La Quinzaine Littéraire n°08

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Numéro 8

Heide Philippe .,. ~ ' . ' fi'~ -

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I " juillet 1966

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livres

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SOMMÀIRE

La Philosophie des Lumières

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Camillè Bourniquel Jacques Cousseau

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A.T

Iossip Brodski René Char

Collines et 'autres poèmes Retour amont

par Paul Valet par Jean Vagne

Gérard Genette

Figures

par Lucette Finas

Serge Doubrovsky Jean-Louis Bory

Pourquoi la Nouvelle Critique Tout feu tout flamme

par Henri Hell

Le centenaire de Satie

par Pascal Pia

Dorothea Tanning Les Celtes et les Germains à l'époque païenne L'Art des Steppes Les Galeries·püotes

par Jean Selz par Marcel Marnat

par Michel Deguy par Samuel S. de Sacy

Alain Bosquet Eggers, Will, Joffroy

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Henri Hell Philippe Sollers Maurice Chavardès Guy Rohou

Stephen Schneck Dorothy Richardson

KerlJettmar

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'p ar par -par par

Le marquis de Bradomîn La guerre carliste Les Oranges du Maroc Les Mésaventures d'un Pornographe Le Concierge de Nuit Toits pointus

Râmon deI Velle-Inclàn Vassili Aksionov Hal Dresner

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Bannière de Bave Une voix de fin silence La Moison Verte L'Eblouissement

par Michel Foucault

par Jacques Fressard Par Erik Veaux par Marie·Claude

par Marcel Mamat par Jean-Jaeques Mayoux

par Jeen -Leuis Ferrier

P IIIO'OP.I

Heidegger Pierre Mesnard Descartes

Questions III Descartes Œuvres

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Robert K. Merton

Elé nfents de rri.ë t hode et de théorie sociologique

par François ' Bourricaud

Le monde du sorcier

par Rafael Pividal

La petite histoire n'est pas l'Histoire

par Claude Estier

Le mythe de l'espion

par Kostà Christitch

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J.-L. Talmon

Les origines de la -démocratie totalitaire

par Marc Ferro

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Raymond Bellour

Le Western

par Georges Pérec

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par Pierre Bourgeade

L'Est et l'Ouest cherchent un nouveau théâtre

par Simone Benmussa .

François Erval , Maurice Nadeau

Publicité générale : au journal.

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L'Est et l'Ouest cherchent . un nouveau théâtre

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

:

3 Roger Viollet 7 Coll . particulière 8 Ed . Robert Laffont 9 Mercure de France 11 Photo Lüfti Ozkok 12 Doc. Club des Libraires 13 Mercure de France 15 Roger Viollet 16 Ed. J .J. Pauvert 17 Galerie Claude Bernard 18 Coll . particulière 20 Roger Viollet 21 George Rodger, magnum 23 Marc Riboud , magnum 25 Roger Viollet 26 Inge Morath , magnum 29 . Photo Gisela Brandt

par Simone Benmussa .


LE LIVRE

DE LA QUINZAINE

Une histoire muerte Ernest Cassirer La Philosophie des Lumières Fayard éd . 352 p.

à travers Tacite et Shakespeare, imposaient aux Anglais une conscience historique; les universités allemandes, elles , fabriquaient une conscience morale. 1933 a marqué sans doute leur défaite irréparable. La Philosophie des Lumières prend maintenant figure d'ultime combat. De l'œuvre si importante de Cassirer (elle a joué un grand rôle non seulement dans la philosophie anglo -saxonne , mais dans la psychologie et l'ethnologie du langage) il était peut- être paradoxal de traduire d'abord une étude purement et simplement historique. Pourtant cette réflexion sur le XVIII e siècle n'est point mineure. Loin de là. Cassirer est « néo-kantien » , Ce qui est désigné par ce terme, c'est, plus qu'un « mouvement » ou une « école» philosophique, l'impossihilité où s'est trouvée la pensée occidentale de surmonter la coupure établie par Kant; le néokantisme (en ce . sens, nous sommes tous néo-kantiens), c'est I'injonction sans cesse répétée à raviver cette coupure, à la fois pour retrouver sa nécessité et pour en prendre toute la mesure . Si les grandes œuvres philosophiques de Cassirer (et surtout son Erkenntnisproblem) se logent bien dans la

Ce livre, qui a plus de trente ans, appartient à notre actualité ~ , Et d 'abord au système présent (solide, consistant, bien protégé) de nos petites ignorances françaises : aucune des grandes œuvres de Cassirer n'avait été traduite jusqu 'à présent. Qui dira jamais de quel. les puissantes défenses nous avons entouré, depuis le XIXe siècle, la « culture française » ? Les douces, les grandes figures familières où nous aimons nous reconnaître, nous soupçonnons à peine la foudre qu'elles écartaient. Ces héraults n'étaient peut-être que des .sen t inelles obstinées: les romantiques nous ont gardé de Holderlin, comme Valéry de Rilke ou de Trakl, Proust de Joyce, Saint-John Perse de Pound. L'effort de Maine de Biran fut salutaire contre Fichte; la chevauchée de l'évolution créatrice a conjuré la danse bondissante de Nietzsche , Sartre le tutélaire nous a bien protégés contre Heidegger. Voilà bientôt deux siècles que nous sommes en défense. Nous vivons au cœur d'un discours crénelé. Certains signes aujourd'hui prouvent que les choses, peut-être, sont en train de changer. Commençonsnous enfin à tourner nos propres défenses? Il fàut saluer l'excellente traduction, par Pierre Quillet, de cette Philosophie des Lumières (déjà classique, mais ailleurs); F. Furet et D ~ Richet .ont eu raison, mille fois, d'inaugurer par elle leur nouvelle collection l'Histoire sans frontières. Etrangement, la date de naissance de ce livre, au lieu de l'écarter de nous, l'en rapproche et le transforme en . singulier document. Au·dessous d'une voix grave, un peu solennelle, qui a la belle lenteur de l'érudition, il faut prêter l'oreille au bruit de fond qui l'accompagnait en désordre , contre Iequel elle tâchait de s'élever, mais qui a eu ' raison d'elle et l'a bien vite recouverte. Dans les derniers mois de 1932 , Cassirer, allemand de souche juive, universitaire et néo-kantien, publie sa Philosophie der Aufkliirung, quand les nazis piétinent aux portes de la .ch an cellerie. Quelques mois plus tard, lorsque Hitler est au pouvoir, Cassirer quitte l'Allemagne pour la Suède ; il laisse derrière lui, coriune un manifeste, ce -vaste ouvrage savant. Le XVIlI" siècle, à VertlGillu, Geste d érisoire que cette Aufkliirung objectée au ' national -socialisme . Moins qu'on ne croit ' ce- courbe d'un retour à Kant, sa pendant. Depuis le XIXe siècle" . Philosophie des Lumières leur rél'érudition allemande, le person- \ pond dans l'ordre de l'histoire nage allemand de l'universitaire, positive: quelles sont les fatalités ont exercé Ià-bas une fonction que de la réflexion et du savoir qui ont rendu possible Kant et nécesnous imaginons à peine . La France a eu ses instituteurs, l'Angleterre saire la constitution de la pensée ses public schools, l'Allemagne ses moderne? Interrogation redoublée universités; les instituteurs fransur elle-même : Kant s'était deçais fomentaient, dès l'alphabet et mandé comment la science était la table de multiplication, .u ne possible , Cassirer se demande comforce politique; les public schools, ment était possible ce kantisme

restée

auquel nous appartenons peut- être d'une civilisation ce que, dans encore . notre naïveté nous croyons valable pour un sujet singulier; un « sièL'énigme kantienne qu i, depuis près de 200 ans , a médusé la pen- cle » aurait , comme tout un chacun, des opinions , des connaissée occidentale , la rendant aveugle à sa propre modernit é, a soulevé sances, des désirs , des inquiétudes , des aspirations ; Paul Hazard, à dans notre mémoire deux grandes figures: comme si l'oubli de ce l'époque de Cassirer, décrivait la qui s'est passé , à la fin du XVIII e crise de la conscience européenne, siècle, lorsque le monde moderne Au même moment , les historiens est né , avait libéré une double nos- marxistes rapportaient les ph énotalgie : celle de l'âge grec auquel mènes culturels à des sujets col nous demandons d 'élucider notre lectifs qui en étaient les auteurs rapport à l'être et celle du XVIII e ou les responsables historiques . siècle auquel nous demandons de Cassirer , en revanche, procède seremettre en question les formes et Ion une sor te d' « abstraction fon les limites de notre savoir. A la datrice » : d'un côté , il efface les dynastie hellénique, qui s'étend de motivation s individuelles, les acciH ôlderlin à Heidegger , s'oppose la dents biographiques et toutes les dynastie des modernes Aufklarer figures contingentes qui peuplent qui irait de Marx à Levi -Strauss. une époque; de l'autre, il écarte La « monstruosité » de Nietzsche ou du moins laisse en suspens les est peut- être d'appartenir aux deux. déterminations économiques ou Etre grec ou Aufklarer , du côté sociales, Et ce qui se déploie alors de la tragédie ou de l'encyclopédie, devant lui, c'est toute une nappe du côté du poème ou de la langue indissociable de discours et de bien faite , du côté du matin de pensée , de concepts et de mots, l'être ou du midi de la représend'énoncés et d'affirmations qu'il tation, c'est là le dilemme auquel entreprend d'analyser dans sa la pensée moderne -celle qui configuration propre. Cet univers nous domine encore mais que nous autonome du « discours-pensée », sentons déjà vaciller sous nos pieds . Cassirer s'efforce d'en retrouver les - n'a jamais pu échapper encore. nécessités intrinsèques ; il laisse Ia Cassirer est du côté des « Lu- pensée penser toute seule, mais mières» et , mieux que personne , pour mieux en suivre les nervures et faire apparaître les embranche ments, les divisions, les croisements, les contradictions qui en dessinent les figures visibles. Il isole de toutes les autres histoires (celle des individus, comme celle des sociétés) l'espace autonome du « théorique » : et sous ses yeux se découvre une histoire jusque là restée muette.

il a su rendre manifeste le sens du retour au XVIII e siècle. Grâce , avant tout, à une méthode d'analyse dont le modèle, pour nous , n 'a pas encore perdu sa valeur . Nous autres Français, nous ne nous sommes pas encore débarrassés des prestiges de la psychologie; une culture, une pensée, c'est toujours pour nous , la métaphore d'un inil nous suffit de trans dividu: poser à l'échelle d'une époque ou

Ce découpage paradoxal, cette abstraction qui rompt les parentés les plus familières n'est Plls sans rappeler les gestes iconoclastes, par lesquels se sont toujours fondées les grandes disciplines : l'économie politique, lorsqu'elle a isolé la production de tout le domaine concret des richesses, la 'Iingu istique, lorsqu 'elle a isolé le système de la langue de tous les actes concrets de la parole. Il serai t grand temps de s'apercevoir une bonne fois que les catégories du « concret », du « vécu », de la « totalité» appartiennent au royaume du vnon-savoir. En tous cas, au moment où il entreprend, à propos du XVIII< siècle, l'histoire du « théorique », Cassirer découvre comme objet de son enquête , cette unité profonde de la pensée et du discours dont il cherchait , dans sa philosophie, les fondements et les formes: le Problème de la connaissance et la Philosophie des formes symboliques montrent justement que la .pensée et le discours ou. plutôt leur indissociable unité, loin d'offrir la pure et simple manifestation de ce que nous savons, constitue le lieu d'où peut naître toute connaissance. En étudiant les textes du XVIIIe siècle, Cassirer saisissait , sous l'une de ses formes historiques , l'organisation de ce « dis-

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ROMANS ~

Une histoire restée muette

cours-pensée » qui caractérise une culture en définissant les formes de son savoir. A cette entreprise , on pourrait faire certains reproches : celui, surtout, d'être resté comme en retrait des possihilités découvertes. Cassirer (et en ceci, il demeure obscurément fidèle aux analyses de Dilthey) accorde à la philosophie et à la réflexion une primauté qu'il ne remet pas en question: comme si la pensée d'une époque avait son lieu d'élection dans des formes re doublées, dans une théorie du monde plus que dans une science positive , dans l'esthétique plus que dans l'œuvre d'art, dans une philosophie plus que dans une institution. Sans doute faudra-t-il - ce sera notre tâche nous libérer de ces limites qui rappellent encore fâcheusement les traditionnelles histo ires des idées; il faudra Savoir reconna ître la pensée en sa contrainte anonyme , la traquer dans toutes les choses ou gestes muets qui lui donnent une figure positive , la laisser se déployer dans cette dimens ion du « on», où chaque individu, chaque discours ne forme rien de plus que l'épisode d'une réflex ion. Une chose en tous cas est certaine: en appliquant, même d'une façon incomplète cette méthode au XVIII e siècle , Cassirer a fait une œuvre historique originale: il a convoqué toutes les grandes formes de l'Aufkliitung sans se lim iter , comme il est de tradition , aux domaines français et anglais; il n'a pas joué à juxtaposer les traces des mensualités disparues et les signes annonciateurs de l'avenir . Il restitue la nécessité simultanée et générale de tout ce qui a été contemporain: l'athéisme et le déisme du XVIII e siècle, son matérialisme et sa métaphysique, sa conception de la morale et de la beauté, ses théories multiples de la morale et de l'Etat, il montre à quelle cohérence ils appartiennent tous. Sa prodigieuse érudition parcourt dans toute sa largeur l'espace théorique où les penseurs du XVIIIe siècle trouvaient nécessairement le lieu de leur cohabitation. Au moment où le nationalisme allemand revendiquait pour soi la douteuse tradition d'une pensée ou d'une culture spécifiquement germanique , Cassirer découvre la force calme , irrésistible, enveloppante , des uni vers théoriques. Audessus de ses grandes contraintes qui relèvent indissociablement de l'histoire et de la pensée , les tra dit ions nationales, les conflits d 'in fluence , les grandes individualités elles- mêmes ne sont que de frêles figures, des scintillements de surface . Ce livre, que Cassirer abandonnait derrière lui aux nazis , fondait la possibilité d 'une nouvelle histoire de la pensée . Il était indispensable de la faire connaître, car c'est de là maintenant que nous autres, nous devons partir. - Mich81 Foucault

~

FRANÇAIS

Une histoire restée muette

Un homme, UD style

Marcel Moreau Bannière de bave Gallimard , éd. 320 p.

On sort fourbu, courbatu , exaspéré de la lecture de Bannière de bave, second livre de l'auteur de Quintes qui f it connaître en 1963 le nom de Marcel Moreau . Oui - exaspéré , courbatu, fourbu. .. Les y eux papillotants, l'esprit embrumé , les nerfs à fleur de peau . Il y a de quoi : trois cent dix grandes pages serrées d 'un délire verbal torrentiel , et ininterrompu ... si ce n 'est, en son milieu , par trois pages blanches. Trois pages conservée s vierges , écrit l'auteur , dans le dessein (humanitaire) de permettre au lecteur de se délasser quelque peu avant d'aborder la seconde partie. Pages non écrites afin de l'induire en somnolence. Pages analgésiques . A vrai dire, ce n 'est pas sans effort ni même sans ennui que le lecteur sui t les aventures de Mathias Clou le héros de Bannière de bave . Aventures , héros ? C'est beaucoup dire. Bannière de have n 'est pas un roman au sens tr.aditionnel du terme (narration logique , intrigue cohérente , personnages vivants, etc.) et Mathias Clou n 'est pas un héros, pas même un personnage. Il n'existe pas. C'est un ectoplasme, le double de l'auteur, son délégué à la parole - tantôt à la troisième personne, tantôt à la première. A la vérité, Mathias Clou est une invention du narrateur , lequel écrit un roman, dont Mathias Clou est le persannage principal, lequel écrit lui aussi. Semble -t-il.: car la clarté, pas plus que la logique , n'est l'apanage de Marcel Moreau. Peu importe, d'ailleurs. le veux dire que seul compte avec ses hauts et ses bas (lesquels s'équilibrent) , le délire verbal de l'écrivain. Lui seul donne une existence illusoire à des personnages que l'auteur anime comme des marionnettes - et qui n 'ont pas plus de réalité . Un théâtre d 'om bre, tel est Banniè re de bave . Il faut le dire : on ne s'intéresse pas aux ombres qui le han tent que ce soit Clou , ce forcené, ou les femmes qu 'ü rencontre, Berthe sa bienfaitrice , ou d'autres avec qui il fait l'amour, ou encore son voisin M. Varisse , qu 'il finira pas tuer parce _qu'il

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ne peut pas supporter le bruit qu'il fait. Alors, dira-t-on, qu'est. ce qui rend la lecture de Bannière de bave si fascinante par moments ? Pourquoi, aussi tenté qu 'il soit d'abandonner en cours de route l'odyssée de Mathias Clou, le lecteur , bon gré mal gré, va-t-il jusqu 'aux ultimes pages qui décri vent la mort dans un supplice peu ragoûtant du dit Mathias . C'est que Marcel Moreau est un véritable écrivain , qui a quelque chose à dire et qui

Marcel Moreau

le dit d'une façon qui ne doit rien à personne . Un homme, une voix, un style - voüà ce qu'on trouve dans Bannière de have . Ce n 'est pas rien. Ce qui fait la supériorité des frénétiques sur les autres, c'est que leur esprit ne débande ja- _ mais, écrit audacieusement Marcel Moreau. Son livre est le livre d'un frénétique qui ne hait rien tant que la mesure , l'équüibre, tout ce qui est modéré, normal ou dit tel. Hors de l'ivresse, tu n'es rien dit Mathias - Clou. L'ivresse, la démesure, l'illimité , l'intempérance, voilà Son climqt, celui dans lequel il s'épanouit. Pour lui la culture, c'est de re- pérer dans le meilleur d'une civilisation, la source originelle de l'intempérance , non seulement de la repérer , mais de la capter infatigablement , avec ce qu 'un tel geste implique de brûlures , de frissons et de convulsions ; c'est un acte excessif. De la pre- mière à la dernière page, marqué de brûlures , secoué de frissons et de convulsions , Bannière de bave est un acte excessif . Acte de protestation, de refus énergique du monde tel qu 'il est, de la civilisation qui sert de carcan à l'homme moderne. Je sortirai

VOlX,

de l'ordinaire, de l'humain par tous les moyens , dit Mathias Clou. Je ne suis _pas un être d 'amour. Il dira encore; je sens bien que ma conception n'en rejoint nulle autre, la mienne est cruelle et sans merci et ne connaît pas l'amour . L'uni vers de Mathias Clou (celu i de l'auteur donc) est un uni vers de violence et de dérision, où la sexualité , le crime et la haine règnent en maîtres . Et l'injustice , et le mal et la solitude. Dans cet univers voué à l'abjection , l'homme se dresse magnifiquement solitaire jusqu 'à l'heure de sa mort , comme exclu du monde ; et sans aucune com munication réelle avec autrui . Le plus grand livre , c'est 'celu i que personne ne parviendrait à lire dans l'autobus, du moins, enfin vous comprenez , le livre qui témoignerait de l'incommunicabilité. Cette « incommunicabilit é », Bannière de bave en porte témoignage avec un lyrisme qui paradoxalement rétablit la seule vraie communication, du moins pour un écrivain : celle de la parole. Provocant , blasphémato ire, plein de bruit et de fureur, ce livre qui n 'est ni essai, ni roman , ni journal (mais tout cela à la fois) trouve sa forme dans les excès mêmes de son langage. Qu'il y ait bien d. fatras , des préciosités , des boursouflures et une rhétorique trop sQ.uvent creusè, cela est certain. Mais en dépit de ' ses outrances, il faut reconnaître à Marcel Moreau une imagination créatrice, une puissance visionnaire et lyrique peu communes. Et quelle profu sion d'images, surprenantes -et admirables ! Ce sont elles qui portent le lecteur de page en page comme -. elles donnent du souffle à l'écrivain. On a dit que Quintes révélait un écrivain dans la suite de Léon Bloy et d'Henry Miller. C'est exact, et certaines de ses visions 'évoquent [erome Bosch et plus près de _nous un peintre tel que James Ensor. Il faut lire cette prose souvent délirante, comme on lit les poèmes des poètes « - beatnicks » américains , C'est le même mécanisme verbal que met en branle un cri de révolte , rauque et forcené, venu du plus profond de l'être. Henri Hell


Le fond des livres Roger Laporte Une V oix de fin silence Gallimard, éd . 192 p .

Ce monde ne gravite pas autour de ceux qui inventent de nouveaux fracas mais autour de ceux qui inventent des valeurs nouvelles; il gravite en silence. . Nietzsche

Il faudra bien qu'un jour la conscience de notre époque en pren· ne . son parti: une expérience discrète, insistante, est à l'œuvre dans la littérature d'aujourd'hui, un mouvement de retrait, un renversement dont les symptômes s'affirment de jour en jour et donnent lieu, comme il se doit, à des interprétations hâtives, irritées, ironiques, soucieuses. Loin de la foire d'exposition du roman traditionnel ou nouveau; loin des romantismes et des lyrismes à la mode; loin de la confusion de plus en plus tranquillement réactionnaire de « l'édition» (où l'on peut voir annoncer, sans rire, qu'un commerçant déhutant , largement financé par un groupe néo-capitaliste, publiera bientôt côte à côte une « Mort et transfiguration de Céline» .- sic - et une « Vie de Lénine ») ; loin des accumulations pseudo-culturelles d'une société avide de sa propre décomposition, quelque chose a bougé au fond des lignes de certains livres, quelque chose fait signe dont nous ne devons pas feindre de connaître le nom. Ici, plus de représentation, de spectacle ; plus de ce théâtre habituel qui consiste à faire croire au lecteur qu'il assiste à une mise en scène imaginaire et révélatrice du monde où il vit. C'est peu dire du personnage qu'il a disparu : il n'a jamais été là, on s'en rend de mieux en mieux compte, et rien de ce qui assurait sa cohérence fictive n'a jamais non plus existé. C'est peu dire que, dans ces livres, l'histoire manque : il n'est pas en eux d'autre histoire

que celle de ce manque fondamental. C'est peu dire , enfin , que les auteurs de ces livres n 'ont rien à dire : il semblerait plutôt qu'ils ont tout à ne pas dire , avec une obstination et une passion qui échappent nécessairement à ceux pour qui les grands mots tiennent lieu de discours. La résistance vis-àvis des textes dont nous parlons (et dont on peut supposer qu'ils ont eu pour précurseurs Madame Edwarda ou l'Impossible de Georges Bataille, Le dernier homme ou l'Attente l'Oubli de Maurice Blanchot), cette résistance est la peur d'un certain genre de silence, le geste de dérobade de l'humanisme classique fondé sur la conversation, la propriété , le nom du père, la servilité sociale, la participation économique à une communauté bavarde. C'est la crainte que le miroir où cet humanismese regarde parler soit enfin brisé . Un autre type de communauté est en effet visé par l'écriture dont nous voyons venir vers nous le travail muet. Les membres de cet ensemble pourraient indifféremment se connaître ou se méconnaître, se rencontrer, s'ignorer ou se contester: la réciprocité, entre , eux, n'a pas cours, pour la simple raison qu'ils ne se prennent pas pour les auteurs d'une « œuvre» mais plutôt comme les opérateurs d'une révolution dont ce monde lui-même ferait partie. Cela signifie d'abord qu 'ils se considèrent comme livrés à l'expérience de l'inconnu, que leur vie et leur corps, par une sorte d'écart imprévisible venu les saisir au cœur anonyme du groupe social, se sont remplis d'une nuit soudaine où la clarté raisonnable s'éteint , non pas - et là est le paradoxe - au nom d'une déraison visible, mais d'une autre clarté réservée: Je devais simplement , écrit Roger Laporte, me tenir dans la proximité nue de ce qui avait lieu. Au commencement, donc, il y a la proximité impossible de cette clarté liée au désir et à l'obstacle

de l'écriture. Il s'agit d 'un « malheur », dit Laporte, d'un exil , d'une distance sans nom. Mais aussi d'un appel , d'une joie, d 'une fête: l'ambiguïté même. Le désœuvrement qui s'annonce ici n'est pas une simple absence d'œuvre: c'est une attente à vrai dire coupable aux yeux de la morale productrice, une volonté de différer la signifi cation et de se placer sur l'axe où viendraient se dissoudre à la fois les phrases et le monde. Cette at tente, cette volonté qui sont en général passées sous silence - puisque la convention de notre culture consiste ,à ne jamais tenir compte que de la personne de l'écrivain ou de son produit (l'œuvre) -, voici qu'elles prennent maintenant toute la place au grand scandale , sans doute, des directeurs de chantier que sont en général les critiques littéraires. De quel droit ce refus de participer à la fiction commune? N'y a-t-il pas là (cliché inévitable) un véritable constat d'impuissance? Ne doutons pas que le livre de Roger Laporte tombe volontairement et même joyeusement sous ces condamnations on ne peut plus justifiees. Pour l'absence de pensée, pour la raison qui ne cherche qu'à avoir raison, l'exercice de la pensée est toujours , étrangement, une preuve de stérilité. « Pas de chair , pas de sang » : ainsi parlent, à longueur de temps, ceux dont l'idéologie consiste par ailleurs à réprimer sans appel la chair et le sang. « Abstrait , intellectuel, sans âme» : ainsi n'en finissent pas de parler les belles âmes qui n'ont jamais su ce qu'était le sang d'un problème abstrait. Le battement insaisissable de la pensée, ses oscillations immobiles, voilà ce que nous propose d'écouter Une voix de fin silence. A ceux qui croient pouvoir faire de la pensée une chose parmi d'autres, il faudra toujours opposer cette phrase de Georges Bataille, l'une des plus insolentes qui aient jamais été prononcées : Je pense comme une fille enlève sa robe. Même si le livre de

Roger Laporte laisse transparaître une tentation essentialiste (il y a des majuscules; il est questio n de pureté , de pudeur, de juvénilité ; on pressent une fascination expressive de « l'Etre» avec laquelle il faut malgré tout marquer des, distances), cette superficie apparem· ment naïve du texte renvoie à un acte qui met en cause toute épi . thète qualitative , à cette écriture en cours (dont le piège est justement la parole ou le silence), à ce tracé qui passe par nous - et dont le « je » vide qui est chacun d'entre nous - pourrait noter: J'étais le lieu d'un travail douteux et même hagard. La nudité inaccessible est ce que nous som mes contraints de désirer sans relâche, et la pensée ne saurait être jamais assez nue, jamais assez en proie à son propre désir. En écrivant sur le désir et l'impossibilité d'écrire - ce qui n'a rien à voir avec les problèmes de la création littéraire - Roger Laporte (c'est-à-dire, ici, personne en particulier) nous place sur la voie négative de cette lutte de la pensée , au moment où celle-ci croit encore entendre une voix sans mots, un silence parlant qui serait 'comm e l'horizon de tous les mots, avant ce renversement qui rend peut-être à l'aventure sa dimension matérielle meurtrière. Instant nul, constamment répété et ouvert, où se dévoile le champ de l'expérience qu'on ne peut plus appeler intérieure puis. que « l'intériorité » est alors rendue à un dehors inconnu. Instant que notre culture s'emploie à cacher et à travestir du nom galvaudé de « mystique», la preuve en étant l'étonnante parenté entre ce texte d'aujourd'hui et celui-ci, écrit il y a sept siècles, par un autre solitaire négligé par l 'histoire officielle : Je désire écrire et je ne peux pas le faire, je ne désire pas écrire et je ne peux pas entièrement refuser de le faire ; alors j'écris et je m'arrête, et j'y fais allusion dans des passages postérieurs, voilà mon procédé.

Philippe Sollers

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MARIE-CLAIRE YVESBUIN BLAIS

KLEBER HAEBENS

PIERRE-JEAN LAUNAY

Une saison dans la vie d'Emmanuel

L'été finit sous les tilleuls

Aux portes de Trézène

Les environs de minuit

FRANÇOISE &ISELE MALLET -JORIS PRASSINOS Les signes et les prodiges

Le grand repas

CHRISTIANE FRANÇOIS . ROCHEFORT NOURISSIER Une rose pour Morrison

Une histoire française

Le fond des livres


Le ralenti

Quatre nouvelles

Camille Bourniquel

La Maison Verte Le Seuil, éd . 224 p. Ces quatre nouvelles, à peu près égales en longueur, sont düférentes d 'inspiration. Délaissant la fresque large, minutieuse et un peu huilée du Lac, Camille Bourniquel s'est ici frayé un chemin à travers des destinées insolites dont il ne semble pas avoir voulu épuiser les complexités : ni le vieux garçon de la nouvelle qui a donné son titre au recueil , ni la jeune Italienne de l'Ingénue de Pignerol , ni le soldat d'Ils connaîtront les oasis, ni les deux garçons du Quai des Anges n'apparaissent dans le plein jour d'une peinture exhaustive . A dessein, et vraisemblablement pour préserver jusqu 'au bout la part la plus émouvante de leur secret , l'auteur n'éclaire qu 'un moment de ses personnages. De quel poids pèse le passé du conseiller Mobbe, on le devine à l'obsession dont il est victime, mais on ne saura jamais quel fut exactement ce passé. L'épouvantable cabot qui provoque sa rupture avec Lola et qui, disparu , le laisse comme orphelin (de subtiles correspondances reliant le chien au père défunt) occupe plus de place que les souvenirs, tandis que l'attitude de l'homme devant l'animal s'estompe fréquemment derrière les images désuètes d'une capitale étrangère aux perspectives figées, et parfois hostiles, qui ne sont pas sans rappeler celle de l'Année dernière à Marienbad. Le parallèle entre Alain Robbe-Grillet . et Camille Bourniquel ne va pas plus loin, le géomètre chez le second cédant le pas au psychologue dès qu'il s'agit des personnages.

Porta et oasis En conférant aux lieux une emprise presque souveraine sur les êtres, Camille Bourniquel agit en poète. Qu 'il s'agisse d'une ville de la province française, d'une base d'aviation en Afrique ou des quais de la Seine, la description part du détail pour aboutir peu à peu à une atmosphère celle d'un monde acerbe et compassé dans l'Ingénue, celle du désert africain ou des quartiers portuaires de Paris dans l'avant-dernier et le dernier récit. Audelà de leur réalité quotidienne parfois évoquée à l'aide de mots rudes et familiers - ces cadres de l'action lui servent tantôt de support , tantôt de repoussoir. C'est ainsi que l'agitation et la fièvre de d'Ils connaîtront les l'escadrille oasis rend plus olympiennes l'innocence et la taciturnité du soldat Ricin - archange distrait et héros malgré lui cependant que la constance de la canicule qui embrase l'air et la terre autour de la base s'harmonise avec l'équanimité

Quatre nouvelles

et l'imperturbable fraîcheur de celui que l'on a, pour cela, surnommé Ricin -des-Neiges . La guerre , ou plutôt l'occupation allemande , forme la toile de fond de la rencontre , près de la Seine , des deux jeunes gens qu 'une situation irrégulière unit quelques heures , mais que leur passé, leur éducation et leur caractère éloignent l'un de l'autre. Si, avant d 'être deux loups lâchés dans les parages, tous deux avaient été, cinq ans, quatre ans plus tôt, des enfants bousculés par' la guerre , l'exode, réveillés la nuit par des sirènes , habitués à voir défiler des convois , les yeux remplis , les oreilles pleines de spectacles cruels et d 'imprécations, s'ils ont l'un et l'autre appris à conjurer les menaces en imaginant des itinéraires , des sorties, des rencontres, des dialogues au fond de la nuit , Merlin le huppé et Gélinot le demi-clochard demeurent séparés par un abîme. Classes sociales , düférences d 'éducation , mais aussi différences d 'âme opposent plusieurs des héros de Camille Bourniquel. Ce n'est nulle part aussi lourd de conséquences , ni aussi drôle , que dans l'Ingénue de Pignerol , satire des milieux mondains et de la magistrature dédiée avec humour à Casamayor. Se peut-il qu'il y ait autant de prétention niaise dans les salons de province dont la faune semble s'être figée au niveau mental de l'Ancien Régime ? Indubitablement , la sottise est ce qui donne , parfois , la moins imparfaite idée de l' infini : savoir voler au-devant de ses défaites, . pour cette faune , c'est toute la leçon qu 'elle a tiré des révolutions ... Un magisœat épouse une étrangère de trente aQ.8 plus jeune que lui. Il la cache à la société; il n'en parle à personne. "On suppute le pire. Alors qu'il ne s'agit que du sentiment le plus naturel, le plus banal : celui du bonheur et de 'sa sauvegarde . Les mondaines s'émeuvent , s'excitent , entrent en conjuration.

Le cœur de Clotilde

Leur but est d'amener la jeune épouse à perdre la face , par quelque impair ou pataquès que toute la ville connaîtra sur l'heure. Elles y réussissent si bien , et si vite , que , d'émotion, le cœur de Clotilde cesse de battre ... Tout le récit est tissé d'humour léger et de mordant. La multiplicité des personnages , la variétés des situations et la richesse du contexte font rêver au roman que Camille Bourniquel aurait pu écrire à la place de cette nouvelle , la meilleure des quat re , à mon sens. Mais toutes , en dépit de quelques len teurs, confirment l'habileté d'écriture , la sensibilité discrète et la souriante pudeur du romancier du Lac. Maurice Chavardès

Jacques Cousseau L 'Eblouissement Gallimard éd. 115 p . Un homme à l'instant de rentrer chez soi dévie une seconde de son itinéra ire quotidien , pénètre dans un café et , comme secrètement illuminé par ce premier trait de révolte contre l'habitude , diffère d'aller chercher sa femme. Ce n'est qu'un accroc infime donné au

Jacque s Cousseau

tissu secret de ses jours , mais par cette fissure anodine et qui pour rait être si vite réparée que ne court-il un peu plus vite vers le garage , vers Julie , vers le repas avec ses am is? c'est toute sa vie que l'homme va perdre , ou trouver. La suite est à la fois singulière et nécessaire: voyageur sans bagages, à quelques mètres de sa propre maison où sa femme et ses amis dînent sans lui , l'homme prend une chambre dans un hôtel qu 'il abandonne au milieu de la nuit , puis il aide un étranger à porter une valise pesante avant d 'aller flâner près du port où il était em ployé . Il mange quelques mandarines sur un banc, marche encore , puis, au terme d'une errance secrètement orientée, se glisse dans sa maison à l'insu de sa femme et s'y trouve enfermé par elle dans un placard de leur chambre. Il bouge , éternue , Julie prend peur , sort en hâte chercher de l' aide pendant que l'homme fait sauter les portes et fuit dans le jardin . Là , dans la nu it et le tumulte , il meurt d'une balle , étranger soudain reconnu et à jamais solitaire. Comme il nous est amical cet homme qui marche, se cogne à ses semblables, s'éveille sans colère auprès d'un étranger et s'endort sans inquiétude dans le fond de sa voiture pendant que sa femme le cherche à la mo rgue! Il promène l'indifférence un peu lasse de Monsieur Plume qui a pris son parti , une bonne fois, de l'incohérence et de la malignité du monde ! Le voici sur la rive , traqué mais invisible , disponible mais déjà détaché , « unconcerned », et pour décrire son

pathétique et merveilleux détachement, Jacques Cousseau n'use pas d'une plume très différente de celle de Michaux évoquant son malheu reux héros à l'instant de s'endormir près du corps de sa femme coupée en morceaux par le train : Demain matin de bonne heure ..., murmu · re-t-il. dans un bâillement. Mort e de fatigue comme elle est, je n'ai pas le droit de la réveiller. Et il s'endort aussitôt (p . 71). Requis par cette attitude a-sociale d'un homme vivant à contre-courant, le lecteur s'interroge-t-il longuement sur le titre de l'ouvrage ? Pourra-t-il voir en cette révélation lumineuse autre chose que la merveilleuse disponibilité donnée à l'homme par cette porte ouverte sur la liberté? A l'instant où il cesse de vivre selon les usages du monde, il ne découvre pas seulement ce qu'a pu être rétrospective ment un bonheur qu'il n'avait pas reconnu, mais cette manière d'innocence retrouvée s'accompagne d'une mise en accusation implicite du monde où l'on retrouve fugitivement l'attitude du juge-pénitent de Quand on n 'appartient Camus: plus à la société, on a cette chance de ne plus être jugé (p . 99). Les écailles tombées de ses yeux , l'homme découvre que la médiocrité et la veulerie du monde sont à pleurer. Sa grâce, en ces quelques heures d'absolue vacance , sera de reconnaître que les valeurs sociales disparaissent dès qu'on a transgressé ce premier commandement : tu retourneras chez toi pour retrouver ta femme . Il n 'est plus alors que de vivre au ralenti, de suppute r, de rêver , de former des image s. d 'ébaucher des gestes pui s de les différer ou de les ajourner gestes mal accordés comme d'un homme essayant de marcher dans l'eau . Démystifié , ce monde sans dieux devient un monde sans néce ssité. L'h omme marche, court , s'arrête , retourne enfin vers son lit , son nid originel , pour y faire la perle , comme la Ralentie . Mais c'est pour y découvrir que ce monde n'est pas sans lois et qu'un homme considéré comme mort par ses semblables n'est déjà plus qu 'un sursitaire de la vie et qu'il ne lui reste plus, vraiment , qu 'à mourir. La sûreté d'écriture de l'auteur , sa concision. l'obstination avec laquelle il mène son personnage , en une initiation fulgurante , de l'aliénation à la liberté , c'est-il-dire de la fau sse vie sociale à la mort rédemptric e font de ce livre un récit exemplaire où se retrouv e la fatalité de la tragédie grecque , les violences de la pass ion amoureuse ayant fait place à la simple transgression d 'une habi tude. C'est une même crise , qui noue le destin d'un homme et décide de sa mort. Et la même morale au ser vice du même ordre: il est juste que la société protège qui habite sous les drapeaux de la loi, de l'habitude , de l'acquiescement et non moins juste qu'elle fasse mourir qui a découvert la vie véritable - l'éblouissement. Guy Rohou

Le ralenti


LITTÉRATURE

ÉTRANGÈRE

De Phumoun à l'épopée Ramôn del Valle-Incl àn Le marquis de Bradom în , sui vi de Lumières de bohême et du Retable de l'avarice , de la luxure et de la mort tr adui t de l'espagnol Gallimard éd. , 275 p .

La guerre carliste traduit de l'espagnol Gallimard éd., 318 p. L' ac tu ell e situation des lett res espagnole s en France n e va pas sans quelque parado xe . Alors que les nouveaux ven us, de Camilo José Cela à Goytisolo , paraissent r éguli èrem en t à l' étal age du libra ire , leurs prédécesseurs immédiats , mieux confirmés pa r . le temps , en sont encore à tra verser le purga toire de l 'édition hésitante . L'exception glorieuse de Lorca, auréolée du sang de la guerre civile, ne fait ici que confirmer la règle . Rafael Alberti aura attendu ses soixante-cinq ans pour entrer dans la collection Poètes d'aujourd 'hui 1, où lIOIl. ami grenadin figure depuis le numéro sept, et leurs compagnons de l 'en tre deux guerre.s, un Jorge GunIén, . Un Vicente Aleixandre , restent toujours sous le boisseau . fi est vrai que ·la poésie se vend bien mal de nos · jours, et que ces années-là furent surtout fertiles outre monts en poètes ; mais coma ment justifier l 'ignorance où nous demeurons des meilleurs écrivains de la _génération antérieure, celle de 1898 (ne chicanons pas sur le terme , puisqu'aussi bien il vaut ce que val en t tou tes les étiquettes , simples . commodités de langage) , leeqUels ont forgé véritablement l'Espagne modeme, sur le plan in tellectuel et littéraire? _Unamuno n'est à Paris qu'un nom , Un jalon parmi d'autres dans l'histoire des précurseurs de l'exis tentialisme, grâce au Sentiment tragique de la vie, qui ne constitue pas, il s'en faut de beaucoup , son meilleur livre . Pio Baroja , dont il fut un moment question pour le prix Nobel, avec près d'une centaine d 'ouvrages dans la lignée de Gorki et de Knut Hamsun et des romans maritimes aussi beaux que du Stevenson, n 'a jamais pu , mal . gré les efforts de l'infatigable Geor · ges Pillement , reten ir-l'attention de nos critiques ni de notre public . Azorin, créateur avant la lettre de la vision « objectale » , est absolument , scandaleusement inconnu . Quant à Valle-Inclàn , il commence tout juste , en ce centenaire de sa naissance, à émerger des limbes , du circuit obscur des collections de seconde zone et des revues à maigre tirage. Presque coup sur coup deux volumes importants sont pu · bliés, qui devraient permettre une première approche de son œuvre si diverse , et lui valoir enfin les lecteurs qu'elle mérite . Le succès cependant n 'apparaît rien moins qu'assuré, si l'on se souvient du double fiasco subi par notre auteur à la scène , voici trois ans , au TNP comme à I'Odéonê.

Reste , bien entendu, que la page imprimée n'est pas soumise aux aléas de l'interprétation ni d 'un décor ou de costumes plus ou moins heureux, et qu'elle invite à prendre un certain recul avant de fixer son jugement. Le premier recueil qu 'on nous propose ne semble pas fait, malgré tout , pour diss iper d éfinitivement les équi voques. On y a regroupé de façon , fort arbitraire , des pièces écrites à plus de vingt ans de distance, que tout sépare ou oppose , et les thème s et le style . S'ag issait-il d 'offrir un échantillonnage de la vari été du dramarturge ? Il est alors incomplet, et se res sent de l' abse n ce d 'une préface substan tielle qui eût pu guider l'amateur non averti. Mais qui nous fera croire , au surplus, que Valle-Inclan ne mérite pas , tout autant qu 'un Ghelderode , de voir l'essentiel de son théâtre publié chez nous en quatre ou cinq volumes, selon l'or -

Ra11Wn de! VaUe-Inclàn

dre chronologique ? L'essentiel de son œuvre même , devrions- nous dire , car ici tout se tient, le poète, le romancier et l'auteur dramatique , qui s'imbriquent étroitement et s'éclairent entre eux . Dans chacun de ces trois . domaines , l'écrivain travaille en peintre , partant de la forme et de la couleur, se plaisant à transposer un « motif » ou un « effet» d 'un genre dans un autre , a projeter une tonalité nouvelle sur un sujet familier , passant en quel. que sorte par des « périodes » diff érentes , contradictoires semble-t-il parfois , mais comme reliées par un principe sous-jacent, et qui ne pren· nent toute leur valeur qu 'à travers leur juxtaposition et les concordances intimes qu'un œil exercé y décèle . .

• nore

Le marquis de Bradomin , su r cet autre retour aux source s que quoi s'ouvre ce volu m e, date de constituent les chansons insérée s dans l'action , à la façon d 'un Lope 1906. Nous sommes à l' époqu e où Valle-Inclàn fait figure de chef de . de Vega. Mais nou s sommes ici en Galice , l'humide et ver doyan t nord file du « modernisme », la ver sion hispanique de notre école symbo - ouest celt ique de la péninsule , à l'extrême oppo sé de cett e An dalou liste , acclimatée en Espagne par Rubén Darioê, con sul du Nicara - sie bro yée par le soleil , que , depu is gua , .m ais Par isien d 'adoption et Mérimée et Bizet , l'o n identif ie disciple enthous ia ste de Verlain e. immanquablement chez nou s, su r La vieille langue littéraire « cas- les plan ches , à l'image même de tiza », néo-classique et sur chargé e l'E spagne . En outre, Valle -Inclàn reste le plus sou ven t en deçà de la d 'idiotismes, tombe en ruines pour laisser place à des éléments neuf s : puissante cohésion dramatique atmusicalité , sen sualité, corre spon - · teint e plu s tard par le poète fusillé . L'int rigue s' ép ar pill e en tableau x dance s, technique im p révu e de l 'adjectivation et de l'harmonie. De traité s pour eux- même s, ses re scette transformation profonde de sorts immédiats manquent de forc e la prose espagnole, Valle -Inclàn est et d 'un ité . Il parvi endra cependant le meilleur représentant , avec ses su r ce chemin , dan s une tonalité quatre Sonates qui l'ont rendu c é- déjà différente , il est vr ai, où I'enlèbre : quatre longue s nouvelle s ad- trechoquement brutal de la cruauté , mirablement ciselées , liées au cours de la misère et de l'érotisme annonce les dissonances de la p édes saisons et aux âges de la vie, riode « espérpéntica » , à donner où il recrée sur le mode ironique et un authentique chef-d'œuvre, avec pseudo-autobiographique le mythe de Don Juan , un Don Juan « dé- Divines paroles s, en 1920. L' « esperpento », la farce- époucadent », saturé de culture et de réminiscences, laid , catholique et van ta il pourrait-on dire , représente sentimental, qui aurait beaucoup lu à la fois un gen re théâtral in édi t créé par l' au teu r, d'un comique sara Barbey d 'Aurevilly , Chateaubriand et Casanova de Seingalt. Or la · castique et violemm en t accusé, et pièce de 1906, sous-titrée Colloques une esthétique nouvelle fondée sur un renversement 'de perspective , où romantiques, provient directe ment de la Sonate d'automne publiée la tragédie se dépouille de son masquatre ans plus tôt, et ne saurait . que noble pour revêtir les oripeaux du dérisoire . Ce bouleversement prendre de sens véritable que pour qui conna ît cette dernière , dont · s'apparente aussi à une crise moraie; il exprime une protestation nous ne possédons malheureusegrimaçante et désespérée face à la ment pas de traduction . satisfairéalité espagnole contemporaine, sante"; en sorte que , réduit à lui seul. Le marquis de Bradom in ris- ressentie comme une absurdité inque fort de ne sembler qu 'une ba - tolérable mais sans issue. Le Max nale « hispanisation » de d 'AnEstrella de Lumières de bohême nunzio et Maeterlinck, si propre à ( 1924 ), première cristallisation de décourager le lecteur d'entrée de cette optique impré vue, nous fourjeu. nit la clé du rapport qui unit la prise de conscience sociale à l'évoSi nous passons néanmoins au Retable, et qu 'au centre même de lution formelle concomitante : Ré fléchis dans des miroirs concaves, cet assemblage composite , nous choisissions de lire L'ensorcel é, les héros classiques donnent l'Epouvantail [00'] L'Espagne est une déécrit en 1913 , c'est un dramatu rge tout autre qui va surgir de van t nos f ormati on grotesque de la civilisayeux . Voilà une tragédie pa ysanne , tion européenne. C'est sou s cet angle que doi vent être vues les où se mêlent intimement réalisme cou rt es pièce s en un act e qui acet poésie, où l'emprunt au folklore compagnent L 'ensorcelé du Retable . est fait d'une main sûre, qu i sait « Mélodrame s pour mar ionnettes », obliquer le trait quand il faut pour note en marge Valle-Inclan. Il échapper au « document » natnras'agit bien Ml fait de rapides « es· liste , et renoue d'un bond, par delà le pittoresque de Iii pacotille roman - perpentos », où I'expressionnisme du sty le et le côté caricatural des tique , par delà les grosses ficelle s du théâtre à thèse d'Echegaray ou les personnages s'accentuent volontairement , au point de réduire ceux-ci complaisances bourgeoises du trop habile Benavente (deux prix No- à de simples fantoches , mais des fantoches qu i nous font penser au bel , hélas !), avec la grande tradition nationale du Siècle d'Or . Ecou - Que vedo des Songes , au Goya des Caprices ou des Disparates , à Sola tons les imprécations de la dernière des scène , dans la bouche de la Galana : na et à Bu âuel. Plongeant Mon enfant mort ; Mort le char- racine s dan s ce vieux terreau hisdonneret qui chantait le plus beau panique de 1'humour noir , Valle· chant! [ ...] Sept boisseaux de blé Inclan rejoint là en même temps , dépensés en herbes de médecine et à travers le paroxysme de situations en miel pour mettre dans l'eau qu 'il extrêmes, certains courants de notre buvait! Si je n 'y mettais pas du. théâtre le plus moderne . miel , ~l me la crachait au visage, il Le second ouvrage qui nous est avait hérité en tout le nature l du offert n 'a pas cette rich esse foisongentilhomme t Ne m 'abandonne nante , mais il est beaucoup plus pas, Pedro Bolano! Cet enfant homogène et d 'un abord moins démort était une fleur de ce s rand routant. C'est peut-être par lui qu 'il arbre! Vingt années à l'avance , la conviendrait de prendre contact voie est ainsi . tracée aux tragédies avec le monde protéiforme du populaires de Lorca, et jusque par

J.le Ir rrumour-

norr


Cognac Tchétchène

grand écrivain galicien. On y trouve réunis trois hrefs romans publiés en 1908·1909 (Les croisés du roi, La lueur du brasier, Comme un vol de gerfauts ... ), qui forment la trilogie de La guerre carliste et, avec les Co médias barbaras de 1907 , amorcent la deuxième étape importante de sa production . Car Valle-Inclan , déjà, sans renier pour autant son œuvre précédente, éprouve le besoin de changer de « manière », de s'ouvrir à des horizons nouveaux . Il avait utilisé le carlisme dès 1905, dans sa Sonate d 'hiver , mais ce n'était alors qu'une simple toile de fond , vastem ent déployée derrière les faits et gestes de l'égolâtre marquis de Bradomin , propice aussi à toutes les recherches de la stylistique «moderni ste» . Désormais , il attaque le thème de front. Thème hien accordé à sa nature profonde, d'ailleurs, à son goût de l'archaïsme et du panache ' comme à ce tempérament irr éductihle d'opposant ,q u i le conduira d'un extrême à l'autre , de la droite à la gauche , dans l'opposition toujours. Depuis le second tiers du XIX ' siècle , tantôt les armes à la main , tantôt par la voie parlementaire , les carlistes , puissants surtout dans les provinces du nord, luttaient contre le centralisme madrilène, au nom de la tradition et des vieux privilèges régionaux. C'est l'épopée de la deuxième guerre, dont il avait pu connaître des échos directs dans son enfance, que l'auteur nous res titue ici , à travers quelques fragments typiques, où se révèle un sens étonnant de la couleur , d é l'atmosphère et des valeurs plastiques : Il tombait une pluie fine et légère sur le fertile val de Batzan. C'était un voile gris qui donnait aux prairies humides situées audelà, un reflet orange, aigre comme un violon désaccordé. Les trompet tes guerrières sonnant la diane s'harmonisaient étrangement avec ce reflet de soleil orangé. Nous restons, on le voit , fort loin des préoccupations actuelles du roman ; et il faudra attendre la traduction de Tirana Banderas - synthèse caricaturale d'une dictature latinoaméricaine -, et celle du Ruedo ibérico - image inversée du cycle carliste sur le mode de 1'« esperpento li - , pour prendre toute la mesure de Valle-Inclan en ce domaine. La puissance du conteur est telle, cependant, qu'on lira ce gros volume d'une seule traite , et que, la dernière page tournée, il donne encore à rêver. 1acques Fressard 1. Excellente étude et choix de poèmes traduits par Claude Couffon, Seghers éd. 2. Divines paroles à l'Odéon , mise en scène de Roger Blin . Lumière de bohême au T.N.P., régie de Georges Wilson . Mars 1963 . 3. Voir René L. F. Durand , Rubén Daria. seghers , coll. Poètes d 'oujourd 'hui (n° 139) . 4. Le. omours du morquù de Bradomin. (SOnora) . Stock éd. Une précédente tra duction, par C. Barthes, moins exacte , mais d'un SOÛt littél'llire plus fin , est

aujourd'hui introuvable . S. Trwluction de M. E. Coindreau. GalliJIIIIId,coU. Le mcmteau cl' Arlequin.

Vassili Aksionov Les Oranges du Maroc traduit du russe Editeurs Français Réunis , 220 p.

Un brin de romantisme , un brin de veulerie. Les personnages d'Aksionov ne se défont pas de la médiocrité. On n'entend plus dans le Far-East soviétique , qui leur sert de cadre, le moindre écho des flonsflons qui saluaient le départ des colons prenant , il n'y a pas si long. temps , la succession des forçats dans le défrichement des terres vierges. C'est dire que le dernier traduit des nouveaux romans russe s (Aks ionova trente-quatre ans ) déhute avec un air de sincérité non sans analogie avec ce que l'on pou vait percevoir de meilleur dans les films de jeunes réalisateurs de Moscou. Le sujet apparent , l'arrivée dans le Pacifique nord d 'une cargaison d 'oranges , « produce of Ma rocco », est dans ses conséquences mêmes , extra vagante s à nos yeux d'Occidentaux , le gage d'une véri té documentaire . On est ain si prêt à croire que la galerie de portrait s, hrassée par l'auteur , correspond à une réalité de l'aménagement deIa Sibérie. Il est ennu yeux de chercher en vain du pétrole, d'avoir à se demander si l'ouvrière du hloc d'à côté est une fille honnête. A10rs , quand on vous apporte le fruit miracle, le mystère et le luxe, l'occasion est trop belle de rameuter la région , de s'envoyer des coups de poing à travers la gueule, parce que c'est fête , que ça soulage, et qu'il faut hien renouveler les sujets de conversation. Avant de finir la partie au cognac Tchétchène-Ingouse. Malheureusement, l'ennui et la lourdeur entravent les h é r 0 s d'Aksionov. Il manque au récit une transfiguration esthétique que n 'arrive pas à provoquer une seule trouvaille formelle : la même scène vue par cinq personnages. La raison en est peut-être que ceux -ci, géologues , marins ou repris de justice, se fondent dans une grisaille où l'esprit de révolte disparaît à peine éclos. Comme le note une fille dans son journal itime , mieux vaut ne pas penser souvent que l'on travaille sur l'emplacement d'un camp de concentration désaffecté. Malgré leur démarche de halaises, leur goût du transistor et de la motocyclette , leur jargon anglorusse, le rock and roll et le Iet-kiss, ces pionniers rêvent leur belle sous les traits d'une cheftaine. La première . chute amène un sourire complice. La deuxième lasse. Une manière d'avancer que la jeunesse a des prohlèmes revient à éluder les drames. Aksionov est loin de cette hypocrisie de riches . Mais puisque son œuvre déhorde à peine la description sociale , on regrette que la condamnation implicite d'un certain état de fait ne soit pas rehaussée par une écriture moins traditionnelle. Erik Veaux

Grain de beauté

Hal Dresner Les Mésaventures d 'un Pornographe Robert Laffont , éd. , 240 p. Les romans par lettres restent toujours une tentation pour les écrivains ; ici il ne s'agit pas de liaisons dangereuse s mais de litté rature dangereuse . Hal Dresner , un jeune universi taire new yorkais travaillant dans une agence littéraire, s'est amusé pour son premier roman à nous raconter par lettres les mésaventure~ de Mason Greer dit Gu y LaDou che , un auteur spécialisé uniquement dans les ou vrages pornographique s comme Chairs Châtiées, son chef-d 'œuvre , Frères Lascifs ou Fille d'Orgie, tous publiés .aux éditions du Sceptre dont il est le « best seller ». Dans un châlet isolé du Vermont , Mason Greer enfermé tout seul avec son chien « Bâtard » et une rame de papier hlanc s'attaque à son nouveau roman Péché sans honte. Il en écrit 22 pages puis il lui devient impossible de continuer car une vagu e de correspondance oiseuse déferle sur lui. E.B. Dibhs , un capitaine de Frégate en Retraite , lui intente un procès en diffamation : non seulement Greer a donné à une de ses héroïnes le nom exact de sa fille , Bibhsy, mais il a fait une scandaleuse allusion à un grain de beauté logé sur une certaine partie de l'anatomie de la dite fille ... Greer croit hien entendu qu'il s'agit d'une hlague et écrit à Dibhs, comme à ses amis et confrères, des

Prix Formentor

Stephen Schneck Le Concierge de Nuit traduit de l'américain Gallimard éd. , 232 p.

lettres comiques qu'il signe allègrement : Attila, Landru ou même Edmond Dantes , comte de Montecristo. Mais peu à peu les avocats s'en mêlent , et même le FBI en la personne de l'agent 178732. Un psychiatre lui demande pour l'intérêt de la science ! - de remplir un formulaire d 'une bêtise tout à fait remarquable. Le pauvre Greer crie « pou ce» et déprimé , envoie la pornographie au diable. Ce roman est donc très moral, très drôle aussi. Il a fait rire Greenwich Village, et Dieu sait que le rire n'y est pas à la mode. Marie-Claude de Brunhoff

Parmi les divers « collages » d'affiches , publicités , prospectus ou articles de journaux dont il rythme son livre , Stephen Schneck a retenu celui -ci: En obtenez-vous votre part? Obtenez-vous suffisamment ce dont tout homme est affamé? Avec honne grâce , l'auteur semhle avoir , au moins , voulu pourvoir à un certain manque de romanesque érotique. Le Concierge de Nu it veut donc ressembler à quelque James-Bondieuserie, écrite par un voyeu r suffisamment androgyne pour être aussi expert en priapisme qu'en nymphomanie. L'entreprise ne semble ra fascinante que si l'on ouhlie que Schneck en avoue également les ficelles: le désir est en gendré par des bribes de rêves à la disposition de qui veut bien les ramasser, négligés de tous et pas. sés dans le domaine public. Comme Blight , son personnage principal , Schneck va donc le nez au vent et choisit les morceau x qu 'il préfère ... Prévenus que nous sommes, il est donc vain de reconnaître d'em blée une histoire parallèle à celle contée par Pauline Réage, forte ment teintée par la lecture du chefd'œuv re de Burroughs et peut-être aussi par le Genet de Pompes Eunèbres. Pour n 'être point indifférent, ce divertissement agrémenté par les diverses fantaisies typographiques que supposent les « collages » de Blight n'en apparaît pas moins assez faihle dans la mesure où une écriture suffisamment récréatrice ne lui donne pas une personnalité littéraire convaincante. Que nous pensions à Ian ,Fleming (et hien avant l'épisode final , assez réussi) aussi hien qu'aux classiques de l'érotisme contemporain révèle l'échec d'un auteur trop soucieux de technique pour s'abandonner à des phan. tasmes qu 'il se home à épingler, à la manière d'un entomologiste enjoué. Sa conviction est au demeurant si faible que l'on pense à un canular. Dès lors l'ohscurité savamment distribuée tout au travers de ce Concierge de Nuit , le jeu de miroirs à partir duquel il tente soudain (chapitre 6) d'appréhender une certaine « magie » sont coquetteries plaquées sur une atmosphère San- Franciscaine heureusement restituée. Le souvenir du récent Cité de la Nuit apparaît donc quasi consolateur , dans la mesure où ce gros livre (encombré, lui aussi , de phantasmes maladroitement insérés dans une réalité hien saisie) avait le mérite d'enchaîner des fahulations révélatrices selon un dosage naturalisme - lyrisme que Schneck a, précisément , voulu ignorer. Certes le couple Blight-Kathy, dont le tumulte érotico-maniaque domine tout le livre , y gagne un relief singulier , mais ce hrio de hon élève méritait-il un Formentor ? Marcel Marnat

Grain de beauté

Prix Formentor

Hal Druner

o

1 Cognac

Tchétchène


Une fresque

autobiographique

Dor.othy R ichardson et Alan Odle, par Adnar Allimon

Dorothy Richardson toits Pointus trad . Marcelle Sibon · Mercure de France, éd., 272 p . Dorothy Richardson naquit en 1873. Ce n 'est pourtant qu'en 1915 que parut Pointed Roofs , le pre· mier élément du premier des quatre gros tomes qui devaient constituer Pilgrimage. La. même année paraissait The Voyage Out , le premier roman de Virginia Woolf. l'imagine, écrivait celle-ci dans son journal . d'écrivain passionné, le 21 janvier 1920, que le danger vient de ce maudit moi, de l'égotisme qui ruine à mes yeu x Joyce et Richardson. Ce n'est pas de Samuel qu 'il s'agit, mais bien de Dorothy : elle est ou paraît alors l'un des deux grands que son émulation douloureuse et jalouse souffre d'admirer et s'accommode de rejeter. Deux ans après, je suppose, l'auteur reconnue et quasi-célèbre de La Chambre de Jacob était rassurée sur l'un d'eux . Dorothy rentre dans l'ombre avec son pince. nez et ses cheveux jau. nes, et disparaît du Journal , à la düférence de Joyce. C'est sans doute en 1920, après la parution des deux parties du tome II, ou en 1921 avec Deadlock que « Richardson» fut le plus en avant de son époque, et qu'elle parut , au point où elle était parvenue, irremplaçable . La sagesse eût peut-être été, s'agissant d'un écrivain si enclin à s'exprimer en grisailles, de la prendre au moins à ce stade de relative hardiesse. On eût trouvé dans Deadlock le passage où Shatov, accablé par la proclama. tion de la supériorité de la femme, faite par Miriam, remarque : Vous êtes sans doute plutôt la fille de votre père et où elle réplique : En fait je suis bien plus le fils de ma mère. Elle s'explique : une mère espère de ses fils qu 'ils lui donneront la compréhension

qu 'elle n 'a jamais trou vé chez leur père. En cela je suis à jamais le fils de ma mère , ajoutant plus loin : Je suis autant homme que femme. Il n'est pas sûr que beaucoup de lecteurs , ou ceux qu'il faudrait, suivent jusqu'au bout Toits Pointus dans un, cheminement austère et secret qui se déguise en platitude. Le critique, par contre, sera, je pense, fasciné, mais moins encore que le psychanalyste. Nulle histoire offerte au public ne fut jamais .plus couverte, nulle couverture ne fut plus révélatrice . Dans cette énorme fresque autobiographique Dorothy Richardson ne retient de convention littéraire que le minimum indispensable. Elle s'appellera Miriam Henderson et parlera d 'elle-même à la troisième personne . Si l'on peut dire qu'au demeurant elle n'inventera rien, cela n'affecte pas un don singulier de dédoublement qui pero met au vivant de se voir vivre, don relayé par la mémoire pr écise de l'instant vécu, qui est à la base d 'un effort unique de reconstruction d 'une durée personnelle, que l'on peut exposer en l'opposant à ceux de Proust comme de Joyce ou de Virginia Woolf: elle ne demande pratiquement rien à l'association des idées; quand d'aventure elle s'y laisse aller et qu'un morceau de musique ramène une impression d'enfance, nous voyons bien que ce n'est pas son fort. L'intention est ailleurs. Par une subtilité qu'il est essentiel de pero cevoir d 'abord si l'on ne veut pero dre sa peine de lecteur, toute la vérité du personnage est accrochée à l'impression présente. C'est à nous à le construire successivement comme le lieu commun de toutes ces impressions que nous devrons suivre avec une attention qui risque toujours de s'égarer sur I'insignifiant objet, de se lasser et de se perdre, alors que le sujet seul

compte, présenté, pourrions. nous dire, comme le creux du monde. Minute par minute , instant par instant de vie, de mémoire retournée su r la vie , attentive, minutieuse, inlassable , elle fait le point de son être au monde , de sa situation parmi les hommes ou plus exactement de ce qu'elle éprouve dans cette situation, elle épie ses propres réactions, ses mouvements d'âme , elle est une sorte de baromètre enregistreur dont on suit le graphie que, les hauts et les bas, les plus infimes oscillations. A partir du moment où à dix-sept ans et demi, la maison paternelle et la familiarité inévitable, incurable, de tout objet , de toute personne, ont été quittées , chaque rencontre, chaque contact, chaque résistance, servent à la définition de ce moi « innocent », chargé de frustrations, d'inhibitions et de refoulements. . Une jeune fille dans une école et découvrant la difficulté de vivre, déjà Jane Eyre ou Villette de Charlotte Brontë avaient marqué en abordant ce sujet le début de la grande aventure de la femme anglaise. Mais par rapport à Charlotte Brontë la relation des deux éléments , moi et monde, est ici inversée : Charlotte se jetait contre le monde comme un oiseau se froisse les ailes et se meurtrit la tête contre un obstacle, dans une avidité passionnée de rencontre. Dorothy Richardson, plantée sur des pieds qu'on imagine un peu plats, reste sur son quant-à-soi, mais dans un frémissement constant de petites inquiétudes: un besoin, une avidité, une faim (elle a aussi ses petites boulimies révé latrices) d 'être approuv ée. : appréciée, admirée, sont chez elle la première forme du besoin insistant d'être aimée, d'aboutir à cette valorisation d'elle-m ême qui semble être sa fin véritable. C'est le moi qui compte: le monde est quelque chose à s'approprier dans l'énorme

Une fresque

appel d 'égotisme que voyait bien Virginia Woolf. Diastole et systole, palpitations infinitésimales, ouverture et fermeture de l'âme, petites colères, petits mouvements de haine, petites plénitudes en alternance rapide se succèdent. Une entrevue avec la directrice, une séance de musique , une classe, un shampooing sont sujets valables pour éprouver et décrire cette infrastructure de la sensibilité par une méthode qui dans son opacité substantielle sinon dans la forme ou le style n'est pas sans faire pen· ser aux tropismes de Nathalie Sare raute. Le shampooing est un épisode typique parce que se présentant comme un des rites obligés de l'école il est subi dans une fureur de résistance , comme un viol, avant d'être accepté , absorbé , devenu du coup hien -être , détente quasi-voluptueuse, et presque bonheur . Elle manifeste un dégoût très signifieetif de l'organique qui fait d'elle quelque chose comme I'anti-Lawrenee lorsqu 'au cours d'une promenade on veut lui faire boire parmi des odeurs qui la révoltent ; les pieds sur un sol souillé , du lait tout chaud , intolérablement, de la vache . Le moindre regard indifférent ou ambivalent est ressenti comme un. envahissement et la démonte . Elle voit, lorsque la promenade longe un champ allemand (le spec· tacle était-il déjà rare en Angleterre il y a un demi-siècle?) des hommes qui y travaillent. Ils la troublaient : ils relevaient la tête avec des regards étranges . Elle aurait voulu qu'ils ne fussent pas là. Le lecteur français , mal tourné , ne manquera pas d'observer un étrange parti pris. J'ai dit que jamais livre ne fut plus couvert. Nulle « intimité» parmi ces jeunes filles , sinon qu'une des plus jeunes un jour voudrait « un petit baiser» ou un verre de bière. On n 'est jamais nu , et rien ne se passe audessous de la taille. Mais que d'aveux dans chaque agression, chaque raidissement, chaque réflexe d 'hostilité ou de refus! Ce tableau presque constamment fade au premier regard, c'est, regardé de plus près la peinture surexpres· sive d'une âme, grimaçante, livrée par les curieuses et constantes déformations du monde perçu. Il faut bien que Dorothy ait pris ses distances avec Miriam, pour avoir si précisément rendu la vérité d'ellemême. Cela dit, peut-on partager l'enthousiasme d'un John Cowper Powys dans son introduction ? Ah certes , Virginia Woolf ou Marcel Proust sont à côté de celle-ci des fabricants de littérature. Mais la littérature a du bon, et l'artificiel, et le maquillage. Ou bien la nature livrée , comme par un Nerval. Dans ce rendu de la vie intérieure , rien ne frappera plus que l'absence de ce grand métaphorisme du vécu qui fait à nos yeux le prix, juste. ment, de Proust ou de Virginia Woolf. [ean-Iacques Moyoux

autobiographique


• POi:SIE • • • • • • • • • • I088ip Brodski • Collines et autres poèmes • • traduit du russe •• Le Seuil, éd., 112 p. • •• 11 n'est pas facile de « situer

SEDIMO

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N.ARJAK

(DANIEL)

: ICI MOSCOU

Suivi du dossier du Procès de Moscou Une merveille qui honorera toutes les anthologies... (Etlemble) Un grand livre... (Morvan Lebesque) · La révélation d'un talent... (Bernard Féron) 280 pages.

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» Brodski' dans la jeune poésie russe, telle qu'on la connaît en Occident. On a tenté, selon les canons consacres par la critique, d'établir la fi généalogie » de ce jeune poète. En vain , me semble-t -il, On a beau chercher parmi ses prédécesseurs: Blok, Maiakovsky, Essénine, Pastemak, Akhmatova , Mandelstam , Zabolotski.~. ainsi que parmi les grands classiques du 19· siècle. Brodski n 'est pas leur disciple. Un étrange espace poétique le sépare d'eux. De même il est complète. ment en dehors d'une certaine jeune poésie soviétique que j'appellerai la poésie de l'estrade. On voit difficilement Brodski s'exhiber dans la Salle Chaillot , ou au Palais des Sports , ou dans d 'autres meetings poético-politiques. Mais est-il pour autant un poète visionnaire , étranger au monde , comme certains commentateurs ont bien voulu le définir ? Je le veux bien, à condition d'admettre (ce qui est chose faite) que chaque poète authentique est plus ou moins étranger au monde où il vit , et plus ou moins visionnaire . Mais cela ne nous explique pas encore l'originalité de Brodski. Selon Pierre Emmanuel , préfacier de la traduction française celui-ci serait « un poète méthaphysique » (en gros caractères d'imprimerie !). Rien n 'est plus inexact. Brodski est un poète réaliste, tellement réaliste qu'il engage quel. quefois ses vers, comme dans La Grande Elégie à John Donne, jus. qu'à« l'inventaire» poétique obsessionnel des objets domestiques. La poésie de Brodski, étant jus. qu'à nouvel ordre interdite en Russie, a suscité un immense intérêt dans la critique littéraire oecidentale . La plupart des études publiées sur Brodski sont valables , certaines même sont excellentes , mais pré. sentent malheureusement toutes le mêinedéfaut: le désir de cerner coûte que coûte cette étrange poésie . Or, Brodski ne se laisse pas cerner. Il serait peut-être plus efficaee d'examiner ce qu'il n 'est pas, avant de conclure ce qu 'il est. Et tout d'abord , Brodski n'est .pas un poète « soviétique », Le répertoi re des thèmes soviétiques lui . est tellement étranger, que pour nommer l'ancienne capitale, il emploie indifféremment les noms de Petersbourg , de Petrograd ou de Léningrad , selon les exigences de la phonétique. Mais il n 'est pas pour autant antisoviétique. Au fond, il n'est rien du tout . Et c'est justement à cause de ça, à cause de au fond , il n 'est rien du tout, qu 'il a eté arrêté, emprisonné, jugé, con.damné et .déporté sous le Cercle Polaire , le parasitisme social n'ayant été dans toute cette affaire qu 'un prétexte légal et ridicule. Un poète au visage indéterminé, peut-il être accepté par une société par trop

Un poète ' • en pmson déterminée? Tout le problème est là. J'ignore qu'elle en sera l'issue. A la fois lyrique et pathétique , réaliste et visionnaire, sarcastique et tendre, abrupt et prolixe, biblique ,.« areligieux », antireligieux, social, antisocial, associal .•. Ça suffit! Brodski est contradictoire et multiple, fiévreux et paisible , rapide et lent, souvent d'une lenteur si fascinante qu'elle avait fait dire à nn critique occidental russe fort connu: la poésie de Brodski ressemble à une procession post-révolutionnaire. Il est évident que l'originalité de Brodski doit être cherchée non pas dans ses idées sur Dieu, sur l'homo

Adieu, Oublie-moi, Pardonne-moi. Jette mes lettres au feu comme on brOie la terre derrière soi. Que ton chemin soit courageux droit et simple, que dans la brume flambe pour toi la pacotille des étoiles, que l'espérance réchauffe tes mains à ton feu de joie. Avance dans la tempête dans la neige et dans la pluie dans la fureur des flammes, et sache trouver le succès plus souvent que moi. Que la puissance des combats gronde dans ta poitrine . Je suis heureux pour ceux qui demain s'engageront sur tes pas. Un poème de 1000p BrOlÙki

me et sur la société , mais dans son langage poétique, et uniquement dans son langage . Quel est ce langage? C'est un langage à part , c'est le langage de Brodski. On ne définit pas un poète, on le lit et on le relit. Il faut donc lire, et en russe, (Vers et poèmes , Inter-Language Literary Associates, New York , 1965) non seulement des petits ou des moyens textes , souvent inégaux de Brodski , mais ses longs , ses très longs poèmes, écrits entre 21 et 23 ans (!): L 'Hôte, Collines, La Grande Elégie à John Donne, et surtout Isaac et Abraham , un des plus beaux poèmes de langue russe, pour devenir conscient de l'importance de cette œu vre. Espérons que le Gouvernement de l'U .R.S .S. le comprendra et cessera enfin de persécuter un poète dont le seul délit est sa fidélité à la poésie et à la parole vivante . Paul Valet 1. Joseph (Yosif) Brodski , poète russe d'origine juive , né en 1940 et condamné en février 1964 par la Cour de Justice de Léningrad à cinq ans de travaux forcés pour 0: parasitisme social » (Voir le compte rendu de IOn procès dam Le FiBaTOlMt èmire, 1" octobre 1964).

un poète •


Char ou la respiration René Char Retour amont Gallimard, éd., 56 p. Eau, pierre, soleil: de quoi faire un monde . et , quand on s'appelle René Char, une poésie. Celle de Char procède de son terroir. Il est présent partout: c'est à lui qu'elle ajuste sa rigueur. Le Ventoux, la fontaine de Vaucluse, l'incandescence calme du ciel méditerranéen ne sont pas ici en toile de fond. Si le poème dépasse et survole le site, c'est comme la grappe dépasse la vigne. On ne voit guère comment Char pourrait être Char sous un ciel moins chargé de bleu, sur un terreau gras et plat. Le rayonnement du langage rejoint celui du terroir et l'exalte . Du poète à son pays, flux et reflux, ' osmose et racines. Il n 'est plus très bien porté de l'avouer , mais on peut encore croire aux enracinements de l'homme, Char ne me démentira pas. Ce n 'est pa s par hasard si tant de lieu x-dit s avoisinant la Sorgue nais sent spontanément sous la plume du poète , provoquent , relancent ou condensent sa réfle xion, prennent place et privilège au poème. Ses rudes sèves, Char les pui se entre l'olivier et la vign e mu scate. Elle s font à sa poésie cette chair dure et dense , musclée et nerveuse. Ce qu 'on appelle - I'obscu r it é de Char , c'est le surcroît de lum ière qui paraît happer le paysag e, durcit sa transparence, le comprime en un pur no yau en sur-pression , au point critique d 'éclatement. Ain si la langue de Char , tendue , au stère. au bord de la crispation, n 'est-ell e que la forme virile de Ill' géné r osité du tempérament. Tous les M érid ionaux ne sont pas loquaces et les plus taciturnes, lorsqu'ils pa rlent, ont parole pondérée , émer geant comme îlot d'une longue pen sée secrète. La poésie exprimée de Char émerge aussi de cette constante fusion qu 'il maîtrise jusqu 'au bref jaillissement, qu 'il nous revient de ré-inventer dans l 'innombrable archipel des poèmes. La tâ che est relativement aisée , tant la pensée de Char demeure une dans ses vibrations. Il est sans doute de nos poètes actuels celui que porte et anime un véritable système, sinon de pensée, du moins de valeurs, le plu s coh érent et le plus exigeant. S'il déroute parfois à première vue, le poème reste dans le mouvement du poète (et de l'homme , inséparables). Mais l'espace du poème est une accumulation d 'espace , le temps une accumulation de temps. Une sorte de concentré de poésie. Tous les fils y sont, tantôt noués , tantôt côte à côte, que la lecture recom mencée dénombre et identifie, encore que la fréquentation de Char n'exige pas tant de ces analyses selon nos vieilles habitudes . Avec Retour amont , le poète continue sa flèche, poursuit son engagement contre le mal et la solitude, apparemment identiques et

proliférant l'un sur l'autre . C'est que cette poésie est .inséparable d'une éthique, et l'on sent bien que c'est par pudeur que Char alterne ses registres. L'âge cassant 1, paru peu avant Retour amont, en est à la fois le contre-chant et le journal de bord mais il est de même matière. Ici comme là, on sent le poids de la grande menace présente: la Provence livrée aux termites de l'atome. C'est l'autre soleil qui enflamme les profondeurs et fait craquer le contenu poétique même dans les poèmes, de loin les plus nombreux, qui en paraissent indemnes (mais est-on jamais indemne du « mal d'intuition» ?). Ailleurs les allusions sont nettes ou transpa rentes. Partout elles donnent au

nous le disent d'autre façon mais aussi nettement. Il ne s'agit pas d'un retour de Char sur soi, ni vers ses sources. On ne refait pas en sens inverse le chemin parcouru. Mais ce qu'il est possible , et souhaitable, de faire, c'est de retrouver au -del à de soi la matière dont furent nourries nos origines. Le site de la source importe moins que tout ce dont elle s'est chargée, vivifiée dans la terre natale. Le pays natal, dont nous n'avions au mieux qu'une vague nostalgie, il faut le reconquérir d'une enjambée puis. sante , non pas en arrière, mais en avant, en crevant le mur visqueux de nos déraisons raisonnantes. Cette quête doit nous projeter, non sans risques ni fatigue, vers ces hauteurs

Ren é Char

livre sa lumièr e noire et au poète les armes de sa « fureur )J. Il faut changer la vie , nul ne l'a plus explicitement souligné que lui. Redresser la courbe qui dangereusement s'infléchit ver s les souterrains de l'homme quand les hom o mes de notre siècle la voient ascendante et glorieuse . Le maquisard d 'autrefois n 'a pas estimé sa tâche terminée avec la « Libération )J. L'essentiel restait à faire , qui n'a jamai s été fait , que l'on contre-fait à ce jour . Les termitières atomiques de Provence sont l'un des signes cliniques de la gangrène ; non seulement elles obscurcissent la vue droite , mais encore elles son t le poison insidieux , l'anti-matière vi· vante. L'angoisse de Char devant cette nouvelle forme de , « I' étranger » est la même que naguère . La véhémente protestation s'exalte encore. Le poète ne serait pas le poète s'il consentait à ces grouillements crépusculaires. Ce qui partout domine sans être aperçu: les alchimies et leurs [urolles, dit l'Age cassant. Et le poète d'ajouter: l'ai de naissance la respiration agres· siue, Les poèmes de Retour amont

de soi-même que nous "portons en nous, qui sont l'essence de notre être mais que nous avons laissé occulter par faiblesse, ou par optimisme peut- être. ' L'homme n'est ni vil ni bas, il se laisse seulement descendre: il suffit d'oublier un instant que toute notre vie n'est qu'un défi éternellement renouvelé. Chaque jour naît de notre victoire incessamment remise en question. Répudier ces combats , c'est accepter la nuit et la chute. On n'est pas libre de vivre ou non dans la lumière et il n 'y a de lumière que par notre conflit permanent. . L'œu vre de Char est marquée de ce combat. En un certain sens, elle est ce combat dans la mesure où la poésie est l'arme privilégiée de l'homme contre les ombres. La ligne qu'elle établit dans la durée n 'est pas faite seulement des étapes d'un combat, des escarmouches d'avantgarde. Elle est ce combat même. Non pas un passé, mais un présent vivant, continuellement arraché au futur dont nous sommes faits. Ce n'est pas sans raison que le poète reprend de temps à autre son (( œuvre choisie », la remodèle, la réorganise. Les caprices de son hu-

·a gressive meur, ses vanités ou ses déceptions d'auteur ne commandent pas ces révisions. C'est la structure même de l'œuvre qui se modifie à mesure qu 'elle se prolonge , chaque poème arrêté prend une valeur nouvelle dans le contexte élargi. L'arme dressée et son emploi demandent ces réajustements.

Retour amont ne fait pas excep· tion, La Provence , les sites dépassés aussitôt que nommés, est encore une fois l'aire de départ. Bientôt ' c'est une nature moins définie, à la fois plus stricte et plus vaste qui, de la verdure sombre des deltas au dénuement de l'amont, ouvre à la poésie des horizons que l'on pourrait dire verticaux, car c'est bien d'une ascension qu'il s'agit. Ce retour demande vigueur du pas, sûreté de l'œil et de l'esprit. Mais toujours le concret directement saisi fournit le matériau de la pensée: on n'a jamais été aussi loin des philosophes , mais comment appeler autrement que sagesse le scintillement qui remplit l'espace, le soulève pour qu'on y respire à l'aise? Il plages » pourtant, Quelques mais oû se reflète à tout le moins l'ombre des combattants, et la permanence du conflit. Il ne peut y avoir d'apaisement, de temps mort: ainsi qu'il est dit dans l'Age cassant nul homme , à moins d'être un mort-vivant, ne peut se sentir à l'ancre en cette vie. Partout « l'hôte itinérant » que nous sommes fait son dur chemin et s'il boit l'eau des sources risque son cœur dans l' écart de ses mains. Tant de risques affrontés , toutes ces victoires instables font le fil de la vie . Du moins y a-t-il la vie et c'est pourquoi la poésie de Char nous paraît si généreuse , si exaltante , on n 'ose dire si utile encore que la leçon nous soit salutaire. Elle ne nous invite ni ne nous autorise à gratter nos plaies . Une sorte d'optimisme tragique l'éclaire, et nous éclaire. te Retour amont nous sera fertile encore à un autre titre : la par. faite maîtrise de son langage où atteint l'auteur fait en nous s'étendre et proliférer le poème. D'un poème à l'futre, l'intervalle n'est plus que l'espace entre le gisant et l'arbuste d'une foi nouvelle où prophétise le loriot. Sous telle astreinte le réel à la fois prend sa place, qui demeure grande, et diverge en tous sens . Nous sommes adossés à la plénitude du monde, à ce rayonnement qui naît de ses profondeurs. Tous les accès nous sont ouverts. Le temps des incendies et de l'éc1air est aussi celui du peuplier qui- en dort la foudre aux yeux tendres. Le poème de Char , plus que jamais debout , nous remet au souffle des sommets. Content de peu est le pollen des aulnes , ce sont les derniers mots du . livre, mais d'une exigeante sagesse. L'avenir est en pièces , subsiste la levée des médiateurs. Ce « peu » est déjà une victoire, et promesse d'amont. Jean Vagne

Char ou la respiration . agressive


BSSAIS

Le vertige eomme Gérard Genette Figures Le Seuil, éd., 272 p. Rien de moins homogène en ap· parence que cet ensemble de dixhuit études qui touchent à des écrivains aussi divers que Montaigne, Saint- Amant , Flaubert, Mal· larmé, Proust, Robbe-Orillet, etc. Toutes cependant sont rangées sous le titre de Figures qu'éclaire d'une lumière ambiguë cet exergue tiré de Pascal : Figure porte absence et présen ce, plaisir et déplaisir . Le mot de figures sert aussi de titre à la quinzième étude qui analyse, à travers la figure de rhétorique, l'espace exigu, mais vertigineux, qui s'ouvre entre deux mots de même sens, deux sens du même mot; deux langages du même langage. Cette présentation du livre en abyme est d'autant moins fortuite qu'une même préoccupation se reflète d'une étude à l'autre et que cette préoccupation elle -même est souci d'abîme et de reflet . La ques · tion profonde que répètent - et que jouent - les essais de Gérard Genette nous semble celle-ci: le vertige, manifeste dans les œuvres spécifiquement baroques, n'est-il pas latent dans toute œuvre littéraire, ne serait-il pas lié à la structure divisée du langage et, par voie de conséquence, ne pourrait-il constituer le principe de toute cohérence littéraire? Peut-on risquer ce paradoxe d 'assimiler le vertige à l'essentielle rigueur? Soit l'expression de Quevedo, citée par Borges et reprise par Gérard Genette : « la sanglante lune », A la lettre, elle désigne le Cro issant turc ensanglanté. Or, pour le lecteur d 'aujourd'hui , cette « dénotation» n 'est plus déterminante. Nous pouvons l'ignorer, nous n'en subirons pas moins les pouvoirs de l'image. Et même si nous la ressaisissons, nous la dépouilleron s de ses pri vilèges . La différence entre l 'ancienne rhétorique et la nou velle qui , toutes deux , fondent la littérature sur un code, est que , pour l'ancienne, « la sanglante lune » est une figure qui peut se ramener à sa lettre , se traduire, tandis que, pour la nouvelle - si l'on nous permet d'assimiler la poésie moderne à une nouvelle rhétorique - cette figure est lettre . Sa poly valence est d'origine. En poésie moderne , dit Gérard Genette, le mot est irrempla çable parce que litt éral, en poésie classique il l'est parce que figuré. De plus, ce . que l'expression « la sanglante lune » perd en sincérité de dénotation, en ri che sse verticale, elle le regagne, et au-delà , en multiplicité de connotations , en richesse horizontale. Gérard Genette montre bien que , dan s la poétique baroque, le monde sensible se polarise selon les lois d'une géométrie matérielle , où l'or, l'argent, l'ivoire, l'ébène, la neige, l'eau, le feu composent leurs figures. Dans l'image de Saint- Amant : l'or tombe sous le fer, on sent diree-

tement le rapport d'or à fer, le coup du fer sur l'or. Les rapports analogiques (d'or à moisson, de fer à faucille) sont oubliés, ce qui ne signifie pas que l'affleurement de moisson et de faucille ne puisse apporter à l'image un surplus de sens et de charme. Cependant, cette présence n'est pas requise. Le vertige se situe donc au prin. cipe d'une image qui ne repose que sur elle -même au risque de tomber pendant l'éternité comme dirait Mallarmé . Toutefois, nous allons retrouver ce vertige à d'autres niveaux . Dans son premier essai, L'univers réversible, Gérard Genet· te étudie le bestiaire privilégié de Saint-Amant: oiseaux et poissons. Il note que ces deux classes, celle de la plume et celle de l'écaille, y sont à peu près inséparables, qu'il leur arrive même d'échanger leurs qualités, les poissons devenant « oiseaux de l'onde» et les oiseaux « poissons du ciel». Ces figures constantes de la poésie baroque attesteraient notre hantise du double , de ce même qui est aussi un autre. Mais il va plus loin. Analysant le Moyse sauvé en lequel il voit essentiellement un poème de l'eau, il approfondit les symétries évoquées, leur ménage un espace, celui que découvre l'eau-miroir et, citant ces vers d 'un autre poète baroque, Habert de Cérisy :

Le sens charmé d'une trompeu se idole Doute si l'oiseau nas..e ou si le poisson vole, il conclut à une interprétation pero verse du monde et de l'existence dans la poésie baroque, l'objet frappé d'illusion , le reflet lesté d'exis tence. Mais la perversion , la r éversibilité, sont -elles bien des propositions du monde et de l'existence? Pour que l'air soit eau, l'eau air, le poisson oiseau, l'oiseau poisson, il y

faut plus que l 'eau d'un fleuve ou d'un étang. Il faut que les mots d'air et d'eau, de poisson et d'oiseau cessent de désigner tout à fait ce qu'ils désignent, coupent les amarres qui les attachent à la réali té . Est-ce le monde réel (grâce au phénomène du reflet, par exemple) qui propose à l'esprit un principe de symétrie, ou la libération préalable du signe qui dispose du monde selon un principe de symétrie? Ou les deux à la fois, et comment ? Il semble que Gérard Genette hésite dans son interprétation de la réversibilité comme propriété du réel ou du signe , ou plutôt son hésitation traduit celle de la poésie baroque , qui est l'hésitation même du langage. Figu res est un livre profond parce que ses analyses nous figurent la tentation qu'exercent l'un sur l'autre le réel et le langage, ce dernier s'efforçant tantôt de s'asservir au réel (c'est « l'illusion réaliste»), tantôt de s'asservir le réel (c'est « l'utopie » de Mallarmé, de Borges). Ainsi, le vertige critique de Gé· rard Genette - son point d'honneur - nous vaut des compromis troublants. Dans sa seizième étude, Les silences de Flaubert, l'auteur souligne que les souvenirs d'Emma Bovar y, ses phantasmes , ses perceptions actuelles sont indifféremment de la même acuité descriptive, au mépris de la vraisemblance. C'est là une analyse immanente au texte, horizontale en quelque sorte. Ailleurs, évoquant ce passage de la Tentation: L 'objet que tu contemplais semblait empiéter sur toi, etc., il y voit justement un écho des dispositions propres de Flaubert. Voilà une analyse verticale, un pseudopode émis en direction de la critique biographique. Ce n'est pas le seul. Dan s la quatrième étude, Proust palimpseste, il remarque : Une perspective assez troublante s'établit ainsi entre la vie et l'œuvre , qui donne une saveur inhabituelle aux recher-

Un oiseau de Braqu e.

Le vertige eomme

ches sur les sources et les modèles. Inhabituelle souligne le caractère exceptionnel, ici, de la démarche biographique, présentée comme une dérogation. Or on peut se demander si, au contraire, le livre de Gérard Genette ne constituerait pas I'esquisse de cette grande machine cri tique que nous attendons des re. cherches de Roland Barthes et dans laquelle les divers systèmes critiques coexisteraient en s'excluant réciproquement comme les termes d'un métasystème? Ce serait - à sa limite jamais atteinte - la solution du vertige critique, ou plutôt sa fixation, en allusion à ce Il ver. tige fixé» auquel Gérard Genette identifie l'œuvre de Robbe-Grillet: malaise exemplaire d'une littérature assiégée par un monde qu'elle ne peut ni refuser ni admettre. Cette phrase, d'ailleurs , convien. drait aussi bien à Figures. Centré sur l'idée de vertige , l'es sai consacré à Marcel Proust soulève la question des essences dans la Recherche du Temps perdu. Gérard Genette voit bien ce roman comme une métamorphose ineessante, mais il conteste l'affirmation de Proust lui-même selon laquelle ce dernier ne connaîtrait la beauté d 'une cho se que dan s une autre: Commen t concevoir en effet, objecte Gérard Genette, qu 'une métaphore , c' est-à-dire .u n déplacement, un transfert de sens d'un objet dans un autre, puisse conduire à l'es. sence de cet objet ? Il est intéressan t d 'opposer à cette opinion celle de Gilles Deleuze dans Marcel Proust et les signes: Etant qualité d 'un monde , l'essence ne se confond jamai s avec un obje t, mais au contraire rapproche deux objets tout à fai t différent s, dont on s'aperçoit ju stement qu 'ils ont cette qualité dans le milieu révélateur . ( ...) Diff éren ce et répétit ion sont les deux puissanc es de l' essence, in~ séparables et corrélatives . La question de l'être en soi et de sa quête permet deux réponses opposées, ce qui est essence pour le second de ces critiques étant m irage pour le prem ier. Une double équation se dégage de Figures : l'identité str uctu rale du baroque et du langage, du langage et de l'inconscient. Dan s l'un de ses essais les plu s in ventifs, Structuralism e et critique littéraire , Gérard Genette nou s propose d'appliquer à la critiqu e littéraire les méthodes du « bricolage intellectuel » tel que le définit Lévi-Strauss dans la Pen sée sauv age. Egalement éloignée de la critique journalistique et de la critique de savoir , cette critique, ou plutôt cett e II poésie critique », véritable « poésie du bricolage », consisterait à parler - à se parler - au moyen des livres comme le bricoleur I( parle au moyen des choses », à faire du sens avec l'œuvre des autres , à faire son œuvre avec ce sens. A peine le lecteur aura-t-il ouvert Figure s qu 'il y découvrira, pour sa délectation, cette analyse au plein de son exer cice. Lucette Finas


CRITIQUE

Pourquoi Serge Douhrovsky Pourquoi la Nou velle Critique Mercure de France éd. 262 p. Jean-Louis Bory Tout feu tout flamme Julliard, éd . 251 p .

La querelle des Anciens et des Modernes (il s'agit des critiques littéraires) rebondit. Au dossier de la Nouvelle Critique dont, comme on sait, Roland Barthes auteur d'une étude peu orthodoxe sur Racine - est le Pape, un jeune critique, Serge Douhrovsky, fougueux, agressif, dialecticien redoutable et doué comme pas un vient de verser une pièce d'importance intitulée tout bonnement Pourquoi la Nouvelle critique. S'il est écrit avec vivacité et souvent un grand bonheur de plume , cet envoi n'en sent pas moins, dès les premières pages, son ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, son agrégé , son docteur ès-lettres - bref, son universitaire . Rien de surprenant, car les représentants de la Nouvelle Critique Roland Barthes, Georges Poulet, Jean-Pierre Richard , Jean Starobinski, Lucien Goldmann, pour ne citer qu'eux, le sont tous - comme celui qui avec un pamphlet virulent mit le feu aux poudres, leur pourfendeur, Raymond .P icard, docte professeur en Sorbonne et spécialiste patenté de Racine : Cette querelle est, à première vue et pour la situer dans son contexte exact, une querelle de sérail. La nouvelle critique, écrit Serge Douhrovsky, n'est rien d'autre ( ...) que l'ouverture longtemp3 différée, de la recherche universitaire au monde moderne. Cette « ouverture », il faut le dire, est brutale. Pour avoir été te longtemps différée », elle ne s'embarrasse pas de préjugés. C'est ainsi que Raymond Picard lisant Sur Racine de Roland Barthes ne reconnaît plus Racine, son Racine. Mais Giraudoux, orfèvre en la matière, ne le reconnaîtrait pas davantage, pas plus que vous, ou moi ou n'importe quel racinien, spectateur assidu de la Comédie· Française, du T .N.P . ou de l'Odéon, Théâtre de France, (sans parler des centres de province). Le livre de Roland Barthes est d'une lecture prodigieusement excitante pour l'esprit c'est à la fois tarabiscoté et d'une évidence aveuglante. On sort de cette lecture ébloui par le talent et la virtuosité de l'auteur. Mais Racine, dira-t-on ? Et bien, Racine aurait pu aussi bien s'appeler Campistron. Autrement dit Roland Barthes aurait pu écrire sur Campistron un livre, autre bien sûr, mais tout aussi fascinant que sur Racine. Autrement dit, Racine ou Campistron : rien qu'un prétexte pour le -eri ti qu e, un thème à variations. Comme le dit Serge Douhrovsky , il est temps de comprendre... que la critique véritable est une branche particulière de la _littérature qui a la littérature pour sujet. Il dit encore :la critique est un écrivain :

la nouvelle

un écrivain qu i ecrit sur t 'ecrit ure, com me le dramatu rge et le roman cier écrivent sur le monde. Naturellement , il vaut mieux écrire sur Racine que sur Campistron - par ce que le premier est un grand écriv ain et le second un piètre poète. Beaucoup mieux que Campistron , Racine permet au « nou veau critique » - en I'occurenee Roland Barthes - de mettr e en valeu r ses dons d'écriva in. On le voit bien, on est tenté de dire que dans la nou velle critique le critique a plus d'impo rtance que le sujet dont il parl e : Barthes que Racine. Naturelleme nt ; c'est inexact. L'important, c'est Racine . Et si on ne reconnaît pas l'auteur de Phèdre ; c'est que l'approche critique de Barthes est d 'une nouveauté déroutante. C'est le mérite du livre de Serge Douhrovsky que de faire le point de façon méthodique et avec rigueur sur ce qu'on appelle la nouvelle critique. appellation qui recouvre les démarches critiques les plus diverses. Il se livre à une véritable « expertise », Après avoir tenté de montrer combien la critique universitaire, telle que la pratique Raymond Picard est étriquée (tout comme la notion de classicisme sur laquelle elle se fonde), il examine différentes méthodes critiques d'aujourd'hui : la méthode « structurale » de Roland Barthes, la méthode psycho-critique de Charles Mauron, la méthode « structuraliste-g énétique » et sociologique de Lucien Goldmann. Ces trois méthodes ont en commun de tendre toutes trois vers le même effort : se construire des modèle» d'intelligibilité scientifique. De chacune, Serge Douhrovsky dit les mérites et les limites. A vrai dire, aucune des trois ne le satisfait, s'il les trouve cent fois supérieures à la critique universitaire classique. Pour lui, la faiblesse de l'analyse « structuraliste» c'est de reposer sur l'illusion. que la réalité humaine est justicia ble, en dernier ressort, d'une compréhension scientifique alors qu'elle ne saurait relever que d'une compréhension dialectique. Quant à la psycho-critique de Charles Mauron, elle partage exactement les heurs et les malheurs de la psychanalyse orthodoxe dont elle se réclame. La critique _ sociologique de Lucien Goldmann n'est pas plus satisfaisante; elle n'est rien d'autre qu'une sociologie marxiste rajeunie par l'apport structuraliste. Les tentatives de Barthes , Mauron et Goldmann échappent à la même difficulté : l'impossibilité , pour la pensée scientifique de comprendre la singularité de l'existence subjective. Or , s'il n'y a de science que du général , il n 'y a d'expression littéraire que de l'individuel. Les livres ne s'écrivent pas : quelqu'un les écrit. C'est ce quelqu'un. que les sciences - humaines (auxquelles se refèrent la critique de Barthes , Mauron et Goldmann) laissent échapper, n'atteignent pas. Ce que

Douhrovsky récus e, c'est la compétence d'une science humaine particulière à retrou ver et à définir l'unité et la totalité des sign ifications qui forment le sens d'une œuv re. Pour cela , pas d'autre issue

critique qui se donne à ce qui se dérobe, dans un effort pour dégager la totalité de l'expression. Enfin Pour être juste, c'est-à-dire pour avoir sa raison d 'être, la critique doit être parfai te, passionnée , politique,

SerBe Dou1Jrov.ky

que la philosophie - il faut entendre les philosophies existentielles (il n'yen a pas d'autres aujourd'hui). La philosophie est la seule discipline qui permette au critique littéraire, lorsqu'il étudie une œuvre, d'intégrer la plus grande quantité de sens possible. Et, on le sait aujourd'hui plus que jamais, le sens littéraire d'une œuvre est essentiellement ambigu : l'œuvre dit plus que ce que l'auteur a voulu dire et dit souvent - à son insu autre chose que ce qu'il a voulu dire. Or le sens philosophique, lui aussi , est ambigu : ce que le philosophe veut dire déborde toujours ce qu'il dit , grâce à quoi sans doute, Aristote et Hegel se survivent dans Heidegger et Marx. Pour notre auteur ane réflexion approfondie sur la littérature est d'ordre philosophique ou elle n 'est rien. Il a d'ailleurs sur la critique littéraire des idées très précises. La véritable critique est celle qui ajoute à l 'œuvre -et qui s'y ajoute , et non point ~ '~, résorbe ; ce n'est ni une doublure ni un reflet. Et ceci la critique consistera à révéler ce qui se cache et à raccorder ce

c'est-à-dire faite à un point de vue exclusif , mais au point de vue qui ouvre le plus d'horizons. Partial, passionné, politique (au sens qu'il donne à ce mot), le livre de Serge Douhrovsky est tout cela. On le lit avec le plus vif intérêt - même si on n'adhère pas à tout ce qu'il propose. Il excite l'esprit et ouvre des horizons nouveaux à qui s'intéresse à l'activité critique. L'immense mérite de la nouvelle critique ( ...) c'est d'avoir enfin réveillé la critique de , sa léthargie séculaire , de son sommeil dogmatique ou érudit, , de l'avoir rendue à sa vocation, bref , de l'avoir restituée à la littérature , au moment où la littérature s'instituait en critiq ue. Après avoir lu Serge Douhrovsky on est tout prêt de souscrire à ce jugement. Il n 'est pas de lecture plus salutaire, plus vivifiante que celle du livr e de Jean-LOuis Bory au sortir de Pourquoi la nouvelle critique: de la théorie à la pratique , de l'abs trait au concret. Comme le mouvement se prouve en marchant , la cri tique ... etc ... On ne se demande pa s si Jean-Louis Bory appartient à ~ , '>

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ÉRUDITION ~

Pourquoi la Douvelle critique

L e centenaire

de Satie

Deux expositions, l'une à la 'nu à Honfleur, d'où ils étaient tous tant déshonneur parmi les plus vils, que Je n'oserais pas contre lui ce Bibliothèque Nationale, l'autre à deux originaires. Milly-la-Forêt, commémorent en ce Selon le témoignage de ses que l'oserais contre le pire malfaimoment le centenaire de la nais- contemporains, Satie ne resta que teur ? Qu 'il se détrompe . Ces injures et ces majuscules sance d'Erik Satie. Certains des très peu de temps au Chat Noir, documents qu'on peut y voir sur- où il ne semble pas qu'il ait eu n 'affectèrent ni n'intimidèrent Wilprendront les visiteurs qui ne con- l'occasion de faire apprécier ses ly, qui, dans ses chroniques musicales de la revue La Plume , les naissent de Satie que ses chefs- talents. Dès 1891, et peut-être d'œuvre, Parade, Socrate, et quel- même avant cette date, il tenait le mentionna négligemment. Au bas de l'article qu'il fit paraître dans piano dans un autre cabaret, l'Auques petites pièces au titre plaisant: cette revue le T" juin 1895, un Morceaux en forme de poire, Pré- berge du Clou, avenue Trudaine. ' ludes flasques ou Embryons des- Il ne s'y attarda pas plus que chez post-scriptum dit : L 'Agence Gallois me communiséchés. Sur , ce qu'avait fait Satie Salis. Dans les derniers mois de avant son entrée tardive à la Schola 1891 ou au début de 1892, il de- que une nouvelle excommunication Cantorum, les spécialistes de l'bis- venait le compositeur attitré de du tenace Erik Satie, où je relève, joyeux , cette bravacherie tremblanl'époustouflant Ordre du Temple toire musicale ne sont d'ailleurs te: « Que M. Willy sache que je eux-mêmes qu "incomplètement ren- de la Rose + Croix, fondé depuis seignés. Ce qu'ils savent se borne peu par Joséphin Péladan. Le Fils suis résolu et que Je ne redoute en général à ce qu'on trouve soit des Etoiles, wagnérie kaldéenne » rien... » Rien ? Et I'ongueru. gris! dans l'Erik Satie de M. Pierredu SaI', représentée à la galerie Dans le numéro du ' 15 juin, un Daniel Templier, publié en 1932, Durand-Ruel le 17 mars 1892, soit dans le plus récent Erik Satie comportait trois préludes pour haro autre post-seriptum ajoute, sous de M. Rollo Myers, lequel doit pes et flûtes, dus à Satie. Mais au forme de petite correspondance : M. Erik Satie. - Tu peux écrire beaucoup à son devancier. En fait, mois d'août suivant, dans une lettre l'on attend encore la grande bio- adressée au journal Gil Blas, Satie tout, ce que tu voudras, je ne te donnerai pas un fifrelin. graphie critique, le thesaurw que prenait soin de préciser que s'il Les mots d'onguent gris , consticonstituera sans doute un jour ou , respectait Péladan, il n'en était pas tuaient une allusion très claire pour le disciple. l'autre quelque patient chercheur, Cherchait-il par là à retenir l'at- les habitués du Chat Noir, qui curieux de déchiffrer le persOnnage tention du public? On' l'en soup- savaient .que Salis, brouillé avec d'exception que fut Satie. ' Les détails dont nous. allons faire çonna d'autant plus que, six ou Satie, ne parlait jamais de celui-ci état donneront peut-être une idée huit Semaines auparavant, il avait qu'en disant: « le' Morpion D. Le déjà ' fait parler de lui en ' posent journal Le Chat Noir se gaussait de l'attrait qu'aurait une biographie n'est pas un feu de paille, l'humeur de Satie ne négligeant aucun eha- sa candidature à l'Académie des d'ailleurs, lui aussi, des excommudu moment. Il s'étaye sur de bonnes pitre d'une existence plutôtzigzas'échappant de ' Sâtie Beaux-Arts, quoiqu'il n'éût que nications raisons, cohérentes, solides et nuan- guante, à laquelle conviendrait mal vingt-six ans et ne pût encore se « comme d'un panièr parcier ». cées. C'est un enthousiasme ,motivé. le mot de carrière. prévaloir que d'un petit nombre de Sous le nom fantaisiste de Paul Autrement dit, notre critique sait ' Vers 1888, après ' avoir accompli compositions. Le soupçon de puf. Héon, un des nègres de Willy, Paul de quoi il parle. Et, ' de, préférence, son année de volontariat dans un fisme se changea presque en certi- Barlet, invitait les lecteurs du Chat il ne parle que de ee qu'il aime, de régiment d'infanterie, à Arras, Satie tude lorsqu'en 1894, Satie détaché Noir à se délecter de la prose du ce qui le touche, justement, de ce était engagé au Chat Noir en qua. de la Rose + Croix, voulut en parcier de l'Eglise d'Art II. jusqu'à qui l'enthousiasme. Ce qui ne si- lité de « second pianiste :D" c'est-à· quelque sorte s'établir mystagogue complète Satieété D. gnifie pas qu'il ne sache écrire sur dirè comme doublure d'Albert Tin· à son compte, en se proclamant L'Eglise d'Art disparut, sembledes écrivains par tempérament dis- chant, aeeompagnateur t-il, vers 189'6. En tout cas, il ne ordinaire Il parcier» et maître de chapelle , tants de' lui comme Chardonne, ou des artistes qui se faisaient entendre fut pas ' question d'en transférer d'une « Eglise métropolitaine d'Art Morand par exemple. Universitaire, chez Rodolphe Salis. Qui avait re- de ' Jésus Conducteur», dont son I'abbatiale en banlieue , quand, en Jean-Louis Bory l'est. - tout com- commandé Satie ' au gentilhomme domicile, 6, rue Cortot, était 1'.« ab- 1898 Satie s'en fut habiter Arcueil. me les auteurs de la nouvelle cri- cabaretier? Un des habitués du , batiale », Des rires s'élevèrent, aux- On a peu d'indications sur ce qu'il tique. Mais cela ne se voit pas Chat Noir, Vital Hocquet, entre- quels il répliqua en fulminant des fit alors, mais il y a lieu de ,penser nulle trace de méthodologie, quelle preneur de plomberie, qui se pi. excommunications. Willy fut parti. qu'il continua de mener la vie difqu'elle soit. Aucun système (pas de quait de littérature et de musique culièrement pris a partie dans le ficile de « tapeur à gages D dans structuralisme, de psychocritique, Cartulaîre de l'Eglise d'Art, où des cabarets montmartrois. Dans un et qui a souvent collaboré à l'hebdode sociologie]. Mais une culture so- madaire de la maison sous le pseu- Satie écrivait notamment: Guide de l'Etranger à Montmartre, lideet riche, 'au .service d'une cu- donyme de Narcisse Lebeau, s'est Est-ce parce que Gauthier-Vil· destiné aux ,visiteurs de l'Exposition riosité d'esprit toujours en éveil flatté plus tard d'avoir été l'introlars, répugnante « ouvreuse du Cir- de 1900 et préfacé par Einile Gouet d'une agilité d'esprit peu com- ducteur de Satie auprès de Salis. que d'Eté », faux histrion sous le deau, figure un petit texte de Satie mune. Cela se peut, mais il est probable nom de Willy, seule abjection en sur Les Musiciens de Montmartre. La vertu de la critique de Jean. que Satie bénéficia aussi de l'appui trois ignominies, est un sordide Comme ce texte n'a été signalé Louis Bory ? Avant tout d'être une d'Alphonse Allais, qu'il avait con- mercenaire de la plume, un cons- nulle part et que la brochure où critique en mouvement. Tout boue ge : les idées, les images - un kaléidoscope, mais où rien n'est laissé au hasard. Et ce mouvement est M. celui là même de la vie. Autre caractéristique: la générosité. Jean. ~ Louis Bory parle de livres, bien sûr. Ville D6pt. Mais toujours, à travers sa critique " Date on sent qu'il n'oublie jamais que le livre dont il parle a été écrit par quelqu'un, et toujours ce quelqu'un souscrit un abonnement est présent en filigrane. Enfin, le critique Jean-Louis Boo d'un an 42 F 1 Etranger SO F ry est un écrivain qui écrit 'une o de six mois 24 F / Etranger 30 F langue preste et précise, qui eonrèglement joint par naît les ressources de la fantaisie et o mandat postal 0 chèque postal court comme une eau vive. C'est un .e h èqu e bancaire plaisir savoureux que de le lire . Le critique est un écrivain : un écrivain qui écrit sur l'écriture, disait Quinzaine Serge Doubrovsky. Il n'en est pas lltUraire d'exemple plus probant que Jean. 13 , rue de Nesle, Paris 6 - C.C.P. IS.S51 .S3Paris Louis Bory. Henri Hell l'ancienne ou à la nouvelle critique. On n'a pas le temps de se poser la question. On suit Jean-Louis Bory jusqu'au bout ou on l'abandonne immédiatement. Ce qui est certain, c'est qu'il appartient à la critique vivante. Celle qui vous fait dire : « Tiens, j'ai peut-être mésestimé Eugène Sue ou je l'ai simplement mal lu. Il faut que je le relise, Son enthousiasme (tout feu tout flamme) est communicatif. Mais ce

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v ient de parait re :

Un e anthologie des meilleurs récits fantastiqu es et de science-fiction

histoires loutre-mond e déjà parus:

• HISTOIRES FANTASTIQUES D'AUJOURD'HUI

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.il a paru est quasi introuvable, mieux vaut le donner ici in extenso:

On me reprochera d 'être bref , cela m 'est égal. Il y a deu x ou trois cents ans, bien peu des musiciens actuels de la Butte existaient, leur nom était ignoré du gros public , et même du mince. Tout cela a bien changé , surtout - semble-t-il - depuis ces dix dernières années . J'aurais voulu , au moyen d 'usages talismaniques, hors de la portée

Erik Sat ie.

des brucolaques , accomplir, au moins une fois , ce qui fut toujours mon plus grand désir: L'exécution d'un passage commémoratif pavoisant les musiciens les plus respectés de Montmartre . . Mais alors, saisi d'un trouble que j'attribue froidement à une exquise timidité obtenue par un recueillement salu taire, je vis qu 'il fallait que je me démisse - à regret, cela va de soi, - d 'une tâche que je considère comme succulente, car, malgré mon intellig ence, il m 'est i mpossible d 'exprimer , en le si étroit espace dont j e dispose ici ; l'entière majest é de ma personne et de mon sujet ; et résolus-j e d 'aviser le passant à Montmartr e, qu 'il lui sera fa cile d'assister - en payant , bien entendu - à quelque s

soirees dans plusieurs des splendides cabarets réunis sur cette sorte de promontoire merveilleux , pour avoir une idée presque photographique de ce que je devrais écrire présentement. Là, il entendra de ses propres oreilles , ou de celles des autres , des vibrations d 'une telle saveur , qu 'il s'exclamera lui-même: Si la musique ne plaît pas au x sourds, même s'il s sont muets , ce n'est pas une raison pour la méconnaître. Je me retire avec simplicité.

L 'hi stoire des vingt-cinq dernières années de Satie présente moins d 'obscurité. Cependant ni M. Templier ni M. Myers n 'ont catalogué exactement l'opérette Pousse l'amour , qu 'ils croient n'avoir été représentée qu 'en 1913 sous un autre titre. M. Templier dit: En 1905 , Satie collabore avec M. Mau rice de Feraudy. Il écrit quelques morceaux d 'une opérette: Pousse l'amour. Il élève la voix au cours d'une répétition et claque la porte. En réalité, le livret de cette opérette avait deux auteurs: le comédien de Feraudy et Jean Kolb. S'il y eut dispute entre librettistes et compositeur , il n'y eut pas rupture , puisque Pousse l'amour fut créé sur une scène parisienne , la Comédie Royale, le 22 novembre 1907 . C'était une opérette en un acte. On la reprit , peut-être un peu remaniée , le 28 février 1913 , aux BeauxArts de Monte-Carlo , sous le titre de Coco chéri. Ni le livret ni la partition de l'ouvrage ne paraissent avoir été édités. Peut-être Satie n'en était-il pas satisfait. Il n'en Il soufflé mot à ceux de ses admirateurs qui, ver!' la fin de sa vie, le pressaient de questions . Il est vrai qu'il était plutôt avare de confidences sur son passé. On a retrouvé chez lui, après sa mort , le manuscrit de la musique qu 'il avait écrite pour Jack in the box, une pantomime dont I'argument était du dessinateur Jules Depaquit. Satie avait toujours prétendu avoir oublié son manuscrit dans un omnibus. Pourtant , il aimait bien Depaquit. C'était , avec le chansonnier Vincent Hyspa, un des rares survivants du Chat Noir qu'il n'eût pas rayé de ses fréquentations. Il devait leur prouver sa fidélité en faisant publier en 1921 , par les Editions de la Sirène , où il était persona grata , un recueil de Il conférences » de Hyspa , L'Eponge de porcelaine , illustré d'images et d'ornements de Depaquit. Pascal Pia Bibliographi e

Articles de Willy : La Plume , 1895 , de Paul Héon , Le Chat Noir, même date . Will y : L 'Ann ée fantaisiste 1895 , Dela· grave, 1896. L'Ouvreus e du Cirque d 'Et é [Will y] , La Colle aux quinte s, H . Simonis Empi s, 1899 . Victor Meusy, Edmond Depas : Guide de l'étr anger à M ontmartr e. J. Strauss, 1900 . Will y : A man ger du foin , souvenir s d 'il y a oingt -cinq ans. Editi ons H enr y-Par vill e, Art icles de Mariu s Richard : La Lib erté, Il et 13 d écembre 1931. Pi err e-Daniel Templi er : Erik Satie, Edition s Rieder , 1932. Rollo Myers : Eri k Sati e. Gallimard , 1959.

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Dorothea Tanning Alain Bosquet Dorothea Tanning Jean-Jacques Pau vert , éd. 160 P C 'est en 1954 , à la Galerie Furstenberg , que Dorothea Tanning présentait pour la première fois ses œuvres à Paris. A cette époque, s'esquissait déjà dans sa peinture une tendance que n ous ne pouvions pas alors interpréter comme un

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Barbarie •

core qu un vrai visage, qu un vrai corps de femme , su rgissen t de ces masses colorées , nébuleuse s et comme en mou vement dans un univers où rien ne peut être défini ni saisi . Le fantastique subsiste mais , détourné des objets , il n 'est plus exprimé que par leur disp ariti on. La peinture semble être ici plu s aim ée pour elle -même q ue pour ce qu'elle signifie. et ce plai sir de peindre ne va pas. pour

nôtre

Eggers , Will , Joffroy , Holmq vist Le s Celtes et les Germains à l 'époqu e païenne Albin Michel , éd. 264 p . Karl J ettmar L 'Art des Step pes Albin Michel , éd . 27 6 'p .

éloignement du Surréalisme, faute de connaître les toiles où , précédemment, l'artiste s'était affirmée. Le livre d'Alain Bosqu et , illustré de 97 reproducti ons, nous renseigne sur cette première manière qui, pendant une dizaine d'années, à partir de 1942 , lui a fait réaliser quelques-unes de ses œuvres les plus intéressantes. Il est curieux de constater que le principe de spontanéité ou d'automatisme, préconisé par les Surréalistes comme technique fondamentale de leur -Iitt ér atur e, s'es t trouvé en totale opposition avec la technique observée par leurs peintres. Rien de m oins spontané , rien de plus min utieusement élaboré qu'une toile de Max Ernst , de Dali, de Tanguy , de Magritte ou de Brauner . La rigu eur du dessin , la précision de chaque obj et représenté, souvent mêm e le classicisme de la facture étai ent sans doute nécessaires à la confrontation insolite des élément s qui n 'introduisaient dans la compo sition une notion de surréalit é qu 'à la faveur de leur réalité. Un changement d 'esprit , orienté vers l'Expressionisme , s'amorce en 1950 sans entra îner toutefois l'artiste à renoncer à ses thèmes de prédilection où l'érotisme joue un rôle insistant quoique di scret. Mais en mêm e temps que la rigu eur su r réaliste s' aff aib lit , une plu s gr ande liberté technique se dé velopp e, vers 1956, da n s le sens d 'une explo sion des form es . due à l'influen ce de l'abstraction . Les sujets de viennent alors souvent indéchiffrables, en-

Dorothea Tanning, sans un tr op grand aban don aux tentati ons de la virtu osité . L'artiste ne se méfie plus assez de sa science, de son sav oir-faire. Tout apparaît, sur ses toiles, tr op j oliment organisé ou désorganisé. On souhaiterait y trou ver par instants une incertitude, une inquiétude, une maladresse, le reflet d'une plus rare sensibilité. Peut-être a-t -elle pris elle -même conscience de cette dangereuse emprise d 'une technique trop sûre, car dans les toiles de ces dernières années, où se révèle une certaine nostalgie du réalisme, nous pouvons observer l'apparition d'un caractère plus vig oureux, plus expressif, qui semble marquer le début d'une nouvelle étape dans sa peinture. Ceci nous est confirmé par sa récente exposition à la Galerie du Point Cardinal. La division en quatre parties du texte d 'Alain Bosquet correspond bien aux principaux stades de l'évoluti -v- de Dorothea Tanning. Sans " ,'aim en t anal yser son œuvre , il l'exp lore avec cette respectueuse sympathie qui retient souvent les aut eurs de critiquer les peintres au xquels ils consacrent une monographie . Il s'applique aussi parfois à re chercher , par son écriture , un équi val ent poétique de la peinture qu 'il com m en te . Mais lorsqu'il écrit , pour expli qu er certaines œuvr es précises: Les étoiles de l'à-peu pr ès et les comè tes chantan tes des lend emain s subits brusq uem ent s'éteign ent , ce son t ses lecteur s qu 'il plonge dan s les tén èbres. Jean SeIx

Des ou vr ages som p tu eux célèbrent l'art II primitif Il de l 'O céa n ie et de l'Mrique, des Indiens du Nord aux tr aditi ons précolombiennes alimentent l'un des ray ons les plus copieux de l'éditi on d 'art. Les publi cation s de grande diffusion ont pourtant ignoré , jusqu 'ici, n os p r imitivismes locaux, ces ar ts celtes. germaniques voire steppi ques sans lesquels toute tradition plastique indo-eur opéenne n'est que vain mot. Deux ouvrage s consécutif s de la collection L 'Art dan s le Mond e viennent heureu sement comb ler cette lacune invraisemblable , deux ouvrages qu i, par ailleurs , définissent avec clarté les principes essentiels de cette série: Point .de tape à l'œil ici , seulement une gran de exigence artistique au service d'une mise en pages classique mais fort élégante' . Celtes et Germains, par Hans Jürgen Eggers, Ernest Will, René J offr oy et Wilhelm H olmqvist ne comptera malhe ureuse ment pas parmi les volumes les plus immédi atement passionnants de cette collection: un rien de prudence scientifique semble y avoir para lysé l'inspiration des auteurs et si nous avons un dossier généreux et une mise en place proto-historique estimable , il est à craindre qu'un public avide de leçons soit dérouté par cette prose quelque peu méthodique , où , cent cinquante pages durant , on lui décrira des fibules, seuls vesti ges interprétables de 1 .300 années barbares. Si les variantes plastiques ou techniques répertoriées par cette patiente enquête historico-géographique ne sont pas le plus utile d'un tel ouvrage, on s'intéressera d 'autant plu s à ce qui est avancé au sujet de l'écriture runique chère à Jules Verne (déformation de l'alphabet grec ?), quant à l'intrusion de hiérarchies romaines parmi des peuplades volon tiers égalitaires (d 'où l'absenc e de palai s, de tombes , voire de « trésor s »), sur les difficile s amalgame s de- -là civilisation méditerranéenne et des atavismes particuliers : seul le repérage de marbres locaux ou de formes spéciales (céramique gallobelge) permet ain si d'identifier la Cl fixi té celtique Il parmi les production s charriées en tous sens par l'envahi sseur. Aux résistances latente s qu 'on peut y voir se rattache le choi x d 'un bestiaire fabuleu x , niant le réali sme romain et duquel il faut bien rapprocher l'art copte , la tradition mésopotamienne , l'e sprit « Viking Il et donc , peu ou pr ou, l'Art Roman.

tres. R'ien de moins' spontané ,' rien de plus minutieusement élaboré qu'une toile de Max Ernst , de Dali , de Tanguy , de Magritte ou de Brau-

plus vig oureux, plus expressif, qui semble marquer le début d'une nouvelle étape dans sa peinture . Ceci nous est confirmé par sa ré-

phique ne sont pas le plus utile d'un tel ouvrage , on s'intéressera d 'autant plus à ce qui est avancé au sujet de l'écriture runique chère

Dorothea Tanning

: Un tableau tr ès heureux . 1948.

On s'étonne que, dans une telle perspective, les auteurs aient tenu à rester tellement soumis au vérifiable et que , pas une fois, on ait tenté d 'animer cet exposé en faisant revivre un monde bizarre où la bière fut breu vage sacré, où les rois de Wagner (Marbod) font figure de mécènes et où des œuvres aussi célèbre s que la Corne de Gallehus emportent avec elles leur légende (découverte par des paysans aux que ls Christian VI la racheta pour une som m e misérable , elle fut volée et fondue en 1802 par un illuminé). Si on a trop craint le pittore sque , le texte de Wilhelm Holmqvist (l 'art germain depuis le ve siècle) donne pourtant, dès ce livre , un bel exemple d 'archéologie rendue vivante . Dans le même esprit , l 'ouvrage très copieux de Karl J ettmar sur l'Art des Steppes (le II style animaIier » eurasiatique: genèse et arrière plan social) est une réussite éclatante car il est passi onnant de bout en bout. Certes c'est le premier livre sur ce sujet destiné à un vaste public, certes l'aire géographique étudi ée (du Danube au Thibet et même au détroit de Behring) bénéficie d 'un prestige exotique que vient renforcer quelque aura myth ologi que ' (légendes préh omériques, fig u res familières des centaures ou des am azones, mamm ouths c'onser trés dans ' la . glace : br onzes chinois). Mais l'auteur d ébor de ce pitt oresque déjà justifié, y ajoute celui des controverses archéologiques (depuis Pierre le Grand) . A cette P'1quête palpitante n 'échappe pourtant pas l'essentiel , qui reste une sain e appréciation des styles et de leurs mouvantes interpénétrations , de cette étonnante fixité de style qui , à un art II animalier » reconnaissable entre tous, ajoute un perpétuel balancement entre le réalisme statiq ue et l'abstraction expressionniste . Pour méthodiquement géographique (d 'ouest en est) qu 'elle se présente elle aussi , l'étude de Karl Jettmar n'en conduit pas moi ns à une synthèse nécessaire où le public trouvera, enfin, une mise en ordre convaincante de ce que l' on doit savoir et de ce q ui peut se supposer sur les rapports des arts mésopotamiens , louristanais et hittite , le rapport même qui semble si évident avec ce germanisme laissé trop lointain par le plus gros du volume précédent. L'entreprise n'était pourtant pa s aisée . Mais c'est là un ouvrage fondamental et si vibrant qu 'il est capable d'offrir l'illusion de récupérer , enfin, les raucités de créations furieuses mais savantes , familière s tout en restant exotiques , les sédu cti ons , doue , d 'une barabar ie rendue nôtre . Mar cel Marnat 1. L'entrep rise est d 'ori gine all em and e (Ho Ue Verlag , Bad en Baden ) . Chaqu e volume : 300 p 18 X 24,60 à 70 pl. en coule urs (typo) , 100 à 150 figur es au tr ait. Illu stration s en noir (h élio ) , bibl iographi e, ind ex-glossaire . carte s et tableaux chronologique s. A lbin ·M ichel , éditeur.

une syntnese necessaire ou le PUOllC trouvera , enfin , une mise en ordre convaincante de ce que l'on doit savoir et de ce qui peut se supposer


Les Galeries-pilotes Le but du Salon international de Galeries-pilote s, son initiateur , René Berger , le définissait de la manière suivante au moment où celui-ci fut créé, en 1963. Notre Salon aspire, écrivait-il alors , non pas à décréter la vérité , ni même à établir des critères , mais à éclairer les conditions dans lesquelles se fait l'art de nos jours . Cette année, à la suite du succès considérable de sa première tentative, il précise son ambition : donner au public l'occasion de juger devant les œuvres , lui donner le moyen d 'apprécier la façon dont les choix s'opèrent , dont les valeurs s'affirment, bref , de découvrir les artistes à la source. Les idées du directeur-conservateur du Musée cantonal des BeauxArts de Lausanne sont claires : il les a maintes fois exprimées . Un musée d'art moderne doit être , aujourd 'hui, un centre d'échanges , d'info rmation, de confrontation . Il a perdu toute raison d'être s'il ne s'envi sage pas comme un musée d 'art expérimental. La vocation actuelle du musée - surtout lorsqu 'il s'agit d'art moderne - consiste moins à conserver des collections qu 'à organiser des expositionsenquêtes. Mais que sont les galeries-pilotes !' Les galeries qui, dans les différents pays, ne se contentent pas de vendre les œuvres des artistes classés, mais sont à la découverte de talents nouveaux, les défendent auprès du public et de la critique, s'efforcent de jouer un rôle d'animateur. Si .l'art est avant tout un contact , écrit-il encore , une galerie, elle, est d'abord un lieu . Il n 'existe , à en croire René Berger , qu'une soixantaine de galeries ;épondant à cette exigence dans les principales villes d 'Europe et du

à Lausanne

monde. Il faut donc voir dans le Salon de Galeries-pilotes un « assemb lage '0 , la juxtaposition temporaire en un endroit donné d'un certain nombre de « lieux » où s'élabore la peinture. La formule , on en con viendra, est neuve et originale. Elle présente l'immense avantage sur les expositions où interviennent les sélections nationales , comme la Biennale de Venise ou la Biennale des Jeunes, de la souplesse et du choix délibéré. Ne s'embarrassant ni du souci de la représentativité ni de celui des hiérarchies officielles , elle possède des chances accrues de dépister, là où elle se manifeste de manière active, l'invention pic turale. Il y a trois ans, par exemple , le Salon réunissait des tableaux de Rauschenberg et de Jasper Johns alors que les recherches de la nouvelle peinture américaine demeuraient encore très peu connues du public européen . Il présentait les peint res , à l'origine du pop-art , dans lesquels on devait bientôt reconnaître les créateurs d 'un des mouvements les plus importants de la peinture d'aujourd'hui. Cette année , deux galeries de Zagreb et de . Prague permettent non seulement de mesurer le développement récent de l'art dans les états socialistes, mais nous renseignent avec précision sur la vie artistique ainsi que sur la façon nouvelle dont s'organise le marché de la peinture dans ces pays. Cela ne saurait être mis en doute : tant par sa conception que par sa réalisation, le Salon de Galeriespilotes offre , contrairement à d'autres manifestations nationales ou internationales analogues, une ou verture et un renouvellement qu 'il

est devenu rare de rencontrer à une époque dans laquelle chacun est persuadé , en mat ière d'art , de ' détenir à lui seul toute la vérité. Sa limite , cependant , découle de sa volonté même de se rendre disponible. Dans le catalogue du Salon , René Berger se réfère plusieurs fois à la connaissance scientifique dont l'accélération nous oblige aussi bien à réviser notre vision du monde qu'à accomplir de périodiques mutations . Il compare la recherche artistique à la recherche scientifique. Mais, pas plus en peinture qu 'en physique, la nouveauté ne se confond nécessairement avec l'ac tualité. Ce sont les découvertes de Planck et d'Einstein qui continuent à déterminer , en 1966 , notre distance psychique. Planck et Einstein sont l'esprit nouveau et nous ne nous soucions guère des hommes de science qui « font de la série » à Pierrelatte ou à Los Alamos. Il n 'est pas vrai que l'art marche si vite . Le manque d'œuvres majeures se fait cruellement sentir à l'exposition de Lausanne. Non qu'il s'agisse de regretter l'absence de Matisse , de Picasso ou de Klee dont les ouvrages sont désormais assimilés et dont une exposition prospecti ve peut fort bien se passer. En revanche, il nous semble que Dubuffet , Masson, Giacometti, Pollock, Pignon , Fautrier, pour ne retenir que quelques noms, devraient trouver leur place dans un tel ensemble. Outre qu'ils demeurent peu connus du grand public, qui contestera qu'ils engagent davantage l'avenir de la peinture que Marfaing ou Messagier? A la suite de Rauschenberg et de Johns , d 'autre part , l'omission qui a conduit à écarter Wesselmann , Lichtenstein , Rosenquist ,

A LaU8llI1Jle,

L 'Hommage

A Lausanne , L 'Hom me de Draguignan , de César

de même qu e les principau x représentants de la nou velle figu ration , demeure ine xpl icabl e. Si ces arti stes appartienne nt à des galeri es qui , déjà , ont eu leur tou r , leur impor tan ce actuelle exigeait de fair e excep tion à la règle.

à vaUejo , de

Penalha

L'accession des masses à la culture , en dépit des récriminations de quelques-uns , est inéluctable. Le problème consiste uniquement à ne pas céder à la facilité. Postulant que la peinture contemporaine, si elle n 'est pas pour tous , dès lors . qu 'on prend la peine d 'en aménager l'accès , peut cependant s'adre sser à un nombre croissant d'individus , le Salon de Galeries-pilote s constitue une tentative indispensable . Malgré les quelques faiblesse s .que nous avons signalées au passage , il se range à nos yeux parmi les entreprises d'un type nouveau qui , dès maintenant , préparent l'entrée de l'homme dans la civilisation des loisirs. lean-Louis Ferrier Le 2' Salon de Galerie s-pilotes a lieu au Musée can ton al des Beaux- Ar ts, Pala is de Ru m in e, à Lau sann e. Il est ou vert du 12 ju in au 2 octobre , tous les j ou rs de 10 à 12 heure s et de 14 à 18 heure s ai nsi que le j eudi soir de 20 à 22 heure s. Des visites-con fér en ces sont organ isées les jeudi s soirs. En perma nence , il est possi ble de su ivre de s visites radio-guid ées.

quelques-un s, est inéluctable. Le problème consiste uniquement à ne pas céder à la facilité. Postulant que la peinture contemporaine , si


PHILOSOPHIE

~e:r Heidegger Questions III Traduit de l'allemand Gallimard, éd. 232p.

Question III regroupe des textes échelonnés sur les vingt années qui ont suivi . la deuxième guerre mondiale ; seuls les deux derniers, Sérénité (1959) et son commentaire (1945), demeuraient à ce jour inédits en France. De loin en loin nous arrive la traduction d'un livre ou d'un groupe de textes de Heidegger . L'une des plus récentes, Approche de HOlderlin (1962) n'a pas soulevé le moindre écho; la parution en 1964 de la première partie de l'Etre et le Temps à peine davantage. Sur le fond de cette indifférence tacite, que reste-t-il à tenter dans un journol à propos de Heidegger? C'est que les choses vont très vite - beaucoup plus vite même , sans doute, que le plus avisé observateur de leur vitesse ne pouvait (ne peut à chaque fois) le prophétiser; la dérive du modernisme .est tout simplement effrayante : la lecture de Heidegger en France (en français) , à peine inaugurée en 1939 par l'entreprise de Henry Corbin (Qu 'est.ce que la Métaphysique; morceaux choisis, N.R .F.) aussitôt interrompue par la guerre, retrans mise dans la réfraction existentialiste 1 qui s'intéressait à Heidegger en le défigurant, réouverte par Jean Beaufret à qui la lettre sur l'Humanisme2 était adressée dès 1946 , où en est-elle; nous en sommesnous acquittés? Nullement . Bien plutôt cette lecture est déjà laissée en arrière sans avoir eu lieu. On dirait que la voix de Heidegger nous parvient comme celle d'un très Vieux maître oublié - qui at tend son heure. Le ton propre de Heidegger, tra vesti en existentialisme ne fut donc tout d'abord pas perçu; puis il transperça à la faveur du travail de Jean Beaufret : si frappant était ce ton dans sa singularité transmise par un enseignement bon conduc teur que quelques uns le reconnu. rent comme celui de la pensée de notre temps et que l'ivresse du Banquet les porta . En peu d'années cependant l'extraordinaire amplification-accélération de ce que cette pensée pressentait la submergea : une nouvelle manière du langage de parler du langage , le style difficile et excitant des sciences humaines , la percée décisive de la linguistique, de l'anthropologie structurale, de la psychanalyse, et voici qu'avant que cette lecture ait vraiment commencé , toute l'époque la frappe d'une sorte de désuétude, d'inaudibilité . Soit un jeune agrégatif: il ouvre avec gourmandise les pages de l'Expérience de la Pensée (op . cil. p . 19·41) , il attend la vites se et la complexité , le réseau serré des allusions cultivées , des citations et citations de citation s, l'indication de structures, l' « articulation » d'homologies psychologiques, philo-

tèür que quelques uns le reconnu. rent comme celui de la pensée de notre temps et que l'ivresse du Banqu.et les"p0rta . ~? ~u d'an~~~s

aujourd'hui

logiques, .sociologiques, la réflexion épistémologique bien thématisée etc. Que rencontre-t-il? quelques sentences espacées, montées en . parallèle avec les bribes poétiques ' des pages de gauche ; il est déçu ; il referme: Heidegger est dé-modé. Plus précisément il arrive ceci ; entre l'exploration « de pointe» menée par des avant-gardes dogmatiques, qui ont en commun le sentiment de leur complicité dans le risque - et qui, remarquons-le , ont « dépassé» Heidegger sans s'en apercevoir, dans la mesure où, par exemple, l'a-humanisme du pen· seur allemand aussi bien que son effort pour récapituler et clore l'ère de la représentation ont été en quelque manière assimilés et rendent possible ce qui (1 va de soi» aujourd'hui -, entre ce commando, donc, sous consignes et enseignes linguistiques, et le piétine . ment massif des « intellectuels » arriérés au campement des Il valeurs ' humanistes», ravitaillés en toute naïveté aux vieilles cantines qui ont fait leurs preuves (Idéologie révolutionnaire, forme-et-fond, pro g r è s contrôlé, supplément d'âme , dialogue-aveo-ceux-de-I'autre-camp. i. etc.), dans la fourche béante de cet éclatement Heidegger s'est tout simplement engouffré, au point que l'entente de sa voix n'est peut-être plus possible ... Ce petit livre, avais-je commencé d'écrire à propos de Questions III ... Mais une phrase concernant Heidegger peut-elle s'initier ainsi sans être suspecte aussitôt de se donner l'air de ne pas y toucher pour mieux préparer le renversement attendu qui démasquera soudain ce mince volume comme un très grand livre, le plus grand livre voilé en sa modestie ... etc. ? Non; nous ne préparons rien de tel. D'une certaine manière, il s'agit bien d'un petit livre , humble cornme le cheminement du pas auquel il se réfère de son début à sa fin, d'un pas villageois sur les chemins de son pays (tandis que passent les années, combien, cela ne fait rien , le compte ne compte pas, ni lent ni rapide, les années de la vie, interminables , éphémères), qui se rend ' à des commémorations , à des fêtes d'anniversaires locaux , à la mesure d'un « pays ». Le propre de cette mesure, c'est que les noms n 'y sont pas de « grands noms ». Qui célèbre-t-on ? Hebel, Kreutzer: un poète d'almanach inconnu en France, un musicien de « deuxième plan»; bien plus, ces noms sont brouillés , confondus, l'un avec celui de son presque homonyme dramaturge plus notoire du 19< siècle , l'autre effacé avec son propre nom servant de titre à la sonate que Beethoven avait dédié à son homon yme. Pourquoi célébrer ces gens de « deuxième ordr e » que la comparaiso n avec Il le prem ier ordre » enfonce dan s l'in égal ité ? A moin s qu' il ne s'agi sse d'un e autre échelle , irréductibl e à tou te annees, commen, cela ne tart nen , le compte ne compte pas, ni lent ni rapide, les années de la vie, interminables , éphémères), qui ..J se __ _ ...1 ::.. ..J !:.__ .... _ _ _a.~

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comparaison, celle d'une mesure éclipsée mais tenace, et que ce soit en toute justice à son instance que Heidegger nous défère. Quelle autre mesure que celle où nous continuons de vivre, tout en ne voulant plus, ne pouvant plus, ne sachant plus y vivre. La ' commémoration et remémoration de cette mesure, si nous peinons à nous y rendre un instant ici à nouveau sensible , que ce soit par le biais plus facile de ce qu'elle contre-indique: l'éloge du milieu où Hebel et Kreutzer ont leur grandeur propre implique le repoussoir d'une mauvaise .m esu re : celle des idoles surexhaussées, distantes, abstraites, qui correspondent au survol hâtif des journaux internationaux, pareilles aux pics qui font le désert par leur disproportion Il colossale ». Car vécue ici, sur place, la vie, notre vie, continue de se dérouler à cette échelle qui est celle des noms des rues, des places et des monuments ni grands ni petits, des événements (1 locaux »... etc. (1 Redescendre» à ce niveau, c'est réinsister discrètement sur le fait qu'il n 'y a pas que la grandeur abstraite où ne cessent de déporter notre attention les nouvelles d'ail· leurs. Il y a 3, il subsiste une grandeur propre qui n'est pas Il grande», c'est là toute la difficulté, qui est même « petite », si

Heidegger

l'on compare la fontaine locale à la gare de Milan , un Della-Robia aux enseignes de Time Square, Kreutzer à Hollida y. Cette grandeur sans énormité corre spond à un e dimen sion , à un e étendue que le dernier texte du livre (Sér énité) essaiera d 'approcher pensi vement , et à laquelle tient (peu t-êtr e) si

essentiellement l'homme, dont dépend (peut-être) si essentiellement notre être, qu'elle ne peut qu'être recouverte mais non annihilée. Et si nous ne pouvons rien de définitif sur elle, alors la pensée de Heidegger qui se fie à cette mesure devrait plutôt dans ce même langage détestable qu'elle conteste - être taxée d'optimisme plutôt que de décourageante amertume .

Le centre du livre est ouvert par l 'anxiété de la question du rapport de la Technique et de la Terre. Qu 'est devenue notre habitation, notre vivre aujourd'hui? Cette énigme dont nous ne connaissons pas encore le véritable nom, c'est que la nature techniquement maîtrisable de la science et la nature naturelle du séjour humain, à la fois habituel et historiquement déterminé , prennent leurs distances comme deux domaines étrangers et s'éloignent l'un de l'autre à une vitesse toujours plus folle (p. 64). Entre le soleil de l'astrophysique et ce soleil qui continue paisiblement à tourner autour de la terre (ou cette lune de HebeI qui demeure « l'ami de la maison»), le divorce total et hallucinant est prononcé depuis longtemps . Bien plus: il ne s'agit plus seulement de juxtaposition indifférente des deux soleils: que le projet de l'astrophysicien , en effet , vienne exiger pour sa vue et ses menées la modification du sol où nous vivons, ou, comme dit René Char, percer la noble écorce terrestre, et nous voici dans l'aporie la plu s inextricable, la guerre intestine des deux terres. Par le champignon de l'explosion atomique la terre s'est faite signe, a pris pour l'homme la forme visible du point d 'interrogation. Loisible à beaucoup de pratiquer une lecture de Heidegger qui, isolant et raboutant les passages où la technique est sommée de s'arracher à sa tranquille assurance, et comme implorée de s'inquiéter d 'elle -même , les présente comme le document de l'aigreur antitechnique : telle est la mauvaise foi de ceux qui ont intérêt à Il oublier» les passages nombreux où Heidegger a souligné qu'il n 'y a pas de sens à parler contre la technique sur le mode de la réaction nostalgique. La lecture de Heidegger, peutêtre n'y a-t-on pas assez insisté, implique la rectitude du jugem~nt. Chose curieuse , alors qu'il s'agit en effet souvent d'un mouvement simpIe de description rigoureuse qui, in terpr étan t la situation avec calme, « dénonce» en montrant ce qui se passe en fait et rien d'autre, mais à partir du point de vue ou jugement inévitablement escarpé d'où seule une (1 vue d'ensemble» de notre monde peut apparaître aux contemporains , analogue par exemple à la hauteur que doit prendre d 'avion l'archéologu e désireux de relever les soubassements de l'oppidum romain dans le champ de céréales, cette lucid ité n'est pas admi se; elle irrite la plupart qui mauvaise foi de ceux qui ont intérêt à Il oublier» les passages nombreux où Heidegger a souligné qu'il n 'y a pas de sens à parler contre


demeurent ainsi en deçà de ce qui devrait être pris comme la « base de départ » pour la discussion , l'approfondissement, la clairvoyance. De sorte que l'on perd son temps à essayer d'amener le contemporain à ce poste d 'où il pourrait (devrait) voir de ses propres yeux, constater que (par exemple) le nationalisme n 'est pas surmonté par le pur internationalisme, mais seulement élargi et érigé en système (p. 118); ou que le collectivisme est la subjectivité de l'homme sur le plan de la totalité . Il accomplit la propre affirmation inconditionnée de cette subjectivité ; ... partout l'homme exilé de la vérité de l'Etre tourne 'en rond autour de lui-même comme « animal rationale» (p. 119). Le dernier moment du livre accomplit l'effort le plus difficile. Il s'agit d'un dialogue à trois. Leur entretien emprunte son chemin sur un chemin ,de terre : le chemineJnent de la pensée et le lieu de la déambulation des trois hommes sont en quelque sorte la métaphore ori- , ginaire l'uri de l'autre. Nous .pourrons, si nous auscultons les trois voix au moment où chacune entre en scène, saisir pour chacune la différence avec les autres, le sillon d'où elle parle et quel jeu elle va tenir dans la partition. Ainsi obtiendrons-nous d'importantes Indica. tions sur ' l'intona~on beideggerienne. Le-Savant (Forscher] 4 demande; exigeante son « incom,réhension» (je n 'arrive pas à comprendre com· ment on pourra , jamais découvrir l'essence de l'homme si on se détourne de l'homme), non seulement favorise par son aspiration la mare che en avant du Professeur (Lehrer) , mais sa docilité ouverte, son absence de préjugé, vont garantir . une sorte de disponibilité assez pure à qui sera donné de faire progresser le dialogue; c'est lui qui dit: D'un 'cœur toujours plus détaché je fais confiance à la direction invisible qui dans cet entretien nous prend par la main, ou, plus justement nous prend au mot (p . 186). Et, certes, ce ton a de qui irriter : une telle confiance à l'impersonnel, en tant qu'il. est ménagé par un entretien où chacun se renonce entièrement .d'un certain côté pour être mieux (plus impersonnellement), d'un autre côté, entièrement à sa capacité propre, n'est-ee pas l'équivalent , pour le milieu de la pensée, de l'antique abandon à la « muse », au principe d'une manie festation de vérité qui ne dépend pas de nous ? y a-t-il rien de plus anachronique par rapport à la suffisance humaine qui, précisément, ne cesse de faire ses preuves en d'insurpassables réussites ? Quant à l'Erudit (Gelehrter) sa première intervention sera pour rappeler, non « à l'ordre », mais à la mémoire de ce qui a été dit, qui doit incessamment contrôler I'entretien pour maintenir son chemin sur la voie de 'la tradition propre : La pensée, si on l'entend au sens traditionnel comme une représenta-

prédire le déluge ou l'apothéose, cherche pensivement à nous tenir 'à la hauteur de notre temps.

tioti est un vouloir; Kant lui aussi conçoit la pensée de cette façon , lorsqu'il la caractérise comme spontanéité . Penser c'est vouloir, et vouloir c'est penser (p . 184).

Le Maître, lui , (Lehrer) est la pointe de cette lance triangulaire (Ort, disait le commentaire à Trakl) ; il prend en charge la pensée de pointe, la pointe de la pensée; ou plutôt elle le prend en charge, le ramasse et le lance. C'est lui qui mène l'effort pour trouer l'horizon de la représentation, passer derrière, échapper, remonter de Gegenstand (l'objet) à Gegend (la contrée), centre de toute (op )posi. tion, « par delà la métaphysique de la représentation.» La pensée en lui commence à transgresser calmement la relativité kantienne (nous cherchons ce qu'est en soi l'ouverture qui nous environne) (p. 193), à échapper à l'implacable Idéallsme qui arrive de nos jours, par exemple, à son expression sartrienne: (nous .sommes sur un plan où ü y a seulement des hommes) (p. 106). Quand la tension est assez forte, en cet entretien des trois, il peut être question « d'en sortir» - sortir de la relation du pur rapport à nous, et commencer d'entrer dans un autre espace, celui de la libre éten due de la contrée, dite de son côté, en se met tan t, si. l'on ose dire, à sa place, si c'est' elle qui nous octroie de pouvoir nous mettre à sa place, et ainsi de l'apercevoir comme l'unité de l'étendue et de la durée (p. 194), la perma· nence du s'étendre-perdurant, au delà donc de la différence espace· temps constitutive .à l'idéalisme aussi bien que de la combinaison quadri dimensionnelle de la science .modern e, dans la brièveté d'une audace pour laquelle « au delà» ' veut dire plus intimement en direetion d'une unité que suggérerait peut-être en notre langue l'homonymie pause-pose. Le signe que cet effort de passer· outre s'accomplit régressiveinent c'est-à-dire vers la connexion plus « intime» de l'originaire, ou encore d'une invisibilité toujours « plus proche» que tout ce qui a été jamais visible comme le plus proche, c'est qu'il a recours à des mots anciens, des mots hors d'usage qui font retour par leur simple retentir, des mots arrachés à la représenta. tion , des mots d'avant la crise (tels Gegnet, ou Gelassenheit) : Un tel effort culmine en la Gelassenheit: vocable traduit ici par sérénité, fâcheusement peut-être dans la mesure où l'emploi, si je puis dire, est déjà tenu pour traduire Heiterung et tout le lexique de la question Heiter, Heiterkeit, Heiterung au centre du commentaire au Heimkunft hôlderlinien. Au reste, ce passage (p. 177) corrige la traduction trop simple d'un mot par un autre : un vieux mot s'offre à nous pour désigner cette attitude du oui et du non dits ensemble au monde technique : c'est le mot Gelassenheit. Il Egalité

d'âme »; parlons de l'âme-égale. en-présence-des-choses. Comment subsister dans le monde technique à l'abri de sa menace ? telle est la question affrontée avec « Sérénité ». Avouons-le: notre inquiétude ne parvient pas à s'apaiser, car si à côté de phrases comme celle-ci: nous pouvons utiliser les choses techniques, nous en servir normalement, mais en même temps nous en libérer, de sorte qu'à tout moment nous conservions nos distan· ces à leur égard (p. 177), je cherche des exemples, j'aperçois bien par où à l'égard de l'automobile entre autres, je puis me tenir dans une réserve telle que mon usage de l'auto ne m'atteigne pas au cœur (indifférence sympathiqUe à régard d'un objet plus ou moins bien entretenu), mais je devine plus malaisément comment un agriculteur pourrait reposer dans la même égalité à l'égard des énormes machines dont dépend son malheur à l'heure de la moisson, ou le chef technicien à l'égard du gigantesque barrage qui a transformé la région ... L'attitude requise par les choses techniques qui s'interposent eompIètement entre l'homme actuel et la ci-devant nature peut-elle se contenter de l'égalité d'âme? Les choses ne requièrent-elles pas un engagement plus décisif de notre part et, pour les transformer, une métamorphose où nous ne nous perdrions pas pourtant, qui reste à inventer poétiquement peut-être? Voilà ce dont nous aurons à débattre. Mais saluons l'étonnante espérance du vieux penseur allemand qui, seul peut-être à ouvrir la pensée à la dimension du phénomène en cours pour porter par la pensée le phénomène à sa vérité, loin d'exulter ou d'enrager, loin de 1

A l'écart de l'exceptionnelle prétention de beaucoup qui veulent (puisque le vouloir caractérise encore cette pensée) résorber l'époque en un discours « théorique et pratique », mais de toute façon autarcique puisque fondé en soi-même, et totalitaire sur le fond actif de la prétention philosophique toujours en travail, Heidegger, présent. absent parmi nous comme le pen· seur ' grec parmi la meute des sur sophistes, parle différemment: le chemin de moins en moins fréquenté dont la direction est mare quée par cet avis: le mauvais danger ( qui menace la pensée) le danger confus, est la production philosophique (p. 29). Ses livres, son livre, auront de plus en plus de mal à être entendus. Ils ne ' peuvent qu'être relus, accompagnés (commentés) dans un discours consentant, homologue , car il n'y a pas à « expliquer ~ la méditation en la faisant toinber dans un discours infra-conceptuel, mais plutôt à chercher l'accord avec elle dans la transposition d'un langage propre, différent et ouvert, ineonfusible avec celui où la pensée se fraye son chemin, mais . conscient de leur appareillement distinct. Heidegger parle différemment . Il y aura bientôt à faire subir un examen stylistique aux discours philosophiques actuels en leur dépost-phénom énologique ploieinent ou post-marxiste, pour exposer cruellement leurs articulations stéréotypées, leur teneur métaphorique incontrôlée, leur trame de clichés, l'usage grammatical convenu qui les sous-tend, bref à un niveau où l'on s'apercevra peut-être ' alors qu'ils sont tenus implacablement par des «structures» qui les condamnent à la mauvaise répétition, quelqu'ambitieux que soit leur propos. Avec eux pas la moine dre surprise. Or, le caractère de la pensee, qu'elle est œuvre de poète, est encore voilé (p. 37) ; le poème est la surprise, son mode déconcerte la langue, la désaisit de ses habitudes et ainsi la rend apte à saisir ce qui toujours échappe. Pas d'autre signe de notre emprise réciproque sur ce qui est autre que cette déconvenue (au 19· siècle on eût dit: ce frisson) qui transeourt-parcourt le lexique, la syntaxe, la langue: la langue parle alors, qui en sait plus que nous. Heidegger parle différemment. Michel Deguy 1. Dans tolU les manuels scolaires Heidegger apparait comme variante de " l'existentialisme athée; or Illl pensée refuse l'existentialisme et tout apparentement à toute interprétation en termes d'athéÏllme . 2. Reproduite ici dans la traduction de R. Munier, la lettre avait été éditée chez Aubier en un petit volume bilingue . 3. Es gibt <las sein (p . 107). 4. Il semble que la traduction ici puisse être discutée: Forscher est le chercheur ; Lehrer est le maître , et Gelehter, « l'érudit Il qui, passé chez le maître est son ancien élève .


SOCIOLOGIE

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Descartes ' a l'éventaire Pierre Mesnard Descartes Philosophes de tous les temps Seghers, éd. 200 p. Descartes Œuvres publiées par Adam et Tannery Vrin , éd. (réédition) Descartes Œu vres philosophiques publiées par F. Alquié Garnier, éd . 829 p. Devant cette profusion, devant cette ouverture d'é ventail ou d'éventaire -, il ne me vient , pour entrer en matière ; que des mots de camelot : « Pour tous les goûts! Pour toutes les bourses! Pour toutes les conditions! » etc. Mais soyons sérieux . M. Pierre Mesnard est membre de l'Institut et directeur du Centre d'études supérieures de la Renaissance: vous êtes assuré de n'avoir pas affaire à un hurluberlu. Pas davantage, notez-le , à un pédant. Son petit livre est mûri, ordonné, équilibré. Et cependant, à mon goût, un peu décevant. Son éditeur a osé et réussi ses «Poètes d'aujou rd'hui». Ce qui me déconcerte dans ses collections. c'est l'ampleur des commentaires comparée à l'étroitesse des textes . VlJyez ici: 102 pages fragmentaires de ' Descart es (d'ailleurs choisies avec pertinence , si l'on suppose l'initiation accomplie ), pour illustrer 79 pages, même excellentes, d'introduction, non, décidément, attaché comme je suis à la vertu des textes, je ne puis me faire à une telle disproportion. La librairie Vrin reprend, en coédition avec le C.N.R.S., la gran- ' diose, illustre et introuvable édition d'Adam et de Tannery, publiée de 1897 à 1913 : on a pu en rectifier certains détails, mais rien encore n'a été capable de la remplacer. Six volumes ont déjà paru : le Discours de la méthode avec les trois Essais (l'un et les autres suivis de la traduction latine, utile pour éclaircir des points douteux), les Méditations (un tome de latin, un tome de français), les Principes (également), enfin un recueil de textes surtout polémiques. On annonce pour l'automne la réimpression de l'ancien tome X, avec les Règles pour la direct ion de l'esprit , avec aussi les textes et les documents concernant la jeunesse superbement énigmatique de Descartes. La typographie est toujours aussi belle. On a seulement réduit les marges, pour rendre plus maniables des volumes dont chacun est maintenant suivi de notes nouvelles modernisant avec concision l'ancien travail. Et l'organisation en est ainsi conçue que toutes les références qui y renvoient depuis deux tiers de siècle demeurent exactement bonnes; ' détail fort important pour les spécialistes.

Mais , si savante soit-elle, une telle publication ne s'adresse pas aux seuls érudits . C'est un monument que la troisième République a, su élever au plus beau souci qu'elle a eu d'elle-même. Et quelles conséquences! On n'imagine pas Valéry sans son propre cartésianisme, lequel, je n 'en doute pas, a procédé surtout de l'édition Adam et Tannery. Même remarque pour Péguy, dont le peu qu'il a écrit sur Descartes reste irremplaçable. Et Alain , et le passage de l'aristotélicien et du spinoziste qui signait Criton ou Chartier à celui qui signa Alain? Qui donc déterminera la portée d'une telle influence sur la sensibilité intellectuelle française du vingtième siècle ? Reste la question de la corres pondance . Elle ,occupait jadis les cinq premiers tomes d'Adam et Tannery, plus quelques supplée ' ments ici ou là. Présentation aujourd'hui périmée: on a trop découvert depuis. De 1936 à 1963 Ch. Adam et G. Milhaud ont tout

Le crâne de Descartes

rénové en huit volumes des P.U .F. : les premiers tomes étaient épuisés avant que les derniers eussent Plll'U. . On ne réimprime pas . Peut-être la perfection n'était-elle pas tout à fait atteinte. Mais est-il concevable qu'à notre époque de grandeur cet ensemble de première grandeur reste en l'état d'un chantier interdit au public ? Culture, oui ou non ? Entre les deux extrêmes un milieu juste (je ne dis certes pas le juste-milieu, ni même le seul milieu possible) me paraît très bien représenté par l'entreprise , ample sans démesure, de M. Ferdinand Alquié chez Garnier. Qu'ils sont loin , les vieux Classiques Garnier de papa! L'ensemble comprendra trois gros tomes, dont seul le premier (plus de 800 pages) a paru jusqu'à présent; rien d'essentiel n'y manquera donc. Le choix, d'ordre principalement philosophique, comprend et comprendra - avec, comme il convient et comme il importe, beaucoup de correspondance _ ' la totalité des

,

Descartes ' a l'éventaire

textes relatifs à la métaphysique , à la morale, et à la méthode considérée dans sa généralité. Parm i les œuvres scientifiques , celles seulement qu 'un lien serré rattache à la philosophie et à la sagesse : peu de mathématiques, davantage de physique, beaucoup de cette anatomie et de cette physiologie qu'on croirait ridiculement , dépassées et qui, à y regarder de plus près, conservent une extraordinaire signification méthodologique. Quant aux commentaires, historiques, explicatifs ou interprétatifs, ils comblent l'attente de quiconque connaît la place de M. Alquié dans le peloton de tête de nos cartésianistes .

Robert K. Merton Eléments de méthode et de théorie sociologique traduit de l'américain Plon, éd. 512 p .

La collection « Recherches en Sciences Humaines » publiée chez Plon sous la direction d'Eric de Dampierre, nous offre une seconde édition des Eléments de méthode et de théorie sociologique, traduite par Henri Mendras sur le texte américain de Robert K. Merton . Ce recueil d'essais, divisé en trois sections (les deux premières : méthode et théorie, annoncées par le titre même de l'ouvrage , la troisième consacrée à la sociologie de la conVa-t-il aussi loin que l'annonce naissance) , attire tout particulière. son introduction dans la présentament l'attention sur les mérites" et tion des textes susceptibles de nous aussi sur les limites , de l'analyse renseigner sur l'homme qu 'était fonctionnelle en sociologie. Descartes ? Celui-ci continue parmi Merton rappelle une remarque nous à passer , d'une manière absur- de Henri Poincaré , qui reprochait de, pour le prototype du théoricien aux sociologues du début de ce pur , alors que nul n'a compris siècle, de consacrer trop de temps comme lui, leçon toujours forte et aux débats de méthode. Il est vrai que le mot « méthode », tel qu'il toujours neuve, que le royal itinéétait pris à cette époque, signiraire qui . conduit à la communication et à l'universalité passe par les fiait plutôt la discussion sur les Iichemins étroits de la singularité . mites et le domaine de la 'socioCela, M. Alquié le sait si bien que, logie (ses rapports avec les autres pour la première fois, et selon un sciences sociales, avec l'histoire, avec la philosophie), sur les méparti qu'il avait énoncé dès 1950 rites comparés de la « compréhendans sa Découverte métaphysique de l'homme chez Descartes, il nous sion » et ' de l' « explication », qu'une analyse des démarches au propose une édition « strictement terme desquelles l'observateur peut chronologique », énoncer et prouver touchant quel. ques faits bien établis, les hypoLa plupart des erreurs commises thèses qu'il propose pour en rendre sur Descartes, dit-il , viennent de ce compte. Aujourd'hui, ce débat plus que l'on se refuse à considérer son ou moins « philosophique» s'est esprit dans le mouvement de sa transformé en une méthodologie de découverte, alors que lui-même veut la recherche et de la vérification. ,nous livrer l'histoire de sa pensée, Le point de vue de Merton ne se et donne, de sa métaphysique, une corifond ni avec celui qui prévalait présentation temporelle. On éclaire au temps de la guerre des méthodes alors ce qui précède par ce qui suit, (Methodenstreit) ni avec celui des on confond tout, on découvre des , Il méthodologues D, ou du moins contradictions là où l'on devrait des méthodologues qui seraient tenapercevoir le caractère successif des tés de voir dans la canonique de la moments d'une démarche. Parfait. recherche un outil rigoureusement Ou presque parfait. Ou plus que neutre par rapport au contenu parfait . qu 'elle a pour but d'élaborer et de constituer en objet de science. Ce Ecla irer ce qui précède par ce qu'il y a de caractéristique dans la qui suit n'est pas toujours si sot. démarche de Merton, c'est que l'objet et la méthode de la sociologie La volonté cartésienne de penser n'est pas à ce point assujettie à sont inséparables; non seulement l'historique. On rêverait plutôt de l'étendue de la connaissance sociologique s'accroît, et ne peut s'aclongues et lentes lames de houle: elles se succèdent dans sa biogra- croître que par l'affinement corréphie à peu près tous les dix ans, latif de l'instrument d'analyse, mais non sans recoupements, non sans encore ce dernier ne se perfectionne qu'au contact des problèmes que interférences. Des périodes; dont l'information empirique et la pra· chacune se prépare, dont chacune tique quotidienne sont amenés à se prolonge: n 'émiettons pas trop poser sinon à résoudre. sa ferme et constante résolution. Cette liaison entre la méthode et la théorie - il vaudrait mieux dire Menues réserves: accueillez-les la recherche et la réflexion - est vous-mêmes avec réserve . Ce qui rendue possible grâce à la fécondité importe , c'est d'observer l'éminence du schéma fonctionaliste . Il faut du rang que le vrai Descartes conti- bien voir que toute discipline, surnue, en fait, à tenir parmi nous. tout à ses débuts, a besoin de quel. Différentes éditions ' de poche I'at- ques images, à la fois assez simtestent, il aurait fallu en parler ' pIes et assez générales, qui stimulent l'invention du chercheur, qui aussi , mais on n'en finirait plus; lui inspirent des rapprochements et avec lui on n'en a jamais fini. Samuel S. -de Sacy quelques généralisations. Les socio-


RELIGIONS

Sorciers et magie

Bons sens et sociologie logues ont trop Souvent été tentés de prendre ces images pour des l( théor ies », les rapprochements pour des hypothèses, quelques vagues généralisations empiriqu,es pour des modèles , mais, si je lis bien Merton, ce risque doit être couru à condition que ce soit les yeux ouverts - et il n 'est pas excessif , si quelques précautions sont prises . Il est difficile d'indiquer en quelques lignes les origines du fonctionalisme. Disons que tel que nous le présente Merton , c'est une interprétation de quelques -uns des apports les plus caractéristiques des sciences sociales européennes . Dans cette perspective , Durkheim est fonctionaliste (comme le sont bien entendu les anthropologues anglais qui aiment tant invoquer sa gloire), mais Max Weber , lui aussi, avec ses analyses classiques sur la place des idéologies religieuses dans la constitution du système capitaliste, a droit à la même désignation. L'imprévu de ce rapprochement que Parsons a tant fait pour accréditer, suffit à faire sentir le côté composite et à bien des égards électique du fonctionalisme . Si maintenant, on cherche à dégager quelques-unes de ses hypothèses essentielles, on est amené à énoncer quatre postulats : le premier que j'appellerai de rationalité, le second de totalité , le troisième de cohérence ou d'intégration, le quatrième d 'adaptation. L'ordre social est rationnel , au moins dans le sens minimum qu'il est connaissable , c'est-à-dire observable et prévisible . La société est un tout , et aucun élément ne peut être saisi sans sa relat ion au tout; le tout est cohérent , et un ensemble de mécanisme s spécifiques tendent à restaurer cette cohérence lorsqu 'elle est en danger . Enfin , le tout social est situé dans un milieu auquel il s'adapte plus ou moins efficacemen t . Cette rationalité , cette cohé sion, cette intégration , cette flexibilité, passent souvent pour constituer les Il fonctions » du système social. Mais ce mot est gravement ambigu, puisqu 'il désigne des relations mathématiques du type y = f (x) , ou la liaison des parties d'un organisme , ou encore la solidarité largement artificielle d'une ' organi sa. tion économique , politique, ou administrative. Il n'est donc pas surprenant qu 'en sociologie, Il fonction » puisse signifier à peu prè s n 'importe quoi. Cette ambiguité au plan conceptuel , nous la retrouvons au plan idéologique, où l'analyse fonctionnelle peut aussi être quali fiée de Il conservatrice )}(lor squ'elle insi ste sur le caract ère actuel, d éjà réalisé de l'ordre) ou de (1 révolutionnai re » (si elle souligne ses insuff isance s et ses imperfections) . Ce que Merton montre admirablement , c'est comment les intuitions très sommaires du fonctionalisme, qui n 'ont que trop souvent engagé le sociologue sur de fausses pistes (par exemple en nous enfermant dans des conceptions naïves de la « cohésion » ou du Il consensus ») ; ont été affinées et corrigées

par la réflexion et la pratique même de l'analyse fonctionnelle. Des progrè s décisifs ont été rendus possibles quand les sociologues se sont attachés à spécifier les éléments, les unités significatives élémentaires (par exemple telle règle, ou telle conduite standardisée), dont il s'agit pour eux de rendre raison. Cette première précaution permet tout bonnement de définir ce dont on parle , et d'apprécier si l'objet de l'enquête est susceptible d'une analyse méthodique. Merton insiste en deuxième lieu sur l'importance de la distinction qui s'est fait jour, entre fonctions explicites et fonctions latentes . Ainsi se trouvent prises en considération les motivations de l'acteur, les conséquences voulues ou involontaires pour luimême, pour autrui, pour le groupe , de son conformisme ou de sa rébellion, le réseau à l'intérieur duquel les règles se diffusent et font sentir leurs effets . Ainsi le fonctionalisme se trouve corrigé de ses plus grossières malfaçons par les progrès mêmes de l'analyse fonctionnelle. Il est à coup sûr dérisoire de se contenter de quelques énoncés du type : tout est dans Tout , et réciproquement, et il faut convenir que les quatre postulats que nous avons énumérés se prêtent à cette interprétation caricaturale . Mais chercher à mettre à jour les relations intelligihles qui donnent un sens à un ensemble mal défini de conduites hétérogènes , puis restituer les liaisons entre ces éléments retenus par l' analyse, n 'est-ce pas la démarche même du bon sens lorsqu'il s'exerce su r une expérience riche , mais confuse .~ Deux exemples illustrent bien cette méthode. Je citerai d'abord les pages classiques de Merton (p. 126· 139) sur les fonctions de la machine politique aux Etats-Unis. Ajoutons ici le chapitre IX du présent recueil sur les types d'influence. Mais plutôt que de suivre l'auteur pas à pas, je préfère préciser ce que j'entends par ces qualités de « bon sens » , dont je fais hommage à Merton. Un philosophe français, aujourd 'hui quelque peu négligé , Léon Brunschvicg, aimait à opposer le sens commun - où il voyait la colle ction des opinions reçues et le bon sens, qu'il interprétait com me l'aptitude à bien conduire son esprit et à le soumettre aux exigences de clarté et de distinction. C'est la même amhition que poursu it Merton , lorsqu'il parle de ré· fl exion disciplinée, ordonnée de mise en ordre.: de systématisation de l'expérience, féconde tant de ses procédures que de ses résultats. Après de vaines orgies de Il réel », de Il dialectique », et de Il concert », les Français qui n'en continuent pas moins à se flatter d'avoir Il la tête bien faite », finiront -ils par reconnaître dans ces modestes propos d'un sociologue d'outre -altantique , un des 'enseignements les plus précieux de leur tradition intellectuelle? François Bourricaud

Bons sens et sociologie

Le monde du sorcier Le Seuil éd. , 393 p.

La collection Il Sources orientales » dont sept volumes ont paru s'efforce de remplir le vide qui sépare les ouvrages spécialisés, souvent dispersés et d'accès difficile, et les comptes rendus de vulgarisation, souvent peu sérieux, dans le domaine des religions et des cultures de l'orient et de l'extrême-orient . Les analyses groupées par thèmes (la naissance du monde, les songes et leur interprétation, les pèlerinages, le jugement des morts, la lune mythes et rites), faites par des spécialistes du C.N.R.S. (historiens, archéologues) semblent guidées par le souci de comprendre le phénomène religieux en général à partit d'une meilleure connaissance de l'orient

Le monde du sorcier, dernier ouvrage paru de la collection, s'efforce de préciser le statut du sorcier et de la magie dans son rap port à la religion. Question très confuse et qui a déjà reçu de nombreuses réponses . Les auteurs retrouvent d'une certaine façon la problématique traditionnelle, celle de Frazer, de Durkheim, de LevyBruhl. La magie est une affaire privée, le sorcier n 'est pas un prêtre officiel, alors que la religion est une affaire collective et d'église. Mais, à la lecture de ces pages , on mesure la minceur d'une telle distinction qui varie avec chaque culture . On découvre en lisant ces textes, et peut -être en dépit des auteurs, que l'opposition de la reli e gion ' com me institution et de la magie comme réalité privée ou profane n'a de sens que pour les grandes , religions établies (Judaïsme, Islam, Christianisme). Mauss souli-

gnait de plus la persistance de rites magiques dans la messe catholique. On peut même se demander si le concept de religion, concept isolé, séparé, rationalisé a du sens en dehors des civilisations qui ont formé l'Europe. Dans ces civilisations, la magie n 'apparaît plus que comme un lambeau de pensée sauvage alors que la religion semhle être la domestication (après séparation et analyse) du rituel. L'intérêt de cet ouvrage n'est pas tant dans la définition qu'il s'efforce de donner du sorcier et de la magie que dans la description qu'il fait du comportement du sorcier et du rituel magique. Certaines constantes apparaissent: le sorcier a des pouvoirs - guérir ou rendre malade, voler dans l'air, marcher sur l'eau, multiplier les aliments (le riz en Asie) - qui ne sont pas sans évoquer les miracles ,de Jésus

(le rapprochement est fait dans l'ouvrage ). Il a des facultés de divination et peut communiquer avec les dieux. C'est une sorte de technicien de l'extase qui pratique des conduites dont le contenu est toujours symbolique et dont l'efficacité est en rapport avec l'imaginaire des croyants . C'est un médiateur qui réalise effectivement ce que les au tres désirent. Par ses formules (son art est surtout verbal), il attire ' l'amour d'une femme, provoque la pluie, procure de l'argent. Par ses techniques, profanes ou sacrées, solennelles ou quotidiennes, le sorcier objective le désir. Les comportements du sorcier évoquent ceux d'un névrosé . Le Shaman sibérien, type très spécial de sorcier, dont on a souvent montré que ses transes sont une sortr-

Sorciers


POLITIQUE ~

Sorciers

et magie

d'épilepsie provoquée à volonté , porte ce trait à l'extrême. Le terme de sorcier recouvre des fonctions diverses et des statuts sociaux différents: prêtre aux Indes, possédé en transes au Népal, pero sonnage merveilleux de conte popu· laire au Vietnam, réprouvé païen pour Israël. Il y aurait un grand profit à suivre la généalogie qui conduit du sorcier au médecin ou prêtre actuels. Des fonctions très distinctes, aujourd'hui , telles que celle du psychanalyste, du moine ou du chef politique gardent peut-être quelque chose de cette origine. Mais ce livre, s'il nous apporte beaucoup de documents et s'il est d'une parfaite honnêteté scientifique, ne peut guère nous aider dans cette tâche . En effet, le titre de la collection : « Sources orientales » , nous invite bien à chercher des origines, mais ceux qui choisissent et organisent les textes ont une bien étrange notion de l'Orient. Ils en ont une idée strictement cc oecidentale », puisque, dans le même ou vrage, on étudie l'Egypte ancienne, Israël, le Népal, le Cambodge et le Japon. L'Orient, c'est donc ce qui se trouve à l'Est ou bien ce qui est situé très loin dans le temps (le livre se réfère indifféremment aux Hittites et au Népal actuel). Cette attitude est à la fois trop large: pourquoi parler du Japon ? ou trop étroite : pourquoi ne pas parler du Shaman américain? Peut- être est-ce parce qu'on pense que l'Amérique est à l'ouest ? En toute rigueur, il aurait fallu, au moins tenir compte des familles linguistiques. Une certaine coh érence en aurait résulté . Or, ici, sont mélangées, sous prétexte d'Orient, des familles linguistiques très différentes : la famille Inde-européen ne (Indes), la famille Chamito-sémitique (Egypte, Israël) , ce qui pourrait convenir car les liens historiques sont étroits entre les deux groupes . Mais pourquoi traiter aussi de la famille sino-austrienne , dont les formes linguistiques sont très différentes, ainsi que les systèmes de parenté et les structures soeia-

les? Pourquoi parler du Japon dorit la langue , n'entretient aucun lien avec aucune autre. Il y a dans ce choix une hypothèse implicite nous semhle-t-il : l'idée d'une origine unique des thèmes religieux qui se trouverait quelque part en Orient (entre l'Egypte et le Japon). Cette hypo thèse' devrait être précisée et justifiée et cela d'autant plus qu'elle ignore la moitié du monde. Par ailleurs , les notions th éoriques devraient être éclaircies. Le concept de sorcier demeure vague . Mais cela résulte peut-être de la difficulté qu'il y a à unifier ce qui n'est pas comparable (l'Egypte et le Cambodge). On aimerait aussi que les textes soient réellement interprétés , et non pas seulement donnés en exemple. Les auteurs sem blent se soucier plus des réactions psychologiques au rituel que du contenu propre du rituel. Cette attitude (qui est celle de la lignée Frazer-Durkheim) est néfaste. Il ne suffit pas de parler de magie imitative comme cela est fait dans le texte (p . 243), mais il faut restituer précisément et constamment la pratique magique dans son contexte , afin que chaque comportement prenne place dans son système culturel. La magie, certes , y perd de son pittoresque mais y gagne en signification. L'obscurité et le mys tère de la magie tiennent peut-être plus de notre éloignement et de notre méconnaissance du système magique, que d'une obscurité essentielle à, la fonction. Il est vrai que les auteurs , dans la préface au premier tome de la collection (La naissance du monde) préviennent nos objections . Ils se refusent à tout « comparatisme » et nous invitent à lire chaque étude pour elle-même , à saisir le sens pro· pre de chaque culture. Ils laissent au lecteur le soin de chercher des ressemblances et les invitent à remarquer les différences. Mais, ap· paremment les rédacteurs sont plus des historiens et des archéologues que des ethnologues et des Iinguistes. Rafael Pividal

Claude Manc eron Cent mille voix par jour Robert Laffont , éd. 320 p. Jacques Derog y. Jean-François Kahn Les secrets du ballottage Fayard, éd. 286 p. Pierre Sainder ichin, Joseph Poli Histoire secrète d'une élection Plon , éd. 256 p.

Les lendemains agités du 13 mai 1958 avaient provoqué entre autres choses l'éclosion d'une nouvelle forme de littérature, aussitôt baptisée « histoire secrète ». Quelques mois à peine après le déroulement d'un événement qui avait bouleversé la vie nationale , une pléiade d' « historiens de l'immédiat » - généralement des journalistes - entreprenaient d'entrainer à leur suite le public dans les coulisses de l'exploit, de le guider dans le labyrinthe des complots , des putschs et des révoltes de colonels. Ils ne le firent pas tous avec le même bonheur mais connurent au moins une égale réussite commerciale : le lecteur dévorait avec avidité le roman-feuilleton d'une histoire qu'il venait de vivre, d'accepter, de subir ou de refuser, mais le plus souvent sans en comprendre les véritables enchainements . Le phénomène vient de se reproduire à propos d'un autre événement qui a sinon bouleversé du moins passionné l'opinion française pen · dant quelques mois , la campagne pour l'élection présidentielle . Sur ce sujet, limité dans le temps mais fertile en épisodes et en rebondis sements, six livres et trois études ont déjà vu le jour depuis fin décembre. D'autres encore sont annoncés . Tous n 'ont pas le même objet ni, partant, la même signification. Ils se veulent pourtant autant de contributions à la reconstitution de faits historiques. La question se pose précisément de savoir ce qu 'il convient d'en retenir

au regard de l'Histoire avec un grand H. Je lai sse de côté le livre de Geor . ges Suffert , De Deff erre à Mitterrand. Plaisant à lire , il est da van tage une galer ie de portraits qu'un récit proprement dit. Lorsqu'il ra conte , Suffert le fait d 'ailleurs d 'une manière trop visiblement ap prox imati ve pour prétendre retenir l'attention des futurs historiens du 5 décembre 1965. L' « histoire irnmédiate» de l'élection président ielle se concentre pour l'instant sur quatre ouvrages d 'inégale dirnen sion : le numéro spécial du Crapouillot de mars 1966 où Mich èle Cotta a eu l'incontestabl e mérite d'être la première à tenter de d émêler l'écheveau embrouillé des candidats, de leurs équipe s, de leurs programmes et de leurs moyens d'action ; le témoignage « engagé » de Claude Manceron sur le com bat de François Mitterrand ; enfin deux enquêtes plus vastes et se voulant plus objectives sur l'ensemble des six candidats : celle de Jacques Derogy et Jean-François Kahn et celle de Pierre Sainderichin et Joseph Poli. Une première interrogation si mpose: est-il possible de reconstituer en quelques semaines , à la lecture de quelques documents et à I'audition de vingt , trente ou cinquante témoignages, recueillis pour ainsi dire, sur le vif , l'ensemble d 'un événement en découvrant sa genèse pour déboucher sur sa finalité? C'est bien ce qu 'ont tenté , par des voies diverses , les auteurs cités . Y ont- ils réussi ? Le lecteur profane , celui qui a vécu l'événement de l'extérieur , aura peut- être tendance à le croire et ne départagera les ouvrages en question que par leur style ou par leur orientation gén érale . Un lecteur plus curieu x, ayant en outre le loisir de se livrer à une étude comparée, s'étonnera déjà que les mêmes faits ne soient pas toujours , ici et là, rapportés de la même façon . Il est vrai que Derogy-Kahn et Sainderichin-Poli relatent en termes presque identiques quelques -uns des grands moments de cette année

...........................................•.......................... LES GRANDES TRADUCTIONS

La phrase inachevée

La flaque du mendiant

roman

roman

EDITIONS ALBIN MICHEL ~

Sorciers

et magie

La constance de la raison roman

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'

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La petite histoire

politique 1965 comme ces fameuses nuits de juin qu i vir en{ l' échec de la II grande Fédération » chère à Gaston Defferre. Mais les uns et les autres n 'ont eu ' qu 'à « pille r », comme il était légitime de le faire , les procès-verbaux de ces réu ni ons établis sous le contrôle de plusieurs des partic ipants et déjà publiés par leurs soins . Mais qu'il s'agisse , par exemple , des états d'âme d'Antoine Pinay à la fin de l'été 1965 , ou , à la même époque, des hésitations de Maur ice Faure , ou encore, plus tard des conditions dans lesquelles surgirent la candidature ' de François Mitter rand, puis celle de Jean Leca nuet , les récits cessen t de se superposer : I'absence de textes laisse la place à l' impression subjective , elle a obligé à recourir aux , témoignage s d'hommes 'qui ont été eux -mêmes des acteurs et , parce que les faits sont trop récents, parce que les acteurs continuent à jouer dans une nouvelle pièce qui n 'est que la suite de la précédente, la prudence comme l' intérêt donnent à leur déposition une coloration qu i n'est pas toujours ceDe de l'au thent icité. En second lieu , l' « h istoire immédiate », dans la mesure où elle s'éloigne ,volontairement de l'étude austère pour se rapprocher du romari-photo , s'enfonce, page après

La.Petite

n'est pas l'Histoire

page , dans le détail ou l'an ecdote. On saura ainsi que M. Pina y pilote une M ercédès verte 220 S immatriculée dans la Seine , qu e les dir igeants du Comité des Démocrates dînent dans une petite salle rococo d'un restauran t de la rue Le Pelletier ; que Maurice Faure saute sur le pont du Il Los A migos », se déshabille dans l'habitacle du bateau et s'installe à la barre pour rouler une cigarette, que Gaston Deffe rre a fait installer dans sa maison de Marseille une piscine chauffée et un téléphone blanc, que chez Jacques Duhamel les pierres - quartz , porphyre , cristal de roche , granit - .envahissent les tables basses du salon, le dessus de la cheminée , les guéridons , les vitrines. On saura ... ou on ne saura pas car , d 'un livre à l'autre , les variantes , sur ces menus détails , sont nomb reuses . Le 9 septembre , Fran çois Mitterrand a re ncontré Maurice Faure. Selon Sainde richin -Poli , l'e ntrevue a lieu à hui t heures et demie du matin , au dixième étage d 'un im meuble neuf de la rue Rémusat , près du pon t Mirabeau . Et , sous leur plume , on apprend encore que illuminé par une toile de Ludmilla Tchérina, tapissé de livres bien reliés, meublé avec goût, le petit bureau très clair où a lieu l'entrevue est charmant. Mais si

histoire

de leur s auteurs. Leur œuvre d'en- , quêteurs sera précieuse aux futurs. histor iens mais elle sera loin d'avoir épu isé le sujet. Voulant II coller » à l'actualité, toute cette histoire secrète présente le défaut commun de manquer du recul nécessaire pour rétablir entre les faits une hiérarchie véritable. Qui plus est, elle ne se préoccupe guère du mouvement des idées qui accompagne l'événement et que l'historien cherchera quant à lui à déceler et à analyser . L'historien de l'immédiat prend ses personnages à un moment donné, choisi plus ou moins arbitrairement parIui, co:tnme s'ils n'avaient pas de passé et ' comme si ce passé n'expliquait pas ' en grande partie leur conduite du moment . TI les fait vivre dans l'intimité de leur famille ou de leurs vacances mais il ne s'attarde pas à sonder leur cœur et leur esprit . TI raconte ce que ces personnages disent et font mais il ne se préoccupe guère de savoir pourquo i ils agissent ainsi. Une série d 'images - souvent brossées avec talent - sont mises bout à bout sans qu'apparaisse clairement le canevas sur lequel elles reposent. Claude Manceron a réussi, certes , un très vivant portrait de François Mitterrand. On sait grâce à lui qui est et d'où vient l'homme dont les circonstances ont fait le candidat unique de la gauche . Mais ces circonstances elles-mêmes demeurent mal expliquées . Et l'on sait encore moins - c'est un des grands points faibles de tous les ouvrages ici mentionnés - ce qui dicta le comportement du général De Gaulle. Enfermé à l'Elysée , celui-ci offrait moins de prise à l'anecdote que François Mitterrand , l'on en croit Derogy-Kahn , le jeudi Jean Lecanuet ou Tîxier-Vignan9 septembr e à hu it heures du ma- cour parcourant inlassablement la tin , Mit terrand, pour une fois exact France en tous sens . TI reste que au rende z-vous , se présente place le vainqueu r de l'élection pr ésidende Valois, au siège du parti radical tielle n'a droit , chaque fois , qu'à où l'attend Maurice Faure. quelques pages où le trait d'humour Le 14 septembre , un è délégation l'e mporte trop facilement sur l'anadu Comité des Démocrates , de sept lyse psychologique . membre s selon les uns , de huit seLa gageure est sans doute de lon les autre s se rend chez Antoine vouloir isoler d 'un contexte une Pinay . Les deux livres relatent lon- période de trois mois ou d'un an . guement la conver sation entre le Ni Charles De Gaulle, ni François maire de Saint-Chamond , seul sur Mitterrand ne sont nés en septemun canapé qui tourne le dos au bre 1965 pour s'évanouir en dérideau de la fenêtre et ses visiteurs cembre. Leurs gestes s'expliquent installés en demi-cercle autour d'un par ce qu 'ils ont été avant et par guéridon garni de cendriers. Mais ce qu 'il s seron t après. Et ces gestes les réplique s échangées varient tant même s s'inscrivent dans des situad'un texte à l'autre que l'on conti- tions qu 'il est parfaitement arbinuera à se demander où est donc traire de vouloir enfermer entre la vérité... deux dates précises. En accumulant les détails , on a Encore une fois, mon propos multiplié les risques d 'erreur, un n' est pas de condamner l' « histoire peu comme dans le jeu illustré immédiate». J'ai dit combien elle qu 'un grand quo tidien parisien of- sera it utile aux vrais h istoriens fre ch aqu e jour à ses lecteurs , à mais sans les dispenser d'appliquer ceci près que , dans le jeu en que s- à l'événement leur propre méthode tion , les erreurs sont volontaires . d'analyse. En dépit des approxima Erreurs de détail , certes , mais qui tions dont elle se contente , elle est n'en dessinent pas moins l'une des aussi un précieux outil pou r le limites de l' Il histoire imm édiate ». citoyen désireux d'en savoir un peu Ce n'est pas la plus grave . D'auplus que ce que lui apprennent les tres raisons interdisent de classer journaux . Le genre est donc à culles ouvrages cités dans la catégorie tiver. A condition de ne pas le des Il livres d'histoire ». Dire cela , prendre pour ce qu'il n'est pas ! n'est nullement diminuer le mérite ClaudeEBtier

n'est pas l'Histoire


Le mythe Pierre Accoce, Pierre Quet La guerre a été gagnée en Suisse Libraire Académique Perrin , 316 p. Andrew Tully La C.I.A. Traduit de l'américain Stock , éd., 245 p. Fred J. Cook Le F.B.I. inconnu Traduit de l'américain Dossier des Lettres Nouvelles Denoël , éd . 426 p. David Wise , Thomas B. Ross

Le gouvernement secret des USA Traduit de l'américain Fa yard, éd. 390 p. Le succès que connaissent bien souvent les nombreux ouvrages consacrés à l'action clandestine sous toutes ses formes , tient non seulement à leur pouvoir de distraction mais aussi à la conviction, non formulée et largement répandue dans le public , que la politique - et par elle certaines phases de l'histoire est déterminée dans une large mesure par les services secrets de grandes puissances qui s'affrontent. Il serait sans doute inutile de revenir sur ce nouvel exemple du phénomène bien connu de r éduction du monde à sa donnée romanesque, si des cas récents - comme les affaires de l'U·2 , du débarque. ment dans la baie des Cochons , de Penkovski, et même celle de Ben Barka - n 'avaient mis spectaculairement en évidence l'action de ces services et fait poser des ques· tions quant à leur rôle et à leur fonctionnement.

La C.I.A. Se fondant sur des faits connus, utilisant visiblement des « contacts» ou des documents accessibles, Tully se borne à montrer comment fonctionne l'énorme machinerie de l'espionnage américain. Il ne défend aucune thèse mais tente à l'aide de cas concrets de déterminer le rôle qu'a joué, par exemple, la C.I.A. dans le renversement d'Arbenz au Guatemala ou dans celui de Mossadegh en Iran ; il cherche à établir si les agents de renseignements américains avaient eu vent du coup d'Etat en Irak en 1958, de l'expédition de Suez en 1956 ou s'ils possédaient des informations plus sûres que les sera vices du général Mac Arthur sur les risques d'une intervention des Chinois au début de la guerre de Corée. Il est amené à évoquer I'action au Laos, auprès de Tchang . Ka î-Tchek , contre Cuba, au Congo et l'utilisation du général allemand Gehlen. Tout au long de sa narration l'auteur ne se prive pas de formuler des critiques sur le résultat obtenu par la C.I.A. que sur les décisions du gouvernement

de l'espion

américain notamment dans l'affaire chef J. Edgar Hoover (en fonction de l'U·2 . Mais, à aucun moment , depuis 1924) constitue à terme un il n'apporte des faits ou des com- risque pour le bon fonctionnement mentaires inédits par rapport à des institutions . Son ouvrage peut l'excellent ouvrage de Sanche de contribuer à donner aux lecteurs Grammont, La guerre secrète' qui américains non avertis une image lui est nettement supérieur par du F.B.I. différente de la légende sa documentation, particulièrement idéale, créée par une publicité per o dans l'affrontement des services manente et bien organisée. américains et soviétiques. Dans leur ouvrage, David Wise Si Tully veut présenter la C.I.A., et Thomas B. Ross, journalistes au si Cook cherche à définir l'aspect New York Herald Tribune et au néfaste du F.B.I., Pierre Accoce et Chicago Sun Tribune, défendent Pierre Quet sont plus ambitieux : aussi une thèse, résumée par le titre ils veulent non seulement faire requ 'ils ont choisi: « Le gouvernevivre le fameux réseau d'espionnage ment secret des U.S.A. », « Il y a qui, installé en Suisse durant la aujourd'hui aux Etats-Unis, écriguerre, réussit à fournir aux Russes vent -ils, deux gouvernements: l'un, les mouvements exacts des troupes visible, l'autre, invisible. Le pre- allemandes sur le Front de l'Est , mier est celui dont les citoyens mais aussi répondre aux questions connaissent les faits et gestes ( ...). , restées jusque là en suspens. Leur Le second, c'est la machinerie se- livre est tel qu'ils l'ont vonlu : pas· crète, aux rouages bien huilés, qui sionnant. Et l'on imagine sans mal met en application la politique des que le film auquel il donnera naisEtats-Unis dans la guerre froide. il sance ne le sera pas moins. Son élément essentiel est la C.I.A. Durant la dernière guerre les et il comprend neuf autres serviRusses disposaient en Suisse d'un ces dont notamment le Conseil réseau d'espionnage chargé de National de Sécurité , la Commis« couvrir» l'Allemagne qui devait sion de l'Energie Atomique, divers fonctionner de 1940 à novembre bureaux de renseignements de 1943, époque à laquelle plusieurs l'armée et du département d'Etat de ses membres furent arrêtés par ainsi que le F .B.I. les autorités helvétiques . Ils devaient être relâchés par la suite. Leur chef , Alexandre Radio, cartoLe F.B.I. graphe hongrois et son adjoint, le britannique Alexandre Foote, le principal opérateur radio du réseau, gagnèrent en 1945 Moscou où le Cette thèse un peu trop schématique permet cependant aux deux premier, qui avait commis un cere auteurs, fort bien renseignés au de- ta in nombre de négligences, dispameurant , d'étudier dans le détail le rut. En 1947, Foote fut envoyé par ses supérieurs soviétiques à Berlin rôle joué par ce qu'il est convenu et il en profita pour choisir la d'appeler « les services secrets améliberté. ricains » dans des exemples récents. Cet ancien agent a recueilli ses C'est essentiellement par là que ce livre présente un intérêt et a de la souvenirs dans un ouvrage3 qui constitue indéniablement le meilvaleur. Avec Fred Cook, il s'agit de leur document sur cette affaire et tout autre chose: l'adjectif [incon- l'une des plus pertinentes Initiations à l'organisation d'un réseau nu), qui accompagne dans le titre de son ouvrage le sigle (F.B.I.) , le de renseignements soviétique. Durant toute son activité, le rélaisse déjà entendre. Comme dans son livre précédent, intitulé en seau Rado utilisa une soixantaine français Les vautours de la guerre de sources . Mais une d'enb:-e elles se suffisait à elle-même : celle que froide2 dans lequel il dénonçait le code désignait sous le nom fémiavec virulence une collusion arméeindustrie qui menaçait la paix, nin de « Lucy » et qui était située à Lucerne. Lucy, raconte Foote, l'auteur part de nouveau en guerre mais cette fois contre l'une des ins- nous transmettait quotidiennement, les dispositions de combat, prises titutions de son pays, le F .B.I., qui, selon lui, risquerait de porter at- par l'armée allemande sur le Front teinte à la démocratie américaine . de l'Est. Ces renseignements , il ne Pour présenter l'auteur il n'est pouvait les tenir que du haut commandement de la Wehrmacht, car peut-être pas mauvais de reproduire un extrait d'un de ses articles, pu· aucun autre organisme allemand ne les connaissait. blié dans The Nation le 24 juin 1964 à propos de la C.I.A.: Le président , écrivait-il, parle de paix; La Wehrmaoht mais la C.I .A. renverse des régimes, complote des révolutions èt des sebotages internes (...) ce ne sont pas là des agissements dignes d'une Autre caractéristique de Lucy , sa nation démocratique , aimant la rapidité: Plus d 'une fois , poursuit paix , attachée aux idéaux élevés Foote, nous reçûmes des rapports que nous professons. Ce passage environ 24 heures après le moment où ils étaient connus dans les miexprime parfaitement I'ahurissement de bon nombre d'Américains . lieux intéressés. Et Foote d'ajouter: C'est à cause de cette rapidité vraiCook tente aussi de démontrer ment ahurissante que le Centre que la toute-puissance de la police fédérale et l'inamovibilité de son (Moscou) conserva quelque temps

Le mythe

de l'espion

une certaine méfiance à l'égard de Lucy, mais les événements lui donnaient toujours raison. Telle était l'action de «Lucy» que Foote ne vit qu'une fois. Moscou n'était pas plus informé sur cet agent exceptionnel et sur la source de ses informations . vitales. Lucy exigea une seule condition à sa coopération : ne jamais fournir les sources de ses informations. Moscou, bien que cela ne fût pas dans ses habitudes , accepta en raison des renseignements vraiment exceptionnels que lui donnait cet étrange agent. Aujourd'hui, on sait que Lucy n'était autre que Rudolf Roessler, né en 1897 en Bavière, mort en 1958 en Suisse où il s'était réfugié après l'installation au pouvoir du nazisme en Allemagne. Il va sans dire , qu'Accoce . et Quet ne se sont pas contentés d'évoquer la vie de ce réseau après Foote. Il leur fallait d'une part déterminer les sources de Roessler et d'autre part situer cette affaire dans le cadre de la neutralité suisse pour établir si celle-ci avait été respectée ou non . Selon eux , ils sont parvenus à leurs fins : Roessler était renseigné par cinq généraux, un colonel, un commandant et trois capitaines qui étaient réparti~ dans les divers états-majors et a ont Accoee et Quet ne donnent que les initiales pour ne pas exposer leurs familles à l'opprobre de la nouvelle Allema· gne , voir les désigner à des représailles haineuses . Ces hommes étaient des compagnons de Roessler mort du nazisme et étaient prêts à qui, comme lui , avaient juré la lui fournir tous les renseignements pouvant hâter le processus de décomposition du régime.

Cinq généraux Si l'explication d'ensemble fourni par ce livre peut paraître séduisante et parfois même presque convaincante, le nombre d'erreurs de faits et d'interprétation, les extrapolations et les affirmations hasardeuses, le style de reportage « comme si vous y étiez », avec toutes ses facilités, l'agencement trop adroit des compilations, bref toutes les faiblesses d'un genre (que reflète bien le titre absurde), qui a été bien relevé par la presse suisse , notamment par l'article du colonel-brigadier, Roger Masson publié dans la Gazette de Lausanne des 22 et 23 avril 1966. Ces précisions portent un coup décisif à la prétention historique des auteurs. Il reste un livre qui se lit d'une traite et qui brasse une matière dont sont faits parfois les rêves. Kosta Christitch 1. Robert Laffont. 2. Julliard. Coll. Dossier des Lettres Nou· velles. 3. Lu aecreu d'un upion 101Iiétique. Ed. de La Paix, Paria 1951.


HISTOIRE

C'est la faute à Rousseau ,; ,

~ - . .'~ .

La fête de l'Etre suprême, 1794

J .. L. Talmon Les origines de la démocratie totalitaire Celmann-Lévy, éd. 408 .p. Dans un livre important mais contestable, J .·L. Talmon cherche à montrer comment la démocratie de tendance « totalitaire » est née en même temps que la démocratie de type cc libéral ». Un paradoxe a frappé l'auteur : les tenants les plus forcenés de la lutte contre I'oppression préconisent souvent un mode d'existence social qui certes, tend au maximum de justice ou de sécurité mais qui est également exclusif de tout autre . Cette exigence est-elle compatible avec la liberté ? D'aucuns le croient : selon eux, l'essence de la liberté ne réside pas dans l'absence de contraintes mais dans la poursuite et la réalisation d'un but collectif absolu, un ordre harmonieux et parfait. Leur démarche est ainsi de caractère messianique ; elle est également totalitaire, car à leurs yeux tout problème . humain est d'ordre politique ; il peut et doit être résolu politiquement. Aussi les tenants de la démocratie totalitaire embrassent tous les champs de l'activité des indi vidus. L'ouvrage de Talmon recherche les origines de l'idée démocratique totalitaire ; il décrit sa progression et son évolution jusqu'à sa cristal lisation babouviste ; d'autres volu-

mes sont annoncés qui poursuivront l'étude jusqu'au bolch évisme léniniste, puis stalinien . Ainsi , .loin de voir dans le matérialisme ou dans Marx, un point de départ , l'auteur considère que , dès le 18 e siècle , l'outillage mental du CI: démocrate totalitaire » était en place . Déjà Mably cherchait à trouver une certitude cc scientifique » dans les affaires humaines et sociales, jugeant que la politique pourrait passer de l'état le plus conjectural à l'état de science très exacte lorsque les cœurs et les passions de l'homme auront été explorés dans leurs tréfonds , qu 'on aura dégagé un système d'éthique scientifique. Selon Talmon , dans la pensée européenne du 18 e siècle l'ordre naturel est posé comme garant du bonheur universel et c'est lui qui doit être recherché et réalisé. Talmon montre que la définition de cette éthique devait également être moralement supérieure à celle de l'Eglise, car elle avait d'abord à démontrer que l'Eglise a introduit des critères surnaturels dans la vie des hommes . Dans bien des domaines en effet, les enseignements de l'Eglise étaient incompatibles avec les exigences de la société et avec les résultats des sciences. Cette éthique définie se posent les problèmes de la pratique : Helvetius et Holbach ont foi dans les aménagements sociaux et la législation, à eux seuls susceptibles d'assurer la moralité . Ce n'est pas

le cas de Rousseau : il craint que, dans l'état actuel de la société, les hommes ne cherchent à esquiver les lois : aussi l'idée d'une divinité qui planerait au dessus de l'Etat-Cité lui paraît une nécessité sacrée . La volonté de l 'homme, pour devenir réalité , doit être voulue par le peupie; tant que celui-ci n'est pas éduqué il faudra l'en persuader car la volonté générale est contenue à ['état latent dans la volonté du peuple . Comment se définit cette volonté générale et comment un petit groupe se juge habilité à s'en proclamer le dépositaire , c'est ce qu'étudie Talmon . Il considère que l'évolution ultérieure de la révolution française se ramène à ce problème et à la lutte entre ceux qui se font les avocats du primat de l'objectif révolutionnaire et par conséquent de la légitimité de la coercition révolutionnaire et ceux qui défendent le droit au dialogue entre les classes . Les premiers l'emportent avec Robespierre toutefois leurs objectifs ont un contenu qui se heurte aux valeurs de liberté auxquels ils ont été long temps assimilés. Contradiction que ne résolvent ni la révolution française, ni plus tard la révolution russe. Le jacobinisme comme le bolchévisme exigent de tous une communion vivante avec le but absolu. Mais qui le définit et qui l'incarne, voilà des questions qui restent sans réponse.

Ainsi, pour Talmon, loin de constituer un phénomène d'apparition récente et extérieur à la tradition occidentale, - on connaît la théorie dite du « despotisme asiatique» pour la Russie ....:....la démocratie cc totalitaire » prend racine dans la souche commune des idées du 18e siècle. Son système de contraintes naît très tôt , non parce qu'elle rejette les valeurs libérales mais parce qu'elle prend une attitude perfectionniste. Puisque les hommes ne sont pas encore capables de vouloir librement leur volonté cc véritable », l'idée de la libre expression populaire fait place à l'idée de l'incarnation de la volonté popu· laire par un petit groupe . Pendant la Révolution, le Comité de Salut Public , puis les Babouvistes , et en 1917, le parti bolchévik. L'intérêt d'un tel ouvrage se définit mal par ces quelques lignes . qui nécessairement en dénaturent le contenu . La démonstration est menée avec passion, la documentation est à jour , sauf en ce qui concerne Bahœuf ; en bref , on a affaire à un livre novateur puisqu'il révèle un aspect de la pensée du XVIIIe siècle que la tradition avait négligé ou caché. Il reste que, le livre refermé, on reste circonspect : l'auteur croit avoir suggéré que plus on se sent réformateur, plus on se fait tyrannique. Passe pour l'orientation, 'profondément conservatrice d'un ouvrage qui, aux autres tomes montrera Slins doute, que tout fut également la faute il saint Simon puis à Marx; il Y a d'autres aspects de cette œuvre qui soulèvent des objections . L'auteur se cantonne dans le domaine de l'histoire des idées; comme Aulard, qui, naguère, expliquait l'histoire de la Révolution par la lutte du Pouvoir Législatif contre le Pouvoir exécutif; Talmon, s'il montre bien eomment une idéologie évolue pour atteindre un résultat opposé aux prémisses , n'examine aucunement les influences ou les forces qui barrent la route aux hommes de 1789 , les conflits sociaux et poli. tiques qui sont à l'origine · des changements de comportement non pas seulement de Robespierre ou de Saint-Just mais des SansCulottes. Talmon ne dit pas non plus, qu'à sa façon, l'Eglise pratiquait une forme de démocratie totalitaire, bien avant que soient nés les philosophes du 18 e siècle, que son itin éraire idéologique mériterait égale. ment d'être examiné. Après tout, c'est ce totalitarisme là qui avait pénétré le plus profondément la société occidentale, l'imprégnant au point qu'à la façon du 16 e siècle, qui ne pouvait être incroyant, les siècles postérieurs ne purent pas non plus dans leur recherche désespérée vers le bonheur, ne pas être naturellement totalitaires. De ce point de vue, mieux que Talmon, les philosophes avaient senti · de quel côté il fallait chercher les origines du totalitarisme . Marc Ferro

C'est la faute à Rousseau


unerévolution technique auservice . delaréforme de l'enseignement : CINÉMA

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.Evidence du wester-n

Raymond Bellour Le Western 10/18 , 376 p , 40 photos

Une idée centrale se dégage de cet ouvrage : 'elle fonde une distinc tion entre un western dit classique , celui de l'épopée, de l'évidence, .et un western dit nouveau ; qui n'en serait. que le reflet douloureux , le souvenir nostalgique ou tragique: dans le premier, l'aventurier découvre la vérité du monde dans son aventure, le pionnier triomphe de la nature rebelle et des Indiens méchants, le justicier ne fait qu'un avec la loi ; dans le second, l'aventurier devient vénal, le justicier . véreux, le pionnier colon, l'Indien perd ses plumes et devient a human. being, la conscience et ses tourments font leur apparition : le doute, le désarroi, le désenchantement, l'usure fissurent la belle unité épique, on n'est plus très loin du drame bourgeois, de la comédie de mœurs ou des effusions romantiques.

pour nous, Saint Richard Widmark ayez pitié de nous ... Or, si l'Ouest a changé, grand bien lui fasse! Que le pionnier ' devienne un self-made in USA-man, que le hors -la-loi se névrose, que l'aventurier se range, ce qui définit le western , ce n 'est pas qu'il réfléchisse sur Iui-m ême ou qu'il se prenne au jeu des mythes qu'il a créés. Le bon Indien ne fait pas le meilleur western , loin de .là et l'un des résultats les plus fâcheux de la perspective que les auteurs ont choisie est que l'on parle pres que davantage des mauvais westerns que des bons: j'appelle mau-

Surtout sensible dans l'étude d'André Gluck.smaim ·(Les Aventures de la Tragédie) où elle tend à devenir la base d'un véritable système, mais développée , implicite, allusive ou dégradée chez la plupart des 27 autres collaborateurs de cet ouvrage , cette distinc tion est expliquée et commentée de diverses façons : on la rattache à l'histoire même de l'Ouest américain (où elle traduit l'opposition entre conquête et colonisation), aux diverses prises de conscience des cinéastes américains (anti-racisme , anti-maccarthysme, actualité idéologique de la Guerre de Sécession) à l'usure propre du genre, enfin, et non pas tant des mythe s que des visages sans lesquels il n'y a pas .de véritable western: il est vrai que , vingt ans après, Randolph Scott, Joel McCrea , James Stewart , Henry Fonda , John Wayne, Gary Cooper , enfourchent leurs montures avec mélancolie , tirent . en poussant des soupirs et semblent parfois ne vivre- que dans le souvenir de leurs exploits passés. Il est vrai également que Raoul Walsh et Allan Dwan ne tournent plus ... Mais enfin , cette distinction me semble tout de même aboutir à une conclusion un peu paradoxale: le western serait-il condamné à n'être que le souvenir d'un Far West perdu? Mais le Far West a-t-il jamais existé en dehors du western f ? Le western ne serait-il plus que la marque déchirante de l'impossihilité d'aujourd'hui de recréer les épopées d'hier? Il me semble que, coincé entre ces deux liniites - l'épique et sa dégradation - le western est pour ces auteurs une forme morte et qu 'ils en .ont écrit l'épitaphe : ci-gisent les mythes usés jusqu'à la corde , ci-gisent les Dieux dont les exploits ont enchanté nos matinées du jeudi et nos veillées sublimes à la Cinémathèque: Saint John Ford priez

vais westerns , toute subjecti vité mise de côté pour l'instant , les westerns où l'on bavarde, c'est-àdire, par exemple, l'Homme des vaUées perdues , le Train sifflera trois fois , les Sept mercenaires et la plupa rt des autres Sturges, 3 heures 10 pour Yuma , le Gaucher , etc., bref toutes ces machines humanistes ou hnmanitaires qui sombrent au bout de dix minutes dans le larmoyant, l'imbécile ou le clinquant . Il me semble que, plutôt que de parler de l'épopée, on aurait dû parler de l'évidence: le western partage avec le thriller et la comé-

Evidence


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die mu sical e, le rare pri vil ège d 'êtr e un gen re , c'est -à-dire une for m e fixe , une combinaison de th èm es connus , parfa itement codé s: l'in troduction de Raymond Bellour : le Grand Jeu me semble d 'aille ur s esquisser cette perspective et la « mythologie » qui forme la deuxième partie de l'ouvrage en consti tuer Je dé veloppement ; mai s n 'aurait-il pas mieux valu parler plutôt de « glossaire )) et traiter ces él éments thématiques dont la combi natoire constitue le western cornme de s « figures )) et non com me des mythe s: cheval + salon = western , de la même man ière q ue mitraillette + prohibition = thr il ( idéologique , 1er ; le « contenu psychologique) de ces élément s me sembl e de faible importan ce com parée à l'acti vité qui présid e à leur organi sation : aprè s Mondr ian , Boulez et Levi-Strauss , Bœtticher et Anthony Mann me semb lent mér iter l'appellation d 'arti ste s. stru ctu r alistes ... Il est d 'ailleurs évident que ces figure s et que ce code lais sent intactes toute s les possibilités de subvers ion: l'histoire du western peut être aussi bien celle de la r ésurgence ritualisée des figures qui le constituent que celle des innombrables variations, déceptions , doubles jeux grâce auxquels, en fin de compte , le western peut survivre : ils vont de la rigueur la plus pure qui fait de tel western la gram maire de tou s les autres Sept homme s restent à tuer ju squ 'à la di stance la plu s grande Coups de jeu dan s la Si erra ou au refu s délib éré Johnn y Cu ùar . La tro isièm e parti e de l'ou vr age comp rend un dictionna ire des principau x au teur s et des princ ipau x acteur s, la liste des « 10 meill eur s wester ns » selon chacu n de s 28 collaborateur s, un index de tous Ies westerns sorti s en Franc e depuis 1946 : cette compilation qui n 'a pa s son équivalent en France (ni ailleurs) fera la joie de tous les cinéphiles , non pas tant à cause de son intérêt documentaire que parce qu 'y éclatent enfin , triomphales, les trois qualités primordiales de tout cinéphile attitré : le subjectivisme , le terrorisme , et l'érudition (quand j'entend s le mot r évolver , je sor s ma culture ... ) George s Pérec 1. Il suff it de lir e les Hor s-La-loi du FarWest . de P aul We ilman (réc em men t tradu it . ch ez Stock , par Elizabeth Gill e ). pour se pe rs ua der du cont rai re : les brigands y sont rarement bien-a imé s ; de plus , ils port ent barb iche s et chapea ux melons et , en di verse s circon stanc es, ils se montrent pa rfaitement in in telli gen ts : ils pillent , tuent et violen t , pu is ils se saoulent et se confessen t au shé r iff . Il s n 'ont même pa s des blu e-jean s délav és ~ Ils sont à peu près au ssi loin de s per son nag es de s western s que Césa r de Rex Harrison ; c' est , en l'occureoce , une tr ès bonne chose ; l'histoire de ces v rais fr ères Jame s, de leurs acolyte s et de leur s ém ule! a quelque chose de crapuleu x et de mesquin , pour ne pas dire de moral Qui fait plutôt penser à la Bande à Bonnot ou, si l'on préfère , et c'est pire, aux westerns ou sévit Audie Murphy ...

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LA QUINZAINE

HISTORIQUE

Juillet 1807 : Stendhal vit des journées heureuses. Il chante l'Opéra, tire au pistolet, monte à cheval, pince une jeune fille (Mlle d 'Oehnausen) , et remarque un chien noir (Brucken) , qu 'il achète onze écus au bourreau de Wolfenhuttel. Heu reuses les femmes que caressent les écrivains! Heureux les chiens dont ils savent s'entourer! Leurs noms sont à jamais célèbres. Cependant, en juillet , plusieurs littérateurs vivent d'obscurs martyres d 'où ils s'efforceront de tirer cette conséquence salvatrice: une œu vre. Sade moisit au Château de Vincennes ; Drieu perd une maîtresse austrohongroise ; et Alexandre Rey , poète mutualiste , met la dernière main , dans une Europe où monte le nazisme , à un Eloge de la Caisse Nationale des Retraites (1933) .

Vie de Stendhal , ou les Ombrages respectueu x 4 Juillet 1807. Chez Mme de Lefzau . Ennui. Quelle mine faut-il faire en société , quand on est ennuyé ou malade ? ... On a bien raison de dire: Audaces fortuna juvat ; avec du respect, quels détours pour pincer les cuisses à Mlle d'Oehnausen! Par ennui , je l'ai fait hier avec succès. J'ai même touché l'endroit où l'ébène doit commencer à ombrager les lys. Mais je crains que Mme de Strombeck, faisant fonction de mère, ne s'en soit aperçue et fâchée . Journal.

Vie de Sade, ou le Citoyen impatient 6 Juillet 1789 . Si on allait dire au roi d'Achem, qui se fait servir par sept cents coquines à qui on donne trois ou quatre cents coups de fouet tous les jours pour la moindre faute, ou à l'empereur .de Golconde, qui ne va jamais à la promenade que sur douze femmes arrangées en éléphant , et qui en immole douze de sa main chaque fois qu'il meurt un Prince du sang; si, disais-je, on allait dire à ces Messieurs-là qu 'il

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ya en Europe un petit coin de terre où un homme noir soudoie tous les jours trois mille coquins pour savoir la manière dont les citoyens ... convenez qu'ils auraient bien raison de faire enfermer comme fou l'orateur . Lettre à Mme de Sade.

Vie d'Alexandre Rey , ou le Lyrisme syndical , 10 Juillet 1933 . Oh! combien cette Caisse en sa présence au monde . / Par tous saluée avec un vr ai transport. / Pour Je travailleur et contre le sort / A comblé tout un espoir qu'il fonde / Que sa vie ait un soir meilleur! / Car du bien-être elle est la sœu r / Pour raide si discrète / Qu'à l'homme elle prête / Pour ne cesser / D 'effacer / Les perte s . Eloge de la Caisse N ationale des Retraites pour la Vieillesse,

Vie de Drieu la Ro chelle , ou la Rupture Eblouis sante. 13 Juillet 1938 . Mais une nuit , je trou vai Ed wige à ma porte. Elle était" en grande toilette , horriblement décolletée , fardée à mort, baignée de la gloire la plus blafarde. Elle entra chez moi, laissa tomber cette robe de paillette qui ne tenait que par une mince ficelle à son épaule, et elle s'allongea comme unè ' Ophélie vieillie et souillée sur le cours infini de mon lit. [ ... ] Vers onze heures du matin , elle se leva, verte, téléphona, demanda un taxi et s'en alla en plein soleil. Ce fut un spectre superbe qui laissa ma concierge à jamais stupide. L'Intermède Romain. On sait trop les chemins qui conduisirent Drieu où il finit , mais on sait aussi , aujourd'hui, que son œuvre littéraire n 'est pas perdue. La nouvelle d'où ces lignes sont extraites , l'Intermède Romain, est , comme la Comtesse elle-même, d'une dramatique beauté. Je ne sais si la vie consiste, de nos jours, à faire l'amour avec ces Hongroises irréelles, moitié virginales, moitié prostituées, qui se traînent, centaures exotiques et désolés, dans la litt érature des années 30, mais le récit que Drieu tire de ce bestial dévergondage me semble, par l'écriture, et par le reste, d'une vive actualité. Il n'a rien à envier aux obscures clartés de l'Ancien Roman (le Nouveau Roman), si l'on voit ce que je veux dire. Jusqu'où Drieu y pousse une trop rare et saisissante audace , c'est qu'il ne craint pas de nous dire, par exemple, que la Comtesse avait les seins attachés assez bas (quoique très propres au plaisir). Le fait est unique, je crois , sinon dans la Nature, dans la Littérature contemporaine, où les héroïnes, par centaines , ont les seins fichés au plus haut du thorax, à même les clavicules. Par ce trait, Drieu se range parmi les champions du réalisme socialiste: il mérite la .consid ération des travailleurs. Pierre Bourgeade

Le Prince Constant , d'apr ès Calderon . pré senté au Théâtre rie! Nations par le Théâtre laboratoire de Wroclaw , .mise en scène de lem Grotowki

Le théâtre des Nations a présenté pour sa première saison dirigée par Jean-Louis Barrault , au Théâtre de France , huit troupes : Le Piccolo Teatro de Milan , Le Théâtre Gorki de Léningrad , Le Metropolitan Opera de New York, Le Théâtre Populàire de Varsovie, Le Deutsches Theater de Berlin, Le Théâtre laboratoire de Wroclaw, le Living Theatre de New York, et en avant-première , une troupe d'amateurs celle de l'Université Catholique de Sao-Paulo. Il ne s'agit pas de faire un bilan critique des différents spectacles proposés mais de nous placer plutôt en observateur. Quelles sont les lignes de force des recherches dans les réalisations de ces différents pays ? Certains dont on a pu admirer la maîtrise et la rigueur tant du point de vue de l'indication aux comédiens que de la mise en scène, dégagent leur propre originalité des théories brechtiennes et gardent le sens d'une perfectibilité toujours plus grande (Le Piccolo Teatro de Milan et le Deutsches Teater); d'autres tiennent toujours compte de certaines données politiques et pédagogiques (le théâtre Populaire de Varsovie ou le Théâtre Gorki de Léningrad); d'autres enfin accompagnent recherches pratiques de recherches théoriques (Le Théâtre laboratoire de Grotowski ou le Living Theatre). Nous retrouvons toujours cette

double tendance , vieille comme le théâtre lui-même: d'une part la scène considérée comme lieu de débat où sont évoqués les problèmes de la condition humaine, théâtre essentiellement pédagogique; de l'autre le théâtre, enceinte « magique », où l'action théâtrale se déroule selon un « rituel », dont le but est de participer . aux racines du psychisme humain, théâtre de participation donc, vocabulaire qui nous semble aujourd'hui par trop périmé. Jean Jacquot se demande' si les deux tendances ainsi définies ·étaient vraiment inconciliables . Les témoignages qui nous ont été apportés sur divers pays, écrit-il, confirment bien l'existence d'une série d'opposition . L'accent peut être mis sur l'originalité de la création ou sur l'efficacité par l'action, sur l'abandon aux puissances du rêve ou "acceptation du réel, sur les aspects personnels du bonheur et du malheur humain ou sur le destin d 'un groupe , d 'une classe, d'une nation, sur ce qui dans notre condition est incurable et ce qui peut être soustrait à la fatalité. Mais sont-elles irréductibles ? N 'est-il pas souhaitable, pour la vie du théâtre , que des œuvres où l'une ou l'autre tendance domine puissent être librement confrontées ? Ou mieux qu'elles puissent être intégrées dans une même œuvre qui tirerait de leur tension et de leur conciliation sa vertu dramatique. Efficacité de l'action, le Théâtre Populaire de Varsovie et le Théâtre Gorki de Léningrad s'y réfèrent


L'Est et l'Ouest cherchent un nouveau théâtre le plus souvent . Leur but est de poser à notre société les question s fondamentales de son époque . Adolf Rudnicki va ju squ 'à dire de Dostoievskiê, C'est un écrivain qui depuis longtemps a cessé de n 'être qU'ILn écrivain , qui est devenu une notion, un programme politique, un point de vue sur le monde... Il fut celui qui a accompli le dernier exploit dans la littérature . Seule la littérature qui incite à l'action, à l'imitation, jugule les gens , influe sur le monde ; le reste est une manière agréable de passer le temps , une raison d'expliquer agréablement les choses -qui, à vrai dire, ne peuvent être expliquées... Raskolnikov n'est pas le portrait d'un meurtrier isolé, il est tou' ce qu'on peut dire au sujet de l'assassinat de l'homme. Raskolnikov a tué il y a cent ans, après nous avons eu Auschwitz , Tr eblinka, Hiroshima , mais quand nou s recherchons le- portrait de l'assassin , nous revenons à Raskolniko v ...

tuel », « spiritualité », « état extatique », « acte d'humilité ou sainteté laïque » , le metteur en scène est un « maître d'œuvre » et « un guide spirituel », les comédiens sont plus des adeptes que des élèves. La technique de l'acteur est donc une technique de la transe et de l'intégration de toutes les puissances psychiques et corporelles de l'acteur qui émergent des couches de l'intimité et de l'instinct et jaillissent en une sorte de translumination . Recherche donc de l'impulsion intérieure, volonté de la rendre visible et d'abattre toutes les résistances psychiques du comédien afin qu'à son tour il abatte les résistan-

ces psychiques du spectateur. Dépouillement du comédien qui doit retrouver ses tendances extrêmes, les plus enfouies , et dans le même temps les rendre apparentes. Le Living thatre, comme le Théâtre laboratoire de W roclaw obéit par des moyens différents, aux mêmes nécessités: violer toutes sortes de tabous psychiques , réagir contre l'étouffement de la société en agissant d 'abord sur l'acteur lui-même , physiquement et psychiquement . Théâtre de défi, théâtre « blasphématoire », écrit Grotowski. Pour un observateur français , quelles sont donc les voies où s'engage la recherche théâtrale? Il nous semble que ce débat : théâtre

politique ou théâtre de participation commence à prendre de l'âge. Comme le disait Beno Besson la grande difficulté à laquelle se heurtent les gens de théâtre du monde entier est de trouver un répertoire contemporain. Nous donnons des classiques, dit-il, non pas pour présenter des pièces de musée mais pour donner aux auteurs des critères pour une nouvelle écriture théâtrale . C'est dans cette phrase que nous trouvons encore la meilleure leçon. Simone Benmussa 1. Cahie rs Reneud-Barrault limard éd. 2. Rappelon s que le th éâtre ningrad a pré sent é L 'Id iot populaire de Varsovie Crim e

Rudnicki pousse si loin cett e croyance en l'actio n qu'il termin e son article d'un e façon édifiant e : l'Occident , dit-il , n 'était plus capable d'agir... Tout ce qu e l'Eur ope nous prop ose aujourd 'hui com me littératur e continue à conf irmer cette incapacité d 'action. Tout ce qui sort des mains d 'Iones co, de Sartre, de Faulkner témoi gne d 'un e incapacité d 'action. (Nous nous bornons à citer cet article paru en Pologne à l'occa sion de la représentation de Crime et Châtiment.) Originalité de la création , deu x théâtres de recherches, l'un à l'Est , l'autre à l'Ouest , s'y attachent particulièrement : le Théâtre Laboratoir e de Wroclaw (Pologne) et le Living Theatre de New York. Notre pro· pos n'est pas ici de parler des difficultés réelles rencontrées par ces deux jeunes troupes (financières et politiques pour le Living Theatre dont on sait qu'il fut réduit à l'exil, peu de moyens techniques pour le Laboratoire de Grotowski, difficultés qui les ont forcés au combat, à convertir cette pauvreté en enrichissement) mais d'étudier leurs méthodes de travail. De « L'avantgardisme » bien sûr dont ils se défendent , les uns héritiers d'Artaud, les autres du psychodrame ou du happening, ils se rejoignent en un sens car leur but -est d'agir sur le psychisme du spectateur par la violence. Théâtres de « manifestes », de « transgression » où la technique de l'acteur consiste à « être» plutôt que «..jouer ». Pour Jerzi Grotowski , l'espace théâtral annulle la distinction habituelle scène-salle . L'espace est déterminé com me une salle d'opération.. . l'action dramatique peut être considérée en tant qu'opé ration chirurgicale, une sorte de Leçon d'A riatomie de Rembrandt ... écrit Ludwik Flaszen , son collaborateur. Pour Grotowski l'art de l'acteur est toute une méthode de vie. Dans le vocabulaire qu'il emploie volontiers apparaissent souvent les termes de « magie théâtrale », « ri-

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Le Dragon, de Jew,eni Schwar z "i '~5~nté par le Deust ches Thea ter de Berlin , mise en scène de Benos Bes.on .

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N° 55, GalGorki de Léet le théâ tr e et Châtiment .


TOUS

LES

LIVRES Ouvrages

BOMANS

Yves Buin

La mUVOlU lÙI minuit Grasset , 12 F. Par un da jeuna espoir. de notre lit térature. Silvina Bullrich

Le. bourgeois trad. de l' espagn ol .Robert Laffont, 12 F. Par la traductrice en A rgen tine de S. de Beau voir, Mauriac et Green , une pein ture féroce de la bourgeoisie argen tine . John Casùe Opération choléra trad. de l'anglais Albin Michel , 14,58 F. Du .uspense. Sujet : Sert/ices . ecret. et guerre atomique . Stuart Cloete Les 1willons de la gloire Flammarion, 25 F. trad . de l' ang lais Un énorm e best-seller de pm de 1.000 pages .ur la guerre da Bœ r•.

Umberto Simonetta Voir le jour trad . de l'italien Gallimard, 15 F. lA faune .nocturne

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Paul Smith La femme tranquille trad. de l'anglais Albin Michel , 18 F . Le. bas fond. de Dub lin dans les annêe. vingt .

PO*SII:

Emmanuel Zakho s Poésie populaire des Grec. Edition bilingue Maspéro, 18,80 F . Chansons de marins et de poysans , de brigands et de montagnard., jusqu'aux modernes ~ bouzoukis ».

trad. de l'italien Mercure de France, 13,50 F. lA uie my.térieuse d'un uillage de 1'1tGlie centrale . Norman Fruchte r Un monteGu .ur un bâIon trad. de l'am éricain Correa , 15 F. Un premier roman 'ur la 11Ïè juiue . Gérald Hanley L'année du lion Mercure de France. 15,40 F. L 'Afrique da vi eux coloniaux par l'auteur du " Dernier élérhan t ».

Willi Hein rich Le fer rouge trad. de l'allemand Albin Michel , 21 F. Les profiteur. face aux victi mes de la guerre Un but seller allemand . James A. Mich ener La Sour ce trad . de l'amé ricain Robert Laffont , 24 F . A trouer. les fouilles d 'archéologues américains le roman de la Terre Sainte. Un da best seller. américains . Adolf Rudnicki Les fenêtres d 'or Gallimard, 19 F . Huit nouvelles par un da meilleur. écrivailU polonais d 'aujourd'hui . Günter Seuren La IGÛon da renard. trad. de l'allemand Calmann Lévy, 13,80 F. Un roman de la révolte par un da espoir. de la littérature allemande .

Josèphe

Sheik Saadi Shirazi Le jardin des roses Albin Michel, 19,74 F . Un de. chels-d 'œu vres de la litt érature persane médié vale.

PHILOSOPHIE

Jean Bru n Em.pedo cle

Segh ers , 7,10 F. Une étude et un choix de textes.

liSSAIS

Engen Fink Le je u comme sy mbole d u monde Ed . de Minu it , 20 ,05 F . Le jeu comme problème métaph ysique.

Gilbert Ganne M euieur. les but-seller. ' Presses de la cité, 15 F. Etude .ur le marché du liure français.

Micheline Sauvage L' avent ure Philosophique Correa , 20,95 F. Une histoire viuante de la pensée de Socrate à Sartre , pour tous les public s.

Bruno Fonzi

Le Malin

Flav ius

La prise de l êrusalem. Albin Mich el , 26 F . La destruction de [ érusalem. par T itus en 70 ap. I .C.

publiés

HISTOIRB

Jean -Paul Clébert Provence antique Robert Laffon t , 18 F . La Provence de la Préhistoire à la conquête romaine .

Jean Duché Histoire du Monde . T . I V Le grand tournant Flammar ion, 20 F . Un .iè cle décisif 1815-1914.

. Ceorges -Roux La guerre de 1870 Fa yard , 16,50 F. De l'origine de la guerre j usqu'à la Commune .

Herodote L 'Orient barbare vu par un ob.ervateur grec Présentation de Ph. Sellier Calman n Lévy , 16 F . La vie des peuples barbares d 'il y a 25 siècles, vue par un " reporter .. célèbre. Eric Hobsbawm Les primitif. de la réuolte dam l'Europe moderne Fayard, 19,50 F. Livre important .ur les révoltes archaïques

entre

le 1- juin

Maurice Godelier Rationalité et irrationalité en économie Maspéro , 21,60 F . coll. Economie et socialisme Dans le . ens des recherches de Lou is Al thlUler . Claude Manceron Cent mille voix par jour Robert Laffont , 15 F. V . l'article de Claude Est ier .

lalolU trad . du suédois Plon , 15 F . Notes, poèmes , pensées .o us-tendus par un thème unique , celui de la mort . Marie Laffranque F.G . Lorca Seghers, 8,40 F. coll. Théâtre de tous les temps Une étude dur le théâtr e de Lorca.

M~MOIRBS

RBLIGIONS

H. de Glasenapp Croyances et rites des grande; religions Payot , 20 F. Les contrib utions des grandes religions à la spirit ualité un iverselle. Edgar Haulotte Symbolique du vêtemen t selon. la Bible Aub ier , 27 F. Une ét ude théologique et sociologique .

Marcel Prou st Lettr es retrou vées Réunies par P hilip Kolb Plon , 14,58 F . La plupart de ces lettr es ne furent pas expédiées par Proust .

Georges Richard-Molard Ou i et Non Albin Miche l, 12,34 F. Un .pasteu r au Concile

Madame Roland Mémoires Mercure de France , 19 F. Première ver. ion intégrale d'un ouvrage introuuable depuis 1910 .

SCIBNCBS

Fred Hoyle Galtuies , noyau x et qlUUa1". trad. de l'anglais Buchet-Chestel, 18,60 F . Les découvertes .ec rètes de l 'astronomie . Condorcet Esquisse d 'un tableau historique des progrès de l'esprit humain Editions sociales, 9,25 F.

Pie rre Lépine Elie Metchnikoff Seghers, 7,10 F . Le. débuts des recherche. sur l'immunité .

Costa de Loverdo La Grèce au combat Calmann Lévy, 19,75 F . L 'attaque italienne de 1940. Georges Mongrédien La vie quotidienne des comédiens au temps de Molière Hachette, 15 F. Une synthèse à l'aide de document . nou veaux .

POLITIQUB

~CONOMIB

Mehdi Ben Barka Option révolutionnaire au Maroc Maspéro , 12,30 F . Le testament politique de Ben Barka.

Général Beaufre L 'O.T.A.N . et l'Europe Calmann Lévy , 11,10 Comment résoudre la crise de l'Alliance Atlantique .

Alain Bosquet Dorothea T ann ing Pauvert , 38,90 F . V . l'article de J. Sek.

Louis Charpentier Les my.tère de la cathédrale de Chartres Robert Laffont , 16,50 F . Les secret s de cette cathédrale qui aurait été construite par le. Templier s.

Pierr e Mar cilh acy Ce que je n 'ai pas dit Robert Laffont , 12 F . R éf lexions d 'un des cand idat. à la Présiden ce de la R épub lique.

Félix Fénéon A u-delà de l'impressionisme Hermann , 6 F . L 'ensemble des articles de Fén éon. sur l'art.

Tibor Mera y La rupture (Mo.cou-Pékin ). Robert Laffont, 18 F . Les rapports sino-russes du 1'r à nos j ours.

Marie·Laure lournal d 'un peintre Julliard , 15 F. Un peintre réfléchit . ur .on art.

Alfred Meyer Lén ine et le léninisme trad . de l'américain Payot, 24 F. Par le Directeur du Centre d 'études .ur l'histoire de l 'Union. soviétique à l'Uniuersité de Columbia.

Pierre de Massot Francis Picabia Seghers , 7,10 F. Un grand peintre qui fut aussi un grand poète méconnu , par un de ses amis Compagnon du .urréalisme.

Edouard Pignon La quête de la réalité Gonthier, 12,30 F. Un peintre et un marmte . 'in terroge .ur .on art.

DOCUMBNTS Dag Hammarskjold

et le 16 juin

Cajus Beller Raid altitude 4000 , journal de guerre de la luftwaffe . Albin Michel, 24 F . Une histoire sans pitié de la Luftwaffe.

Giorgio Vasari Lu peintres tOM:ClnS Hermann, 6 F. De Cimabué à . Botticelli .

Denise Bourdet Encre sy mpat hique Grasset , 15 F. Série de portrai ts : Aragon , Bu tor, Le Clézio, Queneau , etc .

CIN~MA

Ania Franco s L 'Afriqu e de. A j rikaaners Julliard, 20 F . L'apartheid en Afrique du Sud ou la caricactur e du nazisme .

Pierre Leprohon Vi tt oria de Sica Segher s, 6,90 F . Un grand nom du cinéma néo-réaliste italien.

Luda et Jean Schnitzer V . Poudo vkine Seghers, 7,10 F . Un des grand. metteur. en . cène sov ié tiq ue s.

Bachir Had j Ali L 'arbitraire Ed . de Minuit , 7,95 F . Témo ignage d 'un A lgérien emprisonnê depu is l'indépendance . Germaine Tillion Le Harem et le. çousins Ed. du Seuil, IS · ,::;'. L'asseruissemens de la femme dans le. pays méditerranéens.

Peter 0 ' Donnell Modest y Blaise Denœl, 9,75 F. Un lames Bond féminin.

MUSIQUB JaJ;Iles Boggs et Robert Williams La révolution aux Etat s-Unis ? Maspéro , 9,90 F. Deux ouvrier. noir., l'un du Nord , l'autre du. Sud , parlent du capitalis me américain.

Ouvrages

publiés

ART

Maurice Andrieux Au plaisir de Rome Fayard, 15 F . Un ouvrage charmant intelligen t .ur Rome .

entre

le 1e r juin

et

Martine Cadieu Mozart Seghers , 6,90 F. La vie et l'œuvre de Mozart .

et le 16 juin


INPOBMATION8

Un muRcien de

conltlWer~

Mueel Griaule Dieu d'eau ' Fayard, 18,90 F . La conception du monde des Do,on.

notre lem,,-.

BUIIOUR

Philippe . Bouvard. pariIienne Grueet, 15 F.

AlphoD8e AllailI A l'œil J'ai lu

U.Hatt

Robert Beauvais QUGndlu chinoù Fayard, 15 F. Ce qui _ pauenàI li 10 FrGIU:eéIIÀI occupée paT la CIainoiI.

PÛU précU de

Leu... cl.

B**DITION8

Robert Trecaïre GicmCarIoMawni Seghers, 7,10 F.

IOCiolop .

Hiltoire de la Gaule romaine. 120 av. I.C. 451 ap.l.C . Payot, 28 F. :r édition. nvue et co,,",ée . Michelet. Hi#oire de FrGIU:e Le 1~ •. Deux vol. Rencontree, 13,55 F. le vol. De Charla Vlll à Charlu IX (1483 à 1561).

Balzac Let illuliom G.F.

perdues

10/18 Diderot Lareli&iewe Livre de Poche Flaubert Bouvard et Pécuchet G.F.

PhiloIOphie

Kier1ce,aard vivant Idées Le fe%te du colloque or&~ paT

l'Uneaco

avec lu inlerventiom de Sartre, Heide"er, laspen, Gabriel Marcel, lean Wahl, etc... .

Art

Memlin,

Victor Hugo Notre-Dame de Paris Livre de Poche Montherlant La petite infante de Camlle Livre de Poche Jules Romains Let hommes de bonne volonté T. 10 et 11 J'ai lu

Marabout A. Stuhbe

Rubens

Victor Ségalen Let 1mmémoriGuz 10/18

Marabout Renaud de Lahorderie HiltoireadeTenniI Calmann Lévy, 9,60 F. Let coulWel du tenniI des MoUJqUetairel GlU chompiom aUltraliem d'aujourd'hui.

Godfrey Hodg8on Carpetba"er. et Archives Les dix am qui .uivirent la guerre civile américaine.

Politique Economie

Henri Petit Ordonne ton. amour Grasset , 20 F. Un recueil d'aphorismes.

Numéro spécial consaeré : à Blanchot avec la collaboration de Georges Poulet, Michel Foucault, Jean Starobinski, .etc . En ouverture un poème de René Char en hommage à Maurice Blanchot. ~.a_1

C'était le titre d'une sene de présentations de pièces eontemporaines allant de Brecht à des happenings. Cette maDÜestation a eu lieu à Francfort. Des troupes théâtrales de l'Est et de l'Ouest n'ont pas seulement présentés des pièces, mais ont engagé également le dialogue sur leurs conceptions esthétiques et respectives. Le duel oratoire le plus pasSionnant a tourné autour de Beckett, Les représentants du «Berliner ·Ensemble», le théâtre de Brecht ont exprimé des réserves sur l'art de l'auteur de En attendœt.t Godot et ont critiqué sa co.nception du monde. C'est une parole de Hélène Weigel, la veuve de Brecht, qui a le mieux exprimé ces réserves en déclarant : le veux savoir ce que Beckett veut. Pour les artistes . de Berlin-Est les personnages de Beckett étaient socialement insuffisamment déterminés.

Hiltoire

Ku..Klw:·Klan

Frédéric Klemm Histoire des technique. trad. de l'allemand Payot, 18 F . Les techniques de l'Antiquité à no. jours .

G.B. Shaw était un épistolier infatigable. A Londres on vient de publier le premier tome de sa correspondance: environ 900 pages et 700 de lettres. Deux autres volumes de la même .importance sont encore prévus. le Times Literary . Supplement fait remarquer que lorsque ces trois .volumes serent accessibles au public, on connaîtra . exactement 1 % de toute la correspondance de Shaw. Mais le lecteur ne doit pas attendre avec impatience - ou crainte - les 300 autres, ~r la quasi~totalité de la correspondance de Shaw s'est perdue ou a été détruite.

Chatcaubriand Génie du Chriltanilme

Le lOfa

G.H. Dumont Anquetil et P. Joly En brûlant la él4pea Ca1DuumLévy, 11,70 F. Let &randI~JneIIII d'une CGl'rière.

Balzac

Crellillon fila

Une oreille dtim le train Denoël, 11,30 F. Dea diGlopea prü .ur le t1Ïf.

SPORT.

de pan. Livre de Poche

. T. 1 G.F.

R. Cnmsac et R. Foucault

Bemard Pivot La vie oh la la Grueet, 12 F. Dea chroniques paT un collaboratew du " Fi&tJrO Littéraire • .

Le par_

La peau de chavin Livre de Poche

Sociolop du Tout Pan..

Guy Geoffroy A l'heure eaptJpole Ca1Duum Lévy, 9,30 F. Un picle 1OUl'Ïam pour lu VO)'Glew" en E.pqne .

Aragon

Iiha.

J .P . Courtheoux La politique des revenus Que sais-je? P. Nordon Histoire des doctrines politiques en Grande.Breta&ne.

Barbey d'Aurevilly Les quarante médaillom contre l'Académie Française Libertés

Edmond Fleg Antholo&ie de la Pensée juive L'essentiel J. Hejdecher et J. Leeb Le procès de Nuremberg J 'ai lu Eugène Ionesco Note. et contre-note. . Idées Jean Rostand L 'aventure avant la naissance Médiations

Cette revue reprise par les Editions J.J. Pauvert, paraît maintenant sous la direction de Philippe Grumbach. Le premier numéro de la nouvelle série .est consacré aux pompes funèbres, « le meilleur commerce du monde ». Les prochaines livraisons traiteront des femmes, des Suédois, des Améri· cains, de l'automobile , des notaires et des scandales immobiliers . Un be ••

eUer

La Source de James qui vient de paraître Robert Laffont se trouve semaines su r la liste ' sellers américains.

Michener aux éd. depuis 55 des best-

.

Don Quichotte de Grigorij Kazintzev est le premier film soviétique que les Espagitols pourront voir dans leurs cinémas depuis trente ans . Le public espagnol fait un immense succès à ce film,.màis les critiques, tout . en reconnaissant les mérites du metteur en scène soviétique, expriment des réserves sur la transposition · de l'œuvre de Cervantes. Le .. YOIr d.

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IIiW.

L 'Univers des Connaissances, comme son titre l'indique, est une collection qui cherche à embrasser l'enseuible de notre savoir dans les domaines les plus divers. Une centaine de volumes sont prévus, aussi bien scientifiques que littéraires, historiques, philosophiques et artistiques. Huit éditeurs ,dans huit pays düférents publieront en même temps .ces livres : Angleterre, Allemagne, Espagne, Etats -Unis, PaysBas, Italie, Suède et la France. C'est Hachette qui publie cette série dont les quatre premiers volumes viennent de paraître en langue française.

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.1 CHATEAUBRIAND

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par André A. Devaux

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par Pierre Moreau

2 CAMUS par Jean Onimus

3 MONTAIGNE par Armand Müller

4 SAINT-EXUP~RY

5 PASCAL par Jean Mesnard

6 VICTOR

HUGO

par J. B. Barrère Vient de perettre

7 RACINE par J. Mercanton

8 L~ON BLOY par Jacques Petit Chaque volume

4,95 F

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