouvement André Jardin littéraire en France Gallimard, 500 p., de 1920 à 1940. 42,50 F Une correspondance qui. Michel Random témoigne de deux L.e Grand Jeu aspects totalement Tomes 1 et fi différents de la 8 p. hors texte personnalité de Denoël, 272 et 224 p., Tocqueville et démontre 25 F le volume l'immense largeur L'aventure extraordinaire d'esprit de l'auteur de vécue par quelques • La Démocratie jeunes écrivains, en Amérique dominés par Lecomte et Daumal, éclairée par des textes des Léon Trotsky principaux protagonistes La jeunesse de Lénine du Grand Jeu. Traduit du russe par M. Parijanine Nouvelle édition revue • J. de Romilly et corrigée par La tragédie grecque G. Petiot et P.U.F., 192 p., 10 F

La Quinzaine Uttéraire, du 1 er au 15 novembre 1970

Le premier ouvrage d'une nouvelle série de la collection • Sup • : • Littératures anciennes •. Marc Saporta Histoire du roman américain 24 p. d'illustrations Seghers, 392 p., 29,50 F Une étude très complète du roman américain traité par grands courants parallèles et que complètent un tableau des correspondances chronologiques, un répertoire bio-bibliographique, une sélection bibliographique et un index. Vincent Therrien La révolution de Gaston Bachelard en critique littéraire 2 pl. hors texte Klincksieck, 417 p., 40 F Les fondements, les techniques et la portée d'une méthode qui a été à l'origine d'un nouvel esprit 1ittérai re. Paulette Trout La vocation romanesque de Stendhal Editions Universitaires, 366 p., 49,95 F Une étude approfondie complétée par une importante bibliographie critique.

SOCIOLOGIE PSYCHOLOGIE A. AncelinSchutzenberger Précis de psychodrame Editions Universitaires, 280 p., 29,95 F Réédition revue et augmentée. Jean-Marie Aubry Yves Saint-Arnaud Dynamique des groupes Editions Universitaires, 120 p., 9,70 F L'esprit et les techniques de la dynamique des groupes. Marcelle Auclair Vers une vieillesse heureuse Seuil, 288 p., 25 F Comment vieillir sans devenir vieux et maintenir en soi l'amour de la vie et la volonté d'être jusqu'à la mort. Jacques Binet Psychologie économique

Gilles Sandier

TBIITBI IT aO.BIT Regards sur le théâtre actuel Un bilan passionné et polémique, à l'image de son auteur, combattant et militant de ce qui constitue aujourd'hui le théâtre viva1J,t.

Stock éditeur • africaine Eléments d'une recherche interdisciplinaire Payot, 336 p., 31,70 F L'Africain et la négritude face aux problèm$S et aux réalités de la vie économique et du développement Pierre Cressant Lévi Strauss Editions Universitaires, Collection • Psychothèque -. Jacques Delors Mode de vie, mobilité sociale, loisirs, troisième âge A. Colin, 232 p., 11 F Dans la collection • Plan et prospectives -, un recueil des travaux préparés par le Commissariat Général du Plan.

Hélène Deutsch La psychanalyse des névroses et autres essais Payot, 324 p., 35,70 F Réédition d'un • classique - de la psychanalyse, augmentée des travaux récents de l'auteur sur la psychopathologie et le développement de la personnalité. Anne Dupuy Le réflexe de vengeance chez l'enfant Ed. du Mont-Blanc, 192 p., 15,90 F Pour découvrir les racines mêmes de la révolte mondiale des adolescents que nous vivons aujourd'hui. Richard Lancaster Piegan - Chronique de la mort lente des Indiens clans une

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Livres publiés du 5 au 2.0 oct. expenence réalisée dans un quartier populaire de New York par un jeune pédagogue américain.

réserve .américaine Coll. • Terre Humaine» Plon, 400 p., 36,80 F Dans ce nouveau volume de la collection • Terre Humaine» (voir le n° 102 de la Quinzaine), un vieux chef de la tribu des Pieds Noirs, nous parle, à son tour, de la • paix blanche ».

Pierre Giolitto Les classes de neige et le tiers-temps pédagogique Préface de J. Treffel P.U.F., 304 p., 16 F Un livre qui s'adresse aux enseignants et aux parents d'élèves que préoccupe la rénovation de notre système scolaire.

Henri Lefebvre Du rural à l'urbain Ed. Anthropos, 285 p., 25 F Une critique radicale de l'urbanisme institutionnel. •

Jacques Leplat Claude Enard A. Weill-Fassina La formation par l'apprentissage Eléments de psycho-pédagogie P.U.F., 200 p., 13 F Une étude très complète des différents éléments qui conditionnent l'efficacité de l'apprentissage.

Konrad Lorenz Essais sur le comportement animal et humain • Les leçons de l'évolution de la théorie du comportement Trad. de l'allemand par P. et C. Fredet Seuil, 484 p., 33 F Les textes fondamentaux du grand biologiste autrichien sur les comportements animaux et humains.

Gilbert Leroy Le dialogue en éducation P.U.F., 212 p., 12 F Les principes psychologiques et psychosociaux d'un authentique dialogue pédagogique.

René Nicoli L'univers de la sexualité Resma, 236 p., 29 F Un ouvrage de synthèse scientifique et d'information médicale en même temps qu'une réflexion éthique sur la sexualité humaine.

PHILOSOPHIE

Louis Millet M. Varin d'Ainvelle Le structuralisme Editions Universitaires, 140 p., 9,70 F Pourquoi les mots • structures» et • structuralisme », qui sont vieux comme • le monde, ont-ils soudain paru surgir du néant.

ENSEIGNEMENT PEDAGOGIE J.-F. Angelloz Guide de l'étudiant germaniste P.U.F., 352 p., 20 F A la fois une introduction à la germanistique et une initiation à la civilisation allemande.

Jacques de Chalendar Une loi pour l'Université avec le manuscrit inédit d'Edgar Faure Desclée de Brouwer, 269 p., 24 F La genèse de la Loi Edgar Faure. George Dennison Les enfants de First Street (Une école à New York) Coll. • En direct» Mercure de France, 224 p., 18 F Un document passionnant sur une

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ESSAIS

concernent tout homme d'aujourd'hui

Alexandre Borrot Marcel Didier Bodico Dictionnaire du français sans faute Bordas, 352 p., 19,50 F Une revue minutieuse et pittoresque des mots français qui peuvent faire trébucher ceux qui les emploient.

Ernst Nolte Trois aspects du fascisme T. 1 : L'action française T. Il : Le fascisme italien T. III : Le national· socialisme Julliard, 416, 368 et 512 p., 23,70 F et 25,60 F Par un opposant allemand, émigré de la première heure.

Georges Elgozy Nos mécontemporains Hachette, 256 p., 28 F Un livre nourri de paradoxes explosifs, qui prend pour cible tous les nouveaux mandarins. P. Jouguelet Laïcité, liberté et vérité Casterman, 144 p., 14 F Pour une définition dynamique de la laïcité, impliquant une quête collective de la IIérité et, plus qu'une notion de tolérance, celle de dialogue. La biologie Tome Il • Dictionnaires du Savoir moderne» Denoël, 544 p., 47,50 F Les grands problèmes que pose la conn~issance de 111 vie. Rober.. Le Bidois Les mots trompeurs ou le délire verbal Hachette, 288 p., 28 F Du bon usage du néologisme ou comment lutter contre l'inflation verbale qui menace actuellemant le français .

Clémence Ramnoux Etudes présocratiques Klincksieck, 298 p., 52 F Une analyse minutieuse de la forme singulière des oeuvres de sagesse avant Socrate, en tant que tests projectifs des philosophes de l'Occident.

Marcus Manilius Les astrologiques ou la science sacrée du ciel Présenté par René Alleau • Bibliotheca Hermetica» S.G.P.P., 280 p., 38 F Une véritable • somme· de l'astrologie, depuis l'origine du monde jusqu'à l'astrologie spéculative.

Wittgenstein et • le problème d'une philosophie de la science Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, 228 p., 32,25 F Texte du colloque d'Aix-en-Provence (juillet 1969).

Jacques Monod Le hasard et la nécessité Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne Seuil, 224 p., 19,50 F Le point de vue d'un biologiste de réputation mondiale sur des problèmes qui

Jean Richer Delphes, Delos et Cumes Coll. • Des lieux et • des Dieux» Julliard, 256 p., 20,90 F Une étude des monuments de Delphes, Delos et Cumes à travers les systèmes zodiacaux. Jacques Tassin Vers l'Europe spatiale Denoël, 256 p., 23 F Le bilan de dix années d'efforts en ce domaine et les perspectives d'avenir.

HISTOIRE

G. Barraclough La papauté au Moyen Age Flammarion, 216 p., 13,50 F Collection. Histoire Illustrée de l'Europe ". B. Bennassar Saint Jacques de Compostelle Coll. • Des lieux et des Dieux» Julliard, 320 p., 23,70 F Les énigmes de l'un des hauts lieux de pèlerinage de l'Occident. G. de Bertier de Sauvigny La révolution de 1830 en France A. Colin, 336 p., 11,80 F Le coup d'Etat, l'insurrection parisienne et la révolution politique Henry Contamine Diplomatie et Diplomates sous la Restauration (1814·1830) Hachette, 410 p., 75 F Les relations internationales entre 1814 et 1830, étudiées d'après les archives du Ouai d'Orsay.

Philippe Erlanger La vie quotidienne sous Henri IV Hachette, 256 p., 22 F La France de 1589 à 1610 où le passage d'une société retombée dans une soudaine barbarie aux moeurs policées du • Grand Siècle»

des revenus. Fernand Dumont La dialectique de l'objet économique Préface de L. Gotdmann Anthropos, 385 p., 25 F L'itinéraire et les fondements d'une véritable critique épistémologique des sciences humaines.

Philippe Erlanger Monsieur, frère du Roi Hachette, 320 p., 30 F Un tableau très vivant de la cour de Louis XIV

Celso Furtado Théorie du développement économique Trad. du portugais par Abilio Diniz P.U.F., 264 p., 15 F Les processus de développement dans le cadre du capitalisme industriel.

Arthur de Gobineau Ce qui est arrivé à la France en 1870 8 pl. hors texte Klincksieck, 192 p., 32 F Un texte inédit de l'auteur des. Pléiades ", qui fait la synthèse des événements politiques de 1851 à 1870 Histoire générale de l'Afrique noire, de Madagascar et des Archipels Ouvrage collectif, publié sous la direction d'Ho Deschamps 48 pl. hors texte P.U.F., 576 p., 75 F L'histoire vivante et très complète d'un monde que n'a pas encore profondément touché la civilisation européenne.

POLITIQUE ECONOMIQUE Wilfred Burchett La seconde guerre d'Indochine Cambodge et Laos 1970 Trad. de l'anglais par Nelcya Delanoë Coll. • Combats» Seuil, 240 p., 18 F Par le vétéran des spécialistes de l'Extrême-Orient, un bilan des origines et des récents • développements de ce conflit Robert Buron Jean Offredo Demain, la politique Denoël, 256 p., 17 F Une étude prospective des problèmes posés par les mutations • en cours de la société industrielle. Guy Caire Théorie et pratique de la politique des revenus P.U.F., 224 p., 12 F Les objectifs et les moyens de la politique

H. L. Matthews Fidel Castro Trad. de l'américain par Pierre Rocheron Seuil, 384 p., 25 F Une description critique du fondateur et leader de la plus originale des révolutions contemporaines. Thomas Molnar La gauche vue d'en face Seuil, 160 p., 16 F Le réquisitoire d'un intellectuel conservateur contre une gauche qui lui paraît se confiner dans une impasse. Bertrand "KAunier Le cambisme et le jeu monétaire international (Technique et théorie du mouvement de capitaux à court terme) Présentation de Jacques Branger Préface d'O. Morgenstern P.U.F., 384 p., 55 F Un exposé complet des techniques que banquiers, commerçants et spéculateurs utilisent sur le marché des changes. Jean-Marc Piotte La pensée politique de Gramsci Ed. Anthropos. 302 p., 20 F

Une analyse approfondie, qui se situe dans la perspective même de la pensée de Gramsci. Jean-Jacques Salomon Science et politique Seuil, 408 p., 29 F Une étude analytique et prospective de cette nouvelle alliance qui, sous tous les régimes, s'est désormais nouée entre science et politique.


Bilan d'octobre Sergio Vilar Les oppositions à Franco Trad. de t'espagnol par €. de la Souchère, J.-M. Fossey et J.-J. Olivier « Dossiers des Lettres Nouvelles Denoël, 432 p., 29 F L'histoire, riche en événements et en actes héroïques, d'une lutte de trente ans contre la dictature franquiste.

DOCUMENTS Jacques Baraduc Pierre Laval devant la mort Plon, 250 p., 18,40 F Les notes, prises au jour le jour, par l'avocat de Laval, depuis sa première rencontre avec celui-ci, jusqu'à son exécution, le 22 août 1945. Jean-Pierre Cartier Mtsou Naslednikov L'univers des Hippies Fayard, 192 p., 20 F Un témoignage de première main sur l'aventure hippie d'un bout à l'autre des Etats-Unis. Yves Courrière La guerre d'Algérie: l'heure des colonels Fayard, 640 p., 32 F De la fin de la bataille d'Alger au drame des barricades : 1957-1960 J.-Y. et Ph. Cousteau Les requins 124 photographies en coul. Flammarion, 266 p., 38 F Le premier ouvrage d'une série où l'on retrouvera la matière des films télévisés intitulés « L'Odyssée sous-marine de l'équipe Cousteau -. Suzanne Labin Hippies, drogues et sexe Table Ronde, 328 p., 18 F L'univers des Hippies, de San Francisco à l'lie de Wight, en passant par Katmandou. Ch. Lloyd Batailles navales au temps de la mari,ne à voile Nombr. illustrations Flammarion/ International Library, 128 p., 19,20 F Cinq siècles d'histoire de la marine retracés par le texte et par l'image.

Jean Robinet Les paysans parlent Flammarion, 232 p., 18 F Un document de première main sur les problèmes de la France rurale.

par M. de Gandillac Seuil, 576 p., 45 F Les thèmes essentiels d'une œuvre à la fois profondément engagée et profondément chrétienne - Réédition.

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Jean Daniélou L'Eglise des Apôtres Seuil, 160 p., 16 F Les « Actes des Apôtres - étudiés dans leur milieu historique

Discothèque idéale Ouvrage collectif par l'équipe de la revue « Harmonie Editions Universitaires, 472 p., 29,90 F Un panorama des meilleurs disques actuellement disponibles. Jean-Paul Dumont

Marc Oraison Vocation, phénomène humain Desclée de Brouwer, 140 p., 12,90 F L'expérience d'un homme partagé entre trois vocations, puisqu'il est à la fois prêtre, médecin et écrivain.

Jean Monod Le fœtus astral Ch. Bourgois, 320 p., 25,60 F Une tentative d'application de la méthode d'analyse structurale au film de Stanley Kubrich, «2001 Odyssée de l'espace -.

Paul VI Face à la contestation Textes réunis par Virgilio Levi Fayard, 368 p., 25 F Un recueil des déclarations faites par le Pape entre 1967 et 1970.

Les voies de la création théâtrale 128 figures, 108 photographies Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, 348 p., 38,70 F Deux volumes fondamentaux sur le théâtre d'aujourd'hui et ses modes de création. Thierry Maulnier L'homme qui n'avait rien fait Hachette, 128 p., 28 F Une pièce en un acte, qui a pour thème "arrestation et l'exécution du Duc d'Enghien.

RELIGIONS ESOTERISME Paul Arnold La Rose-Croix et ses rapports avec la franc-maçonnerie Maisonneuve & Larose, 264 p., 36 F Une étude complète et objective de cette société secrète fondée sur un idéal moins initiatique que mystique. H. U. von Balthasar Le chrétien Bernanos Trad. de l'allemand

La Quinzaine Littéraire, du 1"' au 15 novembre

Dorothee Solle Imagination et obéissance Trad. de l'allemand par G. Jarczyk Casterman, 96 p., 9 F Une nouvelle lecture de l'évangile, réhabilitant les valeurs d'imagination et de créativité. Paul Tillich Histoire de la pensée chrétienne Payot, 332 p., 30,70 F Le dernier ouvrage, posthume, du célèbre théologien américain.

ARTS URBANISME Claude Baudez Amérique Centrale 54 i11. en couleurs, ,106 en noir Coll. « Archeologia Mundi Nagel. 290 p., 47,15 F Une étude archéologique très complète, basée principalement sur les témoignages de la céramique et de la sculpture. Rodin Introduction de Jean Cassou 95 pl. en hélio Hazan, 120 p., 49 F Les sculptures de Rodin.

1970

I.ES I.IBRAIRES ONT VENDU

1 Charles de Gaulle 2 Erich Segal 3 Philippe Alexandre 4 Jean-Pierre Chabrol 5 Pierre Viansson-Ponté 6 Gilbert Cesbron 7 Mario Puzzo 8 Anne Hébert 9 Michel Déon 10 Françoise Mallet-Jorris

Mémoires d'espoir (Plon) Love Story (Flammarion) Le duel de Gaulle-Pompidou (Grasset) Le canon Fraternité (Gallimard) Histoire de la République gaullienne (Fayard) Ce que je crois (Grasset) Le Parrain (Laffont) Kamouraska (Le Seuil) Les poneys sauvages (Gallimard) La maison de papier (Grasset)

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Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants : Dijon, l'Université. Issoudun, Biarritz, la Presse. - Brest, la Cité. Lyon, la Proue. Montpellier, ChErrier. Lille, le Furet du Nord. Sau'ramps. - Paris, les Aliscans, Aude, au Chariot d'or, Fontaine, JulienCornic, la Hune, Marbeuf, Marceau, Présence du temps, Variété, Weil. Poitiers, l'Université. Rennes, les Nourritures terrestres. Royan, Magellan. Strasbourg-Esplanade, les Facultés. Toulon, Bonnaud. Tournai, Decallonne.

I.A QUINZAINE LITTtRAIRE VOUS RECOMMANDE LITTERATURE Adolfo Bioy Casares Journal de la guerre au cochon Malcolm Lowry Sombre comme la tombe où repose mon ami . Reynolds Price Un homme magnifique Alain Robbe-Grillet Projet d'une révolution à New York Joseph Roth La toile d'araignée S.1. Witkiewicz L'inassouvissement

Laffont Denoël LN, Gallimard Minuit Gallimard L'Age d'homme

ESSAIS Mikhaïl Bakhtine Georges Balandier (sous la direction de) Yves Courrière

L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance Sociologie des mutations

La guerre d'Algérie. L'heure des colonels « Proust et les signes (réédition) Gilles Deleuze Georges Devereux Essais d'ethnopsychiatrie générale Maurice Dommanget Sur Babeuf et la conjuration des égaux Ernst Fischer A la recherche de la réalité La puissance et la sagesse Georges Friedmann Psychologie et alchimie C.G. Jung Gynophobia ou la peur des femmes W. Lederer Essais sur le comportement animal et Konrad Lorenz humain Georg Lukacs Soljénitsyne Marx, Engels Ecrits militaires Jean-Jacques Salomon Science et politique

Gallimard Anthropos Fayard P.U.F. Gallimard Maspero Denoël LN Gallimard Buchet-Chastel Payot Seuil Gallimard L'Herne Seuil

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CHARLES TRENET CHANTE TRENET Le monde merveilleux du "fou chantant"

C'est le monde merveilleux du Fou chantant que DISCOPILOTE vous invite à parcourir à travers ce coffret de 13 disques. Un monde d'une richesse et d'une variété qui dépassent l'imagination, qui va de l'exubérance de "Boum", de "Y'a d'la joie" à la beauté si prenante de "La mer" ou de "L'âme des poètes ", en passant par les œuvres moins connues dont le charme est rendu plus vivace par l'attrait de la découverte. DISCOPILOTE est heureux de proposer le coffret Charles Trenet accompagné d'un livret illustré, au prix exceptionnel de 219,70 F payable en 3 mensualités sans augmentation de prix de 73,25 F ou 6 mensualités de 39,55 F.

Un coffret de 13 disques 30 cm 182 chansons

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BON DE COMMANDE

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PARIS 7·. Veuillez m'adresser le coffret de 13 disques CHARLES TRENET. Je vous réglerai dès réception 0 comptant 219,70 F en 3 mensualités sans augmentation de prix de 73,25 F 0 en 6 mensualités de 39,55 F par 0 chèque bancaire 0 chèque postal à votre C.C.P. PARIS 4015-34 mandat.

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