Quinzaine littéraire numéro 103

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UlnZalne littéraire du

1 er au 15 octobre 1970

De Caulle la fin d'une époque

Mauriac poète


SOMMAIRE

3

LE LIVRE DE LA QUINZAINE

J .M.G. Le Clézio

La guerre

par Maurice Nadeau

5 6

ROMANS FRANÇAIS

Michel Tournier Jean Bouvier-Cavoret Didier Pemerle

par Jean-Marie Magnan par G.L. par G.L.

par Maurice Chavardès par Jean-Marie Magnan

7

Camille Bourniquel

8

Jean-Jacques Rochard Hélène Cixous

9

Guy Le Clec'h Pierre Guyotat

Le roi des Aulnes La deuxième personne Assise detJant mon décor de tempête Sélinonte ou la clunabre impériale Apologie d'un salaud Le troisième corps Les commencements La violence des pacifiques Eden. Eden, Eden

par Philippe Boyer par Jean Duvignaud par Hélène de Wierlys

10

LITTERATURE ETRANGERE

Harry Mathews

Conversions

par Marcelin Pleynet

12

ENTRETIEN

Istvan Orkeny

Minimythes

Propos recueillis par Claude Bonnefoy

Mauriac poète

par Marc Quaghebeur

Art et politique Naïfs d'Ha,ïti

par Gérald Gassiot-Talabot

Proust et les signes

par Gilles Deleuze

Pol Ernst

Approches pascaliennes

par Samuel S.de Sacy

Pierre Viansson-Ponté

Histoire de la République gauUienne Tome 1. La fin d'une époque

par Pierre Avril

Théâtre en Perse

par Gilles Sandier

14 16 EXPOSITIONS 17 18 INEDIT 21

HISTOIRE LITTERAIRE

23 HISTOIRE 25 THEATRE, 26

. Bourgeade répond à Sollers

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris (7e). Téléphone: 222-94-03.

p.

1 D.R.

PuhliCité générale : au journal.

p.

3

Vasco

Prix du nO au Canaâa : 75 cents.

p.

4

Gallimard

Abonnements : Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois: 34 F, douze numéros. Etudiants: réduction de 20 %. Etranger: Un .an.: 70 F. Six mois: 40 F. Pour tout changement d'adresse : envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15551-53.

p.

5 Keystone

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Stock

p.

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Gallimard

p. 12

Gallimard

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Dazy

Maquette de couverture : Jacques Daniel.

Directeur de la publication:

p. 18 D. R.

Rédaction., administration:

Imprimerie: Abexpress.

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach. Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski.

La Quinzaine littéraire

Secrétariat de la rédaction: Anne Sarraute. Courrier littéraire : Adelaide Blasquez.

43, me du Temple, Paris Téléphone: 887-48-58.

François Emanuel.

(4e).

Impreuion 5.1.5.5. Printed in France.

Crédits photographiques

p. 16 Henry Maitek p. 16

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Snark

p. 21

Roger Viollet

p. 23

Snark


1.. I.IV". D.

Un visionnaire I.A QUINZAIN.

J .M.G. Le Clézio

1

La Guerre Coll. Le Chemin Gallimard éd., 290 p.

La notoriété est venue à J.M.G. Le Clézio avec son premier ouvrage et comme il. n'a jamais déçu, sa voix, aujourd'hui, porte loin. Il n'a pas voulu, en outre, se perdre dans les recherches' formelles et les exercices de style, pressé qu'il est de livrer un message tout personnel et qui lui tient à cœur. A la fois essayiste, romancier et poète dans le même ouvrage, il se tient audessus des genres et se montre «résolument moderne-. Les conquêtes désormais assurées du Nouveau roman, les travaux qui ont pour ambition d'aboutir à une «science de la littérature on dirait qu'il les a une fois pour toutes assumés, qu'ils lui servent de tremplin pour voir au-delà d'horizons par· fois bornés et, au regard de ce qu'il veut nous dire, il n'est pas près de se laisser distraire par des problèmes pour lui secondaires. Il va son chemin, parfois tortueux, souvent hasardeux, et alors qu'on craint de le voir tomber du haut de son fil de funambule ou qu'on le croit égaré dans les sables, il opère de magnifi. ques rétablissements, de soudaines corrections de route. Il paraît atteindre son but sans peine et comme par hasard, au terme d'un voyage qui nous a (et qui lui a) réservé pas mal de surprises. Avec ce septième ouvrage, Le Clézio semble en tout cas et en ce qui le concerne, avoir réglé définitivement son compte au roman. Le Procès.verbal en était un. Le Déluge et Terra Amata comportaient des éléments d'intrigue et des personnages identifiables, et même dans le Livre des fuites un être privilégié par l'auteur faisait le lien entre aventures et expériences qui se déroulaient aux quatre coins du mon· de. Ici, rien de semblable : nulle intrigue, mais un discours sans cesse recommencé et qui paraît tourner volontairement en rond. L'auteur y met fin quand parais· sent épuisées les richesses du thème. Quant aux personnages, une jeune fille, Bea B. et un

Monsieur X protéiforme, ils échangent volontiers à tout ID8tant leurs personnalités, en em· pruntent d'étrangères et, avant de se fondre dans la foule anonyme, vont jusqu'à symboliser la jeune fille éternelle (ou la femme), le mâle séducteur, rêveur et prédateur. Ils n'ont entre eux que des rapports de connivence et prêtent au besoin leur masque à l'auteur. Si attentifs qu'ils soient à la vie quotidienne, et plongés en elle jusqu'à y disparaître, ils ressemblent à ces êtres aux identités changeantes qui peuplent nos songes, à ces créatures évanescentes et douées pourtant d'une autorité souveraine que nous entrevoyons en rêve. Loin de matérialiser le propos de l'auteur, ils entraînent celuici dans des contrées inconnues où l'horrible le dispute à la féerie et sur lesquelles règne un temps mythique dont l'éternel suspens est fait d'une agitation folle, d'un vibrionnement infini. A la vérité, ce que nous donne à voir Le Clézio, c'est l'ensemble et le détail d'une vision, à la fois dans sa fixité et ses métamorphoses. Son talent d'écrivain et ses armes de poète visent à nous permettre d'y accéder, si possible de nous y installer en regardant toutes choses par ses yeux. Alors s'évanouissent raisons d'analyser, de séparer, d'argumenter et' retombent comme fruits blets les judicieuses critiques que les culs de plomb se· raient amenés à formuler. Le Clézio réclame des lecteurs prêts pour l'envol ou la descente en eaux profondes. Et pourtant, c'est bien sur cette terre et dans ce monde-ci qu'il se meut, au cœur de ce que nous appelons la vie quotidienne. Qu'il soit avant tout un visionnaire, on s'en est aperçu dès le Procès-verbal où son héros possédait la rare faculté de voir le monde par les yeux d'un chien, ou, si l'on ose dire, d'un arbre, d'un caillou. Que cette vision ne soit guère idyllique, le Déluge nous l'a prouvé où une ville en· tière se pétrifiait soudain dans un immense éclair blanc, avant de tomber en cendres. Qu'elle le porte aujourd'hui à voir la Création, c'est·à·dire l'univers connaissable, comme une lutte féroce, incessante et sans merci, à laquelle se livrent tous les éléments qui la constituent - l'humanité y fi-

I.a Litt16raire du 1" au 15 octobre 1970

gure au premier chef - et voilà le dernier pas franchi vers une Apocalypse dont, en nouveau prophète, l'auteur nous annonce l'imminente venue: «Je vaÎ& vous dire ce que je vois. C'est une

vision terrible, comme celle de sous la chair, une vision qui trace son dessin fulgurant sur les vitres et sur les plaques de ciment... La fin est proche. Que ceux qui ont des oreilles écoutent... etc. Et de décrire toutes

r os

les catastrophes qui nous mena· cent, l'une après l'autre ou toutes ensemble, les forces destructrices trouvant leur acmé dans une formidable explosion qui réduira le globe en poussière et détraquera jusqu'à la céleste horlogerie des planètes. Emprisonnées dans la matière, ou artificiellement suscitées par l'homme qui les utilise dans ses machines, ses moteurs, ses buildings, ses rotatives, ses télés, ses transistors et bien enten· du ses fusils et ses bombes, elles attendent l'heure de la libération sauvage qui les rendra maîtresses d'un néant où elles s'annihileront elles·mêmes. Après quoi, mais pour qui ? règneront enfin le repos et le silence. Un visionnaire n'argumente pas. Il montre et il décrit. Du cosmique à l'élémentaire, Le Clézio fait se succéder dans le tohu-bohu des phénomènes entre· mêlés qui concourent à ce qu'on appelle la marche du monde les spectacles divers où l'on voit au mieux agir les forces d'agression. Foin de l'harmonieuse Na· ture: c'est une guerre incessante et impitoyable qu'elle recèle en son sein. Foin de l'humanisme : si l'homme naît pour mourir, il semble né davantage pour détrui· re, anéantir et tuer, le plus terrible n'étant pas la guerre qui porte fièrement son nom, dans l'affrontement des peuples en armes, avec son cortège d'atrocités joyeuses et ses destructions célébrées dans l'enthousiasme. Une agression plus sournoise, parce que cachée dans les replis de la vie quotidienne, sustentée par l'homme à l'é[l:al de son plus cher désir, caressée par lui et magnifiée sous tous les noms: beauté, élégance, confort, progrès, modernisme, multiforme et ubiquiste, est perpétrée contre l'habitant des cités modernes, contre le citoyen béat et gavé des sociétés de consommation. Elle habite le

Dessin àe Vasco

béton cellulaire des villes nouvelles, se glisse' sur l'autoroute et règne dans le supermarché. Ses déguisements? La voiture meurtrière et suicidaire, le marteaupiqueur, l'ébonite noire ou blanche du téléphone, la machine· «encore plus perfectionnée:t et le gadget dernier cri, l'objet proliférant, le mot qui vole sur les ondes ou éclate sur le papier. Tous nos sens attaqués à la fois, notre être vidé et retourné comme un gant, que peut notre tendre chair, que peu"ent n08 nerfs fragiles contre ces crocs, ces griffes, ces ventouses que recèlent objets lisses et brillants, machines huilées, moteurs qui ronronnent, tours de ciment qui, d'un seul élan, trouent les nuages? L'auto «avale la route, l'avion déchire l'air, la perceuse justifie son nom, et si nous sortons de notre prison généralement douillette, la rue saute sur nos épaules et dirige nos pas. C'est là leur destination et leur façon d'être. Pourquoi faut·il que, victimes aveugles en butte à tous les coupe, totons entraînés toujours davantage au cœur du tourbillon, noue entonnions des hosannah en l'honneur de ce qui nous mutile, nous empoisonne, nous étouffe et nous tue? De temps à autre, les plus jeunes et les plus hardis font voler en éclats les vitrines, abattent les poteaux de signalisation, mettent le feu aux voitures, sacca-

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. 3


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Le .Ciézlo

gent les antres à paperasses el, sous le pavé, croient retrouver la plage. Le monstre attendrit leur chair à coups de gourdin et les avale, les choses reprennent leur cours qui mène au néanl. Mieux qu'aucun autre, Le Clé· zio sait nous parler de la Ville. Elle hante ses rêves et nourrit ses obsessions. Mieux qu'aucun autre, il nous montre la longue bête aux multiples anneaux qui rampe sur l'autoroute et, quand il nous installe à un carrefour particuliè. rement animé ou sur l'escalier roulant d'un Prisunic, nous con· templons, fascinés et effrayés, ce que nous avons perdu l'habitude de voir. Nous sommes dans l'an· tre de Gorgone, ou chez Pluton. Aussi la satire qu'il fait de la

se retournent contre elles·mêmes pour s'autodévorer? En dépit de son thème. Le Clézio fait confiance aux hommes qui luttent pour leur pain, leur champ, leur maison, au sourire d'une jeune fille, au rire d'un enfant. Tout pénétré de sagesse bouddhique, il contemple la vie d'un regard surplombant et la voit dans ses métamorphoses. « Quand il y a la guerre, c'e!t que quelque cho!e en en train ,r appa· raître... La terre a commencé hier... La jeune!$e et la beauté !ont continuelle!... Il y a de! millier! de cho!e! qui veulent venir et qui cherchent à renver!er le! ob!tacle!... »

Cet optimisme n'est jamais plus patent que dans la peinture

nue, ce ne pourrait être après tout que le dépouillement par le serpent mythologique d'une peau qui a trop servi, afin d'en revêtir une nouvelle. Un monde s'écrou· le, la vie continue.

Le Clézio perçoit cette perma· nente réalité de choses, quelque obscurcie qu'elle soit par les fu· mées de la société industrielle, son renouvellement constant, et il sait qu'elle n'est pas en elIe·même agressive, que tout dépend de l'homme et des rapports qu'il en· tretient avec elle. Son discours de Cassandre justifie en fin de compte ce propos de l'esthéticien marxiste Ernst Fischer (1): «Aujourd'hui comme hier, ce sont l'art et la littérature qui s'op. posent avec le plus d'opiniâtreté

INFORMATIONS

Au Seuil On fait grand cas, aux éditions du Seuil, du nouveau roman de Marle Suslnl: C'était cela notre amour. C'est bien diune·· histoire d'amour qu'il s'agit et le titre annonce bien la couleur; mals l'originalité de ce livre, considéré comme le meilleur qu'ait écrit jusqu'Ici l'auteur de Plein soleil, de la Fiera et d'un Pas d'homme, est de jouer sans cesse de subtils chassés-croisés entre le temps passé et le temps retrouvé, le Paris de mal 1968 et le Paris de la Libération, les peines d'amours perdues et l'obsession de la fldélité à soimême.

Photographie extraite àe l'ouvrage

société de consommalion n'est· elle qu'une des pièces du procès qu'il intente à un régime depuis plus longtemps établi, à des for· ces autrement plus puissantes que celles de la classe dominante. Ré· gime que dès le quaternaire l'homme a établi dans ses rap· ports avec la nature afin de l'exploiter et de la domestiquer. Forces que l'enfant apporte avec lui en naissant et qui visent à écraser les autres, s'il devient femme, par le charme et l'envoûtement, s'il devient homme adul· te, par le commandement. Toute forme d'expression, y compris celle de l'artiste, est violence. La douce beauté est pernicieuse en ce qU'elle fait plier le genou. Faut·i1 attendre que les forces

4

du détail, dans la longue contem· plation du plus humble objet, poussée jusqu'à l'extase. L'herbe et le caillou y figurent, mais éga· lement ce qui est sorti de l'intel· Iigence et de la main de l'hom· me: la pyramide de béton, une roue de camion avec ses puissants rayons d'acier tenus serrés par de!! boulons bien placés, l'avion qui file en sifflant dans l'azur vierge, la voiture à la coque profilée et au capot luisant, l'allu· mette, le bouton. TI admire les mille et une formes d'une créa· tion continue et il croit celle-ci capable de s'opposer aux forces de destruction qu'elle porte en son sein. La vraie guerre Ile dé· roule entre le bien et le mal, entre Ormuz et Ahriman. La «fin proche» dont il annonce la ve·

Chez Gallimard Chez Gallimard, Robert Merle publie, avec Derrière la vitre, un roman sur l'Université qui se présente comme une sorte de radioscopie de la jeunesse et des enseignants ayant, pour toile de fond, la journée du 22 mars 1968 à Nanterre, revécue heure par heure. Chez le même éditeur, quatre poètes modernes, ayant en commun le goût des jeux combinatoires, le Mexicain Octavio Paz, l'Italien Eduardo Sangulnettl, l'Anglais Charles Tom· IInson et le Français Jacques Roubaud se sont réunis pour ressusciter une forme poétique collective qui fut en extrême faveur au Japon entre le VII' et le XV' siècle: le renga. Ils nous donnent ainsi, précédé d'une introduction de Claude Roy, un grand poème moderne à quadruple résonance: Renga. En octobre, paraîtront aussi un recueil de poèmes, adaptés du japonais, de Jacques Roubaud: le Sentiment des choses et une sélection des poèmes écrits par Octavio Paz entre 1957 et 1968 à quoi s'ajou-

aux fétiches et aux fantômes que le bon plaisir des princes qui nous gouvernent veut faire passer pour la réalité... (Les artistes) tentent, par.delà les fétiches et les fantômes du pouvoir, de la consommation et de l'idéologie, de découvrir la réalité, l'homme déformé et son alternative. » Fût.ce, ajouterons.nous, sans qu'ils aient besoin de croire à un homme bon et parfait, ou se laissent séduire par les sirènes du réalisme. 1 e Clézio prouve qu'on y parvient plus sûrement par la seule mise en œuvre des obsessions et des rêves, par le regard plongeant ou infiniment détaché du visionnaire. Maurice Nadeau (1) Dans un recueU d'essais à paraltre prochainement aux Lettres Nou-

velles (Denoël) .

teront quelques textes poète: Versant est.

Inédits

du

A la radio A partir du lundi 5 octobre, sur France Culture, tous les matins de 8 heures à 9 heures, • Les chemins de la connaissance., renouvelant les recherches de l'Heure de la Culture française, présenteront une suite de grandes enquêtes dont le caractère commun est de jeter un pont entre les diverses disciplines (histoire, littérature, ethnologie. psychanalyse) sur lesquelles se fonde une nouvelle science de l'homme. A chacune de ses séries seront consacrées dix à douze émissions. Le lundi, Michel Tournier, dont le dernier roman • Le roi des Aulnes. apparaît comme un des grands livres de la saison, évoquera • Le Sahara, désert vivant. et Claude Michel Jalard inaugurera le 5 octobre • L'encyclopédie ou la confession d'un siècle. par un entretien avec Michel Butor. Le mardi, Pierre Jeannin, professeur aux Hautes Etudes, racontera dans • Du sac d'écus a!J compte en banque. l'histoire de l'argent et Yves Cazaux, récent auteur de • Gull· laume le Taciturne., analysera dans • Aux sources de la liberté moderne, le XVI' siècle. la naissance de la pensée politique engagée en France et aux Pays-Bas au temps de l'humanisme. Le mercredi, Jacqueline Sorel et Joseph Amegboh aborderont avec • Mémoire d'un continent: Panorama de l'histoire africaine. un domaine à peu près Ignoré de nos contemporains, la relation de l'Europe et du continent noir avant la colonisation, et Gilles Lapouge traitera d'un thème particulièrement actuel: • L'homme encombré •. Le samedi, Harold Portnoy poursuivant ses recherches psychopédagogiques étudiera • Le Psycholoque dans le monde moderne. et Claude Mettra dans • Gueux, mendiants et vagabonds. explorera la mythologie de l'errance, d'Œdipe.: Il Jack Kerouac.

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ROMANS

L/amour-ogre PRANÇAIS

1

Michel Tournier Le Roi des Aulnes Gallimard, éd., 400 p.

Michel Tournier avait eu l'audace pour ses débuts de choisir un grand sujet, une histoire universellement connue, de se mesurer à une aventure exemplaire et de la réécrire pour son propre compte. Etonnons·nous davantage de ce titre : Vendredi ou les Limbes du Pacifique qui donnait à Vendredi, au sauvage et à l'enfant, l'enfant·sauvage, la première place et pouvait avertir le lecteur perspicace d'une conversion radio cale dans la manière d'aborder le mythe, de traiter d'une reconquête du monde, qui appartient depuis deux siècles au fond de rêves de l'Occident, d'en recon· sidérer la démarche et peut-être de briser avec elle. Livre de charme, d'un humour savoureux et d'un lyrisme qui n'excluait pas un engouement pour la plus stricte exactitude, jusqu'à se servir d'un vocabulaire technique d'une extrême rigueur dans le récit des diverses opérations-survie du naufragé - suivant en cela l'esprit encyclopédique du XVIII" siècle, dont le roman n'allait pas sans se réclamer, ne serait-ce que pour mieux le contrecarrer et en moquer les limites, Michel Tournier ne visait à rien moins qu'à opérer une très personnelle réconciliation avec le mystère du règne enfantin, plus inconnu que le règne végétal ou animal (écrivait Jean .C(J(:teaü). Speranza, l'île de Robinson, pouvait assez bien figurer quelque .vel't paradis de l'enfance redé. couverte, ou gagnée pour la pre· .. fois, au terme d'un long détour et avec toute la faim inassouvie d;un adulte. Le Roi des Aulnes, le s·econd roman de Tournier, est d'une autre qualité, beaucoup plus douloureux et tendu : l'Amour-Ogre dévore tout ce qu'il touche. S'il déguste l'enfance, c'est en la détruisant, même à son corps défendant. Abel Tiffauges, le héros du li· vre, nous apparaît moins, en effet, comme un anarehiste pris au piège du fascisme (selon le prière d'insérer), que de l'enfance, mais d'une enfance embrigadée, mobilisée, tout entière soumise à l'Etat·- en l'occurrence l'AIlemagne nazie. Tiffauges ne peut I.a

tout d'abord accepter le monde adulte, il s'acquitte de ses fonctions mais en homme éteint, en somnambule, dont l'enfance est la lancinante nostalgie. La guerre seule le délivrera. Et, paradoxa. lement, la captivité qui le con· duira au terme d'un itinéraire complexe dans une napola, une de ces écoles paramilitaires des· tinées aux enfants du Ille Reich : quatre cents élèves qui, à la fa· veur de l'effondrement de l'Alle· magne tomberont peu à peu en son pouvoir. Entre le collège de Saint-Chris· tophe, où Tiffauges a fait toute!' ses études comme interne et la na pola de Kaltenborn, des ana· logies vont surgir, des liens se nouer, des accords s'établir. Ain· si déjà, dans Miracle de la Rose, Jean Genet, du bagne d'enfants de Mettray à la centrale de Fontevrault, quelques années plus tard, rencontrait son destin. Mais alors qu'il cherchait d'une prison à .l'autre à se charger de tous les péchés du monde et à mener à bien sa quête d'une sainteté réprouvée, Tiffauges poursuit une confirmation de sa nature féeri· que et monstrueuse d'ogre, qu'une parenthèse d'une dizaine d'années passées hors des murs, dans la vie courante, en se pliant à une activité sans bonheur: celle de garagiste, avait occultée. Déjà, vers la fin de cette période, le héros était parvenu de tâtonnement en tâtonnement à re· joindre l'enfance. Mais il ne s'agissait point tant comme chez un Salinger, de continuer à parIer un langage qu'on devrait avoir oublié, de se mouvoir au cœur d'un domaine dont la clef aurait . été égarée et de se persuader que le pacte n'a point été rompu dans l'amour et l'abjection ave·c un cer· tain état de Non, pour Tiffauges, se sentir à l'aise avec les enfants, de plain.pied avec eux, ne suffit pas ; se découvrant ogre, seule une véritable appropriation pourra momentanément l'apai. ser. Diverses pratiques ne peuvent manquer d'en découler, le mettant sur la bonne voie. D'abord le regret de l'atmosphère épaisse et confinée des dortoirs, de leur densité, de leur saturation, le pousse à errer autour des collèges à l'heure des récréa· tions. Il enregistre sur des bandes magnétiques tous les cris qui montent d'une cour. Ce qu'il

Q!!'.u'ne Littâ'aJre du 1'" au 15 octobn 1970

nomme lui-même le pIege photographique et dont il use et abu· se, lui assure le pouvoir despotique: la possession des proies enfantines convoitées. Il est une source de joie plus vibrante: celle qui consiste à porter l'enfant, la phorie, du nom même de Christophe, le passeur, le géant porte-Christ. Si elle se révèle ou non une manière d'aimer, elle diffère en tout de la volupté ordinaire étroitement et obscènement localisée: vague de béatitude, qui irrigue les couches les plus profondes, les extrémités les plus lointaines. Ce n'était pas une titillation égrillarde et limitée, c'était une hilarité unanime de tout mon être. La trémulation de Robinson dans l'île de Speranzao

On conçoit certaine angoisse de Tiffauges. Son identification avec Weidmann qu'on guillotine sur ces entrefaites : même poids, même taille, même date de naissance, également gaucher, un air de ressemblance qui ne se discute pas, voilà qui n'est pas pour le rassurer. Il a beau se tourner vers cette image du héros phorique : Raspoutine, guérisseur du tsarevitch Alexis, assassiné pour s'être opposé au déchaînement de la guerre de 1914 et avoir prêché scandaleusement l'innoncence du

sexe, (le roman lui est dédié), la justice frappe. Tiffauges risque une peine de vingt ans de travaux forcés pour un viol qu'il n'a pas commis, dont l'idée ne l'effleure même pas, tout à ses voluptés bien à lui mais, hélas, assez confuses au regard extérieur pour autoriser la méprise et le faire condamner. Rien de semblable ne le mena· ce plus à Kaltenborn. Si le fou persévérait dans sa folie, il de· viendrait sage affirme Blake dans un de ses proverbes d'enfer. Il sera enfin donné à Tiffauges de vivre selon un système sans doute perverti, mais parfait et cohérent, qu'il réussira à opposer à l'ordre du monde avant de suc· comber : un système qui le libère. Bonheur de courte durée ! Tiffauges recrute pour la napola. Il parvient à la faveur d'un provisoire relâchement de la discipline, dû à la défaite allemande, à transformer Kaltenborn, le château de l'ogre, en un parc d'enfants, où ne demeurent que les plus jeunes. Et, somme toute, nous aurions à faire à un bon géant: il aime dormir sur une literie bourrée des cheveux de ses protégés après la tonte, à bouillir avec eux dans l'immense chau. dron que simule la salle de douche, à partager leur sommeil de plomb, préfigurateur d'un autre sommeil, mortel celui-là, à goûter avec volupté au miel que sé· crète le fond de leurs oreilles. La question, bientôt, se pose de l'innocence de Tiffauges. Ne se montre-t·il pas par trop sensible à cette dépersonnalisation des en· fants, à cette déspiritualisation, à leur masse collégiale indifférenciée, sans âme pour particulariser et alléger cette chair anonyme dont il rêve et qu'il veut rendue à sa pureté native, au poids brut? Et s'il distingue quel. ques sujets, il reste lucide sur cet· te élection. Ce ne sont pas des individus: qu'en ferait-il? Mais de vivants symboles, enfants devenus leur propre signe. Des porte-drapeaux tout au plue! Et l'emblème-humain (le Kommandeur de Kaltenborn, le révèle ou le rappelle à Tiffauges) est promu au sacrifice, à l'holocauste suprême, à la destruction précisément de son humanité. Enfin l'enfant mort se révèle pesanteur inouïe, chair plus grave, plU5 marmoréenne: la dernière ten·

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Michel Tournier

rade, une chienlit, qui n'offrent plO8 que lettres et chiBres, vidés de Bens véritable, démonétisés, une absurde et sanglante parade de drapeaux et d'emblèmes SOO8 quoi défi)e une masse humaine vouée à la perdition par des signes archaïques et vains qui ne sont plO8 là que pour la forme, privés de fond et de toute charge réelle. Tiffauges ne proteste pas, entre 88 masse d'enfant8 indiBérenciée et Be8 trois porte-drapeaux en qui se résume l'essence enfantine, trop occupé à ne pas perdre l'équilibre. Ce trop bref survol ne saurait en aucun cas rendre compte, des TiBauges est une victime des multiples pouvoirs du Roi des signes. Il se croit l'objet d'atten- Auln.e&, ce livre qui s'exprime austions spéciales, singulières, et il si par des rapport8, toute une Be veut voué à attendre des symarchitecture complexe et fatale boles un éclaircÏ88ement sur Be8 de symétries, d'inversions, de démarches ultimes. En proie au permutations, de superpositions. démon de l'analogie, toute erreur Maître d'un registre verbal presd'interprétation des signes risque que trop riche, mais plO8 que de lui être fatale. De là découlent dans le premier livre de l'auteur, pendant la drôle de guerre, son s'inscrivant avec plus de spontaref08 et son incapacité d'appren- néité et de naturelle aisance dans dre l'alphabet télégraphique, le mouvement de la phrase, ce ces .igne. corwen.tion.nels, ab- Becond roman no08 parle, en ou.traits, futilu. En revanche, il Be tre, sur tOO8 les tons : le pamphlérévèle un excellent sapeur c0- taire ou le satirique: les Ecriu lombophile: les pigeons voya- .in.iltres, ce journal écrit de la geurs lui apparai88ent comme des main gauche, où Tiffauges se dé: porte-8ignes vivant8 et palpitant8. couvre en s'opposant à tout ce C'est assez dire qu'il redoute tout qui l'entoure et l'empêche; le écart trop grand, qui risque d'encomique farfelu de la drôle de traiDer une rupture dangereuse, guerre; le récit d'aventure: la entre le symbole et la matière, la cabane Canada où le héros déforme et le contenu. Il ne s'atta'robe quelques heures chaque che qu'à une réalité signifiante. jour au camp de prisonniers et Et, s'il Be lie à la PrUBse orien- . se rasBemble en vue d'un tale, s'il y voit sa patrie d'élecdestin ; le féerique d'un Perrault tion, c'est qu'elle lui devient qui serait allé j08qu'au bout de c pays des e88ences pures:t, où ses hantises dans un univers de SOUI la lumière hyperboréenne cruauté (la description de G0efroide et pénétrante tous le. .ym- ring, de Be8 fastes et de ses batboles brillent d'un éclat inégalé. tues monstrue08es) ; le lyrique : N'en doutons pas! Cette forme, la napola peuplée d'enfant8 Beule et sans contenu, .qui Be lèblonds, de Jungmannen, dignes verait c comme un vide fier dressuccesseurs des bOYlI-Scout8 de sé:t, que Sartre dénonce comme Savonarole, monde clos, que l'on l'aspiration-limite de Genet, voilà croirait fermé à la pénétration la peur, la hantise de TiBauges. d'un adulte et sur quoi la BenEt le piège auquel il se retrouve- sualité de Tiffauges parvient à ra pris. ouvrir des portes mystérieuBe8 l.e 'Kommanaeur 'lIe Ka1ten- pour s'y introduire en frande; horn, ce vieux PrUB8ien féru de l'épique enfin: l'écrasement de sciences héraldiques, l'avait assez l'Allemagne nazie et Tiffauges averti. L'Apocalypse commence portant l'enfant juif, l'étoile de lorsque le symbole n'est plO8 les- David, comme une image de parté par rien, que le signe acquiert don, au milieu du massacre des 'IOn autonomie, échappe à la cho- Innocent8, sur lequel Be8 yeux s'ouvrent enfin : la beauté à faire lle ,symbolisée, la prend lui-même en ,Charge, la dét1ore. L'Allemagne peur. Jean-Marie Magnan iliizie, une caricature, une mascatation de TiBauges? Et, bien sûr, devant les cadavres mutilés, déchiquetés, méconnaiMables du massacre des innocent8, par quoi Be termine l'eXÏlltence de la napola, il aura bien du mal à re,trouver les lingou charnels qu'il voudrait charger sur ses épaules. Mais si toute condensation, toute eoncentration, au sens où il l'entend, aboutiMait aU camp- de concentration? Cette découverte ne lui Bera pas épargnée. Ephraim, l'enfant juif, l'enfant porte-étoile, qu'il recueillera évanoui dans un f088é durant la débâcle, la lui révèle.

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Expériences Jean Bouvier-Cavouret La deuxième per.onne Coll. c l'Ecart :t Laffont éd., 192 p.

Didier Pemerle AIIÏle devant mon décor de tempête Coll. c l'Ecart :t Laffont éd., 152 p.

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Jean Bouvier-Cavoret annonce son propos: il n'imagine pas d'autre vocation à la littérature que celle d'effectuer une plongée dans l'inconsCient. Le titre de son livre s'entend ainsi: la deuxième personne est celle qui, entre l'introspection et le comportement, construit le discours de l'auto-analyse. Le livre n'a donc pas pour objet de relater une psychanalyse mais bien d'être, luimême, une psychanalyse.

Le péril L'application de ces principes u'est pas toujours convaincante. L'auteur nous avertit, un peu trop souvent d'ailleurs, que sa tentative est audacieuse, scandaleuse et qu'elle ne va pas sans péril. Le plO8 grand péril est 'peut-être celui de l'ennui qui saisit le lecteur: cette longue promenade, dans les limbes de l'inconscient, parmi les brumes et les leurres, n'avère pas sa nécessité. Ou nous entraîne sur les fleuves du c moi:t le plO8 profond, dans une lumière grise, sans chaleur ni éclat et parmi des paysages indéfinis. Des thèmes apparai88ent et s'entrecroisent: celui de la mort, celui de l'amour qui associe à une femme toutes les femmes et toutes les femmes, bien sûr, à la mère, celui enfin de la mémoire qui, pour Jean Bouvier-Cavouret, est celle des siè· cles abolis, celle de tous les ancêtres qui préparaient, de science certaiue et aveugle, la venue de l'auteur de ce récit. Celui-ci nous affirme que son effort a pour dessein c de .ortir du labyrinthe de la .ubjecrit1ité:t. Il est pOMible que, pour l'auteur, ce but ait en effet été atteint. Reste à savoir s'il suffit, pour se hi88er à l'objectivité, de supprimer toute allusion au réel, tout personnage et toute histoire. La lecture de ce curieux roman de la vie mentale ne permet guère de l'aMurer.

CL.

Ce récit relève-t-il de la scien· ce fiction, de l'essai politique, de la pataphysique ou de la pensée automatique? Il nous entraîne dans une Afrique imaginaire. La ville de Douala a été reconstruite sur le plan de Paris, ce qui permet à Didier Pemerle des cocasseries de ce modèle: c Crabu retient deux chambre. à fhôtel Crillon, après quoi il fait quelque. pa. 'OUI les palmier. pour retenir une table chez Maxim'.o :t Plus tard, du reste, Paris sera à son tour reconstruite, c par souci d'économie:t, sur les plans de Douala. La terre elle-même n'est plus celle que nous connaissons : un hydrotome, c'est-à-dire une boule d'eau, s'est envolé du pôle nord et s'est écrasé sur la lune, les mB88es glaciaires des pôles augmentent au point qu'on craint de voir la terre basculer sur son axe, les océans s'assèchent et pourriMent... Dans ce décor d'apocalypse dérisoire, des personnages s'affairent. Leurs tâches sont déroutantes. L'humanité utilise-des tech· niques avancées pour aMurer sa survie: si la séchesse 's'étend, on songe à renouveler l'atmosphère en distillant les cadavres, encore que ceux des vieillards produisent, malheure08ement, bien peu de vapeur d'eau. Dans les solitudes africaines, une usine est vouée, dans le plO8 grand secret, à vider le crâne des indigènes et à remplacer les cervelles par un appareillage électrique, des maquis se forment, des batailles ont lieu. Ces quelques exemples indi· quent le ton de l'ouvrage: féérie de l'horreur, délire verbal, abolition de toute logique: Fred et Grabu, les deux héros de cette épopée saugrenue, peuvent bien se tuer, ils demeurent en vie et le don d'ubiquité semble être un des trait8 des hommes et des femmes de cette terre imaginaire. Le récit de Didier Pemerle est très bref, il ne compte que cent quarante-huit pages: sans doute l'auteur a-t-il senti qu'il pouvait difficilement poursuivre son expérience au-delà.

C.L.


L'aventure d'écrire

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Camille Bourniquel

Sélinonte ou la Chambre Impériale Le Seuil éd., 256 p.

«Parfois un simple mot... Le livre annonce ainsi d'entrée le lieu de son émergence et le véritable sens de son propos. Camille Bourniquel est de ceux qui savent ce qu'écrire veut dire: en cette alliance toujours incertaine entre les exigences du récit et la rigueur de la langue. L'histoire, on y reviendra. Mais il importe d'abord de repérer le lieu où elle se donne à lire ; de dire que le propos du romancier passe ici d'abord par celui de l'écrivain, que pour ra· conter l'histoire, il la faut d'abord 80umettre à la souveraineté des mots, que le récit s'ordonne dans un espace qui ne peut être repéré et balisé qu'à se frotter d'abord aux mots dont il va s'énoncer. Telle est la partie qui se joue là, sur les multiples portées d'une partition dont les premières pa· en forme d'ouverture, annoncent assez clairement le thème central: un mot bien précis. Et du même coup l'ouverture nous indique le mode d'écoute ici requis. Un mot: Sélinonte. Nom de ville et d'impératrice, nom de cette ville impériale aussi qu'est le livre lui·même (son titre) : un lieu de fouilles au même titre que ces cités d'Assyrie décryptées par l'archéologue Atarasso, cha· que mot, chaque phrase, chaque page annonçant déjà le mot, la phrase ou la page encore cachés. En a-t-on jamais fini avec l'archéologie du langage ?

En sa musique

Sélinonte: comment ne pas rentendre d'abord en sa musique? En cette «turbulence ver· baIe qui précède tout récit, toute entreprise d'écriture. En sa musique et en sa lumière, dans c l'écho de son propre renonce Clair.obscur, main droite et main gauche sur le clavier des mots. Du côté de la lumière, de la pure mélodie: Sélin·, sonnant comme un nom de femme, à quoi fait écho le nom de Sendra, prononcé à l'italienne, sonorités fraîches comme un carillon matinal aux espoirs du jour, à la nai88ance de toutes les possibili. tés, .c'est·à·dire du livre juste· ment, là où tous les coups sont

permis. C'est du moins ce qu'on croit. Mais aussitôt l'antonymie sonore fait entendre en contrepoint le son grave et sombre, -ante, déjà lourd des pesanteurs d'orage, et d'un goût de cendre. La main gauche vient porter le trouble, laissant pressentir que cette toute possibilité du livre se heurte à son impossibilité même. Où le nom clair de Sendra laisse apparaître son ombre de Cendre. Où le nom de Géro, le (h) éros du livre, s'annule déjà du Zéro qu'il recèle. Géro-Zéro: «le signe creux de la numération de·

vient aussi bien le symbole d'un manque (absence de chiffre, donc de valeur) que celui d'une pléni. tude (les décimales) et peut deve· nir aussi le symbole de linfini C'est bien ainsi que nous sera présenté Géro: l'homme de toutes les possibilités mesurées à l'impossibilité qui les englobe tou· tes - et justement écrivant un livre.

Une femme Il en est de l'histoire ICI comme du livre, comme de n'importe quelle chambre, impériale ou pas: n'est-ce pas toujours à la femme qu'il en faut demander la clé? «Une femme avait tout con· duit. Celle-là même que dans lheure la plus lucide, alors qu'il la retrouvait chaque nuit et pouvait disposer d'elle à sa guise, il avait nommé Sendra, fille du célèbre archéologue Atarasso, n'est pas sans évoquer la wagnérienne Kundry: celle qui ensorcelle. mais aussi celle qui aide - à comprendre. A compren· dre par exemple ce que c'est qu'écrire; ce qu'il en coûte d'aller ainsi aveuglément à travers les mots vers la radicale dépossession de ce livre-objet où ils viennent s'enfouir. «Qui peut croire qu'il parle en son nom ?

Qui peut croire que l'écrivain est véritablement le sujet du discours qu'il prononce? Ou du moin!! qu'il y a une quelconque signifia cation à s'en attribuer la propriété ? Telle est la terrible leçon de l'ensorceleuse: une sorte d'acte de naissance, quant à effacer le nom, c'est bien le nommé qui surgit. «Cendres vous m'aurez obligé à renaître, à effacer en moi cette obM:ure tentation de durer On comprendra mieux désor· mais le sens de cette histoire. Gé-

lA f;b!in... iae Uttiraire du 1er au 15 octobre 1970

ro, qui traverse sa vie et celle des autres sans jamais s'arrêter nulle part, voyageur sans bagages et sans destination, est pourtant fasciné par Atarasso. L'archéologie apparaît ici comme un premier maillon de la chaîne qui va nous conduire à la question de l'écriture, une sorte de réécriture de l'histoire (mais écrit-on jamais une histoire pour la première fois ?), par ce déchiffrement minutieux des palimpsestes de pierres que sont les villes enfouies : c ... passant au peigne fin des débris, des tessons couverts d'écriture ». Sendra sera le second maillon, forçant le passage de la fouille assyrienne à la fouille d'écriture, ramenant à la question de l'écrivain. Et d'ab9rd à Géro. L'ayant attiré dans la maison d'Atarasso, elle va l'amener à retranscrire les carnets de notes de son père, notes qui n'ont d'autre intérêt qu'archéologique, la véri· table écriture de l'archéologue étant d'abord celle des pierres. Mais sans en avoir conscience, Géro va faire de ces notes un véritable livre, son livre: Des·

cription d'un Empire Terrestre. Empire qui en dissimule à peine un autre, celui dont l'écrivain, pour en être l'empereur, peut mesurer à quel point il en est peu le maître. Empire du langage où les fouilles peuvent conduire à d'étranges vérités, «ces mondes enfouis où nous allons à la ren· contre de nous· mêmes

la Doute d'être le 1lUjet de son propre discours ? Maïa l'écrivain ne doit-il pas se résoudre à n'être indéfiniment que le sujet d'un discours perdu? c Ces

mots, tous ces mots... étaieRt-iû les miens ? Qui pose la question, ici? Est-ce Géro qui parle? Ou le narrateur, qui fait, au début du livre, la rencontre de Géro daDII une salle d'hôpital, fasciné par ce grand gaspilleur de dons qui Il'est si bien laissé déposséder de .. seule chose à laquelle il se llOit justement donné : un livre. c Ceete aventure, dit le narrateur,

suis-je celui qui la raconte, ou est<e moi qui rai vécue?» Oa semt tenté de répondre que c'est la même chose. Cette question, chacun peut se la poser, à chaque maillon de la chaîne qui se développe ici: Atar88llO écrivant ses livre!! de pierres, sur le terrain, Géro écrivant Ilur Atar88llO, le IUU'rateur racontant l'histoire de Géro, et l'écrivain faisant ce livre nommé Sélinonte, le nom même du livre de pierre d'AtarallllO. Et chacun peut répondre qu'en l'oc> currence, raconter l'aventure vivre, c'est bien en effet nne seuIe et même chose, quand c'est d'abord de l'aventure d'écrire qu'il s'apL

et"

Aventure d'écrire Ecrire l'aventlwe Aventure d'écrire qui ne va pas écrire l'aventure. C'est à cette charnière que se tient l'écrivain, à la fois scribe et conteur, entre le mot et ce qu'il dit, entre l'écriture et le récit, courant toujours le risque de se laisser déporter d'un côté ou de l'autre, soit vers la pure écriture qui ne dit plus rien qu'e11e-même, llOit vers la pure fiction qui ne Il'écrit de rien, vers l'écriture saD8 hi&toire, ou vers l'histoire ll8IlIl écri· ture. Ne sachant trop qui est le « J e qui sur cet incertain lIeDtier de crête, tient la plume. sans

Oui est l'auteur? Quelques années plus tard, le livre est publié par les soins de Sendra, comme ouvrage posthume d'Atarasso lui-même. Ainsi en même temps que Géro comprend qu'il a écrit un livre sans le sa· voir, il lui faut en même temps supporter le fait de n'en être pas l'auteur: fait qui n·apparaîtra comme vérité qu'à la fin du parcours, du livre que nOU8 sommes en train de lire. Pas plus d'ail· leurs qu'Atarasso n'est l'auteur des villes qu·il découvre, de Séli· nonte par exemple. Mais alors, de Sélinonte, qui est l'auteur? A une telle question, il n'est peut.être d'autre réponse que c ce doute qui pour tous ceus

qui s'engagent dans une voie difficile a toujours été le chemin de

«Pourtant, ce Je (ce jeu) à reprendre pied UA ÎIUtaRt et à sortir du counmt qui depuis toujoun. Ce

jen, il se joue dlUlll La chambre impériale pleine de mots, et qu'auCUD Je n'habite: là où s'écrit le livre.

Plailippe Boyer

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La valise vide

Arabesques

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Que sont-ils vraiment, ces garçons bavards et nerveux qui associent le meurtre, la théologie et la tendresse? Des tueurs au service d'un communisme qui les utilise et les contrôle en les méprisant? Des enfants perdus de la guerre dans une Amérique du Sud vaguement dessinée ? Un des personnages de l'Apologie d'un salaud constate que « r Anarchie est la seule réaction honnête devant la société ». Mais ces jeunes gens ne sont pas exactement anarchistes, pas plus d'ailleurs que communistes ou trotskystes. La destruction de l'Etat ne les intéresse pas, pas autant que celle de la société et des individus qui la représentent. Au demeurant, ils ne manifestent aucun souci idéologique, tout en chérissant les interminables confidences, les dialogues avec des moines ou des curés. A tout prendre, ils ressemblent surtout aux élèves des institutions religieuses. De ce livre bref et rapide (trop rapide), fait de scènes violentes mais cassées, seuls des personnages émergent, tracés à gros coups de crayon : Wladimir buté, silencieux, Hugo, le métaphysicien tendre du meurtre, Manuel le politicien, Juan le curé défroqué, et le narrateur, homme de main, lui aussi, et qui rêve tendrement à Lili Kangouroo, princesse lointaine, mystérieuse responsable politique dont ils dépendent. A leur sujet, on parlera de Drieu, de Malraux, d'Abellio. Ce n'est pas tout à fait cela. Ces personnages ne revendiquent pas le statut d'existence: ils se contentent d'apparaître. Ce sont des visages, des fantasmes de souvenirs ou de l'imagination, qu'importe! Une certaine lecture de ce livre en révélerait sans doute la trame cachée : la violente haine portée contre la paternelle société établie trouve sa compensation dans une nostalgie profonde de la féminité toujours perdue. L'intrigue d'ailleurs renforce cette impression : elle raconte un échec et un échec qui affecte ces chevaliers de fortune dans leur 'ressentiment et leur haine, la seule chose qui leur reste. Ainsi, les terroristes enlèvent le chef de la police, coupable de multiples

Si Dedans (Prix Médicis 1969) était, comme on l'a dit, le «roman de l'encerclement », les deux nouveaux livres qui viennent de paraître feront peut-être figure d'arabesques décrites à partir de ce premier cercle. Dans le Troisième Corps et les Commencements, l'auteur semble en effet tisser de nouvelles toiles autour de son enfance et des êtres qui l'ont hantée. Elle continue avec ces deux romans - qui auraient aussi bien pu n'en constituer qu'uu seul - une sorte de résurrection-liquidation dont on ne prévoit guère la fin. Ce genre de matière n'est pas sans évoquer le long périple analytique que René-Victor Pilhes retraçait patiemment dans le Loum. La narratrice remet ici en cause sous une forme essentiellement métaphorique, onirique et inter. prétative le jeu des rapports et des identités interchangeables qui l'entourent: celle de la mère-fillefemme, celle de l'amant-père-fils, celle du père-mère-frère, à l'intérieur d'une sorte de vertige textuel où foisonnent les rêves et les hallucinations signifiantes du rêve éveillé. Cette matière, déjà riche, s'articule en outre sur des « textes» tels que la Gradiva de Jensen commentée par Freud, le Tremblement de terre au Chili de Kleist, et les tableaux de Klee ou d'Dcello (l'admirable SaintGeorges). Tout cela fait un peu figure d'orage culturel et nuit à la sobriété parfois très réelle du sujet. Celui-ci, on s'en rend compte, touche au problème délicat de la dissociation à 0 p é rel' entre l'amour vécu comme adulte et les liens de chair et d'idées qui adhèrent en tant que passé à l"être de la narratrice. C'est pourquoi celui qu'elle aime, T.t. (Tristan) ou Saint-Georges doit assumer une réalité mythique et s'embarquer lui aussi sur les Lé· thés analytiques qui semblent occuper une place très - trop importante dans le livre. Les Commencements sont tout comme le Troisième Corps une longue métaphore amoureuse et inquiète à la fois, une création de mythe8

J ean-J acques Rochard Apologie d'un salaud Stock éd., 176 p.

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Hélène Cixous . Le Troisième corps Grasset éd., 226 p.

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Jean-Jacques Rochard

exécutions. Tout conduit à la Révolution. On obtient du policier qu'il signe un chèque énorme transférant le trésor d'Etat entre les mains de l'organisation. Pourtant, les dés sont pipés et la valise vide. Manuel rencontre l'actuel président du pays, achète son départ, le remplace. Qu'estce qui est vraiment changé? Au service de quoi se trouvent ces garçons? On croyait changer le sens du monde, on a simplement assisté à un chantage. Et les terroristes constatent qu'ils sont des marionnettes. Ce genre de désastre n'est pas neuf. La littérature s'en est emparée depuis plus d'un siècle, depuis que les éternels EnjoIras ont cru qu'en mourant sur une barricade, ils mouraient pour quelque chose. Transposé avec la force qu'on sait, cette détresse ini>pire après 1830 le Lorenzaccio de Musset: il quoi bon tuer le tyran, puisque cela ne change rien? Mais le tyran n'est-il pas tué pour une raison plus profonde et ce meurtre ne réhabilite-t·il pas une petite canaille, à ses propres yeux? Dostoïevski n'est plus très loin. J.-J. Rochard n'est pas Dostoïevski, et son livre (au titre déplaisant) n'est pas les Possédés. La rapidité schématique de l'action et des personnages, une certaine facilité dans la présentation presque monotone de la vie de ces terroristes, comprimés entre le coup de feu, le demi-viol et la méditation théologique gênent la lecture. Pourtant le témoigna· ge, fût-il imaginaire, s'impose: les images haletantes nous sui· vent, même si inquiétantes, si irritantes qu'elles soient. Il y a quelque chose là. On souhaiterait, après Apologie d'un salaud, relire les Réprouvés d'Ernst von Salomon, qui reste la matrice de ces légendes désespérées. Jean Duvignaud

Les Commence men,,:; Grasset éd., 251 p.

qui visent sans doute à une souveraineté encore non accomplie par rapport au passé. Quant au «troisième il habite les deux romans car il est «le lieu de l'immortalité que se constituent les amants: «Il se trouve à rintersection de nos deux désirs tendus tout droits, issus du même côté de nos langues unies et silencieuses, et qui, ayant pères et mères, origine et infini, se présente tout à coup de autre côté, sous la forme d'un troisième corps... en ce corps nous sommes échangés jusqu'à fextrémité de la ressemblance.» (Le Ille Corps, p. 215.) Mais cet exorcisme que l'amour érige contre les puissances de la mort, toujours à l'œuvre dans la vie, il se poursuit aussi dans l'acte même d'écrire qui, en «donnant à voir », confère aux fantasmes une force et une réa· lité neuves. La narratrice peut alors se posséder, se confirmer dans son être à travers une cosmogonie intérieure devenue manifeste, déchiffrable. En dépit de l'identité de la matière romanesque, le style d'Hélène Cixous demeure, puissant, nombreux, violent. Il est celui «d'un guerrier de la vie », décidé à vaincre ses démons intérieurs, acharné dans sa quête et sa possession du monde par le langage. On ne peut qu'admirer l'ampleur du registre, la varieté des tons, qui va de la colère à l'abandon savant, en passant par l'angoisse, l'insolence, le rire, le sang, les larmes. Mais tout ce que ces arpèges brillants font surgir devant nous, ces mères «pri. mordiale(s), nombreuoe(s) », cet amant cuirassé de lumière ou transformé en une lointaine parturition, est comme secoué de séismes secrets, de rages impuissantes et d'anxieux délires, com· me si la narratrice ne parvenait pas à «résoudre », à réduire à merci le cortège des images qui la poursuivent. Après cette lecture difficile, doublement exigeante par les variations de la forme et le niveau de culture qu'elle suppose, on ai· me à se tourner vers l'image de la Gradiva, «celle qui et qui resplendit », silencieuse dans le midi brûlant de Pompéi, s'avançant lentement vers sa mort, làbas, dans l'ombre fraîche du Temple... Hélène de W ierlYiJ

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Un refus fraternel

Un saccage

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Guy Le Clec'h La violence des pacifiques Albin Michel éd., 304 p.

Des Moissons de (abîme - pre· miel' volet du triptyque intitulé: c Les J ours de notre vie:t - le personnage central, Jacques Mar,oille, émergeait comme un rêveur velléitaire, ballotté par les événements, désabusé avant l'âge. Il prend un autre visage dans ce deuxième volet: la Violence des pacifiques, où, d'homme quelcon. que, il devient une sorte d'aventurier. Non que la chance lui sourie, ni qu'il dirige d'une main ferme sa barque entre les écueils. Simplement, les écueils ne l'em· pêchent pas d'affronter la haute mer. Par plusieurs aspects autobiographiques, la narration gagne en ampleur. Le mouvement de la vie est plus perceptible, plus ouvert et multiforme que dans les Moissons de (abîme. Le ton varie selon que Marville se trouve au chevet de son père mourant, obsédé par les souvenirs de la guerre de 1914, ou' en face de son frère, un frère aussi différent de lui que le blanc l'est du noir, ou encore avec Claire - son premier amour, impossible à rani· mer Françoise l'épouse adultère et bourgeoise dont il manque d'être le gigolo - Catherine.enfin - la maîtresse fragile parce que blessée dans son enfance, semblable à lui comme une sœur, au fond trop proche, trop «parente» pour que leur amour n'ait pas quelque chose de monstrueux. On serait tenté de voir en J acques Marville une sorte de hippy, un non-violent de la trentaine, un c pacifique:t, comme le suggère le titre. A la vérité, Guy Le Clec'h semble avoir voulu le peindre en contestataire d'une société qui écrase ceux qui refusent de se plier à ses appétits. Il est l'un de ces derniers. A force de coups reçus, il s'est tanné le cuir; il a appris l'obstination; sans cesser, pour autant, d'être sensible et inquiet. Des divers métiers qu'il accomplit - employé, chauffeur-livreur, professeur, rewriter - pas un ne convient à ses goûts et il les quitte tous par lassitude ou sur un coup de tête. L'argent ne l'intéresse pas. Celui qu'il héritera de

son père lui brûle les doigts, lui salit l'âme. Il l'appelle un «mal:t, lui trouve une mauvaise odeur: c Il pue le cadavre :t, dit-il. Ceux qui en ont et en usent sans scrupule ne sont pas de sa race. Marville n'est, cependant, ni un ascète ni un anachorète: quand les hasards de l'amitié ou de l'amour lui sont favorables, il ne fait pas le dédaigneux; il mord à l'hameçon sans prudence ni calcul. L'aventure, pour lui, c'est l'existence. Ne cesserait·elle pas de l'être si l'on pesait le pour et le contre, si l'on conformait ses actes au comportement génél'al? «Je me bats seul:t, dit·il. «Je ne veux rien pour moi. Donc, j'ai le droit de tout exiger. :t Mais il collectionne les échecs, un peu comme le Salavin de Duhamel, dont, avec moins de donquichottisme, il est une moderne répli. que. Guy Le Clec'h le peint avec juste ce qu'il faut de réalisme pour que la silhouette soit discernable. Il l'entoure d'un halo fan· tastique, mêlant le rêve au vécu, Iii' fantaisie au sordide. Méthode qui peut déconcerter, mais qui donne aussi, parfois, d'excellents résultats: ainsi, l'apparition de Catherine, dont l'image coïncide miraculeusement avec l'un des fantasmes de Marville. Le prodige devient soudain crédible; l'univers rationnel bascule, chi· mère et poésie confondues. Ailleurs, la ville et ses habitants s'estompent dans une aura de folie ; ils ne sont plus qu'un décor en proie au vertige, que la foudre vient de frapper, et dont le héros, pétrifié au bord d'un trottoir, «sans appui, le préci. pice sous ses pieds », découvre, entre deux éclairs, «les façades aux yeux crevés ». Tout un monde que l'homme du xx· siècle essaie d'oublier les cités atomisées, les laboratoires de la torture, «les Juifs, les Noirs, la guerre, les filles-mères, les enfants abandonnés:t - menace soudain la tranquillité des égoïstes. Les refus de Marville, même s'ils se manifestent parfois avec violence, ne sont jamais dénués de fraternité: les autres existent aussi, plus souvent victimes que bourreaux, vers qui il va, les mains nues, empli d'une ardeur qui n'a pas trouvé encore où se consumer. Maurice Chavardès

I.a Cl!!buaine Littéraire du l· r au 15 octobre 1970

Pierre Guyotat Eden, Eden, Eden Gallimard éd., 280 p.

Un paroxysme monotone, à cette phase aiguë de l'écriture se situait Tombeau pour 500 000 sol· dats de Pierre Guyotat. Le récit des faits était si exacerbé d'entrée que l'on ne pouvait que par ana· logie y retrouver l'habituelle progression dramatique. Eclatement d'un monde qui n'en finissait pas de s'éparpiller avec une puissance égale de destruction morose. Un cauchemar interminable, dont se mêlaient les épisodes et se che· vauchaient les péripéties, et où prédominait le sentiment d'une horrible répétition, éternel retour, recommencement à perpé-

Place rase était faite pour écri· re Eden, Eden, Eden, qui se trou· vait en germe, tout entier con· tenu, dans un texte d'une dizaine de feuillets, paru en octobre 1967 sous le titre de Tam, Tam dans la revue les Cahiers du Chemin et qui, déjà, prenait acte de cette rupture consommée et en assumait les conséquences, y puisait ses pouvoirs. Mais de quel ordre ou de quel chaos ? Force du désespoir peut.être, plus que puissance et qui se fai· sait davantage jour dans la douleur, les scènes de tuerie et de massacre, que dans les jeux de la volupté qui restaient en deça, malgré l'irritation de tous les sens, l'accumulation des détails obscènes préparatoires, de l'incantation à quoi le meurtre pou-

Pierre Guyotat, debout, à gauche

tuité - loi même de l'enfer. Au-delà de rappels, de rencontres avec surtout le Miracle de la Rose, il y avait entre Guyotat et Genet une semblable nécessité d'identifier leur cause avec celle du tiers monde. Les Nègres et les Paravents permettaient déjà à 'Genet de se retrouver dans les opprimés et les parias, d'élargir son cas. Guyotat aussi voudrait être nègre. Mais il sait bien que c'est par rapport au Blanc qu'il souhaite la révolte noire «Et ça c'est égoïste. C'est une forme de néo-néocolonialisme:t, constatait· il. C'était en tout cas une bien intéressante insertion du chant. dans un contexte extérieur à l'auteur. Et, bien sûr, le ton' même du récit révélait davantage le my· thologue que l'historien.

vait atteindre. Ainsi, du moins le sentions-nous dans le Tombeau. Cela se lisait dans son écriture. Dans une première version du Balcon de Genet, on voyait pa· raitre un moment sur le plateau, le sang, les larmes et le sperme - trois jeunes gens très beaux et blessés: . «Curieux mots ou banales humeurs? ». Ils se plaignaient d'avoir servi à une longue utilisation décorative et affir· maient leur désir de lui échapper. Chez Guyotat, ils débordent à chaque page et les corps qui Be cherchent, s'affrontent, en ruissellent. On peut parler d'une incontinence généralisée qui entraîne celle du langage. Ils n'arrêtent pas de couler. «Des torrenu, des fleuves, des cuvettes, des pluies torrentieUes, des catarac-

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Le créateur les,

de. «eysers:t, que l'écrivain

d'alimenter. Le lait est la source de tout échange avec la femme : faim rarement rB8888iée. Tari, il se refuse le plO8 souvent et ne coule pas à pour des lèvres avides. Salives et b8'ves, par contre, forment de véritables filets, réseaux sur les COrp8 désiréB et tradUÏ8ent l'exultation amoureUBe. lIB se teintent à l'ordinaire de sang, comme une roeée. VolDÏ88ures et excréments soudain dévidés leur meeèdent et une incroyable épaiBseur, deDBité de la matière (des matière&) remonte et submerge to08 les accouplés. La page en les mots s'embourbent. On est comme bu et upiré par ce chu dans la matière la pb compacte où l'on s'enlise, 8Uftoque. Tout amour, qui ne s'y écraBe pas, dénonce dans le Aux même de la parole, une furieUBe insatiBfaetion. Longtemps les appels se sont boU8CuléB, multipliés, ont tournoyé au-de88U8 de leur objet, invoquant avec des cris pusionnéB tout un Babbat, où les jeunes corp8 pourraient enfin s'abîmer. Aujourd'hui le Baccage l'emporte de pb en plO8 sur la prolifération, les mots sont propullléB au lieu de seulement s'agglomérer ou s'agglutiner. Si tant de phrases qui refUBent le tri, l'élaboration, la mise en valeur ou la mise au point, se pou8Bent en l'lIJlWl serré! et défilent sans solution de continuité, à perte de vue, il fallait que le dru triomphe des courbes, méandre&, volutes, qu'elles s'érigent. Revêtu de tOO8 les attributs de la force, délibérément, avec ce d'être tOUjOurB à la limite de toute teDBion, Guyotat, dans IOn jU8qD'au-boutiBme exupéré des actes, des attitudes, des faits rapportés, aboutit dans Eden. Eden. Eden à un nivellement définitif, un nivellement forcené. Un livre BaD8 commencement ni fin et dont la mise en 270 pages fait figure de pis-aller Baugrenu. Car on peut écrire à la limite que chaque paBBage entre tirets le :contient et qu'il pourrait interminablement se pourBuivre hors du livre. Et ce n'est pu là sa moindre é«alité. une égalité à prendre ou à lai.eBer. De ce8IIe

Jean-Marie Ma«,",n

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Harry Mathews

Conversions Trad. de l'anglais par Claude Portail et Denis Roche avec la collaboration de l'auteur Gallimard éd., 208 p. La tradition romanesque possède aujourd'hui une histoire capable de comprendre et de répondre des subtilités et des recherches les plO8 byzantines. LaBBés de se disputer un caractère, une situation, une intrigue, un exotisme de plus, il semble que les nouveaux romanciers se trouvent réduits à spéculer sur le dernier avatar du genre «ésotérisme formel:t. L'histoire des divers mouvements littéraires de ces cent dernière& années, perçue commc une addition de « trouvailles :t plus ou moiDB heureuses, se trou· ve ou bien condamnée à répéter, avec variantes, les motifs décoratifs d'une même subjectivité, ou, au mieux (1), à devoir témoigner d'une évolution de type nettement positiviste.

Les références lansoniennes TI va de 80i que, da08 une telle perspective, toute pratique littéraire déterminée à penser son évolution historique d'un point de vue dialectique va forcément voir son travail aplati, écrasé, réduit aux références lansoniennes. Je pense ici, pour ne parler que de la littérature française, aux moments forts, quant à leurs effets révolutionnaires et à leur ra· dicalité transformationnelle, que 80nt les œuvres de Lautréamont, Rou88el, Artaud, Bataille; œuvres qrii se pensent dialectiquement'par rapport à l'histoire qui les produit, et qui demandent à être lues (auBBi bien les unes par rapport aux autres) dans le même mode de production dialectique. Faute de quoi, réduites à une normalité (normalisée), leurs transformations n'apparaissent plus que 80US le mode de la «fantaisie:t humoristique et décorative, quand ce n'est pas sous celui d'une transgression dont on nous suggérera alors qu'en dernière instance le caractère ne peut être que religieux. Livrées aux phagocytes lan80niens, les œuvres de Lautréamont, Roussel, Artaud, BataiDe, etc., vont se voir attri-

buer le rôle de justifier, d'une part le ressassement perpétuel de la religion philosophique, et, d'autre part, le formalisme provincial et anémique qui caractérise les derniers souffles du Nouveau roman.

Le paradoxe C'est ce contexte particulièrement chargé que le livre de Harry Mathews, Conversions, prend en considération, et c'est aux œuvres les plus marquantes de ce champ littéraire que, finalement, il renvoie. Le paradoxe veut que cette leçon de maintien soit donnée au dernier carré du Nouveau roman, par un romancier anglosaxon. Cela n'est pourtant qu'apparemment paradoxal; il convient en effet de préciser, tout d'abord, que Harry Mathews est parfaitement bilingue, et que sa culture est tout autant française qu'anglo-saxoime. La référence à Raymond Roussel semble tout d'abord être la référence maîtresse de Conversions; l'épisode du roman qui a pour titre «Les gitans:t se présente nettement sous la forme semi-dramatique du déchiffrement des énigmes dans les « jeux:. rou88elliens (ce n'est certainement pas un hasard si la première version de Conversions paraît en anglais en 1960 dans une revue publiée en France, et qui avait pour titre Locus Solus). Le livre toutefois ne saurait être réduit à cette seule référence, et si l'influence de Rou88el y est déterminante, c'est sans doute d'abord parce qu'elle autorise le romancier américain à jouer toutes les ressources de sa langue sur un champ culturel qu'en dernière instance, Lautréamont et Rou88el inévitablement renversent.

Roussel, Lautréamont On .sait que la matrice formelle des Chants de Maldoror est empruntée aux romans à épisodes, au Roman Noir anglais et à ses vulgarisations, le feuilleton populaire (Sue: Latréaumont; PonIwn du Terrail: Rocambole), c'est cette même «tranche romanesque:t que Harry Mathews va soumettre à l'influence de Ray-

mond Roussel. Il n'est pas question ici de comparer Harry Mathews à Raymond Roussel ou à Lautréamont, ni de comparer son livre aux Chants de Maldoror, mais de mettre en évidence et de revenir sur ce paradoxe qui veut que ce soit un écrivain anglosaxon qui fasse apparaître le terrain sur lequel se déplace aujourd'hui toute une partie des dernières productions du Nouveau roman; que ce soit un écrivain anglo-saxon qui en démonte les « platitudes» (fussent-elles valério-horgésiennes), qui en remarque les lignes de force.

Une série à énigmes Conversions se présente comme une série à énigmes avec apparemment toutes les caractéristiques ùu roman feuilleton tel qu'on le voit au milieu du siècle surgir du Roman Noir. C'est-à-ùire que la fortune (<< fabuleuse :.), et une fortune concrètement monnayable: l'argent s'y trouve être le facteur déterminant de la fiction (de la fabulation) et de la quête pour laquelle le héros devra utiliser toutes les ressources de sa chance, de son avoir et de son savoir. Telle est la grille qu'utilise Harry Mathews en une série de scènes dont le caractère parodique, aplatissant tout effet· de fiction, ne cesse de renvoyer à l'anachronisme des formes romanesques que cette grille met en scène.

L'apport anglo-saxon Et je dirai que c'est plus particulièrement ici qu'intervient l'apport proprement anglo-saxon de ce livre, dans l'écriture même de Mathews, dans une écriture qui utilise avec une grande virtuosité toutes les ambiguïtés sémantiques de l'anglais. Il faut noter que, de ce point de vue, la traduction française, si élaborée soit-elle, est loin de bénéficier de la richesse des jeux pluri-sémantiques de la version anglaise (ambiguïtés, jeux de mots, double, triple sens, pastiches, etc.). C'est une des p!lrticularités normatives de la phrase française que d'écraser inévitablement la multiplicité des jeux qu'elle autorise sous l'autorité


e ef OISI· d'un sens souverain, les traductions de certains romans anglais prennent ainsi en français un poids et un «sérieux:t qui le plus souvent les tue (je pense ici aux traductions françaises de Ronald Firbank).

Les trames Ce n'est pourtant pas tout à fait le cas du livre de Harry Mathews qui, s'il ne répond pas absolument, dans sa version française, de la virtuosité d'écriture qu'il manifeste en anglais, n'en livre pas moins une traduction qui, pour l'essentiel, conserve au jeu textuel l'étrangeté qui le {:onstitue (je suppose que la col· laboration de l'auteur avec les traducteurs, Denis Roche et Claude Portail, n'y est pas pour rien). L'écriture de Harry Mathews, et c'est là si je puis dire ce qui la qualifie, ne se contente pas en effet de reproduire tel quel le vide des formes romanesques qu'elle utilise; elle en redouble jusqu'à la caricature les productions fictives (idéologiques) qui leur sont attachées. De sorte que les figures centrales de ce «rêve qu'est le «jeu» romanesque, loin de dissimuler (derrière le glacis d'une pseudoobjectivité Nouveau roman) les contradictions idéologiques qu'elles mettent en scène, se marquent avec force et proportionnellement à l'invraisemblance même de la fiction qui les produit. « L'animisme, la magie et les enchantements, la toute-puissance des pensées, les relations à la mort, les répétitions involontaires et le complexe de castration... » (1) sont les véritables «trames» romanesques auxquelles les «conversions» de Harry Mathews donnent une évidence fonctionnelle (dépouillée de toutes mystifications objectives). Les clefs, les ressorts du récit suspendu (du suspens) ayant perdu toute vraisemblance objective livrent, dans leur exaspération, le schéma fantasmatique qui conditionne. la forme romanesque. On dirait finalement du livre de Harry Mathews que son ultime «conversion:t, la plus décisive, est ·celle du roman en névrof>e. Passée c l'allégresse :t (comme dit le prière d'insérer) d'une lecture qui

consume, avec une joyeuse rapidité, tout ce qu'elle met en jeu, les névroses sont à l'avant-8Çène. Le miroir culturel que Mathews vient de promener tout au long d'une histoire dont nous lIavons bien qu'elle est morte, ne livre plus que ces grandes figures occidentales grimaçantes, ces véritables héros de c l'aventure :t romanesque qui soumettent le récit comme sa forme à leur prétexte et auprès desquelles, Mathews le montre bien, les personnages ne sont que des pantins. c L'horloge lunaire ne m'ayant pas dévoilé la troisième réponse, je décidai de mettre fin à mes recherches. Ma longue quête avait englouti davantage que la petite somme que j'avais un jour possédée... Il ne me restait plus qu'à rentrer chez moi et à commencer à rembourser mes dettes. :t Le roman se termine ainsi, brusquement, et presque sans raison, dirait-on, par un apparent constat d'échec: c'est que la preuve est faite de l'anachronisme d'une démarche qui prétendrait donner vérité. à une fiction autre que celle qui souscrit toutes les formes fictives, laisser la parole à un «créateur:t, se déclarât-il apparemment oisif.

geté •.

La Ql!inzainc Uttiraire du 1er au 15 octobre 1970

« L'inquiétante

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Dans sa démonstration, le livre de Harry Mathews réaffirme l'irréductible radicalisme de l'intervention roussellienne. Remettant en jeu les «tics» de la tradition romanesque, sa «longue quête engloutit finalement davantage que ce qu'il a jamais possédé:t ; c'est dire que finalement le livre réaffirme surtout l'irréductibilité de cette intervention à elle-même. Les véritables héroïnes du débat (les névroses) ont rendu définitivement anachroniques les constructions mécaniques de contes somnifères, Lautréamont nous le signalait déjà à la fin du sixième des Chants de Maldoror; des sciences (la psychanalyse entre autres, n'est-ce pas ?) nous ont depuis enseigné à déchiffrer quelle surface sociale ces jeux névrotiques souscrivent... Que va faire maintenant l'oisive littérature? Marcelin Pleynet Freud,

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Réponses de : Roland BARTHES - Pierre BOURDIEU - Yona FRIEDMAN - Lucien GOLMANN - Claude LEVI-: STRAUSS - Jean-François LYOTARD - André MARTINET - J.-B. PONTALIS - Olivier REVAULT D'ALLONNES - Alain ROBBE-GRILLET - Philippe SOLLERS-Bernard TEYSSEDRE-Victor VASARELY

Les dynamiques de 1'6,olutlon nltDrelle

Les véritables. héroines du débat

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N° 2 - QU'EST-CE QUE LA THEORIE?

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La peur des femmes PnTI'B BŒLlOTIIIQUB PAYOT

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ENTRETIEN

Orkeny Istvan Orkeny Minimythes Traduit du hongrois par Tibor Tardos Coll. « du Monde entier • Gallimard éd., 224 p.

Istvan Orkeny nous était connu par une pièce singulière, à l'humour subtil et noir, dénonçant symbol iquement toute forme d'occupation, d'intrusion dans les affaires des autres, une sorte de Victime du devoir à arrière-plan politique, la Famille Tot (1) qui fut jouée à Paris il y a deux ans. Aujourd'hui paraissent des Minimytf1es, textes d'une extrême brièveté, de quelques lignes à quelques pages, qui tiennent du poème en prose, du conte, de l'apologue, de la satire, où se mêlent jusqu'à se confondre. nous faisant rire en pleurs, le grave et l'aigu, le drôle et le tragique. _ _ _ Pour les définir. il faudrait évoquer ces dosages minutieux: des pharmaciens mais Orkeny, justement, ne fut-il pas pharmacien avant de connaître les cal"1ps: de concentration allemand, de prisonniers en Russie, puis, après octobre 1956, le travail en usine pendant six ans? - qui aboutissent à une minuscule pilule. suffisante pour réveiller un mort et secouer les vivants. En effet, les meilleurs de ces récits contiennent une véritable charge explosive, un humour noir et une imagination poétique qui ne sont pas sans rappeler Jarry, Michaux ou Queneau, mais qui, dans les lettres hongroises doivent rendre un son nouveau.

1. O. En Hongrie, constate Orkeny, autant dire que je suis seul, que tous les écrivains qui cherchent à rompre avec nos traditions littéraires sont seuls. Quelles tions?

étaient

ces

tradi-

1. O. C'est un lieu commun pour nous, la richesse de la littérature hongroise est sa p0ésie. Nous pensons être un peuple de poètes et si les difficultés de langue n'existaient pas

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mencé à se manifester, à s'imposer, et l'un de ses meilleurs représentants était le jeune Tibor Déry. Et depuis quelques années, on assiste à un renouveau. La vie littéraire hongroise se fait plus riche, plus pétillante, plus bouillonnante. Certes, le règne du roman traditionnel n'a pas cessé, mais à côté de celui-ci, des recherches personnelles voient le jour. Personnelles. cela signifie donc qu'il n'y a pas d'écoles.

1. O. Les groupes, les écoles, comme chez vous le surréalisme, le nouveau roman n'existent pas en Hongrie. Certes, il y a de bonnes relations entre les écrivains qui tentent de rompre avec les traditions. Nous sommes des collègues, des amis, mais nous ne travaillons pas ensemble, chacun cherche son propre chemin. Vous-même, comment avezvous rompu avec la tradition?

quelques-uns de nos poètes auraient une réputation mondiale. Cela tient en partie à ce que nos poètes ont toujours été très sensibles aux situations historiques, ont toujours partipé aux événements comme Petofi qui fut tué en 1849 dans la lutte pour l'indépendance et dont on disait qu'un seul de ses poèmes pouvait faire éclater une révolution. Ainsi, j'ai donc avoué que notre prose et notre théâtre n'ont pas une importance égale à celle de notre poésie. Cependant il existe d'excellents romanciers, nous

avons une tradition de grands conteurs dans la lignée de Balzac, de Stendhal, de Flaubert, et dont la prose coule comme un grand fleuve. Cette tradition est-elle toujours vivante?

1. O. Moi-même, au début, j'ai écrit selon cette grande prose épique qui est toujours très vivante, très riche, très populaire. Mais naturellement, ce n'est plus aujourd'hui le seul style. Entre les deux guerres, une avant-garde a com-

1. O. J'ai abandonné la voie de la prose épique il y a une douzaine d'années par révolte contre l'faégémonie de l'explication. Et chez moi, ce n'est pas l'écrivain qui s'est révolté d'abord contre la manie de tout dire, de décrire minutieusement les paysages, de peindre les personnages de pied en cap, mais le lecteur. En lisant les grands romans, souvent avec admiration, je me suis aperçu qu'il m'arrivait de tourner des pages qui ne m'intéressaient pas pour aller plus vite à l'es· sentiel, à ce qui me semblait important. La conclusion fut: pourquoi écrirai-je ce que le lecteur sautera parce qu'il l'imagine facilement? Par exemple quand je lis la description d'une chambre, si précise soit·elle, ce n'est pas la chambre de l'écrivain que je vois, mais une chambre que je connais, une chambre qui cor· respond à mon idée de chambre. Si j'écris qu'en rentrant chez lui, un personnage est al· lé dans sa chambre, cela suf· fit. De même, alors qu'un peintre nous montrera un paysage avec une maison dont la chemi· née fume, je me contenterai de


sur le fil du rasoir parler de la cheminée et de la fumée, laissant au lecteur le soin d'imaginer le reste. Ainsi, je me suis opposé au style épique en me limitant aux allusions, à la recherche des signes essentiels.

et il suffit d'un rien, d'un mot en trop ou mal choisi pour perdre cet équilibre. Aussi je gaspille un nombre considérable d'heures de travail, parfois pour trouver un seul mot, celui qui équilibrera la balance.

Et vous avez parfaitement réussi dans Minimythes.

Jusque dans le titre vous avez trouvé le mot juste puis-

que chacun de vos récits illustre ou moque un de ces fantasmes auquels nous sommes sujets. un de ces mythes dont nous sommes victimes dans la vie moderne.

1. O. On me félicite toujours pour ce titre. Mais en hongrois, mon livre s'appelle Contes mi·

nutes. C'est Claude Roy qui non seulement m'a fait publier en France, mais qui a trouvé ce titre si parfait de Minimythes. Propos recueillis par Claude Bonnefoy (l) La Famille Tot., Coll. Théâtre du monde entier, Gallimard.

1. O. Non sans difficultés. Mon évolution a été très lente. Je voulais me détacher du style épique, mais je n'avais rien en Hongrie à quoi me rattacher. Oisons que ce que j'écris aujourd'hui s'apparente au grotesque. Mais si dans votre littérature il y a une tradition du grotesque, dans la nôtre, il n'y a jamais eu dans ce genre que des tentatives isolées, sans lien entre elles. Il n'existait pas de tradition, pas d'exemples sur lesquels m'appuyer. Comme tous les écrivains qui poursuivent actuellement des recherches personnelles en Hongrie, j'ai dû défricher tout seul mon chemin, et non sans commettre beaucoup d'erreurs ou de faux pas. En effet, lorsqu'on n'utilise pas une écriture déjà connue, il faut inventer des choses qui parfois ont déjà .été inventées ailleurs depuis des·siècles. Il faut les réinventer dans notre langue. Et cela a des conséquences pratiques très tristes pour l'écrivain. Cela se solde d'abord par un nombre considérable de pages manquées, par des idées de romans, de nouvelles, de pièces qui paraissent faciles à écrire mais deviennent impossibles à réaliser dans cette situation d'improvisation permanente. Dans Minimythes, cependant. vous avez trouvé un ton extrêmement rapide et allusif. mieux, en quelques lignes vous parvenez à dévoiler ensemble la drôlerie et le tragique d'une situation.

1. O. S'il y a quatre-vingts textes dans le recueil, j'en ai bien quatre cents dans mes tiroirs, ratés ou à moitié réus· sis. L'essence même du grotesque est de trouver un équilibre entre le ridicule et le tragique. On marche sur le fil du rasoir, ia Littéraire du 1" ilU 15 octobre 1970

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Mauriac Jl dort. Je forcerai les dieux même à se taire. J'anéantis le monde autour d'Atys qui dort. Le sommeil a rompu le faisceau de ton corps, Tes membres épandus se partagent la terre, Doux serpents déliés qui feignent d'être morts, Et Cybèle frémit jusque dans ses abîmes De ce trouble abandon sans caresse et sans crime. Auprès de Sangaris qu'il accueille en ses songes, Que suis-je, être sans forme et que l'océan ronge, Moi qui ne puis tenir dans l'anneau de deux bras, Reine à l'immense front que les tristes marées Ceignent de varech noir, de méduses moirées!

Le défi adolescent à Dieu, la passion de Genitrix, le privilège accordé au sommeil et à l'odorat, union de sensualité et de spiritualité, l'imaginaire du serpent, le frémissement de la chair culpabilisée, le besoin d'une sexua· lité qui ne soit pas telle que le monde la connaît, l'obsession de l'océan, de l'abîme, de l'immense, l'impossible partage de l'âme adolescente entre son désir infini et le réel qui la brime, en ces quelques vers sont contenus, miraculeusement. Pourtant, ces consonances, ces mouvements Ilecrets d'une âme possessive, passionnée et brisée, dans la gangue d'un vers aussi dépouillé que l'acidité de la lande, peu les ont écoutés 'parmi . ceux qui lisent Mauriac. Le poète ne pardonnait d'ailleurs pas aux critiques' cet oubli qUi morfondait sa vieilles· Ile. n me disait en janvier: « Vous .savez, même quand on est un !rand écrivain et qu'on a reçu le prix Nobel, il y a des échecs qu'on est seul à connaître et qui font mal. Mes poèmes sont de ceux-là. Pourtant je ne suis que poète.» . Cette invite qu'il répétait à chaque interview se glissait dans les confidences des livres, des préfaces. Orages (1925), le Sang Atys (1940) et fEbauche d'En· dymion, «que (ses) lecteurs les récusent ou non» sont à ses yeux ses «modestes titres de poète; (il) les revendique det'ant ceux qui s'intéresseront encore à (lui)' lorsqu.'(il) aur(a) quitté ce monde. C'est ce chant qu'il faut bien entendre pour (le) connaître. C'est au fond de cette eau endor14

mie que repose fanneau de Mélisande et bien d'autres bagues perdues, et tous les secrets, et tous les remords, et toutes les douleurs et tous les songes dont nous nous berçons jusqu'à notre der· nier jour. C'est de cette eau sombre qu'ils remontent encore pour (l)'aider à ne pas perdre cœur.» Peut·être le jour est-il venu d'oser restituer à l'écrivain la part la plus méconnue de son talent, celle, la plus paradoxale, qui devait contenir le nœud de l'œu· vre et l'aboutissement de ses rêves. L'énigme Mauriac semblait toujours échapper au lecteur en dépit des innombrables allusions du romancier ou du mémorialiste. Quel était le centre de formation de ses volutes ? Pourquoi ces pas· sions, cette œuvre? Les poèmes nous aident à y répondre. La sincérité du vieil homme ne pouvait que nous y inciter puisque l'éternel adolescent avait choisi, plus que Gide peut.être, de se mettre réellement à nu, pour se cerner et pour être cerné. Ce n'est point hasard si l'œuvre s'ouvrait sur un prologue en vers; si elle incarnait dans ses romans des figures de poètes, telles l'Augustin. de. Préséances, l'Yves du Mystère Frontenac ou le Pierre Costadot des Chemins de la Mer pour se clore sur cet Adolescent d'Autrefois dont la parenté imaginaire avec l'auteur n'est point fiction mais réalité de l'en.deçà. On a trop facilement négligé les Mains jointes et f Adieu à fadolescence. Les tâtonnements d'une œuvre, quand sa totalité nous permet un regard plus englobant, apparaissent souvent très signifi. catifs. Pès les premiers vers, la Pécheresse préfigure les désirs des grandes héroïnes condam· nées à se contenter du péché ou du rêve. Sans cesse elle imagine «que sur sa chair, la chair des lèvres aimées s' écrase pour se fondre ainsi qu'un fruit vivant. » L'Immuable côtoie l'obsession de l'Inconnu et fIllusion de la vie qui se perd dans les Sables et l'in· tériorité. Mauriac affirmera tou· jours ce 'côté de fidélité et de qui procède de l'en· racinement au cœur de la vie ter· rienne, en même temps qu'il in· sistera sur le caractère dérisoire de notre incarnation éphémère. Besoin d'éternité côtoyant le néant dans une affectivité trouble, la tristesse d'un enfant reclus se

mi les hommes. Le Dieu de Mauriac est un dieu affectif destiné notamment à combler les brisu· l'es de l'enfance, mais imposé par elle comme un des éléments essentiels qui ont nourri son passé. Désireux de retrouver le paradis Les anges noirs perdu, il doit en retrouver la composante religieuse qui en est Tes pas se perdent. Le silence la clé de voûte et le fondement, Est doux après ton aigre voix. sans jamais pouvoir l'assumer o volupté de ton absence! dans une réelle indépendance. Aussi est·il contraint de l'assimi· J'aime bien mieux que tes 1er à une aura diffuse nommée tristesses tendresse ou grâce. Chrétien obLe souvenir que tu me laisses Quand je ne suis plus près de toi. sédé par la pureté morale réduite à la chair, Mauriac recherche en Ah! comme }e t'aimerais morte! Jésus l'Ami capable de combler le manque affectif qui l'occupe, Tu fais fuir avec ton sourire capable de consoler l'enfant de Ce que .mon rêve t'a prêté, morts intimes et des morts qu'il a aimés. Le climat de lanA vec ton sourire fardé Et les mots qu'il ne faut pas dire. gueur de ses premiers poèmes permet de s'y baigner à loisir. Ce poème de 1909 priviléll;ie dé· Mauriac se condamne à la solitujà le souvenir et le passé que peut de créatrice du mal aimé, au cul· magnifier l'imaginaire au détri· te du moi, à la sensiblerie des ment de la réalité: il annonce la correspondances, à l'obsession d'un conceptualisation de ces tendan· pur ampur qui n'est que désir ces dans le thème de l'incommu· tandis qu'un catholicisme d'am· nicabilité des êtres de l'amour biance colore d'élans une situahumain, comme le penchant au tion narcissique enfermée. En meurtre sexuel qui éclate, pour ne fait ce climat des Mains jointes citer qu'un titre, dans les An- n'est qu'un aboutissement, un voi· ges noirs, et se retrouve encore le pudique qui recouvre un drame caché au cœur duquel la dans cet Adolescent d'autrefois dont on a rarement percu la vé- sexualité brimée ne peut s'accom· ritable Le viol et le plir qu'en ses palliatifs. L'Enfant meurtre du, Pou dans cette œu- chargé de chaînes, parce qu'il a vre ne sont pas un «deus ex ma· refusé de les rompre pour éviter china ». ns relèvent d'une sexua- la révolte qui eût radié le Dieu lité quelque peu voveuriste et de son enfance, se condamne à destructrice qui s'accomplit une attitude anémiée qui accepte les structures traditionnelles en par intermédiaire, obtenant ainsi la possibilité de .iouir sans être les contestant dans le secret de soi·même atteint tandis que son âme culpabilisée. Ce visage mûri par l'âge don· l'assassinat permet également l'in· tériorisation de l'âme du Pou, nera le contestataire vibrant, le opération qui atténue la blessure polémiste vif, demeuré cependant de la présence. Alain-Mauriac fidèle au sillon qui le porta. Les 28 poèmes d'Orages com· peut idéaliser et se laisser emporter flans ses ..êves. n peut aimer posés entre 1912 et 1923, devaient d'un plU amOllI' auquel ne se mê·· déchirer ce voile bien avant le plus la cbair présentée ici sous les plus grands romans. Le poète, l'aspect répugnant d'une fille laide. sollicité par les corps, se décou· L'ombre dp. ]a mère qui hante vre sexué et se débat avec son J'Adolescent d'autrefois plane sur passé dualiste dans lequel la chair était condamnée, et la sexualité ses premiers vers. Mauriac a reçu d'elle la substance vivante suscep- transformée en tendresse ou en tible de l'accorder à la vie mais religiosité. Si Mauriac désire, son aussi, hélas, la loi et la parole, dualisme lui insinue qu'il n'attraditionnellement réservées au teint que les corps, non les êtres ; père. Cette relation dueIle accen· que le plaisir n'est qu'éphémère tuée pèsera lourdement sur le alors qu'il désire l'éternel à la destin du poète obsédé par un manière de la durée infinie de univers fusionnaire qu'il projette l'enfant. L'autre de l'amour n'est en Dieu faute de l'accomplir par· plus la mère protectrice mais un déverse dans le souvenir qui éli· mine peu à peu toute possibilité d'authentique présence humaine au profit d'un imaginaire et d'une vie spirituelle mal médiatisée.


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poete être autonome qui ne Be contente pa8 de répondre aux sollicitations .te Narci8Be. Et 8i le dé8ir est plu8 grand que la pel'llOnne qu'il noue et transCleIlde, Mauriac refuBe 8a puis. .anee trouble, non spécifiquement pel'llOnnelle, trop 8exuée. Plus d'un titre de poèmes 8'intitule

geme de l'Âdolescent d'autre/où d'être génial en ces expériences. Journal de bord du dépouillement, les poèmes Be taisent avec la résolution du drame dans le choix du chrétien et de l'homme politique engagé. Outre que ce silence subit atteste que Mauriac n'est pas un tout grand poète,

La fusion avec la femme est impossible, le Dieu père est intervenu. C'est lui qu'il faut aimer. Les poèmes rassemblent toutes les iInages, tous les mots signifiants que la prose allait véhiculer.

P«hé: ils traitent de l'amour physique. De toute façon, «IIOW tJaincw par le dégoût, ce complice du Dieu qui IIOU& aime phu que IIOW n'aimom 110& dé· Le processus du 80uvenir retrouve au terme de ce chemin de feu, mais le conflit de Dieu et Mammon a éclaté. Il s'in· dans Souf/rance& du .tien, dans Imomnie, parue dans Plongées. Un volume de poche devrait réunir ces deux textes et Orages parce qu'ils constituent les clefs du .drame vécu dans sa forme la plus pure, en trois registres dif· férents. La 8incérité y est absolue. Ou bien, à l'instar de Sartre, il liquide Dieu pour se faire par lui-même et pour lui·même, ou bien, ce qui est son destin, il retourne à l'enfance, accepte Dieu, et renonce à l'amante pour laisser paraître une image fémi· nine maternelle. L'apaisement du désir dans la vieillesse lui fera bénir cette époque qui met un terme aux menaces qu'a connues 80n moi adolescent. Les textes déconcertent notre sensibilité. Le désir n'est que dé· sir, il n'est pas médiatisé par la femme. Il s'accomplit dans l'immortel Amour. La langue est dépouillée de tout fard ; une forme stricte l'enserre, qui la force à ne pas nous dissoudre dans des images éphémères. Aussi peut-on affirmer que les poèmes de Mauriac constituent son laboratoire psychique, qu'ils incarnent ses œuvres le!! plus adulte8 en tant qu'homme, mais qu'ils n'étaient pas dans le

l'aventure poétique n'aurait pu totalement s'épanouir du fait de son affection pour Musset, en dépit de sa préférence pour Rimbaud et Baudelaire. Toutefois, le testameut du poète demeure en ses vers. Son dra· me y est inclus. L'épopée de Sang d'Âty& un peu «surfaite:t à ses dires, rassemble des donnée" antérieures que la fin d'Orage& laissait pressentir. Le conflit œdi· pien y apparaît résolument. Atys n'est qu'une immense construction mythique née du complexe d'Œdipe vécu par le poète dan8 des coordonnées très particulières et porté à un niveau élaboré de conceptualisation poétique, inca· pable cependant de résoudre lee tensions puisqu'Endymion tente une nouvelle fois d'y échapper. Ce dernier eS8ai demeure inachevé. Le poète hanté par un besoin d'amour qui serait «sans caresse et sans crime :t le projette avec la femme en un ultime mythe poétique. Séléné, déesse maternel· le est condamnée à aimer un jeu. ne adolescent en état de sommeil. La fusion avec la femme est impossible, le Dieu père est intervenu. C'est Lui qu'il faut aimer. En cet ultime élan le poète rassemble une dernière fois tous ses mythes. Les poèmes possèdent le curieux privilège d'élaborer le drame intérieur et de rassembler en quelques vers toutes les ima· ges, tous les mots signifiants que la prose allait véhiculer dans cet· te palpation sensuelle qui est d'un grand poète incapable de se créer en poésie. Marc Quaghebeur

La Q!!Ïnzainc Littéraire du l or au 15 octobre 1970


EXPOSITIONS

Art et politique Dans cette République Fédérale Allemande où le marché et les entreprises des musées semblent voués aux séquelles du Pop américain et du post-cinétisme, l'expo-

sition Kunst und Politlk t présentée par la Kunstverein de Karlsruhe, a été pour beaucoup une manière de révélation.

Wolf Wostell: Chewing-gum th ermoélectronique

Errà: Intérieur américain n· 1

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Organisée par le Dr G. Buss· mann de juin à septembre, elle doit circuler dans les musées de Wuppertal, de Francfort et à la Kunsthalle de Bâle d'octobre à mars. Ce qui est intéressant dans cet· te entreprise, c'est son caractère objectif, éclectique et scientifique. A la différence du Monde en Quelftion que j'avais organisé en 1967 au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris et des derniers salons de la jeune peinture, Kumt und Politik a moins cherché à prendre position sur le fond qu'à donner un éventail, largement ouvert, des possibilités d'insertion de la politique dans l'art, proposition qui ne cesse dès qu'on l'aborde de provoquer un certain malaise depuis les excès désas· treux du réalisme socialiste. On s'est donc efforcé à Karlsruhe d'analyser les différents mo· des d'approche, que ceux-ci relè· vent du réalisme, de l'imagerie structurée et décomposée, de l'en· semblisme et du langage de l'ob· jet, ou du happening, de l'action et du choix conceptuel. Cela part de la «Jeune Peinture et dc Guttuso qui montre à côté de toi· les en «lecture une étrange et belle composition consacrée aux manifestations qui ont eu lieu au village sicilien de Gi· bellina, non reconstruit depuis son anéantissement par un trem· blement de terre. La scène est revêtue du mystère des nuits de la Saint.Jean, avec quelque chose de lent, de solennel et de grave, qui relève du rituel. Cela, donc, va de Guttuso au conceptualiste J06ef Beuys dont la participation apparaît essentiellement, comme il se doit, au niveau du catalogue. Son apparition, avec son vi· sage fermé et dur de métis indien, coiffé d'un large feutre, a fait partie d'un folklore somme toute sympathique, au cours du colloque qui a marqué le vernissage de l'exposition et qui réunis· sait, autour de Werner Hofman, les dirigeants du groupe Tendenzen dc Munich (Richard Hiepe), R. Kudicka, D. Schmidt, et l'homme orchestre WoH Vostell. Ce dernier a agi sur tous les plans à la fois : peinture réaliste et symboliste, imagerie empruntée aux documents d'histoire et d"actualité, schéma conceptuel dans le catalogue, organisation dans le musée d'un pseudo-camp

de concentration dans lequel le spectateur muni d'une valiee métallique déclenchait, par eon passage, un fond sonore et effec· tuait eon parcours en marchant sur des couverts d'aluminium. Cette description rend mal l'ef· fet angoissant et les prolonge. ments mentaux de cette marche dans le crissement des fourchettes et des cuillers, écrasées par les pas des visiteurs-participants, entre deux rangées de barbelés. Vostell attaque également sur tous les plans: liberté sexuelle, répression à Prague, souvenir de8 bombardements à la fin de la der· nière guerre mondiale au cours desquels les victimes furent pié. gées et brûlées dans le bitume fondu. Cette dispersion ne va pas sans affaiblir la force, la cohé· rence fondamentale du propos, mais elle est la rançon inévitable d'une extraordinaire puissance à communiquer, d'une personnalité exceptionnelle qui cherche les cheminements d'une expression particulière et spontanée plutôt que l'accomplissement d'une dé· monstration. C'est la force satirique qui éclate avant tout chez Arroyo, dans le tableau collectif contre les structuralistes de Aillaud, Bi· ras, Fanti et Rieti, chez Erro (dans la série des «Intérieurs américains composés de deux images contradictoires: une in· trusion d'affiches politiques chi· noises dans un chromo publici. taire pour catalogue d'ameublement), chez Stenvert, qui procède par un agencement didactique d'objets, chez Griitske (dans son inénarrable tableau représentant, avec leurs bonne" têtes de grandspères, Freud, Marx et Marcuse attablés en toute simplicité au· tour de son fils, le petit Julius Griitske), ou dans les composi. tions de Cronica où sont mises en page, là aussi, des images contradictoires. Cette force satirique - corrosive, amère ou désinvolte -- fait place à une tension dramatique immédiatement perceptible chez Alvermann, Colin SeH, Spadari et Baratella (travail collectif) , le Tchèque Sovak, Paeffgen, Canogar, le Grec Caniaris, manipula. teur efficace d'objets, et surtout. Genoves dont les suites narratives sur les mouvements de foules 80nt parmi les participations les plus troublantes de cette exposition.


Naïfs d'Haïti Le pouvoir de l'image chez Ran· cillac ou chez BayrIe passe par une analyse de sa structure et, chez Monory, par un écran oniri· que où les conflits subjectifs trouvent lentement des solutions géné. raIes, tandis que l'objet utilisé par Caniaris, par Breuste Petersen, par Stenvert et par Vostell devient un élément efficace du vocabulaire plastique. Dans cet ensemble, les AngloSaxons se sont tenus un peu en marge: l'œuvre magistrale de Kienholz, The Portable War Memorial, annoncée dans le catalogue, n'avait pu malheureusement être mise en place, mais les série graphies de Warhol sur l'assassinat du président Kennedy, les collages de Tilson sur Martin Luther King, Che Guevara, Ma]· colm X, très intéressants par la logique de la mise en page, demeuraient, les uns et les autres, un ton en dessous. Télémaque était un invIte un peu paradoxal dans cette exposi. tion, avec sa grande et belle toile One of 56000 marines, qui avait été montrée la première fois à Paris en 1965 à Figuration narra· tive dans art contemporain, et à laquelle il s'est refusé par la suite de donner une signification politique, malgré l'évidence de la lecture que l'on peut en faire (l'intervention des U.S.A. à SaintDomingne). Mais il est bon qu'une exposition qui montrait tant d'œuvres univoques, nettes et péremptoires et qui comportait une abondante et._ sélection d'affiches, de cartes postales et de sérigraphies, parmi lesquelles les variations sur le rouge de Fromanger (que l'on vient de voir galerie Bama), et l'ensemble édité par Cueco à l'occasion de son exposition à l'Arc, abordât certaines marges d'ambi· guïté, car l'ambiguïté appartient à la nature même de l'image et aux fausses certitudes du visuel. Tous ceux qui jouent à renverser les signes, à déconnecter le sens ordinaire des spectacles, à introduire un pouvoir subversif dans le jeu des clichés, témoignent à leur manière du caraco tère illimité du champ de signification de ces images. Gérald Gassiot·Talabot

r

(1) Kunst und PoUtilt. Un catalogue 20 x 2S cm, 208 pages, nombreuses illustrations en noir. En langue allemande. Badischer Kunstverein,

Karlsruhe.

Le récit de la vie quotidienne d'un pays requiert, entre autres exigences, la vigilance de la perception. Mais cette vigilance n'est pas seulement descriptive, elle contribue aussi bien à morceler qu'à fonder. Quoi d'étonnant, alors, que la tendance dite «naïve de la peine ture haïtienne, longtemps ensorcelée par le tourisme, se remette à défaire si résolument un aspect fondamental du langage pictural conventionnel ? Depuis le 25 lum dernier se tient à Laval une exposition (1) de peintres naïfs haïtiens. D'une brèche, d'une fissure, d'un man· que on a fait un regard, et, pour la preInière fois, l'affranchisse· ment que procure cette ouverture n'a pas été assimilé, intégré à un système de représentation, aux coordonnées d'un ancêtre occidental. C'est que le monde a changé et qu'il s'institue entre les différents points du globe de nouveaux rapports. Si le conservateur du musée de Laval (2) s'est tourné vers nos peintres, a décidé de lcs montrer au public français, d'instaurer un véritable dialogue entre eux et son pays, il faut y voir plus qu'un signe. L'un des «naïfs» haïtiens, Gérard Valein, dont un tableau est exposé à Laval nous fournira peut-être un rudiment de réponse. Certes, Gérard Valein vient d'être primé au concours de Zagreb en juillet 70 dans le cadre de l'Exposition Internationale d'Art Naïf (3), certes, il a une maîtrise de la couleur et de la composition, une puissance inventive qui fas· cinent d'emblée, mais cela n'éclai· re ni les raisons de son entreprise ni nos recherches. Après des tours et des détours, quand nous essayons de saisir l'art de ce peintre, nous nous trouvons devant des surfaces, des contours, des couleurs, des rythmes qui gardent résolument un secret. Intentions, motifs, prétextes, sujets ne prê· tent à aucun commentaire. Plus, ils voilent la clarté captivante du tableau. Dès lors par quels moyens ce peintre a-t-il pu ménager entre ses lecteurs et lui ce vocabulaire, cet échange, cette articulation et cette sorte d'explication? Il semble qu'une stricte obéissance à la poussée débordante du réel, au lever rayonnant de la vérité aient comblé en retour le

La Q!!ilazainc Littéraire du 1er au 15 oaobre 1970

Hyppolyte Hector: Pin-up de Haïti

créateur d'un élan, d'un éclat véritablement enivrants. Peu préoccupé d'esthétisme, d'intellectualisme et de conventions, il s'engage tout entier à faire surgir du sein du peuple haïtien, si malléable, les résonances authentiques qui font réfléchir. Si des accidents de style propres aux naïfs tra· versent son œuvre, ce serait une erreur d'en profiter pour lier son sort au destin d'une «école ». Accabler la quête d'un chercheur de tout le poids d'une étiquette, quand lui-même se réserve des possibilités d'ouverture, ne pero met surtout· pas de le comprendre. L'éloquence plastique de Valein dépasse la simple représentation. Ses descriptions riches, minutieu· ses, vivantes, mais souvent mélancoliques essaient toujours de capter le mouvement. Sa façon de traiter la nature et la société traduit un besoin de recueillement et aussi de vie collective intense. Même ses paysages sont de grands

reposoirs. Le milieu haïtien, biance socio-culturelle n'ont pas manqué d'imprégner le pinceau du peintre. Des foules toujours compactes redisent peut-être ses preInières expériences. Il a dû prendre très jeune la nécessité de briser les écrans de de demeurer au contact des ma&ses, puisqu'il avait neuf ans (4) au moment de la désoccupatioo militaire d'Haïti. Plus qu'une représentation servile, plu8 que plication d'une technique, la peinture de Valein est une œuvre, une création. Et son enracinement est en Haïti, dans les rues des villes, à la campagne, près des autels du Vaudou. Richesse d'inspiration, tenue picturale, inquiétude 8pirituelle, préoccupations socio-culturelles, voilà ce que l'on ressent devant l'écriture· de Valcio. La générosité de l'auteur et soo tempérament organisent - et cela a certainement trompé· des amateurs - occasionnellement un

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INEDIT

Haitl

délall8ement pour les sens. On croit parfois entendre en regar· dant: le coq qui va être égorgé au COUJ'll d'une cérémonie relipeuse est suggéré jusque dans son chant, et le caquètement de la poule qui sera •sacrifiée est aussi perçu. Cette faculté n'est pas le fait d'une improvisation. Elle suppose une émotion, une sensibilité, une énergie, un pouvoir proprement créateurs. Pouvoir de sur· prendre dans un même geste la chose et son sens, de saisir le monde, de créer une présence. Le contenu social et spirituel de ses tableaux devrait corriger un certain enthousiasme infantile pour les c naïfs haïtiens ou contenir un murmure· d'hostilité déguisée envers eux. Toute la peinture haïtienne, c l'école naïve comme l'autre tendance qui en diffère totalement témoigne et, à nos yeux, mérite de ce fait, notre respect. Plus, ces deux grandes «écoles ont dépassé le stade du simple témoignage pour établir, par delà la palette, un dialogue silencieux avec le monde, la seule façon d'agir véritablement. C'est à la fois l'acquis et le pensé du peuple haïtien qui sont capturés et portés au jour et délivrés par ces artistes. Est-il besoin de souligner que le phénomène «naïf n'est pas une

Bottex: La dernière Cène

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régression en Haïti? Même si on pouvait l'insérer dans une longue tradition caraïbéenne, lui trouver des antécéd,ents semblables, établir qu'il ne s'agit que d'une répétition, il resterait à prouver son non-sena, son excentration par rapport à l'histoire, son caractère de «corps étranger Mais un long et lent travail de création a instruit ces «naïfs :. et engendré à l'intérieur de leur « cadre :. de grands changements, de grandes métamorphoses. La vérité qui se réveille sous leur pinceau, l'horizon que leur tableau déploie sous nos yeux, toute la nappe du quotidien qu'ils remuent, tout cet espace socioculturel qu'ils décrivent, reprennent, reconstituent et diffusent, tout cela a pour fonction de rétablir la continuité de l'histoire de notre pays, le sens de l'entreprise de Toussaint Louverture, de l'Empereur Dessalines, du Roi Christophe. Et notre problème est de protéger cette peinture des embûches du tourisme, comme il convient de le faire pour le Vaudou. (1) Cette exposition est aujourd'hui visible à Paris (Galerie Mona Lisa, 32, rue de Varenne, 7") • (2) Jean-Pierre Bouvet. (3) Le catalogue publié en serbocroate est intitulé: Naivni 70. (4) Valcin est né en 1925. L'occupation m1l1taire d'Haïti par les Américains a duré de 1915 à 1934.

Gilles Deleuze publie. aux Pre s ses Universitaires de France, une édition revue et complétée d'un livre· fort remarqué il y a quelques années: Proust et les signes. Nous sommes heureux de donner ci-dessous de larges extraits d'un chapitre inédit. La Recherche est bien produc. tion de la vérité cherchée. Encore o'y a-t-il pas la vérité, mais des ordres de vérité comme des ordres de production. Et il ne suffit même pas de dire qu'il y a des vérités du temps retrouvé et des vérités du temps perdu. Car la grande systématisation finale distingue, non pas deux ordres de vérité, mais troÏ3. Il est vrai que le premier ordre semble bien concerner le temps retrouvé, puisqu'il englobe tous les cas de réminiscences natWlClles et d'C88ences esthétiques ; et que le deuxième et troisième ordres semblent se confondre dans le flux du temps perdu, et produire. des vérités seulement secondaires qui sont dites tantôt tantôt «sertir:. ou «cimenter celles du premier ordre. Pour· tant la détermination des matières et le mouvement du texte nous forcent à distinguer les trois ordres. Le premier ordre qui se présente se définit par les rémi· niscences et essences, c'est-à-dire par le plus singulier, et par la production du temps retrouvé qui leur correspond, par les conditions et les agents de cette production (signes naturels et artistiques). Le deuxième ordre ne concerne pas moins l'art et l'œu· ne d'art; mais il groupe les plaisirs et les douleurs qui n'ont pas leur plénitude en eux.mêmes, qui renvoient à autre chose, même si cette autre chose et sa finalité restent inaperçus, signes mondains et signes amoureux, bref tout ce qui obéit à des lois générales et intervient dans la production du temps perdu (car le temps perdu, lui aussi, est affaire de production). Le troisième ordre enfin concerne toujours l'art, mais se définit par l'universelle altération, la mort et l'idée de la mort, la production de catastrophe (signes de vieillissement, de maladie, de mort). Quant au mouvement du texte, ce n'est pas du tout de la même façon que les vérités du

deuxième ordre viennent &eCODder ou c enchâsser celles dlJ premier ordre en leur donnaut une sorte de correspondant, de preuve a contrario dans un autre domaine de production, et que celles du troisième ordre vie.. nent sans doute «sertir et «cimenter celles du premier, mais. en leur opposant une véritable « objection qui devra être «surmontée entre ces deux ordres· de production. Tout le problème est dans la nature de ces trois ordres. Si 1IO\J8. ne suivons pas l'ordre de présen-· tation du temps retrouvé, qui donne nécC88airement le primat à celui-ci du point de vue de l'exposé final, nous devons considérer comme ordre primaire les leurs et les plaisirs non pleins, à finalité indéterminée, obéissant à des lois générales. Or, bizarrement, Proust groupe ici les v. leurs de mondanité avec leUJ'll' plaisirs frivoles, les val e urs· d'amour avec leurs sou1lranee&, et même les valeurs de soJJUDei) avec leurs rêves. Dans la «vocation d'un homme de lettres, elles constituent toutes un «ap c'est-à-dire la familiarité avec une matière brute qu'on ne reconnaîtra que par après dans le produit fini. Sans doute ce sont des signes extrêmement différents, notamment Jes. signes mondains et les signes de l'amour, mais nous avons vu que leur point commun était dans la faculté qui les interprétait - telligence, mais une intelligence qui vient après au lieu de venir avant, forcée par la contrainte du signe. Et dans le sens qui correspond à ces signes: toujours ODe loi générale, que cette loi soit celle d'un groupe comme dans la mondanité, ou celle d'une série d'êtres a i m é s c 0 m m e dans l'amour. Mais il ne s'agit encore que de re88emblances grossières. Si nous considérons de plus pm cette première espèce de machine, nous voyons qu'elle se définit avant tout par une production d'objets partiels tels qu'ils ont été définis précédemment, fragments sans totalité, parties morcelées, vases sans communication, scènes cloisonnées. Bien plus, s'il y a toujours une loi générale, c'est au sens particulier que la loi prend chez Proust, ne rassem· blant pas en un tout, mais au contraire réglant les distances, les


Proust et les signes éloignements, les cloisonnements. Si les rêves du sommeil apparaissent dans ce groupe, c'est par leur capacité de télescoper des fragments, de faire rouler des univers différents et de franchir, sans les annuler, les «distances énor· mes.. Les personnes dont nous rêvons perdent leur caractère global et sont traitées comme des objets partiels, soit qu'une partie d'elles soit prélevée par notre rê· ve, soit qu'elles fonctionnent tout entières comme de tels objets. Or c'était bien ce que nous offrait le matériau mondain : la possibilité de prélever, comme dans un rêve frivole, un mouvement d'épaules sur une personne et un mouvement de cou sur une autre, non pas pour les totaliser, mais pour les cloisonner l'un à l'autre. A plus forte raison le matériau amoureux, où chacun des êtres aimés fonctionne comme objet partiel, « reflet fragmentaire. d'une divinité dont on aperçoit sous la personne globale les sexes cloisonnés. Bref, l'idée de loi gé. nérale chez Proust est insépara· ble de la production des objets partiels, et de la production des vérités de groupe ou des vérités de série correspondantes. Le second type de machine pro· duit des résonances, des effets de résonance. Les plus célèbres sont ceux de la mémoire involontaire, qui font résonner deux moments, un actuel et un ancien. Mais le désir a lui-même des effets de résonance (ainsi les clochers de Martioville ne sont pas un cas de réminiscence) . Plus encore, l'art ,produit des résonances qui ne sont pas de la mémoire: «Des impressions obscures avaient quelquefois... sollicité ma pemée à la façon de ces réminiscences, mais qui cachaient non une sensation d'autrefois, mais une vérité nouvelle, une image précieuse que je cherchais à découvrir par des effom du même genre que ceux qu'on fait pour se rappeler quelque chose.» C'est que l'art fait résonner deux objets lointains c par le lien indescriptible d'une alliance de mots ». On ne croira pas que ce nouvel ordre de production suppose la production précédente des objets partiels, et s'établisse à partir d'eux; ce serait fausser le rapport entre les deux ordres, qui n'est pas de fondation. Le rapport est plutôt comme entre des temps pleins et

des temps vides, ou bien, du point de vue du produit, des vérités du temps retrouvé et des vérités du temps perdu. L'ordre de la résonance se distingue par les facultés d'extraction ou d'inter· prétation qu'il met en jeu, et par la qualité de son produit qui est aussi bien mode de production : non plus une loi générale, de groupe ou de série, mais une es· sence singulière, essence locale ou localisante dans le cas des signes de réminiscence, essence indivi· duante dans le cas des signes de r art. La résonance ne repose pas sur des morceaux qui lui seraient fournis par les objets partiels; elle ne totalise pas des morceaux qui lui viendraient d'ailleurs. Elle extrait elle-même ses propres morceaux, et les fait réllonner suivant leur finalité propre, mais ne les totalise pas puisqu'il s'agit toujours d'un «corps à corps., d'une «lutte. ou d'un «combat.. Et ce qui est produit par le processus de résonance, dans la machine à résonner, c'est l'es· sence singulière, le Point de vue supérieur aux deux moments qui résonnent, en rupture avec la chaîne associative qui va de l'un à l'autre: Combray dans son essence, tel qu'il ne fut pas vécu; Combray comme Point de vue, tel qu'il ne fut jamais vu. Nous avons constaté précédem. ment que le temps perdu et le temps retrouvé avaient une même structure de morcellement ou de fragmentation. Ce n'est pas là qu'ils se distinguent. Il serait aussi faux de présenter le temps perdu comme improductif dans son ordre, que de présenter le temps retrouvé comme totalisant dans le sien. Il y a là au contraire deux processus de production complémentaires, chacun défini par les morceaux qu'il fragmente, son régime et ses produits, le temps plein ou le temps vide qui l'ha· bite. C'est même pourquoi Proust ne voit pas d'opposition entre lei! deux, mais définit la production des objets partiels comme secon· dant et enchâssant celle des résonances. Ainsi la «vocation» de l'homme de lettres n'est pas seulement faite de l'apprentissage ou de la finalité indéterminée (temps vide), mais de l'extase ou du but final (temps plein). Ce qui est nouveau chez Proust, ce qui fait l'éternel succès et l'éternelle signification de la ma·

I.a Cl!!inzaioe l.ittéraire du 1"' au 15 octobre 1970

Proust

en 1902

deleine, ce n'est pas la simple existence de ces extases ou de ces instants privilégiés. De tels instants, la littérature en fournit d'innombrables exemples. Ce n'est pas non plus seulement la manière originale dont Proust les présente et les analyse dans son style à lui. C'est plutôt le fait qu'il les produit, et que ces instaule de· viennent l'effet d'une machine lit· téraire. D'où la multiplication des résonances à la fin de la Re· cherche, chez Mme de Guennantes, comme si la machine découvrait son plein régime. Il ne s'agit plus d'une expérience extralittéraire que l'homme de lettres rapporte ou dont il profite, mais d'une expérimentation artistique produite par la littérature, d'un effet de littérature, au sens où

l'on parle d'un effet électrique, électro-magnétique, etc. C'est le cas où jamais de dire : cela fonctionne. Que l'art soit une machine il produire, et notamment à produire des effets, Proust en a la plus vive conscience. Des effets sur les autres, puisque les lecteurs ou spectateurs se mettront à découvrir, en eux·mêmes et hors d'eux, des effets analogues à ceux que l'œuvre d'art a su produire. «Des femmes passent dans la rue, différentes de celles d'autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir où nous nous refusions jadis à voir des femmes. Les voitures aussi sont des Renoir, et l'eau et le ciel. • C'est en ce sens que Proust dit que ses propres livres sont des lunettes, un instrument d'optique. Et il n'y

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Proust

a que quelques imbéciles pour trouver bête d'avoir éprouvé après la lecture de Proust des phénomènes analogues aux résonances qu'il décrit. Il n'y a que quelques pédants pour se demander si ce sont des cas de paramnésie, d'ecmésie, d'hypermnésie, alors que l'originalité de Proust est d'avoir taillé dans ce domaine un découpage et une mécanique qui n'existaient pas annt lui. Mais il ne s'agit pas seulement d'effets produits sur les autres. C' r œuvre d'art qui produit en. elle-même et sur ellemême propre! effets. et s'en remplit. s'en. nourrit: elle se nourrit des vérités qu'elle engendre. Il faut bien s'entendre: ce qui est produit, ce n'est pas simplement l'interprétation que Proust donne de ces phénomènes de résonance (<< la recherche des causes Ou plutôt c'est tout le phénomène lui-même qui est interprétation. Bien sûr, il y a un aspect objectü du phénomène; l'aspect objectif, par exemple, c'est la saveur de la madeleine comme qualité commune aux deux moments. Bien sûr aussi, il y a un aspect subjectif: la chaine usociative qui lie tout le Combray vécu à cette saveur. Mais si la résonance a ainsi des conditions objectives et subjectives, ce qu'elle produit est d'une tout autre nature, l'Essence, l'Equiva. lent spirituel, puisque c'est ce Combray qui ne fut jamais vu, et qui est en rupture avec la chaine subjective. Ce pourquoi produire est autre chose que découvrir et créer ; et toute la Recherche se détourne successivement de l'observation des choses et de l'imagination subjective. Or plus la Recherche opère ce double renoncement, cette double épuration, d'autant plus le narrateur s'aperçoit que non seulement la résonance est productrice d'un effet esthétique, mais qu'elle peut être elle-même produite, qu'elle peut être elle-même un effet artistique. Et sans doute c'est cela que le narrateur ne savait pas dès le début. Mais toute la Recherche implique un certain débat entre l'art et la vie, une question de leurs rapporta qui ne recevra de réponse qu'à la fin du livre (et qui recevra sa réponse précisément dans la découverte que l'art o

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n'est pas seulement découvreur ou créateur, mais producteur). Dans le courant de la Recherche, si la résonance comme extase apparait bien comme le but final de la vie, on ne voit pas bien ce que l'art peut y ajouter, et le narrateur éprouve sur l'art le8 plus grands doutes. Alors la résonance apparait comme productrice d'un certain effet, mais dans des conditions naturelles données, objectives et subjectives, et à travers la machine inconsciente de la mémoire involontaire. Mais, à la fin, on voit ce que l'art est capable d'ajouter à la nature: il produit des résonances elles-mêmes, parce que le style fait résonner deux objets quelconques et en dégage une «image substituant aux' conditions déterminées d'un. produit naturel inconscient les libres conditions d'une production. artistique. Dès lors l'art apparait pour ce qu'il est, le but final de la vie, que la vie ne peut pas réaliser par elle-même ; et la mémoire involontaire, n'utilisant que des résonances données, n'est plus qu'un commencement d'art dans la vie, une première étape. La Nature ou la vie, encore trop lourdes, ont trouvé dans l'art leur équivalent spirituel. Même la mémoire involontaire a trouvé son équivalent spirituel, pure. produite et productrice. Tout l'intérêt se déplace donc des instants naturels privilégiés à la machine artistique capable de les produire ou reproduire, de les multiplier: le Livre. A cet égard, nous ne voyons de comparaison possible qu'avec Joyce et sa machine à épiphanies. Car Joyce aussi commence par chercher le secret des épiphanies du côté de l'objet, dans des contenus signifiants ou des significations idéales, puis dans l'expérience subjective d'un esthète. C'est seulement lorsque les contenus signifiants et les significations idéales se sont effondrés au profit d'une multiplicité de fragments et de chaos, mais aussi les formes subjectives au profit d'un impersonnel chaotique et multiple, que l'œuvre d'art prend tout son sens, c'est-à-dire exactement tous les sens qu'on veut d'après son fonctionnement - l'essentiel étant qu'elle fonctionne, soyez-en sûrs. Alors l'artiste, et le lecteur à sa suite, est celui qui «disentangles et «reembodies :t : faisant résonner

deux objets, il produit l'épiphanie, dégageant l'image précieuse des conditions naturelles qui la déterminent pour la réincarner dans les conditions artistiques élues. «Signifiant et signifié fusionnent par un court-circuit poétiquement nécessaire, mais ontologiquement gratuit et imprévu. Le langage chiffré ne se réfère pas à un cosmos objectif, extérieur à l'œuvre; sa compréhension n'a de valeur qu'à l'intérieur de l'œuvre et se trouve conditionnée par .la structure de celle-ci. L'œuvre en tant que Tout propose de nouvelles conventions linguistiques auxquelles elle se soumet et devient elle-même la clef de son propre chiffre (l). Bien plus, l'œuvre n'est un tout, et, en un sens nouveau, qu'en vertu de ces nouvelles conventions linguistiques. Reste le troisième ordre proustien, celui de l'altération et de la mort universelles. Le salon de Mme de Guermantes, avec le vieillissement de ses hôtes, nous fait assister à la distorsion des morceaux de visage, à la fragmentation des gestes, à l'incoordination des muscles, aux changements de couleur, à la formation des mousses, lichens, taches huileuses sur les corps, sublimes travestis, sublimes gagas. Partout l'approche de la mort, le sentiment de la présence d'une «terrible chose:t, l'impression d'une fin dernière ou même d'une catastrophe finale sur un monde déclassé qui n'est pas seulement régi par l'oubli, mais rongé par le temps (<< détendus ou brisés, les ressorts de la machine refoulante ne fonctionnaient plus :t...). Or, ce dernier ordre pose d'autant plus de problèmes qu'il semble s'insérer dans les deux autres. Sous les extases, n'y avait-il pas déjà vigilante l'idée de la mort, et le glissement de l'ancien ,moment s'éloignant à toute vitesse? Ainsi quand le narrateur se penchait pour déboutonner sa bottine, tout commençait exactement comme dans l'extase, l'actuel moment résonnait avec l'ancien, faisant revivre la grand-mère en train de se pencher ; mais la joie avait fait place à une insupportable angoisse, l'accouplement des deux moments s'était défait au profit d'une fuite éperdue de l'ancien, dans une certitude de mort et de néant. De même, la

succession des moi distincts dans les amours, ou même dans chaque amour, contenait déjà une longue théorie des suicides et des morta. Pourtant, alors que les deux premiers ordres ne posaient pas de problème particulier de leur conciliation, bien que l'un représentât le temps vide et l'autre, le temps plein, l'un, le temps perdu, et l'autre, le temps retrouvé, il y a maintenant au contraire une conciliation à trouver, une contradiction à surmonter entre ce troisième ordre et les deux autres (ce pourquoi Proust parle ici de «la plus grave des objections:t contre l'on entreprise). C'est que les objets et les moi partiels du premier ordre portent la mort les uns contre les autres, les uns par rapport aux autres, chacun restant indifférent à la mort de l'autre: ils ne dégagent donc pas encore ridée de la mort comme baignant uniformément tous les morceaux, les entrainant vers une fin dernière universelle. A plus forte raison se manifeste une « contradiction:t entre la survivance du deuxième ordre et le néant du troisième; entre «la fixité du souvenir:t et «l'altération des êtres:t, entre le but final extatique et la fin dernière catastrophique. Contradiction qui n'est pas résolue dans le souvenir de la grand-mère, mais qui réclame d'autant plus un approfondissement: «Cette impression douloureuse et actuellement incompréhensible, je savais non certes pas si j'en dégagerais un peu de vérité un jour, mais que si, ce peu de vérité, je pouvais jamais l'extraire, ce ne pourrait être que d'elle, si particulière, si spontanée, qui n'avait été ni tracée par mon intelligence, ni atténuée par ma pusillanimité, mais que la mort elle-même, la brusque révélation de la mort, avait, comme la foudre, creusée en moi, selon un graphique surnaturel et inhumain, un double et mystérieux sillon.:t La contradiction appa-· rait ici sous sa forme la plus aiguë: les deux premiers· ordres étaient productifs, et c'est par là que leur conciliation ne posait pas de problème particulier; mais le troisième, dominé par l"idée de mort, semble absolument catastrophique et improductü. Peut-on concevoir une machine capable d'extraire quelque-


Les "Pensées" de Pascal chose à partir de ce type d'impression douloureuse, et de produire certaines vérités? Tant qu'on ne la conçoit pas, l'œuvre d'art rencontre «la plus grave des objections En quoi consiste donc cette idée de la mort, tout à fait ditlérente de l'agressivité du premier ordre (un peu comme, dans la psychanalyse, l'instinct de mort se distingue des pulsions destructrices partielles)? Elle consiste en un certain etlet de Temps. Deux états d'une même personne étant donnés, l'un ancien dont 00 se souvient, l'autre actuel, l'impression de vieillissement de l'un à l'autre a pour etlet de reculer rancien «dans un pasBé plus que lointain, presque invraisemblable., C!>mme si des périodes géologiques avaient dû s'écouler. Car «dans l'appréciation du temps écoulé, il n'y a que le premier pas qui coûte. 00 éprouve d'abord heaucoup de peine à se figurer que tant de temps ait passé, et ensuite qu'il n'en ait pas passé davantage. On n'avait jamais songé que le XIII" siècle fût si loin, et après 00 a peine à croire qu'il puisse subsister encore des églises du XIII" siècle •. C'est ainsi que le mouvement du temps, d'un passé au présent, se double d'un mouvement forcé cl' amplitude plus grande, en sens inverse, qui halaie les deux moments, en accuse l'écart, et repousse le passé plus loin dans le temps. C'est ce second mouvement qui constitue dans le temps un «horizon.. Il ne faut pas le confondre avec l'écho de résonance; il dilate infiniment le temps, tandis que la résonance le contracte au maximum. L'idée de la mort dès lors est moins une coupure qu'un effet de mélange ou de confusion, puisque l'amplitude du mouvement forcé est occupé aussi hien par des vivaots que par des morts, tous des mourants, tous à demi morts ou courant au tomheau. Mais cette mi-mort est aussi hien stature de géants puisque, au sein de l'amplitude démesurée, on peut décrire les hommes comme des êtres monstrueux, «occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l'espace, une place au contraire prolongée sans mesure, puisqu'ils touchent simultané....

ment, comme des géants, ploogés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes - entre lesquelles tant de jours sont Tenus se placer dans le temps.. Voilà que, par là même, nous sommes tout près de résoudre l'objection ou la contradiction. L'idée de la mort cesse d'être une «objection. pour autant qu'on peut la rattacher à un ordre de production, donc lui donner sa place dans l'œuvre d'art. Le mouvement forcé de grande amplitude est une machine qui produit l'etlet de recul ou l'idée de mort. Et, dans cet etlet, c'est le temps lui-même qui devient sensible: «Le Temps qui d'habitude n'est pas visible, qui pour le devenir cherche des corps et, partout où il les rencontre, s'en empare pour montrer sur eux sa lanterne écartelant les morceaux et les traits d'un visage qui vieillit, vant sa «dimension bIc •. Une machine du troisième ordre vient se joindre aux deux précédentes, qui produit le mouvement forcé et, par celui-ci, l'idée de mort. Que s'est-il passé dans le souvenir de la grand-mère? Un mouvement forcé s'est enclenché sur une résonance. L'amplitude porteuse de l'idée de mort a balayé les instants résonants comme tels. Mais la contradiction si violente entre le temps retrouvé et le temps perdu se résout pour autant qu'on rattache chacun des deux à son ordre de production. Toute la Recherche met en œuvre trois sortes de dans la production du Livre: machines à objets partiels (pulsions), machines à résonance (Eros), machines à mouvement forcé (Thanatos). Chacune produit des vérités, puisqu'il appartient à la vérité d'être produite, et d'être produite comme un etlet de temps : le temps perdu, par fragmentation des objets partiels ; le temps retrouvé, par résonance ; le temps perdu d'une autre façon, par am· plitude du mouvement forcé, cette perte étant alors passée dans l'œuvre et devenant la condition de sa forme.

Trois siècles de falsification par Samuel S. de Sacy

Pol Ernst Approches pascaliennes Préf. de Jean Mesnard Duculot éd., 700 p. Gembloux (Belgique)

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Voici trois siècles tout juste - c'était en 1670 que paraissaient les 'enséM de Pascal. Et trois siècles

aussi, .ou peu s'en faut, qu'avec les meilleures Intentions du monde on les falsifie. SI bien qu'à leur égard une des tâches de l'érudition moderne a été, paradoxalement, de défaire. Un ouvrage récent donne l'oce. sion de considérer cette étrange destinée.

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Gilles Deleuze

©

P.U.F. éd.

(1) Umberto Eco, l'Œuvre ouverte, le Seuil éd., 231 p.

Littéraire du l or au 15 octobre 1970

Pascal, dessiné par Flandrin

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Pascal

Dana un ancien bouquin honnête, banal et di8tingué, je lÏ8ai8

encore hier que la mort prématurée de Pucal, à trente-neuf am, en 1662, avait ouvert dam notre patrimoine national une creVU8e qui ne se refermerait jamai8. Cette orai80n funèbre, propre à toucher le8 cœun sen8ible8, n'a pu de sem. Il y a autrement de force dam le rude averti8sement de Descartes, que ce qui n'e8t pa8 arrivé doit être re.gardé comme ayant été imp088ible ab801ument. Puca}, 8'il avait vécu, et à 8UP' poser, pure hypothè8e, qu'il eût pu mener 80n œuvre à terme, aurait été on ne 8ait quoi - autre, en tout oa8, que celui en qui nOU8 vénéron8 l'auteur des Pemées. Lesquelles n'étaient que des note&, jetée8 à chaud 8ur le papier, en vue d'une future, cohérente et ma88ive Apologie de la religion chrétienne. Il 80ngeait vaguement à de8 forme8 : dialogue8, lettres; 8an8 avoir rien décidé. N'aurait-il pu dérivé du côté de Malebranche, et de ce8 ouvrage8 zélé8 que le8 incrédule8 auxquels on le8 de8tine 8'empre8sent d'abandonner aux croyant8, qui 8e contentent de le8 re8pecter de loin ? De cette audacieuse vigueur, de ce8 raccourci8, de ce8 fulguration8, de cet emportement poétique, de cette corre8pondance 8i immédiate entre le8 ch08e8 dite8 et celui qui le8 dit, de ce mélange 8i intime d'une âme et d'un langage, de cette fiabilité - que 8erait·il re8té? En 1662, le 8tyle Loui8 XIV achevait déjà de mettre en place le 8Y8tème de 80n terrorisme. Il aurait bien fallu céder aux pre88iom du goût, de la 80ciété, des conseiller8; raboter et polir. Jamais c notre :t Pa8cal ne 8erait devenu le c vrai :t Pascal; c notre:t Pascal nOU8 a été octroyé par un fune8te et bienheureux coup du 80rt. Les Pemées: un enfant mer· veilleusement naturel, et parfaitement illégitime. En 1662, les gem de Port-Royal furent atterrés. 118 ne virent dan8 ce qu'avait lai88é Pa8cal qu'un fouillis de pa· peruse8. 118 ne voulaient pa8 que tout 8e perdit, et ils ne voyaient pa8 comment tirer parti de ces matériaux informe8; peut-être apercevaient.ils de l'inconvenance, voire quelque délire, dan8 la fougue de l'expre88ion. A la longue, ils 8e résignèrent

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à détacher tant bien que mal et à arranger - .des morceaux mieux peignés dont ils nrent en 1670 le8 Pensées de M. Pascal sur la religion et quelques autres sujets. Et voilà Pascal, qui ne 8'était jamais avisé d'écrire des Pemées, refoulé de force parmi le8 poli88eun de maxime8, sen· tence8 et réflexiom morale8. Il y resta 8i longtemp8 qu'aujourd'hui même je n'a88urerai8 pa8 qu'on l'ait tout à fait délié de cette 80ciété, honorable certe8, maÏ8 qui n'était pa8 la 8ienne.

Le mythe du plan Cependant, et tandi8 que les éditiom successive8 se faisaient peu à peu plu8 re8pectueu8e8, les éditeun mieux informés, mai8 alléchés par l'excè8 invene, 8'ingéniaient à découvrir ou plutôt à inventer le plan de l'Apologie, et à recluser le8 Pemées en coméquence. Ici apparaît le mythe du plan. Pardonnez-moi 8i je VOU8 8emble le décrire en trait8 de caricature; mai8 je croÏ8 qu'il faut appuyer fort. C'e8t se repré8enter l'écrivain comme un écolier. C'e8t imaginer qu'un écrivain, avant de rien écrire de l'ouvrage qu'il projette, commence par en dre8ser le plan ; un joli plan bien net, bien articulé, .bien 8ubdivisé, bien équili. bré. Chaque idée qui 8e présente doit trouver dan8 l'organisation une place qui l'attend. La conception toute di8tincte de l'exécution, et antérieure à elle. Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place. Aprè8 quoi, il 8uffit de s'installer dan8 l'atelier pour procéder à la rédaction. Une perquÏ8ition au peigne fin dan8 l'atelier pascalien ne devrait-elle pa8 dévoiler au juge d'imtruction le 8ecret du plan ? La préface de Port-Royal, dè8 1670, décrivait mieux la réalité: c Lorsqu'il lui survenait quelques nouvelles pemées, quelques vues, quelques idées, ou même quelque tour et quelques expressiam qu'il prévoyait lui pouvoir un jour servir pour son dessein, ... il aimait mieux en mettre quelque chose par écrit... :t (N'oubliez pas le tourment de la maladie: assiduité et continuité interdite8.) Ce que nOU8 appelom le8 Pensées corre8pond au premier âge de la création littéraire, où 8e confondent encore la songerie, la ou

méditation et les essais du langage. Réflexion errante, réflexion cependant; il ne 8e pouvait pa8 qu'un tel homme 8e sati8fit au jour le jour de 8e8 petites note8, san8 rêver de l'en8emble auquel elle8 le préparaient. Durant le deuxième tien de ce 8iècle-ci, Zacharie Tourneur et Loui8 Lafuma ont démontré qu'avant de mourir Pascal avait commencé lui-même à mettre un peu d'or· dre dam 8es bouts de papier; que, 8ans le savoir, nOU8 aviom 80U8 la main cette ébauche de clu8ement ; et qu'il 8uffisait pour la connaitre de déchitlrer des indice8 matériel8, 8an8 recourir aux dangereu8es ingéni08ités de l'in· terprétation. Le8 vingt-8ept c lia88e8:t (ou d088ien) qu'il avait ainsi formées à partir de 8e8 manuscrit8 huardeux sont aujourd'hui recomti· tuées avec un degré de vraÏ8emblance proche, apparemment, de la certitude. Le8 texte8 y 80nt non pa8 rangé8 par ordre, mai8 plutôt di8tribué8 8elon de8 affinité8, certainement semible8 à Pa8cal, que nous n'apercevons pa8 toujoun. Entre la pulvérulence in8table de c pemée8:t 8éparée8 et l'abusive rigidité de8 c plan8 :t, c'e8t un palier intermédiaire et quelque peu oscillant. Car l'intérieur de chaque lia88e est re8té inorganÏ8é. Le8 troi8 cino quièmes de8 fragment8 sont restés incla88és. Et les ,rapports des liasses entre elles restent indéterminés. L'intention générale ne prête pas au doute, çomme l'a montré M. Jean Mesnard, l'un des plus savants et même temps des plus semés de nos paFicaliem ; mais les lignes générales lie font que se laisser deviner dans la discontinuité, les terre8 fermes ne font, îles ou. mêmc archipels, non pas continents, qu'émerger au sein de vastes espaces inorganisés. Telle est la contrée, c humide encore et molle du déluge et gardant les empreintes d'un géant, où M. Pol Ernst a établi son campement d'explorateur. En Mant à 80n expédition· un programme sagement limité. Le titre semblerait annoncer une ambi. tieuse -randonnée à traven l'univers .pascalien: non, il ne s'agit que des Pemées, et, parmi les Pemées, que des vingt.sept liasses.

Se8 sept cents grandes pages (comprenant, il est vrai, des textes) sont d'analY8f" et de co.... mentaire, non d'érudition. La prudente modestie du mot Approches donne confiance. Et en ej(et, puÏ8que maintenant nous SOOlJDe8 convaincus raisonnablement qu'. chaque liasse répondait dam l'esprit de Pascal une famille ou tribu d'idées, n'est-il pas légitime de revenir, liasse par lia8se, aux méthodes de l'interprétation ? Peut·être cependant arrive-t-il à M. Pol Ernst de se lai88er entrainer. Ainsi, non content de cerner ce qu'il appelle avec jmr te88e l' c unité de pemée :t de ch. que liuse, il y cherche de su]'croit une unité logique, en raÏ80n de laquelle il propose un clBll8ement détaillé, pièce par pièce. Pa8cal ne l'avait pu fait: faute de loisir, ou parce que l'expérience lui paraÏ8sait immaturée? Celle-ci intéresse, elle ne convainc pas; son défaut est de réduire trop la marge d'indétermination (il est vrai qu'on me reprochera de tendre, pour ma part, à l'élargir trop).

Les linéaments d'une architecture Aller supposer encore un ordre de liasse à liasse n'était ni moins tentant, ni moins risqué. Et puis, comme le suggère fort discrète· ment M. Jean Mesnard dans sa courte préface, qui eèt d'un expert et qui est d'un maître, toute la masse des fragments non classés reste tenue à r écart: la mettre à contribution, c'était retomber aussitôt dans les vieilles ornières de l'arbitraire, ce dont M. Pol Ernest a eu bien rai80n de se garder, et, néanmoins, l'ignorer c'est imposer aux hypothèses les mieux ordonnées une lourde charge d'aléatoire. Du moins l'auteur d'Approches pascaliennes fait-il fort bien re880rtir l'outrecuidance des bon· nes gem d'autrefois qui n'hésitaient pas à se substituer à Pascal pour remédier à la défaillance de ce pauvre homme. l'ious pouvons, par une lecture dévouée comme doit être toute lecture, accéder à un univen spirituel; nous ne pouvons pas déboucher sous les nobles portiques d'une architecture intellectuelle dont il n'a jamais existé que des linéaments. Samuel S. de Sacy


De Gaulle et l'Algérie Pierre Yiansson-Ponté

vier 1959, on assiste à la mise en place de la ye République, avec l'abdication du Parlement devant l'émeute du Forum, la Fayard éd., 578 p. préparation de la constitution, leréférendum et les élections légis-latives, et enfin l'accession à 1. La sociologie de la ye Répu- présidence de la République. blique pourrait se caractériser L'année qui suit. est celle de par trois traits. Les électeurs y l'expérimentation du nouveau résont nombreux, les militants par- gime (9 janvier 1959 - 23 janvier cimonieux, et les lecteurs cu- 1960) : elle s'achève sur les barrieux... On écrit beaucoup sur le ricades d'Alger. Viennent alors régime, en effet, au point que c: les grands jours:. qui s'étenlorsqu'une nouvelle vague de dent jusqu'à l'ouverture de la chroniques politiques s'annonce, conférence d'Evian, le 20 mai comme en cette rentrée, le moins 1961, et enfin c: la paix:., qui atblasé commence à éprouver une tend encore quatorze mois. Mais si le cadre est algéri(;n, le légère nausée: encore les aventures du général ! contenu est beaucoup plus large Pourtant, avec fHÏ!Jtoire de la puisqu'il s'agit d'une histoire de République gaullienne de Pierre la République gaullienne. A l'inYiausson-Ponté, il vaudrait mieux térieur de son découpage, P. dire: déjà une histoire! L'au- Yiansson-Ponté avait le choix enteur se défend certes d'avoir fait tre une présentation sptématique c: un travail scientifique:. et pré- (politique intérieure, reJations incise ...qu'il ne s'agit c: ni d'une re- ternationales, économie, etc.) et cherche ni d'une approche neu- une présentation chronologique. ... maÏ!J d'un récit Il n'a choisi ni l'une ni l'autre, qui vÏ!Je à mettre un peu d'ordre préférant organiser chaque pédam :.. Cette modes- riode en cinq chapitres caractétie ne va probablement pas sans risés chacun par une idée domiquelque orgueil, dans la mesure nante, correspondant à un grouoù le dessein de c: mettre un peu pe d'événements. Pour ne pas d'ordre dam :. signi- tomber dans l'impressionnisme et fie en réalité : présenter une pre- la confusion, il lui fallait maîtrimière synthèse de la République ser son sujet parfaitement - ce gaullienne. Or la tâche est encore qui ne surprendra pas chez le pleine d'embûches pour l'histo- rédacteur en chef du Monde rien classique qui ne dispose que et répartir les faits selon cette d'une documentation officieuse, démarche compréhensive. Il y indiscrète et douteuse. Le terme était aidé par l'unité qu'apportait c: d'intoxe:. n'a-t-il _pas -'été - in- - le principal acteur. La documenventé par la ye? tation, que l'on sent considéraL'HÏ!Jtoire de la République ble, est filtrée, décantée et, pour gaullienne est divisée en deux alléger le' récit, une chronologie parties; le premier tome qui est renvoyée à la fin du volume vient de paraître concerne la qui comporte en outre les résul. guerre d'Algérie, de mai 1958 à tats deS élections et des référenjuillet 1962, tandis que le second dums, ainsi que la composition volume ira jusqu'au référendum des gouvernements, et un index du 27 avril 1969. L'articulation des noms cités (pratique hélas! correspond en effet à la césure trop rare dans l'édition française). Le récit témoigne d'une granessentielle du régime qui est né de la crise algérienne, mais qui de sobriété en ce qui concerne a eu l'ambition d'être tout autre les anecdotes dont on a été quelchose qu'un phénomène conjonc. que peu saturé par l'hagiograturel et qui s'est profondément phie gaullienne. Mais des détails choisis viennent l'arrimer (la protransformé ensuite. L'auteur disposait ainsi d'un fil menade en barque de Khrouchconducteur pour présenter les tchev et du général, chantant les cinquante mois qui suivirent le Bateliers de la Yolga sur l'étang_ retour du général jusqu'à la paix. de Rambouillet...), et la relation Il a découpé cette première pha- des moments de crise est d'une se en quatre périodes qui corres- précision exemplaire. Pratiquépondent aux étapes du règlement ment tout y est, sans tomber dansalgérien: du 13 mai 1958 au 8 jan- la·sécheresse de l'énumération Di

HÏ!Jtoire de la République gaullienne Tome 1 : La fin d'une époque

1

La

Uttéraire du 1'" au 15

1970

en direct Les grands problèmes d'aujourd'hui Une nouvelle collection, un nouveau style

LES OUVRIERS Une enquête de Philippe Gavi cc Un

excellent tableau-témoignage ouvrière deux ans après Mai 68».

de

la

classe

L'EXPRESS Prochains volumes à paraÎtre:

GUERRE -CIVILE EN IRLANDE par Christian Casteran

LES ENFANTS DE FIRST STREET Une école à New York par George Denisson

El DIRECT

MERCURE DE FRANCE


En

De Gaulle

pécher par excès allusif. Un point à noter cependant: l'auteur écrit page 140, et à nouveau page 234, que le Conseil de cahinet du 10 janvier 1959.fut «le premier et le le général ne pouvant admettre que les ministres l!e réunissent en dehors de sa présence (le Conseil de cahinet est la réunion du gouvernement à Matignon sous la présidence du Premier ministre). C'est en effet le seul qui fit l'ohjet d'un communiqué officiel, mais il semhle que le gouvernement ait tenu une quinzaine de réunIons de ce type en 1959-1960, notamment à la veille des sessions parlementaires. Sur le fond, c'est naturellement la stratégie algérienne du général de Gaulle qui est au cœur de ce récit. Huit ans après, elle laisse le lecteur perplexe. N'était-elle pas toujours en retard sur la réalité, progressant certes vers la paix, mais allongeant les délais par des exigences qu'il fallut ahandonner les unes après les autres? P. Viansson-Ponté le signale, avec un soupçon de cruauté, à chaque étape (la «paix des hraves », l'autodétermination, Melun, Evian, Lugrin et enfin les Rousses). Le refus d'admettre l'organisation extérieure comme interlocuteur, puis de traiter des aspects politiques dans la négociation, les exigences sur le Sahara, hientôt ouhliées, tout cela était-il indispensahle pour conduire les espoirs, peu à peu, à l'idée de «dégagement»? Ou hien s'agissait-il d'erreurs de con-

ception et de tactique qui ont non seulement retardé l'issue, mais ont de surcroît exaspéré l'opinion européenne jusqu'à « l'apoca. lypse de l'O.A.S. ? L'auteur rappelle les critiques des impatients et les plaidoyers des prudents, mais il ne se prononce pas. Il s'est affirmé «sans passion mais non sans opinion» et ne manque pas, à l'occasion, de juger avec sévérité. Peut-être estime-t-il un peu vain de tenter de départager les thèses d'une controverse qui durera, comme la paix manquée de 1917 continue d'opposer les partisans de Clemenceau à ceux de Caillaux... En tout cas, il écarte le déhat d'un mot, concluant «qu'aucun réquisitoire ne pourra retirer au régime le mérite d'avoir résolu le dernier prohlème de la décolonisation ». On en donne acte volontiers au régime, tout en espérant que le rédacteur en chef du Monde y reviendra à la fin de son histoire. Réservons donc cette question sous hénéfice d'inventaire futur. Mais il est une autre interrogation qui s'élève dès maintenant à la lecture de l'ouvrage. La phase algérienne de la Ve Répuhlique se détache en perspective, elle est devenue de l'histoire; connaissant la suite, on se prend à se demander si la loi non écrite de notre vie puhlique qui affectait à un gouvernement ou à un homme la mission de résoudre un problème, après quoi il était con· gédié, n'exprimait pas, en fin de compte, une certaine sagesse... Pierre Avril

Linguistes du XVIIIe

Witkiewicz Les Editions «L'Age d'homme à Lausanne, qui nous ont permis de lire, entre autres, Pétersbourg d'André Biély; le Sceau égyptien d'Ossip Mandelstamm, publient l'un des trois grands romans du Polonais Witkiewicz: rInassouvissement. Génie multi· forme, Witkiewicz, qui fut aussi peintre et dramaturge (22 de ses pièces ont pu être sauvées et l'une d'elles sera prochainement jouée à Paris), appartenait à l'avantgarde polonaise des années vingt. Il s'est donné la mort en lors de l'entrée des troupes allemandes et russes en Pologne. José Pierre a parlé de lui dans ces colonnes (voir la Quinzaine nO 80) et nous publierons prochainement un texte sur lui de l'auteur des Feuillets bleus, Adolf Rudnicki. Le théâtre de Wietkiewicz a commencé d'être publié par le même éditeur (2 volumes puhliés, 4 à paraître) et trois de ses pièces (dont les Cordonniers, « pièce scientifique en trois actes avec des chansonnettes ») figurent dans « Théâtre du monde entier» chez Gallimard. L'inassouvissement est traduit et préfacé par Alain Van Crugten qui nous annonce un essai sur l'auteur. 526 pages d'une lecture pleine de surprises. Nous y reviendrons.

La réalité dépasse la fiction

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La Quinzaine Hu....lre

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Julliard réédite Assassinat de Trotsky, de Julian Gorkin, qui avait paru aux éditions SELF peu après la guerre, et qui portait le nom d'un co-auteur: le chef de la police de Mexico. Julian Gorkin avait eu en effet à sa disposition des centaines de pièces officielles ayant servi au procès de l'assassin, Jacques Mornard-Mer· cader. Depuis, il a complété sa documentation, grâce surtout aux confidences de chefs communistes espagnols qui ont «miraculeusement» réussi à sortir d'U.R.S.S. La troisième partie de son ouvrage est ainsi inédite. Si l'ensemble g a r d e l'allure d'un «grand roman policier », c'est qu'en ce cas, remarque Gorkin, la réalité dépasse la fiction. (320 p, 22,50 F.)

Sous le titre Varia Linguistiea, les éditions Ducros, à Bordeaux, rassemblent en un volume des textes de Maupertuis, Turgot, Condillac, Du Marsais, Adam Smith relatifs au langage. On y voit s'élahorer une c linguistique qui commence à prendre, en ce XVIIIe siècle, une allure « et on comprend peut-être mieux le hut que s'était donné Rousseau dans son Essai sur origine des langues. On y voit surtout, précise Michèle Duchet dans sa préface, «les limites de la métaphysique expérimentale qui 6Cmble préoccuper tous les auteurs du XVIII" (Textes rassemhlés et annotés par Charles Porset, notices hihliographiques, 356 p.)

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L'hermétisme à la portée de tous René Alleau, dont la réputation n'est plus à faire en matière de «sciences secrètes », inaugure une « Bibliotheca Hermetica dont Denoël assure la diffusion. Il compte y publier «les chefsd'œuvre de l'hermétisme », ouvrages généralement introuvables qui traitent d'alchimie, d'astrologie et de magie. Premiers titres: le Livre des figures hiéroglyphiques de Nicolas Flamel (avec une étude historique d'Eugène Canseliet, 234 p., 29 F) , Alchimie et les alchimistes de Louis Figuier (première édition: 1854) qui donne des reproductions de pièces fabriquées à l'aide de l'or alchimique (?) (408 p., 36 F), la Magie et astrologie, d'Alfred Maury (publié en 1860 par l'auteur de le Sommeil et les Rêves) (432 p., 38 F). René Alleau s'élève contre le qualificatif de «fausses sciences» donné aux domaines dont il s'occupe et conteste qu'elles aient été à l'origine de nos sciences expérimentales. Il préfère les rattacher à « un savoir traditionnel »... «dont la valeur poétique nous dispense d'une critique scientifique arhitraire et inadéquate... ». Voici donc, qui l'eût dit? l'hermétisme à la portée de tous.

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feuilletant... Déjà, l'histoire Dans 8a collection de manuels, Bordas publie la Littérature en France depuis 1945, due à quatre universitaire8 intelligents et in· formé8 qui n'hésitent pas à présenter à n08 étudiants des auteurs encore actuellement en pleine activité et dont l'œuvre est loin d'être close. Ce qui les amène à choisir et à prendre parti. Et ce qui nous donne une histoire «vi· L'appareil pédagogique est réduit au minimum. Les textes choisis qui viennent après d'alertes mises en place devraient donner le goût d'en savoir davantage par des lecture!; complète8. (850 pages, relié: 39 F, broché: 32 F.)

Babeuf François Maspero réédite l'un des ouvrages les plus importants de Maurice Dommanget: Sur Babeuf et la conjuration des Egaux. L'auteur y a ajouté quatre études inédites formant chapitres, si bien qu'est maintenant complètement éclairée la figure _de ce premier e communiste» moderne, mort sur l'échafaud le 28 mai 1791, et à qui Marx et. Engels, dans le Manifeste communiste, rendront un hommage mérité (392 p.).

Ces messieurs de Port-Royal Dans la collection de poche «Science de Flam· marion publie la fameuse et trop peu connue Logique de PortRoyal. Due à Antoine Arnauld et Pierre Nicole, elle s'intitulait plus exactement la Logique ou r art de penser. C'est le titre que l'éditeur a retenu et qui se poursuivait ainsi: «contenant, outre les règles communes, plusieurs observations nouvelles, propres à former le Dans sa préface, notre collaborateur Louis Marin remarque que cet ouvrage qui connut cinq rééditions, constamment revues, corrigées et complétées, au cours du XVII" siècle, montre, «plus nettement qu'aucun autre texte de l'époque classique, comment s'organise, dans la dispersion et l'incohé-

Théâtre en Perse

.rence, le champ d'une culture... et comment la question philosophique 8e pose, continue à 8e poser... ». Champ à l'intérieur duquel, pendant plus de deux siècles, pensèrent les générations bourgeoises et rationalistes, figure du savoir classique (440 p.).

Diderot Yves Benot publie chez Maspero un Diderot qui vient certes après de nombreuses études, en France et à l'étranger, mais où il a mis en relief le côté « athéiste » de son modèle et son «anticolonialisme Il l'appelle, à juste titre, «un destructeur de sommeil» (le 80mmeil dogmatique s'entend) et montre comment, e assailli de questions, et obligé de 8'interroger, de chercher da Diderot n'en était pas moins parvenu à désirer «l'extermination rationnelle des oppresseurs (336 p.).

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La Q.!!buaine Uttérairc du l or au 15 octobre 1970

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Comment peut-on être Français ? Les Persans, eux, ont bien de la chance, et du génie. Nous n'avons qu'Avignon et ses fastes médiocres. Les Persans, eux, pour éblouir le critique occidental qui débarque tout ému déjà des souvenirs de Chardin et de Gobineau, non contents de disposer des coupoles d'Ispahan, des jardins de Chi raz (pas de rossignols, mais des musiques superbes), des palais et tombeaux des rois achéménides, du soleil couchant sur Persépolis, et des yeux en amande aussi beaux dans les ruelles que sur les miniatures, lui assènent soudain, à ce critique, le plus incontestable gratin du théâtre occidental: Grotowski (le Prince Constant), le Bread and Puppet (Fire) et les Bonnes dans la mise en scène de Garcia. Ajoutez Xenakis et Mozart, Webern et Monteverdi: notre culture occidentale, comme on voit, pouvait faire la fière. Si même j'avais un grief à formuler à l'encontre de ce 4" Festival de Chiraz-Persépolis, par ailleurs très intelligemment conçu, et non sans une certaine hardiesse, ce serait d'avoir dans cette confrontation OrientOccident qui servait de thème au festival, fait la part trop belle à l'Occident. Puisqu'il s'agissait de confronter des formes de théâtre rituel, et puisque Cham, cérémonie du Népal, n'a pas pu franchir les frontières, on eût souhaité au moins, en fait de cérémonial d'Asie en l'occurrence la danse classique de l'Inde - , une exhibition de Bharatanatyam moins racoleuse que celle qu'il nous fut donné de voir, en fait de cérémonial africain, une démonstration moins purement acrobatique et 'folklorique que celle du Ballet national du Sénégal, et en fait de chant négroaméricain, autre chose que les Saple Singers, ces sœurs Etienne sorties de la Case de l'oncle Tom. Les concerts de musi_que traditionnelle, de l'Iran, du Vietnam, ou de l'Inde, étaient en revanche très beaux, à voir comme à entendre, la manipulation des instruments complexes d'où l'Orient tire ses musiques étant théâtre à elle seule.

Pour en revenir à cette notion de théâtre rituel. la fête théâtrale de Chiraz-Persépolis nous aura permis, entre autres choses, de vérifier cette évidence que ce n'est pas le rituel à lui seul qui fait le théâtre, mais ce qui est signifié dans ce rituel. Exhumer un rituel pour le produire en spectacle, c'est chose de foire, ou de musée. Utiliser les formes d'un rituel comme véhicule de significations nouvelles, c'est proprement là faire œuvre théâtrale. C'est ce que font, chacun sur son mode. Grotowski, le Bread and Puppet. et Garcia, utilisant des liturgies diverses comme un langage vivant pour nous dire des choses qui peuvent. aujourd'hui, concerner des hommes, déranger des consciences, voire donner le branle à des actes. C'est en ce sens que le rituel d'exorcisme de Garcia, au service d'une œuvre aussi violente que les Bonnes et d'un tel pouvoir de dénonciation, ou celui du Bread and Puppet, au service d'un engagement politique précis, m'a paru, dans cette confrontatioo,. siRgulièrement plus ouvert, donc plus rtche- de significations possibles, que l'admirable exercrce· liturgique-· de· Grotowski, qui semble toujours se complaire à lui-même: perfection close. Il faudra bien un jour ouvrir le dossier Grotowski; disons seulement que cette messe dite en chapelle (55 fidèles, cette fois-ci, à chaque office), cette Passion toujours recommencée devant une élite petite de spectateurs privilégiés, m'a paru, cette fois, un peu formelle, initiatique, et comme coupée de la vie.

Le Bread and Puppet Il est vrai qu'on avait vu la veille - ce fut un des moments les plus forts du festival - le Bread and Puppet, allant au-devant de ce public que tous les festivals ignorent, qu'ils soient d'Avignon, de Nancy ou de Chiraz, manipuler ses grandes marionnettes devant des enfants et des gens du peuple, un vendredi après-midi (c'est le' dimanche musulman) dans un parc de la ville. On leur racontait l'Histoire du roi, de ce roi

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LI'1TIIILU'UIUl

Théltre en Perse 70

qui avait dans son royaume un prêtre, et un homme bleu et un homme rouge, et un peuple aussi; un jour sl.lrgit un dragon; le roi fit appel à un grand guerrier. Et le grand guerrier tua le dragon. Puis il tua le prêtre. Puis il tua l'homme rouge. Puis il tua l'homme bleu. Puis il tua le roi. Puis (ici deux dénouements), 1) il voulut tuer le peuple, mais le peuple le tua (dénouement • progressiste .), 2) il tua le peuple et la Mort vint alors le saisir (c'est cette fin-là qui fut jouée). Dans ce contact passionné, passionnant, d'une foule simple, et d'une forme d'art aussi simple et aussi forte de signification, le mot de • théâtre populaire. trouvait un sens, et le phénomène théâtral une raison d'être.

plutôt du Ta'zieh qu'elle n'en constituait véritablement un; c'en était en tout cas une forme très élaborée, voire sophistiquée, et, semble-t-i1, très occidentalisée. C'était une histoire d'amour, de mort, de guerre, de talisman et de destin, contée dans le style liturgique d'une extrême lenteur par un jeune metteur en scène visiblement au fait des méthodes scéniques occidentales; c'était un peu la Tragédie grecque jouée naguère par le Groupe Antique de la Sorbonne; c'était propre,. clair. bien mis en place, assez beau parfois dans les déplacements et les chœurs parlés, mais ennuyeux, un peu scolaire, et sans grande invention.

l'autre, Moslem, beaucoup plus intéressante pour nous, était en somme la reconstitution professionnelle, pour un Un théâtre rituel public de festival, d'un authentiet populaire : que ta'zieh. Avec ses cortèges le Ta'zieh de chevaux, de chameaux, ses 60 ou 80 acteurs, récitants, muIl est plus hasardeux, pour siciens, ses tambours, antiques nous autres occidentaux, de for- modernes, ses musiciens jumuler un jugement sur les re- chés dans une tour et sonnant présentations d'une autre forme dans des trompettes monocorde théâtre authentiquement ri- des de 5 mètres de long, cela tuel et populaire, spécifique- tenait, à première vue, d'un ment persan celui-là, le Ta'zieh. Mystère joué aujourd'hui deNée de la célébration, par vant Notre-Dame, du Châtelet l'Islam chi'ite, du martyre de et d'un opéra de Verdi. Aux dil'Imam Hosseyn massacré en res des Iraniens qui ont vu des 680 par le calife ommeyade Va- Ta'zieh dans les villages, cette zid, cette forme de théâtre, as- représentation trahissait. Sans sez proche, semble-t-il, de no- doute. Il reste que ce spectatre théâtre médiéval, à mi-che- cle, tout impur qu'il était probamin entre la cérémonie du blement, m'a passionné. J'avais culte et la représentation théâ- devant moi une forme authentrale, s'est jouée longtemps tiquement populaire, et belle, dans les villages, dans les mos- de théâtre, où les divers modes quées. Théâtre non-profession- de récitation et de déclamation, nel, comme au Moyen Age, où le jeu de la parole et des musiacteurs et spectateurs étaient ques, la beauté par les strideninterchangeables: jouer, ou plu- ces et dans l'attaque des voix, tôt réciter "histoire en musique, l'expressivisme du jeu à la fois tenait de la prière, du devoir naif et un peu cabot, constireligieux, et le public commu- tuaient un ensemble d'éléments niant là dans les cris et les fascinants. Je regardais Jeanpleurs. Il s'en joue encore dans Marie Serreau regarder cela de les villages; mais, comme aus- tous ses yeux vifs, toujours si le théâtre médiéval. le Ta'zieh curieux: le metteur en scène s'est professionnalisé. Sur le de Césaire, de Kateb Yacine, en plateau d'un festival. fût-ce en train d'expérimenter, depuis plein air, ou au pied du palais des années, avec des acteurs de Xerxès, cette transplanta- africains, arabes ou antillais. les tion risque forcément de son- formes possibles d'un théâtre ner faux. du tiers monde, avait ici de Nous avons vu deux représenquoi se passionner. Nous aussi. tations de ce théâtre persan. L'une, Vis et Ramin, s'inspirait Gilles 5andier

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Sollers et moi, nous ne par- le et armés de Karl Marx. vienIons pas la même langue. Ce nent leur faire la morale. que Sollers a appris dans les Ce. que je pense aujourd'hui livres, moi, je l'ai appris dans de la société, je le pensais à la vie. Quand je lis Marx, je sept ans. Dans le village où je peux me permettre d'en lais- suis né, il y avait deux châteser, car l'essentiel de ce que lains. Tout le monde, au villaj'y apprends, je le savais avant ge, y compris les gens de ma de le lire. Lorsque Sollers lit famille, leur parlait avec un resMarx, il n'ose rien laisser tom- pect qui me restait dans la gorber, car ce qu'il y apprend, il ge, et chaque fois que je pasne le savait pas avant. Il est sais près du château où ils viné dans le beurre. Il n'a pas vaient dans leur curieuse sovu un seul ouvrier avant d'avoir litude, je pensais que c'étaient vingt ans. Bourgeois jusqu'à la des voleurs et je pensais, qu'un moelle, il m'adresse la pire in- jour, je les aurais. Sollers me sulte qu'il connaisse: • Petit traite de bourgeois; il connaît bourgeois .parisien. • Mais je Freud mieux que moi: cette ne suis pas parisien et je ne injure s'adresse à lui-même. Je suis pas bourgeois. Lorsque le comprends. Je comprends Sollers et Faye allaient au ly- Faye. Je comprends que ces pecée Saint-Sulpice, dans la gran- tits messieurs soient plus stade voiture de papa-banquier, en . Iiniens qu'il n'est permis. Quand pelisse-chouchou, et flanqués on s'est donné la peine de naÎde la nurse anglaise, j'appre- tre; quand on n'a eu qu'à denais mes leçons.. en gardant les mander pour obtenir; quand on vaches. a reçu, sans aucun effort, sans J'ai choisi des motifs plus aucun mérite, ('éducation, l'argrands que Sollers et que Faye gent, les relations et la cultupour que le pouvoir change de re, la culture cet objet introumains, car si j'allais crever, je vable que les fils n'aurais pas un matelas de bil- les fils de paysans, n'arrivent lets pour m'endormir. Je sais jamais à acheter, je suppose ce que c'est, moi, que les fa- qu'on se prend immédiatement milles où on n'a que son tra- pour ce qu'on est: un voleur. vail à vendre pour subsister, Et je comprends très bien que, et je sais ce qui arrive quand si l'on n'a pas l'âme d'un chien, on n'arrive plus à le vendre. on ne puisse se regarder dans Sollers a lu dans Marx, qui par- les glaces: on a honte de ce Iait pour son temps, que le pro- qu'on est. Alors, on va s'inslétariat c'est la classe ouvrière crire au Parti Communiste, on qui travaille dans les manufac- demande du fric à papa-bantures, et comme beaucoup de quier, on crée une revue superprofesseurs marxistes, qui con- marxiste, et dans un concert naissent bien Marx, mais qui d'applaudissements snobs où n'ont jamais vu leur mère se se mêlent, exquis, les vieux demander comment elle • fera. soupirs des vieilles dames litla fin du mois, il en déduit que téraires, on devient un terrible seuls les ouvriers d'usine ven- procureur. Alors, on fait tremdent leur· travail pour subsis- bler Pleynet dans sa culotte, on ter. Pour lui, comme pour les entame avec Faye une querelchérubins de son espèce, le le d'Allemands, on se dispute reste n'est fait que de • petits- la pensée de Mallarmé, on utibourgeois., animés de l'idéal lise les dépouilles d'Artaud, on • petit-bourgeois., et instru- n'écrit plus cinq lignes sans ments stupides de la classe do- citer Sade, Engels, Marx, Léniminante. Or, ni plus ni moins ne, on vit dans les éclairs des que les ouvriers, beaucoup de excommunications, et on est le paysans, beaucoup de fonction- plus pur parmi les purs: on est naires, beaucoup d'intellectuels, un traître. beaucoup d'artistes n'ont à venLa psychologie des transfudre que leur travail; ils ont des ges est mal connue. Dans l'opimotifs viscéraux, non des mo- nion courante, le transfuge est tifs livresques que tout change, un être stupide et vénal. Or et, je cherche le mot, ils se c'est tout le contraire. Le transmarrent, quand ces gosses de fuge est un être intelligent et riches, la bouche en cul de pou- généreux. Intelligent: car il


Bourgeade répond à Sollers volt clairement qu'II y a deux camps. Généreux: car Il n'hésite pas à changer de camp s'il croit être dans le camp des opresseurs. Sollers est un transfuge: il est intelligent et généreux. Dès son premier roman, s'exhalaient les frissons d'une âme maurlaclenne. On devinait déjà que cet adolescent d'autrefois, en qui Mauriac lui-même saluait un talent raffiné et qu'il propulsait vers la gloire, aurait quelque chose à nous dire, pour peu qu'il découvre un sujet. Après l'avoir cherché vainement dans le Parc entourant la vieille demeure familiale, dont l'entrée était Interdite aux prolétaires, Il le trouva dans la bibliothèque. Le transfuge est savant et implacable. Savant: car n'ayant en rien l'expérience de ceux avec qui il a décidé de se ranger, Il est contraint de la placer par des lectures. Et comme la vie seule, ainsi que Marx l'a dit (1), est la mère de l'expérience, le transfuge doit tout lire et tout apprendre sans être jamais sûr de ne pas se tromper. Je n'al pas peur de dire que l'enfant d'une famille d'ouvriers ou de. paysans qui entend son père se lever dans la nuit pour aller à l'usine, ou qui l'entend casser la glace dans le puits avant que le jour ne soit levé, en salt plus que Sollers en théorie et en pratique, et qu'II se trompe. moins souvent. Sollers sait tact, ç'est vrai. Il ne peut pas aborder le plus mince sujet sans déborder de citations, mals Il a tellement de citations marxistes dans la gorge que lorsque les soldats soviétiques entrent à Prague, ou lorsque les • tribunaux. de l'Union soviétique envolent les écrivains soviétiques dans les camps, Il ne peut même pas pousser un cri. Le transfuge est un être Implacable. Dogmatique, car Il a tout appris; Intransigeant, car Il veut se montrer plus fanatique que tout autre; Immobile, car il n'est pas rempli de vie mals de lectures, et assis sur Lénine comme le scholastique sur Escobar, Il distribue les excommunications. C'est li lui que les Maitres du camp sous la bannlère duquel Il s'est rangé

conflent la tâche de procureur, de juge et de bourreau, car Ils savent que pour n'être pas soupçonné d'être un Jaune, le transfuge est prêt à toutes les tâches. Vivant dans la terreur d'être jugé Impur, le transfuge est l'Instrument privilégié des Terreurs. Que fait donc le transfuge? ... Des procès et de la dentelle. Des procès: c'est lui qui tient les fiches ; c'est lui qui veille sur le Dogme; c'est lui qui relève les délits; c'est lui qui Instruit la procédure; c'est lui qui construit le réquisitoire; c'est lui qui prononce le jugement; c'est lui qui exécute le coupable. Dans cette tâche ingrate, le transfuge ne craint pas de s'avilir. Lui, le subtil poète, l'écrivain délicat, consume son talent dans les erreurs voulues et les lourds à-peu-près qui lui sont nécessaires pour fabriquer les fausses· pièces des procès où, moderne jdanov, Il s'immole lui-même pour ses maitres. Mals le soir, dans sa

chambre, quand Il a déposé l'âme du procureur, le style du greffier, et les plaisanteries du corps de garde, le transfuge se met à la dentelle. Il revient à .son œuvre, qui est d'autant plus pure qu'II s'est plus longuement souillé à l'audience. C'est pourquoi, au cours de ces années où Tel Quel se transforme en Tribunal bouffon, l'œuvre du seul Sollers s'élève, transparente, semblable à la pensée désincarnée. Ses deux derniers ouvrages (2), délicats bibelots d'Inanité écrite, dont l'algébrique harmonie est extrême, brillent d'un éclat pur, glacé, mallarméen. A notre époque où, c'est vrai, la parole s'enlise dans les combats douteux, le romanesque niais, la hideuse culture, les vieux mots, les écrits de Sollers s'ont l'avatar moderne de la littérature abstraite, nue, gratuite, pour le dire en un mot: réactionnaire. Faye n'est pas artiste. Sollers est le dernier champlon de l'Art pour l'Art.

.. Ainsi se développent, en France re, soit plus naturel qu'on ne l'Ima· comme à l'Est, ces sciences annexes : glne parce que le récit précède la linguistique, syntaxique, sémiologie, langue, que le désir de récit subsisetc., qui sont à la littérature ce que te après elle. sont à la peinture l'optique, la chi· Seulement, nous ne sommes plus mie et la fabrique des pinceaux..., écrit Pierre Bourgeade dans son ml· à l'époque des conteurs ou des ranl-pamphlet .. L1TIERATURE 70.. Il conteurs barbares. Il existe aujour· est dommage que Tel Quel n'ail pas d'hui quelque chose de nouveau, de cru bon de relever un argument qui . vraiment Inédit: non pas une Histoire à juste titre Impressionne beaucoup d'autant plus' totale qu'encombrée et de monde. Explicitement ou non, nom- brumeuse, mals une histoire du bre de théoriciens pensent (pas travail humain, et notamment une tous) qu'à partir du moment où est histoire de l'art. Répertoriant les dévoilée la structure mettons par formes, on est tenté de ranger la exemple d'un certain type de récit, littérature dans la grande armoire celui-ci en devient automatiquement mythologique ou de ne concevoir son caduc. Oui dit typologie dit clmetlè· futur que comme pseudo-à·venlr répétitif. Ouelle pourrait être encore la re. place de la .. littérature .. ? Je formuBien que ce ne soit pas évident. lerai trois hypothèses: 1) le cimeIl semble bien, par exemple, que les tière (littérature sans objet d'étuamoureuses analyses de Bachelard des); 2) le .. mythe expérimentai .. sur l'Imagination matérielle aient si· (expression de Roland Barthes), au gné l'arrêt de mort de la poésie élédeuxième, troisième ou quatrième mentaire sans que personne ne s'en degré; 3) la littérature tant bien que aperçoive. Rien de plus archétypal mal, que rappellerais littérature popuqu'un western: pourtant on continue laire, englobant dans cette notion à fabriquer du western, de l'excel·. peut-être dangereusement équivoque lent western: quel Intérêt? La peln· n1mporte quelle littérature, y comture dite abstraite, dans la mesure où pris la plus .. Intellectuelle.. Serait elle entend rester activité Isolée, apopulaire toute littérature partiellet-elle encore quelque chose à nous ment Inconsciente de sa propre cendire? On objectera que selon un tel sure et occupée à projeter ses point de vue II· suffira d'être abonné contradictions, à les vivre sur un chez Marle Concorde pour ne plus mode ml·textuel ml·phantasmatlque faire l'amour. Et l'objection ne sera (ce qui la différencie de la littérapas Inepte puisque écriture et lec· ture petite bourgeoise essentielleture sont des opérations érotiques. ment névrotique) plutôt qu'à les Mals les coordonnées et les dimenrésoudre théoriquement et pratiquesions d'une lecture et d'un coit, fONI ment. Une telle littérature peut-elle compliqué ou complexe, ne sont pas encore produire quelque chose? les mêmes. Bien que l'acte sexuel Peut·elle encore nous apprendre soit un acte hautement culturel mal· quelque chose, voire nous surprengré les apparences et que lire, écrl· dre?

I.a Litthaire du 1er au 15 octobre 1970

Il ne me croira pas, mals J'admire Sollers. Je regrette qu'II fourvoie son talent et son cœur dans un triste combat d'arrière-garde. Etre marxiste, ce n'est pas répéter sans fin ce qu'a dit Marx, c'est adapter son combat à la vie, et rejeter sans crainte des analyses révolues, une • science. en miettes, des Dieux morts. • Que les morts enterrent leurs morts, et les pleurent!. (Karl Marx.) Mals le transfuge a le culte des morts. Se voulant étranger à son propre parti, demeurant étranger au camp qu'II a rejoint, Il n'est vraiment chez lui que dans les cimetières. Il s'y promène seul, le cerveau plein de mots, le cœur plein de revanches, un bouquet d'immortelles à la main. Pierre Bourgeade (1) Et s'II ne "a pas dit, je le lui fais dire.

(2) Logiques. Nombres, Editions du Seuil. Dans une telle optique, qui n'a d'ailleurs rien d'original, on pourrait définir le récit, dans la mesure où un écrivain (alors à mi-chemin entre l'écrivain et l'écrivant, dans une espèce de gluance vive du texte) surimpose ce qu'II faudrait nommer son Idlologle aux censures générales, comme une Idéologie d'Idéologie marquée paradoxalement par la vé· rlté, une vérité biaise pailletée, lacunalre: une errance non pas consommable mals utilisable, une sorte de brouillon excitant, de b 0 u Illon exemplaire. Le rôle (éternel) de cet écrl·v&ln/vant serait-II d'explorer à travers la répétition un espace Infiniment variable dont Il apparaltralt le révélateur (sempiternel)? A moins que la théorie ne soit devenue le grand Récit du monde. .Nous aurions atteint à travers maintes plaisanteries d'alchImistes, via la croix· de • ma • mère, l'amoureux transi ou pas et les révolutions chantées, l'Age adulte du logos héraclltéen. • Les murs crient .., assure Pierre Bourgeade. Sur un mode moins lyrique, Tel Ouel désigne aussi ses cris et ses murs. Mals s'Ils entendent une partie des mêmes cris Ils ne sont pas entourés des mêmes murs. Pour revenir à mon troisième, Pierre Bourgeade ne 1Ie contredit pas assez: Tel Ouel, au fond, n'est pas suffisamment telquellste. SI la littérature ne fait plus le poids. la théorie dispose d'encore trop d'ombrees). Personnellement, je n'al pas de réponse toute prête. C'est dommage. Ce n'est pas une raison pour souscrire aux fausses évidences ou Il la politique du shaker...

Michel Yachey

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vieille demoiselle des postes.

.0. . . .

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Jean-Marie Fonteneau M.. c:hempIgnona Grasset, p., 16 F. (Voir le n° 102 de la OullWllne) •

Ali Boumahdl Le village de.

Philippe Augier &. objets trouY6. editions de Minuit, 188 p., 15 F. Le premier roman d'un jeune auteur de vingt ans.

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R. Laffont. 440 p., 26 F. L'Algérie des années 30, puis de la guerre et enfin de l'Indépendance, vue de l'Intérieur.

Nella Blelskl Voronej R. Laffont, 200 p., 15 F. La découverte de l'U.R.S.S. en 1935, et celle d'un écrivain cforlglne .-ovlétique qui vit en France et dont c'est le premier roman. Henry Bonnler L'..-nour des autres A. Michel, 280 p., 16,50 F. Les tribulations nocturnes d'une petite ville de province, vécues par le truchement d'une

Claude Delmas Le schooner Flammarion, 272 p., 18 F. Un roman sur la révolte de la jeunesse actuelle, par l'auteur des • Extrêmes climats -. Michel Déon Laa poneys aauvagea

Gallimard, 504 p., 32 F. Un livre où le romanesque rencontre constamment la chronique de ces trente dernières années.

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l'arrtè,...laon Table ronde, 320 p., 23 F. Un écrivain de quarante-clnq ans découvre les Joies troubles de la paternité. Bernard Gheur Le teat.ment d'un cancre A. Michel, 192 p., 13,50 F. Un premier roman qui nous fait entrer dans le secret d'un Age à la fols tragique et prévlléglé: l'adolescence. Pierre Guyotat Eden, Eden, Eden Préfaces de M. Leiris, R. Barthes,

Ph. Sollers Gallimard, 280 p., 26 F. • Un rituel d'horreur sexuelles, d'une obscénité quasi hiératique -, par l'auteur de • Tombeau pour cinq cent mille dollars -.

Denoêl, 200 p., 18 F. Le premier roman d'un peintre qui est également cinéaste et écrivain

Lettres Nouvelles Denoël, 192 p., 15 F. Par l'auteur du • Temps des ceriseset de • Mirobolante au crépuscule -.

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SOCIOLOGI. PSY-CBOLOGI. Fausto Antoninl L'homme furieux Coll. «Guerres et paix Hachette, 256 p., 30 F. Une analyse psychologique, sociologique, psychanalytique et philosophique de l'agressivité collective. D. Benslmon·Donath Immigrants d'Afrique du Nord et Israil Anthropos, 615 p., 45 F. Les difficultés de l'Intégration d'Immigrants de culture traditionnelle dans une société moderne. Gaston Bouthoul L'Infanticide différé Coll. «Guerres et paix Hachette, 256 p., 30 F. Par le créateur de la « Polémologie -, science qui consiste à étudier les guerres comme des phénomènes sociologiques. Gérard Donnadleu Demain, les cadres Préface de G. Nasse Centurion, 180 p., 15 F. Une étude à la fois psychologique, sociologique et prospective. Victor E. Frankl La psychothérapie et son Image de l'homme Resma, 168 p., 15,95 F. Un ouvrage dO à un médecin de Vienne et qui récuse un certain nombre de thèses de la psychanalyse classique.. Pierre Hanry Erotisme africain Le comportement sexuel des adolescents guinéens Payot. 208 p., 18,80 F. L'évolution des structures traditionnelles de la sexualité africaine sous les Influences successives de, la colonisation et de "Indépendance. W. Lederer Gynophobia au La peur des femmes Tr-ad. de l'américain par' Monique Manin Pàyof. 336 p., 35,70 F. Une étude,

psychanalytique sur la peur ancestrale de l'homme face à la sexualité et aux « mystères • fémlnina. Bronlslaw Malinowski Les dynamiques de l'évolution culturelle Recherche sur les relations raciales an Afrique Trad. de l'anglais Par G. Rintzler Payot, 240 p., 26,70 F. Un ouvrage Inédit du célèbre anthropologue, qui rassemble l'essentiel des recherches qu'il avait menées pendant vingt ans sur le processus dynamique de l'évolution culturelle. René Nlcoli L'univers de la sexuallt6 Resma, 336 p., 29 f. Le devenir de la sexualité dans l'évolution de la vie. Tendances prlnclpel. . de la rechercha dans les sciences social.. et humaines Premlilre partie: sciences social•• Préface de R. Maheu Mouton, 987 p., 120 f. Le résultat d'une étude commencée par l'Unesco en 1965.

E-N5-SIG NE Il.ENT P·EDAGOGIE L'adolescence Coli. «Comprendr. savolr·aglr • Denoël, 548 p., 47,50 f. Un ouvrage qui permet de pénétrer dans l'univers des • jeunes afin de mieux les comprendre. Fernand Robert Un mandarin prend la parole • P.U.F., 274 p., 25 f. Un professeur à la Sorbonne, apôtre de la sélection, prend à partie ceux qu'il accuse de démolir l'Université sous prétexte de la démocratiser.

Helmut Berndt Le message' des .Nibelungen

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L.ivres publiés du 5 au 20 sept. Trad. de l'allemand par Denise Meunier 8 p. d'Illustrations Laffont, 296 p., 19 F. Coll. • Les Enigmes de l'univers '. Gilbert Cesbron Ce que Je crois Grasset, 212 p., 72 F. A la fois un auto-portait de l'auteur urie plaidoirie en faveur de l'homme et un réquisitoire contre ce siècle.

Chu . Méthodologie

de l'Imaginaire Ouvrage collectif, publié par le Centre de Recherche sur l'Imaginaire sous la direction de Jean Burgos .Lettres Modernes, 304 p., 35 F. U.rie mise en commun .et. une confrontation 'dès. méthodes d'approche en ce domaine, à partir de l'étude systématique de grands thèmes fondamentaux. Robert Gllpln La· science et l'Etat en France Trad. de l'anglais par Michel Carrière 'Gallimard, 416 p., 33 F. la France face à une troisième phase de la ré....olutlon Industrielle, marquée par l'Intégration de la science en tant qù'lnstltutlon. Laboucheix Richard Priee, théoricien de la "volutlon américaine Didier, 310 p., 58 F. Les quatre aspects de l'œuvre de Price: philosophie, économie-politique, histoire et littérature thèse.

La communication

par le geste Ouvrage collectif Centurion, 336 p., 19,90 F. Une réflexion sur les formes modernes de l'expression collective et artistique. Alfred Maury La magie et l'astrologie Coll. • Bibliotheca Hermetlca" S.G.P.P., 432 p., 38 F. Une étude des superstitions, coutumes et croyances païennes, qui se sont perpétuées Jusqu'à nos Jours - Réédition.

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D. de Rougemont Lettre ouverte aux Européens A. Michel, 224 p., 12 F. Les atouts de l'Europe face aux deux grandes puissances qui se partagent actuellement le monde. Henri Wallon De l'scte à la pensée Flammarion, 248 p., 20 F. Coll. • Nouvelle Bibliothèque Scientifique '.

HISTOIRB G. Barraclough La papauté au Moyen Age Flammarion, 13,50 F. Coll. • Histoire Illustrée de l'Europe •. P. GalIIona, R. Philippe, Ph. Sussel La France des Lumières 1715-1789 Coll. • Histoire de la France. Denoël, 256 p., 35 F. Les contradictions d'une, époque marquée par le désarroi de l'autorité monarchique et l'effervescence des esprits. Maréchal G.J. Joukov Mémoires • Tome Il: 1942·1946 Fayard, 496 p., 35 F. De la bataille de Stalingrad à l'Installation du gouvernement militaire soclétique en Allemagne orientale. Pierre Lepape Les révolutions du xx- siècle S.G.P.P., 324 p., 31 F. L'histoire et l'analyse des principales révolutions du siècle.

xx-

Lévis Mirepoix Saint Louis, Roi de France 8 pl. hors-texte A. Michel, 384 p., 27 F. Collection • Le Mémorial des Siècles ". Wladimir Porché Le chevalier Françoys Coll. • Histoire en liberté" Flammarion, 280 p., 20 F. Les réalités contradictoires du jeune roi François 1"'.

Pierre Vlansson-Ponté Histoire de la République gaullienne Tome 1: La fin d'une époque· 13 mal 1958 à Juillet 1962 Fayard, 580 p., 30 F. Par le chef des services politiques du • Monde", un témoignage de première main sur les onze années du gouvernement de Charles de Gaulle. Gilette Ziegler Paris et ses révolutions 16 illustrations Editeurs Français Réunis, 194 p., 23 F. Une évocation, rue par rue, du Paris de la Marseillaise et de l'Internationale.

Henri Mlgeon Le contrôle de gestion Fayard-Mame, 155 p., 15 F. Coll. • Management '. Abraham Moles Roland Caude Les méthodes de créativité et d'innovation Fayard-Mame, 218 p., 30 F. Coll. • Management '. Rolf Nordling

Fayard-Mame, 202 p., 18 F. Coll. .-Management"•.

POLITIQUB ECONOMIE

Jacques Ardoino Management ou commandement? Participation et contestation Fayard-Mame, 252 p., 30 F. Coll. • Management '.

J.-F. Salberg S. Welsh-Bonnard Actions communautaires Editions Ouvrières, 200 p., 19 F. Ou 'est-ce que le développement communautaire en 1970 ?

Garaudy par Garaudy entretiens avec Claude Glayman Table Ronde, 280 p. 12 F. Une conversation à bâtons rompus où Garaudy expose ses thèses sur la société actuelle et les perspectives du socialisme. Denis-Clair Lambert Terminologie économique et monétaire Editions Ouvrières, 330 p., 30 F. Un ouvrage conçu pour faciliter la traduction des textes économiques ou financiers de langue anglaise.

Christian Casteran Guerre civile en Irlande Coll. • En direct" Mercure de France, 220 p., 17 F. Par un reporter à • La Croix", qui est en même temps un • spécialiste engagé. de l'Irlande.

La Suède socialiste

Roger Priouret Les managers européens Coll. • Le défi. Denoël, 435 p., 23 F. Une longue enquête sur l'Industrie européenne, qui met en lumière ce que seront les problèmes pour les années 70.

Roland Claude De l'organisation scientifique du travail au management des entreprises Coll. "Management. Fayard-Mame, 212 p., 15 F. Le premier volume d'une nouvelle collection consacrée à la formation et l'information des futurs managers et les managers confirmés.

le fils de celui qui en fut le héros et l'instigateur.

Robert Thalvard Démocratiser le management? Ed. Ouvrières, 176 p., 17 F. Peut-on rendre une économie plus compétitive et plus démocratique?

DOCUIlIiIiTS

Georges Coulonges La Commune en chantant Editeurs Français Réunis, 228 p., 20,45 F. Un recueil des chansons de la Commune. El Fath La révolution palestinienne et les Juifs Editions de Minuit, 72 p., 5 F. La reproduction intégrale d'une série d'articles publiés, au début de 1970, par l'organe officiel du Fath. Jacques Mousseau Cinq dollars pour un empire Coll. « Médiations. Gonthier, 304 p., 25 F. L'aventure à la fols commerciale et intellectuelle d'un magazine à succès: « Playboy •. Geoffrey Parker Parslfal Flammarion, 240 p., 18 F. L'odyssée d'un chirurgien anglais dans les maquis de l'Ain.

Paul Berben Bernard Iselin Remagen, le pont de la chance 7 mars 1945 8 pages de photos Co!1. «Ce jour-là. Laffont, 296 p., 24 F. Un épisode demeuré jusqu'Ici fort mystérieux de la fin de la seconde guerre mondiale.

Maurice Séveno Le scandale de la santé en France Table Ronde, 248 p., 18 F. Un violent réquisitoire contre le mécanisme de l'industrie de la santé telle qu'elle est pratiquée en France.

François Broche Le bataillon des guitaristes Préface du général Kœnig Fayard. 384 p., 24 F. L'étonnante épopée des F.F.L. de Tahiti à Bir-Hakeim entre 1940 et 1942, racontée par

Robert Tocquet Médiums et fantômes Nombr. photos Edition Spéciale, 256 p., 22 F. Dans la collection «En marge., une étude abondamment documentée sur les phénomènes parapsychologlques.

" • • AT• • CI.BMA

Jean Anouilh Nouvelles pièces grinçantes Table Ronde, 608 p., 28 F. Le septième volume du théâtre complet de Jean Anouilh. John Cage Silence « Dossiers des Lettres Nouvelles. Dt'lnoël, 184 p., 29 f. Une vingtaine de conférence et d'articles écrits de 1937 à 1961 et où le grand musicien américain expose des conceptions en matière expérimentale. Gilles Sandler Théâtre et combat Stock, 370 p., 29 F. Regards sur le théâtre contemporain, par l'un des plus passionnés des critiques dramatiques actuels. Francois Truffaut Les âventures d'Antoine Dolnel Mercure de France, 382 p., 29 F. , Les scénarios et notes de travail du cycle Antoine Doinel

ARTS URBANISME

André Lhote Traité du paysage et de la ligne Nombr. illustrations Grasset, 310 p., 45 F. Réédition d'un classique de la critique d'art. Lewis Mumford Le déclin des villes ou la recherche d'un nouvel urbanisme France-Empire, 336 p., 25.50 F. Le cri d'alarme d'un sociologue américain contre la Métropolis déshumanisée qui nous menace. Henri Rousseau Documentation et catalogue raisonnés par Dora Vallier Flammarion, 21,20 F. Coll. «Les classiques de l'art".


Bilan de septeJnbre

LA

RENCONTRE DES lElTRES ANCIENNES ET MODERNES

LES LIBRAIRES ONT VENDU

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tili. Mario Puzzo Hervé Bazin

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3 Joseph Kessel 4 Guy des Cars 5 Philip Roth 1 Françoise Mallet-Jorris 7 Robert Beauvais

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Erich Segal Julien Gracq 10 Raymond Hitchcock

Le Parrain (Laffont) Les bienheureux de la désolation (Le Seuil) Fils de l'Impossible (Plon) L'entremetteuse (Flammarion) Portnoy et son complexe (Gallimard) La maison de papier (Grasset) L'hexagonal, tel qu'on le parle (Hachette) Love story (Flammarion) La presqu'île (Cortl) Percy (Albin Michel)

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Œuvres rares ou inédites de tous les pays et de tous les temps, au service de la pensée et de l'art d'écrire.

Collection établie parJean-Louis CURTIS, Robert UNTERS, Olivier de MAGNY, Maurice NADEAU, Gilbert SIGAUX et Jean VAGNE.

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J EAN GRENIER L'Art et ses Problèmes

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants: Biarritz, Barberousse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - Issoudun Cherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Montpellier, Sauramps. - Nice: Rudln. - Paris, Aude, Fontaine, Gallimard, la Hune, Jullen-Comlc, Mangault, Présence du Temps, Variété, Weil. - Poitiers, l'Université. - Rennes, les Nourritures terrestres. - Royan, Magellan. - Toulon, Bonneud. - Vichy, loyale.

MARIE SCHMIDT ,

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La Poesie SCientifique en France au

Siecle

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ALBERT-MARIE SCHMIDT

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Chroniques de « Réforme» 1945-1965

SAMUEL T. COLERIDGE Sur Shakespeare Essais. Première traduction française par Robert Pépin, présentation de Jean-Louis Curtis

CARLO GOZZI

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE VOUS RECOMMANDE

Mémoires inutiles Première traduction française intégrale, préface et notes de Nino Franck

CHARLES DUCLOS

llnERATURE Camille Bourniquel Anne Hébert J.M.G. Le Clézio François Sonkin Dylan Thomas Michel Tournier

Sélinonte ou la chambre Impériale Kamouraska La guerre Les gendres Œuvres, 2 vol. Le roi des Aulnes

Seuil Seuil Gallimard Denoël LN Seuil Gallimard

Les Confessions du Comte de *** Considérations sur les Mœurs de ce Siècle Présentation d'Olivier de Magny

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H.-J. HÉRAULT DE SÉCHELLES Œuvres littéraires et politiques Edition établie et présentée par Hubert Juin

ESSAIS John Cage Robert Jaulin Pierre Lepape Bronislaw Malinowski

Silence La paix blanche Les révolutions du XX· siècle Les dynamiques de l'évolution 'culturelle Jean-Claude Renard Notes sur la poésie Pierre Viansson-Ponté La République gaullienne 1. La fin d'une époque Gilles Sandier Théâtre et combat

La

Littéraire du l or

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15 octobre 1970

Denoël LN Seuil SGPP Denoël Payot Seuil Fayard Stock

Ouvrages reliés. Chez votre libraire ou aux Editions Rencontre, 4, rue Madame, Paris 61 •


DYLAN THOMAS œuvres en 2 volumes

l)ylan

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Thoma"l

Dylan Thomas, né à Swansea au pays de Galles en 1914, mort à New-York en 1953, s'est révélé très tôt le poète le plus influent de sa génération. La présente édition groupe ses écrits les plus importants, la plupart inédits en français, exceptés toutefois le célèbre Portrait de l'artiste en jeune chien et des poèmes qui font l'objet d'une traduction nouvelle. On peut la considérer comme un véritable événement littéraire qui introduit en France une œuvre d'une grande beauté, demeurée jusqu'à présent à peu près inconnue.

œuvres

Edition établie sous la direction de Monique Nathan et Denis Roche. Tome 1 : Un volume de 432 pages, 33 F - Tome 2 : Un volume de 400 pages, 33 F.

Camille Bourniquel SELINONTE, ou la Collection de poche "POl NTS"

chambre impériale

Guy Rocher

Cette oeuvre ambitieuse, à la fois romanesque et foisonnante, où sont évoqués tour à tour les Grand lacs américains, l'Italie, le Paris de 1945 et Nashville (Tennessee), est en même temps une quête de l'oeuvre au sens borgésien ; et une grande réussite de C. Bourniquel.

INTRODUCTION ALA SOCIOLOGIE

GÉNÉRALE

A travers les œuvres des principaux sociologues (surtout Français, Allemands et Américains) dont l'auteur expose et confronte les thèses, se constitue un manuel complet de sociologie, où en développements concis l'étudiant se voit proposer une présentation de la sociologie: sa recherche, sa méthode, ses problèmes.

1- L'Action sociale Comment expliquer que les collectivités humaines existent et se maintiennent - et comment l'individu se rattache-t-il à ces collectivités? Sont donc étudiés ici les fondements normatifs, idéaux et symboliques de l'action sociale; les notions de culture, de civilisation et d'idéologie; enfin les processus, les mécanismes et les agents de la social isation. Numéro 13 - Volume simple, 6 F

2 - L'Organisation sociale Les problèmes des structures et du fonctionnement de l'organisation sociale: classifications et typologies; sociétés traditionnelles et sociétés industrielles; analyse structurale, fonctionnelle et systématique de l'organisation sociale; étude du stystème social. Numéro 14 - Volume double, 7,50 F

3 - Le Changement social Les problèmes de la sociologie de l'historicité; les facteurs, les cond itions et les agents du changement social; les notions d'industrialisation, de développement et de modernisation; le système colonial et la décolonisation ; enfin les processus révolutionnaires. Numéro 15 - Volume triple, 9 F Guy Rocher IlIIroductkln

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l'Action sociale

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Anne Hébert KAMOURASKA "Un beau roman ... qui fait penser à certains romans de Julien Green ou rappelle encore le cl imat des "Hauts de Hurlevent". Pierre Kyria - COMBAT Un volume de 256 pages, 20 F Edition reliée (15 octobre) 28 F

Une dernière promenade le long de la Seine. Un couple détruit, pris au piège d'un Paris trop grand. La dernière aventure, la dernière séduction de la Seine. La Seine est en effet ici le personnage principal d'une histoire d'amour nocturne bouleversante. Un volume de 224 pages, 19,50 F

1

LA PAIX BLANCHE

Cette Elisabeth ressemble à Laurence, dont on n'a pas oublié le succès l'année dernière, aussi innocente, plus grave, et sans doute plus riche du talent encore approfondi de Didier Decoin. Un volume de 208 pages, 16 F

Un volume de 256 pages, 20 F

Jacques Teboul L'AMOUR REDUIT A MERCI

Didier Decoin ELISABETH ou Dieu seul le sait

Mohammed Dib DIEU EN BARBARIE

Mohammed Dib FORMULAIRES

Mohammed Dib nous brosse le tableau de la naissance de sa nation. C'est le lendemain de l'indépendance et l'Algérie s'interroge à travers des personnages passionnés et des dialogues où les idées s'affrontent, se heurtent ou se confondent. Enfin un Algérien parle.

"Une réussite poétique qui situe désormais Mohammed Dib au tout premier rang des poètes d'aujourd'hui". René Lacôte LES LETTRES FRANCAISES Un volume de 112 pages, 15 F

Un volume de 224 pages, 19,50 F

Robert Jaulln

LA PAIX BLANCHE - Introduction il l'ethnocide

MROOUClO'I A lHfNJ(J)E

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Là où le vainqueur est las de massacrer, il décide de "civiliser". Vaincu, le "sauvage" doit pour son bien, renoncer à sa culture et à son identité. Partant de son expérience sur le terrain, un ethnologue français fait le procès de l'ethnocide : culturelle, destruction de sociétés différentes, instauration de ce"tte "paix blanche' dont la loi et l'ordre reposent sur la prétention de notre civilisation à être toute civilisation.

"L'essai de Robert Jaulin me para Il avoir l'importance qu'eut voici quinze ans TRISTES TROPIQUES de Claude Lévi-Strauss". (Pierre Daix - Les Lettres françaises) Collection "Combats" dirigée par Claude Durand - Un volume de 432 pages, 29 F

Henri Gouhier MAINE DE BIRAN par lui-même "Un petit volume qui est un chef-d'œuvre de biographie intellectuelle et spirituelle". J. Lacroix - LE MONDE Collection illustrée "Ecrivains de toujours" Numéro 88 - 7 F

"C'est en effet une attitude, sinon terroriste, tout au moins radicale, et sa radicalité tient d'ailleurs à l'énergie de la réflexion théorique chez TEL QUEL, qui est très importante, et que l'on sous-estime un peu, en général, dans les attaques que l'on mène contre ce groupe... la force théorique, l'impact est dans TEL QUEL, j'en suis sûr"./ Roland Barthes. 1970 Revue trimestrielle - le numéro 15 F

Jean-Claude Renard NOTES SUR LA POESII

CHANGE 6 La Poétique, la mémoire

Jean-Claude Renard a rassemblé des réflexions à usage personnel, notées au fil des années en marge de son œuvre. Il les a classées en deux grands chapitres: LangaQll, poésie et réalité et Poésie et fOI, à l'intérieur desquels des rubriques définies ordonnent les différents thèmes.

La poétique, source de la linguistique scientifique avec les formalistes russes et le Cercle de Prague, est reprise ici par la rigueur et la clarté de la science, et accompagnée de tex tes d'invention poétique.

Coll. "Pierres Vives" - 160 pages, 18 F

Série dirigée par J.P. Faye - 288 p. 24 F

SOCIOLOGIE DU TRAVAIL Numéro spécial 3 1 70:

Le mouvement ouvrier en mai 68 Daniel Vidal - Sami Dassa Eliane Baumfelder - Danièle Kergoat - Claude Durand Sonia Cazes - Serge Mallet Roger Cornu - Marc MauricePierre Dubois. Le numéro: 10 F

Poétique N'3 1nventaire systématique des approches actuelles de la théorie 1ittéraire: Starobinski, Girard, Laugaa, Lotringer, Todorov, Deguy, Debray Genette, sur l'autobiographie, Euri pide, Cyrano de Bergerac, Marivaux le récit, Baudelaire, Flaubert. - Mise au point: Mehlman, psychanalyse et psychocritique. - Document: Mukarovsky (Cercle de Prague), Littérature et sémiologie. Revue trimestrielle - le numéro 15 F


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