Quinzaine littéraire n°104

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UlnZalne littéraire du 16 au 31 octobre 1970

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Faut-II "rééduquer" l'intellectuel?


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE LITTERATURE ETRANGERE POESIE

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TRIBUNE

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ROMANS FRANÇAIS

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Thorstein Veblen

La théorie de la classe de loisir

par Georges Friedmann

W. B. Yeats

Le frémissement du Uncollected Prose

par Serge Fauchereau

Jacques Réda Dusan Matic

Récitatif La rose des vents

Faut·il «rééduquer» l'intellectuel ? Claude Delmas Jean Chatenet

VOtle

par Alain Huraut par Jacques Lacarrière par Bernard Pingaud

Le schooner Petits blancs, vous serez tous mangés

par Claude Bonnefoy par Cella Minart

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Bertrand Poirot-Delpech

La folle de Lituanie

par Claude Bonnefoy

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Henry Bonnier

L'amour des autres

par Lionel Mirisch

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André Breton: Trait d'union Alain Jouffroy

INEDIT

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La vie d'artiste Dans les /?;aleries

par Nicolas Bischover par N.B.

L'exposition du 1 %

par Marcel Billot

Jean Paulhan

Œuvres complètes

par André Dalmas

H. Carrère d'Encausse, S. R. Schram

L'U.R.S.S. et la Chine devant les Révolutions dans les sociétés industrielles

par Louis Arenilla

Philippe Alexandre

Le duel de Gaulle-Pompidou

par Pierre Avril

Jacques Berque

L'Orient second

par Dominique Desanti

Le sanl!; du condor

par Roger Dadoun

J eux de massacre

par Roger Grenier

EXPOSITIONS

POLITIQUE CINEMA THEATRE

Eugène Ionesco

François Erval, Maurice Nadeau.

Publicité littpraire :

Conseiller: Joseph Breitbach.

22, rue de Grenelle, Paris (7"). Téléphone: 222-94-03.

Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro. Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski.

La Quinzaine lItterBlre

par Marguerite Bonnet

Ernst Fischer: ·Goya Maurice Rheims

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La fin des alternances

Secrétariat de la rédaction : Anne Sarraute. Courrier littéraire: Adelaide Blasquez.

Crédits l'hoto/{Tal'hiques

Publicité générale: au journal. Prix du nO ail Canada: 75 cents. Abonnements: Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois: 34 F, douze numéros. Etudiants: réduction de 20 Etranger: Un an : 70 F. Six mois : 40 F. Pour tout changem.ent d'adresse: envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : c.c.P. Paris 15 55]-53.

ra.

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Snark

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Gallimard

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Flammarion

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Gallimard

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Albin Michel

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Roger Viollet

Maquette de converture. : Jacques Daniel.

Directeur de la publication:

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François Emanuel.

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Snark

Rédaction, adm.inistration :

1mprimerie : Abexpress.

p.23

Vasco

43, rue du Temple, Paris (4"). Téléphone: 887-48-58.

Impression S.I.S.S.

p.25

D.R.

Printed in France.

p. 27

Bernand


Enfin, Veblen!

LE LIVRE DE

par Georges Friedmann LA QUINZAINE

Thorstein Veblen La théorie de la classe de loisir Intr. de Raymond Aron Coll. «Bibl. des Sciences humaines» Gallimard éd., 328 p. Le destin posthume de Thorstein Veblen a été singulier comme le fut toute sa carrière. Son premier livre, le seul qui connut un succès immédiat, la Théorie de la classe de loisir (The theory of the leisure class) , paru en 1899, alors qu'il avait quarante-deux ans, est enfin traduit en France. Les sociologues, dès leur apprentissage, savaient que Veblen était un auteur important. Mais combien l'avaient lu ? Quelques thèmes vebléniens étaient souvent évoqués, grâce à des commenta· teurs au premier rang desquels Maurice Halbwachs: la place centrale accordée à un «instinct artisan », les pleins feux jetés sur la «consommation ostentatoire» observée à travers «la classe de loisir» dans les Etats-Unis, dès la fin du XIX' siècle ; mais ils apparaissaient 'plutôt sous forme de slogans que d'idées directrices expliquées et situées dans un ensemble d'écrits. Pierre Nora a été bien inspiré en choisissant pour la Bibliothèque des sciences humaines ce livre à la fois célèbre et peu connu, où l'on trouve, explicites et implicites, les traits principaux de son œuvre, les aspects multiples de son talent d'économiste et de critique social. Il est impossible de comprendre l'homme et l'œuvre sans rappeler ses origines, sans évoquer son milieu et ses problèmes existentiels. Veblen est né en 1857, dans le Middlewest, quatrième fils (la maisonnée compta douze enfants) d'un paysan pauvre venu de Norvège dix ans plus tôt. Toute sa vie, il demeura fidèle à ses ascendances terriennes, à la langue et à la culture de ses ancêtres. S'il ne «réussit» pas dans l'es· tablishment des Universités américaines, beaucoup plus fermé et conformiste qu'aujourd'hui, c'est en grande partie parce qu'il demeura imperméable au mode de vie des Yankees, à leurs valeurs et aux justifications qu'ils en don· nent. D'où une distance à l'égard de l'objet qui fait de ce livre un document incomparable, toujours jeune, rehaussé par un humour

La Cl!!bazaine Littéraire du 16

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caractéristique el savoureux. L'observation de la classe de l?isir est fondée sur une opposihon fondamentale (qui en commande d'autres) : entre la condi· tion du producteur, qu'il soit agriculteur poussant la charrue, ouvrier, ingénieur et le bourgeois aux mains blanches, faisant fortune grâce à des opérations im· mobilières, financières, commerciales, toutes abstraites, où il est non pas affronté à des éléments mais voué à la manipulation de symboles. En d'autres termes, c'est l'opposition entre ceux qui contribuent à la prospérité collec· tive et ceux qui «font fortune de rien », who get something out of nothing. Pour la masse des ouvriers et des non-ouvriers, salariés du commerce et des services, le niveau de vie s'élève mais de-

meure médiocre, comparé à celui des financiers, spéculateurs, homo mes d'affaires, de Bourse, de loi, de publicité, possesseurs, souvent absents, des moyens de production. Dans cette nouvelle version du saint-simonisme, où les para· sites et les frelons sont caracté· risés par leur agitation abstraite, mais aussi par les droits qu'ils s'approprient aux dépens des pro· ducteurs: par exemple le profit sans travail du marchand de biens contrastant avec le travail sans profit du petit exploitant agricole. La critique veblénienne de la classe de loisir s'éclaire donc par l'opposition entre 1'« instinct ar· tisan» du producteur, du créateur, et ce qu'il appelle les instincts «prédateurs» : transformés à partir de leur origine (VehIen les étudie en ethnologue), ils conduisent à la rivalité pécuniaire, à 31 octobre 1970

J'âpre concurrence de chacun con· tre tous. D'où l'effort de plus en plus répandu à travers la société, «le rude effort pour f emporter sur autrui par fexploit pécuniaire» (p. 24) qui s'accompagne d'une comparaison provocante, individious comparison, c'est-àdire provoquant l'envie. Elle constitue, par ailleurs, un «procédé de cotation» des individus d'après leur fortune (cet homme vaut tant de millions de dollars), caractéristique des Etats-Unis à l'époque des Rockefeller et Carnegie, et encore largement utilisé aujourd'hui. La théorie de la classe de loisir, Veblen l'a découverte par u'ne expérience existentielle et non par une réflexion abstraite. Elle ne concerne pas des entités, «le capitalisme », « la bourgeoisie », mais se nourrit de l'observation concrète, satirique, de bourgeois, de capitalistes américains, ses contemporains. Le regard de VebIen est si aigu que, par delà cette base de départ et ses limites spatiales, temporelles, il éclaire pour nous, aujourd'hui encore, notre société en ce dernier tiers du xx' siècle. Mais quelle expérience existentielle, vécue par le quatrième fils de Thomas Anderson VehIen, a ainsi pu donner à son œuvre cette saveur originale et persistante? VehIen, marqué par la communauté paysanne, luthérienne dont il est issu, par les souvenirs d'un milieu naturel, celui du pays de ses ancêtres, poétique, relativement préservé, est demeuré un homme en contact avec la nature, les éléments, immédiatement complice de tous les producteurs et créateurs, de tous ceux qui sont voués à l'instinct artisan: Veblen est un homme de présence. D'où son allergie innée, essentielle, à l'égard du nouveau milieu technique des Etats· Unis, déjà en plein développement: il ne peut supporter l'abstraction du capitalisme industriel, de l'actionnariat, cette «propriété absente» (absentee ownership) dont les bénéficiaires cons· tituent, pour une grande part, la classe de loisir. Veblen discerne les méfaits, les iniquités d'une rationalisation des activités économiques poursuivies dans ces conditions. Mais cet apologiste de l'instinct artisan n'est pas pour autant un ennemi de la machine

et de ses produits. Il les défend à maintes reprises, dans ce livre (par exemple, pp. 106 à 109) et souligne «qu'ils sont jusqu'au moindre détail d'une exécution plus parfaite et plus exacte» que les objets faits à la main. Veblen est un esprit original, qu'il faut se garder de classer trop vite dans des catégories passe-partout. Ses analyses de la consommation et du loisir ostentatoires doi· vent être situées dans le même contexte biographique et culturel. Elles demeurent actuelles grâce à la vigueur avec laquelle il a saisi, en leur essence, les mœurs et les comportements dans la société américaine de son temps. Veblen, moraliste et «anthropologue social» avant la lettre, est resté plus vivant que Veblen critique de l'économie classique. Y a-t·il aujourd'hui, aux Etats-Unis, ou en France, une «classe de loisir» telle que celle dont il a décortiqué les faits et gestes à la fin du siècle dernier? Sans doute pas. Il s'agit plutôt, de nos jours, d'une collection bigarrée d'individus provenant de couches sociales très diverses qui ne sont pas tous dépourvus d'une activité professionnelle plus ou moins intermittente, mais ont en commun de pouvoir accorder beaucoup de temps et d'argent à leurs loisirs et consommations ostentatoires. Le renouvellement des objets et modes, des habitudes, des mots et c 0 m p 0 rte ments signifiant «l'exploit pécuniaire» est désor· mais plus rapide. Le monde de l'ostentation ne se recrute plus seulement dans l'aristocratie, la grande bourgeoisie d'affaires el d'industrie, mais souvent parmi des vedettes (et ceux ou celles qui veulent en faire figure) du théâtre, du cinéma, des «communi· cations de n1asse », etc. Veblen reconnaissait déjà que le loisir par procuration ou «loisir délégataire » (vicarious), par exemple celui d'une consommation visible de services telle que l'entretien d'une domesticité, appartenait au passé plus qu'au présent (p. 45). Il en est de même pour d'autres habitudes, comme celle de se créer des «obligations sociales» : œuvres charitables, réunions de cercle, visites mondaines, etc. Le loisir et la consommation ostentatoire, en tant que prototypes, s'appuient donc aujourd'hui sur une base sociale réduite.

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INFORMATIONS

La rentrée romanesque

Veblen

Par contre ils ont, sous des formes plus diffuses, gagné énormément de terrain et un Veblen de 19ïO aurait écrit son livre en observant ce qu'ils sont devenus sous l'effet de la production et dc la consommation de masse. Dans Jes sociétés industrielles évoluées, les exigences du standing ont pénétré d'abord des milieux d'employés (comme l'avait déjà vu Halbwachs en comparant les budgets de diverses catégories professionnelles) ; plus tard, elles ont atteint certains milieux ouvriers, ce qu'ont noté récemment, en le déplorant, des responsables syndicalistes. Dans les économies en grande partie fondées sur la consommation durant le «loisir », la consommation ostentatoire a progressé aux dépens du pur loisir ostentatoire. Un an avant la mort de VebIen, en 1928, Ford publiait une série de réflexions sur le progrès où l'on peut lire: «Il est inutile de faire du sentiment pour cette question des loisirs ouvriers [ ... ] L'importance du loisir pour la consommation impose la courte semaine de travail.» (3) Taylor et Ford, tous deux contemporains de Veblen, l'un en donnant à la production de masse ses fondements techniques, l'autre en la réalisant pour la première fois dans ses ateliers de Detroit, ont transformé le visage de la société américaine et les perspectives où Veblen avait situé ses analyses. Par la suite, l'action des «mass media» a répandu des formes de consommation ostentatoire à travers des couches sociales de revenus très inégaux. A la lumière de cette évolution, on comprend pourquoi la sévérité de Veblen à l'égard du sport, de l'athlétisme, son acharnement contre tout exploit sportif, rapproché par lui des comportements prédateurs, nous semblent dépassés (pp. 167-180) : le sport de masse, le sport industrialisé et corrompu par la course aux gros cachets appellent aujourd'hui d'autres critères, d'autres critiques. Par contre, il a très perspicacement vu, dès ses débuts, la création continue de nouveaux besoins et distingué entre ceux qui relèvent de la nature et ceux qui, dans un groupe social déterminé, relèvent de sa culture. Cette distinction, plus ou moins explicitement formulée, se retrouve dans toutes ses analyses de la

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eonsommation et, par f>xemple, à travers ses réflexions, d'un humour cocasse et cruel; sur les « animaux honorifiques et réputés beaux », chats, chiens, chevaux de selle, dont les gens de loisir s'entourent. En voici, à propos des chiens de luxe et de salon, un échantillon: «Bien des gens de bonne foi trouvent belles jusqu'à ces grotesques et difformes que r on doit à certains éleveurs... La valeur commerciale des monstruosités canines... repose sur le coût élevé de leur production ; la valeur qu'ils prennent aux yeux de leurs propriétaires est celle d'articles de consommation ostentatoire» (p. 93). Le chapitre sur «rhabillement, expression de la culture pécuniaire », où l'on retrouve la même distinction, est meilleur VebIen. Dans les éléments qui composent un vêtement, une partie, la plus petite, correspond aux services pratiques et à la fonction de se vêtir. L'autre, de loin la plus importante, est consacrée à l'élégance, à l'honorabilité de ces éléments. Ce qui prouve bien que «le besoin de s' habiller est par excellence un besoin "supérieur", un besoin spirituel» (p. Ill) , Veblen a très finement analvsé les procédés signifiant de dépense, leur subtilité, leurs progressifs raffinements. A' tra· vers une grande partie de ses notations sur la consommation osten· tatoire, il fait de la sémiologie «sans le savoir ». Les comportements de la classe de loisir concernant le vêtement, la coiffure. la domesticité, les animaux de luxe, les gestes et mimiques, la sélection d'obligations dites «sociales» comme substitut à une activité professionnelJe tout cela consiste à choisir des symboles. des signifiants qui évol';ent avec la société globale et l'image aue la classe de loisir veut lui donner d'elle-même. Comme le note Raymond Aron, c'est là un des aspects de ce livre qui expliauent, aujourd'hui encore, sa fraîcheur et son actualité. Il est remarquablement servi, dans cette première version francaise, par le talent de Louis Evrard, sa fidélité au texte original (qui pourtant posait au traducteur maints problèmes), ses notes attentives et substantielles.

Georges Friedmann

Domaine français Alain Robbe-Grillet qui, depuis la Maison de rendez·vous, en 1965, s'était adonné uniquement au cinéma avec Trans-Europ-Express et l'Eden ... et après, fait une rentrée romanesque très remarquée avec Projet de révolution à New York, à paraître ce mois-ci aux Editions de Minuit.

Chez Grasset, le nouveau de François Nourissier: la décrit la faillite morale d'un de quarante ans découvrant peu le vide de son existence.

roman Crève, homme peu à

Trois premiers livres chez Galli· mard: le Séquestré, par Bernard Ponty, roman-document sur la vie des jésuites où l'auteur décrit notamment le trouble suscité par le monde contemporain dans le célèbre ordre religieux; le Gai ghetto, par Patricia Finaly qui, avec un humour féroce et souvent d'ls plus crus, nous conte l'histoire d'une petite fille' juive sous l'occupation et dans l'immédiat aprèsguerre; Portrait de Raphaël, par Nicole Quentin-Maurer, qui nous dépeint l'amitié à la fois très fervente et très innocente de deux adolescents.

Signalons également un recueil de nouvelles, en grande partie inédites, de Boris Vian: le Loup garou, à paraître chez Christian Bourgois en même temps que trois pièces de théâtre de l'auteur; un nouveau roman de l'auteur de la Forteresse de boue, Marie-Claire Sandrin (voir le N° 28 de la Quinzaine),' qui paraît chez Buchet-Chastel sous le titre de la Première mort; les Sanglots longs, nouvelles par l'auteur de l'Orchestre rouge, Gilles Perrault (Fayard); le second roman de l'auteur du Désespoir tout blanc, Clarisse Nicoïdski: la Mort de Gilles (Mercure de France) ; le dernier volume de la trilogie de Manz'ie, commencée avec Warrant et Arachné (voir les N"' 50 et 64 de la Quinzaine): le Portrait dans I.:s yeux (Pauvert),

Domaine étranger Trois nouveaux titres dans la collection • Pavillons. de Robert Laf· font: Journal de la guerre au cachon, par Adolfo Bioy Casares qui, à travers la description minutieuse de huit jours de la vie d'un petit retraité à Buenos-Aires, évoque le drame qu'est pour tout homme l'approche de la vieillesse; le Bourreau affable, qui permettra enfin au public français de découvrir un des romanciers espagnols les plus attachants et les plus originaux de la génération de l'exil: Ramon Sender; la Montée des eeux, par la romancière indienne Kamala Markandaya qui, dans ce livre qui a pour cadre un grand chan-

tier où s'affrontent techniciens occidentaux et ouvriers indigènes, nous donne à comprendre, de l'intérieur, les problèmes de l'Indp. moderne.

Chez Albin Michel, où est annoncé un recueil de nouvelles de l'écrivain polonais S. Mrozek: Deux lettres, suivi d'autres récits, c'est un roman d'une imagination débridée que nous propose Miguel-Angel Asturias avec le Larron qui ne croyait pas au ciel où, dans l'immensité grandiose de la nature américaine, nous suivrons les aventures à la fois poétiques et burlesques d'un groupe de conquistadors espagnols lancés à la recherche d'un eldorado mythique mais que le fana· tisme propre à leur race mènera à leur perte. Toujours chez Albin Michel, on annonce un roman qui fit l'objet de mesures d'interdiction en Angleterre et qui, aux Etats-Unis, a fait beaucoup de bruit au cours des années dernières: Las exit to Brooklyn, par Selby Jr, ainsi qu'un roman fantastique, traduit de l'allemand et qui est dû à l'écrivain autrichien Leo Perutz, considéré comme l'un des maîtres les plus personnels de l'étrange et du fantastique contemporain: le Marquis de Bolibar.

Le Prix Nobel à Soljenitsyne Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que le prix Nobel de littérature vient d'être attribué à Alexandre Soljenitsyne. C'est, de la part de l'Académie suédoise, un acte courageux et qui rend justice au plus grand écrivain russe actuel, persécuté dans son pays. Cette récompense ne réjouira pas seulement les admi'rateurs de Soljenitsyne dans le monde entier, mais également de nombreux citoyens soviétiques, pour qui l'auteur d'Une Journée d'Ivan Dénissovitch incarne la résistance de l'esprit à tout ce qui voudrait l'étouffer. La Quinzaine littéraire a publié en plusieurs numéros de longs extraits du Pavillon des cancéreux avant la parution de cet ouvrage en français et fait écho aux prises de position de l'écrivain. Nos lecteurs trouveront dans notre prochain numéro un hommage à Soljenitsyne.


I.lrrt .... ru.E

Le testament de Yeats tr .... NGtl.E W.B. Yeat:> Le Frémissement du voile Préface et traduction de Pierre Leyris Mercure de France éd., 300 p.

Il est significatif que ce titre ait été emprunté à Mallarmé: l'enfant, l'adolescent puis le tout jeune homme du premier volume vient d'entrer en littérature avec nne plaquette de poèmes quand Uncollected Prose commence le second. C'est doréTexte établi et préfacé navant un homme qui a vocation par John P. Frayne d'écrivain et qui ne nous entreLondres, Macmillan éd., 440 p. tiendra plus de ses expériences enfantines et de sa famille, mai" des différentes relations qu'il noue Le monde anglo-saxon re- à Londres et à Dublin. connaît généralement WilAujourd'hui, en Gramle-BJ'etaliam Butler Yeats (1865-1939) gne, c'est aussi cette période de comme le premier de ses sa vie littéraire qui est au premier plan de l'actualité: ou grands poètes au XX· siècle vient de rassembler ses écrits en - et précisons, les lecteurs français dussent-i Is en être prose de 1886 à 1896 qui n'avaient étonnés: avant Eliot et Pound jamais été repris en volume. Cc livre, réalisé malgré l'interdiction dont il fut sinon le maître, du moins l'immédiat aîné. formelle du poète (<< Maudit soit qui met au jour / Les écrits que j'ai rejetés»), offre une image de En France, on connaît surtout Yeats sensiblement différente de Yeats comme dramaturge (il y a celle qui est donnée par son autoquelques mois, le Théâtre d'Aran biographie. donnait encore les Ombres sur la On s'étonne de le voir sympamer). Quant à sa poésie, partie thiser à la fois avec l'esthète Oscentrale de son œuvre, elle nous car Wilde et le socialiste William est inconnue, ou pire: méconnue, Morris dont il trace des portraits car de mauvais choix de poèmes émouvants. Parmi les figures miont fait heaucoup pour écarter neures, il se prend d'amitié pour les lecteurs; le plus récent, un le dessinateur Beardsley en hutte choix hilingue (la Colombe) paru à l'opinion publique, pour W.E. en 1956, nous présentait des poè- Henley et surtout pour Lionel mes encore très préraphaélites, Johnson et Ernest Dawson, poiremplis d'amoureux languides et vrots érudits que l'alcool emporde paysages crépusculaires (sur tera à trente-cinq ans (notons tou33 poèmes, 29 avaient paru avant tefois que Uncollected Prose con1903, les quatre autres datent de tient plusieurs attaques violentes 1908 à ]912). Cette poésie-là ne contre Dawson...). Il rencontre nous touche guère; nous avons aussi ceux qui seront lcs compasuffisamment de poètes symbognons marquants de sa carrière : listes et leur influence à l'étranger le poète mystique A.E., Arthur n'intéresse que l'histoire littéraiSymons (qui lui révélera Mallarre. Le grand Yeats est ailleurs, mé . et le symholisme français), dans les œuvres de sa maturité Lad.y Gregory et John Synge dont justement le Frémissement (avec lesquels il fondera le l'héadu voile, puhlié en 1922. tre National Irlandais). Pierre Leyris a entrepris deOn n'aura garde d'oublier ici puis quelques années de vaincre Maud Gonne, rencontrée et aimée la désaffection du public français dès 1889, qui sera la grande insà l'égard de la poésie de Yeat., piratrice tout au long de sa vie. en puhliant ce qui est, en dehors Cette femme fascinante, au natiode A Vision, sa meilleure œuvre nalisme exacerhé, qui parlait dans en prose: Enfance et jeunesse les meetings et organisait des resongées (paru au Mercure en manifestations anti-britanniques, 1965) et aujourd'hui le Frémisseva pousser à l'action le poète qui ment du voile qui forment les s'était intéressé jusque-là aux deux premières parties de l'en- seuls débats littéraires. Parmi les semhle intitulé Autobiographies. pages les plus intéressantes du livre, retenons celles où, à l'occaNul doute que la dernière, Dramatis Personae, ne soit en prépa- sion du J uhilé de la reine Victoration.' ria, une manifestation a été préparée à Duhlin. Excités par Maud Le. Frémissement du voile se Gonne et par le futur chef de présente d'ahord comme la suite l'insurrection de 1916, James Cond'Enfance' et jeunesse resongées.

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I.a Q!!inzaine I.ittéraire du 16

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31 octobre 1970

Portrait

de WB. Yeats. par Augustus John

nolly, alors tout jeune, les manifestants entreprennent de lapider les vitres des maisons pavoisées. Yeats voudrait les calmer mais, pris d'extinction de voix pour avoir trop parlé, il ne peut se faire entendre: Plus tard, ce soir-là, Connolly porte en cortège un cercueil sur lequel est inscrit Empire britannique, la police et la foule se battent pour sa possession et,· en fin de compte, en sorte que la police ne s'en empare pas, on l'l jette dans la Liffey. Il se livre des combats entre la police et les briseurs de vitrines et je lis dans les journaux du matin qu'il :Y a eu beaucoup de blessés; qu'une vieille femme a été tuée à COUJIS de bâton, à moins qu'elle n'ait été piétinée par la foule, et qu'on a brisé pour deux mille livres àe carreaux de fenêtres pavoisées. Je dénombre les maillons de la chai· ne des responsabilités, les com/)Ie sur mes doigts et me denumde s'il y en a un qui émane de mon atelier. Si Yeats répugne à l'action violente, il n'en est pas moins uu homme conscient et efficace et ce

n'est pas par simple respect pour son œuvre littéraire qu'on lui of· frira plus tard un siège au Sénat. Ainsi, d'un bout à l'autre du Frémissement du voile, le voyons· nous penché sur les problèmes d'un art à la fois enraciné dans la terre irlandaise et susceptihle d'avoir sa place dans la civilisa· tion européenne: que Finn sur Ben Bulben soit l'équivalent de Prométhée sur le Caucase. Il est aujourd'hui émouvant de voir que le jeune Yeats avait songé que la prise de cônscience des traditionil spécifiquement irlandaises devrait rapprocher catholiques et protes· tants à l'intérieur du pays : J'avais remarqué que les ca· tholiques irlandais, parmi les· quels étaient nés tant de martyrs politiques, n'avaient ni le bon goût, ni la courtoisie domestique et la décence de rIrlande protestante que j'avais connue; mais r Irlande protestante paraissait ne songer qu'à prospérer dans le monde. Je songeais que nou.s pou.r· rions rapprocher ces deux moitiés si nous avions une littérature nationale qui rendît rIrlande belle dans la mémoire et qui pour·

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PO_SIB

Jacques Réda

Yeats

tant fût libérée du pr01Jinciali&me par une critique exigeante, une attitude européenne. Cette volonté qui lui faisait collecter les légendes et les contes de fées locaux (<< Ils sont la mère des nations », Uncollected Prose. p. 104) est la même qui lui fera désirer la création d'un théâtre national - il a en effet noté que les Irlandais lisent rarement mais écoutent très volontiers. Le Frémissement du voile dépasse Enfance et jeunesse resongées en volume et en densité parce que Yeats lui assignait un but autrement ambitieux. Dans une lcttre de 1920 à Lady Gregory, il déclarait y vouloir dépasser la simple autobiographie pour en faire «un testament politique et littéraire ».

Mathers e&t fort ennuyé par le& dames en quête de con&eils spirituels, et fune 0: elles est venue lui demander de la secourir contre des esprits qui ont lapparence de cadavres décomposés et qui tentent 0: entrer dans son lit la nuit. Il fa chassée O:une seule phrase furieuse: «Très mauvais goût de part et 0: autre. » Beaucoup plus serIeusement que ces mages-là, Yeats cherchait funité 0: être et les correspondances (il faut songer ici davantage à Swedenborg et Blake qu'à Baudelaire). Le Yeats de A Vision, de plusieurs pages du Frémissement du voile, nul ne l'aurait mieux compris qu'André Breton, qui écrivait alors sa Lettre aux !Joyantes. Cette constante préoccupation qui le pousse à chercher

Jacques Réda Recitatif Coll. «Le Chemin» Gallimard éd., 72 p.

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Quel est donc cet étonnement, chaque fois que cela arrive? Quelque fête réinventée dans la langue... La chose n'est pas nouvelle, sinon qu'un tel écho où la langue se répète - étrangement dé-placée au centre de l'identité à elle-même où elle se recueille,

• Je songeais que nous pourrions rapprocher ces deux moitiés [la catholique et la protestante] si nous avions une littérature nationale qui rendît l'Irlande belle dans la mémoire et qui pour· tant fût libérée du provincialisme par une critique exigeante, une attitude européenne.»

Cela ne doit pas surprendre si l'on songe que depuis plusieurs années déjà, Yeats consacrait la majeure partie de son temps à composer A Vision, ce livre com· plexe où il entendait faire tenir toute une cosmogonie fondée sur l'occultisme et l'astrologie. On appelle justement l'Irlande' le pays des fées ; aucun peuple occidental ne possède une mentalité magique comme les Irlandais. Yeats, qui publiera plusieurs volumes de contes et légendes de son pays, sera tout naturellement intéressé par les expériences spirites qui passionnaient la fin du siècle dernier: les spéculations les plus élevées aussi bien que les navrants soubresauts d'un guéridon trouveront en lui un témoin attentif. On le verra s'affilier à plusieurs sociétés hermétiques. Il y avait bien des risques de ridicule à cela, mais Yeats n'était pas prêt à tout prendre pour argent comptant, même l'argent alchimique; et rappelant ses expériences ou celles des autres, l'humour se fait jour plus d'une fois :

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sans cesse le sens symbolique des actions et des choses rend le Frémissement du voile plus proche de l'essai que de l'autobiographie. Gœthe intitulait son autobio· graphie Poésie et vérité. Il peut paraître y avoir dans le Frémissement du voile plus de poésie que de vérité. La vérité, dans le sens de ce qui est exact, précis. est certainement présente dans le volume Uncollected Prose qui contient des articles littéraires, mais aussi des textes de propagande ou de complaisance (célé. brations de Maud Gonne ou Clovis Hugues). Si nous pouvons ainsi suivre la vie intellectuelle du poète, les querelles ouhliées et les admirations passagères nc nous donnent qu'une vérité éphémère et finalement partielle. Le Frémissement du voile présente au contraire une vérité resongée, organisée. Yeats y cherche avant tout à mettre en lumière f évid'mce poétique qui a présidé à sa vie et son œuvre.

Serge Fauchereau

précisément - donne à entendre ce qui sans cesse à son lieu montre «le Présent» (p. 37) ; ce qui est proprement, à chaque fois que cela a lieu, passion du nouveau. Patience poétique, la seule fiction en dernier ressort où serait 'renvoyé tout «livre» de poèmes; en cet espace décisif, l'insistance de certains à y «livrer» des poèmes dit encore la folle entreprise pour la poésie d'hahiter là son temps. Le récitant s'y dispose, accueillant l'espace de son temps. Le recueil de Jacques Réda, Récitatif, comme les grands poèmes de jadis, ouvre sur une génesis; terme premier de la filiation, le ciel : « L'étonnant ciel multiple est rempli de colères inexplicables. » Nous le savons, depuis Holderlin, par là les dieux ont quitté notre demeure. Restent la mère et les fils, les époux et le mystère des générations, de la Terrc et du Ciel ; puis le savoir inquiétant des femmes dont ainsi le

poème amoureux attentif décide : « Elles savent - ayant commerce

avec la belle-sœur bréhaigne / Pâle ou rousse là-haut, f exacte ouvrière des pluies. » Mais aussi : «Elles semblent cacher leur visage dans un manteau / Comme fait la terre féconde sous les nuages. » Vue cosmique, vue du plus haut, à partir de laquelle toute femme prend mesure avec la terre et le regard poétique avec le plus haut regard: celui qui, rapprochant, compare. Or, qui a perspective du dessus des nuages pour parler de la sorte? Est-ce les dieux informant le poète? « Les dieux / Ont tourné au coin de la rue. Les dieux / Commandent humblement un grog à la buvette de la gare / Et vomissent au petit jour contre un arbre. Les dieux / Voudraient mourir. » Dérision aujourd'hui à tenir le langage des dieux; leur fuite? ce que jouent les hommes en leur spectacle. Qu'en est-il du vide ainsi laiseé? inhahitable? Question trop abrupte. Il est ici parlé de l'âme! Seule elle peut «A distance de& dieux et du corps anxieux / Dans son éternité O:azote et O:hydrogène / A distance danser la mort légère. » L'âme serait le nom pour la reconnaissance d'une situation fondamentale sous le statut de laquelle la philosophie tenterait aujourd'hui de s'éclairer: la distance. Distance à l'être; distance tout court, écart, espacement en quoi la poésie met en demeure son destin comme langage, en quoi elle se risque, elle est risquée, prise de court, d'emblée à la limite, sommée: « ... or com· ment je pourrais, / Moi qu'on vient de jeter dans f ouverture et qui suis décousu?» '« Décousu»; est-ce l'ouvrage du Temps, défait sans cesse, tel celui de Pénélope? «A distance danser la mort légère» ; danser ; le corps comme le corps, dans l'espacement, ne se retrouve et se montre qu'au prix de se nier; de même la fleur, depuis t<'ujours « l'absente de tout bouquet ... Va· cillement imperceptible du corps à son poème; ex-stase, mime; «un long détour », dit Jacques Réda (p. 25), pour cette manière non innocente de revenir au mê· me, peu éloigné sans doute du retour aux truismes en lequel Merleau-Ponty voyait engagée la philosophie.


Les oracles de la nuit par Jacques Lacarrlère

Ou bien le manquement du texte (de la avancerait-on volontiers) ... Plutôt: c'est une «voix déracinée qui nous entretient ici, portée par le « souffle (fâme) ; tout mot est l'échappée terrible, l'entonnation évadée en l'écho qui révèle à l'ouïe une distance. La brisure est donc essentielle; proférée à peine, la parole est perdue à ja. mais. Dépossession; silence : «Muets, dépossédés, nous nous éloignons côte à côte, «Et ce couple brisé c'est moi... «Mais quelle est la juste dis· tance ? est·il demandé, et «que saisir / Et mesurer sinon, au flanc mobile de la dune, / L'empreinte de ce corps que le vent réenseve· lit ? Ce qui passe, le vent, le souffle, l'âme; l'orage lent du temps remue l'empreinte; la terre a sa distance irréductible, le ciel et ses constellations que répè· tent au sol les osselets qui rou· lent (p. 12). Dans l'entre-deux du passage a lieu cette enjambée : la répétition. A la manière liturgique des Ré· pons se fait la reprise du (suc le) fonds premier d'une «pure offrance, le Présent la paru· tion donne à réitérer, ouvre à l'éventualité du report dans le poème, et du même coup est l'oc· casion du plus bel amour: «Ce qui de tout homme paraît dans la hauteur, je dois / Encore f éle· ver.:' Nommer, élever dans l'apparition; le poète déjà, huissier aux marches du monde et préposé à la nomination, a fait son pas frayant dans le Déplacement (métaphore, métamorphose). Comment être digne de l'atten· tion questionnante de Réda, lorsqu'elle n'est pas sans nous enjoin. dre, par son urgence, de répondre: «Qui nous a séparés / Du sombre Nil d'oubli dont on ne connaît pas les sources ? Ce que le poème recueille et ouvre: la mémoire non perdue mais reléguée dans sa profondeur, et pour laquelle Baudelaire avait le mot de Correspondance. Lien secret et pérenne, ramassé et prenant demeure en le poème, là où, nous confie Réda, «je m'en vais sans ;mJ,rner la tête, car on m'attend Comment répondre en ce moment d'une lecture, tandis que sourd la tentation de s'abandonner soi·même au poème, sinon qu'en l'inépuisable livre une fête a lieu... Alain Huraut

Dusan Matic La Rose des vents Texte français d'A. Dalmas Fata Morgana, éd.

«dans la noirceur de f encre et et de la nuit », attirées par elle, la femme, la sœur, la mère, la fille, le sexe vivant des ténèbres, fascinées par cette lumière qui est déjà promesse d'aube.

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Entre l'heure du crépuscule et l'heure presque semblable de la nuit, quand les objets reprennent à la faveur des ténèbres, la liberté de leurs contours, comme si tout le jour ils étaient ligotés d'un carcan de lumière, l'homme ne subit·il pas lui aussi les lois d'une alchimie de l'ombre, ne perd.il pas, à l'occasion du franchisse· ment de cette ligne obscure, la fragile unité de son être? Cette question et cette heure cruciale, je les retrouve à tout moment dans les poèmes de Dusan Matic. Ces poèmes, je ne les connaissais jusqu'à ce jour que par les courts extraits publiés dans l'An· thologie de la poésie yougoslave contemporaine (1) et deux numéros des Lettres Françaises (2). Un recueil plus important, plus significatif aussi, la Rose des vents, premier volet d'un dyptique dont le second, les Portes de la nuit, doit paraître prochainement chez le même éditeur, pose à nouveau cette question, surgie comme à l'orée du crépuscule: où réside le nœud de l'homme qui lie, retient, resserre en lui ses person· nalités multiples, ce nœud que la nuit défait et que l'aube refait, comme un incessant voyage de soi·même à soi-même? . Pendant les années d'avantguerre, Dusan Matic a vécu à Paris où il connut Aragon, Eluard, Breton, s'imprégnant tout entier de l'expérience surréaliste. Cette expérience ne l'a jamais quitté, elle a marqué son œuvre mais je crois qu'on aurait tort de ne voir en lui qu'un poète surréaliste, adepte d'une école et porteur d'un message unique. On devine déjà dans les œuvres d'après-guerre, la volonté d'aller au-delà de toutes les écoles, de saisir, en explorant les limites du langage par un langage lui-même critique, lucide et lyrique à la fois, l'écoulement de la vie: De là vient peutêtre ce sentiment de découvrir à travers ses différents textes les fragments d'un poème unique, jamais interrompu, murmuré depuis des années et que d'autres, à leur tour, pourraient continuer après lui.

La Q!!iazaine du 16 au JI octobre 1970

Songes et mensonges de la nuit

Ainsi, d'emblée, cette Rose des vents qui est le second nœud caché où se lient, se délient, se relient les souffles contraires du monde, comme le cœur figé du cyclone, l'œil immobile du typhon (et la poésie de Matic est en beau. coup d'endroits une poésie des météores, des vents, des jeux et des courants de l'air qui livrent sur nos têtes un combat dont le poète - météorologiste du cœur - cherche â saisir les moments et les lois), cette Rose des vents est, comme l'homme, le lieu des hautes turbulences et le symbole de l'immobile. Et c'est apparemment la nuit, ou au seuil de la nuit, que se situe le moment crucial où le nœud se défait, où les vents sont lâchés vers les points cardinaux du destin, où l'homme s'émiette en autant d'images de lui·même, vivant leur propre vie. Cet émiettement, Matic le traduit au sens propre, par le langage et la syntaxe. Les personnages de la Rose des vents - qui est une sorte de poème ou de contre-poème en prose, en forme de dialogues solitaires - s'appellent je, tu et il. L'auteur lui-même les définit au début du poème et je n'en dirai rien de plus. Mais leurs jeux singuliers, où les moindres gestes prennent le sens étrange qu'ont les phrases entendues dans un demi-sommeil, visent au fond à retrouver l'unité première de celui qui est à la fois je, tu et il. Un seul homme en trois personnes: Matic nous livre les arcanes d'une profane Trinité dont les trois composantes masculines sont, au cœur «du vivant pétrin des té,wbres:., dans ce jeu mené

Ce qui m'a frappé, néanmoins, à la lecture de cette œuvre, c'est qu'à aucun moment, le poète n'y livre de recettes. Les personnages tâtonnent, essaient des gestes arbitraires, manient des objets hasardeux, des phrases provocantes comme si, du hasard seul, devait surgir le miracle de l'unité, quel. que illumination nouvelle. Ils re· commencent à zéro le jeu du mon· de, livrant à l'imprévu les portes du possible. Et le poète veille avec eux puisque la nuit est pour eux le moment de l'éveil. A l'inverse de Saint-Pol Roux qui, à l'heure de dormir, écri· vait sur sa porte: «Le poète tra· Matic garde les yeux. ouverts et refuse les songes et les mensonges de la nuit. Il cherche les mots à tâtons, caressant un verbe, effleurant un adjectif, sai· sissant des deux mains une image 'et c'est pourquoi les mains sont si présentes, si vivantes en son œuvre, ces mains qui «fouillent, explorent les profondeurs nocturnes, immémoriales qu'à notre in· su nous portons en nous-mêmes durant la veille du jour elles sont ce qui permet à l'aveugle de voir dans sa nuit, le langage de la cécité. D'où aussi, sans nul doute, cette importance de la veille, de l'attente lucide, des yeux ouverts sur les ténèbres. Heureux les insomniaques, murmurent les vents libérés de la Rose. Heureux les insc:nniaques, murmure le poèt<e en ouvrant la fenêtre du soir, déjà prêt à af· fronter les sortilèges de la nuit. Car seules l'insomnie, et le dur désir de veiller permet au poète d'effacer u·n à un les 'fantômes, de forcer les portes du jour et de tenir entre ses mains, avec la Voie Lactée, toute la buée des étoiles. Piere seghers, 1959. (2) Hommage à Dusan Matie. 18 septembre 1968 et 7 mai 1969. (1)

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Faut-il rééduquer" Il

TRIBUNE

par Bernard Plngaud

Dans le dernier numéro de l'Idiot International, Sartre tente de définir le rôle de l'intellectuel, avant et après la crise de mai 1968. Ce texte, rigoureux comme à l'habitude, n'a pas seulement le mérite de nous éclairer sur les raisons qui ont pu conduire son auteur à prendre la direction d'un, puis de deux journaux • gauchistes -. /1 pose un problème de fond, auquel aucun écrivain de gauche, aujourd'hui, ne peut rester insensible. L'intellectuel, nous dit Sartre, est quelqu'un qui dispose d'un ensemble de connaissances visant à l'universalité. Mais ce savoir a beau être universel, il ne sert ja· mais tous les hommes à la fois :" dans un pays comme le nôtre, où subsistent les barrières sociales, il sert essentiellement la classe dirigeante. L'intellectuel fait luimême partie de cette classe : tra'" vaillant pour les privilégiés, il se trouve, en fait, de leur côté. Il est donc pris dans une contradiction permanente. Certains « techniciens du savoir pratique» s'accommodent fort bien de cette contradiction. L'intellectuel - ou du moins l'intellectuel classique, celui d'avant Mai - en souffre et la dénonce. C'est un homme qui a, par définition, mauvaise conscience. Logiquement, cette mauvaise conscience devrait l'amener à se contester lui-même. Mais comme elle est aussi ce qui le rend utile aux autres, ce qui lui permet, en chaque occasion, de critiquer la violence qui se cache derrière la loi, les intérêts particuliers déguisés en prétentions universelles, l'intellectuel «aime son rôle ». Mécontent de luimême en principe, il n'en con· tinue pas moins, d'une part à travailler pour la société qui le privilégie, d'autre part à condamner (dans des meetings, des articles ou des pétitions) la répression qui entretient ce privilège. Autrement dit, il trouve «une bonne conscience dans la mauvaise conscience ». C'est cette tranquillité que les étudiants de mai 1968 ont détruite. Comprenant qu'on allait faire d'eux, « malgré tout» (c'est-à-dire malgré leur formation universaliste) «des travailleurs salariés pour le capital ou

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desfli'C8 qui permettraient de mieux tenir une boîte », ils ont décidé de ne plus jouer le jeu. Leur contestation, dans la mesure où elle remettait en cause un statut accepté, jusque-là, comme allant de soi, était donc dirigée, en premier lieu, contre les intellectuels. Ainsi s'explique que ceux-ci ou se soient tenus à l'écart du mouvement, ou, après l'avoir rallié en pensant l'utiliser à leurs fins, aient rapidement «décroché ». Peu d'entre eux ont compris qu'ils se trouvaient en présence, non pas d'une révolte de type classique susceptible de tomber, comme toujours, sous leur juridiction, mais d'un mouvement qui les niait en tant qu'intellectuels, et les obligeait, s'ils voulaient suivre, à une conver· sion radicale. La conclusion est claire: les intellectuels n'ont plus, aujourd'hui, qu'à «se supprimer », ilU' trement dit à reconnaître que leur mauvaise conscience ne les justifie pas et à mettre leur pro· pre !lavoir «directement au service des masses ». «Il faut que les intellectuels apprennent à comprendre l'universel qui est désiré par les masses, dans le moment, dans l'immédiat. »

Après Mal Ce raisonnement, parfaitement logique, repose sur deux affirma· tions complémentaires. La première est que Mai a marqué un changement radical dans notre société. Il est difficile de l'accepter sans nuances, car elle est à la fois vraie et fausse. Certes, nous étions nombreux, alors, à penser qu'après ces événements, «rien ne serait plus comme avant ». On ne peut pas dire que lcs faits aient vérifié le pronostic. Nous nous souvenons aujourd'hui de Mai comme d'un moment de rupture, où tout paraissait possible. Mais la rupture n'a pas duré. Si ce souvenir persiste vivace au point d'obséder aussi bien la droite, qui le redoute, que la gauche, qui en garde la nostalgie - , qui peut dire en quoi, réellement, Mai a consisté ? Il s'est passé quelque chose, pendant quelques semaines, et ce quelque chose a disparu. C'est 1'« objet perdu» des psychana-

lystes : nous le retrouvons partout sans jamais le reconnaître nulle part. Les structures de la société française sont sorties de Mai à la fois ébranlées et intactes. La fissure un moment entrouverte s'est refermée, laissant place aux mêmes problèmes, exactement, que ceux qui se posaient «avant ». Nous ne pouvons donc ni faire comme si cela n'avait pas eu lieu, en tirant un trait sur le passé, ni faire comme si cela durait en· core, ou comme si cela allait se répéter d'un jour à l'autre. La fidélité à Mai est, à la lettre, impossible; car, nous le voyons mieux à présent, les chances de Mai (son radicalisme, son «lyrisme », son refus de l'organisation) ont été aussi les raisons de son échec. C'est pourtant cette deuxième affirmation, présentée sous la forme impérative du «il faut », qui sous-tend toute l'analyse de Sartre. Je n'utiliserai pas ici l'argument facile qui consisterait à lui reprocher la bonne conscience que lui-même peut trouver dans la dénonciation de la mauvaise conscience des autres. Je m'étonne seulement qu'il ne voie pas dans quelle hnpasse son raisonnement le conduit: car, ou bien l'intellectuel se supprime réellement en tant qu'intellectuel, et le rôle que Sartre voudrait jouer aujourd'hui n'a plus de sens; ou bien quelque chose de l'ancien intellectuel subsiste dans le militant de 1970, et alors, de fil en aiguille, ce sont toutes ses contradictions qui resurgissent. On le voit dans la suite de l'entretien. Je ne pense pas seulement au passage où Sartre, après s'être mis lui-même en cause, conclut à la nécessité d'achever son Flaubert, dans l'espoir que ce travail «à longue échéance» pourra «encore servir ». Je pense à sa conception du savoir, qui oscille entre l'idée d'un savoir dès à présent universel (par exem· pIe, les mathématiques) et celle d'un savoir bourgeois (déformé par une « manière particulariste» d'apprendre les mathéma· tiques). Je pense au projet d'un journal révolutionnaire qui serait ecrit par les ouvriers et les intel· lectuels «ensemble»: «Les ou· vriers expliquent ce qu'ils font et les intellectuels sont là à la pour comprendre, pour apprendre, et en même temps pour donner à la chose un certain type

de généralités.» Cet «en même temps» me paraît fort peu dialectique, et je m'interroge sur ce que pourraient être «un c'ertain type de généralités» qui ne seraient pas les généralités univer· selles de l'intellectuel classique. Mais le plus significatif est ce que Sartre dit de l'orientation de la presse révolutionnaire. Déplorant que trop souvent, «les journaux bourgeois disent plus la vé· rité que la presse révolutionnaire, même s'ils mentent », il affirme le droit des masses à la « vérité ». Où se situe donc cette « vérité» aux prétentions universelles? Si «la vérité est révolutionnaire », et si, d'autre part, comme le note Sartre un peu plus loin, les révolutionnaires « ne veulent pas la vérité» parce qu'on leur a «bourré le Diou », ne retrouvons-nous pas le schéma classique de l'intervention de l"intellectuel, appelé à dénoncer le «particularisme », non plus, cette fois, de sa propre classe, mais de celle dont il a pris le parti ? Et peut-on dire, dès lors, que le vieil antagonisme, allègrement dénoncé au début, est surmonté?

La mauvaise conscience L'erreur de Sartre qui l'amène à penser qu'on ne doit plus rien attendre des intellectuels traditionnels - est de raisonner comme si, dès à présent, nous habitions cette société «universaliste» où les masses pourraient parler aux masses, dans une transparence que rien ne viendrait troubler, et qui n'aurait «objectivement pas de place pour l'intellectuel ». Ou du moins, si la transparence n'existe pas encore, ce n'est plus qu'une question d'« apprentissage»: l'intellectuel doit s'initier au «langage des masses », mais il est déjà de leur côté. Je crois pourtant me souvenir que, dans Qu'est-ee que la littérature?, Sartre tenait le raisonnement inverse: montrant l'illusion d'une société universaliste (la «cité des fins»), il en déduisait la nécessité de l'engagement et définissait l'écrivain engagé comme un traître à sa classe. Mai nous a fait croire, un moment, que cette illusion était devenue réalité. Et qUe nous ayons


l'intellectuel? pu le croire un moment, que nous ayons pu, pour ainsi dire, toucher du doigt, pendant quelques semaines, une autre manière de parler, de vivre, n'est certes pas un événement négligeable. Même si cela n'apparaît pas avec éridence dans leur comportement d'aujourd'hui, il a profondément ébranlé un grand nombre de ces intellectuels à qui Sartre reproche de n'avoir rien compris. Mais la question n'est pas de savoir si nous avons compris ou non, si nous avons suivi sincèrement le mouvement ou si, au contraire, nous avons essayé de l'utiliser pour «réaliser des idées» que nous avions «avant ». est de savoir si, dans la société française, telle qu'elle se présente deux ans après Mai, il y a un intérêt quel. conque, non pas, bien sûr, pour nous, mais pour les masses, à ce que l'intellectuel se «supprime ». Je suis, pour ma part, totalement convaincu de la justesse des propos de Sartre quand il analyse le comportement de l'intellectuel du

type classique. Mais je ne vois pas comment l'intellectuel de 1970 pourrait échapper à la c mauvaise conscience» qui était déjà la sienne en 1968. La contradiction est peut-être devenue plus éclatante, plus décourageante; elle requiert, sans doute, des ac· tes qui nous compromettent da· vantage, des formes d'intervention nouvelles. Mais, comme le prouve l'attitude hypocrite, mais finale· ment très lucide, de la justice bourgeoise à l'égard de Sartre (ce n'est pas un c militant », puisque c'est un c intellectuel »), nous n'en sortirons pas dans un avenir prévisible. Nous continue· rons, les uns et les autres, à écri· re des articles comme celui.ci, à participer à des réunions, à des meetings, à des colloques, à si· gner des pétitions. Nous ne cesserons pas d' c aimer notre rôle », tout en nous interrogeant sur son utilité. Notre c rééducation », comme dit L'IDIOT, est décidé· ment très c improbable ».

Bernard Pingaud

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IA:'POÉSIE ÉDÎTiONS, .

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VICENTE ALEIXANDRE

du 16 au JI octobre 1970

JEAN HERCOURT

Matière friable

1

Terre de Dénuement Présentation de Georges Haldas

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ROBERTO JUARROZ

Poésie verticale

Version Verhesen

CLAIRE LEJEUNE·

Le Dernier Testament

RENÉ MÉNARD

Architecte de la Solitude

PERICLE PATOCCHI

Horizon vertical

LA LITTERATURE EN FRANCE DEPUIS1945

FRANCIS GIAUQUE

1 1· l' l

Testament du Haut-Rhône

MAURICE CHAPPAZ

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Racines de ma Voix

16 pages en couleur

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ROMANS

Trouble et sauvage FRANÇAIS

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Claude Delmas Le Schooner Flammarion éd., 270 p.

Plus encore que dans ses précédents romans, Claude Delmas dans le Schooner refuse le récit sans pour autant nous priver d'une histoire. Quelque chose se passe. Le héros vit une aventure étrange et romantique, qui, com· me les plus classiques des aventures, commence par un départ de la maison familiale et s'achève par un retour au foyer. Une fois la parenthèse refermée, le héros peut dire ce qu'il a vu et vécu, comme le matelot ou l'ancien combattant à la table familiale. Et le narrateur, ici, est bien d'une certaine manière un voyageur, un marin, un soldat. Seule· ment les contrées qu'il a traver· sées, les combats qu'il a menés semblent être en marge des car· tes de l'histoire et bien plutôt sortir d'un cauchemar d'adoles· cent hanté par la révolte, le sexe et la mort. Cependant, les images qu'il nous livre, les sCènes qu'il évoque, sensuelles, cruelles, fantastiques, les fleuves charriant des cadavres que des jeunes gens singulièrement beaux repêchent pour les dépouiller de leurs bi·

joux, les petites filles que la folie guette et qu'on enferme dans un établissement où on les prépare à connaître tous les raffinements de l'érotisme, les cavaliers entrant dans la ville abandonnée pour s'y livrer à de grands jeux comme lancer depuis la colline des wagons sur les rails pour qu'ils aillent en contrebas s'abîmer dans la mer, ont une fasci· nante intensité. Elles sont d'autant plus troublantes qu'elles surgissent et disparaissent comme les tours du' château de Dracula durant le temps d'un éclair. En effet, Claude Del mas n'expose pas les événements dans une suite logique, ne se soucie pas de les lier entre eux, encore moins de les expliquer. Quel est ce pays où les adultes meurent comme des mouches, où semblent ne survivre que des adolescents et des enfants ivres de leur liberté et des soldats défendant un ordre :.:oort? Quelques allusions suffisent et la présence de Perez, l'énigmatique révolution· naire, ancien amant de la reine, qui sourit devant la prétention des jeunes gens de changer l'or· dre du monde, pour qu'on décèle )a trame symbolique, l'illustration . des conflits de génération, l'exaltation de la jeunesse qui

refuse les compromis et les calculs de la société et voudrait maintenir contre tout et malgré tout sa jeune force et sa merveilleuse disponibilité. Mais pour l'essentiel, Claude Delmas se contente de poser des touches, précises, violentes, qui contiennent l'essentiel. Pas de liaison. Pas de temps mort. Pas de discours. L'histoire se dégage d'elle·même d'une succession de tableaux brefs, nets, petits poèmes au lyrisme dépouillé, coupants comme des lames. Cependant le livre dégage un étrange romantisme. Les personnages de John, de Suzan, d'IIya ont le charme trouble et sauvage de ces héros qui vivent déjà de l'autre côté des choses. Aussi bien le narrateur, ami de l'un, aimé des deux autres, ne peut rien pour les sauver, mais seule· ment dire ces moments uniques, incomparables qu'il leur a dus et qui ne furent peut-être que des songes. Car le Schooner, écrit avec une précision extrême, cst la fable de la jeunesse pour qui le sexe et la mort sont les seuls moyens de se perpétuer, d'échapper à la résignation de l'âge mûr, aux pièges trompeurs de la raison.

ment compliquée par ce que l'on croit être l'exigence romanesque, et en train de lire deux récits distincts, mais rédigés pareillement à la première personne: celui d'un journaliste fralchement débarqué et celui d'un ingénieur ayant déjà une longue expérience africaine. n importe peu, à la vérité, de savoir avec lequel de ces deux personnages s'ident1fl.e l'auteur, puisque leur expérience débouche, en défl.nltive, sur la découverte d'une même ambigulté et qu'Us doivent tous deux - de façon, hélas 1 assez semblable faire l'effort de remplacer les idées reçues par des vues plus personnelles de ce pays africain. Autant les fondre, alors, en une seule et même personne et découvrir avec elle que l'ère des apôtres est bel et bien révolue, que dix samaritains ne valent pas un bon technicien, que s'U faut obliger les gens à travailler ce n'est pas au nom de leurs besoins à eux, mais de ceux du pays, que les poussées de haine et de racisme existent de part et d'autre, que tout le monde parait être la victime d'un fantastique malentendu et que les c petits blancs., entl.n, ne sont que d'abjects petits bourgeois méprisables. Tout cela - d'où Jean Chatenet a

heureusement banni tout exotisme ou pittoresque douteux - n'a rien de réjouissant, mais est en même temps parfaitement tonique. Car du fait que les choses sont appelées ici par leur nom et que la vérité est dite sans ménagement à droite ou à gauche, en noir ou en blanc, ce livre dégage cette sorte de vigueur qui, si elle s'éloigne de la littérature, n'a pas moins le mérite de s'approcher de la vraie vie. Adieu « l'Afrique éternelle» des bonneE âmes qui hérissent Jean Chatenet et ouvrons les yeux sur la réalité des Africains. Les quelques livres qui nous sont parvenus de là-bas font assez clairement comprendre que' l'heure n'est plus aux avis doctement exprimés à quelques milliers de kilomètres de distance et que les paysages physiques ou psychiques évoluent plus vite que les théories savantes. Mais aussi, depuis, une nouvelle race est née, que Jean Chatenet est le premier à étudier tout en la menaçant d'une marmite et dont on découvre, avec lui, qu'elle peut être de couleur changeante. Reste à savoir, encore, qui voudra bien prendre le risque de l'avaler.

Claude Bonnefoy

Une nouvelle race

1

Jean Chatenet ' Pètlts blancs, vous serez tous maDl'és Le seuu éd., 272 p.

Les premières pages sont aussi percutantes que le titre: au cours d'un déjeuner dans la brousse, Africains et Européens devisent aimablement du cannibalisme. c Pourquoi est-ce qu'Us ne bouffent jamais les Blancs? », demande quelqu'un. c Vous savez bien que les Blancs sont comptés, lui rétorque-t-on. D'ailleurs, la viande blanche ne vaut rien: même diflérence qu'entre la pintade sauvage et le poulet de claustration.. c n faut rompre avec les préjugés, conclut l'autre. n faut qu'Us s'habituent à bouffer les Blancs.• Au petit frisson qu'U ressent, le lecteur reconnalt que l'auteur a marqué un point. Jean Chatenet n'est d'ailleurs pas un inconnu; ce livre au titre menaçant est son cinquième roman et fruit, ·en outre, de son expérience africaine, puisqu'U séjourna deux ans dans ce qu'U appelle pudiquement. c le pays» (mais où U n'est pas interdit de reconnaltre la Côte-'d'Ivoire) dans le but d'y adapter les procrammes de radio

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aux intérêts d'un auditoire éminemment rural. Mais, Dieu qu'U est difficUe de faire un bon roman avec des faits vécus 1 Tous les pourtant, sont réunis, depuis l'observation fl.ne et juste des habitants - autochtones ou importés aux divers titres de la coopération, de la collaboration ou surtout des négociations - jusqu'à l'attachement que l'on sent vrai et profond pour Cette terre et ses gens, et qui est exprimé avec juste ce qu'U faut d'humour pour donner l'impression que tout ce qui est dit dans ce livre relève de cette objectivité naturelle que l'on demande en vain à tant d'écrivains qui prétendent c témoigner •. Si donc Jean Chatenet s'était contenté d'un reportage, celui-ci aurait été passionnant et,' contrairement à ce qu'U semblait craindre, non limitatif,. puisque les faits qu'U rapporte et qui ont tous le mérite d'éviter les lieux .communs sur la bonté des uns ou la tIIléChanceté des autres (ou inversement> avaient largement de quoi faire réfiéchir. Mais il a voulu de la fiction 1 Nous voici alors' dans une situation inutile-


Une mécanique subtile

1

Bertrand Poirot.Delpech

La folle de Lituanie Gallimard éd., 232 p.

Un roman épistolaire, aujour. d'hui, voilà qui peut surprendre et paraître un étrange retour aux vieilles modes, d'autant plus étrange que Bertrand Poirot·Del· pech, dont on connaît le talent, li'il a toujours fait cavalier seul par rapport aux avant.garde8 n'a point pour hahitude de donner tête haissée dans les pièges du romanesque. Au reste, le ton rassure qui est, dès l'ahord vif, acide, imperti. nent, laissant deviner sous l'hu· mour une gravité cachée. Et lors· que son héroïne, Cadine, com· mence sa première lettre par une houtade« Vieilles, nous? Jamais on pense aussitôt: Vieux jeu, lui? pas, et s'il feint de se plier aux conventions les plus classiques du roman par let· tres, c'est qu'il réserve à ce clas· sicisme·là, à la première occasion, un méchant coup de hec. On guette donc le moment où il va rompre le rythme, dénoncer la fraude, mais plus malin que nous, il s'amuse à nous égarer sur de fausses pistes - histoire poli. cière, satire sociale, journal inti· me, drame hurlesque, récit éroti· que - à jouer de tous les arti· fices du romanesque et à les faire jouer entre eux pour finalement remettre en cause, sans en avoir l'air, le sens même de son roman et ouvrir du même coup au lec· teur naïf qui l'avait pris à la lettre, de vertigineuses perspec· tÎ'ves. Tout fonctionne dans la Folle de Lituanie selon une mécanique très suhtile et qui ne pèse jamais tant elle se dissimule sous une écriture rapide, pétillante, toute en rupture, du tendre au trivial, du sérieux au fantasque, et tant l'auteur excelle à donner le chan· ge. Car, apparemment, il semble respecter les règles du genre. Mieux, il y réussit parfaitement. Une femme écrit à une amie d'enfance qui s'est mariée il y a vingt ans, avec un pilote améri· cain, et qu'elle n'a pas t'evue de· puis, elle lui rappelle leurs adieux à Orly, leurs souvenirs communs d'orphelines- pendant et après la guerre (son pêre, tué au front, les parents de Nasta morts .en dépor. tations), l'admiration qu'elle avait pour elle et son dépit, alors, de

n'être qu'une petite Duhois, une hanale petite Française et non point, à sa ressemblance une étrangère fière de sa singularité et s'offrant toutes les audaces. Aus· sitôt, cette femme a une voix, et on l'écoute, son amie a un visage, un comportement, et on la voit. Pour un romancier clas· sique, la partie serait gagnée; il lui suffirait alors de glisser dans le dialogue des deux épisto· lières une intrigue qui se déve· lopperait de lettre en lettre. Or, justement, Poirot.De1pech refuse ce canevas. Il sait les dan· gers du genre comme il en utilise les" ressources. Si les deux dames correspondent normalement, si chacune s'épanche dans le cœur de l'autre, si dans le jeu appa· raissent d'autres correspondants, maris, amants, frères, filles, l'au· teur redevient du même coup le romancier Dieu qui jouit de tOU8 les points de vue, qui lit dans les cœurs, viole les secrets de la correspondance et dispose des des· tins à sa guise. Donc Nasta ne ré· pondra pas, ce qui n'est point sans troubler le lecteur ni sans gêner Cadine elle-même, mais le désarroi de celle·ci est tel, les évé· nements auxquels elle se trouve mêlée sont si divers et parfois si étranges qu'on comprend son be· soin de se confier à quelqu'un qui ne répond pas, mais qui du moins la lit - puisque ses lettres ne lui sont pas retournées. Mais Cadine étant seule à écrire, elle retrouve la position classique du narrateur derrière qui l'auteur s'efface. Tout s'or· donne autour d'elle, à .partir d'elle, prend corps dans ses mots.

La Cl-uinzaine Littéraire du 16 au 31 octobre 1970

Seulement, alors que le narrateur. romanesque monologue,' parle pour lui·même ou pour n'importe qui, se confie au papier en toute liherté sans avoir rien à cacher, sans attendre de réponse, l'épis. tolier s'adresse à quelqu'un qu'il peut questionner, qui peut inter· roger en retour, devant qui il se compose un visage. D'où des em· hellissements, des omissions, des omhres qu'il importe de démas· quer, qui imposent de lire entre les ligbes. D'où aussi des allu· sions, des clins d'œil, des mots clefs, rappels de rites anciens, signes d'une vieille complicité et que seul le correspondant déchif· frera du premier coup. Ainsi le narrateur acquiert une plus gran· de crédihilité. Poirot.Delpech joue de toutes ces possihilités. Cadine connaît trop Nasta pour avoir hesoin de tout lui rappeler. Elle ne l'a pas vue depuis trop longtemps pour tout lui révéler d'un coup de sa vie présente, ses espoirs, ses dé· ceptions, ses peurs. Elle est Ion· gue à passer aux aveux, donnant comme présent ce qui est déjà passé. laisse pressentir des situations hizarres, des drames. On s'attend au hanal, aux diffi· ciles relatIons avec le mari, avec la fille, et on l'a : elle conte crû· ment sa vie conjugale, la mala· dresse de Paul la, première fois qu'ils se trouvèrént seuls dans une chambre, avant leur maria· ge, elle dit avec mélancolie ou avec un humour pudique la las· situde du couple, la '. révolte de leur fille Sylvie, la tentation de l'adultère. Mais l'extraordinaire aussi est là, qui colore tout. On assassine des Duhois, ·systémati. quement, mais 4es Duhois ayant une certaine Jor· tune ou de hautes fonctions. 1'0us les Dubois sont saisis par la terreur. Le puhlic commence à sus· pecter les Duhois d'être une race à part, inquiétante, que peut.être il vaudrait mieux supprimer. Mais la réaction inverse est le succès' des conserves Duhois, dont Cadine est l'héritière et dont 80n mari est le directeur. Tout s'en· chaîne alors dans un tourhillon où passent les souffles mêlés de la Série noire, des Marx Brothers et de Sade. La 8cène où Cadine fait 8a première ho· mosexuelle dans la. pièêe où elle vient de découvrir son mari mort, ct y met tant d'ardeur qq.'elle n'entend pas l'arrivée des poli.

Gilles Sandier

THEITRE' ET aO.BIT Regards sur le théâtre actuel

Un bilan passionné et polémique, à l'image de son auteur, combattant et militant de ce qui constitue aujourd'hui le théâtre vivant. THEATRE OUVERT collection dirigée par Lucien AltOlln

A traver.• des pièces inédites, des textes-programmes, des essais et documents, THEATRE OUVERT, en suscitant un théâtre de création, se propose de participer au théâtre de notre temps, un théâtre qui dérange en refusant l'acquis.

Gérard Gelas THÉÂTRE

DU CHRNI,,' NOIR

OPERA

Stock éditeur 11


Polrot-Delpech

ciers est un joli morceau d'hue mour noir, traité avec cette chlauté élégante que possèdent quelques cinéal\tes anglo.saxons. Mais ces histoires délirantes, où rôdent des espions, des artistes contestataires, des g,ouïnes et, derrière eux, comme d'inquiétan. tes figures de carnaval, l'inceste, la. folie et la mort n'empêchent pas Cadine, c'est le mal du retour d'âge, de philosopher, parfois un peu longuement, souvent avec drôlerie, sur les mœurs contem· poraines et le sens de la des· tinée. Mais c'est le jeu dans lequel Cadine se trouve prise qui cache le vrai sérieux. Poirot.Delpech utilise là toutes les formes du roman, même du roman populaire, policier ou érotique pour les détruire par leur excès ou leur confrontation et les fondre dans un même récit comme il n'use des thèmes à la mode, de la politique à la sexualité, que pour nous proposer une critique acide de notre société. On admire 60n habileté de réussir à glisser tout cela dans le cadre conventionnel d'un roman épistolaire. Si on s'est pris au jeu, on s'aperçoit brutalement que la machine était truquée. Nasta, sans doute, n'existait pas, était le retour d'un fantasme enfantin, du désir jadis éprouvé par Cadine d'une amie merveilleuse ou d'être elle·même une orpheline aux origines mystérieuses. On croyait à la réalité des récits de Cadine, puisqu'elle les faisait à quelqu'un. Ne s'adressant à .per· sonne, leur consistance s'évanouit. «Dites tout de suite que j'écris un roman », s'écrie Cadine devant le psychiatre (une femme, les· bienne) qui répond: «Pourquoi pas?» Tandis qu'elle reprend sa correspondance pour justifier Nasta par ses lettres ou faire croire qu'elle est victime d'un complot, Poirot.Delpech nous rap· pelle que le recours au mot roman suffit à dissiper ou à mule tiplier comme on voudra les illu· sions du romanesque, et que le sens du texte, s'il dépend de qui parle et de qui écoute, suppose d'abord l'existence singulière de celui·ci, distincte de ce qu'on nomme les choses ou le réel. Qu'importe, après tout, que Nasta· existe ou non, si l'on prend plai. sir à la Folle de Lituanie.

Un mal insidieux

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Henry Bonnier L'Amour des autres Alhin Michel éd., 269 p.

Après son premier roman, Del· phine, histoire d'une femme qui mourait pour avoir épuisé tous les sens du mot rupture, Henry Bon· nier nous propose aujourd'hui l'Amour des autres. Rien de ré· concilié, toutefois, dans ce livre puissant et complexe, tout oc· cupé à arracher des pansements, à démasquer (à débusquer) des plaies. Blessure originelle ou coups reçus au long des années, un mal ronge chacun des person. nages. Ou mieux: chacun couve un mal, le chérit et en 'même temps le cache, épouvanté. Ce mal insidieux est mortel, et Hen· l'Y Bonnier montre les uns les autres aux prises avec la mort, qui approche, qui s'installe. Mais il est aussi, grâce à l'orgueil, leur seule façon de vivre: en se sur· vivant. Vilmont elle·même, la ville où habitent, comme enfermés par des remparts depuis longtemps éboulés, ces hommes et ces femmes, ne vit plus que d'orgueil blessé et de repliement satis/ait. Les intrigues, les amours, ce bal en· . core que vont donner de mûris· santes et dragonesques dames de charité, tout à Vilmont sombre sous la poussière. Les actes de ces moribonds n'affleurent plus que par une faible pulsation, un re· mue·ménage de souris. Et la vieille demoiselle du télé· phone, qui établit les communi· cation, qui donne la parole, est le dérisoire chef d'orchestre de l'ac· tivité mesquine de Vilmont. Eiran· gère, et présente partout car elle écoute vivre, elle écoute mourir les autres (tel ce chauffeur de poids lourd dont more tel illumine d'ironie et d'horreur le bal des bourgeois indifférents), elle tient dans ses inains, au·delà des clés et des jacks du tableau, cet amour nourri de ses refus et de ses rêves, offert au monde qui' n'en a cure. Et au cours d'une longue nuit de travail, le temps du roman, elle se laisse happer par une joie où se retrouve l'or· gueil des habitants de Vilmont: elle aussi a découvert sa blessure, elle est.remontée, souffrante et . triomphante, jusqu'à la source empoisonnée de son amour des autres, jusqu'à la cause boiteuse Claude Bonnefoy de sa vie.

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Henry Bonnier ne s'arrête pas là. Les rues abruptes de Vilmont, écrit-il, forment huit cercles concentriques, qui s'entrecroisent et se chevauchent si bien, qu'ils (... t donnent fimpression qu'il est pOSe sible d'aller dans toutes les di· rections. Ainsi de son livre où s'étagent plusieurs niveaux de lecture. Niveau psychanalytique, d'abord: celui auquel on est sans doute le plus directement invité. Comme la vieille demoiselle du téléphone, il faut retrouver, parmi tilnt de fils, le fil du malheur, un malheur que l'on s'approprie et qui cessera peut.être alors de peser. Niveau psychologique. L'A mour des autres contient toute une série de portraits, sinistres mais brillants, peints comme en pas-

sant mais inoubliables. Vieillards croupissant dans leur dignité ras· sise, couples haineux, douairières, jeunes filles cristallines (mais le cristal se casse, et coupe) ... Un monde provincial, où les humains ont leur façon particulière d'être laids, ridicules et méchants. Et l'on débouche ainsi sur le niveau sociologique, et partant politique, du livre d'Henry Bon· nier. Plus encore que de moder· nes Scènes de la vie de province, on y trouve en effet l'analyse, par·

fois véhémente, de cet enfouissement, de cette dégradation des villes demeurées à l'écart, hors des routes fréquentées, hors du temps, hors de la vie: Il y avait des voyageurs; il ne reste que des touristes. Vilmont n'est plus qu'un musée, le musée de soi-même, dont ses habitants sont les gardiens, tâtillons ou insoucieux. La ville est hors de la vie, eux sont hors du bonheur. On devine, ici, la cri· tique pleine d'amertume du «désert français », et, beaucoup plus profondément encore, de ce mon· de mort (...) à féchelle d'une vil· le, d'une société, d'une civilisa· tion, où le simulacre aurait rem· pli la réalité. Quant aux causes d'un tel désastre, quant aux remèdes, Henry Bonnier n'épargne personne, et semble n'attendre rien de personne. Tous les hori· zons politiques sont tour à tour évoqués, stigmatisés et rejetés. Les gauchistes aux cheveux longs en prennent pour leur grade, ml\is les nantis ou les petits bourgeois sont aussi bien vilipendés. Une seule allusion demeure équivoque, ou malheureuse: le national·socialisme, qu'ils (les jeunes) appelaient avec délectation nazisme, a/in d'oublier (..,) qu'à forigine fappellation contenait le mot de socialisme. Bref, selon Henry Bon. nier, le salut ne vient, pour cha· cun, que de l'intérieur de soi· même, de l'âme. C'est dans l'âme de la demoi. selle du téléphone que sont nés tous les drames, toutes les joies, qu'elle n'a pas vécus, et dont elle nourrit amoureusement la vie des autres. Mais, qu'elle-même soit ou non sauvée, elle remplit jus· qu'au bout sa fonction de donneuse de parole. Comme l'auteur du Bre/ historique de la cathé· drale, comme f Encomiaste, c'est· à-dire «celui qui fait des dis· cours aux gens de son avec sa Prose de Vilmont, elle concourt à sauver la ville, par la parole. L'important, au fil des siècles, laisse entendre Henry Bonnier, ce n'est pas qu'une œuvre d'art (tel ce tableau anonyme et sans date accroché dans la cathédrale de Vilmont, et caché BOUS. la pous· sière) se manifeste avec éclat, avec insistance, c'est qu'elle cle· meure, fidèle à elle·même et à l'esprit qui l'a animée, présente dans le secret d'une vie.

Lionel Mirisch


André Breton •• Trait d'union Marguerite Bonnet a réuni, pour Gallimard, les textes d'André Breton qui ne figuraient pas encore en volume: articles, préfaces, réponses à des enquêtes, entretiens, primitivement publiés dans des journaux, revues ou catalo-

Lorsque, déjà en 1936, je me demandais quel avait pu être, sur le plan affectif, l'élément générateur de l'activité surréaliste (à laquelle on commençait à trouver son répondant dans le « surrationalisme. qui gagnait les milieux scientifiques), je le découvrais sans la moindre hé'sitation dans l'anxiété inhérente à un temps où la fraternité humaine fait de plus en plus défaut, cependant que les systèmes les mieux constitués - y compris les systèmes sociaux - paraissent frappés de pétrification. Deux ans plus tard, le philosophe Gaston Bachelard, dans les dernières pages de son ouvrage la Formation de l'esprit scientifique, exposait tout l'intérêt qu'il y a, du point de vue de la connaissance, à inquiéter sans cesse la raison et comme le dynamisme psychologique exige la continuelle alternance de poussées, les unes empiristes, les autres rationalistes. Il y avait beau temps qu'on n'était plus dans une période où la raison, appliquée à l'élucidation des événements qui se vivaient, pouvait cacher son embarras. A un an de là, la guerre éclatait. Depuis qu'elle a pris fin, chacun sait que se sont encore relâchés les liens, ne disons pas même de fraternité, mais de solidarité au sens le plus général, qui devraient unir l'ensemble des hommes. Durant le même temps, les systèmes sociaux en présence n'ont fait qu'exaspérer leur antagonisme, nous plaçant sous la menace d'un conflit exterminateur. C'est assez dire que, les conditions dans lesquelles il s'est développé étant ,loin d'être révolues, le surréalisme ne saurait être déjà rejeté dans le passé, au même titre que l'impressionnisme ou le cubisme par exemple.

gues d'accès difficile. Nous remercions Marguerite Bonnet de nous avoir permis de reproduire, avant la sortie de Perspective cavalière, la préface d'André Breton à une exposition surréal iste qui a eu lieu à Sarrebrück en 1952.

André Breton en 1957

Les surréalistes n'ont cessé de déplorer que, dans la première moitié de ce siècle, les rapports culturels entre l'Allemagne et la France, seuls susceptibles d'améliorer la compréhension et de créer la sympathie entre les deux peuples, aient été à ce point réticents, jusqu'au jour où ils sont apparus comme définitivement compromis. A toute occasion ils ont fait valoir ce qu'ils devaient à la pensée allemande aussi bien

qu'à la poésie de langue allemande. Cette première prise de contact d'un contact réel trop longtemps différé - comble donc leur vœu le plus cher. Le surréalisme est parti, en peinture, de la conviction que l'apparition de facteurs entièrement nouveaux dans la vie psychique (dus à la psychanalyse, à la Gestalt-theorie, au relativisme) et aussi le perfectionnement de certaines techniques modernes (photographie, ciné-

ma) rendaient caduque l'ambi· tion de reproduire ce qui tombe sous la vue, quand bien même l'artiste l'interpréterait selon son intelligence et sa sensibilité propres, aussi bien qu'en fonction des courants qui mènent son époque (impressionnisme, néo - impressionnisme, fauvisme, expressionnisme, cubisme, etc.). Comme je l'observais à l'occasion d'une des premières expositions internationales du surréalisme, celle de Copenhague en 1935, « la peinture, jusqu'à ces dernières années, s'était presque uniquement préoccupée d'exprimer les rapports manifestes qui existent entre la perception extérieure et le moi. L'expression de cette relation s'est montrée de moins en moins suffisante, de plus en plus décevante.. A force de prendre appui sur les structures du monde matériel. elle prêtait à accorder à telles d'entre elles un intérêt démesuré, cependant qu'encore une fois l'évolution des modes mécaniques de figuration frappait d'inanité bon nombre de ses prétentions. Dans ces conditions, les surréalistes estimèrent que «le seul domaine exploitable pour l'artiste devenait celui de la représentation mentale pure, tel qu'il s'étend au-delà de celui de la perception vraie.. L'important, ajoutais-je alors, est que l'appel à la représentation mentale fournit, comme a dit Freud, «des sensations en rapport avec des processus se déroulant dans les couches les plus diverses, voire les plus profondes, de l'appareil psychique •. En art, la recherche de ces sensations travaille à l'abolition du moi dans le soi. Elle tend à libérer de plus en plus l'impulsion instinctive, à abattre la barrière qui se dresse devant l'homme civilisé, barrière qu'ignorent le primitif 'et l'enfant. L'objectif final était de concilier dialectiquement ces deux tern1es violemment 'contradictoires pour l'homme adulte: perception physique, représentation mentale; de pero mettre, autour d'éléments subjectifs projetés par le moyen de la peinture, l'organisation de perceptions (nouvelles) à ten· dance objective. Le surréalisme, pris dans son ensemble, n'a jamais adopté d'autre démarche.

La Q!!inzainc Littéraire du 16 au JI octobre 1970

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André Breton

Cet appel à l'instinctif, cette volonté d'. abolition du moi dans le soi D, dans la mesure où ils tendent à faire prédominer le principe du plaisir sur le principe de réal.té, montrent assez en quelle suspicion, en quelle défaveur peintres et poètes surréal istes tiennent cette dernière, au moins telle qu'elle se définit de nos jours. Durant toutes les années où le ciel d'Europe s'assombrissait, où s'aiguisaient de part et d'autre des frontières les griefs qui allaient encore une fois déchirer le monde, non seulement ils se sont soigneusement abstenus de faire leurs ces griefs, mais ils ont cherché, ils cherchent encore à dégager, à rendre par· lant et audible, par-delà ce qui en surface divise les hommes, ce qui les unit en profondeur de manière à lui donner une bonne fois tout le champ. C'est en ce sens qu'ils se réclament du grand sociologue Charles Fou· rier, plus révolutionnaire que tous les autres pour avoir con· clu à la nécessité de • refaire l'entendement humain» en commençant par • oublier tout ce qu'on a appris ". Au sein du surréalisme, par définition l'artiste a joui d'une totale liberté d'inspiration et de technique, ce qui explique la très grande dissemblance exté· rieure des œuvres qui sont ici confrontées. Ce qui en toute ri· gueur qualifie l'œuvre surréaliste, quel que soit l'aspect qu'elle puisse présenter, c'est l'intention et la volonté de se soustraire à "empire du monde physique (qui en tenant l'homme prisonnier de ses apparences a si longtemps tyrannisé l'art) pour atteindre le champ psychophysique total (dont le champ de conscience n'est qu'une faible partie). L'unité de con cep t ion surréaliste, qui prend valeur de critérium, ne saurait être recherchée dans les « voies" suivies, qui peuvent différer du tout au tout. Elle réside dans la profonde communauté de but: parvenir aux terres du désir que tout, de notre temps, conspire à voiler et les prospecter en tous sens jusqu'à ce qu'elles livrent le secret de • changer la vie ". Paris, mai 1952.

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La suite des impostures

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Alain Jouffroy La fi" des alternances Gallimard éd., 312 p.

Tout va fort bien, rien de changé. Malgré la secousse salutaire grâce à laquelle, au printemps de 1968, le signe s'est enfin rapproché de la chose signifiée, l'escamotage des faits et le détournement des mots se poursuivent paisiblement. A force d'incantations à la Révolution, Liberté, Poésie, même à propos de fauxsemblants, on parvient encore à projeter sur les horizons de la pensée et de la vie un assez compact brouillard! Sous la plume d'Alain Jouffroy, dans un des essais de son recueil, la Fin des alternances (1), voici qu'Aragon se métamorphose en grand maître de liberté. Parce qu'il vient de laisser reparaître ses deux premiers recueils poétiques, Feu de joie de 1920 et le Mouvement perpétuel de 1926, il met au jour sa vocation profonde en réactualisant, nous dit-on, «ce que nous avons besoin, aujourahui plus que jamais, de réactualiser: la volonté de transformation du monde, f exigence de refonte complète de f entendement humain, le refus de toutes les formes de dictature et d'oppression de fEtat» (2). La réédition-événement, rejoignant l'homme de 1969 à celui de 1920, agit pour Jouffroy comme un révélateur; elle lui dévoile l'unité secrète de l'œuvre et de la pensée d'Aragon, celle d'une liberté qui n'a cessé de l'opposer à lui-même, selon le mouvement qui a conduit Isidore Ducasse des Chants de Maldoror aux Poésies et dont Aragon, mieux que personne, aurait pratiqué la leçon. Mais il faut citer intégralement: «Aragon n'a jamais fait autre chose que de se répéter cette leçon dans toutes les circonstances. On a pu croire, pendant de longues années, qu'il allait se fixer dans fun des termes de la contradiction fondamentale

qu,'il vit depuis plus de cinquante ans. Ses œuvres successives prouvent qu'il n'en est rien: il a transgressé les ordres que, pour des raisons qui étaient tour à tour les siennes et celles des autres, il s'est créés au sein de sa propre aventure. Ses premiers poèmes portent déjà (3) la marque de fhomme qui refuse d'être dupe et qui, s'il n'y parvient pas toujours, témoigne par avance pour cet homme libre qui n'a encore existé nulle part. Vous pouvez toujours lui crier: Fixe! » Ainsi prend forme un syllogisme d'apparence rigoureuse: la contradiction est le moyen de la liberté; Aragon s'est beaucoup contredit; il est donc le prototype de l'homme libre... malgré les quelques imperfections liées à l'état de prototype. Pour étayer les prémisses, rien de mieux que la caution de Ducasse, à condition bien sûr de la dévoyer et de faire de la contradiction en soi, abstraite de tout contenu, le ressort secret de la poésie, Jouffroy ne s'en prive guère et les variations sur ce thème abondent dans son livre (notamment dans les pages qu'il intitule La vie, depuis la mort d'André Breton, écrites sur la même lancée que la préface au Mouvement perpétuel; elles la suivent immédiatement dans le temps, sinon dans le volume, et l'un de leurs propos, de toute évidence, est d'en assurer les allégations). Le comportement poétique qui s'y dessine procède de ce droit que, d'après Jouffroy, «fintelligence poétique du surréalisme a fondé », celui de «passer outre à f avare besoin de ne ressembler qu'à soi»: se projeter «au-delà du jugement immobilisateur que f on prononce contre soi-même chaque fois qu'on croit le prononcer contre les autres », «avancer au-delà de (sa) propre conception de la rigueur avec soi-même et de la fidélité », se donner «le plus grand plaisir de f homme libre », celui du «coup de théâtre », s'assurer «la liberté suprême qui consiste à claquer la porte sur soi-même », etc. Libre à Jouffroy, assurément, de tenir pour négligeable l'inféodation empressée de l'écrivain Aragon, pendant un quart de siècle, à un dogme artistique dont la non-observance entraînait toujours, là où ses grands-prêtres

étaient au pouvoir, cl 'extermina· tion comme l'a écrit André Breton, et souvent l'extermination physique; libre à lui de perdre mémoire des encouragements donnés à pleine voix, des années durant, au pire nationalisme culturel (3). Il peut même, s'il lui plaît, oublier l'approbation bruyante à tous les crimel! de Staline (4), la célébration par toutes les rel!sources d'une rhétorique servile du Grand Inquisiteur et Grand Bourreau (5), la falsification systématique des faits et des idées, le mensonge coutumier, bref, tous leI! moyens par lesquels Aragon, journaliste politique, directeur de journal, puis tnembre du Comité Central du Parti Communiste français, a t r a v a i Il é sans défaillance à l'obscurcissement de la conscience révolutionnaire. Il peut, à son gré, applaudir aux protestations que, récem· ment, Aragon a enfin osées, contre le procès Siniavski-Daniel, contre l'entrée des troupes russes en Tchécoslovaquie (mais Budapest?), en se dissimulant pudiquement le fait qu'il a attendu, pour revoir et corriger son stalinisme inconditionnel, que chancelle partout dans le monde le monolithisme bureaucratique. Il peut lui faire gloire de cette opposition toute circonstancielle aux maîtres du Kremlin, soigneusement calculée sur les besoins électoraux du parti ou l'écart officiel que ce dernier s'autorise, opposition à travers laquelle on a pu d'ailleurs évaluer une fois de plus son absence de courage poli. tique (cf. son comportement au dernier congrès, lors du «procès» Garaudy). Aragon y supplée, il est vrai - et c'est apparemment tout ce qui compte pour Jouffroy - , par de fausses confidences romanesques, aptes à lui composer un personnage neuf. Heureux littérateurs, puisque la parole invérifiable peut suffire à effacer les actes accomplis! Mais si Jouffroy se bornait à réduire ceux d'Aragon aux contradictions que dans sa marche à une liberté toujours plus grande (voir plus haut), il s'est inventées «pour s'opposer à lui-même », il n'y aurait qu'à rire du narcissisme impavide des hommes d'écriture. Une catastrophe historique sans précédent, toutes les idées perverties, tous les mots porteurs d'espérance souillés? Vue naïve,


bonnes gens. Les esprits pénéfallacieuse qui veut équilibrer à trants en retiendront surtout, partir des moyens d'une jeune88e avec Alain Jouffroy, l'occasion commune les extrêmes de tout le pour l'homme libre d'essayer un reste de l'existence, tout ce qu'il nouveau pas... a écrit, tout ce qu'il a été, proLà où la plaisanterie passe les teste pour lui ; il est à peine be· bornes, là où il faut crier: halsoin de rappeler son refus pero te! c'est quand Jouffroy s'avise manent de tous les systèmes d'opd'introduire dans la danse un pas pression, quel que soit leur cade deux, «ce pas de deux intel- mouflage, la vigoureuse dénon· ligences où il n' y avait pas de ciation qu'il a opposée à l'inquiplus grand accord, peut-être, Ilition stalinienne, son affirmation qu'aux secondes dramatiques de résolue de l'indépendance de la discordance et pose un signe l'art où il voyait, avec Trotsky d'égalité scandaleux: « Entre (6), la seule garantie de son auAragon et Breton, il n'y aura plus thenticité et de sa force révolujamais à choisir S'étant inventé tionnaires. la mission d'établir l'identité des Mesurer la profondeur de l'abî· contraires, il nous assène des révé· me qui sépare ces deux hommes, lations proprement stupéfiantes: ce n'est pas, comme le veut Jouf. < ces deux hommes n'ont jamais froy, «stérile perpétuation des cessé de se parler et de s'envoyel' disputes passionnelles et des anti· des messages qui font partie de nomies idéologiques c'est assainotre «on ne peut au- nissement indispensable de la jourd'hui défendre la mémoire et pensée, dans les questions les plus les exigences de fun sans éclairer graves. Le temps serait venu, paà la lumière de la complicité raît.il, du «passage hors des catous les signes que lui a faits et tégories Quoi de plus que lui fait encore f De contraire à la rigueur intellecqui se moque Jouffroy? A qui tuelle dont témoigne la démarveut-il faire prendre les vessies che de Breton que les brumes pour des lanternes ? commodes de ce confusionnisme Il sait fort bien, puisqu'il a délibéré? quoi de plus opposé connu que celui-ci tenait que cette incroyable laxité à Aragon pour disqualifié à tout l'exigence qui fut toujours la jamais, de façon irrémédiable, el sienne,. exigence morale,' justecomme homme et comme écri· ment. vain, bien loin d'« entrer mentaŒuvrant à l'édification de va on ne craint pas de leurs autres que celles de la so· nous le suggérer, «dans le jeu ciété présente, il savait, certes, de ses plus folles erreurs et de que la vie a horreur de l'immo· «partager émotionnellement ses bilité; il combattait ce qui la plus grandes Il y a vrai- fige, mais le sens du mouvement ment plus que de la désinvolture, . lui. importait au plus haut point. plus que de la légèreté, à faus- . Rien de plus étranger à sa penser le sens d'une vie en mettant sée que d'élever au rang de norà profit la crédibilité que fon- me de conduite la contradiction dent des relations d'amitié, même en soi ; on sait que, dès le temps intermittentes, pou r affirmer de Dada, il n'y voyait qu'une n'importe quoi. «manière de Le sur· Personne ne me démentira, ni réalisme avec lui l'a montré: la dans l'entourage de Breton ni contradiction n'a vertu émancipa· parmi ses proches, j'en suis trice que si elle conduit à plui! surée, si j'affirme ici que jusqu'à de vérité, plus de lumière, dans la fin il n'y eut de sa part aucune la connai88ance de notre rapport ambivalence affective à l'égard à nous-même et au monde. Sur ce d'Aragon. Quelques mois avant plan, la responsabilité de l'intel. sa mort, il répondait à un colla- lectuel est particulièrement lourborateur des Lettres Françaises de, Breton l'a toujours pensé: car qui lui demandait par téléphone si l'intellectuel n'est pas respon· un article à propos du Lautréa· sable des avortements colossaux mont de J.-P. Soulier: «Dites à que notre temps a connus, il l'est votre patron qu'il y a trop de ca· pleinement de son rôle dans la davres entre lui et moi. Et pour· conscience que les hommes en quoi Jouffroy a-t·il attendu sa prennent, conscience dont le dévemort pour faire cette découverte ? loppement est une des conditions Mais si Breton n'est plus là pour nécessaires du pa88age, encore à protester contre l'arithmétique venir, au règne de la liberté.

La Q!!inzaine Uttéraire du 16 au JI octobre 1970

André Breton, Diego Rivera, Léon Trotsky. Coyoacan, 1938.

Dès lors qu'on renonce à cette exigence première, les aphorismes mégalomanes sur l' é cri t ure, «guerre des mots qui changent f ne sauraient être que phrases creuses, propos complaisants à soi-même, incapables d'ai-

der jamais à la transformation de l'homme et du monde. Il serait temps d'en finir avec l'inflation des mots. Assez de verbalisme pseudo-révolutionnaire!

Marguerite Bonnet

(1) Le livre regroupe en quatre en· Après la réhabilitation des condamsembles: le Suréalisme tel que je l'ai nés par les Soviétiques eux-mêmes, Aragon a-t-il honte? vécu, la. Poésie telle que je la vis, la Révolution des poètes telle que Je (6) • Dans l'immense trésor de la la Ils. Deux repères pour un indlvi- . culture humaine, ne prend·elle pas (la dualisme révolutionnaire, des textes nouvelle constitution stalinienne) la écrits entre 1964 et 1969, mais pour première place au-dessus des œuvres la plupart après la mort d'André Bre· royales de l'imagination, au-dessus de ton dont la figure domine le livre. Shakespeare, de Rimbaud, de Gœthe, de Pouchkine, cette page resplendis· (2) Préface, datée du 22 avril 1969, sante écrite avec les souffrances, les au recueil d'Aragon: le Mouvement travaux et les joies de 160 millions perpétuel, Gallimard, .coll. Poésie. d'hommes, avec le génie bolchevik, la sagesse du Parti et de son chef, le (3) C'est moi qui souligne. camarade Staline, un philosophe selon (4) On trouvera dans l'ouvrage le vœu de Marx, qui ne s'est point d'Alain HiJraut. Aragon prisonnier p0contenté d'analyser le monde? • litique, publié aux éditions André Bal(Commune, aoOt 1936.) land, quelques citations savoureuses (7) A signaler à ce propos: le derdu temps où Aragon célébrait le génie nier numéro de Tel Ouel, la nouvelle universel de Staline, lançait, au nom autorité en marxisme, la nouve1le' du réalisme' socialiste, des excommuconscience révolutionnaire et la nounications enflammées, ou glosait sur velle terreur des lettres, qui s'en la rime comme traduction de • l'être prend à Jouffroy pour des raisons dinational -. verses, lui reproche en particulier (5) • A Moscou, les Trotskystes d'avoir écrit qu'en 1926 la position ont reconnu, publiquement, leurs liaiintellectuelle et politique du surréasons avec la Gestapo. lisme était commune à Breton et Ara• Que se taisent donc les scandagon. Passons sur l'amalgame initiai leux avocats de Trotsky et de ses entre les thèses de Naville et de complices! Ou qu'ils sachent bien Barbusse que Jouffroy commet par que prétendre innocenter ces homo ignorance, au cours de cette affirmames, c'est reprendre la thèse hitlétion en elle-même exacte, amalgame rienne par tous ses points. qui ne gêne nullement ses adversaires • ... Voilà les conséquences des paset qu'ils reprennent doctement - ils sions • antistaliniennes - de ces mesen ont vu et accepté bien d'autres sieurs. Ils se font aujourd'hui les dé· et venons-en à la question que pose fenseurs, croient-ils dans le meilleur Tel Ouel pour sauver Aragon d'un cas, d'hommes qu'ils veulent encore rapprochement aussi compromettant: considérer comme des révolutionnai• depuis quand Aragon a-t-il dit qu'II res, en fait, ils sont les avocats était solidaire de l'occultisme ou du d'Hitler et de la Gestapo. Je dis ceci trotskysme?" On admirera au pasnommément pour Jean Guéhenno, qui sage l'art de déplacer le problème. a publié, dans Vendredi, un article Mais il n'importe; il faut "accorder à dont je veux croire qu'il aura honte Tel Ouel: AlilIgon n'a jamais commis un jour. le péché de trotskysme, mortel au • ... De Zinoviev à Piatakov, de Nikosens propre du terme; il s'en est tenu laev, qui tua Kirov, à Radek en conciaux fautes vénielles du stalinisme, deliabule avec l'ambassadeur hitlérien, puis longtemps pardonnées par les vous reconnaissez les alliés monspolitiques telquéliens. Là où il se rend trueux du fascisme... Ennemis du coupable à nouveau, on l'apprend un Front populaire, alliés du fascisme, peu plus loin par l'admonestation dans le moment même de la guerre plaintive de M. Sollers, c'est quand d'Espagne, qu'ont mérité les accusés il ouvre à Jouffroy les colonnes des de Moscou? Le verdict a été bien Lettres Françaises, et contre Tel Ouell modéré au prix de ce qu'exige la • Exorbitant", c'est bien le mot... Réjuste loi d'autodéfense des travailjouissante concurrence: M. Sollers a leurs. - (Vérités élémentaires, dans laissé passer le bout. de l'oreille!" A Commune, mars 1937.) qui, les bonnes grâces du Maître?

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INEDIT

Dans les Dossiers des Lettres Nouvelles va paraître prochaine un recueil d'essais du marxiste autrichien Ernst Fischer: A la recherche de la réalité. Ce recueil comprend, en particulier, un essai sur Goya, dont, il l'occasion de l'Exposition Goya qui a lieu actuellement à Paris, nous détachons la conclusion.

Il Y a dans la critique bourgeoise moderne toute une tendance à éclipser le Goya conscient au profit du Goya inconscient, l'homme convaincu de la force de la raison au profit de l'homme subjugué par la puissance de ses visions, l'homme des Lumières au profit de l'illuminé, du romantique et du surréaliste. Si l'on considère dans son ensemble l'amvre de Goya, on y perçoit ces deux éléments dans leur opposition et dans leur synthèse. Personne ne peut chasser avec le sourire de l'homme éclairé la puissance de la vision, intuitive et démoniaque, qui naît dans les sombres régions de l'inconscient. Mais, de même, personne ne devrait oublier la fermeté avec la· quelle Goya s'est sans cesse effor· cé de placer ses rêves éprouvants sous la domination de sa cons· cience. Quand Reynolds, l'élégant peintre anglais, affirma, confor· mément aux conceptions rationalistes, que l'art est «essentielle· ment imitation », et que le génie, loin d'être inspiration, est «le réllultat d'une pratique et d'un liens de r observation poussés », William Blake, initiateur du romantisme, nota: «Sacré imbécile ! », et à l'aveu de Reynolds : «Si haut que s'envolent ma fantaisie ou mon imagination, ma raison les domine du début à la fin », il rétorqua ceci: «Si cela est vrai, c'est une fichue idiotie que d'être un artiste ! » Ces deux points de vue sont partiellement justifiés. Goya lutta pour les allier et en faire une synthèse. Bien que l'on fasse un usage 18

Ernst Fischer: abusif et ridicule deI! notions d'intuition et d'inspiration, les grands artistes ont connu et con· naissent cet état que les mystiques ont appelé «l'autre état» et qui apparaît sous des formes diver· ses, avec une intensité plus ou moins grande, choc instantané ou courant durable, simple ébranlement ou imprégnation. Mais la conscience a toujours pour rôle de dominer par l'art ce saisisse· ment de l'artiste, qu'il soit dû au choc d'un instant ou à un flux plus long, et de découvrir le sens de ce qui est apparemment absurde. Et c'est ainsi que Goya lui-même a demandé à la plus monstrueuse des visions qu'il ait eues, celle qui semble renier toute raison: «Que veut donc ce fantôme? » Car tous ces fantômes veulent quelque chose et réclament une interprétation, même si elle est inattendue ou' déconcertante et peu rassurante pour le «bon sens ». Ils surgissent des profon. deurs de l'individualité, c'est-à· dire, selon la définition de Karl Marx, de «rensemble de tous les rapports sociaux », pour venir à la lumière. J.e processus de l'ima· gination n'esl pas un «sacrilège retour en arrière », comme l'a prétendu Gottfried Benn; il n'est pas seulement - tant s'en faut «un rêve, un animal qui repose en nous, chargé des mystères de ces peuples anciens qui portaient encore en eux les temps primitifs et r origine du monde ». Pour ceux des philosophes et des psychologues bourgeois qui donnent le ton, c'est un fait acquis que chaque interprétation sociale est « primitive»; selon eux, le moi retourne en arrière, dans le sombre refuge d'avant la naissance (Freud), dans le monde archaique, jusqu'aux «archétypes» originels (Jung), chaque rêve fait jaillir de notre inconscient des choses enfouies en nous, et toute intuition, toute inspiration et tout souvenir du passé chthonien serait constitué par un «retour en arrière », par un «mouvement vers le bas ». Il faut être un pseudo.homme des Lumières bien banal pour ne pas percevoir dans le rêve et dans l'imagination la puissance du passé, de l'ancien, de l'enfance et des origines, mais il faut aussi être un pseudo.mage stupide de l'irrationalisme pour oublier la puissance du hic et nunc social et de ses possibilités

qui ouvrent la voie à l'avenir. tance donnée à l'inconscient et au Lorsque l'intuition se manifes· conscient est différente selon les te, que ce soit pour un instant artistes et les époques. Il y a eu ou pour une durée assez longue, des romantiques qui se soumet· il s'ouvre une réserve où ont été taient presque sans contrôle au emmagasinés aussi bien «l'ar« diktat» de l'inconscient (bien chaïque» - l'expérience de l'enque l'on ne puisse croire sur pa· fance, les contes de nourrice, la role tout ce qu 1ils racontent sur superstition - que le « tardif» Jeur intuition), et il y en a d'aula problématique sociale de l'épo. tres qui contrôlaient leur produc. que. Le matériel de rimagination tion artistique avec une consest donc déjà là, tiré d'influences cience extrêmement vigilante. extérieures aussi bien que de Goya était indiscutablement as· l'expérience personnelle, mais il sailli par d'authentiques visions n'est pas encore vivant; peut.être - mais ce ne sont pas des visions est-il déjà organisé en vue d'une atemporelles, ayant pour seule fin, mais c'est un organisme qui source 1'« archaïque », ou un insne respire pas encore. Et sou- tinct refoulé; ce sont les visions dain, un quelque chose anime d'un Espagnol vivant à cheval l'artiste, une expérience qu'il res- sur le XVII.I" et le XIX" siècles, d'un sent comme une mission sociale, Européen à l'époque de la Révoun accord avec la situation pré- lution Française, des guerres nasente, un équilibre fugitif entre le poléoniennes et de la Sainte Almoi et le monde qui l'entourc, liance. La grandeur de ces visions l'odeur d'un feuillage humide, réside justement dans le fait un regard d'un éclat subit, et qu'elles associent entre elles une quelque chose se produit en lui, très vieille superstition (le village une vita nuova, les hormones se où il est né, cet élément archaïque répandent en lui, les molécules paysan qui continue à agir en se rajeunissent. C'est un état où lui) et la problématique sociale l'on est triomphalement jeune et et politique de l'époque, des insexubérant - et c'est sans doute tincts sauvages et un idéal de raiGœthe qui approche le plus de son et d'humanité. Dans la vision la vérité quand il parle d'une pu- elle-même, cette synthèse s'annonce le plus souvent déjà alors mêberté sans cesse renouvelée. Certes, la plupart des Roman- me qu'elle est encore soustraite tiques ont surestimé cet état. à la conscience; en outre, Goya Quand, par exemple, le confus se demande consciemment com G. H .. Schubert, philosophe du ment la conjurer, comment l'ap. romantisme allemand, dit que la préhender: «Que veut donc ce fantôme? » Pythie dans son extase parlait en vers, il affirme quelque chose Le caractère fantastique de ces qu'il ne peut prouver. Il part visions ne signifie pas qu'elles comme Hamman de l'hypothèse nient le monde extérieur, ne se· selon laquelle la langue origi. rait-ce que parce que la frontière entre «l'extérieur» et «l'inté· nelle n'a pas été de la prose, mais de la poésie, et s'est conservéc rieur» est fluctuante, parce qu'il y a interpénétration de l'un dans dans les extases des voyants, des l'autre. L'imagination tire de la prêtres et des poètes. Ce qui nous réalité du moment un matériau a été transmis sur l'oracle de Del· fragmentaire: elle n'est donc pas phes nous permet de supposer ce qui contredit la réalité, mais que, grisée par les vapeurs, la Pythie en transes balbutiait, haletait ce qui la complète et l'élargit. Bien plus, c'est seulement par elle et criait, et qu'ensuite des prêtres expérimentés et bien inforque le monde qui nous entoure més assemblaient ces décombres devient pleinement réalité. Sam cesse confrontée à des élément8 de mots qu'elle leur livrait en un de l'expérience (directs ou indi· distique, en une prophétie très rects), elle les relie entre eux consciemment construite, ambivad'une façon nouvelle, et surtout lente et polyvalentc. Et c'est justement cette collaboration dc elle introduit en même temps dans la réalité des éléments nou· l'inconscient, qui livre une ma· tière premièr, d'images, d'idée:; veaux, pressentis et anticipés. C'est toujours l'imagination qui et d'associations, et de la consdécouvre et fait percevoir les re· cience vigilante qui fait de cette matière première une œuvre- lations nouvelles, et lorsqu'un penseur comme Descartes rapd'art, qui est caractéristique de porte ceci: «Le dix novembre la production artistique. L'impor-


Gova 1619, quarul je vis poirulre la lu· mière li une merveilleuse décou c'est exactement le processus de création de l'imagination qu'il célèbre. Ou bien pensons à cette curieuse sentence for· gée par Plotin dans les Enéades : «La réalité terrestre falsifiée demarule à être complétée en une belle image, afin que non seulement elle soit, mais qu'en même temps elle apparaisse comme quelque chose de beau.» Sans doute, il ne s'agit ni de «falsification terrestre» ni d'image « belle mais ce mysticisme cache une vérité: c'est que la réalité n'est pas seulement le hic et nunc, elle est falsifiée par cette vision statique, elle a besoin d'être complétée par l'imagination pour exister dans sa plénitude.

Il n'y a que pathos verbeux dans la déclaration de Gottfried Benn: «Avec la formation du concept de réalité commença la crise, son stade pré-morbide, sa profondeur, son nihilisme... Quel mauvais tour de passe· passe : on commence par vider la réalité de sa substance jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des «faits ces fantômes d'apparence si concrète, pour pouvoir l'accuser ensuite justement de ce vide; il s'agit de reconnaître la réalité dans toute sa plénitude, telle que Gœthe l'a comprise, telle que Marx la concevait quand il disait: «ridée devient elle aussi une force matérielle lorsqu'elle s'empare des masses. La réalité est pluridimensionnelle, parcourue d'idées nouvelles, de rêves, de pressentiments, de tâches, bonnes et maul"aises, de possibilités encore vierges qui contraignent l'artiste (et pas seulement lui) à se demander: «Que veut donc ce fantôme? - 'Ce qui est appel de l'imagination à la conscience. Cette percée, écrit Ernst Bloch, «cet éclair, souvent llune violence soudaine, tire aussi bien le matériau qui r enflamme que celui qu'il éclaire de la seule nouveauté du temps luimême, pressée de devenir pensée. Parfaitement d'accord avec cette hypothèse, je voudrais seulement éliminer le mot «seul », car même ce qui est mort ne l'est pas au point d'être incapable de s'emparer de l'imagination. Mais ce qui est décisif, c'est la nouveauté du temps, le futur. La Q!!inuine

Peu d'artistes ont connu une évolution aussi considérable que Goya, tant dans les moyens d'expression que dans les sujets à exprimer. Si l'on suit cette œuvre dans son évolution, on perçoit jusque dans les nuances les plus infimes, son rapport profond avec le temps: d'abord la grâce, la légèreté, l'enjouement des prefuières esquisses où le parvenu fils de paysan était tout à l'atmosphère rococo, puis le Hou des lignes qui marquent le contour de chaque objet, l'ambiguïtê des choses qui se mêlent et se fondent, à l'époque des Caprices, enfin les esquisses véhémentes de la dernière période, où il montre la réalité dans des formes à peine reconnaissables qui la font mouvement effrayant, surgissant hors de l'obscurité de ce qui est encore indescriptible. Il serait dogmatique et pédant .de vouloir expliquer directement par une situation sociale n'importe quel élément formel de n'importe quelle œuvre d'art, et n'importe quelle œuvre d'art dans sa totalité. Mais, dans ses grandes lignes (et parfois même jusque dans les nuances), l'œuvre de Goya est la chronique de son époque. Comment! dira-t-on d'autre part, ces sorciè· res, ces fantômes, ces monstres sont censés représenter la réalité d'une époque, d'un pays et d'un peuple? C'est justement cette réalité qu'ils représentent: car la monstruosité des événements provoque des visions extrêmes et exige des moyens d'expression extrêmes. Les figures et les situations fantastiques de Goya retiennent mieux la réalité de son temps que ne le feraient des centaines de tableaux apparemment «réalistes» représentant· des scènes de genre et des batailles - de ce temps qui secoua l'Europe pendant vingt ans par des révolutions et des guerres, des bouleversements sociaux et des catastrophes politi. ques, jusqu'à ce que les vampires de la Sainte-Alliance aient la bonté de s'asseoir sur les montagnes de cadavres, tandis que le capital sortait victorieux des sacrifices, des espoirs et des déceptions des peuples. Dans chaque vision de Goya, il y a plus de réalité concentrée que dans les tableaux de ces braves peintres qui ont peint la bataille d'Aspern ou le Congrès de Vienne «comme cela s'est réellement chaque visage aussi ressemblant que

du 16 au JI octobre 1970

le permet le respect, aucune décoration, aucune boucle oubliées, seule manque la réalité, qui regarde en arrière et qui marche en avant, la réalité puissante et invisible. Elle est présente dans chaque esquisse de Goya. Goya - et ceci l'apparente à Stendhal - a modelé les forces de son. époque avec son imagination et sa conscience, sans idéaliser ni prophétiser. C'est vous semble-t-il dire à ses contemporains et à ses cadets - qui déciderez et dévoilerez par votre action ce qu'a voulu le fantôme, c'est vous qui direz si la raison sera capable de reconnaître la nouveauté et si elle sera assez hardie pour l'oser. Moi, je peins des possibilités : à vous de choisir ce qui est réel. Voici que, peinte dans un jaune gris sale, surgit de la pourriture en pleine décomposition la plus terrible des visions : Saturne 'qui dévore ses enfants, avec une chevelure et une barbe de troglodyte, les yeux horriblement écar.quillés d'un dément, pupilles fineR émergeant d'un néant de blancheur, angoisse, avidité, cruauté, un monde anéanti, le pâle royau-

me des morts, paysage lunaire désolé. Et ce dessin merveilleux dont il n'existe que trois reproductions: le Colosse. Sur une terre solitaire, un géant nu est assis, à flon chef la mince faucille de la lune à son déclin, et à l'horizon, pâle, la fraîche lumière de l'aube lui aussi a les cheveux et la bar· be en broussaille, mais il ne res· semble pas à Saturne, mais plutôt à Prométhée. Son visage, encore dans l'ombre, à peine effleuré par la lumière, est plein de mélancolie. Mais ce n'est pas la Mélancolie peinte par Dürer, celle de l'alchimiste plongé dans des pensées saturniennes, cette passivité profonde au sein de la science et de la superstition. La mélancolie de ce géant est une réflexion où s'élabore la décision. Ce géant va se lever; mais que fera-t-il? Il regarde en arrière, et pense eu avant - et avant que le jour ne commence, il se lèvera pour anéantir la terre ou pour la renouvéler. Et Goya ne demande plus: «Que fait donc ce fantôme mais: «Où va l'humanité ? Traduit de r allemarul par Lebrave

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La vie d'artiste

Dans les galeries

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Deux expositions intéressantes dès la rentrée et qui représentent deux aspects antithétiques de la recherche actuelle.

Maurice Rheims

La Vie d'Artiste Grasset éd., 449 p.

Entrez, entrez, et vous verrez ... Vous verrez s'animer au long des âges la condition de ces êtres singuliers qu'un sort funeste place en marge de la société, mais dont l'émouvante, l'édifiante passion qU'ils portent à leur art ne devrait, en toute logique, qu'incliner à les y laisser. Vous verrez, sous la conduite d'un guide assez humble pour s'effacer sans cesse devant les témoignages, ce que le milieu, l'hérédité apportent à la vocation; vous verrez que le don ne suffit pas, qu'une formation est nécessaire. Vous verrez comment l'artiste ne put échapper au système corporatif, comment il affirma son indépendance en lui substituant l'Académie de Le Brun, plus tard détrônée par l'Institut! Vous verrez l'artiste se livrer à des activités parallèles, organiser fêtes et pompes funèbres. régenter la mode; vous leverrez exercer le métier d'expert et de courtier; vous le verrez diplomate, homme de guerre et policier. Vous verrez les droits de l'artiste si peu protégés que ce qu'on appelle aujourd'hui un faussaire était autrefois un bon élève. Vous verrez comment depuis l'Antiquité sont nés expositions, salons et biennales, du désir des peintres de montrer leurs œuvres. Vous verrez jusqu'au XVIII" siècle le mécénat réduire l'artiste à une dépendance quasi cotale à l'égard de son protecteur; les Assemblées révolutionnaires s'évertuer à protéger les arts; Napoléon promu « généraI d'art. et, de nos jours de combien « l'intervention l'Etat dans l'art peut être à la fois salutaire et périlleuse •. Vous verrez le négoce s'emparer de l'art, naître les ventes publiques, c l'antiquaire. devenir marchand de tableaux et l'œuvre d'art valeur financière. Vous verrez Polygnote de Thasos peindre des femmes habillées de robes chatoyantes; le succès de Mme Vigée-Lebrun en-

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courager l'émancipation des femmes par la pratique des arts d'agrément; Joseph-Marie Vien faire à cinq ans et de mémoire le portrait de Louis XIV entrevu sur un écu; Adrien Brouwer honteusement exploité par son maître Franz Hals; Dürer mis à l'amende pour exercice illégal de la peinture; Bellini grâcié du meurtre d'un jeune garçon qui lui résistait. Et vous verrez enfin - vision sublime - l'art, de nos jours, ft être le trait d'union entre les groupes sociaux les plus di· vers; c'est par centaines que l'on recense en Occident les salons des « Médecins amis de l'art .., les salons des «Jeunes Ingénieurs .. : celui de la ft Police .., des ft Postiers .., celui des cc Pilotes de Iigne-. Mais vous verrez aussi qu'on ne peut dans cet ouvrage trouver l'ombre d'une idée, trace de la moindre vue personnelle. Vous verrez même ·l'auteur y renoncer en toute simplicité: «Nous aurions souhaité appor· ter notre contribution personnelle, mais ce projet n'étant pas apparu comm., des plus simples. nous nous sommes résolus ft céder la plunie à ..... Vous verrez comment on fabrique ce genre d'ouvrage dont on ne peut nier l'inutilité; vous verrez que cela consiste à habiller un plan détaillé, que l'on retrouve généralement sous forme de table des matières, d'une pléthore de citations, de témoignages extraits d'ouvrages traitant de près ou de foin de fa question. Vous verrez que cette méthode qui tend à maquiller un travail de documentation en monument d'érudition dont voudrait témoigner ici une bibliographie de plus de trois cents numéros, ne procède en rien d'une démarche .scientifique mais qu'elle correspond parfaitement à ce que J'auteur candidement dénonce: «Par la diversité des matériaux qui les composent: fragments de cor· respondance, Mémoires, travaux de chercheurs, ces ouvrages répondent à des besoins nouveaux. Saturé de fictions, l'ama· teur moderne, toujours pressé, trouvera des exacts et condensés. De la cul· ture en pilule.... Nicolas Bischover

Musée d'Art moderne : section Animation Grâce à P. Gaudibert, cette section est devenue le lieu de Paris où s'exprime une recherche libre et libérée de toutes les contraintes du «marché de l'art ». Depuis des mois le public peut s'y baigner dans des environnements, y vivre des moments poétiques, s'y confronter avec des problématiques et des mises en questions - tous également lnachetables et qui, par là-même, impliquent la contestation et la révision d'une tradition et de la condition de l'art et de l'artiste dans notre société. En l'occurrence, nous attirerons l'attention sUr trois des propositions actuellement exposées. D'abord la contribution collective intitulée Supportsurface. Ces quelques taches et rubans divers sont évoqués. et retiendront l'attention à cause des écrits à quoi ils donnent lieu. «Textes» agréablement présentés sous un cartonnage vert et sans quoi la clé de la manüestation nous est refusée. Textes qui marquent l'entrée - récente et signifiante du discours écrit au sein même de l'expression plastique, ou mieux la subordination, l'abdication de celle-ci au profit de' celui-là. Textes, donc, constitués par des fragments de linguistique, de lacanisme, d'althussérisme, de derrideïsme : le lecteur et le candidat spectateur est bousculé de polysémie en métonymie, de pratique théorique en déconstruction, puisque aussi bien, nous dit-on, il faut éliminer la référence culturelle du champ de la peinture. Nous aurons bientôt l'occasion de nous interroger sur le sens de cette invasion c scripturaire ». Contentonsnous, pour l'heure, de nous demander si ces textes inspirés par la lutte des classes n'ont pas pour efret immédiat de faire communier dans le sentiment d'incompréhension et d'exclusion dans un «étonnement imbécile» eüt-on dit au grand siècle, les représentants des classes en lutte. Venons-en maintenant aux réalisations qui sacrifient au culte .de l'ego. Sarkis montre quatre vitrines où sont exposées des séries de bâtonnets servant de manches à de minces fils de fer ou à des morceaux de lameS Gilette, l'emmanchement étant réalisé grâce à des bandes de chifron blanc : parodie désinvolte et maniaque de ces séries de haches et herminettes qui peuplent les musées de préhistoire. La réussite poétique est totale et fait réfléchir sur la nécessit6 de l'entreprise poétique. Aleyn propose un œuf de plastique blanc contre l'introduction de deux pièces de 1 franc, le blanc de cet analogue du ventre maternel s'ouvrira et vous prendrez place sur un siège confortable avant que l'œuf ne se referme pour une descente de quatre minutes et demie dans les profondeurs de vous-même. L'idée est judicieuse, comme le projet de transformer cet Introscaphe en élément de mobilier urbain qui, grâce au mécanisme de

1'« appareil à sous », peut rester sous le contrOle de son concepteur, sans devenir la propriété de personne. Malheureusement, dans le cas du prototype exposé, la descente escomptée ne se produit pas : à cause du programme visio-sensoriel qui attend le passager. Car, à l'encontre de ce qui est supposé se passer dans l'utérus maternel, c'est l'agression. Mais ni par le silence, ni par l'insolite ni par l'absurde. L'oreille est agressée plus encore que par les bruits urbains quotidiens, le corps incommodé par le changement thermique, l'œil et l'esprit traumatisés par la banalité des images qui se succèdent sur l'écran. Ces photos du Vietnam, de femmes dévêtues et d'hommes politiques trop vêtus, les magazines et la télévision en livrent chaque jour au citoyen moyen de quoi faire son petit montage personnel. Les artistes ont trop joué, ces temps derniers, avec les images de l'horreur. DB pourraient bien aussi être en voie de tuer ou ridiculiser ces concepts, un moment opératoires, d'œuvre ouverte et de lecture plurielle.

Galerie Claude Bernard C'est à l'autre pôle, celui de l'art objet que se situe Mac Garrell, peintre américain de l'Indiana, qui depuis près de quinze ans œuvre à contre-courant des écoles. S'il faut comparer à tout prix, on le confronterait volontiers à Gilles Aillaud, dont l'œuvre, en marge, constitue ici l'expression la plus intéressante du nouveau réalisme. Mais le rapprochement fait aussi surgir la difrérence, apparaître le rôle du grinçant, du fantastique chez Mac Garrell et aussi une violence qui est celle des EtatsUnis, de Pollock et de Kline. Le descripteur énumérera chez ce néo-réaliste d'outre-Atlantique une construction d'espace presque· classique, le rôle presque surréaliste confié aux objets familiers, l'utilisation systématique de réminiscences empruntées à la culture picturale, l'obsession du miroir et de la duplicité exprimée en particulier dans les doubles portraits. Mais l'unité d'écriture transcende les jeux de la mémoire au profit d'une efficacité qui est celle de t,oute œuvre véritable. Bischover P.-S.: Au musée d'Art moderne, même section, il faut voir, dans un tout autre registre, l'œuvre graphique du peintre algérien Abdallah Benanteur. Ses calligraphies - en particulier - ont une puissance qui fait évoquer dans le même temps la tradition d'Extrême-Orient et celle de l'Islam.

Kienholz à Paris L'exposition Kienholz, dont JeanLuc Verley a rendu compte lorsqu'elle était à Amsterdam dans notre n° 93, est accueillie à Paris par le C.N.A.C. et l'A.R.C. dans les salles d'exposition agrandies du Centre National d'Art Contemporain, 11, rue Berryer, du 13 octobre au l or décembre. L'œuvre de Kienholz est à la limite du supportable mais elle porte un témoignage aussi terrible que celle de Goya.


L'Exposition du Ce qu'on appelle le 1 % est le crédit spécial affecté à la décoration monumentale des édifices scolaires et qui correspond effectivement à 1 % du coût de la construction. L'idée de cette affectation remonte à 1936; elle concernait tous les édifices publics et son but était d'apporter une aide aux artistes en chômage. Les deux projets de loi qui furent alors déposés n'aboutirent pas et la décision de Jean Zay, ministre de l'Instruction Publique, de la mettre en appl ication dans son propre ministère ne fut également suivie d'aucun effet. Reprise en 1947, cette idée fit l'objet d'un arrêté en 1949 concernant exclusivement les bâtiments scolaires; arrêté dont la régularité fut contestée et auquel on substitua celui du 18 mai 1951 toujours en vigueur. Au cours des années de nombreux textes ont précisé les modalités d'application dont la circulaire du 30 mars 1965 qui en définit les objectifs essentiels, à savoir: - Promouvoir un art monumental de qualité s'intégrant 'dans l'architecture des nouveaux bâtiments scolaires. - Donner aux artistes les occasions de s'exprimer. - Mettre en contact les enfants et les jeunes gens avec les réalisations de l'art de leur époque. - Obtenir le plein emploi des crédits du 15 %. Actuellement, un projet de réforme est soumis à l'examen des deux ministères dont dépend le 1 %, celui des Affaires Culturelles et celui de l'Education Nationale. L'exposition des Halles est organisée par le Service de la Création Artistique dont le rôle dans le fonctionnement du 1 % se révèle capital depuis quelques années quant à la qualité des œuvres. Le bilan qu'il présente est en quelque sorte une opération porte ouvert.:!, le dossier complet d'une entreprise tout à fait exceptionnelle: l'introduction de l'art de notre temps dans notre vie de tous les jours. C'est donc dans une perspective écologique qu'il convient d'aborder l'exposition afin de saluer tout d'abord la tâche entreprise et de prendre La

conscience de son ampleur et des problèmes qu'elle met à jour. Car il ne s'agit pas d'y déchiffrer la réussite ou l'échec au vu de la douzaine d'œuvres exposées (entre autres un mur d'Hantaï et une sculpture d'Agam superbes) ou de la centaine de diapositives présentées en un excellent spectacle audio-visuel. Il ne faut pas se leurrer: les 1 510 artistes qui ont fait des projets depuis 1960 n'ont pas produit que des chefsd'œuvre; il suffit de lire l'enquête de Raymonde Moulin en 1960 (le Marché de la Peinture en France) pour constater qu'on a longtemps fait appel à des artistes régionaux et si dans l'impressionnante liste des artistes publiée dans le catalogue il en est dont on connaît l'œuvre (Arp, Cardena, Cesar, Brayer, Coulentianos, Beaudin, Buffet, Vasarely, Belmondo, Lardera, Philolaos, Viseux, Stahly, Singer, Ubac, Picasso, Hadju, etc.), bon nombre nous sont parfaitement inconnus. Il n'en reste pas moins que l'exigence de qualité manifes tée par la Commission du 1 % créée en janvier 1969 ne peut qu'être maintenue et, à cet égard, les Commissions départementales prévues dans le projet de réforme pour l'examen 'des projets inférieurs à 25 000 F ne sont pas sans éveiller quelque crainte. Incontestablement, le 1 % fait sortir l'art de musées et s'il n'est pas dans la rue il est dans les cours et abords des écoles, ce qui est probablement plus important. Mais comment y estil et comment l'accueille-t-on? ce sont là deux points essentiels que les organisateurs n'ont éludé, bien au contraire, et le catalogue qu'ils ont établi constitue à ce propos un docu· ment remarquable d'objectivité. Comment y est-il? Du fait exclusif de l'architecte respon·· sable du choix de l'artiste et de l'emplacement de l'œuvre. Faut-il dire hélas? Actuellement oui, dans la plupart des cas, car peu d'architectes semblent se soucier de la décoration des édifices qu'ils construi· sent et 'trop souvent l'œuvre d'art arrive comme des cheveux dans cette pauvre soupe qu'est

Littéraire du 16 au 31 octobre 1970

La Châtre. cite scolaire (Barges. architecte). Sculpture de Viseux.

notre architecture. Il faut lire dans le catalogue le témoignage !accablant sur ce point de l'architecte Pierre Sirvin ! L'architecte ne doit cependant pas être le seul baudet; il est lui-même choisi, et il l'est ·par les municipalités! Certes il y a Grenoble qui mobilise architectes, paysagistes, artistes, 'urbanistes, coloristes peul' concevoir la Ville Neuve de Cirenoble-Echirolles; il Y a, en banlieue, Vitry qui ajoute son propre 1 % à celui de l'Etat, et puis ... qui? Mais pourquoi les municipalités seraient-elles plus éclairées que ceux qui les élisent? N'est-elle pas consternante cette déclaration d'un étudiant de la Faculté des Sciences: «Je ne vois pas pourquoi on mettrait des œuvres d'art dans une faculté des sciences, parce que les gens qui viennent ici, ils ne s'intéressent pas à tout ça. Ce sont des scienti-

fiques, l'art n'a pas d'importance pour eux.• Nous abordons là les rapports de l'art et du public, et en particulier le problème de l'éducation et de l'information artistiques. L'Etat y joue son rôle, et dans le domaine du 1 % il le joue bien, mais il serait dommage que cela n'aboutisse qu'à faire de la France un immense musée d'art contemporain. Certes cela ne serait déjà pas si mal, mais il importe beaucoup plus que cette action suscite dans le public le besoin d'une beauté quotidienne et qu'il exige les moyens de la reconnaître et de la comprendre. Il est certain que la partie est désormais engagée et il appartient à chacun d'y participer. Cette exposition d'une portée inhabituelle y invite et à ce titre il est indispensable qu'elle circule à travers toute la France. • Marcel Billot

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COLLECTIONS

« En direct

(Mercure de France)

Ces machines à accaparer la vérité que sont la télévision, la radio, le magnétophone finiront-elles par tuer le livre? Et si, au contraire, elles le ravivaient, lui ouvraient des voies nouvelles, comme en témoigne la progression spectaculaire du romandocument, de toute cette littérature de «non-fiction. que les Américains ont mise à la mode et dont les formes les plus extrêmes: le témoignage, le document à l'état <brut, ne sont pas les moins prisées par le public? Rompant, à son tour, avec une vocation strictement littéraire, mals non pas avec ce label de qualité qui lui est attaché, le Mercure de France nous offre, avec la collection «En direct., un des exemples les plus réussis de cette littérature qui emprunte ses techniques au cinémavérité et au journalisme mais qui apporte, de plus, sur tout un ensemble de problèmes réservés, il y a dix ans encore, au seul spécialiste, !.me vue globale, un complément d'Information et surtout une garantie de sérieux, de précision et de rigueur qui reste, en dernier ressort, l'apanage du livre.

«En direct", c'est-à-dire au cœur de notre temps, au cœur de nos problèmes, Pour Jacques-Pierre Amette, créateur et directeur de la collection, il ne s'agit pas pour autant d'être à la remorque de l'actualité, à l'affût de l'événement qui fait la « une" des journaux, mais de fournir, sur des questions précises, une information qui ne l'est pas moins. Et qui, mieux que les intéressés euxmêmes, pourrait nous parler avec plus de précision et d'authenticité de ces grands sujets de préoccupation que sont, pour tous les Français d'aujourd'hui, la crise de l'enseignement et la nécessité d'une pédagogie nouvelle, les méfaits d'un urbanisme qui néglige les besoins primordiaux de l'individu et les perspectives qui s'offrent dans ce domaine, l'anachronisme d'un système social basé sur des rapports de dépendance et les espoirs de ceux qui en sont les principales victimes, les tenants et aboutissants d'un esprit de violence qui fait, dans le inonde entier, traînée de poudre? Plutôt que de s'adresser à ces professionnels de l'information qui bien souvent ne la « traitent. que pour mieux la trahir, « En direct. s'efforce, dans la mesure

du possible, de donner la parole à ceux qui, de par leur situation, sont le mieux placés pour savoir ce que parler veut dire. A ces Ouvriers qui, interrogés de Sochaux à Billancourt, de piquet de grève en comité d'entreprise par un homme qui les connaît bien, Philippe Gavi, font d'eux-mêmes un portrait explosif et nous révèlent des opinions et des réactions inattendues sur la politique, le patronat, mai 1968, l'amour et la sexualité, l'argent et la société moderne, la culture et l'aliénation, A ces enfants de Barbiana qui, remettant en question les fondements mêmes de notre société, expliquent dans leur Lettre à une maîtresse d'école que le problème le plus brûlant n'est pas celui que nous pensions et que « le seul mur infranchissable est celui de notre, de ce que nous appelons notre culture •. A cette Institutrice de village qui nous parle de la grande misère de nos écoles primaires, de son système absurde et anachronique, et aussi de la vie d'un village de Lozère oublié dans son Moyen âge et pourtant si semblable à tant d'autres villages de France. A ces étudiants contestatai-

res d'Italie qUI, dès 1967, témoignant d'une capacité d'Invention politique surprenante, définissent en termes quasi prophétiques dans l'Hypothèse révolutionnaire des problèmes devenus par la suite d'une actualité brûlante, Dernier paru dans la série, le livre de Christian Casteran sur la Guerre civile en Irlande semble à première vue s'écarter du cadre habituel de la collection, Mais, comme s'en explique l'auteur dans son avant-propos, les événements qui bouleversent depuis deux ans l'Irlande du Nord sont exemplaires en ce qu'ils expriment, à l'échelle d'une communauté d'un million et demi, le désarroi des sociétés contemporaines, et si Christian Casteran n'est ni un • irish roman catholic" ni un natif des quartiers riches de Derry ou de Belfast, unioniste, protestant et défenseur du • law and order", Il considère l'affaire d'Irlande comme son affaire et Il entend la comprendre et la faire comprendre en spécialiste engagé, qui prend parti, qui juge, qui commente, qui dénonce. Adélaide Blasquez

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Paulhan au complet

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Jean Paulhan Œuvres complètes Cercle du Livre Précieux, 5 vol.

« Fuyez langage, il vous suit; Suivez langage, il vout fuit. •

Jean Paulhan est mort, il y a deux ans, le 9 octobre 1968. L'anniversaire de sa disparition coïncide cette année avec la fin de la publication de ses œuvres complètes dont le cinquième et dernier tome vient d'être mis à la disposition des lecteurs. Ce volume, qui rassemble la totalité des écrits sur l'art, s'achève par la présentation des textes politiques que Jean Paulhan a été amené à écrire. Textes politiques, c'est beaucoup dire, si l'on entend par là l'exposé d'une doctrine, ou l'adhésion à quelque groupement ou parti. Plus humblement, il s'agit la plupart du temps de réprouver l'intolérance et, le cas échéant, de dénoncer l'injustice. Jean Paulhap, qui avait été, durant l'ocèupl/.tion, le fondateur, avec Jacques Decour, des Lettres Françaises, s'est, à la Libération, élevé avec vigueur contre l'abus que, selon lui, on faisait alors du délit d'opinion et certaines exclusives qui n'auraient eu pour fin que d'éliminer un confrère gênant. Jean Paulhan reprochait aux juges de tenir moins compte de l'opinion réelle de l'accusé, que de la leur, tenue pour irréprochable et définitive. On retrouvait là, sous une autre forme, son souci constant de ne pas se lais· sel' abuser par le discours, d'où qu'il vienne et quoi qu'il veuille prétendre dire. II serait de toutes façons pré. :'J1aturé, et quelque peQ. présomptueux, de tenter à tout prix de porter aujourd'hui un jugement sur l'ensemble de ces œuvres complètes - si tant est qu'un tel jugement soit possible, sinon uti· le. Ces textes, qui s'étendent sur près de soixante ans (de 1910, des premiers Hain Tenys, à 1968) ont été, pour la première fois, publiés en innombrables fragments, livres, plaquettes, articles de revues ou de journaux (ou pas publiés du tout comme ces Progrès en amour assez lents, rédigés au front du· rant la première guerre mondiale, et révélés en 1966). Cette frag.

mentation, qui est ici l'inverse d'une dispersion, explique assez bien l'impression, déconcertante, disait-on à plaisir, de Jean Paulhan sur ses contemporains Maintenant que le fiouvenir s'affaiblit, pourquoi ne pas re· connaître qu'on s'est en partie trompé. Où l'on ne voulut voir que paradoxes, séductions, encou· ragements, ou, au contraire, désinvoitures, se dissimulait l'attention iloutenue d'un écrivain - on peut dire, d'un homme - qui suivait en secret, mais passionnément, la progression et le déroulement d'une expérience : la sienne propre. Une biographie de Jean Paulhan serait du rest.e incompréhen. sible sans l'histoire de ces textes, seuls jalons visibles de cette expé· rience. Si le sujet en fut Jean Paulhan, le domaine de J'expérience a été, on le sait, le langage, le plus in· confortable des séjours puisque le langage ne cesse de modifier les perspectives à mesure qu'on s'occupe de lui, allant même jus. qu'à se contredire. L'originalité de l'entreprise est d'avoir été conduite ni en philosophie, ni en linguistique, ni pour tenter de saisir une essence, ou découvrir une structure. Philosophes, logiciens et linguistes (qu'il connaissait bien, y compris les plus modernes) lui tenaient lieu, plutôt que de repères, de témoins à charge ou à décharge quand ce n'était pas de repoussoirs. Au mi· lieu du langage, Jean Paulhan s'est comporté en artisan. Le langage était un matériau, livré ou donné brut, en quelque sorte, friable et opaque tout à la fois, inoffensif, semblait-il, et pourtant capable de réactions imprévisibles (Jean Paulhan a posé cette question surprenante: «Dites-moi à quoi vous pensez quand vous ne pensez à rien?» et, une autre fois fait observer «ce n'est pas parce qu'un homme dit vrai qu'il pense vrai », ou encore «si Mau· riac et Paul Eluard sont en dé· saccord sur la paix, le mot «paix », lui, n'y est pour rien »). L'expérience a commencé très tôt, lors d'un séjour qu'il fit à Madagascar. II y découvrit l'usa· ge courant et populaire des Hains Tenys, poèmes en forme de pro· verbes, qui sont utilisés dans la controverse. Curieux poèmes dont le sens disparaissait pour n'être plus que le symbole même de la dispute. Si bien que lorsque Jean.

La Q!!inuine Littéraire du 16· au H octobre 1970

Paulhan sollicitait d'un Malgache l'explication du texte, celui-ci le priait de commencer la dispute. Mots et phrases jouaient un rôle étrange, devenus signes d'un évé· nement qui se passait ailleurs, dans l'esprit, non sans cesser d'être mots et phrases. Le langage n'était pas un milieu inerte. Sa clarté s'accompagnait d'un obscur, qu'il rendait perceptible pourvu qu'on ne soit pas aveuglé c'est le mot - par la clarté. Plus tard, durant la guerre, Jean Paulhan remarqua que ni lui ni ses camarades de combat n'étaient capables de décrire les circonstances dans lesquelles ils venaient vivre - et mourir. Les mots perdaient leurs sens. Quant au permissionnaire, chez lui, il gardait le silence. Ses pensées n'avaient plus de mots. Ces deux épisodes inaugurent l'itinéraire de l'expérience que Jean Paulhan a, dès lors, suivi, à travers ce qu'il appelait «les em. barras de langage ». C'est à partir de ce moment qu'on peut dire qu'il se consacra vraiment à la littérature. Celle-ci est, en effet, le lieu privilégié de l'observation. Chaque œuvre est une «machine» à langage et chaque écrivain a la prétention d'en connaître le mécanisme. Pour certains (les romantiques, par exemple) les mots viennent de la pensée.. Pour d'autres (les anciens réthoriqueurs) , ce sont les mots qui sont à l'origine de la pensée. Chacun est la victime de ses illusions. Pour les premiers, à mesure qu'ils choississent les mots, ils contraignent la pensée. Pour les autres, ils sont paralysés par les mots dans leur volon· té de provoquer la pensée. Ce· lui-là, qui ne veut qu'être clair. souffre des lois qu'il s'impose pour maintenir à tout prix cette clarté. Celui·ci regrette que mots et phrases soient incapables de rendre ce qu'il avait à dire. Tout le monde se méfie du langage. Des Fleurs de Tarbes (en 1941) au Don des Langues (1966), Jean Paulhan a établi, au jour le jour, non pas les lois du langage qui fixeraient un rapport régu· lier entre. mots et pensées, mais un système de références entre lesquelles oscillerait le langage, entre deux défaillances et deux opinions contraires. Ecrire, ce se· rait, en même temps qu'admettre cette ambiguïté fondamentale, irréductible, utiliser le langage en

veillant à ne pas contrarier le mouvement auquel il nous oblige. Chaque œuvre est une description d'expérience qui devient elle-mê· me expérience. Le langage n'est peut-être alors que l'exploration de reffet qu'il et produit à la fois - remarque qui ne manque ni de sérieux ni de gaieté, ce qui, à tout prendre, définit la person· ne et l'œuvre d'un homme qui voulut aller où l'on n'est pas, non sans jamais cesser de se deman· der où, vraiment l'on n'est pas.

André Dalmas

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L'U.R.S.S. et la Chine

LETTRES

A

La Quinzaine Ilttt·r.urt>

H. Carrère d'Encausse, S.R. Schram

L'U.R.S.S. et la Chine devant les

Révolutions dans les sociétés industrielles. Travaux et recherches de science politique, Armand Colin éd., 108 p.

L'analyse d'Hélène Carrère d'Encausse, maltre de recherches au Centre d'étude des Relations internationales et de Stuart R. Schram, directeur du Contemporary China Institute de Londres, pourrait passer pour une simple monographie qui retracerait les attitudes de la Russie et de la Chine devant les diverses tentatives révolutionnaires du tiers monde. Mais dans la mesure où les comportements des deux pays qui se réclament d'une idéologie commune sont reliés à des expériences révolutionnaires dissemblables, cette étude devient une réflexion sur la théorie marxiste et sa rencontre avec l'histoire. Elle est d'abord le procès-verbal d'une rupture et de ses développements; l'Octobre russe n'est plus le phénomène fondamental dont la révolution chinoise ne représentait que le prolongement et l'écho. Celle-ci dément la volonté soviétique de continuité ou de flliation en prenant des positions fortement d1fIérentes sur un plan où l'idéologie aurait dU cependant préparer les deux pays à se rejoindre dans des jugements communs, l'appréciation des mouvements révolutionnaires du tiers monde. Depuis le divorce sino-soviétique de 1958, les divergences se sont accentuées. Dans une première période, de 1959 à 1960, l'Union soviétique abandonne les théories de la III' Internationale, met l'accent sur l'aspect politique de l'indépendance et sur l'orientation progressiste de la bourgeoisie nationale. C'est admettre que des forces non prolétariennes peuvent contribuer à préparer les conditions de réalisation d'un projet socialiste en liquidant l'exploitation féodale des campagnes et en instaurant un capitalisme d'Etat. La coopération avec Nehru et les gouvernements nationaux du Moyen-Orient se fondait sur cette analyse. De 1960 à 1963, la radicalisation constante de l'action politique daIlf le tiers monde, qui conduit des équipes non communistes à jouer le rôle d'avant-garde en réalisant des réformes de structure économique dites socialistes, oblige l'U.R.S.S. à inventer le concept de «démocratie nationale» définie comme l'union des ouvriers, des paysans et d'une partie de la bourgeoisie. En même temps se fait ;our l'idée d'une voie. non capitaliste. Eufln, dans la période 1964-1969, deux réalités accaparent la réflexion des Soviétiques: les couches intermédiaires <intelligentzia, fonctionnaires, etc.) et l'armée, deux forces qui jouent un rôle considérable dans le nouveau cadre de la «démocratique révolutionnaire» pour le maintien de l'indépendance politique et la modernisation technologique. L'idée de ces nouvelles analyses est que l'orientation d'un mouvement ou d'un régime n'est pas liée au caractère de classe de ceux qui le dirigent. A travers toutes ses étapes la théorie soviétique de la révolution dans le

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tiers monde affirme Simultanément l'universalité de l'idéologie et la variété des voies et des moyens révolutionnaires. «Le socialisme est fondamentalement un régime unique. Il n'y a pas de socialisme russe ou allemand, chinois ou africain; toute tendance à copier mécaniquement un modèle révolutionnaire en lui accordant une valeur universelle est, au mieux, du subjectivisme. ,. Ces dernières affirmations constituent, à la fois, la description et la condamnation de la ligne chinoise. Car, de 1959 à 1969, tout en nuançant ces jugements sur les pays de tiers monde en fonction d'impératifs diplomatiques, la Chine s'est inflexiblement engagée dans la définition d'une seule voie vers le socialisme: la mobilisation des masses pour la lutte armée. L'universalisation de la voie chinoise implique la vérité et l'authenticité du modèle présenté et réalisé par Mao Tsé Toung. Peut-être y avait-il dans la théorie marxiste une dualité possible de significations, et cé n'est pas le moindre mérite de cette étude de montrer comment l'histoire concrète a analysé une pensée qui se voulait fondamentalement une. La Russie et la Chine sont parvenues à la ·révolution par des cheminements différents. Les événements de 17 amenèrent rapidement le parti bolchévik au pouvoir dans un pays présentant un immense retard industriel. Sans méconnaïtre le rôle des facteurs idéologiques, Lénine mit l'accent sur l'importance de la technique et de la compétence pour élever la Russie à un haut degré de production et de technologie. De Staline à Brejnev-Kossyguine cette ligne fut I>oigneusement maintenue. Au contraire il fallut à l'armée rouge chinoise vingt années de guerre pour conquérir le pouvoir. Les exigences de la lutte donnaient aux valeurs morales une primauté sur les compétences techniques. Sans nier l'importance des transformations économiques - le parti chinois accepte Ja voie de l'industrÙ!,lisation- rapide la révolution de Mao Tsé Toung compte davantage sur les capacités des hommes, mobilisés autour d'une foi politique, pour triompher de toutes leI> insuffisances matérielles. La «révolution culturelle» pose comme principe premier la fidélité intransigeante aux valeurs morales inscrites dans la pensée du Président Mao Tsé Toung. Chacune de ces révolutions, en valorisant sur le plan théorique sa propre expérience de la prise du pouvoir, fait éclater le marxisme en ses deux éléments constitutifs essentieis : la transformation de l'homme dans le sens de la justice, la transformation du monde par le travail et la technique. Il est à noter - et le philosophe peut y trouver matière à réflexion - que cette dissociation s'effectue conformément aux traditions et aux attitudes par lesquelles s'opposent une civilisation occidentale préoccupée par la recherche des conditions objectives du développement et une civilisation orientale plus tournée vers les conditions subjectives de l'existence. La controverse idéologique serait-il le masque d'un conflit plus ancien entre l'Occident et l'Orient? Louis Arenilla

Monsieur le Directeur, Je viens de découvrir dans la Quinzaine (n° 102) mon «intervention au Colloque de Loches sur l'avant-garde littéraire. Je tiens à souligner que ce texte, publié à mon insu, est extrait d'une lettre adressée à M. Gadoffre pour lui expliquer mon absence au colloque. Je ne renie aucune des idées que j'exprimais en privé, surtout pas le constat d'un retard croissant qui relègue la France au rang des «pays culturellement sous-déve Mais si j'avais prévu que ma lettre fût publiée, jamais je n'aurais mis en cause, nommément, deux revues que j'estime, d'une manière qui, sans autre explication, relève de l'insulte gratuite: «Change reste Tel Double mise au point: 1 ° N'importe, ou tant mieux, si les divergences théoriques demeurent possibles,. l'œuvre que Tel Quel poursuit sans transiger depuis dix ans est d'une portée décisive.

Lucien Goldmann C'est avec une infinie tristesse que nous avons appris le décès brutal de notre ami et collaborateur Lucien Goldmann. Sa personnalité, ses recherches ont profondément marqué ces vingt-einq dernières années. Dès "après-guerre, son activité inlassable s'attache à faire connaître l'œuvre de Georg Lukacs; auprès de dizaines d'étudiants et de jeunes professeurs, alors qu'il n'existe pas encore d'édl· tion française d'Histoire et Conscience des classes, Il en traduit patiemment le texte. Sa thèse sur Kant, Ins· pirée de l'idée lukacsienne de • vision tragique du monde -, Introduit une nouvelle méthode d'analyse en histoire de la philosophie. Il travaille aussi en collaboration étroite avec Jean Piaget et son équipe. De ces rencontres et de ces approfondissements, naissent des textes qui renouvellent complètement l'interprétation de Pascal et de Racine. Le Dieu caché suscite des discussions passionnées. Depuis lors, dans de mul· tiples congrès, à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, Lucien Goldmann s'appliquait à une double tâche: déterminer, d'une part, dans l'optique d'un marxisme ouvert, une épistémologie rendant compte des dynamismes socio-idéologiques et poursuivre. d'autre part, l'analyse des œuvres et des qenres littéraires. Et les jeunes chercheurs savent combien son accueil était généreux: et ses collègues, quelle amitié il conservait toujours dans les discussions. «La Ouinzaine littéraire -, qui consacrera bientôt un ensemble d'artl· cles aux travaux de Lucien Goldmann, présente ses affectueuses condoléances à Annie Goldmann et à ses enfants.

2° Même si le « change:) est apparu d'abord moins net que d'aucuns ne l'espéraient, ma lettre du 22 juillet ne pouvait prévoir ce nouveau départ que promet, pqur octobre, la prochaine livraison de Change - non plus que les récents afflux qui confirment la vitalité de Tel Quel. Bernard Teyssèdre

Nous donnons bien volontiers acte à Bernard Teyssèdre des rectifications qu'il apporte à sa communication au colloque de Loches, communication dont nous ignorions le caractère «privé et qui nous a été transmise, en même temps que celles de Nathalie Sarraute et de J.M.G. Le Clézio, par M. Gilbert Gadoffre aux fins de publication. M. Bernard Teyssèdre reste évidemment le seul à savoir que quand il écrit « Change reste Tel il formule une «insulte Mais à l'égard de qui, mon Dieu?

ESPRIT LES ÉTATS-UNIS EN RÉVOLUTION

• Les mouvements de 1i bération

• La culture des hippies

• Les Panthères norres

• La répression

• La révol ution est-elle possi ble aux U.S.A. ?

', ESPRIT l

1970 : 9 F

19, rue Jacob, Paris 6-

'C.C.P. Paris 1154-51


POLITIQUE

Histoire d'un couple Philippe Alexandre Le Duel de Gaulle Pompidou Grasset éd., 420 p.

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Le titre du livre de Philippe Alexandre ne répond pas exactement à son contenu car ce qu'il nous raconte n'est pas tant le ré· cit d'un duel que l'histoire d'un couple. Ou, si l'on préfère, la fin d'une liaison. Ses chapitres, qui s'appellent « La Rencontre », «Les Jours gris », ou «La Rupture» (laquelle précède curieusement «La Brouille») voient se rejoindre affaires d'Etat et états d'âme. Le général ressent la solitude comme une «souffrance» (p. 183) ; M. Pompidou, qui a souffert des «tourments'> et des 4: chagrins ignorés'> (p. 256), murmure: «Il fut un temps où le général m'aimait... :t (p. 198). Seulement, ces douleurs restaient ignorées de tous, sinon des familiers. On doit de pénétrer dans ces intimités illustres au procédé de l'auteur qui a interrogé, nous dit-il, quatre.vingt dix pero sonnalités: son livre est un ma· gnétophone dans une anticham· bre. Le résultat est d'un vif inté· rêt en ce sens qu'il présente l'his· toire des relations du général de Gaulle avec son futur successeur telle que la saga du gaullisme est en train de la construire. La re· marque ne retire rien à ces pages bien enlevées, ni au talent du transcripteur, elle ne vise qu'à si· tuer le récit avec une certaine prudence. Prudence alertée dès la première page par l'insolite pa· tronage de Constantin Melnik qui passait un peu pour le Foccart de Michel Debré (c'est au moins ce que l'on pouvait lire dans le Monde en 1959). A ce titre, on ne s'étonnera pas exagérément de voir les préparatifs de mai }958 qualifiés de «soi·disants com· plots '> encore que «préten. dus'> eût été préférable. Un second .motif de prudence vient de ce que M. a gagné, ce qui incite les interlo· cuteurs de Philippe Alexandre à souligner, fort humainement, la contribution éminente du futur Président. c L'histoire ne saura jamais quel rôle immense a joué Pompidou dans mise en place de la V' Républiqûe aurait con· fié le général en 1959, lorsque celui·là retournà. à. sa banque (p. 76). Même. du pouvoir, La

Cb!'."'ac Uttérake du

Dessin de Vasco

c'est lui qui, de 1959 à 1962, «fait les ministres'> si l'on en croit Ro· bert Buron (p. 86), et à peine à Matignon, il devient «le chef de file des barons» (p. 109). L'en· quêteur enregistre, glissant p!lr· fois, cependant: «Ecoutons la légende... » (p. 37). On ne sau· rait en tout cas lui imputer une. excessive complaisance à l'égard du locataire de l'Elysée, ni dans le portrait (il traverse, indiffé· rent, le Front populaire et l'Oc· cupation), ni dans l'appréciation d'une gestion qui fut loin d'être miraculeuse (Premier ministre, il laisse nonchalamment l'inflation se développer). Sans complexe, il affirmait un mois et demi avant la crise de mai 1968: «Je n'ai pas le sentiment qu'un gouvernement aussi efficace ait déjà gou· verné la France aussi long. temps... » (p. 217). Il est vrai que son prédécesseur avait dit à peu près la même chose. La modestie n'a jamais été la vertu dominante de la V' République. Le livre apporte une foule d'in· dications qui éclairent la face obscure d'événements dont on ne connaissait que l'aspect officiel. Sont·elles toujours décisives? J'ai été surpris, par exemple, de ce qui est dit du rôle attribué à M. Pompidou entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1965, car le Premier ministre était alors comme tombé dans une trappe et cet oubli le fâchait fort, si je me souviens de la conférence de pres8e mans8ade qu'il tint le

16. au JI octDbre 1970

16 décembre, salle des Horticul· teurs, se plaignant notamment que la commission' de contrôle lui interdise d'apparaître à la télévision (M. Peyrefitte, ministre de l'Information, « enrage d'être condamné à l'impuissance », p. 171). Ses auditeurs n'avaient vrai· ment pas l'impression de se trou· ver devant le deus ex machina de la campagne gaulliste. C'était Mi· chel Debré qui émergeait de la médiocrité des propagandistes officiels, grâce en particulier au fa· meux débat qui l'opposa à Pierre 'Mendès France à Europe 1. Sa performance l'avait, disait - on alors, ramené dans les faveurs du général qui décida son retour au gouvernement et l'occasion permit au Premier ministre d'élimi· ner Giscard. Selon Philippe Alexandre, c'est au contraire Pompi. dou qui aurait proposé Debré à un de Gaulle réticent. Un autre point qui m'a étonné est l'affirmation selon laquelle le général aurait commencé à abandonner les affaires à son Premier ministre au début de 1966 (p. 188), alors que cette période est précisément marquée par la mul· tiplication des initiatives prési. dentielles dans des domaines pourtant éloignés des classiques obsessions gaulliennes, en particu· lier la tenue de conseils à l'Elysée sur la télévision en couleur et le déficit de l'O.R.T.F. (15 mars), l'urbanisme (28 avril), la réforme des polices (20 mai), la politique énergétique (31 mai), ou les

grands projets technologiques (19 juillet)... Le Chef de l'Etat venait d'autte part de formuler dans sa conférence de presse du 21 février la doctrine de la majorité présidentielle à l'image de la· quelle devait être la majorité par· lementaire. Cette conception, qui avait été prônée par le rival de M. Pompidou, M. Giscard d'Es· taing, conduisait à retirer tout leadership politique au Premier ministre puisque la majorité à l'Assemblée, celle dont il se vou· lait le «patron », ne devait plus être que l'ombre portée de celle qui s'était réunie le 29 décembre 1965, dans le pays, sur le candidat Charles de Gaulle. A l'automne cependant, le Pré· sident réélu abandonna à son Pre· mier ministre la préparation des élections législatives de mars 1967, et c'est alors que M. Pompidou s'affirma comme le leader de la majorité parlementaire. Il assura définitivement son autorité face à une Assemblée difficile tandis que le général s'éloignait vers ses chimères, québecoi"es ou autres. Il existait donc une certaine logique, inhérente aux ressorts ambigus du régime. L'élection présidentielle avait souligné que le Premier ministre n'était qu'un directeur de cabinet, les législa. tives lui rendirent une initiative qu'il ne devait plus lâcher. En mai 1968, il perdit bien son pari de la réouverture de la Sorbonne, mais ce n'était qu'une bataille et ce fut lui le véritable triompha. teur des élections de juin. Aussi n'est·il pas étonnant que le géné. raI l'ait congédié, avant de tenter de ressaisir un contrôle qui lui échappait en recourant à l'arme gaullienne par excellence, le réfé· rendum: Frédéric Bon l'a très bien démontré dans un récent ar· ticle de la Revue française de Science politique (1). Cette logique dessine en quel. que sorte le s<fuelette des événe· ments, mais un squelette sans chair. On comprendra que rêt du récit de Philippe Alexan· dre ne réside pas dans l'analyse critique des situations ; il est tout entier dans la description des hu· meurs de ce couple qui ne 8e supporte plus: la lassitude du monarque vieillissant, et l'impa. tience du favori qui avait trop bien retenu sa leçon. Pierre A tJril (1) • Le référendum du 27 avril 1969: suicide politique ou néceSSité stratégique? (avril 1970).

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L'Orient second 1

Jacques Berque L'Orient second Gallimard éd., 448 p.

Nous sommes pris, c'est en· tendu, dans la tenaille nature et culture; entre l'Espace à dominer par l'atome et l'ordinateur, et les espaces en friche autour, au fond de nous. A cause de ce déchirement, c'est entendu, il n'est plus d'esprits universels... Et si un homme entreprenait de faire le point d'un demi-siècle d'« irrésignation :.? Un homme ayant vécu l'Orient et non vécu en Orient, ayant remis en cause l'Occident natal pour voir com· ment il est, déjà, profondément, modifié par les autres cultures ? Alors nous verrions se dessiner notre tâche nouvelle: le «mouvement Pour être une personne, aujourd'hui, pour deve· nir soi, pour échapper aux agressions aliénantes, il ne suffit plus de connaître plusieurs cul· tures. Ni d'ouvrir un regard cu· rieux sur la constante transforma· tion, sur les différences. Il ne suffit pas de savoir que les Black Moslems de New y ork·Harlem diffèrent fondamentalement «les musulmans africains, ni que déjà, depuis «les Demoiselles d'Avi· notre art est nègre et l'art des Mricains contaminé. Les Américains ne sont pas seuls «coupés de leur Nature d'ori· gine et, comme disait Jung, « orphelins à la recherche de leur Nous sommes tous des orphelins revendicants. Reven· dication globale et décisive : unir la Nature et les diverses cultures. Donc modifier techniques et raisons: le «logos:. doit devenir multiple. Mais comment? Et qui peut indiquer le chemin ? Peut·être Orient second. Médi· tation avant tout poétique, c'està·dire fondamentale d'un homme justement qui revoit, réexamine, bref revit les diverses cultures qu'il a connues et la nature où il s'enracine. Nous vivons dans un coin du monde, et ses problèmes, sa culture en mouvement, et notre déchirement s'affrontent. Alors «comment s'armer d'une raison qui sans réduire Orphelins, prisonniers, nous contemplons des «paysages désertés du sens ancien, et qui n'ont pas trouvé de sens

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C'est vrai pour l'Occident, qui s'affirme triomphant mais se sait en danger de dissolution. Plus vrai encore pour le tiers monde, ce «tiers exclu qui «cherche à conquérir son histoire sans renoncer à

L'homme qui se cherche Jacques Berque n'a pas «parcouru le monde, comme on le dit des grands voyageurs: il a tenté de le revivre, de lui rendre à travers ses affrontements, la seule unité, la seule commune mesure possible : celle de l'homo me qui se cherche. Il y fallait un esprit rompu à la diversité des langages - ce qui implique une réflexion fondamentale sur le Logos, et sur les diverses manières de manier la raison. Mais aussi un esprit accoutumé aux sciences sociales, c'est·à-dire à situer, face aux visages divers de la Nature, les cultures diverses. Surtout, il y fallait le don de revivre l'ensemble de ses émotions, de ses C sensations, de ses connaissances.' C'est - à - djre un poète. Le chemin n'est pas facile. Un regard -sur l'Occident suffit pour· que ses contradictions montrent l'inanité de· prétendre à une «culture L'Amérique, hyper.occident, ne portet-elle pas en son cœur le problème des Américains noirs? Quand un homme tente de le résoudre par la non.violence, autrement dit une synthèse des cultures, il est «choisi par la mort : c'est Martin Luther King. Les violents ne meurent pas moins: témoin Malcolm X... mais ils choisissent la non-Amérique: les Black Moslems, qui ne sont pas exactement l'Islam, ni exactement l'Afrique: c'est, déjà et très naturellement, une synthèse. L'Amérique n'a offert à ce dixième de sa population que «ramère vertu de la prolétarisation, qui multiplie r énergie de la Ainsi donc l'Occident inclut son contraire. Mais ce contraire, l'Mrique, pour notre poète du mouvement global, c'est «la remontée vers les l'accession de la Nature à l'histoire. En grande Casamance, où b 0 u r g a d e et

brousse se fondent l'une dans l'autre, résolvant un instant, pour notre sensibilité, l'opposition entre Nature et Culture, le voya· geur constate la mouvance, la fin: «ce paradis est également condamné par r économie moderne et par r éthique de rIs La société archaïque, inéluctablement, surgit dans l'histoire. Mais que Il e histoire? L'histoire prosopopée (celle qui dégoûte justement Foucauld), ce n'est pas la vraie. L'histoire, c'est l'entrée d'une nation, d'une culture, dans l'ensemble complexe du monde, fait de toutes les autres cultures: un peuple s'accomplit, aujourd'hui, non à partir de lui seul, mais à partir des autres.

Les démonstrations de manquent pas. Et si l'universalité de l'expérience chinoise est mise en cause, c'est justement au nom de la diversité nécessaire. Un modèle qu'il soit de Marx-Lénine ou de Marx·Mao - ne se transpose ni ne s'applique: il se modifie. Nous examinons, chemin faisant, divers modèles de décolonisation, dont celui de l'Inde. Et il faut bien conclure qu'il n'existe pas - malgré la joie qu'on en aurait de système prédestiné. «Il faut multiplier face à rOccident d'autres hypothèses de rhomme... y compris sur le plan industriel. Il faut, sans pleurer sur l'inéluctahle nécessité du mouvement, découvrir chaque fois 'un sens du mouvement, une intégration différente des indispensahles techniques.

Au-delà des étiquettes Berque a le courage de montrer les réalités au-delà des étiquettes: libéralisme, socialisme ; c'est de la fidélité d'application des idéologies invoquées que dépend la réussite: «une éthique sociale n'est telle que par la fidélité aux bases. Car, si la phase technologique doit être vécue, comment doit-elle se vivre dans les différentes cultures? Berque résume les espoirs des auhes de décolonisation, et les désillusions qui pleuvent en chemin, en une formule superbe: «L'optimisme, en histoire, n'est pas de croire au bonheur, c'est de croire aux problèmes. Et «La retrouvaille d'une patrie est aussi MJUicitation

d'autres patries en vue d'un dia. logue universel. Alors il faut remettre en question la part de Marx qui plonge dans le XX· siècle. C'est peut·être, pour Jacques Berque qui, comme presque tous les intellectuels occidentaux, a voulu y croire, le plus courageux retour sur l'Histoire et sur soi. La classe ouvrière ne peut être définie, pour tou. jours, «dans les seuls termes d'une sociologie du Les conditions du travail évoluent, mais l'environnement anthropologique plus vite encore. Aux paysans, aux ouvriers, vient se joindre un troisième facteur humain: l'intellectuel. Le pouvoir qui lui est propre a un nom: l'expression. « L'intelligentsia n'est pas une classe: c'est un rôle. Aussi peut-être participer de toutes les classes: son rôle est d'analyser, donc de critiquer, d'inquiéter. «Dès qu'il rassure, dès qu'il s'assagit, il n'est plus un intellectuel. Il ne peut être que le symbole de l'histoire·se· faisant.

Multiplicité, diversité Multiplicité des cultures: im· possibilité d'un modèle unique transposable, constante recherche, diversité de l'homme et du monde. Mais ne le savions-nous pas déjà? Nous le savions peut·être : mais dans rOrient second Jacques Berque nous invite à le vivre. A nous revivre. A resurgir de nos faux espoirs et de nos désespoirs pour comprendre, ressentir, res· tituer ce qui seul peut nous sauver la distorsion, de la noyade. Il ne nous indique rien : il nous fait cheminer du' Machrek au Maghreb en passant par la Californie, l'Inde, la sylve de l'Mrique sud-saharienne et nos çultuces natales d'Europe. Ce voyage à la fois dans l'espace et dans nos intérieurs, que nous remontons comme des fleuves, nous oblige d'admettre la multiplicité déjà entrelacée des cultures, des arts, des vues du monde. Déjà, le dynamisme interne oblige celui qui refuse l'enlisement à vouloir combler le fossé entre soi et les autres non. pas sa culture, mais par une c: nouvelle élaboration de l'humain

Dominique Desanti


vawar Mallku Le sang du condor stérilité des femmes indiennes et de la sienne propre, qui conduit l'expédition punitive, qui prononce la castration, Ignacio est voué à une sorte de mort • active -, assassinat rapide, exécution crapuleuse, par coup de fusil, ou de pistolet, ou de couteau, et qui vise à l'élimination systématique des «meneurs -, des «militants. (que l'on pense aux assassinats de Lumumba, de Ben Barka, de Che Guevara) . Laissé pour mort et s'étant traîné jusqu'à l'hôpital de la ville, il subit une seconde mort, mort. passive ., lente, qui n'en finit pas, dans la vaine attente d'un sang qui pourrait le sauver - mort par perte irréversible de la substanée vivante, où l'on peut voir le modèle de l'anéantissement systématique

de groupes humains, de l'ethno· cide, par destruction de leurs énergies physiques (famine, travail forcé, dénutrition, etc.) ou psychiques et sociales (déracinement, décomposition des croyances et des institutions, démantèlement des systèmes de relations avec la collectivité et l'univers, etc.). Cette mort obscure, silencieuse, anonyme, est comptabilisée dans les statistiques comme phénomène naturel (épidémies, maladies endémiques, manque d'hygiène ou de calories, et autres rubriques) . Aussi significative qu'elle soit de la criminalité impérialiste, la double mort d'Ignacio Mallku a besoin d'autres éléments pour atteindre à l'universel. Précisément, pris dans le jeu croisé de cette double mort, ces éléments

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Les Lettres Le Sang du Condor Film bolivien de Jorgè Sanjinès (1968) Studio Saint-Séverin, Studio Parnasse

Sous couvert d'alliance pour le progrès et d'aide aux pays du tiers monde - on distribue, de fait, à de Jeunes enfants pullovers et chaussures de basket - de bons Américains, volontaires des Peace Corps, pratiquent au Centre médical qu'ils ont installé dans un petit village de Bolivie la stérilisation des femmes indiennes; les Indiens démasquent leur entreprise, s'emparent des Américains et les châtrent; en représailles, la police bolivienne prend quelques «meneurs. et les fusillent. Ce fait divers fournissait un excellent scénario, d'où quelque commerçant-réalisateur, holIywodien ou autre, aurait sans doute tiré un film alléchant, une histoire à suspens et à pathos entraînant dans l'impasse d'une anecdote plus ou moins dramatique le sens fondamental de l'événement, à savoir l'action ethnocidaire délibérée de l'impérialisme yankee. Le cinéaste bolivien Jorge Sanjinés ne s'est

pas laissé prendre au piège des m,otifs, certes impressionnants, de la stérilisation et de la castration; au contraire, il les inscrit comme repères bien concertés et distribués dans son récit, il les transforme en modèles fonctionnels grâce auxquels sont mis en perspective et vigoureusement articulés les éléments constitutifs du destin d'anéantissement réservé aux Indiens d'Amérique du Sud - apportant ainsi une pièce saisissante au dossier de l'ethnocide ouvert par Robert Jaulin avec la Paix Blanche. Si la figure originale d'Igna· cio Mallku, le • responsable. de la petite communauté indienne, supporte le déroulement du film, elle n'est pas traitée sur le mode romanesque ou héroïque. Non seulement la présence et l'action de Mallku ne détournent pas de l'essentiel, mais elles y renvoient sans cesse. Grâce au procédé sim, pie et traditionnel du flash-back, le réalisateur introduit comme une cassure dans l'existence singulière et unitaire du personnage, il la décrit comme une double progression vers la mort: homme d'action, qui mène l'enquête sur l'origine de la

La Q.!!inzainc Littéraire du 16 au 31 octobre 1970

Nouvelles

Septembre-Octobre

InO

Nivaria Tejera Maurice Roche J. L. Borges Hawthorne R. Kostelanet2: L'art inférentiel Jean Métellus Tom Wolfe J. P. Amette Pierre Chappuis Roger Borderie Michel Vachey Flora Dosen Dimitru Buican Edith Fournier "Sans", de Beckett C. Koroneos La tragédie comme modèle Jean-Jacques Marie L'affaire des marins de la Baltique

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Le 88ng du condor

se présentent, sommairement, dans deux constructions principales: la première s'inscrit sous le signe de ce qu'on pourrait nommer l'indianTté authentique, elle a pour figure centrale Ignacio Mallku et pour caractéristique essentielle l'homogénéité, plastiquement rendue par une gamme harmonieuse de gris: gris des masures paysannes, fondu dans le gris de la terre, de la montagne et des nuages; gris plus épais des vêtements, les" ponchos - brodés; gris presque noir enfin des visages; homogénéité des formes, des expressions et des comportements, fondée sur une économie du " peu - (" Peu se disputent les chiens, peu les enfants, peu rient -, dit Henri Michaux dans la .Cordillera de Los Andes) ou, mieux encore, selon la formule nette et forte de Jaulin, sur une " logique du discret -. A la fois antagoniste et complémentaire du précédent, un second ensemble s'organise plus ou moins autour de la personne du frère d'Ignacio, Sixto, sous le signe de l'hétérogène, de la de la contradiction, de l'indianité dégradéa et aliénée; paysan, Sixto travaille dans une usine à la ville; Indien, il est vêtu à l'occidentale (blouson et pantalon) et renie sa communauté d'origine (à un adversaire, au football. qui le traite d'" Indien stupide -, il ne trouve rien d'autre à répondre que "je ne suis pas un Indien! -) ; son errance à travers la ville (blancheurs vives

et élégantes, noirs et blancs ques plans ou brèves séquen- de la Vierge et une grande phoanguleux et contrastés s'oppo- ces, quelle fonction vitale elles to de pin-up, un morceau de sant à la douce grisaille de l'uni- assument dans une appréhen- journal représentant la tête de vers indien), à la recherche sion cohérente et total isatrice Che Guevara assassiné. La d'argent ou de sang pour sau- de l'univers et une aperception Vierge, la pin-up et le Che: de ver Mallku, est une succession dynamique et créatrice des cette insolite trinité, caractérisdésordonnée de mouvements énergies du groupe et des indi- tique d'un désarroi culturel, fragmentaires, désespérés vidus : séquence nocturne de la c'est la figure du Che qui prend, chaque mouvement accrochant divination, avec invocation de la derrière l'écran si l'on peut comme au passage tel aspect divinité maternelle, le grou- dire, toujours plus d'ampleur, d'une indianité dégradée et des pe se saisit et, s'affirme dans pour triompher dans la sobre forces qui maintiennent et pro- sa volonté de comprendre, de séquence finale: Mallku mort, voquent cette déchéance: la lutter, de durer - et superbe Sixto, ayant revêtu ses vêtetroupe qui défile quotidienne- image solaire, montrant Mallku, ments indiens et repris consment, musique en tête, pour minuscule point noir vissé au cience de son indianité, revient rappeler qu'on ne se révoltera flanc de la montagne, en train, au village natal, non plus dans pas impunément; la bourgeoi- selon les paroles d'un Ancien, un mouvement las et stérile, sie bolivienne américanisée de « s'inonder de soleil -, c'est- mais d'un pas résolu et vif, (les enfants s'appellent Johnny) à-dire de déchiffrer et de sti- pour ce qui s'annonce comme r e c e van t -dans l'opulence muler ses forces vives en vue une longue, longue marche ... La (grands hôtels, somptueuses du combat. dernière image claque comme voitures, banquets) de fameux On ne s'étonnera pas que le un coup de feu: une photo de et inutiles "experts -, type film se termine par un appel au bras dressés brandissant des et voici l'autre combat. Dans la misérable fusils - clôturant le film, l'ouUNESCO face: sous - prolétariat sur- chambre de Sixto, on avait pu vrant sur quelque chose d'auexploité, minables chambres apercevoir, épinglé sur le mur tre, sur l'annonce d'une noubanlieusardes, clochardisation, et à demi masqué par un vête- velle étape. délinquance, malades éncom- ment pendu, entre une image Roger Dadoun brant les hôpitaux... Des motifs musicaux remarquablement appropriés - air de . .- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - flûte ressassé, inlassable, enveLES REVUES loppant, coriace et nostalgique, appuyé parfois sur des tambours et modulant l'indianité, et sonorités heurtées, percussions littérature française avec un texte, isolées, agressives, pour «noEurope (n° 496-497) très pudique, de Louis Guilloux qui ter - la ville - participent à la revient à sa première source d'InspiNuméro entièrement consacré à construction des ensembles anration, celle de • La Maisdn du peuMarcel Proust. Malgré le grand nomtagonistes. Il n'est peut-être pas bre de c011aborateurs, on ne peut pIe.; la littérature américaine, rearbitraire de lier à la musique guère y lire beaucoup de choses neu- présentée par une nouvelle de Carson les valeurs religieuses indien- ves sur un sujet déjà longuement McCullers; la poésie, illustrée par Jean-Claude Schneider et Albert Faexploré. Signalons cependant les connes, que les accusatiens chrébre; l'histoire: Edith Thomas raconte tiennes traitent de «supersti- tributions de LiQnel Mirisch, de Ro- le séjour de Louise Michel en Nouger Bordier et d'e Jean-Noël Vuarnet. velle-Calédonie. Par ailleurs, Jeantions - et de «paganisme -, et '. Clarence Lambert présente une introdont le fiim suggère, en quel-

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Critique (n° 279-280)

Numéro très écleètique avec comme principaux thèmes Jules Verne, Milton, Jacques Roubaud, les indiens Yanoama, Maurlche Blanchot, John Dewey et Roger Caillois.

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duction à la poésie suédoise avec des traductions de Carl Michael Bellman et August Strindberg. Dans les études critiques: Jean Blot parle de Julien Gracq, Anne Fabre-Luce de Jacques Borel et Michel Gresset de' Faulkner.

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Poétique (n° 3) Ce numéro très riche s'ouvre sur un très beau texte de Jean Starobinski sur «Le style de l'autobiographie.. Au sommaire, on relève les noms de René Girard, Sylvère Lotringer, Tzvetan Todorov, Michel Deguy et enfin Raymonde Debray-Genette (avec une étude passionnante sur «Les figures du récit. dans • Un cœur simple .).

La Nouvelle Revue Française (n° 213) Tous les genres sont représentés dans cette livraison de rentrée. La

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Commerce Dans son 17" cahier, à paraître le 20 octobre, • Commerce. publie le Code criminel ou Manuel des Inqulsl. teurs d'Espagne et du Portugal. Da· tant du XIV· siècle, ce texte redoutable semble aujourd'hui avoir son application dans d'autres domaines que celui de la foi. Au même sommaire: "La seconde mort de Jean 'Paulhan _, par André Dalmas, et les œuvres de Denis Roche, Viviane Forrester, Roger Munier. Jean Rlcardou et Pierre Pachet. (Nouveau Quartier Latin, 78, bd Saint-Michel, Paris.)


Jeux de massacre • C'est surtout à la mort que je demande pourquoi avec effroi -, note Ionesco dans son Journal en Miettes. On peut, si l'on y réfléchit, retrouver ce pourquoi dans tout son théâtre, ou presque. L'œuvre la plus évidente, à cet égard, la plus belle aussi, est le Roi se meurt. .• J'avais écrit cette œuvre pour que j'apprenne à mourir. Cela devait être une leçon, comme une sorte d'exercice spirituel.Un personnage de Jeux de Massacre affirme: • Nous n'avons qu'un seul mot à dire. - Celui de l'auteur est • la mort-. L'avant-garde, il l'a dit, se situe pour lui du côté de l'Ecclésiaste et du livre de Job. Dans Jeux de Massacre, ce n'est plus le roi qui se meurt. C'est le peuple, c'est-à-dire le public, chacun de nous. Une épidémie ravag.e la ville. Defoe, Camus, Giono ont déjà exploité le sujet. Ici, le traitement est assez différent. On pense à une revue, à une série de sketches où chacun à son tour vient montrer comment il se sort de cette épreuve à la fois terrible et indécente qu'est la mort. Puisque nous sommes au théâtre, voici un exercice redoutable pour tous les comédiens: réussir sa sortie. JI m'a semblé que les personnages qui font rire sont ceux qui ne croient pas à leur mort, qui ne l'acceptent pas. Ce sont les bourgeois qui se calfeutrent chez eux (et l'on a la surprise, le temps d'un éclair, de voir apparaître chez Ionesco un trait de morale humaniste: • Vous avez de la chance de ne pas risquer votre vie pour la vie des autres. D'autres, cependant, la risquent pour vous. »). Ce sont aussi les médecins, bien sûr, et surtout les politiciens, car mourir n'est pas civique. (cc Les gens qui meurent sont de mauvais citoyens... Les mourants ne sont pas assez politisés... La mort est une véritable aliénation....) Ionesco, qui prend plaisir à égratigner les idées gauchistes, s'amuse à montrer des gens qui pensent que la mort n'existe pas pour ceux qui connaissent bien la doctrine et vont de l'avant, toujours de l'avant. Audelà de ses humeurs politiques, il rejoint là une des idées de son enfance. Il l'a rappelée dans La CL.ubuaine Littéraire du 16

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ses entretiens avec Claude Bon· nefoy: foC J'avais fini par comprendre que l'on mourait parce què l'on avait eu une maladie, parce que l'on avait eu un accident, que, de toute façon, la mort était accidentelle et qu'en faisant bien attention à ne pas être malade, en étant sage, en mettant son cache-nez, en prenant bien les médicaments, en faisant attention aux voitures, on ne mourrait jamais. -

Le schizoïde Avec Ionesco, d'ailleurs, et c'est ce qui touche en lui, il faut toujours revenir à l'enfance. De l'enfant il a le vertige devant la vie, après la découverte de la mort; comme l'enfant, il ne connaît qu'une seule méthode d'exploration de la réalité: celle de l'extràpolation, menée de façon méticuleuse. A ces traits on reconnaît le schizoïde, espèce mentale d'où sortent tant de grands écrivains. La progression dramatique, dans le théâtre de Ionesco, s'appuie le plus souvent sur une prolifération (exemples: les Chaises, Amédée, Rhinocéros). On va en même temps vers un paroxysme, un· déchaînement. Ici, où c'est la mort qui prolifère, on voit l'horreur et la co· lère monter dans la population. L'auteur démontre' ainsi que c'est l'insupportable idée d'être mortelle qui fait "humanité telle qu'elle est, avec ses guerres, ses révolutions, son sadisme et son masochisme, son goût de la destruction.

On est enfermé La mort, thème dominant, n'est toutefois pas le seul de la pièce. On y trouve aussi celui de la prison et son ambivalence. Des prisonniers cherchent à s'évader. A quoi bon, leur dit le dernier gardien, tous les geôliers sont morts, les portes sont Quvertes. Mais s'ils sortent, ils mourront eux aussi. Ainsi, quoi qu'il arrive, on est enfermé. André Breton disait déjà que l'œuvre de Ionesco est • à la fois la messe des fous et la fonde des prisonniers -. 31 octobre 1970

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Ionesco

Une grande scène développe d'autre part l'idée qu'il y a peutêtre plus sournois que la mort: on vieillit, on s'ennuie. Le monde perd sa fraîcheur, Une vieille femme cherche en à consoler son compagnon désabusé, Quand elle tombe, frappée à son tour par l'épidémie, elle a ce mot bouleversant: • Tu guériras toi aussi ». La mise en scène de Jorge Lavelli et le noir décor de Pace contribuent grandement à éviter que Jeux de Massacre soit un spectacle rassurant, ou confortable. C'est en effet le plus grand danger, pour une telle entreprise. Si l'on relit le Jour· nal en Miettes de Ionesco, on le voit hanté par la peur de ne faire que de la littérature, alors que ce qu'il cherche c'est à «être vraiment maître de ma vie et de ma mort », ou plus simplement à se • soulager - : « C'est avec une sorte de sa· tisfaction que j'écris sur la mi· sère et l'angoisse: comment peut-on parler d'autre chose quand on a conscience que l'on va mourir?» Pendant que plusieurs dizaines de comédiens, fondus en une troupe remarquablement homogène, miment ainsi sur la scène du théâtre Montparnasse les mille façons de bien ou mal mourir, Eugène Ionesco, en pleine campagne, dans la Mayenne, joue de son côté la mille et unième. Il tourne comme acteur son scénario, la Vase, à la Chapelle Anthenaise, le village où il a passé une partie de son enfance. C'est une entreprise de .la télévision allemande, avec 'pour réalisateur l'écrivain Heinz von Cramer. Dans la Vase, un homme vieillit à vue d'œil tout en marchant le long des chemins creux, dans la campagne. c Comment les autres font·i1s pour vivre... survivre?» Il se débat faiblement entre le désir de vivre et la nécessité de mou'rir. Le jour où je suis allé voir le tournage, la caméra filmait de très loin un tout petit Ionesco, couché les bras en croix dans un champ, au soleil. Image d'un instant de bonheur? Image de la mort? C'est au choix. • J'ai toujours été là -, dit le héros de la Vase, alors même qu'il retourne au néant. Roger Grenier

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BOMANS FBANÇAIS

Daniel Apruz La bêlarnour Buchet/Chastel, 300 p., 22 F. Un second roman où s'affirment les promesses du premier livre de l'auteur: «La Baleine. (voir le N° 61 de la Quinzaine). Monique Bosco La femme de Loth Laffont, 256 p., 15 F. Une femme face à la crise de la quarantaine. J. Bouvier-Cavoret Da deuxième personne Coll. «L'écart., Laffont, 168 p., 12 F. (Voir le N° 103 de la • Quinzaine littéraire -). Hélène Cixous Le troisième corps Préface de L. Finas, Grasset, 240 p., 20 F. (Voir le N° 103 de la • Quinzaine littéraire .,) Hélène Cixous Les commencements Préface de L. Finas, Grasset, 256 p., 22 F. (Voir le N° 103 de -la «Quinzaine littéraire ••) Jeanne Cressanges Le cœur en tête Julliard, 224 p., 17,10 F. Le troisième roman de l'auteur de «La chambre interdite •. Jacques Desbordes Les petits rôles Calmann-Lévy, 208 p., 15,60 F. L'aventure intérieure d'un homme désabusé, qui échoue à Alger pendant la révolution, fuyant Paris et ses propres désillusions. Annette Eon L'or de Balboa Buchet/Chastel, 160 p., 15 F. Un premier livre qui renouve avec la tradition des grands romans populaires: Léo Ferré Benoit Misère Laffont, 320 p., 20 F. Les débuts romanesques du célèbre chanteur.

Jocelyne François Les bonheurs Laffont, 256 p., 15 F. Un premier roman: l'amitié exaltée de deux femmes.

Michèle Perrein M'oiselle S. Julliard, 160 p., 15,40 F. Par l'auteur de • La sensitive •.

Pierre Jeancard La cravache Fayard, 240 p., 20 F. Le premier roman d'un journaliste chroniqueur politique: une histoire paysanne autour du drame de l'enfance.

André Pierrard On l'appelait Tamerlan Préface d'A. Lanoux. Julliard, 192 p., 17,10 F. Le roman d'un réseau de la résistance. Jean Rambaud Qu'est-ee qui fait marcher John Briant? Julliard, 192 p., 17,10 F. La prise de conscience d'un quadragénaire, victime d'un accident mortel.

Serge Huet L'île imaginaire Calmann-Lévy, 208 p., 16,50 F. Premier roman: les aventures d'un jeune couple fuyant, sur une ile, la «névrose des grands ensembles •.

André Wurmser La kaléidoscope Julliard, 288 p., 20,90 F. Soixante-dix-sept nouvelles marquées au coin d'un humour assez cruel.

André Martinerie Quand finira la nuit Grasset, 272 p., 20 F. L'intrusion de l'horreur, c'est-à-dire de la maladie et la mort, dans une • existence ordinaire •.

LeRoi Jones Le système de l'enfer de Dante Trad. de l'américain Calmann-Lévy, 224 p., 18 F. L'auteur de «Saved. (voir le N° 96 de la Quinzaine) nous dépeint ici en poète l'agonie permanente du Noir américain.

S. 1. Witkiewicz L'inassouvissement Trad. et avant-propos de A. Van Crugten Ed. de l'Age d'Homme, 538 p., 39 F. Traduit pour la première fois en français. un roman fascinant qui est sans doute le chef-d'œuvre de Witkiewicz.

Jean Marcenac L'amour du plus lointain Julliard, 112 p., 17,10 F. Poèmes politiques sur le temps que nous vivons.

Mikhaïl Boulgakov La garde blanche Trad. du russe par Claude Ligny Laffont, 336 p., 20 F.. Par l'auteur du • Roman théâtral. et du • Maitre et Marguerite. (voir le N° 54 de la Quinzaine) . Patricia Highsmith Ripley et les ombres: Trad. de l'anglais Cal mann-Lévy, 320 p., 19,50 F. Un nouveau roman de l'auteur de «Plein soleil. (voir le N° 51 de la Quinzaine).

G. K. Van Het Reve Les soirs Un récit d'hiver Trad. du néerlandais par Maddy Buysse Gallimard, 256 p. Un livre de contestation radicale, . 'qui a profondément marqué la jeunesse hollandaise.

Jean-Paul Dumont Le hasard coagulé Ch. Bourgols, 96 p., 15,40 F.

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Georges Michel Les bancs Grasset, 256 p., 20F. Après. les Timides aventures d'un laveur de carreaux • et • les Dravos., par l'auteur dramatique des • Jouets. et de • la Promenade du dimanche •.

Didier Permerle Assise devant un décor de tempête Coll. • L'écart ., Laffont, 152 p., 12 F. (Voir le N° 103 de la .Quinzaine littéraire ••)

Josette Villefranque Nationale 9 Buchet/Chastel, 192 p., 17 F. Le monde violent, hallucinant et romantique de la route.

Kas Cal mann-Lévy, 232 p., 16,50 F. Le premier roman d'un jeune auteur israélien qui règle son compte à son siècle et à son pays .

Emmanuel Pereire Détails grandeur nature Ch, Bourgols, 160 p., 14,30 F. Quatre-vingt-six discours ou récits à l'affût d'une • réalité masqLiée par la normalité •.

Marjorie Kellog Dis-moi que tu m'aimes, Junie Moon Trad. de l'anglais par Suzanne Mayoux Gallimard, 242 p., 19 F.

REEDITIONS CLASSIQUES Colette Trois-six-neuf Préface de M. Goudeket Buchet/Chastel, 170 p., 8 F. Colette et les déménagements. •

Panaït Istrati Œuvres - Tome IV Les Chardons du Baragan - Tsatsa Minnka - Nerrantsoula La Famille Perlmutter • Pour avoir aimé la terre Gallimard, 536 p., 25 F.

Polybe Histoire Texte traduit, présenté et annoté par D. Roussel


Livres publiés du 20 sept. au 5 oct. • Bibliothèque de la Pléiade. Gallimard, 1672 p., 65 F. • Ernest Renan Histoire des origines du christianisme Présentation de Bruno Neveu Coll. ,Les grands monuments de l'Histoire. 150 documents Laffont, 896 p., 85 F.

B IOGRAPBIES MEMOIRES CORRES· PONDANCES Gabriel Audisio L'opéra fabuleux Julliard, 320 p., 20,90 F. Les souvenirs d'un homme dont le père fut directeur du théâtre municipal d'Alger et qui vécut lui-même plus de soixante années en Algérie. Raymond Chandler Lettres Trad. de l'anglais par Michel Doury Préface de Ph. Labro Ch. Bourgols, 314 p., 23,70 F. Une correspondance pleine de charme et d'humour, qui jette une lumière nouvelle sur l'un des grands maîtres du roman policier américain. Pierre Chanel Album Cocteau 500 documents et photos Tchou, 272 p., 49 F. Une biographie en images, éclairée par des extraits du journal intime et de la correspondance du poète. Pierre Durand

La vie amoureuse de Karl Marx Julliard, 160 p., 14,30 F. Une vie exemplairement conjugale et qui dément singulièrement ce titre quelque peu équivoque.

l. Flguères Ch. Fourniau Ho Chi Minh, notre camarade Editions Sociales, 274 p.. 14,50 F.

.Yves Bénot Diderot, de l'athéisme à l'anticolonialisme Maspero, 256 p., 18,10 F. Une étude passionnante, qui Madeleine Jacob nous révèle un 40 ans de journalisme aspect oublié de Julliard, l'œuvre de Diderot: 352 p., 20,90 F. sa réflexion politique De • Vogue. à de philosophe • L'Humanité " • engagé. de l'annexion de la avant la lettre. Sarre aux grands procès d'assises, les • Jean Gattegno mémoires d'une Lewis Carroll grande journaliste. José Corti, 416 p., 505 F. Lettres inédites L'Univers de de Paul Claudel Lewis Carroll. Introduction de Maurice Zundel Roman et lumières et de J. Madaule au XVIIIe siècle Presses Editions Sociales, Monastiques éd., 480 p., 45 F. diff. Weber, 50 F. Textes du colloque Un Claudel inattendu organisé en se révèle à travers décembre 1968 par ces lettres adressées le Centre d'Etude et à une jeune malade, de Recherche amie de l'une de ses Marxistes. propres filles.'

Un recueil de témoignages et de souvenirs de militants ouvriers français qui ont connu Ho Chi Minh.

Raymond Escholier Hugo, roi de son siècle 78 photos Arthaud, 344 p., 40 F. La vie du poète replacée dans son contexte historique.

SOCIOLOGIB PSY-CBOLOGIB

Simone Fabien La femme et les adolescents Grasset, 160 p.. 12 F. Collection • Femmes dans la vie •. Ernest Hartmann La biologie du rêve Trad. de l'anglais par H. Lejeune et M. Thielen Ch. Dessart, 360 p., 19,50 F. Le mécanisme du rêve étudié à la lumière des données de la physiologie, de la biochimie et de la psychologie. A. Hesnard De Freud à Lacan ESF éd., 150 p., 28 F. Par l'un des tout premiers psychanalystes français, fondateur de la société psychanalytique de Paris. Le contrôle des hommes Rapport rédigé par un groupe de travail quaker Buchet/Chastel, 160 p., 19,50 F. Comment maintenir l'importance numérique de la population mondiale tout en sauvegardant l'intégrité des individus?

Christophe Baroni L'Infidélité, pourquoi? BuchetjChatel, Brigitte Friang 128 p., 12 F. Regard.tol qui meurs Un ensemble d'études 16 p. de photos sociologiques, Coll. «Vécu. psychologiques et Laffont, 456 p., 28 F. • Alexander psychanalytiques, Les souvenirs de la Mitscherlich dues à différents célèbre journaliste. Psychanalyse auteurs. et urbanisme Henry de Monfreid Réponse aux L'escalade Pierre Birnbaum planificateurs Grasset, Sociologie de Trad. de l'allemand 272 p., 14,50 F. Tocqueville par Maurice Jacob Le dixième, tome de Coll. • Le Sociologue. Gallimard, l'autobiographie de P.U.F., 160 p., 10 F. 208 p., 15 F. l'auteur dont le titre Un exposé Paul l'auteur de général est: systématique de «Vers la société • L'Envers l'œuvre de sans pères. (voir le de l'aventure-. Tocqueville. N° 81 de la Quinzaine) • • • • • • • • • • • Georges Devereux • Essais • Sociologie CaITI-'VR d'ethnopsychlatrle des mutations HISTOla. générale Ouvrage collectif LITTERAlaE Trad. de l'anglais sous la direction de par Tina Jolas et G. Balandier • Mikhail Bakhtine H. Gobard Editions Anthropos, L'œuvre Gallimard, 532 p., 40 F. de François Rabelais 424 p., 38 F. Textes de colloque et la culture populaire Le bilan d'une œuvre organisé en 1968, au Moyen Age et qui a contribué à "Université d e sous la Renaissance à renouveler Neufchâtel, par Trad. du russe par fondamentalement l'Association André Robel l'anthropologie Internationale Gallimard, contemporaine. des Sociologues de 480 p., 38 F. Langue Française. Un ouvrage d'une Françoise d'Eaubonne importance capitale, Eros minoritaire qui fait date Balland, 340 p., 29 F. Anthony Storr dans les études Le problème de La mutation de la rabelaisiennes l'homosexualité personnalité (voir le Ne> 69 de la Ed. Privat, dans nos civilisations Quinzaine) • chrétiennes. 188 p., 11 F.

La Q!!inzaine Littéraire du 16 :w 31 octobre 1970

Devenir personnel et approche psychothérapique. • Thorstein Veblen Théorie de la classe de loisir Précédé de Avez·vous lu Veblen? par R. Aron Trad. de l'anglais par Louis Evrard Gallimard, 328 p., 34 F. (Voir dans ce numéro l'article de Georges Friedmann, p. 3.) Chanzeaux village d'Anjou Trad. de l'anglais par M. A. Béra 16 pl. hors texte Gallimard, 496 p., 37 F. L'ethnographie d'un village d'Anjou (par l'auteur d', Un village du Vaucluse. • voir le N° 58 de la Quinzaine) .

ENSEIGNEMENT PEDAGOGIE

Robert Bréchon

La fin des lycées Grasset, 240 p., 18 F. Les problèmes que pose l'enseignement secondaire en France analysés, de l'intérieur, par un proviseur de lycée. Edouard Breuse

La co6ducatlon dans

les écoles mixtes P.U.F., 160 p., 10 F. Les conditions et les exigences d'une véritable coéducation des sexes.

Edmond Michaud La pédagogie des sciences P.U.F., 120 p., 7 F. Une enquête originale sur la formation de "esprit scientifique chez les enfants. Fernand Robert Un mandarin prend la parole P.U.F., 272 p., 25 F. Par un enseignant et un socialiste, une fougueuse mise en question des lieux communs mis en honneur par mai 68 sur la réforme de l'Université.

Monique Vial Eric Plaisance Jacques Beauvais Les mauvais élèves Préface de R. Diatkine P.U.F., 176 p., 10 F. Un bilan critique des problèmes posés par les différentes formes d'échec et d 'j nadaptation scolaire.

BSSAIS E. de Berredo Carneiro Vers un nouvel humanisme Seghers, 340 p., 18 F. Un recueil de textes, discours et conférences dus à un écrivain et diplomate brésilien qui a consacré sa vie à la défense et à l'illustration des valeurs humanistes et latines. Dictionnaire de la géographie Publié sous la direction de Pierre George, assisté de G. Viers P.U.F., 456 p., 55 F. Un remarquable instrument de travail, qui fournira une documentation approfondie sur le vocabulaire des géographes. François Fal'chun Les noms de lieux celtiques • Deuxième série: Problèmes de doctrine et de méthode, noms de hauteurs 20 p. de cartes Editions Armoricaines, 'Rennes, 208 p., 18,90 F. Une publication du Centre de Recherche Bretonne, et Celtique de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Brest. Léopold Flam La philosophie au tournant de notre temps P.U.F., 216 p., 38 F. La philosophie contemporaine, ou la renaissance de la pensée dialectique. Georges Fradier Les renards Jumeaux. Préface d'A. Koestler Calmann-Lévy, 224 p., 15,60 F.

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Livres publiés du 20 sept. au 5 oct. Un tableau à la fols lyrique, amer et sans complaisance de notre ttemps .C. G. Jung Psychologie et alchimie 370 illustrations Buchet/Chastel, 850 p., 60 F. Un ouvrage inédit du célèbre psychanalyste. La

Tome 1: Grandes Inventlr'11s Industrie Weber. 320 p., 82 F. Ce sE'..,tième volume de • L'Encyclopédie thématique Wéber. retrace l'évolution des techniques depuis leurs origines et décrit leur état actuel dans tous les domaines. Marshall McLuhan Quentin Fiore Jérôme Nagel Guerre et paix dans le village planétaire Coll. «libertés. Laffont, 192 p., 15 F. Pourquoi les mass media ont transformé la planete en village.

Jacques Duclos La Commune de Paris A l'Assaut du ciel 16 ill. hors texte Editions Sociales, 344 p., 19,70 F Réédition revue et augmentée à l'occasion du centenaire de la Commune. Claude Mazauric Sur la Révolution frllnçalse Editions Sociales, 240 p., 20,35 F. Une critique radicale des perspectives traditionnelles de la recherche historique en ce domaine. • Pierre Montet L'Egypte éternelle 64 p., hors-texte Fayard, 352 p., 5 OF. Une peinture à la fols précise et panoramique de cette civilisation, depuis les origines de l'histoire jusqu'à la conquête du pays par Alexandre le Grand. Tristan Remy La Commune à Montmartre 23 mal 1871 Editions Sociales, 135 p., 11 ,60 F. La défaite des Communards à Montmartre, considéré jusque-là comme le pivot de la résistance aux entreprises entreprises réactionnaires.

POLITIQUE Philipoe Alexandre Le duel de Gaulle.Pompldou Grasset, 424 p., 28 F: Voir dans ce numéro l'article de Pierre Avril,

p. 23. Edward Ames Introduction à la macroéconomie Trad. de l'américain par J.-L. Jacquier P.U.F., 232 p., 12 F. Une exposition claire et précise de la théorie macroéconomique. Samlr Amin L'accumulation à l'échelle mondiale Ifan-Dakar/Editions Anthropos, 592 p., 37 F. Une critique radicale de la théorie courante du «Sousdéveloppement., menée au double plan de l'Histoire et de la théorie économique.

Un exposé synthétique des expériences de la guerre révolutionnaire, par le chef de "Armée Populaire de la République Démocratique du Vietnam du Nord. Jean-Jacques Lambin Modèles et programmes de marketing Coll. «S.D.• P.U.F., 152 p., 15 F. Une étude à la fois théorique et pratique de la programmation commerciale dans l'entreprise.

Olivier Quéant Le monde inconnu des prisons Plon, 128 p., 12,30 F. La justice vue d'en bas.

422 ill. dont 81 en couleurs, 33 bichromie, 388 en noir Coll. «L'Univers des Formes· Gallimard, 450 p., 145 F. (prix de souscription

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La Wehrmarcht rouge Julliard, 288 p., 20,90 F.

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Sabine Cotté L'univers de Claude Lorrain 54 lavis H. Screpel éd., diff. Weber, 96 p., 34,50 F. Les carnets de dessins du peintre.

L'épopée d'un groupe d'officiers allemands, faits prisonniers après Stalingrad, et qui c 0 m bat tir e n t dans l'armée rouge pour délivrer leur pays de la dictature nazie.

Otto Demus La peinture murale

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La nuit des longs

couteaux 16 p., de photos Coll. «Ce jour·là'. Laffont, 352 p., 26 F. La nuit du 30 juin 1944 reconstituée heure par heure.

.Julian Gorkin Paul Chaudet L'assassinat de La Suisse et Trotsky notre temps Julliard, 320 p., 20,90 F. Laffont, 264 p., 18 F. Une enquête Par l'ancien Président Georg Picht minutieuse, qui met en de la Confédération Réflexions au bord lumière les 'néthodes du gouffre Helvétique. de la Guépéou et la Laffont, 206 p., 14 F. Julien Cheverny respcmsabi 1ité Un essai de Le temps des directe de Stali"e prospective où obsèques dans l'assassinat du l'auteur tente de Fayard, 216 p., 20 F. dernier compagnon montrer que les Une analyse sévère de Lénine. Réedition. savants du monde mais tonifiante des entier doivent unir G. Kolko, L. St::hwartz mœurs politiques de la leurs efforts pour Michel Roquebert et autres auteurs France actuelle. sauver le monde L'épopée cathare Les massacres de demain. 1198-1212: L'invasion J. Debu-Bridel La guerre chimique en 16 photos de De Gaulle contestataire Asie du Sud·Est Jacques Prévert Plon, 256 p., 18,40 F. Ch. Subra Préface de J.·P. Sartre Imaginaires Ed. Privat, 600 p., 69 F. Un aspect peu connu Introduction de Nombr. illustrations Un récit très complet de la personnalité du Laurent Schwartz Skira, 160 p., 35 F. sur les causes de la général de Gaulle. Un violent réquisitoire croisade albigeoise et contre l'emploi de Marcel Raymond l'Invasion du Languedoc Xavier Domingo l'armement chimique Etre et dire par les armées de La sceptre et la Ed. de la Baconnière. au Vietnam et les Simon de Montfort. bombe massacres perpétrés 304 p., 27,70 F. Balland, 152 p., 19,50 F. quotidiennement Une recueil de Par l'auteur de contre le peuple textes Inédits et rares .William L. Shlrer La chute de la «L'érotique de où l'on retrouve les vietnamien. troisième République "Espagne. (voir le préoccupations de Trad. de l'américain na 28 de la Quinzaine) l'auteur touchant le Vincent Ménager 60 illustrations Un pamphlet corrosif destin humain, Les hommes sont fous fa culture et la Stock, 1 100 p., 49 F. sur le problème du Julliard, 243 p., Une reconstitution Pouvoir et de la 45,19 F. signification de minutieuse et Liberté dans le monde Le bilan, fort la poésie. passionnante de la d'hier et d'aujourd'hui. pessimiste, d'un dramatique évolution médecin etd'un qui mena de la défaite. Charles de Gaulle biologiste, sur· les. de 1871 au désastre Discours et messages dangers qui menacent notre espèce. Tome V: Vers le de 1940. • Maurice Dommanget terme . Sur Babeuf et la Heinz Zahrnt Plon, 448 p., 37,50 F. Alain Peyrefitte conjuration des égaux Dans l'attente de Dieu La drogue Maspero, .Général Giap Trad. de l'allemand Plon, 256 p., 18,40 F. 392 p., 23,70 F. Le résultat d'une par Henri Rochais Guerre de libération L'action organisatrice Politique, stratégie, Casterman, 184 p., 15 F. enquête menée auprès et propagandiste de Le monde chrétien tactique de médecins, de juges, Babeuf et de ses à fa veille de la Editions Sociales, de policiers et amis. 160 p., 12,35 F. d'hommes politiques. Réforme.

Pierre Landy Musique du Japon Coll. «Traditions. musicales. Buchet/Chastel, 328 p., 26,60 F Par un spécialiste de l'Asie et, tout particulièrement, de la civilisation japonaise Jules Roy Théâtre : S.M. Constantin et La rue des zouaves Deux nouvelles pièces par l'auteur des « Chevaux du soleil.

ARTS URBANISME Angkor Texte et photos de Henri Stlerlin Office du Livre, 48 F. L'analyse de 16 édifices angkoriens bâtis de 879 à 1250. O. Bihalji-Merin La fin de l'art à l'ère de la science 85 ill. e nnoir et blanc Ed. de La Connaissance. 120 p., 25 F. L'avenir de l'art à l'ère de la cybernétique. Jean Charbonneaux Roland Martin François Villard Grèce hellénistique (Le Monde Grec • tome IV)

romane Photographies de Max Hirmer 250 pl. en noir 102 h.. t. en couleurs Flammarion, 590 p., 220 F.

De l'an mil à la seconde moitié du XIII" siècle en Europe occidentale. Pierre-Henri Derycke L'économie urbaine P.U.F., 264 p., 15 F. Une étude d'ensemble sur les problèmes d'urbanisme et d'aménagement du territoire. •

Françoise Eygun Saintonge romane 223 photos inédites Zodiaque, 410 p., 60 F. A la découverte d'une province insolite dont ies monuments nous récèlent un aspect fort mystérieux de l'art roman. Jean-Jacques Hatt Celtes et GalloRomains 219 illustrations dont 69 en couleurs Coll. «Archeologia mundi. Nagel, 336 p., 47,15 F. Une brillante synthèse des recherches et des découvertes de l'archéologie gallo-romaine. Haut Moyen Age Texte et photos d'André Corboz Office du Livre, 48 F Du VI" au Xi' siècle, une vaste fresque de l'architecture du haut Moyen' Age dans l'Europe carolingienne. Hélène Jeanbrau Eugène Pépin La Loire au fil de ses châteaux Préface de Maurice Genevoix. 170 documents en noir.


Livres publiés du 20 sept. au 5 oct. 12 p. en couleurs Lattont, 240 p., 55 F. Les châteaux de la Loire redécouverts à travers mille anecdotes et grâce à des documents photographiques d'une grande qualité. Journal de l'impressionnisme Texte général de M. et G. Blunden Trad. de l'anglais par M. et A. Chenais 160 repr. couleurs 260 illustrations en noir et blanc. Skira, 240 p., 230 F. Le déroulement du mouvement impressionniste à travers le témoignage des peintres, des écrivains et des critiques de l'époque.

L'immense développement, tant géographique qu'historique, d'une architecture véritablement proétiforme. Nikolaus Pevsner Les sources de l'architecture moderne et du design 198 i11. dont t15 en coul. Ed. de La Connaissance, 216 p., 29 F. Du • Modern Style. à • L'Art Nouveau., au • Pugendstil. et au • 'Deutscher Werkbund '. Picasso Iitographe Notes de F. Mourlot Préfaie d'Ho Parmelin 110 repr. en souleurs 510 repr. en noir Sauret, 320 p., 18 F. L'œuvre Iitographique de Picasso de 1919 à nos jours.

L'Art de notre temps depuis 45 64 repr. en couleurs, 250 repr. en noir Ed. de la Connaissance, • Gaëtan Picon 300 p., 90 F. Admirable tremblement De l'expressionnisme et du temps du surréalisme Nombr. illustrations d'après-guerre au Coll. • Les sentiers pop-art, au nouveau de la création. réalisme et à la peinture Skira, 160 p., 35 F. anecdotique. Gaëtan Picon et la peinture. Le Journal de voyage Fulvio Roiter d'Albert Dürer dans Brésil les anciens Pays-Bas Texte de H. Loetscher, 1520-1521 A. Callado, J. Amado Traduit et commenté et O. Niemayer par J.-A. Goris et 8 dessins de Carybe, G. Marlier 167 p. de planches 104 planches dont 80 dont 139 en noir et en couleurs 35 en couleurs Ed. de la Connaissance, Atlantis éd. diff. Weber, 184 p., 100 F. 306 p., 88 F. Un précieux témoignage A la découverte d'un littéraire et graphique pays riche en sur le grand maître contrastes. et son temps. A. Mazahéri Trésors de l'Iran 120 Illustrations dont 85 en couleurs 17 dessins au trait Coll. • Trésors du • Trésors du monde. Skira, 175 F. Un très bel album digne de cette très belle collection. Robert Melville Henry Moore Sculpture et dessins 1921-1969 32 pl. en couleurs 850 ill. en noir et blanc Editions de la Connaissance, 368 p., 125 F. Raymond Oursel L'invention de l'architecture romane 157 photos, 140 figures, 3 cartes Zodiaque, 48 F.

• •LIGIOII Edmond Barbotin L'humanité de l'homme Etude d'une philosophie concrète Aubier-Montaigne, 324 p., 27 F. L'homme saisi comme • suJet. dans l'immédiadité du quotidien. A.-D. Grad Le véritable Cantique de Salomon Introduction traditionnelle et kabbalistique au Cantique des Cantiques avec commentaires verset par verset Précédés du texte hébreu et de sa

traduction, suivis de six index Maisonneuve & Larose Ed., 400 p., 70 F. Une anthologie vivante des principaux commentaires traditionnels, qui permet de découvrir l'étonnante architecture numérique de ce joyau de la mystique juive. Les deux visages de la théologie de la sécularisation Ouvrage collectif Casterman, 272 p., 22 F. Une des cosntructions théoriques les plus typiques d'un christianisme qui se veut ouvert au monde moderne.

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Bakounine L'anarchisme aujourd'hui, suivi de La réaction en Allemagne Traduction et Introduction de J. Barrue Editions Spartacus

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TBBATHB Jean Anouilh Adèle, ou . La marguerite, suivi de La Valse des toréadors Livre de Poche. Barillet et Grédy Fleur de Cactus Livre de Poche. Gérard Gélas Opération Stock/Théâtre Ouvert Inaugurant cette nouvelle collection, une pièce qui s'inspire directement des cérémonies cruelles d'A. Artaud. Max Frisch Biographie: un Jeu Texte français de Bernard Lortholary Gallimard/Théâtre du monde entier (voir le N° 48 de la Quinzaine). Reynolds Priee Un homme magnanime Trad. de l'anglais par Yvonne Davet Gallimard/Du monde entier L'histoire, rocambolesque et tragique, d'un garçon de 15 ans qui découvre, malgré qu'il en ait, le monde des adultes.

ESSA.IS Antoine Arnaud Pierre Nicole La logique, ou l'art de penser

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14 PRIX NOBEL ASTURIAS· CHOLOKHOV· FAULKNER· HEMINGWAY· HALLDOR LAXNESS SINCLAIR LEWIS· THOMAS MANN· GABRIELA MISTRAL· O'NEILL· PASTERNAK NELLY SACHS· STEINBECK· TAGORE· SIGRID UNDSET

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GALLIMARD


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