La Quinzaine littéraire n°4

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UlnZal littéraire

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Le nouveau

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Numéro 4

e 1 er mai 1966

Gombrowicz

Jean-Louis Curtis, Thib,audeau, Marie-Claire Blais

Ici

oscou

d'Arjak

Peter Faecke. Crébillon père et fils. 'Le «Requiem.»

d,Akhmatova Dada .

le surréalisme

.Avant

.Un beatnik.

Peter Weiss sur les traces de Dante. Spartakus

Islam réelle.

et capitalisme. Dakar, l'Afrique

Han Suyin

et la continuité chinoise. Inform.ations de France et de l'étranger. Projets d'éditeurs. Tous les livres


LETTRE A «LA QUINZAINE»

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

W itold Gombrowicz: Cosmos.

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ROMANS FRANÇAIS

Marie·Claire Blais Bruno Gay-Lussac Jean·Louis Curtis: La quarantaine. Jean Thibaudeau Peter Faecke : La Nuit du feu. Nicolas Arjak : Ici Moscou. La poésie négro-américaine Bob Kaufman Miguel-Angel Asturias : Claireveillée de printemps. Anna Akhmatova: Requiem. Une effervescente amie des «zutistes ». Crébillon, pèrè et fils.

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8

ROMANS*TRANGERS

7

8

PO*SIE *TRANG:t:RE

9 10

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*RUDITION

13

HISTOIRE LITT*RAIRE

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LINGUISTIQUE

18

ART

17 18

PSYCHOLOGIE

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SOCIOLOGIE

10 21

L'étude sur Elias Canetti, de Pierre Nora, suggère ces réflexions à M. B. Valentin, de Par~s : ... Ca· netti ento~re, nous dit.on, ses concepts d'un «halo décisif de confusion ». N'est·ce pas là.le propre du pseudo-savant ? De la pseu· do-science contemporaine s'en· tend, qui donne les sociétés ar·

chaïques et la folie pour clés du monde moderne... Mme D.D., d~ Paris, n'admire Margaret Mead que quarid celle·ci se borne à faire de l'éthnologie. Quand elle transporte les mêmes critères sur les Etats-Unis contem· porains, notre correspondante ne la suit plus : La division des travaux masculins et féminins selon le rythme biologique des sexes, nécessaire aux tribus rurales, devient non seulement «réactionnaire» mais absurde, incompréhensible pour les sociétés historiques de f ère sur·industrielle... Beaucoup de lettres à propos de la «nouvelle critique », qui mériterait un nouveau débat. Nous y reviendrons, après avoir enregistré ce son de cloche donné par M. Dezamy, à Paris: ... S'agissant de critique, littéraire ou autre, est·il indifférent que les groupes techniciens, si prompts à s'instituer nos guide-ânes soient tous rémunérés par l'Etat? Aussi bien, comment prétendre à dégager, qui des «évidences », qui des « significations », en affectant d'ignorer la condition première (mais non suffisante) de la liberté intellectuelle: savoir où l'on est placé? Si nous comprenons bien, M. Dezamy voudrait que les « spécialistes» qui possèdent « les instruments pour. comprendre» ne soient ni membres de l'ensei· gnement ni chercheurs appointés par l'Etat. La question nous dé· passe un peu, avouons·le. A tout le moins, elle en suppose quel. ques autres qui tiennent à n08 formes de société, socialistes com· prises d'ailleurs. Quant à notre formule, M. Wolfgang Seubert, de Gien, re· grette que nous n'ayons pas continué de faire figurer le prix des livres au début des comptes rendus. Sur ce point, nous sommes victimes des règlements nous n'en avons pas le droit sous peine de ne pouvoir bénéficier de tarifs postaux de presse. Ces prix sont donnés dans notre bibliographie des pages 30 et 31. On peut se reporter également aux biblio· graphies des numéros précédents.

François Erval, Maurice Nadeau

Publicité générale: au journal

Crédits photographiques :

Conseiller, Joseph Breitbach Directeur artistique Pierre Bernard Administrateur, Jacques Lory

Abonnements :

p. 3. p.4. p.6.

Jaèques Derrida: De la grammatologie. Pierre Francastel : Peinture et société. De Dada au Stirréalisme. Raymond Ruyer : Paradoxes de la conscience et limites de fautomatisme. Maxime Rodinson : Islam et capitalisme. Ernesto de Martino: La terre du remords.

HISTOIRE

Gilbert Badia : Les Spartakistes. Edmond Pognon: Hugues Capet.

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TIERS-MONDE

L'Afrique réelle

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SCIENCES

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Han Suyin: L'arbre blessé. Albert Ducrocq :

Le roman de la vie. i8

MUSIQUE

Chopin Mahler

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SOUVENIRS

88 30

PARIS TOUS LBS LIVRES

Madeleine Oezray : A toujours, Monsieur Jouvet. Sur les traces de Dante.

Rédaction, administration :

La Quinzaine Il"'-IN

13 rue de Nesle, Paris 6. Téléphone 033.51.97.

Imprimerie :

M. Maurice Gui Ilot, chef d'agence d'un quotidien de province et romancier (La Ville aux toits .verts) , nous invite à faire des efforts en direction du grand public. ... Car vous ne servirez f écri· ture qu'en étant lus du plus grand .nombre, et vous ne travaillerez bien, indépendants et sereins, qu'en vendant beaucoup. Il vou· drait que nous ne soyons ni « trop parisiens» ni «trop littéraires» et que nous « panachions » notre formule 'par des rubriques qui « dénaphtalineraient » la littéra· turc. Il y a une soif de lecture dans le public, poursuit.il, le succès du poche f atteste. Sans doute. Nous sommes cependant ici sur un terrain glissant: aller au· devant du publie, ou l'amener .à soi? où se trouve la juste mesure?

Un an : 42 F, vingt-trois numéros. Six mois : 24 F, douze numéros. Etudiants: six mois 20 F. Etranger: . Un an: 50 F. Six mois 30F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal. C.C.P. Paris 15.551.53.

p. p. p. p. p.

7. 8. 9. 11. 13. 17. 19. 21. 23.

16.

Publicité:

François Emanuel

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La Publicité littéraire : 71 rue des Saints-Pères, Paris 6. Téléphone: 548.78.21.

Copyright La Quinzaine littéraire Paris, 1966.

p. 24. p. 27. p. 29.

Coty. S.A. 11 rue Ferdinand-Gambon Paris-2oe.

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Nous commençons de recevoir un important courrier. Nos cor· respondants nous félicitent, nous encouragent ou nous -critiquent. Plusieurs nous font d'utiles suggestions. M. Robert Butheau, qui, si nous sommes bien informés, est rédac· teur en chef.adjoint du Progrès de Lyon, nous fait part de son « plaisir » à lire notre journal. Enfin, un journal littéraire digne de ce nom. Je lui souhaite le plus grand succès. Toujours de Lyon, M. Louis Debourcieu, chef de travaux à la Faculté de Médecine et de Phar· macie, nous envoie une lettre que nous voudrions bien publier dans son entier : Je tiens à vous féli. citer chaleureusement de votre entreprise. Votre bi·mensuel va être un véritable instrument de travail... Le choix des livres critiqués, les critiques, leur niveau, tout me convient parfaitement...

Directeur de la publication :

Roger Viollet Ed. Bernard Grasset Ed. du Seuil Ed. Gallimard Marc Riboud, magnum Ed. Denoël Collection particulière Keystone Roger Viollet et Club des Libraires Club des Libraires Ed. de la Connaissance Burri, magnum Roger Viollet Club des Libraires George Rodger, magnum Brian Brake, magnum Roger Viollet Nicolas Trfatt


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Entre les détritus et les étoiles Witold Gombrowicz Cosmos Traduit par Georges Sédir Les Lettres Nouvelles Denoël éd.

Gombrowicz a écrit Cosmos en termes d'imagination matérielle - à hase du grouillement de l'infiniment petit, du chaos de l'infiniment grand. Entre la prolifération des sous-hois, le fouillis des détritus et l'infini des constellations, l'homme reproduit à son tour le morcellement du microcosme, l'éclatement inutile des espaces stellaires. Son corps même semhle calquer les lézardes et les craquelures de la matière, tandis que sa conscience est soumise à l'assaut continu de hruits, de for· mes, de couleurs. Comme La Pornographie, Cos· mos a une apparence de roman policier : le narrateur s'y efforce de reconstruire les liens qui peuvent exister entre trois pendus : un moineau, un chat, un homme. Mais cette « intrigue » apparente n'est destinée à tromper person· ne : elle ne sert qu'à orienter les « indices » que présentent, en surabondance, tout caillou, toute brindille dans les sous.bois, toute lézarde sur les murs. C'est là une tentative d'organiser le chaos et l'espace. Parallèlement, le roman de Gombrowicz affronte le prohlème du temps. C'est à un autre personnage, Monsieur Léon, en apparence un vieux retraité ramolli, que revient la tentative de transformer le temps profane, qui coule sans cesse comme un fleuve de boue, charriant les débris de chaque instant, en temps sacré, signifiant, en « Fête » unique et primordiale. Le narrateur, organisateur de l'espace, et Léon, organisateur du temps, ont d'ailleurs partie liée. Chaque roman de Gombrowicz est une autobiographie transposée. Mais le narrateur de Ferdydurke, « Gombrowicz » du Trans-Atlantique, « Witold », de La Pornographie ne se compromet jamais directement, comme si l'opinion des cousins hobereaux, des « tantes culturelles », si menaçante dans la préface de Ferdydurke, devait encore être ménagée. C'est chaque fois le « double » du narrateur, son confident (toujours socialement son inférieur) qui ex· prime l'être profond. Le narrateur - reflet du « moi » social n'assume qu'un rôle d'observateur, tandis que sOn diabolique compa· gnon - à la fois Sganarelle et Méphisto - est le vrai meneur de jeu. Dès la première page de Cosmos, Witold apparaît en compagnie de cet être un peu gris, un peu subalterne qui sera son com· pliee dane la première partie du livre. Toutefois, ce Fuchs ne pren. dra pas sur lui d'exprimer les obsessions profondes du narrateur : il n'est pas Méphisto, il n'est que le Watson du WitoldLa Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

Sherlock Holmes. Le lien profond, r on considère la quantité fantasla communication secrète, s'éta- tique de sons, de formes, que nous hlira avec Monsieur Léon, qui, percevons à chaque moment de dans Cosmos est le véritable dou- notre existence... essaim, fleuve, hIe du narrateur. Pourquoi cette bourdonnement... quoi de plus ruse au second degré ? Cosmos facile que de combiner ? Ceci est dit à propos de ces a été écrit en Argentine entre « indices » qui abondent dans le 1960 et 1963, tandis que son action se déroule dans la lointaine grouillement de détritus, de grafPologne d'avant-guerre. Le narra- fiti, et que dans Cosmos le narrateur est donc un « Gombrowicz » teur désire déchiffrer. Gombrotout jeune, et sa rencontre avec wicz mentionne, dans ses notes Monsieur Léon me fait penser à sur son dernier livre, « le microcette autre rencontre, à vingt-cinq cosme ». Or, on sait qu'il est ans de distance, que Gombrowicz impossible, dans le domaine midécrit dans un des derniers passa- crophysique, de séparer le com~es de son Journal: au milieu de l'océan: je rencontrerais ce Gombrowicz allant en A mérique, moi, Gombrowicz qui aujourd'hui la quittais. L'art et la littérature modernes sont hantés par l'antinomie ordre. chaos et l'élément hasard est à la base des œuvres les plus caractéristiques de notre époque. Gombrowicz est tenté d'exprimer le chaos et l'informel, mais il est conscient du paradoxe qui ramène tout chaos vécu à un ordre et toute œuvre informelle à une forme : Comment ne pas raconter après coup? Ainsi il faudrait penser que rien ne sera jamais exprimé dans son devenir anonyme, que personne ne pourra jamais rendre le bredouillement de finstant qui naît; on se demande pourquoi, sortis du chaos, nous ne pourrons jamais entrer en con- L'infini des constellarioru. tact avec lui : à peine avons-nous regardé que f ordre naît sous no- portement des objets atomiques et tre regard... et la forme. C'est la leur interaction avec les instrusupériorité de Marcel Duchamp ments de mesure qui ont pour sur tous ses épigones d'avoir nié objet de définir les conditions l'idée (chère à Lupasco et à Ma- dans lesquelles les phénomènes thieu) d'une relation entre l'in- apparaissent : l'homme de science déterminisme des physiciens et ne peut avoir une connaissance l'indéterminisme dans l'art. On ne parfaite de tous les facteurs' mis cesse, pourtant, d'être frappé par en jeu, car ils sont modifiés par l'intuition profonde de Gombro- l'entreprise même qui sert à les wicz de tous les problèmes intel- déceler. On est ainsi tenté de lectuels de son temps. Ainsi, qualifier Gombrowicz de « disciGeorges Sebbag, qui donne dans ple accompli de Niels Bohr et de Critique (mars 1966) une analyse Heisenberg »! très intelligente de l'œuvre de Il faut se garder d'oublier que Gombrowicz, lui prête une forma· Gombrowicz a écrit dans son Jourtion qui n'a jamais été la sienne nal : Je ne crois pas en une philolorsqu'il écrit : Dès Ferdydurke, sophie non érotique. L'érotisme Gombrowicz se montre sociologue est à la base de toute son œuvre, accompli et habile psychanalyste et, sa conceptio~ profonde de et lorsqu'il voit dans ce livre l'il- l'érotisme est très voisine de celle lustration de la sociologie plura- de Georges Bataille : elle compor· liste chère à Gurvitch. Or, bien te"l.l'horreur, la dégradation, la sûr, l'auteur de Ferdydurke igno- mort et - seule clef moderne à rait tout de la sociologie et de.la un temps « sacré » - elle exige psychanalyse et s'il a été, exis,ten- ne serait·ce qu'un simulacre de tialiste c'est à son insu et avant la sacralité (la piété, est ab-so-lulettre. On comprend mieux la ten- ment et ri-gou-reu-se-ment exigée, tation de Sebbag d'attribuer à même le plus minime des petits Gombrowicz une volonté d' « il- plaisirs ne peut se passer de piété, lustration » qu'il n'a pas, lors- dira dans Cosmos le terrible et qu'on lit dans Cosmos : Ainsi dérisoire Léon). Il serait bien cette coïncidence était en partie entendu absurde de réduire Fer(oh, en partie!) provoquée par dydurke à l'homosexualité, La moi-même, et la confusion, la Pornographie à la mise en scène difficulté étaient justement que érotique (partouze) , Cosmos à je ne pouvais jamais savoir dans l'onanisme. Mais le génie de Gomquelle mesure l''étais moi-même browicz exprime jusqu'aux idées fauteur des combinaisons qui les plus abstraites par rapport à s'effectuaient autour de moi, ah, l'érotisme. Ainsi, si ,Cosmos est, on se sent si vite coupable! Si comme le veut Gombrowicz dans

son Journal, un roman sur la formation de la réalité, cette tcntative repose, pour citer encore le Journal, sur deux points de départ, deux anomalies très éloignées l'une de fautre : a) un moineau pendu; b) f association de la bouche de Catherette à la bouche de Léna. Le narrateur guette, dans Cosmos, tout ce qui se trame dans les corps : les mains, les bouches, les doigts, les jambes qui avaient dans Ferdydurke une autonomie symbolique, sont ici scrutés autrement, comme si Gombrowicz etait devenu conscient de ce que Freud a négligé : la participation du corps tout entier à la vie imaginative, les correspondances qui, obscurément et presque à notre insu, s'établissent dans cette zone d'ombre entre le physique et le psychique qui est à la base même de notre existence. Proust (que Gombrowicz, à en juger par son Joura bien mal lu) fut un des premiers explorateurs de cet univers « psycho-physique » et, avant lui, Lichtenberg qui écrivait il y a deux cents ans: Tout fait quelque chose en tout, et si je retiens (a + x) X (a - x) a t - ~, c'est peut-être mon pouce qui en retient une partie, si infime soitelle, mais suffisante pour que tel ou tel homme se souvienne de la formule au seul contact d'un objet, ou pour qu'il pense en rêve ou dans un accès de fièvre qu'elle n'est rien qu'un petit bout de toile. Si le rôle joué par la Nature et ses messages dans La Pornographie fait que ce roman aurait pu s'appeler Cosmos, Gombrowicz aurait encore de meilleures raisons d'inverser les titres, car Cosmos est un des livres les plus profondément obscènes qu'on ait jamais écrits. Là encore, l'auteur s'apparente à Bataille : mais il me semble que les terribles accouplements de Madame Edwarda heurtent, dans la perspective même de Bataille, moins de tabous que, dans Cosmos, les « cracI18ts dans la bouche », le doigt introduit dans la bouche d'un pendu ou la solitaire « célébration » érotique de Léon. Dans son livre sur Shakespeare, Jan KoU a démontré comment la tragédie s'est transformée de nos jours en farce absurde. Mais si Kou peut rapprocher Lear d'un clochard de Beckett, celui-ci est bien revêtu à nos yeux du reflet royal d'un Lear de notre temps. Gombrowicz va plus loin dans la profanation lorsqu'il parle de la vie, de la mort et du destin des hommes dans un contexte volontairement banal, quotidien et « vulgaire ». Si nous considérons Léon du Cosmos avec ses inquiétants « menus détails », avec son invention verbale (mais hien ancrée dans une parlerie de fonctionnaire en retraite), avec son comportement magique et son in~

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ROMANS FRANÇAIS ~

Entre les détritus et les étoiles

telligence suprême qui perce sous l'avachissement, la sécheresse et la vulgarité, c'est avec ,effroi que nous reconnaîtrons en lui le reflet hideusement déformé et avili de Prospero. Même en Pologne, Gombrowicz est toujours interprété en fonction de Ferdydurke - on se horne à voir en lui l'explorateur des thèmes Supériorité. Infériorité, Maturité· Adolescence, Formel Informel. Pourtant, les thèmes apparemment nouveaux de La Pornographie et de Cosmos sont déjà présents dans son premier livre, publié en 1933, un recueil de nouvelles : Bakakaj. Nous y voyons un crime inexistant, qui ne repose que sur des « indices » tels qu'une punaise morte, un louche morceau de beurre. Dans une autre nouvelle, Evénements sur la goélette Banbury, déjà la réalité s'annonce menaçante à travers des « signes » qui préfigurent Cos· mos : J'évite à vrai dire toute

conversation, car j'estime que le dessin de la vergue du grand cacatois se courbe bien inutilement en forme de S. Par la lettre S commence un mot de mon cru que j'aurais préféré ne pas con· naître. Pas seulement la vergue d'ailleurs. Il y a sur ce bateau d'autres formes, d'autres lézardes désagréables. Enfin, toujours dans le même recueil, Virginité est un des textes les plus obscènes que je connaisse (d'une obscénité tou· te gombrowiczienne, qui échappe aux censures). Si La Pornographie et Cosmos rendent un son plus grave, plus menaçant que ces premiers écrits, ce n'est pas seulement dû à l'évolution du génie de Gombrowicz. Il y a dans Bakakaj un humour juvénile, une in· souciance qui exorcisent la mort que déjà, pourtant, chaque faille et chaque lézarde secrètent. Cette mort - et la mort de Dieu Gombrowicz les scrute maintenant avec un sérieux « mortel ~, tandis que le quotidien, le banal, qu'il déforme avec tant de fidélité profonde, tandis que la dérision même ne font par contraste qu'augmenter la gravité de la « Cérémonie ».

Cosmos est pent-être, après Trans.Atlantique, le roman de Gombrowicz qui pose le plus de problèmes au traducteur. Gombrowicz y utilise toutes les nuances de parlerie vulgaire, tous les lieux communs de la petite bourp:eoisie et de la bourl!eoisie polonaise d'avant-guerre. Geor~es Sédir a su très bien rendre ces différentes formes de langage avili, ainsi que toutes les transitions qu'opère à dessein Gomhrowicz d'une « belle écriture » à une expression plus haletante, précise et immédiate.

K. A. JelensJâ Ferdydurke, La Pornographie, Le Jour. nal, ainsi que le Théâtre de Gombrowicz ont été publiés par les Lettres Nouvelles, aux Editions Julliard. N.D.L.R. 4

Marie·Claire Blais

Une Saison dans la vie d'Emmanuel Grasset éd.

Je ne sais si la littérature vit jamais surgir une galerie familiale aussi fabuleuse et atroce que celle de Marie·Claire Blais. Qu'on en juge : une grand.mère despotique, qui tient de la fée Carabosse et de la tante de David Copperfield ; la mère, un ventre, qui met au mon·

Marie-Claïre Blaü par

Mary MeiBs

de avec résignation un chapelet sans fin d'enfants, égrenés par un père, incarnation de l'ignorance et de la brutalité. Les enfants, eux, ne font que passer et le Curé transporte tou· jours par précaution l'huile des derniers sacrements avec l'eau du baptême. Cependant il arrive que certains s'attardent et, au début du roman, lorsque naît Emmanuel, la p:rand-mère Antoinette s'inquiète de ceux.là, les fortes têtes, qui ne veulent pas se résigner à mourir. Nous allons assister à leur Passion, celle de Jean.le.Maigre, du Septième, de Pomme et de leur sœur Honorine.

narratrice le sait aussi bien que nous et qu'il n'entre pas du tout dans ses intentions' de peindre quelque « tranche de vie :1> natu· raliste. L'anecdote est traitée dans une perspective de symboles. Le fantastique est d'ordre mythique. Quels sont ces mythes? La grande réussite du livre tient dans l'impossibilité où nous sommes de retrouver la trame d'une fable précise sur laquelle on aurait plaqué un certain nombre d'événements exemplaires, destinés à illustrer. Ce sont les moindres gestes de cette petite tribu humai· ne qui évoquent de manière allu· sive, par résonance, les grands récits fondamentaux. Il est certain que l'histoire de Jean.le.Maigre rappelle celle du Christ, que POlo' me et le Septième font songer aux deux larrons. Toutefois cette aÏeu· le qui prophétise sans cesse la mort de ses proches, n'est·ce pas aussi l'antique Destin? N'est-ce pas la Terre, cette matrice passive, à la fécondité indifférente et iné· puisable? Ce passage éphémère, n'est·ce pas l'image de notre con· dition? On ne peut l'affirmer, mais on ne cesse de le rêver et l'on vérifie ici, une fois de plus, que la valeur 'd'une œuvre tient presque tout entière dans son écriture. C'est elle qui ménage cette résonance cosmique, par ses images, son ly. risme sobre, bref par une tension poétique contrôlée. Le secret de son efficacité, on le remarquera, tient dans l'effet suivant : le fantastique est traité comme une dimension naturelle du monde innocent' de l'enfance, au même titre que la misère, le vice et la cruauté:

Jean-le-Maigre se hâtait de faire son examen de conscience avant que le Diable ne se glisse dans son lit... Le surveillant ronflait dé}à dans sa cellule, mais s'échappait encore de sa porte un filet tk lumière rouge où se baignaient comme dans un étang des pieds somnambules qui erraient d'un lit à au tre... Tout de même, pensait grand • mère A ntoinette, fière d'avoir choisi une colline pour enterrer son petit·fils et jetant sur sa tombe toute une poignée d'avoine qu'elle destinait aux oiseaux, tout de même il sera mieux ici qu'à la maison. Trop de vent peut-être, mais il s'habituera.

r

Tandis que celle·ci paSlle avec candeur du couvent au bordel, (l'anticléricalisme du livre est d'une rare férocité), les garçons vont mener une courte et étrange vie de chenapans et de martyrs. Le clan est dominé par la figure de Jean-le-Maigre, le poète, qui Deux exemples de ce bonheur succombera aux manœuvres d'un moine·infirmier vicieux. Tous d'expression qui se soutient tout d'ailleurs, à force de mauvais au long du récit. On aurait aimé traitements finiront par y passer, peut-être que Marie·Claire Blais le temps d'une saison, le temps éclairât davantage les sources pour Emmanuel d'être assez grand personnelles de son expérience. L'impudeur reste secrète. On voit pour souffrir... l'auteur plus que la personne. Il Le paradoxe de ce roman est est certain aussi qu'il est rare de que l'on est forcé de s'attarder un voir l'auteur! On rencontre peu de premiers peu sur l'intrigue, alors qu'elle est livres où il s'affirme avec autant un élément secondaire. On souli· gne du même coup son côté fan· de force, où le ton soit aussi pero tastique, irréel, mais le lecteur ne sonnel. tardera pas à s'apercevoir que la Robert André

Bruno Gay.Lussac

La Robe Gallimard éd.

La Robe met en scène quatre personnages : un petit garçon à la santé fragile, sa mère qui lui est plus proche que tout au mon· de, son père, un homme lourd, effrayant qui fait toujours contre· poids ; et un homme habillé de blanc avec un panama. Nous sommes vers 1925. Une abscnce totale de dialogue donne un as· pect fantomatique aux personna· ges et accentue les situations. Ce qui n'est pas dit, n'en est que plus impressionnant. On sent une guerre secrète, un danger. Les scènes, les lieux sont décrits avec une grande réalité. Les objets, même un robinet de bai· gnoire, comptent d'une manière affective. Les couleurs, les tonali· tés font penser aux toiles de Manet : des grandes taches blan· ches ou noires s'opposant à des bleus délicats, des verts étendus. Tout d'abord, l'enfant est au bord de l'océan, dans le Sud· Ouest de la France apparemment. Les mouettes planent, tout est blanc et salé, mugissement et lumière. Le père marche d'un pas alerte et décidé, une raquette de tennis à la main. Tandis que' la mère est rêveuse, distraite ,et troublée par un homme en pan· talon de flanelle blanche : « Il parle lentement... c'es~ un langage chiffré dont le secret est dans le ton, la cadence... ». Là est le danger. Nous le retrouverons, à la fois présent et discret, dans une station thermale où le petit garçon - toujours accompagné de sa mère - fait une cure. L'aspect démoralisant de ce lieu est com· pensé par la complaisance de l'enfant envers son corps; les bains, les serviettes chaudes, la promiscuité des autres malades. Puis, dans un hôtel de montagne, l'atmosphère devient plus tendue. L'enfant croit sentir que tous les autres pensionnaires regardent ~a mère, elle a des attitudes étranges, elle sort sans chapeau, détails qui serrent le cœur des enfants ne supportant pas que leur mère, si belle qu'elle soit, se fasse remarquer. Nous avons compris : la mère a un amant. La fin est étrangement calme, intimiste. Dans de grands appartements à piano à queue, des domestiques en tabliers blancs se penchent aux fenêtres. La fausse animation des voyages s'est étein· te, le drame enfin a pris corps, gravement et mélancoliquement. Roman de l'enfant et roman de la mère. Encastrés l'un dans l'autre et visibles grâce à une suite de tableaux qui s'équilibrent. Le style léger, fin et tendre de Bruno Gay.Lussac les éclaire d'une lumière impressionniste raf. finée.

Marie·Claude de Brunhoff


.. Vingt ans apres Jean-Louis Curtis La Quarantaine. Julliard, éd. En 1946, Jean.Louis Curtis pu,bliait son premier roman, Les .Jeunes Hommes, avant d'obtenir deux ans plus tard le Goncourt pour Les Forêts de la Nuit. Il a fait, depuis, une belle carrière de romancier, en marge des modes et sans tapage, avec les préoccupations qui sont les siennes et une science consommée de son métier. Son œuvre, solide, durera.

La Quarantaine est son JI ingt ans après. Il y reprend l'histoire de certains personnages des Jeu. nes Hommes, qu'il avait abandon· nés au seuil de la vie, riches d'audace et de possibilités. On peut relire ce premier roman : il ne porte pas les rides de l'époque où il fut écrit et l'auteur partait déjà tout armé. Il n'a fait qu'ajouter par la suite à sa pano· plie ou, comme on dit, agrandir son champ de vision, joignant à la peinture d'une société provin. ciale celle de certaines mœurs parisiennes. Romancier au sens traditionnel du terme, Curtis est également un moraliste et un té· moin. Témoin parfois amer et qui laisse paraître son angoisse sans s'y ébattre. Moraliste ironique et satirique qui se garde de tomber dans la caricature. Plus qu'uni. ment blanche ou noire, la vérité est hélas! banale et grise. L'art du peintre, ou du romancier, consiste à retrouver dans ce gris toutes les couleurs de la palette. Ce qu'on pourrait prendre chez Curtis pour le sens de la mesure ressemble davantage au souci qu'avaient les romanciers du xIX" siècle de parvenir à une vérité typique et valable pour un milieu, une société dont ils s'efforçaient de .suggérer les structures profon. des et bien qu'elle fût déjà par· courue de remous en tous sens. Les contemporains ont fait bon marché de cette ambition quoi.

que les plus grands, Kafka, Proust ou Joyce, l'aient re· jointe par des voies très particuJièr,es. S'il s'agit toujours en définitive de notre condition, et de la vie, et de l'amour, et de la mort, nul n'ignore que cette con· dition est en partie façonnée par un climat social, moral, intellec· tuel qui change avec les milieux et les époques et dont le roman· cier, quel que soit son champ d'étudé, même circonscrit, ne peut pas ne pas tenir compte. Nul écrivain ne paraît plus éloigné de Curtis que Samuel Beckett. Pour. tant, dans le procès feutré qu'il fait à l'avant.garde, Curtis se garde d'égratigner l'auteur de Fin de Partie. c: Impressionnant et fort » dit de cette pièce un bourgeois de Sault-en·Labourd venu se « distraire » à Paris. Par personne interposée, l'auteur rend hommage à un membre éminent de sa famille et se garde de le ranger parmi les valeurs soufflées qu'il entreprend de dégonfler. Beckett est assurément revenu depuis longtemps de ce' bal mas· qué que Curtis se croit obligé de monter afin de dénoncer la comédie des apparences. Mais quoi? Cette comédie est la nôtre, et nous y jouons un rôle : celui du vivant qui, quoiqu'il en ait, ne peut aller tout nu sans se faire lapider et qui, de concession en concession, finit par accepter le déguisement que la société lui propose. Passé cette fameuse « quarantaine » la partie est définitivement jouée, le personnage social a pris le pas sur l'individu singulier, lui com· mande tous ses gestes et jusqu'à ses sentiments, le fige dans ce qu'on appelle au théâtre son « emploi ». Sauf accident, la mort ne vient pas d'un coup, elle a depuis longtemps déjà agrippé ses victi· mes. Ce thème banal et de peu d'agréments est celui qu'a entrepris d'illustrer Curtis dans La Qua. rantaine. Illustration d'autant plus saisissante que nous avio.ns gardé le souvenir de pétulants jeunes

gens qui se faisaient fort de ne pas suivre la trace de leurs parents et qui voulaient étreindre, chacun pour soi, un monde qu'ils auraient eux-mêmes façonné. Ils ne manquaient ni d'envergure ni de courage ces Comarieu, ces Marcillac, ces Lagarde. Que leur est-il donc arrivé ? L'aventure commune : ils ont pris femme et métier, se sont coulés dans les alvéoles naturels qu'une société provinciale avait disposés tout exprès pour eux, ils y ont fait leur trou et se sont laissés vivre. Le temps a fait le reste, et ce qu'on nomme les com· modités de la vie qui, lentement, patiemment, usent et dégradent, avilissent. Le père se retourne contre ses enfants qu'il accuse d'ingratitude, l'époux con t r e l'épouse qu'il a grand.peine à tromper, tandis que s'amenuisent jusqu'à la corde les satisfactions qu'on pouvait encore tirer de l'exercice d'une profesl;ion ou de la possession d'Une fortune, les vanités que donnait une position sociale. Les jeunes conquérants de la vingtième année se réveillent en « affreux bourgeois » mécon· tents de tout et d'eux·mêmes, étonnés d'être devenus ce qu'ils sont, conscients de ne pouvoir plus s'échapper du piège que la vieillesse puis la mort vont défi· nitivement refermer sur eux. C'était donc cela, la vie? Ils ne marchent pas du même pas vers la fin de leur petite histoire personnelle. Ils connaissent même parfois le sursaut, qui permet de sauver momentané· ment la face, la victoire éphémère, la plus ou moins « grande illu· &ion ». Bruno Marcillac décide, à cinquante ans, de « vivre un grand amour » : il n'y rencontre que le ridicule et la souffrance. André Comarieu tient son journal intime, jusqu'au jour où ce mi· roir complaisant lui renvoie une image si fausse de lui·même qu'il décide de le jeter au feu. Il est vrai que, terrassé par un infarc·

tus, il a eu le temps de revoir sa vie et d'envisager sa triste situation. Quant à Lagarde, l'ancien brillant sujet du collège religieux .de Sault devenu marchand de biens, il a pour lui la chance de sa basse extraction sociale qui lui donne un but - misérable il est vrai - : gagner de l'argent, s'élever au niveau des bourgeois. Seules les femmes, dans ce général à vau.l'eau, ne font pas trop piteuse figure : elles se contentent de souffrir, de pardonner et de voir venir. A petites touches, dans le cadre de tableaux bien circonscrits, nouant entre eux les fils qui lient ces personnages, recréant l'atmo· sphère d'un milieu provincial dont l'automobile, la radio, la télévi· sion, les magazines ont peu à peu gommé les anciennes particulari. tés, évoquant l'évolution d'un monde qui a pris pour dieu la vitesse, ne se gênant pas de donner son avis par la bouche de tel ou tel personnage, J ean·Louis Curtis brosse une peinture dont certains gris approchent du plus beau noir. Tableau d'époque qui dresse l'acte de décès d'une petite bourgeoisie française confite dans les valeurs qui ont fait autrefois sa force et auxquelles elle ne croit plus, classe qui entre à reculons, pour s'y dissoudre, 'dans la masse gélatineuse façonnée par la société de consommation. Si la décrépi. tude d'une couche sociale marche ici de pair avec la dégradation biologique attachée à la condition du vivant et si de l'une et de l'au· tre, les effets se conjuguent et s'additionnent, il y va moins peut-être d'une volonté arrêtée de l'auteur que de son souci d'être vrai 'et complet. Certains romanciers se dérobent devant l'obstacle, d'autres marchent au canon. Jean·Louis Curtis est de ces derniers. On se réjouit qu'une fois de plus sa bravoure soit récom· pensée. Maurice N adeau

••••••• ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• Si vous aimez JULES VERNE Lisez:

Si vous avez vu

LE TRES CURIEUX JULES VERNE

LA SOIF ET LA FAIM

à la Comédie Française

et

NOUVELLES .EXPLORATIONS DE JULES VERNE par

Le texte de la pièce vient de paraître dans le 4e volume de Théâtre de

Ionesco

Marcel Moré

L La QuinZaine littéraire, 2 mai 1966

L

A 5


ROMANS ÉTRANGERS A

Le·"langage meDle Jean Thibaudeau

Ouverture Collection Tel Quel Le Seuil éd.

Près de la nVlere, la pralne s'inonde par en dessous, la terre se gorge d'eau, et l'eau s'accumu· le, là-dessous, et remonte. Il y en a un peu à la surface saturée, fouillis d'herbes et de terre, mares cachées sous les joncs. Le ciel se déplace plus vite. Je marche au bord de la vallée. Par·delà les monts, dans l'échancrure, se lèvent les hautes bandes verticales de la pluie sur la plaine, et elles glissent sur l'horizon. Refroidissement, être ainsi respirer, réduit au corps, dans le monde incertain. Près de la rivière je suis du regard le cours rapide de l'eau jaunie, puis en avant, de nouveau je suis une planche, ou une bran· che - là, devant, et elle tourne sur elle·même, en passant -- et jusqu'à ce coude où des arbres en masse croulent sur le flot plus la-rge et lumineux, il semble en· suite qu'il tombe dans le vide, et elle disparaît. Ce fragment, au ha8ard, d'Ou· verture (lui.même fragment, livre. fragment, livre ouvert, pui8qu'il se ferme 8ur une attente qui e8t encore ouverture, attente d'une 8uite déjà ouverte dont quelque8 page8 pui88ante8, 8uperbe8, ont paru dan8 le dernier Tel Quel) peut donner quelque idée de ce qu'e8t ici, dan8 ce qu'elle a d'à la foi8 8ingulier et exemplaire, la manière de Jean Thibaudeau : une inten8ité, une fraîcheur de 8en8ibilité au 8pectacle et à la 8ub8tance de8 ch08e8, de ce qu'au. trefoi8 on aurait 08é appeler la nature, ou la vie, et aux incita· tion8 qu'elle8 communiquent à la rêverie, au dé8ir poétique; mai8 aU88i le fait que cette pré8ence du monde e8t tenue, contenue tout entière dan8 la 8phère d'une ex· périence intérieure qui n'e8t rien d'autre que le mouvement de l'écriture.

Je marche au bord de la vallée, ce n'e8t pas ici une phra8e par laquelle un narrateur nOU8 rap· porte une action dont la réalité 8e 8ituerait quelque part horE! du livre, dan8 quelque pa88é ou quel. que imagination antérieur8 et ex· térieur8 à l'action de produire cette phrase elle·même : ce à quoi nOU8 a88i8ton8 con8tamment, de ligne en ligne et de page en page, c'e8t au contraire la naissance, l'écl08ion, l'ouverture ince88ante d'une existence qui se confond, san8 le moindre intervalle, avec l'acte de l'évoquer, de la rêver et de l'écrire. Le récit n'e8tpas la tran8cription d'une e~périence vécue, il ,en e8t la 80urce et le foyer, ce qui la rend p088ible et présente. Ecrire Je marche au bord de la vallée, ce n'e8t pa8 mettre par écrit une marche et une vallée antérieure8 à la phra. 6

se ; c'est bien plutôt (pour celui qui écrit, et immédiatement et en même temps pour celui dont l'acte de lire suit et accompagne, sans recul, cet acte d'écrire) lancer la phrase, le t~xte, l'écriture dans cette marche et cette vallée qu'ils viennent de susciter à eux seuls, à l'instant. Sans doute en a·t·il toujours été ainsi, même dans l'écriture romanesque la plus « réaliste' » ; mais ce qui est nouveau, peut·être, dans la littérature d'aujourd'hui, et qui se manifeste avec force dans un roman comme celui·ci, c'est la conscience intense du phénomène chez l'écrivain et le lecteur, et l'accent presque imperceptihle, mais d'un effet déci8if, que cette con8cience communique à l'en· 8emble du récit : quelque chose comme le 8entiment, infU8 dan8 chaque phra8e, pre8que dan8 cha· que mot, de la liberté de l'écriture, et donc de 8a re8pon8abilité.

Ouverture e8t donc, non l'hi8toi. re, mai8 pleinement le texte d'une enfance et d'une adole8cence, un

/etin

ThibaudeGu

livre où inlassablement s'évoquent et se révoquent un certain nombre de lieux, d'actes, d'épisode8 lié8 à un paysage et un climat la mer, la pluie - d'une obsédante unité. Mais l'océan, la plage, le bateau, le port, la ville avec 8es remparts, ses marché8 glis8ants, la campagne avec ses rivières, 8es flaques, sa terre gorgée d'eau, tout , cela n'est pas dehors, mais dan8 le livre, dans l'emportement lyri. que d'une mémoire qui est le langage même. Rien n'est plus loin de cette séchere8se, de cette « abstraction ~ que l'on ne cesse', absurdement, de reprocher aux œuvres de la 'nouvelle littérature. Rien n'est plus fougueux, plu8 vi· vant que ce nouveau « portrait de l'artiste en jeune chien ~ où 's'ébat et s'ébroue cette liberté du regard, de la mémoire, de la con8· cience, qui est la littérature.

Gérard Genette

Peter Faecke

La Nuit du Feu roman traduit de l'allemand par Gabrielle Wittkop. Ménardeau Gallimard éd.

Je ne sais si les lecteurs aIle· mands de Die Brandstifter publié en français sous le titre La Nuit du Feu, ont vu ces prolongements d'une œuvre, d'autre part fort adroitement construite, sans coma plaisance, rigoureuse et qui exige une attention de tous les instants. On peut se contenter de recher· cher avec Pnip ce que sont ses origines. Est·il le fils de cette Française morte dans un train et de Glonski, qui met le feu aux scieries, aux huttes de rondins, ou celui de Clara Jutik qui a épousé Glonski ? Le carton trouvé autour du cou de l'enfant a été rongé ou coupé avec des ci8eaux. De 80n vrai nom, il ne reste plu8 que quelques lettre8 p, i, p, n ; Clara avec ces lettre8 formera un nouveau nom, Pnip.

Livre étrange que ce premier roman publié il y a trois ans en Allemagne et qui fit alors sensa· tion. Après Günter Grass et Uwe Johnson, à peu près à la même époque que Reinhard Lettau et Johannes Bobrowski, un jeune écrivain de vingt~trois ans rom· pait radicalement avec la forme traditionnelle du récit propre à la littérature allemande de l'après. guerre, affichait un parti.pris de style et de composition à la foi8 brutal et systématique, dépouillé et par endroits lyrique, descriptif, narratif, mêlant le8 tons et les genres, toutes les gammes, propo· sant à la manière d'un kaléidos· cope la vision d'un monde mouvant, en perpétuelle agitation, des visions multiples et diverses d'un même univers ou d'un évé· nement apparemment unique. Revivant une ,partie de son enfance et de son adolescence, Peter Faecke transplantait son lecteur dans un pays dont quel. que8 Allemand8 gardent la nos· talgie : la bas8e-Silé8ie et ses vas· tes étendues de champs de bette· raves et de blés, ses forêts, 8es industries du sucre, ses 8cieries. Le dépaysement était total; le roman provoquait le lecteur, l'in· vitait à coopérer avec l'auteur à la recherche d'une vérité, à la solution d'une énigme, le forçait à construire peu à peu avec lui la trame du récit et l'obligeait à rénéchir sur le symbolisme proposé. A travers le destin du héros de cette JYuit du Feu, curieu8e· ment nommé Pnip, on peut, en effet, songer au destin de l'Alle· magne tout entière, éternelle apatride, incapable de 8'unir.. 'tOUa jour8 divisée, ,attirée par les Mar· ches et dont le mal est de ne pas savoir, ou de ne plus vouloir, se donner un nom, une uuité, de vivre dans le morcellement avec une 'certaine délectation, préfé. rant renoncer à ses origines, les ignorer, plutôt que de céder à la tentation du groupe et de la na· tion. 'Fallait·il admettre que ce fût là un mal, résignation ou sagesse? L'épreuve du feu aurait peut·être raison dé l'Histoire.

On peut 8'interroger sur le8 amours de Pnip, 8ur Erna Blume qui deviendra rapidement une fille à hommes, sur Hawe, l'idiot du village que Pnip déte8te et que l'on enfermera dan8 une pria son. L'atavi8me aidant (?), Pnip allume, lui aU88i, un grand feu, un feu purificateur dan8 lequel périra 80n père pré8umé. A l'arrière'plan, l'Allemagne de ces trente dernière8 années dresse son tableau d'ombre8, de guerre et de bombardements: l'hallucination est pou8sée à 80n comble. On n'oubliera pas ce village silésien, Gindenhall, ces scènes racontées successivement par plusieurs pero sonnages, celle de la noyade des chiots, par exemple, cette hantise d'une vie qui semble n'être partie de rien ni de nulle part et qui, pourtant, veut se con8truire et s'organi8er. Avec 8es retours en arrlere, se8 narrateurs successif8 dont la pero 80nnalité re8te 80uvent indécise, l'introduction du langage popU· laire, ce roman se présente comme une galerie de glaces déforman~ tes qui renvoient l'image de visages inconnus 8'imp08ant coma me autant d'interrogations noua velles. Labyrinthe dont on sort meurtri, peut-être vaincu, 80rte de train fantôme dan8 une foire qui pr~ndrait l'humanité pour champ d'expérience. La tendre8se est cependant présente dan8 la de8cription, l'évocation de8 paY8age8. L'écriture épou8e le rythme des saison8, celle des dahlias, des géraniums. L'auteur use d'un vocabulaire rude celui d'un peuple profondément marqué par la nature et le8 mythe8 d'image8 violentes, qui font pen· ser parfois à Henry Miller, tout en révélant un tempérament d'écrivain original avec lequel la littérature allemande d'aujour. d'hui peut dès maintenant comp· ter.

René Wintzen


Coupable, bien sûr! Nicolas Arjak Ici Moscou traduit du russe Sedimo, éd. Voici le complice: Youli Daniel, alias Nicolas Arjak, condamné, lui, à cinq ans : deux ans de moins que Siniavski-Tertz. Moins connu que l'auteur du Verglas et de Lioubimov 1, c'est pour cette raison sans doute qu'il a bénéficié de circonstances atténuantes. Par rapport à Siniavski, il n'a nui à l'Union Soviétique que dans la proportion de 73 'lr environ. A moins que les juges de Moscou ne lui aient reconnu que 73 7,du talent de son co-accusé. En .tous cas, le dossier est sous nos veux et nous ne l'aurions sans "doute pas eu si rapidement à notre disposition si le procès n'avait pas eu lieu. Il est formé de quatre nouvelles dont l'une, Ici Moscou, donne son titre au recueil. Après l'avoir refermé, on con-

vient que de telles « horreurs » devaient être sanctionnées : Arjak ridiculise certaines décisions du Comité central, n'éprouve aucun amour pour les bonzes à grosse nuque et semble détester les mouchards, les policiers du M.V.D., ceux qui, parmi ses confrères, se sont faits leurs thuriféraires. Il va jusqu'à plaindre leurs victimes: ceux qui, après vingt ans de déportation sont revenus à la vie civile sans autres La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

excuses à leur endroit que la réhabilitation. Beaucoup de morts également ont été réhabilités. Ils ne sont pas revenus. Arjak ose appeler Staline « le Moustachu » et semble penser que la « déstalinisation » a été bien timide, ceux qui l'ont entreprise s'étant contentés de « faire leurs ordures » sur la tombe de leur ancien patron. Dans un genre plus léger il laisse croire qu'il n'a pas une confiance aveugle dans les applications pratiques du matérialisme dialectique. B r e f, il donne de sa patrie - qu'il dit aimer et ne pas vouloir quitter, qu'il est même prêt à défendre contre ses ennemis - une image qui ne correspond pas tout à fait à celle qu'a pour mission de répandre un écrivain conscient de vivre dans le pays le plus libre et le plus heureux du monde. On pourrait même l'accuser de préférer la littérature à la propagande, la vérité aux slogans officiels. Autrefois, pour des écarts moindres, Staline fusillait et dé-

leur faire une fille ou un garçon en raison de ses dons très particuliers, ne se fait prendre au sé· rieux et choyer par les biologistes dialecticiens que pendant un court moment: quelques mois à peine, le temps qu'on étudie son cas et vérifie ses capacités. Après quoi, la science soviétique, la première du monde, démasque l'imposteur. Dans Ici Afoscou, l'auteur se montre déjà plus retors. Il laisse imaginer que le Comité central, dans un désir de démocratisation qui enlèverait aux seules autorités le droit exclusif de tuer, organise, sur le modèle de la « journée du kolkhose » ou de « l'artillerie », une « journée des meur· tres publics » : le 10 août 1960 tout le monde aura le droit de tuer tout le monde, moins les miliciens et les militaires, chargés de. maintenir l'ordre, les travailleurs des communications et les enfants. La charge est un peu grosse et on n'y ajoutera pas foi. Ferait-elle allusion à certains

portait sans jugement. Arjak s'en tire à bon compte: «cinq ans d'internement dans un camp à régime sévère », le régime se libéralise.

massacres de populations ou aux purges de 1936-38 où, en effet, tout citoyen pouvait, par la dén.onciation, en envoyer un autre à la mort lente des camps ou dans les caves de la Loubiank~ ? Cela, c'est le passé et rappeler ce passé est une faute de goût. Il faut croire, toutefois, qu'Arjak et quelques millions de Russes ont du mal à l'oublier, le passé. On s'en rend compte par « l'Expiation» où, cette fois,

Tout, dans ce recueil, n'est d'ailleurs pas de la même veine anti-soviétique. «L'homme du MINAP » qui parvient à convaincre les dames du monde - pardon! les épouses des grands bu· reaucrates - qu'il peut à volonté

l'auteur n'a plus envie de plaisanter. C'est également le texte qui nous fait le mieux comprendre l'état d'esprit des Soviétiques au début de la « déstalinisation », quand, par milliers, les prison. niers revenaient des camps et que Soljénitzine publiait sa Journée d'Ivan Denissovitch. On y sent toute la pudeur des Russes, à la fois abasourdis et honteux, soucieux de ramener un drame collectif épouvantable à une histoire de famille où les étrangers n'ont pas à mettre le nez. Les souffrances qu'ils ont endurées, les remords qu'ils éprouvent aujourd'hui de leur lâcheté, ou simplement de leur indifférence, leur donnent le droit d'écarter les importuns, y compris moralistes et sermonneurs. Arjak nous en administre la preuve : ils sont assez grands pour balayer eux· mêmes devant leur porte. C'est l'histoire d'un brave peintre, heureux de vivre et de travailler dans un nouveau climat, pourvu de nombreux amis et d'une maîtresse charmante, intelligente, et qui l'aime. Comme chez Tertz, on se rend souvent et en nombre chez les uns et les autres pour boire, manger, réciter des vers, chanter, partager les confidences de l'amitié. Dans ces réunions, les chansons de bagnards, rapportées des camps, son t écoutées religieusement. Comment ne pas se sentir coupables? Jusqu'au jour où cette culpabilité prend un tour particulier : notre héros rencontre un de ses amis de jeunesse, depuis longtemps perdu de vue et pour cause: revenu d'un camp où il a séjourné dix-sept ans, il accuse le narrateur de l'avoir autrefois dénoncé. Il n'en est rien, seules les circonstances parlent contre un homme facilement suspecté de mouchardage. Pourtant, peu à peu, ses amis et connaissances lui tournent le dos, sa maîtresse l'abandonne, on le fuit comme un pestiféré et il devient fou. Il a eu le temps de s'apercevoir qu'il était coupable en effet: non d'avoir dénoncé son camarade, innocent comme tant d'autres, mais de l'avoir laissé arrêter, de ne s'être pas inquiété de son sort et, cédant à la peur, d'avoir préféré à tout sa tranquillité. Coupable et victime, comme tous ceux qui pensaient à propos de leurs amis arrêtés: «on ne sait ja. mais... » et disaient: «surtout, pas d'his.toires... ». Des millions de Russes ont aujourd'hui cette écharde dans le cœur. La condamnation de Siniavski et de Daniel vient de la leur enfoncer un peu plus profond. Ils ne pardonneront pas aux maîtres actuels - ceux-ci fussent-ils tenus par une nécessité qui nous échappe cette humiliation supplémentaire. M. N. 1. Plon, 1963, Julliard, 1966.

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PO~SIE ~TRANGÈRE

L'oDlbre blanche La poésie négro-américaine Préface et choix par Langston Hughes, édition bilingue. Seghers éd. 21,50 F. Une anthologie n'est pas toujours un recueil de textes impartialement réunis selon un échantillonnage objectif. Il en est qui se présentent comme de véritables manifestes. Celle de Langston Hughes est de celles·là. Sa préface expose déjà une thèse: la poésie «négro-améri. caine» ne peut être que revendi· cative. S'il est des écrivains noirs qui se sont voulus, comme Baldwin à ses débuts, indifférents à leur négritude, il leur a bien fallu tôt ou tard se joindre à l'armée des protestataires, et peut-être avec plus de véhémence encore que leurs frères, engagés depuis plus longtemps dans la bataille. C'est sans doute ce qui explique certains choix dont la valeur est plus polémique qu'exemplaire celui de certain poème de Countee Cullen, «Incident », célèbre sans doute, mais moins typique des préoccupations du poète que ses confessions amoureuses ou religieuses; celui d'un texte de Paul Dunbar, « Nous portons le masque », qui sert à justifier depuis longtemps la thèse des critiques noirs, selon lesquels l'œuvre assez conformiste de Dunbar n'est qu'un déguisement, cachant une révolte dissimulée. Au demeurant, publier une an· thologie des poètes négro-américains signifie déjà que l'on croit à l'existence d'une poésie « noire» - distincte et séparée de la poésie «blanche ». Or cette curieuse attitude discriminatoire, voire raciste, a toujours été le fait des Noirs eux-mêmes. Depuis que James Weldon Johnson a publié la première d'entre elles eu 1922, il s'en est succédé un certain nombre, dont, en 1949, celle de Langston Hugues (déjà), toutes caractéristiques de ce que l'on a appelé la «Renaissance noire» des années 1920: poésie de combat imprégnée de nostalgies africaines. A peine un Countee Cullen s'est-il élevé contre une telle ségrégation volontaire lorsqu'il écrivait: Il me semble que la poésie noire, au sens où nous parlons de poésie russe, française ou chinoise, doit venir d'un pays autre que le nôtre... les poètes noirs auront plus de profit à tirer du riche passé de la poésie anglaise et américaine que de toutes les nébuleuses aspirations ataviques à un héritage africain. Rien de plus: .différent que la conception de Langston Hughes qui se plaît à accumuler dans son 8

,

Un Dlonde sauve

anthologie les poèmes célébrant justement l'héritage africain du Noir américain. Faute de notices autres que biographiques, cette anthologie risquerait de demeurer obscure pour le lecteur français qui ne connaît guère les grands thèmes de la poé· sie négro-américaine, n'était l'imposante thèse publiée il y a trois ans par Jean Wagner 1 et que l'on a intérêt à confronter à l'antholo· gie de Langston Hughes. Non seulement parce que le professeur Wagner a fait ressortir avec éru· dition les motivations des princi. paux poètes (comment, en effet, comprendre tel texte de Jean T 00mer, si l'on ne sait qu'il avait la peau blanche et avait franchi la « ligne de la couleur» pour épouser successivement deux femmes blanches) mais aussi parce que la thèse de Wagner a analysé avec brio les rapports compliqués de la poésie négro-américaine avec la religion. Certes, l'inspiration religieuse est omni-présente dans l'anthologie de Langston Hughes, mais le lecteur, pris au dépourvu, aura du mal à comprendre sa véritable signification s'il ignore que l'églis~ était, à l'origine, la s~ulé organisation sociale à laquèlle un es~ clave, puis ui... ·Noir récemment affranchi, pouvaient appartenir. De la même façon, les senti· ments violemment hostiles à l'Amérique exprimés par certain~ poètes auraient été plus aisément appréciés à leur juste valeur s'ils avaient été placés dans un autre contexte. Le plus violent des poètes de la haine, Claude McKay, n'a-t-il pas affirmé: Cest à cette époque que l écrivis une série de sonnets qui exprimaient mon amertume, ma haine et mon amour: on en cita quelques-uns hors de leur contexte pour prouver que je haïssais 1'Amérique (cité par Wagner). On pourrait confronter aussi l'interprétation de Langston Hughes avec celle du «Monde du Blues », publié· récemment par Paul Olivier 2, pour montrer que les Noirs s'inspirent de sujets de toutes' sortes et ne limitent pas leur inspiration à la révolte-, en. core qu'il s'agisse surtout de « sorrow songs », de chants de tristesse. Certes. Mais tout cela n'est que commentaires. Reste que la merveilleuse collection de poèmes réunis par Langston Hughes, audelà des thèses et des démonstra. tions, constitue un remarquable ensemble lyrique et documentaire.

Marc Saporta 1. Les poètes nèpes des Etats.Unis, par Jean Wagner, éd. Istra. 2. Paul Olivier, Le monde du Blues, pré. face de Sim Capons, éd. Arthaud.

Bob Kaufman Solitudes Traduit de l'américain par Claude Pélieu et Mary Beach L'Inédit IOxl8

La poesIe est l'expression la plus immédiate, l'expression directe de la « Beat Generation », elle lui est essentielle. La préémi. nence de la poésie beatnik sur le roman apparut dès la publication d'un numéro spécial de revue' où la pure agressivité de Gregory Corso et la quête spirituelle de Ginsberg nous atteignaient plus que toute littérature, à travers la prose brute et désordonnée des phrases.vers. Cette prééminence se retrouve dans le roman de Ferlinghetti', récit-poème automatique dont le thème n'est pas sans rapport avec Nadja. Avec la publication de La Poésie de la Beat Generations, dans la traduction de J ean·J acques Le· bel, nous est restituée la violence de l'univers « défoncé» des poètes amateurs de drogues et d'hallucinogènes, migrateurs toujOUl\S en route pour San Francisco, Paris ou le Gange... On peut lire dans cette anthologie un des plus beaux poèmes de Ginsberg Howl, ainsi qJle des textes de William Burroughs, auteur du Festin nu·. Burroughs à plus de cinquante ans est un des maîtres à penser de la « Beat Generation », avec e. e. cummings et le grand Pound. Mais les beatniks doivent beau· coup à la littérature nouvellement importée là·bas: Michaux, Genet, Artaud... et à celle dont ils s'étaient nourris: Rimbaud, Lautréamont, Breton et les surréalistes.· Kaufman le dit: Je reconnais les revendications surréalistes. Dans cette anthologie Kaufman était mal loti : deux poèmes seulement, et pas des plus convaincants. C'est donc une découverte

que Solitucks, qui rassemble une partie des poèmes écrits par lui depuis dix ans, témoignages de sa souffrance et de son insurrection. Car les fées ne se sont pas penchées sur le berceau du poète : il est Noir, Juif, toxicomane; de quoi vous ôter l'envie de vivre en Amérique'. On sait - depuis Sartre? que le poète choisit le destin de l'outragé, mais Kaufman n'a pas eu à faire ce choix. Et le rêve de l'Africain d'Amérique se retrouve entre les vers, permanent :

Chant d'amour ancien en des lieux sombres, Où les mémoires sont scellées Brûlées par les yeux des tigres. Et l'Amérique de la consommation, de la politique de force et du confort intellectuel se voit rappeler la réalité qu'e)le nous offre (Bénédiction, grand - père était vachement bizarre aussi, Hollywood, Renvoyez-les, Flic et jazzmen à San Francisco) jusqu'à cette terrible condamnation :

Vous avez dû être merveilleuse vivante Cette condamnation se retrouve dans la « postface » de Claude Pélieu, que l'on peut qualifier de texte parallèle :

...ILS VEILLENT ça c'est une chose... (volatiles, timbres, rails, KKK, cristaux de soude, cellules, foudres, horloges, potences...). Ainsi donc : l'Amérique traîtresse à la liberté, à l'humanité, monde artificiel. Mais il y a· l'autre monde, le monde en hitte avec la société préfabriquée, un monde sauvé : l'univers beatnik, ces an· ges teintés' d'amour. Poètes séduits par le Zen et saoulés de jazz (Bruits côté ouest, Ginsberg);


Asturias le heatniks de l'apparence et motocyclistes, anges en cuir noir d'étalon. Apparences précisément. Cette nouvelle génération en plein travail ne se réduit pas à l'équation puérile : James Dean-Artaud. L'Amérique, l'Afrique, le jazz, le Zen, les drogues, les caves de San Francisco... à travers ces thèmes, dans le désordre, Kaufman est poète. Parfois même on est confondu par une émotion dont l'authenticité trahit sûrement le poète et lui fait oublier la revendication de la révolte :

Dormez Dormez

dormez pour moi du sOJ1&meil-naufrage de famour Dormez mon petit, vous êtes aimée, éveillée ou captive, vous êtes aimée. Il y a dans ce livre une monstrueuse matière poétique, jetée, non encore dominée. Une poésie sans méthode, sans « art poétique ». On ne saurait exiger des poètes de la « Beat Generation » une perfection formelle qui serait contradictoire avec leurs fins... La vérité profonde d'un pays comme les Etats-Unis ne peut s'exprimer que dans la démesure, et par un débordement hors des cadrp.s, comme on fa bien vu dans f histoire de la peinture new yorkaise depuis Jackson Pollock, écrivit Alain Jouffroy. Mais de même que Rimbaud et Artaud ont une écriture, Ginsberg a la sienne, démesurée, comme Pound. Kaufman doit se construire, ne pas en rester à cette érosion. Ce flot, matière fascinante, pourquoi ne serait-il pas fixé ? Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. La poésie ne peut naître qu'à partir de cette foudroyante richesse, de cette révolte, de cette intransigeance, de ce refus du monde. Kaufman est dans f anticipation d'un jardinage sauvage.

Miguel-Angel Asturias Claireveillée de printemps Coll. Poésie du monde entier Gallimard éd. Si l'œuvre romanesque de Miguel-Angel Asturias est bien con· nue en France, son œuvre poétique était jusqu'à présent confidentielle. Tout au plus une brève anthologie publiée en 1958 par Pierre Seghers et intitulée Messages Indiens permettait-elle d'entrevoir quelques aspects, essentiels il est vrai, de M.-A. Asturias poète. En des rythmes débordant de musique et d'onomatopées, l'auteur cherchait à recréer des scènes pittoresques du folklore indien, à réveiller d'un passé assoupi d'insolites légendes guaté-. maltèques, ou bien, faisant du poème un instrument d'introspection, il tentait de sonder l'âme indienne et d'en découvrir le sens profond, ténébreux, fugitif. Voici aujourd'hui un second livre de poésie, ou plus exactement un long poème, dont le titre élégiaque cache quelque peu l'étonnante violence tellurique. Claireveillée de printemps, qui inaugure une nouvelle collection bilingue de poésie, est la dernière œuvre en date de M.-A. Asturias. Commencé alors que l'auteur séjournait à Paris en 1963 et terminé à Gênes en juillet 1964, le livre était resté inédit en espagnol. En' fait, cette vaste composition poétique s'éloigne sensiblement des autres poèmes d'Asturias. Par ses sources d'inspiration, Claireveillée de printemps se rattache à ces fameuses Eégendes du Guate-

dire plus étranger à mon esprit, à ma faculté d'attendre de finattendu, - que ces histoires-rêvespoèmes où se confondent si bizarrement les croyances, les contes et les mœurs de tous les âges d'un peuple composite, tous les produits capiteux d'une terre puissante et toujours convulsive, en qui les forces de divers ordres qui ont engendré la vie après en avoir dressé le décor de roche et d'humus, sont encore menaçantes et fécondes, comme prêtes à créer, entre deux Océans, à coup de catastrophes, de nouvelles combinaisans et de nouveaux thèmes d'existence. « Histoire-rêve-poème », Claireveillée de printemps évoque la création par les dieux mayas du maître· de. l'art, l'Ambidextre Tatoueur, et de ses mandataires, le!! sorciers de la poésie; ,le. la -sculpture, .de la peinture, de la musique et, d'une façon générale, de tous les arts décoratifs, ces artisans potiers, orfèvres, tisserands des premières civilisations indiennes. Ces artistes primitifs et tous les mondes de rêves qu'ils façonnaient sont détruits par le pr~­ mier Barbare engendré par la terre, l'ancêtre du guerrier, décrit d'après l'imagerie maya : homme d'argile crue, pupilles d'eaux vernissées, dents peintes en bleu, doigts de cactus épineux armés d'un bouclier et de flèches; premier bourreau antérieur à la parole, il n'a pour exprimer sa soif 'de mort et de ruines que le mouvement de ses plumes. Pour avoir conçu un tel monstre la terre est soumise au «châtiment des profondeurs », à l'in-

Pierre Bernard 1.' Beamiks et jeunes écrivains améri· cains. Les Lettres Nouvelles, Julliard éd. 1960.

2. La Quatrième personne du Singu.

lier. Les Lettres Nouvelles, Julliard éd. 1961. 3. Cette anthologie est précédée d'une introduction très complète d'Alain Jouf. froy. Denoël éd. 1965. 4. Le livre de Burroughs, édité par Gallimard, en 1965, est interdit à l'affichage. Ferlinghetti me disait que la traduction en français du titre origilHll (Le Festin Nu) consternait Burroughs. Il y a en anglais un jeu de mots avec Naked Lunch -qui permet de penser « Le Déjeu· ner sur l'Herbe ~, l'herbe en langage de toxicomane signifiant haschich. 5. Son opposition à la politique améri· caine - et celle de ses amis - vient de conduire Kaufman en prison, arrêté pour « usage de stupéfiants ~. Mais Kaufman libre ne pourrait venir en France. On sait que les aboiements des journaux pour concierges ont indiqué au régime - « censeur » de La Religieu· se - ses juifs : les jeunes gens pauvres et pacifistes, seront refoulés au·delà des frontières; Paris où venaient les arti;· tes et les poètes du monde entier dût·il en souffrir.

La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

Sculptures lIIGYCU...

mal" qui, dès 1930, assurèrent à l'écrivain guatémaltèque une juste réputation. Seul le moyen d'expression a changé : la prose poétique a fait place au poème. Mais les vers de Claireveillée de prin. temps charrient la même dose d'images mystérieuses, le m~me pouvoir de féerie et de fantastique que les Légendes du Guatemala. Et l'on pourrait reprendre pOUl' caractériser le recueil la phrase par laquelle Paul Valéry définissait les Légendes : Rien ne' me paraît plus étrange je veux

cendie, aux déluges, aux orages, aux grands cataclysmes, au féroce « rire des pierres ». Quand elle renaît ènfin, au bout de longs siè~les, la beauté surgit, à l'état brut, ~ns l~s' nouveaux éléments. Les sons les plus harmonieux éclatent dans la gorge des oiseaux, dans les. trilles du zenzontle ou du guardabarranca ; les couleurs flamboient dans les plumages des aras, des paons, des colibris; les formes les plus suggestives apparaissent dans les récifs marins et les profils. épais des cordillères.

C'est la promesse de l'art, ce n'est pas encore l'art, car il manque 'l'intervention mystérieuse de la magie. Alors les dieux mayas décident de créer l'Homme-desquatre-magies, le Grand Sorcier en quatre artistes placés aux quatre extrémités de la rose céleste et chargés de transformer en art le Chant, la Couleur, la Forme et le Son. L'orgueil et la vanité des nouveaux artistes lcs poussent à oublier l'homme et à flatter les divinités, au moment oÙ des forces célestes, qui sentent leur puissance menacée par l'art, se préparent à leur donner la chasse. Traqués, frappés par les chasseurs célestes, les artistes pourtant ne périront pas. Prenant pleinement conscience du fait que les dieux n'existeraient pas si les hommes ne les nourrissaient de leurs arts, ils conviennent que les arts seront désormais nourriture des hommes, noul'riture pour tous, arts de tous pour tous. Cette projection sociale de la légende est caractéristique de Miguel-AIJgel Asturias depuis Hommes de maïs (1949) et nous la retrouvions récemment dans Une certaine mulâtresse. Elle est ce qui différencie au fond Claireveillée de IJrintemps des Légendes du Guatemala. Et cela, plus que la forme, plus que ce passage de la prose poétique au poème. En effet, dans les deux cas, les procédés stylistiques sont restés les mêmes : accumulation de motssymboles ouvrant chacun et à eux seuls des mondes de sensations et libérant l'imagination du lecteur ; lon~s rythmes incantatoires initiant aux secrets à la fois complexes et naïfs de la magie indi· /!:ène ; grand délire verbal chargé de jeux de mots et d'onomatopées cristallisant la vision onirique «lu poète. Très bien construit - trop bien construit - , le poème a le défaut de sa qualité. Il est, en certains endroits, trop paré de rhétorique. La traduction de René L.-F. Durand n'a, semble-t-il, d'autre ambition que d'être littérale, d'une fidélité scrupuleusement universitaire. C'est dommage. Une telle œuvre, où le langage joue un rôle capital, ~ magique », devait être « recréée» en français•. Or, quelle magie y a-t-il dans un passage incantatoire. comme celui-ci (je cite au hasard) :

La musique naît ouïe, comme les sources, les cascades... Elle ~'a besoin d'àutres ouïes... Les ouïes-dieux' et mes ouïes suffisent... Sans parler de ces curieuses interprétations de R.L.-F. Durand, qui traduit (c'est un exemple en· tre vingt autres) par «arbre en toile cirée» ce qui est, plus simplement mais aussi plus joliment, l'arbre à caoutchouc! Claude Couffon 9


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Anna Akhmatova Requiem Traduit par Paul Valet. Editions de Minuit.

Il y a deux péchés capitaux humains d'où tous les autres dérivent: fimpatience et la paresse. Ils ont été chassés du Paradis à cause de leur impatience, ils n'y rentrent pas à cause de leur paresse. Mais peut-être n'y a-t·il qu'un seul péché capita!: fimpatience. Ils ont été chassés à cause de leur impatience, à cause de leur impatience ils ne rentrent pas. Comme nombre d'aphorismes de Kafka - tirés de l'inépuisable trésor de sagesse qui a pour titre: Préparatifs de noce à la campagne - , celui-ci recèle, sous forme de parabole, une terrihle vérité d'ordre pratique, mais de portée infinie, car. elle défie le sens (ou le non-sens) de l'histoire, celle des civilisations et celle des individus. Au· recommencement d'une civilisation (le propre d'une civilisation n'est-il pas, telle la mer valéryenne, d'être «toujours recommencée»?), quand la Révolution ravive les vieux mythes et que le Paradis, la Terre Promise ou l'Age d'Or semblent comme à portée de la main, un étrange amalgame de frénésie et d'hébétude soulève les hommes et leur imprime ce prodigieux mouve· ment colloïdal qui porte aux nues la foi nouvelle et sème la panique dans les civilisations rassises et les nations repues. Mais quand la Révolution, à son tour, est rassise et comme repue d'elle-même, et qu'il faut enfin songer à engranger, la précarité de la récolte accuse les semeurs leur paresse, leur impatience - et confirme, inexorablement, le propos de Kafka. Sans vouloir dresser le bilan de ce qu'on appelait, dans les années trente, la jeune littérature soviétique (qu'ils soient effacés ou non du monde, ses « oubliés» et «dédaignés» n'ont sans doute pas dit leur dernier mot), il apparaît déjà que la paresse s'y taillait la meilleure part - part nulle et non avenue, car il ne reste à peu près rien de l'immense production des descripteurs, planificateurs et vaticinateurs qui, pendant un bon quart de siècle, furent les écrivains officiels du régime. Leurs œuvres sont tombées au rehut faute de lecteurs et, cela se tient, faute d'auteurs véritables. Vienne l'ultime « dél':el », et il sera communément admis qlie ces automates auraient pu ne pas être puisqu'aussi bien (la paresse, nous souffle Kafka, est un péché subalterne...), ce qu'ils avaient reçu l'ordre de voir et de vanter n'a pas été. Par contre l'impatience, péché capital, a eu un poète digne d'elle

en Maïakowski. Qu'il ait voulu tuer l'impatience en se donnant la mort n'ajoute ni n'enlève rien à son génie, mais découvre cette faille: son destin d'homme ne fut pas égal au destin d'une Révolution qu'il appela pourtant, comme poète, de tous ses vœux. Hantée par «l'avenir, patrie de la création », sa vie fut une perpétuelle fuite en avant, et sa belle énergie s'usa vite dans cette course sans issue. Au reste, pour qui sait lire, de Vladimir Maïakowski, poème coup de poing, à la torpide Punaise, son œuvre ne fait que décrire la décadence de sa foi en lui-même et en la Révolution, et son geste final mesure l'échec de tout ce qu'il entreprit pour tenter l'impossible identification de ces deux croyances. En raison de ce drame personnel, qui fut bientôt celui de toute une génération, Maïakowski devint en quelque sorte la pierre angulaire de la poésie soviétique. Mais il ne l'est pas, mais il ne saurait l'être car - voilà le châtiment de son impatience - il fait désormais figure de déserteur, presque d'apatride, au regard de ceux qui ont assumé jusqu'au bout le tragique destin du peuple russe.

Non, ce n'est pas sous un ciel étranger, A f abri des ailes étrangères que j'étais, Mais au milieu de mon peuple, Là où, pour son malheur, mon peuple était. Le poète qui parle ainsi est Anna Akhmatova. Jadis, dans le parc impérial de Tsarstkoié Sélo, qui ne s'appelait pas encore Pouchkine, une très jeune femme s'appliquait à suivre, précisément, la trace bien·aimée du poète d'Eugène Onéguine et, sous le nom tendrement farouche d'Akhmatova (emprunté à sa grand.mère tartare), savait déjà rendre mémorable, avec des mots de tous les jours, le fragile bonheur d'une promenade solitaire au crépuscule, d'une rencontre amoureuse ou d'un rendez·vous manqué. (Il y aura, dans cette vie longue et difficile, beaucoup de rendez-vous manqués.) Mieux que personnelle, la poésie d'Akhmatova s'ouvrait comme une calme clairière entre la bruissante «forêt de symboles» de ses aînés immédiats et la jungle tintamarresque des premiers futuristes. En l'espace d'une ou deux saisons, ses vers lui valurent les amitiés les plus vraies et les plus durables, et l'affection de tous les jeunes amateurs de poésie. (Dans son bref Essai d'Autobiographie, Pasternak mentionne, parmi les quelques événements qui marquèrent la fin de son adolescence, la lecture de l'un de ses premiers recueils : J'enviais fauteur qui avait su retenir avec des moyens


REVUES

• Sainte patience aussl simples les parcelles de vente qu'il y avait apportées.) Nimbée de sa jeune gloire, il ne tenait qu'à Akhmatova d'être reine. Mais sa nature exigeante - point coquette, un peu sau\'age, à la fois très fine et très réfléchie - lui commamlait (Iéjà un certain retrait. Enfin, comme par surcroît, elle avait une figure bien, à elle: son visage anlent et aigu, surmonté d'une frange très brune, et les roses rougell (le son

, qui signale ce que Leskov appelle la «femme roi », laquelle n'a rien de commun avec les reines éphémères de la société bourgeoise ou soviétique. Enfin et surtout, fleurissant ses lèvres gercée:! de femme du peuple et de femme de peine, un sourire léger, maill sûr de lui, et comme tourné vers soi - qui est, sans aucun (Ioute possible, le sourire de la patience récompensée. Sainte patience! Pour qui lit

Anna Akhmatova

châle ont inspiré de grands poètes tels que Blok (qu'elle aima) , Goumilev (qu'elle 'épousa) et Mandelstam sans oublier le crayon de Modigliani. Mais il n'y a qu'un lointain rapport entre cette frêle cariatide et le petit livre qui nous occupe. Non encore imprimé en U.R.S.S. (mais d'innombrables copies dactylographiées y circulent, sans provoquer, à ce qu'il paraît, le moindre éclat) , Requiem est la réunion de quinze textes qui s'échelonnent entre 1930 et 1957. La version française de Paul Valet est, mieux qu'une traduction, un acte d'amour, dont seul pouvait être capable (ceux qui ont lu ses Lacunes me comprendront) notre seul poète akméïste. Toute pareille, en somme, à la « baba» ou à la 4:- kormilitsa » classiques, sur qui le malheur et le temps n'ont pas de prise. Avec, en plus, cette double dimension du regard - hauteur et largesse La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

et médite le court Requiem d'Akhmatova, cette vérité consolante s'impose, complémentaire à l'aphorisme de Kafka placé en tête du présent article: la patience est la plus haute des vertus humaines, celle d'où toutes les autres dérivenL On n'ose commenter ou paraphraser les textes qui marquent les étapes de ce douloureux exercice de la patience: outre qu'elle a toujours « détesté être plainte », l'ellipse et la litote, chez Akhmatova, ne sont pas un effet de l'art, mais une nécessité vitale, la fibre même de sa poésie. Il suffira de savoir qu'elle choisit, en 1917, de rester en Russie; que son premier mari, en 1923, fut exécuté; que ses amis disparurent l'un après l'autre; que son fils unique, encore adolescent, et parce qu'il portait le nom de son père, fut arrêté en 1938 et détenu l'enliant près de vingt ans. C'est alors qu'elle passa dixsept mois à faire la queue, un

paquet à la main, devant la prison de Léningrad où il était incarcéré - et c'est nulle part ailleurs que là, devant cette prison justement nommée «Les Croix », où elle resta trois cents heures debout, qu'elle veut être encore debout, si l'on s'avise un jour d'ériger un monument à sa mémoire... A part quelques rares cris arrachés par la souffrance (<< Non, ce n'est pas moi, c'est quelqu'un d'autre qui souffre. Souffrir ainsi, je ne l'aurais pas pu »), Requiem est un poème recueilli, pur de toute colère et de toute haine. Akhmatova n'accuse et ne juge personne, ni ne revendique qnoi que ce soit. Muette sur les aléas de sa vie littéraire, sur le silence et l'obscurité qui furent son lot pendant la majeure partie de celle-ci, elle confère en revanche un relief terrible aux menus faits quotidiens que les hommes vouent à l'oubli - quelle leçon d'objectivité nous donne ici la «subjectivité féminine»! - et qui sont le tissu vrai de,': l'histoire. Car l'auteur du Requiem est non seulement un grand poète, mais l'un des cerveaux les plus sains dont puisse s'enorgueillir la Russie, et avec elle l'humanité. Chez Akhmatova, l'esprit fonctionne droitement, sans empiéter jamais sur la sensibilité ou l'amour-propre, ni se perdre dans les nuées. C'est qu'elle distingue, mieux que n'importe quel poète « mâle », ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas - et elle opte ~n tout pour l'essentiel. Là où un ~aïakowski, obnubilé par la non réalisation de ses désirs, perd l'espoir et quitte la place en commettant ce vers futile: «la barque de l'amour s'est brisée contre la vie courante », cette simple femme, prise dans le maëlstrom d'une Révolution qu'elle n'a pas souhaitée, garde tout espoir, tout amour, toute intégrité et, souffrant avec son peuple, fait face jusqu'au bout à toutes les' nécessités de la vie courante. Poème de la détresse de cent millions d'âmes et de leur résistance absolue, Requiem, comme dit avec force Paul Valet, est nn «poème unique dans l'histoire r~sse, poème épique d'un grand p'euple martyr ». - Il est bien • ,au terme d e ces epreuves • qu surhumaines, Akhmatova ait pu ~o~ter, devant l'icône sainte de la. dernière demeure, le fruit de sa longue patience: l'ai apporté ici le bienheureux souvenir De notre dernière rencontre manquée Et la flamme froide, pure et légère De ma victoire sur la destinée. 1 Maurice Saillet 1. Ce. vers, datés 1957, sont les derniers des Poésies (choisies) d'Akhmatova (Edi. tions Pierre Seghers, 1959). Je recommande ce livre, présenté et traduit par Sophie Laffite, car il est excellent, et il éclaire Requiem.

Critique Début d'une étude de Jean Sta· robinski : « Ironie et mélancolie », à propos du théâtre de, Carlo Gozzi qui a tant séduit les romantiques allemands, Hoffmann en particulier qui reprend et développe les thèmes de Gozzi. Hélène Cixous-Berger s'interroge sur « l'allégorie du mal » dans l'œuvre de William Golding, l'auteur de Sa Majesté des Mouches. Etudes d'Eric Werner sur Max Weber et de J .-Cl. Pariente sur « le nouvel esprit linguistique ».

Esprit Numéro spécial sur «les étrangers en France ». M. Alain Girard, professeur à la Sorbonne, en rendra compte, pour nos lecteurs, dans une prochaine Quinzaine.

Les Temps Modernes Extrait du prochain ouvrage de Michel Leiris: Fibrilles, dont le manuscrit vient d'être remis à l'éditeur. Extrait du nouvel ouvrage d'Oscar Lewis (Les Enfants de Sanchez) qui a cette fois transporté son magnétophone dans une famille de paysans mexicains.

Cahiers du Sud « Fronton » consacré à Apollinaire avec des études de Michel Décaudin, Raymond Jean, Renée Riese Hubert et Jean Tortel. Egalement à l'honneur dans cette livraison : John Cowper Powys, « l'iilsaisissable ».

Les Nouveaux Cahiers Publiés sous les auspices de l'Alliance israélite universelle, « Les Nouveaux Cahiers » - trimestriels - s'intéressent essentiellement aux problèmes juifs. Henri Behar évoque' certaines manifes,tations de xénophobie et d'antisémitisme qui marquèrent la création de Da!la il y a cinquante ans. Jean-J acques Mayoux évoque un « anglicanisme judaïsant », Nicolas Baudy parle de « Kœstler, écrivain anglais.,».

Le nouveau Commerce Tout serait à citer dans le copieux cahier nO 7 de cette remarquable revue trimestrielle de textes dirigée par André Dalmas. On reti~ndra une nouvelle inédite d'Achim von Arnim : Mrs Lee, une « Géographie sentimentale de la France» par Julien Gracq, la «' Rhétorique fabuleuse» d'André Dhôtel, un essai de traduction du Livre de Ruth par Henri Meschonnic, une savante étude de notre collaborateur Robert André sur un art poétique écrit en commUn par W oodsworth et Coleridge et resté à l'état de projet. 11


ÉRUDITION

L'HISTOIRE tONTEI-P-ORlINE,

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Durant plus d'un demi.siècle, les catalogues des librairies d'oc.casion ont attribué à Guy de Maupassant un petit roman licencieux, paru sous le manteau en 1880, intitulé Les Cousines de la Colonelle, et signé d'un pseudonyme féminin très fantaisiste : la vicomtesse de Cœur·Brûlant. En 1920, Léon Deffoux et Emile Zao vie, qui connaissaient bien l'bis· toire de la littérature naturaliste, faisaient encore état de cette at· tribution à Maupassant dans leur ouvrage sur Le Groupe de Médan. Mais, dès 1922, Deffoux, pourvu de renseignements plus sûrs, révé· lait dans le Mercure de France, que Mme de Cœur·Brûlant était en réalité une certaine comtesse de Mannoury. Cette précision lui avait été fournie par le vieil éditeur belge Kistemaeckers, alors retiré dans la banlieue de Paris. kïstemaeckers avait eu jadis en main le manus· crit encore inédit des Cousines de la Colonelle. II n'avait pas vou· lu le publier lui.même, mais il s'était chargé de le transmettre à un de ses confrères, le Français Jules Gay, que de nombreux démêlés avec la police et· les tribunaux de l'empire puis de la république avaient fait s'exiler et se réinstaller à Bruxelles. C'est ainsi qu'au cours de l'année 1880, Gay, entré en relations avec Mme de Cœur·Brûlant, accepta non seulement d'éditer clandestinement ses Cousines, mais fit par surcroît imprimer sous sa firme un autre ouvrage de même provenance, un recueil d'anecdotes piquantes sur la société impéria: le : les Mémoires secrets d'un tailleur pour dames, par « Une Femme masquée ». Ces livres, difficiles à trouver aujourd'h~i, sont restés ignorés de la plupart des chercheurs qu'intéresse la vie littéraire du XIX· siècle. ns eussent davantage retenu l'attention si l'on avait pris garde à la personnalité de leur auteur. Deffoux a commis une légère erreur en parlant d'un-e comtesse de Mannoury. Cette da· me, née Le Blanc, était devenue marquise, en épousant vers 1856 un gentilhomme normand des environs d'Argentan, le marquis de Mannoury d'Ectot. Dans les dernières années du Second Empire, Mme de Mannoury fréquentait à Paris la maison de Nina de Villard, où se rencon· traient nombre de poètes, de mû· siciens et d'artistes : Villiers de l'Isle·Adam, Charles Cros, Verlai. ne, Catulle Mendès et Judith Gau· tier, Cl-arles de Sivry, Cabaner, etc. Mme de Mannourv elle-même se mêlait déjà d'écrire. Le Dic· tionnaire des pseudonymes établi en 1869 par Georges d'Heilly mentionne le nom de marquise d'Ormsey comme le pseudonyme littéraire dont elle signait alors « courriers de Paris et articles de journaux ». Mme de Mannoury n'était pourtant pas contrainte à vivre de sa plume, du moins en

ce temps.là. Plusieurs des amis de Nina furent invités par elle à passer quelques jours en Norman· die, notamment Verlaine, qui, au cours de l'été 1870, peu avant son mariage avec Mathilde Mau· té, fit au château de la marquise un court séjour qu'il devait évoquer plus tard dans ses Confes. sions : La marquise de M ..., que j'avais connue chez Nina, femme elle· même remarquable [Jar les dons de f esprit et du cœur, qui avait été, très jeune, l'amie et un peu f élève d'A lexandre Dumas le pè· re, nous invita, fin juillet, Sivry, sa femme, sa plus jeune sœur et moi, à passer quelques jours dans son château de M ..., près d'Argen. tan. Plaisant séjour au milieu d'une campagne des plus agréables comme eaux et comme bois. Je ne parle pas du bon cidre ca· piteux non plus que des vilains voisins processifs ni que des fa. meuses courses du Pin, qui furent les extérieures distractions de cette trop courte villégiature.. , Le nom de la marquise, dont Verlaine ne donnait que l'initiale, Edmond Lepelletier l'a imprimé en toutes lettres dans sa biogra. phie du poète, où il parle de Mm. de Mannoury comme d'une très brave femme, ayant le cœur sur la main, pas belle, plutôt d'al· lures rustaudes, destinée plus tard à des aventures singulières dont les tribunaux ont retenti, car elle fut dépouillée successive· ment par plusieurs galants sans scrupules, auxquels elle s'était imprudemment abandonnée. Parmi ces aventures, postérieu. res à la guerre de 1870, la plus fâcheuse, sinon la plus coûteuse pour la marquise, fut S:lDS doute celle qui l'amena en justice sous l'inculpation d'adultère. Peut·être trouverait-on des détails sur cette affaire en feuilletant les quoti. diens des années 70·80, plus attentifs que les nôtres aux débats des tribunaux correctionnels. En tout cas, une autre femme de lettres, Mme Quivogne, dite Marc de Mon. tifaud, auteur de plusieurs ouvra· ges que le Parquet estimait con· traires aux bonnes mœurs et à la religion, dans une plaquette im· primée en 1882 et qui constitue un plaidoyer pro domo sua, fait aux exploits de sa consœur une allusion d'où toute indulgence- est exclue. Mme de Montifaud, à tort ou à raison, se considérait comme vic· time des agissements de trois ou qnatre méchants, et notamment de la marquise de M..., qu'elle qualifie de monstrueuse créature condamnée pour adultère, direc· trice d'une agence m.atrimoniale que le Ministère de l'Intérieur s'est attachée comme espion. Que s'était·i1 passé entre ces deux dames, qui, en 1875, entrete· naient encore des relations amica· les? Cela nous échappe, mais nous pensons que Villiers de l'Isle. Adam pourrait bien avoir été à

l'origine de leur querelle. Mme de Montifaud avait retenu Villiers un certain temps. Lorsqu'il se détour. na d'elle pour chercher, de divers côtés, une héritière désireuse de s'anoblir en l'épousant, peut-être fit·i1 appel au concours de la mare quise et de l'agence que Mm. de Montifaud dénonce comme une officine de police. Cela explique. rait les fureurs de la maîtresse délaissée et la malveillance que ces fureurs ont pu inspirer à Mm. de Mannoury devenue ma· rieuse, et, comme telle, vraisem· blablement surveillée par ces messieurs de la brigade mondaine. Car, Mm. de Montifaud mise à part, personne ne semble s'être jamais plaint de la marquise, si ce n'est le marquis, contraint de laisser porter son nom à une infi· dèle d'avec qui la loi ne lui pero mettait pas encore de divorcer. On a vu que Verlaine et Lepel. letier s'accordent à présenter Mn..' de Mannoury comme une personne généreuse et facile à vivre. Dans l'édition que nous avons établie avec Louis Forestier des Œuvres complètes de Charles Cros, nous avons émis l'hypothèse qu'un des sonnets du Coffret de santal, dédié à Mme de M., pour. rait bien avoir été adressé à la marquise. A la réflexion, cette identification nous paraît un peu hasardée, « la grâce élancée » que vante le poète offrant peu d'ana· logie avec les « allures rustaudes » dont parle Lepelletier. Chaque femme, il est vrai, peut être Vénus à l'un et Carabosse à l'autre. Mais nous ne croyons pas qu'il y ait à s'interroger sur l'identité de la marquise de M... à qui Raoul Ponchon, dans Le Courrier fran. çais, en 1887, faisait hommage d'un poème bachique. Le bruit courait cette année-là que la vinée serait fameuse. Il faut nous pré. parer à boire, disait Ponchon

Moi, je ne puis le nier, Je suis prêt de fan dernier. Vous aussi ? dites, marquise, Ah ! que je vous trouve exquise! On admettra sans peine que Mme de Mannoury n'ait pas été un parangon de vertu, mais il serait malaisé de voir en elle toute la noirceur que lui reprochait Mme de Montifaud. La prose bon enfant de Verlaine, la poésie en cotillon court de Ponchon sont ses certificats. Pour n'être revê. tus d'aucune estampille officielle, ce ne sont pas de mauvais passeports. Pascal Pia Bibliographie : Verlaine, COBfe$$ion.s, Fin de Siècle, 1895. Edmond Lepelletier, Paul Verlaine, Mercure de France, 1907. Georges d'Heilly, Dictionraaire de$ p$eu· donymes, Ed. Dentu, 1869. Marc de Montifaud devant l'opinion publique. Sa justification. Lettre à M. Félix Del· hasse, Londres, 1882. Raoul Ponchon, La Vigne! Le Courrier français, 14 août 1887. Léon Deffoux et Emile Zavie.- LeGroupe de Médan, Payot et Cien, 1920. Léol) Deffoux, Note, Mercure de France, 15 juin )922.


BIS.TOIRE LITTÉRAIRE

Père et fils

Crébülon père

Crébülon

« EUe sail trù bien qu'eUe choisit librement de

Crébillon fils La Nuit et le Moment Club français du Livre.

Crébillon père, fameux auteur de tragédies, passait pour employer des nègres. Les mauvaises langues disaient qu'autour de lui on poussait si loin le sens du travail d'équipe qu'un collaborateur s'était chargé même d'engendrer son fils. Ce n'était qu'un mot. Il vécut près d'un siècle, de 1674 à 1762. C'est beaucoup si l'on songe à l'âge auquel étaient morts un Descartes, un Vauvenargues. C'est beaucoup encore si l'on songe qu'au sein d'une époque étincelante de tant de feux il ne sut être qu'un pauvre petit lumignon fumeux. J'ai feuilleté un vieux recueil de ses œuvres, avec le méchant espoir d'y trouver à rire; même pas: c'est simplement fastidieux. Peutêtre proprement fait, au demeurant; mais le courage m'a manqué pour y regarder de plus près; tout comme il me manque aujourd'hui pour lire les romans de..., - je ne nomme personne ; c'est le même genre de solennelle futilité. Entre la mort de Racine et l'avènement de Voltaire un siège vaquait, il se hâta de s'y asseoir, il ne lui fut pas très confortable, on se moquait· de lui. Il laissait dire. Il gardait l'échine souple. Mme de Pompadour se félicita de le trouver disponible, pour l'opposer à Voltaire. On récom· pensa sa docilité, sinon son talent: l'Académie, un poste de censeur, une pension, et, quand il fut mort, un beau mausolée commandé à Lemoyne. C'était récompenser le tact qu'il eut de persister à n'être jamais rien. Les historiens cependant lui font honneur d'avoir préparé de loin quelque chose du drame romantique. Peut-être. Il avouait en effet, avec bonhomie, qu'après les grandeurs de Corneille et les passions de Racine il n'avait plus rencontré de ressource pour la tragédie que dans les événements La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

eux-mêmes; malS Cor n e i Ile vieilli ne l'avait-il pas devancé? Deu.'< points du moins demeurent à son actif. L'un est d'avoir, sur le tard, donné des leçons de français à Casanova. L'autre est de figurer dans un des chapitres les plus animés du Tableau de Paris de Sébastien Mercier. Il avait quatre-vingt·six ans lorsque Mercier lui rendit visite. Il habitait une maison sordide du Marais, avec une vieille maî· tresse de quatre pieds de haut et trois de large - mais les yeux «malignement ardents » et avec quinze ou vingt cltiens hargneux et sales qui occupaient et lacéraient quelques sièges miteux. Dans leur crotte, dans la crasse et dans son propre débraillé, placide, il fumait la pipe. Une sorte de Léautaud, deux siècles en avance; mais, en moins, ce qu'on doit réellement appeler la vertu de Léautaud. Son fils, Dieu merci, s'enten· dait mal avec cette ganache. Il était né à Paris, place Maubert, en 1707, quinze jours après le mariage de ses parents. De lui nous savons fort peu, et ce peu est contradictoire. (Je démarque ici la notice mise par le Club français du Livre en tête de son édition.) On ignore s'il ressem· blait à l'auteur de ses livres, vif et précis en ses impacts, ou, selon certains témoignages, à un lourdaud taciturne. Il habitait peut. être un taudis, mais les comé· diennes et les femmes de quelque qualité qu'il fréquentait, lorsqu'elles jouent à s'encanailler, ne le font pas avec des cuistres. Bon; supposons.le libertin et volage comme ses héros: une jeune Anglaise de honne société, dévote, d'ailleurs sans fortune et sans charme, s'éprend de lui, passe outre au veto de ses parents, néglige le sacrement, devient sa maîtresse, lui donne un fils en 1748, l'épouse deux ans plus tard; et ce fut un très hon ménage. Son œuvre, qui est hrève (elle a tenu naguère en cinq petits volumes du Divan), présente un caractère singulier: il la composa en huit ans, de 1732 à 1740,

le

fiù

donner. »

et mit un tiers de siècle à la publier, de 1732 à 1763. Elle lui apporta quelque notoriété et quelques ennuis. Dès 1734 L'Ecumoire, avec ses allusions à la bulle Unigenitus, sujet brûlant, le fit emprisonner à Vincennes, où Diderot par la suite devait lui succéder; la duchesse du Maine en personne l'en tira après quelques jours. En 1742 Le Sopha lui valut trois mois d'exil, qu'il alla passer dans le pays de sa future femme. Ces rigueurs bénignes et leurs motifs furent bientôt oubliés. Mmo de Pompadour étendit au fils la faveur qu'elle avait accordée au père. En 1759 elle le fit nommer - oui, lui ! - censeur royal, à son tour; voilà où finissent les qQerelles de générations. Puis elle lui attrihua une pension sur sa, propre cassette. Après quoi on ne sait pratiquement plus rien de lui, sinon qu'il mourut en 1777 après vingt-et-un ans d'un veuvage probahlement médiocre mais honorahlement épicurien. Les amateurs les plus divers continuent à le goûter. Etiemhle aujourd'hui l'édite avec dilec· tion, après Pierre Lièvre hier. Qu'Etiemhle me pardonne: les Ega.rements du cœur et de fesprit me paraissent s'égarer un peu dans la longueur; il me semble que ce genre suhtil et nuancé supporte mieux ce que les médecins appellent la dose filée. On se lasse plus vite du Sopha, polissonnerie aimahle mais monotone, et trop mollement appuyée sur les coussins d'un orientalisme de hazar (pauvre Galland, quel pauvre usal!e de ses Mille et une nuits!) . Mais deux opuscules sont à mes yeux parfaitement accomplis: La Nuit et le Moment, ou Les Matinées de Cythère et Le Hasard du coin du feu. Deux dialogues, de même ton, de même style, de même époque (1737 et 1737-1740), mais puhliés heaucoup plus tard, le premier en 1755, l'autre en 1763, soit, ce qui ne manque pas de piquant, quatre ans avant et quatre ans après l'accession au censorat. On

connaît le second, qui a servI cet hiver à une expérience de Jean Vilar. C'est de La Nuit et le Moment 1quel art des titres!) que le Cluh français du Livre donne aujourd'hui une édition adorablement précieuse, «privilégiée» - la collection s'appelle PI'ivilège comme un parfum de la rue de la Paix - et aussi ravissante qu'il convient à un texte serré et librc, retenu et acéré, tendre ct cruel. En-deçà du sadisme de Sade, bien sûr. En-deçà aussi de la nui· sance délibérée des Liaisons dan/!creuses. Mais engagé déjà sur la route qui mènera vers eux. ·Et déjà au·delà d'un Marivaux dont le marivaudage masque de trop de charme la furie du chasseur, les réalités de la chasse et le consentement secret de la proie. Crébillon ne dénurle pas. encore, mais il ne dissimule plus. Et l'on devine sous l'élé·gance sinueuse de son dialogue un moment historiquc de la condition féminine: Cidalise feint encore de se rendre, mais, lucide et lovale du moins envers elle-même, 'elle sait très bien qu'elle choisit librement de se donner. Assez assurée de sa propre poésie pour laisser à la brillante fatuité de son Clitandre la chère illusion qu'il a de triompher. Séhastien Mercier, derechef, eut l'occasion d'observer notre CI'ébillon dans ses fonctions de censeur, qu'il exerçait plutôt, en fait, comme celles d'un moderne directeur littéraire. Cette scènelà sent un peu l'apprêt; d'ailleurs nous sommes pressés: laissons-la. Retenons néanmoins sa conclusion, qui me semble justement pondérée: Ses ouvraf!,es sont une anatomie fine et déliée du cœur humain et du sentiment, surtout de celui qui dirif{e les femmes, dont le premier attribut est de ne connaître rien à leur propre cœur, tandis qu'elles pénètrent (tSsez bien le cœur ou du moins le caractère des hommes. Crébil· lon fils les (t bien connues, c'est un peintre: et sa touche, pour être délicate, n'en est pas moins exacte, et quelquefois profonde. Samuel S. d.e Sacy 13.


LINGUISTIQUE

L'écriture avant la parole Jacques Derrida. . De la Grammatologie. Revue Critique Déc. 1965 et janv. 1966. L'étude de Fraru;ois Wahl n'est pas de celles qui se lisent en chemin de fer. On la voit même malaisf!tnent figurer dans un des journaux auxquels nous sommes habitués. Il n'est pas sûr qu'elle soit comprise par tous les lecteurs que nous nous flattons cfintéresser. Nous la publions pour deux raisons. La première est quOavec La Quin. zaine Littéraire, nous voulons briser avec certaines habitudes de paresse et de confort qui nous paraissent préjudiciables à la vie intellectuelle en France aujourcfhui. La deuxième est que cette étude apporte une contribution essentielle à f examen cfune question débattue par des spécialistes, en cercle_ fermé. et que nous voulons introduire nos lecteltrs dans ces lieux où s'effectue la recherche et où s'élaborent des conceptions - sur la littérature, le langage, la pensée - qui seront notre pain quotidien de demain. Si cette étude vous rebute à une première lecture. découpez.la, ou mieux. conservez ce numéro. Vous y reviendrez.

L'6eriture, le péohê Ce ne IOnt quelOixante pages - deux articles de revue - mais qui pèseront lourd - qui déjà pèsent lourd - par leur remise en canee des concepts sur lesquels s'appuie tout le discours contem· porain : langage, écriture. Un progrès décisif, en philosophie, est toujours la fin d'une fausse .évidence, la découverte qu'on avait à tort tenu pour c allant de lOi :. ce qui n'était .qu'un préjugé à réexaminer. D'une certaine façon, tout ce qui s'est passl; depuis cinquante ans autour du langage est la remise en cause de deux pseudo-idées : que le langage n'est que l'instru· ment, extérieur, de la pensée, et

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qu'il est fait de mots qui s'additionnent· (quand en vérité, nous l'avons maintenant appris, il est un système de signes que rien ne définit hors de leurs différ~nces réciproques, et quand c'est dans ce système, en bloc, que nous pensons).

véritable avec le sens - quitte à regretter avec Rousseau que, par une de ces violences que l'histoire fait à la nature, on donne plus de soin à déterminer fimage que fobjet?

L'Oooident, la parole Or, Derrida découvre chez ceuxlà même qui ont fait éclater les pseudo-concepts d'un 1 a n gag e ponctuel et instrumental, et nommément chez Saussure, un préjugé du même ordre, concernant cette fois f écriture. Aristote déclarait : Les sons émis par la voix sont les symboles des états de f âme. et les mots écrits les symboles des mots émis par la voix. Saussure· en écho répète : Langue et écriture sont deux systèmes de signes distincts; funique raison d'être du second est de représenter le premier. Ce qui revient à dire que l'écriture est extérieure à la lan· gue (donc accidentelle) et n'existe que secondairement à elle, comme un moyen de la figurer (comme un. représentant second, comme signifiant dérivé du signifiant im· médiat). Mais tout cela va·t·il de soi?

On l'a compris : le problème de l'écriture en porte, pour Derrida, un autre, et qui n'est rien de moins que celui de la métaphysique occidentale tout entière. De

Bref, nous n'avons pas tort de dire que nous sommes une civilisation du Verbe : à l'imag~ d'une « parole pleine » dont l'écriture n'est que le « porte-parole », toute notre épistémologie, toute notre ontologie et toute notre théologie sont suspendues. On pourrait sans doute montrer de même les rapports entre cette conception de l'écriture et notre organisation de l'économie, de la politique, de l'agriculture. On de· vrait surtout insister sur le fait qu'en proposant l'écriture phonétique comme la fin (la perfection)

J'en - - - - - - - - - - - - - - - -

ai

assez

On peut déjà remarquer qu'en toute rigueur, pareille définition ne saurait s'appliquer qu'à l'écri· ture phonêtique (pa... opposition aux écritures idéographiques), quand nous sommes dans le temps même où les mathématiques, en· tre .autres, développent une écri· ture qui n'a plus aucun rapport avec les lODS. Mais plus qu'à une discussion des faits, Derrida recourt à une analyse des sOus-entendus. N'est·il pas curieux, note-t-il, que, derrière l'opposition d'un dedans· à un dehors, se profile la crainte d'une contamination du premier par le second, crainte exposée avec des accents de· moraliste et de prédicateur ? En tentant de ressaisir la langue dans sa pureté, loin des accidents de la notâtion écrite, Saussure vise plus qu'une erreur théorique. plus qJl'une faute mo· rale : une sorte de souillure et cf abord un péché... Le péché a souvent été défini finversion des rapports naturels entre f âme et le corps dans la passion. Saussure accuse ici finversion des rapports naturels entre la parole et f écri· ture. Ce n'est pas une simple analogie : f écriture, la lettre, etc., ont toujours été considérés par la tradition occidentale comme le corps et la matière sensible exté· rieurs à r esprit. au souffle. au verbe et au logos. N'est.il ·pas curieux que, du même èoup, Saussure qui n'avait cessé d'insis· ter sur le caractère immotivé (<< arbitraire ~) de la langue, soit amené à supposer une hiérarchie naturelle entre la langue parlée et la langue écrite, à déclarer que seul le son a un lien naturel....

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une ligne

fait, c'est une chaîne continue qui mène de la Vérité au logos (la pensée comme disco.urs rationnel) et de celui·ci à la phoné (la voix « dit» le sens) -le tout reposant sur cette étrange idée que la voix a un rapport de proximité essentielle et absolue avec f âme. Depuis trois mille ans, d'un même mouvement, nous privilégions la parole et tenons qu'elle dit un sens qui e~t déjà là, « pré-sent » dans le logos. De là notre concept du signe comme association d'un signifié intérieur et d'un signifiant extérieur : de là notre concept de . la vérité ou du sens comme « déjà constitués ~ (dans le logos) avant le signe; de là notre concept de la technique comme réalisation dérivée du sens dans le sensible.·

de toute écriture, on a partout privilégié la linéarité qui est l'image graphique de la succession irréversible du temps où l'on parle. On constaterait enfin que la mort du livre, à laquelle nous sommes peut-être en train d'assis· ter, a là sa double racine d'abord, parce qu'écrire selon la ligne... ce qui est aujourcfhui à penser ressemble à f opération qui consisterait à enseigner les mathé· matiques modernes à faide cfun boulier; ensuite, parce que le livre comme discours achevé, comme « totalité finie », présuppose que lui préexiste une totalité... du signifié : toute notre idée du livre implique qu'il dit un sens qui ne dépend pas de lui, qui est avant, lui et le gouverne.


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(Ici, un repère : ce n'est certes pas par hasard que si Derrida, en s'interrogeant sur l'antériorité du vrai au dis cou l' s, retrouvait Nietzsche, il retrouve, en contestant l'image close du livre, Sollers.)

L'arohi-éoriture Notre « phono-centrisme» étant ainsi éclairé jusqu'en ses dernières conséquences, il serait naïf de croire (Derrida y insiste sans cesse) que nous pourrions l'annuler, revenir en arrière (fût-ce '« pour voir »). Si nous l'interrogeons, c'est du point où son développement nous .a menés. Si nous pouvons le dépasser, c'est en délivrant les concepts de parole, écriture, langage, signe... des limites qu'il leur imposait : c'est ce que d'un beau mot, Derrida appelle « dé-construire » ces concepts. En quelques pages profondes et difficiles, Derrida va alors quitter le terrain où la parole et l'écriture s'opposaient comme extérieures l'une à l'autre, pour s'installer dans ce qu'il nommera l'archiécriture et où il désignera la COlldition ultime de toute forme oe langage. De quoi s'agit-il ? Un langage, quel qu'il soit, est, parce qu'immotivé, l'institution d'un système de signes; or, l'institution implique la durée; et la durée d'un signe suppose à son tour son inscription dans une trace qui le conserve comme différent de tout autre signe. Mais qu'est-ce qu'une « trace instituée » sinon déjà, au sens le plus profond, une écriture? Autant dire donc qu'aucun langage n'est pensable avant la possibilité de r écriture et hors de son horizon. Pour bien comprendre ce que Derrida veut ici nous faire entendre, il faut se souvenir que le langage n'est constitué que de différences (entre son et son, graphie et graphie, sens et sens). Le son que j'émets n'a valeur linguistique que par ce qui le distingue d'un autre son (certains successeurs de Saussure diront que le son n'est que la substance accessoire dont la différence est la forme essentielle). C'est dans ce système ,originaire des différences, forme ultime de chaque langue, mieux : condition transcendantale de tout langage, que Derrida reconnaît, sous les espèces de la trace, les caractères essentiels d'une écriture, mieux : une « archi-écriture ». Du coup, loin que ce soit la linguistique - science du langage parlé - qui commande toute étude d'un système de signes, c'est à la science de l'écriture - la grammatologie prise en un sens La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

purifié que va échoir ce premier rôle. Mais ce renversement spectaculaire est bien peu de chose à côté des conséquences philosophiques dont il est gros. Si l'on part de la trace-de-différence, en effet, il ne peut plus être question ni de cette présence première, au dedans, ni de cette série de dualismes hiérarchisés du dedans au dehors que nous avions vu liées au privilège de la parole. Un jeu de différences est tout de suite complexe, articulé: il ne connaît pas le simple. Pour que ce jeu fonctionne, il faut que chaque différence soit retenue (tracée) dans les autres : le jeu est suspendu à la trace, mais chaque trace n'existe que pour une autre trace, et il n'en est pas de première. La trace est l'origine absolue du sens en général : ce qui revient à dire qu'il n'y a pas d'origine absolue du sens en général. Il n'y a pas d'antériorité de l'acte sur la passivité : puisque dans trace il y a empreinte, l'acte linguistique est marqué de passivité dès le départ. Il n'y a pas antériorité du dedans sur le dehors : puisque dans trace il y a espacement au sein d'un temps et d'un espace à leur naissance, l'acte linguistique est toujours « l'énigmatique rapport d'un dedans à un dehors ». Il n'y a, partant, pas de présence avant l'absence, ni de conscience avant finconscience, ni même de signifié avant le signifiant: si l'on prend au sérieux le fait, sur lequel tous les linguistes saussuriens en principe s'accordent, que le signifié n'est lui aussi que différence (par rapport à l'expérience, aux autres signifiés, aux signifiants),. il faudra bien qu'il se fasse à son tour trace, et donc soit toujours déjà en position de signifiant (formule, soit dit en passant, qui ne déplairait sans doute pas à Lacan). Il n'y a même plus de dualité de l'homme et du non-homme : car la trace apparaît dès les commencements de la vie, dans les « courtes chaînes » programmatiques (comme dit Leroi-Gourhan) qui règlent le comportement de l'amibe - quitté à « s'intentionnaliser », s'étendre et s'extérioriser avec l'homme. Ainsi, par une série de secousses de proche en proche, Derrida ébranle-t-il, sous le couvert d'une réhabilitation de l'écriture, pas seulement notre linguistique, mais tout le système d'opposés sur quoi repose notre pensée. Achev\'nt ici le mouvement de dépassement qu'il avait commencé dans une admirable introduction à « l'Origine de la Géométrie » de Husserl, il nous désigne, par delà, une époque où serait close et dépassée l'aventure de culture dont nous sommes encore héritiers.

François Wahl

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: la quarantaine • • • • • •

"la plus perspicace et la plus juste chronique de la sensibilité contemporaine", robert kanters (le figaro littéraire)

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JULLIARD 15


ART

Peinture et société Pierre Francastel Peinture et société Collection Idées-Arts Gallimard, éd.

Publié en 1951 et traduit dans plusieurs langues, Peinture et société de Pierre Francastel était devenu introuvable en fran<;ais jusqu'à sa réédition récente. Consacré à la genèse puis à la destruction de l'espace plastique dans la peinture occidentale de la

considéré l'art comme un orne· ment, un a c ces soi r e, une superstructure.· Le moment est ven u de l'interroger et de l'analyser comme une fonction fondamentale. A la base de la représentation de l'espace linéaire du Quattro. cento, par exemple, il y a la conception de l'individu acteur efficace sur la scène du monde. Le moyen de cette représentation, les peintres l'empruntent à la géométrie euclidienne qui est la

rent à l'état de théories ou de spéculations. Il s'en faut de beaucoup, en particulier, que l'espace renaissant ait été inventé d'un seul coup. Une succession de planches remar· quablement commentées, montre au lecteur, de Giotto à Uccello et à Ghirlandajo, les multiplespossi. bilités offertes, les emprunts aux espaces anciens et leurs transfor· mations, les options essentielles, les solutions finalement adoptées. La perspective linéaire n'est pas le résultat d'un progrès technique, intervenant au terme d'une regret· table période d'erreurs. Elle ne se trouve pas en accord avec les lois soudain dévoilées de· l'optique, mais elle représente un choix, en fonction de besoins précis. Elle est partie intép;rante de la création d'un style. D'autre part, estime Francastel, les historiens et les esthéticiens ont grandement négligé jusqu'ici, dans l'étude des sociétés occiden· tales, le c ôté mythique des systèmes d'explication de l'univers dont l'art est, aux différentes époques, l'un des principaux supports. Le char, la colonne, le cheval, la ruine romaine, la grotte, le rocher qui apparaissent si souvent dans la peinture de la Renaissance sont des objets, à la fois, figuratifs et symboliques. Le char, notam· ment, au revers du double por· trait des princes d'Urbin, de Piero della Francesca, exprime la gloire humaine et surhumaine des personnages représentés au recto de la composition en même temps qu'il évoque le souvenir des fêtes données à leur cour. La vue d'une colonne ou d'une ruine, dans un tableau, suffit à faire entrer l'univers entier de l'anti· quité païenne au sein du monde chrétien, tandis que la Vénus de Botticelli explicite la politique des Médicis et témoigne de son succès. Les hommes du Quattro. cento ont cru aux images. Ils ont attribué à l'imaginaire une valeur positive.

science des intersections étahlis· sant entre les êtres et les choses des relations hiérarchisées et mesurables, parfaitement adaptées à une somme déterminée de connaissances. L'espace euclidien demeurera valide durant cinq siècles et les artistes se borneront à en modifier certains aspects de détail jusqu'au jour où s'imposera à eux, dans notre civilisation contemporaine, une nouvelle image de l'homme postulant des rapports neufs avec notre milieu intellectuel et social. L'un des points sur lesquels insiste Francastel est le caractère pragmatique, expérimental, l'éla· boration nécessairement lente d'un univers de formes. Une création picturale est une praxis et les principes les plus séduisants ne sont rien si, faute d'une réalisation suffisante, ils demeu·

La confrontation des trois vues de Rome, de Pol de Limbourg, de Mantegna et de Masolino qui construisent à chaque fois un ensemble de significations diffé· rentes à partir d'éléments prélevés sur le réel, compte parmi les meilleures démonstrations du livre. L'espace utilisé .dans les trois œuvres, selon une organisa. tion différentielle, intègre de ma· nière intime le mythe et la réa· lité. Cette confrontation devrait convaincre, à elle seule, les plus récalcitrants que les productions de la peinture ne se limitent ja. mais à fournir un double calqué sur le visible immuable. Elles re. présentent, à l'inverse, un certain nombre dc montages qui matéria. lisent la distance p s y chi que, fixant, dans chaque société, la si. tuation de l'homme relativement à lui·même et aux choses.

Fernand Lé&er: mécanicien 1920.

Renaissance à nos jours, le livre pose le problème plus large de la lecture et de l'interprétation des œml'res comprises comme faits de civilisation. L'idée directrice de Francastel est que les œuvres picturales constituent des systèmes de signes en rapport avec les activités scientifique, littéraire, philosophi. que, économique, technique d'nne société. Loin de refléter ces lJctivités, cependant, et d'en être la simple conséquence, elles infor. ment, de manière aussi active que celles.ci, les visions du monde successives de l'histoire. Lorsqu'on a voulu entreprendre des études de caractère sociologique, précise. t.il, on a généralement prétendu expliquer l'art par la société, tandis que c"est l'art qui explique en partie les véritables ressorts d'un groupe social. On a toujours 16

Avec les peintres des époques romantique et impressionniste, cependant, l'avènement de la peinture moderne se manifeste par la double destruction de l'espace et du répertoire de mythes sur lesquels reposait la tradition. C'est par la crise du s u jet que la transformation commence, avant de se poursuivre, dans notre siècle, par celle de l'objet. Monet, par exemple, ana· lyse les bases fondamentales de la perception et f 0 n d e son esthétique sur l'enregistrement des sensations lumineuses. Van Gogh utilise la couleur non seulement .selon la loi des complémentaires, mais en considé· ration du fait qu'elle possède en soi une valeur de signification spatiale absolue. Cézanne, mettant en évidence son intérêt primordial à l'égard du monde, découvre la puissance d'expression des frag. ments de nature. Leurs recherches ont rendu possible une évolution du langage visuel qui a libéré les artistes et le public de conventions séculai· res. Elles ne se limitent pas à remanier l'ancien système, mais en se dégageant de sa contrainte, elles en ébauchent un autre. Le cubisme, de ce point de vue, encore qu'il soit au xx· siècle la première tentative commune de renouveler la représentation de l'espace, constitue un mouvement de transition. S'agissant essentiel· lement de faire glisser certains plans ou de juxtaposer des éléments empruntés à des perspec· tives divergentes, il a recours à la hiérarchisation euclidienne dans le mouvement même qui le porte à la mettre en question. Le plus grand attrait cesse de résider, pour nous, dans. les apparences ou les spectacles, à l'inverse de la Renaissance, pour se trouver dans les mécanismes. Les toiles cubistes de Picasso, Braque, Léger, Delaunay nous présentent le réel comme un ensemble de ruptures et d'articulations. Le monde fut un théâtre. Les te m p s modernes s'orientent, aujourd'hui, vers une conception où l'homme, au contraire, se donne pour but de créer, à la fois, la société et l'univers selon ses capacités d'intervention. Il envi· sage ainsi l'espace non en tant qu'un lieu stable, ouvert à son activité, mais comme un réseau formé de tensions innombrables. Ecrit il y a quinze ans, Peinture et société n'a pas subi le moindre. vieillissement. Par delà les écoles qui s'affrontent et se contestent, il permet de dégager, dans les œuvres traditionnelles aussi hien que modernes, les lignes de force réelles. Il compte, tant par la méthode qu'il institue que par la pertinence de ses descriptions, parmi les rares ouvrages publiés à ce jour où sont jetées les bases fécondes d'une véritable sociologie de l'art. lean.Louis Ferrier


De

Hans Richter Dada, art et anti-art traduit de l'allemand Ed. de la Connaissance Bruxelles. Patrick Waldberg Chemins du Surréalisme Ed. de la Connaissance Bruxelles.

Une grande part de l'art d'aujourd'hui prend ses sources dans le Dadaïsme et le Surréalisme. Op et Pop.Arts, néo-réalisme, collages, assemblages, lettrisme et happenings sont nés il y a cinquante ans. Mais il n'est pas sûr que les activités et les œuvres de cette lointaine avant-garde soient bien connues de la jeune génération. C'est pourquoi la puhlication de deux livres de souvenirs et de documents sur le Dadaïsme et sur le Surréalisme vient opportunément éclairer, si l'on peut dire, par les racines les actuelles manifestations d'un état d'esprit qui, hier comme aujourd'hui, tendait à disqualifier l'esthétique. Un troisième volume, consacré au Futurisme, aurait été, à vrai dire, nécessaire pour en suivre, dès le début, le développement histori· que. Car nous voyons bien que, malgré leurs divergences, Futurisme, Dadaïsme et Surréalisme forment une trilogie où l'évolution idéologique n'a pas toujours modifié les moyens d'expression. Hans Richter, l'auteur de Dada, art et anti-art, en s'interrogeant sur les origines incertaines du Da. daïsme, est obligé de reconnaître que les dada'istes eux-mêmes ont contribué, par leurs affirmations contradictoires, à entretenir ces incertitudes, et que Dada a récolté la confusion qu'il avait semée. Mais il lui apparaît évident que le style des harangues agressives et des provocations publiques, ainsi que certaines formes litté· raires (poèmes bruitistes où sons et paroles alternaient) et le recours à une typographie désarticulée, provenaient de l'héritage futuriste. Néanmoins, le Futuris-

MlU Ermt

Anse du textile

La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

DaDA

me avait un programme et Dada n'en voulait pas. C'était là une différence fondamentale. Dada n'a pas été un mouvement artistique... C'était un orage éclatant sur fart. Quant au mot lui-même, comment est-il né ? Personne n'en sait rien, bien que beaucoup affirment l'avoir inventé. Admettons donc qu'il eut plusieurs origines, y compris celle du vocabulaire des nègres Kru qui appellent Dada la queue d'une vache sacrée. Avant même d'avoir été ainsi dénommé le premier groupement Dada fut constitué dès le jour où Hugo BaIl, le r' février 1916, fonda à. Zurich le Cabaret Voltaire. Hugo· BaIl est peu connu en France·. Il eut pourtant une importance déterminante sur la formation de l'esprit Dada et sur le caractère explosif de ses activités. Importance comparable à celle d'Alfred Stieglitz, animateur à New York du mouvement Dada américain. Le grand mérite du livre de Hans Richter est d'avoir été écrit par l'un de ceux qui ont le plus activement vécu l'expérience Dada. Lui-même, peintre, écrivain, éditeur de la revue G et auteur de films abstraits et surréalistes (dont l'admirable Dreams that money can buy) , il est aujourd'hui professe~r au City College de New York. Le groupe zurichois dont il fit partie dès 1916 était composé de Hugo BaIl, Emmy Hennings, Tristan Tzara, Hans Arp, Marcel J anco, Richard Huel. senbeck et, à partir de 1918, Francis Picabia qui, venant d'Es· pagne où il avait fondé la revue 391, s'i m po s a immédiatement comme un pur dadaïste avec ses fameuses Machines ironiques. Le manifeste où il proclamait que fart doit devenir le point culmi· nant de finesthétique répondait parfaitement au refus radical de fart propagé par Dada. Mais c'est Tzara qui apparaît comme la fi· gure dominante du groupe dont il prit la direction en 1917. Nul plus que lui n'était doué pour l'insolite et l'insolence et pour transformer toute manifestation en scandale. Aux soirées tumultueuses du Cabaret Voltaire s'ajoutèrent bientôt les expositions de la Galerie Dada inaugurée en mars 1917 avec Der Sturm. A côté des œuvres de Janco, Arp, Sophie Taeuber, Macke et Feininger, on pouvait y voir celles de Klee et de Kandinsky, tous deux considérés comme les ancêtres spirituels de Dada. Parallèlement au Dadaïsme zu· richois, un mouvement analogue se dessinait à New York sous l'impulsion du photographe Stieglitz avec Man Rayet Marcel Duchamp, puis avec Gleizes et Picabia arrivant d'Europe, auxquels devait se joindre un surprenant et quelque peu inquiétant personnaI!e : Arthur Cravan, qui se désignait lui-même comme chevalier

au Surréalisme

d'industrie, marin, muietier, charmeur de serpents, ex.champion de France de boxe, chauffeur d'automobile, rat d'hôtel, neveu d'Oscar Wilde, etc. En Europe, le mouvement s'étendit d'abord à plusieurs v i Il es d'Allemagne. Dans l'atmosphère de révolte qui régnait à Berlin au lendemain de la guerre, les manifestations da·

daïstes prirent· tout de suite un caractère politique. Chacun, à sa manière, s'ingéniait à soutenir la lutte contre les conditions sociales allemandes. George Grosz, par ses dessins féroces, y participa avec une particulière âpreté. Le groupe comprenait alors principalement Raoul Hausmann, Johannes Baader, Herzfelde et Richter.

LA RÉVOLUTION SURRÉAUSTE

Un autre groupe, formé à Hanovre, fut dominé par Kurt Schwitters, fondateur de la revue Merz, tandis qu'à Cologne Max Ernst et Johannes Baargeld introduisaient le Dadaïsme en 1920. Les activités Dada de Paris, entre 1919 et 1922, sont plus connues et, pour beaucoup, encore présentes à la mémoire. On sait

que c'est autour de la revue Littérature, et avec une tendance plus littéraire qu'ailleurs, que Philippe Soupault, André Breton, Aragon, Eluard, Ribemont-Dessaignes, Tzara et Picabia, organisèrent manifestations, provocations et scandales, jusqu'au jour où d'ir· réductibles scissions et de retentissantes brouilles conduisirent Dada vers son déclin. Richter, mieux informé sur les périodes suisse, américaine et allemande du Dadaïsme que sur celle de Paris, nous apporte sur ses mouvements à l'étranger de précieux renseignements qui donnent à son livre son intérêt capital. Une abondante documentation photo. graphique en rend la lecture très instructive. En 1924, le Surréalisme rempla. çait Dada dont il fut le prolonge. ment plus réfléchi et plus méthodique, surtout dans le cadre que lui assigna Breton. Le Surréalisme, écrit Richter, a conféré une signification et un sens à Dada. Dada a donné de la vie au Surréalisme. Le livre de Patrick Waldberg, Chemins du Surréalisme, qu'il est intéressant de lire comme la suite logique de celui de Richter, se présente surtout comme une introduction à un important choix de textes de Breton, Aragon, Eluard, Desnos, Vitrac, Artaud, Péret, etc. Ils occupent les deux tiers de l'ouvrage. Ici aussi, une vaste documentation (144 photos en noir ct 8 planches en couleurs) nous donne un vivant panorama de ce que fnt le Surréalisme dans ses individualités et ses groupes, ses manifestations et ses œuvres. L'auteur, en retraçant l'histoire des événements qui ont marqué son évolution, nous rappelle quelques-unes de ses célèbres que· relIes (Tzara répudié par Breton, passage d'Aragon et d'Eluard au communisme tandis que Breton se ralliait au trotskysme, etc.). Dans la quinzaine d'années qui s'étend de la période dite « des som. meils » (écriture automatique) à la publication du Minotaure (1933-1938), toute l'aventure surréaliste, avec ses poètes et ses peintres, se déroule à nos yeux comme l'un des plus passionnants moments de l'histoire de la pen· sée et de l'art. Et c'est peut-être aujourd'hui surtout, au regard des nouvelles voies où l'esprit créateur s'achemine, que nous en percevons l'importance et la portée. A lire les biographies qui terminent l'ouvrage, on s'aperçoit aussi que, pour quelques-uns, le goût de la révolte fut un tatal entraînement à se révolter contre eux-mêmes : Jacques Vaché, J acques Rigaut, René Crevel, Arshile Gorky, Oscar Dominguez, J.-P. Duprey, Wolfgang Paalen, Kay Sage et Kurt Seligman se sont tous suicidés. Jean Selz 17


SOCIOLOGIE

PSYCHOLOGIE

Une tentative d'intégration Raymond Ruyer Paradoxes de la Conscience et limites de f automatisme Coll. Les Savants et le Monde Albin Michel éd. 286 p.

Raymond Ruyer, professeur à la faculté des Lettres et des Sciences humaines de Nancy, a été un des premiers universitai· res français à montrer - à une époque où triomphaient les dog. matismes intellectuels, l'existen· tialisme, le matérialisme dialec· tique, le spiritualisme tradition. nel - fimportance de fexpé. rience psychologique. Réunissant une information scientifique de plus en plus riche, il a publié - depuis sa thèse, Eléments de Psychobiologie - un ensemble crouvrages que leur rigueur et leur documentation ont imposés. François Châtelet rend compte du dernier de ses livres. Plaisants livres que eeux où un penseur, un savant s'abandonne à sa fantaisie, et, sur un ton mi-pédagogique mi-confidentiel, aborde un problème important de la culture contemporaine avec toutes les ressources de son humour et de ses connaissances. Tel est le cas du dernier ouvrage de Raymond Ruyer. La question soulevée a donné lieu à une littérature abon· dante, au cours de ces dix dernières années singulièrement celle de la possibilité de rendre compte du phénomène de la conscience à partir des modèles automatiques complexes qui ont permis la fabrication. de ces fameuses machines parmi lesquelles les ordinateurs électroniques sont les plus célèbres. Peut-on donner, de la conscience, une « explication » cybernétique? Raymond Ruyer se garde bien, ici, de se livrer à une démonstra· tion. S'il prouve - la fermeté de sa conclusion montre que c'est bien là son dessein - , c'est moins en enchaînant des propositions ou en faisant valoir des faits qu'en procédant à une série d'allusions qui, par leur accumulation et leur puissance pénétrante, finissent par emporter l'adhésion. Le point de départ : une quasi-définition de la conscience, qui détermine le paradoxe fondamental. Le « Je organique » doué de tous ses appareils sensibles, se met à distance et, balayant une surface, la « voit. ». Mais le spectacle est alors un spectacle sans spectateur. Le spectateur, c'est l'autre « Je », le « Je conscient ». Or, ce dernier, on l'imagine trop souvent, parce que l'on cède trop aisément aux habitudes de la perception visuel· le, comme un troisième terme qui survolerait, en les balayant, la relation de l'organisme et de l'objet. Il n'en est rien : l'observation la plus banale le prouve. Le « Je conscient ici et mainte· 18

nant » est un balayage sans balayage, un survol sans survol, une présence éclairante qui synthétise ct signifie, une présence qui ne saurait être, en aucune manière, regard second ou troisième. Pour un observateur extra-terrestre, par exemple, le fait que les différentes cartes d'un jeu ,de cartes soient, en général, rassemblées, pourrait être interprété comme effet phy. sique d'un champ d'attraction. Il n'en est rien, nous le savons : si les cartes sont rassemblées, c'est à la suite d'un effort musculaire fourni par un homme et consommant une certaine énergie. Mais, plus profondément, ce rassemblement est fonction de l'unité mentale du jeu de cartes, qui elle·même dépend de l'unité de la cons· cience humaine... Tout l'ouvrage se développe, dès lors, autour de cette défense et illustration du « Je pense » empirique et des multiples paradoxes que sa situation engendre. Tout se passe comme si, pri~ tantôt au piège de la métaphysi. que traditionnelle, tantôt aux constructions arbitraires de la phénoménologie, tantôt aux rêve~ ries déductives de la science cy· bernétique, la pensée contemporaine se refusait à accepter ce statut moderne de la conscience,\ modeste et décisif, celui d'être\ une propriété, un fait inhérent à la structure, à la nature de l'organisme humain, propriété dont on retrouve, d'ailleurs, les effets, sous d'autres aspects et à un niveau bien différent, dans l'activité protoplasmique. C'est à une autre analyse du rire que bien souvent nous convie Raymond Ruyer, un rire qui résulte non pas - comme le voulait Bergson - du simple placage dd « mécanique sur du vivant », mais, plus profondément, du fait que la conscience pressée, de toute part, par des synthèses contradictoires, ne parvient plus à s'y reconnaî· tre, se conçoit ici comme robot, là comme « voyeur éternel », ail· leurs encore lumière fugace. Ce que cette critique empirique pour· chasse - avec l'aide de Lewis CaroII et de Marcel Achard, appelés en témoignage - , c'est moins la rhétorique des métapbysiciens (scientistes ou spiritualistes) que la sottise et la suffisance de l'opio nion commune. Ce livre. a bien pour thème le para-doxe, l'opposition à la vulgarité des « idéel! reçues ». D'où vient donc l'insatisfaction? Ce n'est certes pas de la méthode d'exposition, qui, répé. tons-le, a le charme de ces textes, en apparence décousus qui, à chaque rebond, exigent une réflexion plus approfondie. Le malaise ne peut résulter que de la fragilité théorique de la thèse, d'une fragilité qui, dans ce livre, au moins, est clairement avouée. Juxtaposons, simplement, deux phrases de la conclusion : ... danS r ordre théorique, f ambition, en1

Maxime Rodinson core tellement vivace, crexpliquer Islam et capitalisme les phénomènes biologiques et Le Seuil, éd. psychologiques par des phénomènes automatiques est certainement déraisonnable; ...le domaine de L'argument se déroule sur trois la conscience est une auto-vision sans regard. Ce caractère... n'a plans: l'histoire d'une idéologie d'analogue qu'en microphysique, - l'Islam, en l'occurrence - des et cela pour la raison que les do- sociétés qu'elle a imprégnées, de maines de la conscience sortent sa doctrine, de sa praxis; l'anadirectement des domaines micro- lyse sociologique comparée de physiques. Essayons d'en tirer une l'émergence du capitalisme, en leçon : l'explication de la cons- Occident comme eri Orient; enfin, la méthodologie des sciences cience - du « Je conscient » est impossible à partir des modè. humaines et la philosophie soles fournis par le mécanisme, ciale. serait-il cybernétique! La conscience ne saurait être comprise L'Islam, tout d'abord. Certes, qu'à partir d'autres modèle:, ceux nous n'en sommes plus au fatum de la microphysique, dont Ray- mahumetanum leibnizien. Pourmond Ruyer ne nous dit guère ici. tant, «la constatation ou la dé· Où il nous en dit plus, c'est dans couverte de l'évolution rapide des son précédent livre, f Animal, dernières années, en particulier f Homme, la fonction symbolique à travers les descriptions de (f Avenir de la Science, n° 41, J. Berque, ont été impuissantes NRF), qui est aux Paradoxes de à modifier des idées fausses prola Conscience,' ce qu'est le récit fondément ancrées»: les écrits historique aux bandes dessinées. sont là - ceux de E.-F. Gautier, Dans eet autre texte, plus diffi- R. Charles, A. Pellegrin et, sur· cile, plus profond et mieux lié, il tout, J. Austruy à la «naïveté inrévèle le sens de son entreprise. consciemment raciste» - qui téSi le spiritualisme théorique éta- moignent, épaulés un peu parbli a tant de mal, aujourd'hui, à tout, en Occident, par des émules lutter contre les entreprises con· moins connus, en France. Pourquoi, en vérité, le capitaquérantes du matérialismè fondé sur les sciences expérimentales, lisme a-t-il triomphé à l'époque c'est qu'il reste sottement tributai- moderne en Europe et pas (entre re du dualisme cartésien. Il n'y a autres) dans les pays musulpas à défendre les droits et les mans ? Mais aussi pourquoi le capouvoirs de l'Esprit contre ccux pitalisme européen a-t-il envahi de la Matière. Il y a à montrer si facilement le monde musulque les dés sont pipés et qu'une man? Dans le passé et actuellehonnête analyse de ce qu'est la ment, l'Islam, ou au moins la tra· Matière, menée expérimentale- dition culturelle des pays musul· ment, conduit à reconnaître que mans, ont-ils favorisé ou favorice qu'on appelle Esprit est déjà sent-ils le capitalisme, le sociaprésent dans les formes les plus lisme, une économie arriérée de simples de la Vie, que le proto- type «féodal », ou encore pousplasme, en imposant ses régula- sent·ils vers une toute autre voie. tions, portait déjà le « Je cons- vers un système économique noucient » et qu'au fond, il révélait veau qui leur serait spécifi« la dimension transversale », que? En fait, ces questions procèc'est-à-dire Dieu. La Vie, qui est déjà conscience, prouve Dieu. dent, tout naturellement, des L'homme est comme un témoin thèses de Max Weber dans L'Ethique protestante et fesprit surajouté et indispensable... On ne peut s'empêcher, cepen· du capitalisme (1920), et, surtout, dant, devant de semblables ana- dans Wirtschaftsgeschichte (1923) : lyses, de se demander à quoi a la mentalité coIIective européenservi la réfutation kantienne de ne se distinguerait par un degré l'ontologie et de la cosmologie ra- supérieur de rationalité, qui se tionnelles. Voici encore une de manifesterait par un Etat rationces tentatives d'intégration, fort nel basé sur un corps de foncà la mode aujourd'hui et dont le tionnaires spécialisés et sur un teilhardisme est une des manifes- droit formaliste, le droit romain; tations les- plus voyantes et les c'est en Europe qu'on trouverait plus plates. Certes, l'informati~n au minimum les trois ennemis du de Raymond Ruyer est remarqua· développement capitaliste, à sable. Par quel excès ce philosophe voir l'orientation magique de la veut-il en tirer des conséquences pensée, certains intérêts maté· ontologiques? Les progrès de la riels, enfin une idéologie tradi· psycho-biologie sont ce qu'ils tionnaliste fondée sur la religion sont ; il faut les penser comme ou sur la morale. tels. Il n'y a pas, si on a du respect pour l'activité théorique, à Qu'en est-il dans l'Islam? essayer de les intégrer à une quel- L'étude du dogme des trois granconque conception du monde. des religions monothéistes nous fidéologie coranique La perspective que présente montre Raymond Ruyer est épistémologi. comme faisant intervenir le raiquement intéressante; elle est sonnement, la rationalité, à un plus haut degré que les idéolothéoriquement illégitime. François Châtelet i gies reflétées par f Ancien et par


Islalll et capitalisllle Pourtant, c'est par son activisme' d'Etat, si j'ose dire, que l'Islam se détache, par rapport aux deux autres grandes religions monothéistes: le dogme, dans chacune d'entre elles, se montre susceptible des mêmes prolongements. Nous rejoignons ici l'actualité. L'auteur la connaît de près, pour l'avoir vécue et étudiée, depuis un quart de siècle. Plutôt que de se livrer à la polémique, il renoue avec ce souci de méthodologie et ce soin pour l'idéologie qui courent, comme un trait rouge, d'un bout à l'autre de son livre. Le procès intenté, pied à pied, à la typologie de l'homo islamicus est, en fait, celui de la philosophie idéaliste, plus précisément celui de l'une de ses variantes qui tient le haut du pavé: le panstructuralisme. Les pages qu'y consacre Maxime Rodinson sont d'une- rare densité. Une société ne se bâtit pas

Cl

Préparez le chemin du Seigneur, aplaniue:r. lu sentier,. »

le Nouveau Testament, comme invoquant l'idée de prédestination à peu près dans la même mesure que ces deux corpus sacrés, mais exhortant nettement à une orientation active dans. la vie individuelle et sociale, en fin, comme subordonnant la technique magique à la volonté divine. exactement comme les deux autres livres... Après le Coran, la Sonna (recueil des traditions du prophète Mohammed, pour la plupart apocryphes), ne modifie pas l'enseignement fondamental. Et du reste, la pratique des sociétés musulmanes médiévales infirme les thèses de Weber: à l'époque antérieure au capitalisme, la supériorité technique de l'Orient musulman sur l'Europe fut éclatante l ; enfin, et surtout, la communauté musulmane (...) a été essentiellement un Etat. Si, avant le XIX' siècle, les pays d'Islam connaissent un important développement du «secteur capitalistique », pourquoi est-ce l'Etat, nobiliaire et militaire, qui prend le relais de la bour/!;eoisie? Pourquoi la carence des villes en tant que pôles de développement? Le dogme n'y étant pour rien, il faut chercher les réponses, prudemment, dans l'histoire: densité relative de la population; prééminence des travaux' publics d'irrigation; vagues d'invasion asiatiques. La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

Le capitalisme - c'est-à-dire la prédominance de la formation socio-économique capitaliste, ci un certain niveau se développe sous l'impact de l'Europe. L'Egypte de Mohammad-Alî en est le meilleur exemple, jusqu'en 1840. C'est ensuite la pénétration impérialiste qui enraye cette première modernisation de l'économie. Elle trouve, jusqu'au tournant du siècle, un allié d'importance, à savoir la répugnance des capitaux à s'investir dans l'industrie. Ici, les pays d'Islam suivent exactement la voie de la Chine, de l'Inde et du Japon, à la même époque: l'interdiction coranique du prêt à intérêt - d'ailleurs fort tempérée par la pratique - ne joue aucun rôle. La réaction inté~iste, notamment en Arabie Séoudite, plie devant la montée du capitalisme autochtone. Sur l'autre versant, ·les apologistes de l'Islam - des mystiques aux «Frères Musulmans» transfigurent le réel vécu, jusqu'à le mutiler. L'Islam n'a pas seulement recommandé, il a légiféré; il s'agissait de réglementer l'entraide au sein de cette communauté (... ); aucune institution n'était prévue qui dépassât l'horizon institutionnel des tribus arabes, aucune qui pût empêcher ou même entraver la constitution ou la perpétuation de couches privilégiées...

autour de «significations» mais autour de tâches essentielles sans lesquelles elle ne pourrait se continuer. Et, comme l'individu, la Société s'efforce en tout premier lieu à survivre, à perpétuer son existence (plus que son essence). Elle s'efforce ensuite (on pourrait appeler cela ses tâches essentielles secondaires) à maximiser (par la compétition et éventuellement par la lutte) les avantages dont jouissent ses membres, tout particulièrement ,es membres privilégiés quand il s'agit d'une société hiérarchisée. Les rapports organisés autour de ces tâches (non la conscience ni la théorisation de ces rapports) ont une répercussion sur toute la vie sociale. Toutes les autres formes de relations et de conscience doivent s'adapter ci ces rapports alors que la réciproque n'est pas vraie. Certes, écrit-il, une des lacunes les plus graves du marxisme tel qu'il a été pratiqué en général est l'insuffisante prise en considération du niveau, du relais idéolo. gique. On s'attend à voir citer ceux, précisément, qui ont agi ·en sens contraire, en plein cœur de cette école de pensée et d'action ': Antonio Gramsci, Henri Lefebvre, Louis Althusser. SeuIl le deuxième est mentionné. C'est l'œuvre de Karl Mannheim que Rodinson met en lumière, notamment les thèses d'Idéologie et utopie (1929-31) : à côté des idéologies «utopiques », de nature politique (nationalitaires, universalistes, impérialistes), il y a les idéologies «idéologiques» qui, à partir du donné économique, idéalisent et transposent le réel. Dès lors, le signifiant qui domine, c'est celui qui signifie certaines choses, non n'importe lesquelles, avec le plus de vigueur, qui est manié par des organisations maniant les moyens les plus adéquats, etc. La lutte ne se déroule pas dans l'empyrée des sys-

tèmes significatifs, mais sur terre, à travers des hommes qui ne sont dupes que de certains slogans. Un déterminisme historique no", dogmatique. On pourrait croire l'auteur plus tendre pour les siens. Or, il n'est pas un point où Rodinson ferme les yeux sur le sectarisme, le dogmatisme de ce «marxisme institutionnel» ou « pragmatiste », et sur la part que lui-même comme tant d'intellectuels voués au socialisme jusqu'à ces dernières années - a prise; s'il met en garde contre le dogmatisme, c'est certains de ses propres écrits antérieurs à 1956 qu'il vise plus particulièrNPent. Pourtant, Maxime Rodinson se dit et se veut marxiste: Dans les idées marxistes, je distingue, entre autres, une orientation philosophique, des thèses sociologiques, une inspiration idéologique (... ). Je m'appuie ici exclusivement (ou presque) sur les grandes thèses sociologiques ou socio-historiques dégagées par Marx, lesquelles me paraissent solidement établies et admissibles par tous les esprits sur le plan scientifique. A propos du prétendu mode de production asiatique, mis en avant par certains pour pallier les insuffisances de la théorie marxiste des cin,q stades du développement des 'sociétés - en fait, des seules sociétés européennes - il rend justice au groupe de penseurs français qui animent «La Pensée », et fournit une critique marxiste approfondie de cette notion (p. 73-83), que l'on souhaiterait voir prendre la forme d'un livre très prochainement 2 •

Je n'ai pas la mystique du Tiers Monde si répandue dans la gauche actuelle, écrit-il dans 80n A vant-I,ropos. Tant mieux, puisqu'au88i bien les «trois continents» entendent renaître, non faire l'objet d'un paternalisme aux nobles accents! L'avenir? Le monde musulman est spécifique. Il n'est pas exceptionnel. Il n'échappera pas aux lois générales de l'histoire humaine. Son avenir est un avenir de luttes. Luttes de classes ou plus largement de groupes sociaux, luttes de nations ou plus largement de sociétés globales. Dès lors, le dilemme' prend forme : la liaison maintenue avec les cadres religieux orientés de façon toute différente (que le socialisme) pose des entraves à une action révolutionnaire cohérente. La «clientèle du socialisme mus ulm an» s'avère, dans la pratique, comme un corps de réaction, contre le socialisme. L'idéologie nationalitaire peut servir, car le socialisme peut aisément être montré comme la condition de la puissance et du bonheur de la nation. C'est difficile pour la religion dont les valeurs sont extra-terrestres. Le dilemme? Il n' y a .~

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Islam et capitalisme

/JCl.S d'économie musulmane ou chrétienne, catholique ou protestante, française ou allemande, arabe ou turque, dionysiaque ou appollinienne. Il n'y a aucun moyen d'éviter le choix entre un développement de type capitaliste ou socialiste, tout au long de l'étape nationalitaire. Pour changer les sociétés, il faut agir sur les forces sociales qu'elles recèlent, il faut créer les institutions qui donneront à certaines de ces forces la puissance d'(tgir, il faut mettre en place les éléments d'un fonctionnement naturel et tout cela en se pliant aux contraintes du donné naturel et social pour pouvoir les domi· ner. Le reste est vaine prédication et, au mieux, belle littérature. Le Prophète crie dans le désert. Sa voix ne devient une force que lorsqu'elle rencontre des hommes prêts à écouter son message, ses directives d'action pratique: Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers.

Des marchands de Qoraïsh au Haut-Barra/l:e d'Assouan, la fresque se déroule, étayée par une érudition précise, qui fait appel, tant à la hibliographie traditionncllc qu'à celle en langues allelI1lJnde, russe, slaves, balkaniques, turque, persane. Elle convcr/l:~ avec les grands courants dc la sociologie moderne - sans omettre Hm Khaldoûn de l'histoire des religions de la phi. losophie, de la linguistique. L'ensemhle, à la lumière du marxisme, profondément senti et vécu pal' l'auteur.

Ce livre a une grande ambi· tion: il voudrait servir. Ainsi débutc l'Avant.propos. Comment servir? V ous connaîtrez la vérité et elle vous rendra libre; f hy. pothèse illusoire ne tient lieu en rien de vérit(~ - tel est l'ensei/l:nemcnt de Jésus et de Mohammad, rcpris par notre auteur. Par la profondeur de la pensé~, la rigueur de la méthode, la précision sélective dc l'information - par la modestie - Maxime Rodinson vient d'illustrer ma/l:istralcment .par cc livre-clé, fondamental pour tous les esprits soucieux des rapports entre le spécifique et funiversel, les meilleures traditions de la pensée libérale européenne, de l'Univer· sité française, de l'humanisme révolutionnaire. A,iouar Abdel-Malek 1. Cf· sur l'ensemble de cette question, le .livre récent du phénoménologue égyptien Abdel . Rahman Badawî : DalAlr al·'Arab fi takwin al·fikr al· Oûrouppî (Le rôle des Arabes dans la formation de la pensée européenne). Beyrouth, 1965. 2. De M. Rodinson, on lira avec profit: Mahomet, Club français du livre, 1961 ; et son c Bilan des études mohamma· diennes >, Revue historique, nO 229, 1 1963, p. 169·220. Un ensemble d'études 1 doit paraître prochainement. Enfin, l'au., teur nO\1S annonee un autre livre, ' c Islam et marxisme ».

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L'araignée qui défoule Ernesto de Martino La Terre du Remords traduit de l'italien par Claude Poncet Gallimard éd. 440 p.

Depuis le matin, comme hors d'elle.même, elle danse; tantôt dehout, martelant de ses pieds le drap blanc qui sert d'enceinte sacrée; tantôt couchée, cambrée sur le dos, et alors ressemhlant à l'araignée qui jette de-ci de-là ses pattes, mimant la tarentule, dansant avec elle, devenant la bête dansante. La jeune femme froisse dans ses mains des rubans de couleur ; autour du drap, dans la pénombre de cette chaumière des Pouilles, un petit orchestre formé d'un guitariste, d'un accordéoniste et d'un joueur de tambourin sous la direction 'du barbier-violoniste, joue sans arrêt les airs de cette danse très rythmée appelée tarentelle; derrière les musiciens, la famille et les amis de la jeune femme l'encouragent dans ses efforts pour se libérer de son démon; derrière la famille, enfin, Ernesto De Martino, le plus grand ethnographe et démopsychologue que l'Italie .ait jamais eu, et l'un des plus grands dans le monde, non inférieur à LéviStrauss, observe, assisté de son équipe, l'étrange et séculaire rituel du tarentisme, ou « danse de la petite araignée », qui se pratique encore, bien qu'il soit en voie de régression, dans quelques zones restées magiques de l'Italie du Sud. La jeune femme avait-elle été réellem~nt mordue par une araignée venimeuse? Non pas, comme on put l'étahlir. Souffrait-elle d'une maladie mentale? Non plus. Contrainte autrefois d'épouser un homme qu'elle n'aimait pas, et de sacrifier son premier et son seul amour, chaque année .au mois de juin elle se sentait re-mordue par la tarentule croyait-elle, en réalité par le souvenir refoulé de son amour perdu, qu'elle projetait' sous forme de l'araignée mythique. C'est ainsi que le tarentisme,

ou « religion du remords » (de la re-morsure) peut être défini comme une technique symbolique destinée à rétablir l'équilibre de la personnalité, en désignant sous le nom de « tarentule » l'ennemi inconscient qui remord et torture. L'araignée imaginaire cristallise en elle tous les conflits psychiques irrésolus : dans le cas de la jeune femme, l'araignée et sa morsure supposée figurent « l'empoisonnement » de toute une vie par la frustration érotique initiale. En dansant comme la tarentule au cours de sa mimique chorégraphique, la jeune femme s'identifiait à ses monstres et en même temps elle s'en délivrait. Technique qui lui permettait en· suite d'oublier pour un an l'horreur de sa ,condition, jusqu'au jour où une nouvelle crise, codifiée par le retour périodique et légalisée par le cérémonial, serait de nouveau maîtrisée par l'exorcisme de la musique, de la danse et des rubans 'de couleur. Dans une société comme celle de l'Italie du Sud, cette jeune femme n'aurait pu ni quitter son mari ni prendre un amant: le seul moyen de conjurer le suicide, le crime ou l'éclatement existentiel, c'était de revivre son amour perdu dans un psychodrame de défoulement, psychodrame admis par la société. Parmi les conflits psychiques insolubles répandus dans cette Italie du Sud éternellement opprimée et humiliée, il y a certes en premier lieu l'eros à divers titres interdit, par l'ordre familial, par les mœurs ou par les vicissitudes de l'amour (sur trente-sept tarentulés, De Martino en a compté trente-deux du sexe féminin: ce qui prouve assez que le tarentisme ne relève pas d'une attaque réelle de l'araignée, puisque la bête devrait s'en prendre bien plutôt aux hommes, qui moissonnent et dorment dans les champs l'été). Mais la basse condition sociale, les restrictions de toutes sortes n'en sont pas moins des sources d' « empoisonnement » et des motifs de morsure; remorsure et remords, et la danse symbolique

au son de la tarentelle, avec le déploiement des rubans de couleur, se trouve être aussi un moyen d'interpeller en le rejetant l'esclavage de la misère et de la faim. (C'est pourquoi, sans doute, les cérémonies d'exorcisme se déroulent toujours au mois de juin: l'appréhension de la récolte, dont le succès ou l'échec décidera de l'année à venir, fait éclater la crise.) Frustration érotique ou frustration économique: selon que l'une ou l'autre l'emporte chez le tarentulé, il demande à agiter des rubans verts ou des rubans rouges: le vert symbolisant le paradis perdu des amours enfantines, le rouge les rêves de gloire et de puissance. En lisant l'admirable étude de De Martino, si vigoureuse et si nuancée à la fois, et tellement plus passionnante que les neuf dixièmes des romans, on se prend à songer qu'une société aussi arriérée que cette société paysanne des Pouilles, avait non seulement constitué un réservoir de symboles d'une richesse et d'une fantaisie prodigieuse (outre les couleurs: l'épée, les miroirs, lcs fontaines, les cordes, les balançoires, etc., tout un « vivier :., à la Baudelaire, à la Leiris) mais encore savait se protéger contre la déréliction existentielle par des barrières extraordinairement solides. Les sociétés dites évoluées, de quelles défenses disposent-elles contre les agressions de l'inconscient? Les mal mariés et les sous-nourris, comment se défoulent-ils, sinon par ces pauvres techniques que sont la scène de ménage ou l'accès de démence? De bien laides contorsions, des singeries, en regard de l'âpre et rigoureuse tarentelle. Et des singeries, par surcroît, inefficaces, car chacun reste clos dans l'incommunicabilité de sa névrose, tandis que le danseur, la danseuse des Pouilles, assistés par la communauté qui leur fournit le rite, hissent leur misère individuelle au rang d'une aventure mythique. Dominique Fernandez

•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• M. AclrMH

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HISTOIRE

L'ombre de Spartakus Gilbert Badia Les Spartakistes 1918, l'Allemagne en révolution Coll. Archives, Julliard éd. Novembre 1918. L'Allemagne est vaincue. A Kiel, le 5, les ma· rins se mutinent à nouveau. Cette fois, l,es équipages vont jusqu'au bout: ils élisent un Conseil, dé· barquent, gagnent Hambourg, Brême et, de là, essaiment par petits groupes dans le pays pour inciter ouvriers et soldats à former, à leur toùr, des Conseils. C'est une traînée de poudre.,Ou, plutôt, le mouvement fait tache d'huile. Un peu partout, dans les grandes usines, les villes importantes, les dirigeants du parti so· cialiste majoritaire (SPD·M) et les chefs syndicaux - souvent les mêmes 'personnages, exerçant déjà certaines fonctions administrati. ves - convoquent une assemblée et lui font ratifier une liste, pré· parée au pied levé mais avec soin. Le temps presse, car il faut devancer le parti socialiste indépen. dant (USPD), aile gauche de la vieille social.démocratie, qui cher· che lui aussi à imposer sa liste ou, à défaut, un partage des sièges; parfois, certains groupements de l~ bpurgeoisie libérale ou de ré· volutionnaires extrémistes pren· nent part à la course. Finalement, dans les grandes cités, un Conseil central gouverne qui réunit les mandataires 'des Conseils d'ou· vriers et des Conseils de soldats. Ces derniers sont souvent sous la coupe des officiers, agissant sur ordre du G.Q.G., soucieux de con· trôler le mouvement avant de l'étrangler.

coopération, parlementaire ou administrative. Réduits à quelques mots, tels sont les faits. Il y eut bien entendu force,péripéties. C'est le mérite de M. Gilbert Badia de les retracer dans un petit manuel que la rareté des ouvrages, publiés en français sur la révolution à Ber· lin, rend d'une indiscutable utilité. Car depuis lors, on a vu souvent les grandes crises sociales, en Europe comme en Amérique, suivre une courbe voisine, muta· tis mutandis, du modèle offert par cette révolution fantôme. A une variante près - et de taille : l'action de révolutionnaires en quête de révolution réelle, les spartakistes, acharnés à bouleverser et les consciences ouvrières et le cours des choses. Mais Spartakus n'est pas le plus pressant souci de M. Badia. On connaît ces « histoires » du bolchévisme où le nom de Trotsky, par exemple, n'apparaît qu'au détour d'une citation vengeresse de Lénine. De même, ici, pour Otto Rühle, l'un des leaders des « Communistes internationalistes » (IKD) qui, avec le Spartakusbund, devaient former en janvier 1919 le Parti communiste allemand (KPD) : la seule mention désapprobatrice, aS!luré· ment qu'on trouvera 'de son nom vient sous la plume de Rosa' Luxembourg - dans une lettre privée bien entendu (p. 227) . Quant aux autres éléments extrémistes, anarchistes ou marxistes, l'écrasante majorité des militants spartakistes dans les défilés et les combats de rue, ils n'auront droit qu'à des définitions psycho. logiques: « Utopistes exaltés », « quasi-mystiques », ils sont déci· dément indignes de l'attention de M. Badia, s'ils soulevèrent contre eux à l'époque toute la haine et toute la violence des forces de la répression.

Le 15 novembre, le grand patro· nat reconnatt officiellement aux syndicats la qualité de « représen. tants autorisés des travailleurs » ; cet accord les habilite à conduire toutes négociations et les « met au service de la reconstruction éco,nomique ». La République, proclamée le 9, trouve ainsi ses assises sociales. Politique~ent, elle repose sur la collaboration intime du Haut Commandement et du pouvoir civil, aux mains des socialistes majoritaires. Ceux·ci, ne songeant qu'à « ancrer » le nouvel 'ordre dans une Constitution, estiment donc la « révolution ». terminée; ils opposeront désormais discours et mercenaires à tQute tentative de la pousser plus loin.

Absence singulière mais peu fortuite puisque le Congrès de fondation du KPD, qui fit sienne l'orientation extrémiste, est escamoté en souplesse : ~n y fait allusion - comment s'en dispenser? - mais pour éviter tout ce qui pourrait ressembler à une analyse (p. 184). lLe lecteur intéressé peut se référer au Spartacus et la Commune de Berlin, par A. et D. Prudhommeaux, 1949, qui donne la traduction des textes essen· tiels.)

Révolution? Si les Conseils avaient pris le pouvoir sans lutte, le vieil appareil d'Etat demeurait intact : hommes, prérogatives et finances. Aussi ce pouvoir était·il illusoire. Une manière de contre· feu, toléré avec impatience par les autorités, afin de sauvegarder un système social vacillant, auquel le mouvement ouvrier officiel - or· gane de médiation par nature .-' était lié par toute une tradition de .

Notons que le. parti au pouvoir en Allemagne de l'Est est tout aussi discret sur ce sujet. Ainsi, en 1958, pour les 40 ans du KPD, s'est·il gardé de faire réimprimer les 56 pages du compte rendu de son premier Congrès, lui préférant les analyses en trompe l'œil de professeurs dans la ligne, dont un volume de 244 pages, mitonné par un groupe d'historiens d'Etat avec pour maître queux un mem·

La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

bre du Comité central. On y trouvera sous une forme agressive ce que M. Badia exprime sous nne forme plus balancée. Et si les ar· guments varient un peu des premiers au second, le fond reste un et le même : la fameuse lettre où, en 1931, Staline comparait Rosa Luxembourg à un aigle et, l'ayant ainsi mise à planer dans les cieux, décrétait que sur terre ses

Le&SpartalcUtea fom le coup de feu. Berlin, 1918.

actes étaient tout erreur, sa pen· sée tout aberration. Absences significatives, donc, que M. Badia couronne en arrêtant l'histoire du mouvement à l'assassinat de ses deux dirigeants les plus célèbres. Or cette épreuve marqua le début, beaucoup plus que la fin, des luttes d'inspiration spartakiste l brisées définitivement en mars 1921. L'auteur les expédie pourtant eri trois mots et, de même qu'il a éliminé les militants, de même aussi il a rendu leurs conceptions indéchiffrables. Cel· les-ci étaient fort simples cependant. Spartakus partait de l'idée de l'auto·éducation des masses, notion fondamentale du marxisme" bien qu'elle ait subi bien des transformations, à commencer chez Marx lui·même. Malgré tout, il est aisé de la ramener à deux principes généraux et opposés : La social·démocratie classique, les socialistes, et la social·démo· cratie radicale, les léninistes, attendent tout de l'insertion du

parti, des syndicats, etc. dans les centres de décision de la société. Les masses BOnt mineures. Un jour, quand elles auront acquis des connaissances suffisantes, un jour l'Etat dépérira. De lui·même. En attendant, dans un pays développé (conditions « classiques »), leur éducation se fait avant tout par la participation aux institutions démocratiques. Dans les pays arriérés, sous l'égide des, organisations « radicales », l'éducation passe par la dictature iné· luctable du Parti. En bref, l'orga. nisation matérielle et spirituelle des masses la conscience d'e classe, selon le vocabulaire consacré - , se créera ici par les triomphes électoraux et ailleurs par le dépassement du Plan. Pour Spartakus, c'est là une utopie. Organiser des actions révolutionnaires, c'est tout autre chose que d' « organiser» des élections au Reichstag ou aux Conseils des Prud'hommes conformément au . schéma F. Cette organisation.là, o,~ ne saurait l'apprendre que pendant la révolution, tout comme on ne peut apprendre à nager que dans l'eau. C'est ce que procla. mait Rosa Luxembourg (citée ici p. 215), avec Anton Panm:koek, principal inspirateur de Sparta. kus en matière de théorie. 'Et, pendant la chasse à l'homme qui suivit la « semaine sanglante » de janvier 1919, la Rote Fahne, (5.2.19) écrivait encore : Nous sommes opposés aux putsch. Car le communisme ne s'introduit pas à coups de canon, pas plus que par les décrets d'une commission (parlementaire) de socialisation. Il ne peut naître que de la cons· cience et de la volonté de classe... fruits uniquement de luttes achar· nées, pas à pas, ,de la souf/r.ance, du sang et de l'éducation. Spartakus avait pour- principe de base que le prolétariat se fait lui.même : dans les rues, dans les grèves sauvages, nombreuses et violentes à cette époque. C'est pourquoi il insistait sur la nécessité de recréer, dans l'action, le système des Conseils, seuls organes capables - selon lui - d'édi· fier un ordre social différent, - égalitaire. Il y a de cela un demi-siècle ; ici et maintenant, ces idées sont dépourvues de portée pratique. Mais l'étrange, c'est que les historiens (des divers ,camps d'ailleurs) s'efforcent toujours de réduire Spartakus à l'ombre de lui·même. Comme si cette ombre continuait de hanter le monde...

Serge Bricianer 1. La richesse de l'année 1919, au point de vue tant de l'action que des idées, apparaît bien dans l'ouvrage, dernier en date sur le sujet, de Peter von Oertzen' :

Betriebsrate in der Novembe"evolution, Düsseldorf, 1964, auteur proche ~ de l'industrial democracy chère à Hugh Clegg et quelques autres....

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TIERS-MONDE

Elu par les barons Edmond Pognon Hugues Capet, roi de France Albin Michel, éd.

rejette-t-il peu à peu vers l'histoire, faute de mieux. De ce courant naissent des collections écrites par des historiena professionnels qui ne dédaignent pas de s'adresser au public, de faire passer la science historique dans le domairle commun. Des chartistes condescendent à -la vulgarisation, d~ quoi faire retourner leurs maîtres dans leurs tombeaux. A ce coùrant se rattache l'ouvrage qu'Edmond Pognon vient de consacrer à Hugues Capet. Hugues Cllpet ? Pourquoi pas. En ce temps où l'on n'a que la «légitimité ~ à la bouche, c'est même plutôt un sujet à la mode. Hugues Capet, les quarante rois qui en ptille ans

au point de vue politique et économique et les efforts d'Hugues Capet pour assurer sa puissance. C'est de l'histoire « événementielle ~ comme on dit dans le jargon que j'indiquais plus haut. Et il est, à cette époque, très difficile d'en faire une autre. Ce « portrait ~ d'Hugues Capet n'est pas et ne peut être une étude psychologique. « Nous l'avons vu agir, écrit Edmond Pognon, nous ne l'avons pas vu vivre. Nous avons cru pouvoir admirer sa politique, nous ne connaissons pas l'homme. ~ Et, en effet, sauf deux anecdotes douteuses et difficiles à interpréter, il ne reste que « des faits et gestes ~. Lucien Febvre

L'histoire subit une crise. D'une part, il y a l'histoire des historiens à l'usage des historiens eux-mêmes : études spécialisées écrites souvent dans un jargon incroyable. Tout se passe comme si certains historiens, humiliés de n'être ni philosophes, ni sociologues, ni ethnologues, voulaient compenser cette infériorité supposée par un langage d'une obscurité inutile, ëar on peut faire passer toutes les données historiques dans la langue du Port-au-Foin. Vadius et Trissotin ne sont jamais très loin de ces historiens-là. Leurs ouvrages s'agrémentent de courbes, de graphiques, de statistiques, qui font mathématique et sérieux et qui sont sous leur apparence de précision, généralement erronés, car les chüfres sur lesquels ils sont établis sont le plus BOuvent approximatils. Un exemple de ce genrtl d'histoire se termine par un résumé en anglais, en allemand et en français, ce qui est bien vu. D'autre part, il y a les historiens « mondains ~ que les historiens professionnels regardent avec acrimonie, dédain et une secrète envie parfois. Ils exécutent de seconde main d'agréables compilations a c ces s i b 1 e s au « grand public ~. Si leurs travaux firent la France, cela nous rapavait raison de souligner combien n'ont rien d'original, ils ont du pelle quelque chose. Hugues Cail était düficile pour les périodes moins l'avantage d'être lisibles. pet est un sujet d'actualité. anciennes de recréer « du deDans ce domaine les Jeanne d'Arc dans ~ des personnages, alors que Edmond Pognon nous en dit (surtout si elle n'a pas été brûlée), tout ce qu'on peut savoir. Il raptout - croyances, idées, environM...• de Pompadour, Louis XVII, pelle le grand-père Robert te nement matériel, mode de. vie et autres Napoléon 1" sont tou- Fort révolté contre le roi Charles a changé fondamentalement. jours assurés d'être des best- le Chauve, les luttes entre les Alors, devant l'impossibilité sellers. Mais que l'on ne parle pas premiers féodaux et les derniers d'en dire plus, Edmond Pognon aux éditeurs de personnages peu carolingiens, les uns nommés à nous livre ses sources, la chroniconnus qui _risqueraient de leur l'élection jusqu'à cet Hugues que du moine Richer, les lettres rester sur les bras ! de Gerbert, d'Adalbéron, d'HuCapet, duc des Francs, puissaJ;lt Un grand hebdomadaire litté- seigneur entre Seine et Loire, si gues Capet. Tous textes introuvaraire a donné une vue exacte de bien pourvu. d'abbayes que son bles qu'Edmond Pognon rend acce divorce entre l'histoire des his- nom vient de là· : cappatiu, chap- cessibles en les traduisant. Ainsi toriens et l'histoire pour le public. pé de cappa, v~tement caractéris- l'on voit de quel matériau est Dans la liste d'ouvrages retenus, tique des .abbés. Nou.s ne repren- . faite l'histoire. un jury formé d'historiens n'en drons pas toutes ces intrigues ét Cette chronique de Bicher ne aurait peut-être gardé aucun. En ces luttes compliquées entre le m·anque pas de saveur. Il s'indigne tout cas des livres fondamentaux duc des Francs, le roi carolingien du costume des moines que l'on de la recherche historique qu'il Lothaire, l'empereur, l'archevêque prendrait « par derrière pour des aurait sûrement choisis, n'y figu- de Reims, Adalbéron soutenu par prostituées ~, il nous décrit un rent pas. Même divorce dans les le maire Gerbert qui devint pape voyage de Laon à Chartres par les revues, les unes à l'usage des par la suite. Adalbéron et .Gerbert routes et les ponts que l'on imaspécialistes, les autres à l'usage rê.vent de l'unité de l'empire d'Oc- gine et les désastres éternels de. la du public. cident, les carolingiens essaient guerre : on livre tout aux flamL'histoire, science ou art? On de ne pas Se laisser déPosséder mes avec une telle furie qu'on n'y peut en discuter. Science au dé- du peu de pouvoir qui leur reste. laissa pas même une pauvre cabapart, certes, et qui a des méthodes Hugues Capet navigue entre tout ne à une 11Îeille femme tombée de recherches et de critique très cela. A la mort de Louis V, Adal- en enfance. Gravure de Callot ou précises; mais qui devrait être béron propose Hugues Capet com- . photo de la guerre au Vietnam. art, à l'arrivée, au moment où elle me nouveau roi. Il est élu par les Il serait à souhaiter que l'on· débouche sur la table du lecteur. barons rassemblés à Senlis au d,é- s'engageât dans des publications Un Michelet est aujourd'hui in- triment du dernier carolingien, de ce genre. Beaucoup de mémoicroyable. Il est vrai que les histo- Charles de Basse-Lorraine (987). res, de chroniques dorment dans riens prennent souvent à son Hugues assure sa succession en des éditions désormais introuvaégard - les pauvres gens - un faisant couronner son fils Robert, bles que le latin ou la langue trop air -dédaigneux. de son vivant. Bonne précaution : ancienne ne rendent accessibles Cependant les choses paraissent la « légitimité ~ fondée sur l'élec- qu'à ·des spécialistes. Il y a sûreen train de changer. Peut-être la tion pouvant toujours créer quel- ment un public pour ces docudésaffection du publ~c à l'égard ques .difficultés de sUècession, ments bruts et des voyageurs pour des romans enfermés, eux aussi, comme on voit. Edmond Pognon le dépaysement dans le temps. Edith Thomas dans des recherches techniques; le ~nalyse ce nouveau pouvoir social 22

René Caillé Journal d'un voyage à Tombouctou Anthropos, éd. Georges Balandier La vie quotidienne au royaume de Kongo du xv" au xvu" siècles. Hachette. Colin Turnbull L'Africain désemparé traduit par J. Pernot Ed. du Seuil. Le Festival des Arts Nègres de Dakar vient de rappeler au monde que la civilisation africaine existe. Des œuvres d'art en témoignent, qui remontent cinq siècles avant notre ère (comme les figurines « Nok ~ du Nigéria). Des intellectuels, africains et occidentaux, venus de trente-cinq pays ont mis l'accent sur rurgence qu'il y a à rassembler les traditions, les musiques, les objets du continent noir, afin (a dit le Dr Dike, recteur de l'université d'Ibadan, Nigéria) qu'au rendez-vous du donner et du recevoir, r Afrique soit présente. Une « maison internationale des arts nègres ~ est en projet pour favoriser les recherches, conserver les archives, exposer les œuvres. En Occident, au-delà des coups d'Etat actuels qui provoquent une ironique incompréhension, les civilisations nègres restent livrées aux spécialistes et aux collectionneurs. C'est que l'Afrique réelle, profonde, historique nous fut masquée par un siècle de colonisation où l'Africain, pour venir au monde contemporain, avait pour seule issue de nier son patrimoine originel, de feindre la similitude,.de "s'assimiler", de traduire sa revendication en concepts d'occident. A cent-trente ans de distance, deux livres d'Européens nOU8 révèlent une Afrique du passé qu'il faut connaître pour démêler l'écheveau présent. René Caillé, fils d'un galérien de Rochefort, né en 1800, «. détribalisé ~ de la société charentaise qui le refusait se prit pour l'e;s:ploration de civilisations ailférentes d'un goût qui de11Ïnt une passion pour laquelle je renonçai à tout. Sans argent ni appui, il voulut pénétrer au cœur de l'Afrique dans Tombouctou, Tombouctou, ville sainte musulmane d'où aucun chrétien n'était jamais revenu. Il comprit qu'il fallait, pour réussir, devenir « le plus pauvre des Arabes ~ un de ces misérables que protège le Coran. A vingt-quatre ans, il passa deux ans chez les marabouts de Mauritanie pour apprendre l'arabe et l'islam ; il apprit aussi le ouolof, puis il se mit. en route, . observant la diversité des cultures matérielles, des· c~oyances, d~s « niveaux de développement· ~


L'Afrique réelle avec une attention précise, une objectivité qui restent un modèle pour les ethnologues et sociologues d'aujourd'hui. Il vit les Maures nourris seulement de lait, et des pillards, et des fanatiques. Il vit les Ouassoulo, animistes, agri. culteurs habiles, tisseurs pleins d'art et doux à l'étranger; il vit à Kankan des' conseils des anciens pleins de sagesse, des éleveurs de hétail fort experts, une grande propreté. Il admira Jenné IDjenné) pour sa civilisation corn· positc, la complexité de ses métiers, le faste de ses riches. Enfin le 20 avril 1828 René Caillé, sans identité et « désoccidentalisé » depuis quatre ans parvint à Tomhouctou «Je fus saisi d'un sentiment inexprimable de satisfaction; jc n'avais jamais éprouvé une sensation pareille ». A lire Caillé nous aurions appris que les civilisations sont multiples, hien qu'il eût toujours conservé « sa » vision du monde pour instrument de mesure. Mais connne ses contemporains (à l'exception du géographe Jomard, son protecteur'! nous avons ahandonné le Journal d'un voyage à Tombouctou et à Jenné dans rAfrique Centrale aux spécialistes et aux enfants. Mort misérahle, à trentehuit ans, René Caillé était devenu un auteur pour hibliophiles. Un éditeur réimprima par procédé photographique les trois volumes, l'atlas et les gravures du Journal!. Depuis, nous avons lu des récits de conquérants et les descriptions minutieuses des ethnologues. Décrivant croyances, rites, métaphysique, structures de parenté dans leur « pureté ori~inelle », les eth· nolo~ucs montrent rarement le conflit des cultures et les essais de synthèse entre tam-tam parlcm's et transistors, entre le Christ des Blancs et le culte des ancêtres, entre la fonction sacrée du chef . héréditaire et les attributions des fonctionnaires. Quelques. uns pourtant : comme Denise Paulme, ou Claude Meillassoux 2 , ont tenté de montrer le « passage ». Georges Balandier, professeur .de sociologie africaine à la Sorbonne, analyste lucide des Brazzavilles noires et de l'Afrique ambi· guë:1 d'aujourd'hui, nous apporte la Vie quotidienne au royaume de Kongo du xvr' au XVIII'- siècles. Conflits des cultures et syncrétisme de la Renaissance au siècle des lumières : les Portugais ont débarqué au Royaume de Kongo {situé entre le Congo.Léo et l'An/tola) dès 1482. Dès le XVI" siècle, un fils de roi congolais fut s.lcré évêque à Lisbonne. Mais, bientôt, les chefs, ses féaux, obligèrent le souverain à revenir au culte des ancêtres; crucifix et vierges devinrent des fétiches, cependant que la civilisation matérielle fort élaborée des grandes ville!! englo· bait mousquetons, orne~nents, alcools d'Occident. La soie européenne n'excluait pas les tissus soyeux ou veloutés tirés du palLa Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

miel' nain. En 1704, le syncrétisme religieux donna naissance à une Jeanne d'Arc congolaise, dona Béatrice, prêtresse traditionnelle convertie au christianisme. Une voix lui enjoignit d'arrêter la décadence du royaume; saint Antoine habitait « dans sa tête » ; comme la statue du saint porte un· enfant Jésus, elle mit au monde un enfant qu'elle prétendit conçu sans péché. Les missionnaires, puissants auprès du souve· rain, obtinrent qu'elle fût arrêtée, condamnée et brûlée, avec son enfant et son concubin. Balandier se fonde sur les récits des voyageurs, souvent missionnaires, mais les analyse en sociologue africaniste d'aujourd'hui. Ainsi voyons·nous préfigurés le choc des civilisations et notamment les cultes syncrétiques africains qui ont symbolisé,' dans le premier tiers de ce siècle, avec leurs prophètes chrétiens noirs, les premières prises de conscience des Africains. Autre image du Congo, r Africain désemparé de Colin Turnbull, anglo-saxon de bonne vo· lonté et ruisselant de mauvaise conscience. Cette suite de biogra.phies montre les habitants d'un village désorientés, a-moralisés, intérieurement détruits par l'intrusion du christianisme missionnaire et de l'administration euro-

L'Afrique poUT

UlI

même aux yeux de nombreux Africains chrétiens. Il n'a pas vu qu'au delà de la « fierté spirituelle », la struct~Ire de la parenté déterminait la fonction économique et sociale de chacun, ses droits au travail, à la terre, à l'argent, à la considération, au prestige. Depuis les indépendances, nous assistons à la migration saisonnière ou définitive vers les villes, parfois à l'émigration vers l'étranger, l'Europe, à la « détribalisation » par l'école et le travail chronométré, anonyme. Ce qui détruit la fonction essentielle, économique, sociale, politique, spirituelle de la famille. Mais la représentation de soi-même par son rang familial n'est remplacée par aucune représentation cohérente. Force est à l'Africain de recourir aux systèmes occidentaux, eux-mêmes mal ajustés à notre époque, et pour lui vides de tout contenu culturel héréditaire. Au lieu du « bond en avant » de l'assimilation massive naïvement imaginée par les intellectuels occidentaux, nous assistons à une dé-sacralisation, à une a-moralisation et à la recherche fiévreuse, maladroite, de valeurs de remplacement. Au prestige de la naissance se substitue la possession des « choses », donc la dépense imprévoyante, l'endettement. Au lieu de la responsabilité

Le premier prix de poesie est allé à Félix Tchicaya pour Epitome. Mais une mention spéciale une minute de silence, rappela aux esprits Savane Rouge de Fily Daho Cissoko, poète et militant socialiste du Mali, chef d'un parti d'opposition, emprisonné et qui périt mystérieusement en 1964 avec quarante-huit de ses compagnons, durant un « transfert de camp ». Autre mention spéciale, pour les essais, couronnant « l'auteur africain qui eut le plus d'influen· ce sur son époque ». Elle fut donnée à Cheikh Anta Diop pour Peuples nègres et culture, publié en 1955, et qui fit date. L'auteur qui a appris et enseigné la physique à Paris, a rendu sa langue maternelle assez riche et plastique pour pouvoir tout y traduire, futce Einstein. Dans Peu.ples nègres et culture comme dans sa thèse r Afrique précoloniale, il soutient que la civilisation égyptienne fut apportée et élaborée par les nègres. Il ne la considère plus aujourd'hui que comme une « hy• pothèse de travail ». Le premier prix du roman et pour les films, le prix du long métrage vont à un autre Sénégalais non-conformiste : Sembene Ousmane écrivain et cinéaste, dont les courts métrages ont été plusieurs fois couronnés au Festival de Tours.

Européen du XVIII".

péenne. Pour commander, on nomme un homme que sa naissance ni la tradition ne destinaient à ce poste. On bâtit des maisons à fenêtres bien que cellesci irritent les esprits mauvais. Faut·il nier, renier tout ce qu'on sait, adopter une conception du monde, une morale qui vous font mépriser vos père et mère polygames, renier la structure ancestrale de la famille, donc de la société? Colin Turnbull, anglo.saxon spiritualiste et moraliste, constate que r ancienne conception de la famille ne pellt survivre dans r Afrique moderlle : elle est pourtant la source de... toute force ...

Le Festival des Arts Nègres a été aussi une distribution de prix. Dans cette abondance, louons l'indépendance hardie du jury littéraire francophone en plusieurs de ses manifestations.

ènvers les personnes et le travail, on se pare de titres, de diplômes ô'u à défaut des vêtements d'Occident. Pour comprendre la désintégra. tion, pour percevoir les chemins d'une réintégration, d'une culture de synthèse, il est urgent pour nous d'étudier le passé culturel des peuples africains. Urgent, plus encore, de mesurer les limites de notre système de représentations et de pensée. Dominique Desanti

Connu comme l'un des fondateurs de la première Association des Travailleurs Noirs en France, il a publié Le Docker noir, puis 0, pays, mon beau peuple, Les bouts de bois de Dieu, Voltaïque dont il tira un film, L'Harmattant où militants et Africains traditionnels s'affrontent, enfin ce Vehi Ciosane, Blanche Genèse, livre et film, avec en préface du livre un violent manifeste contre « la vénalité, le népotisme, la gabegie ~... des « dynasties règnant aujour. d'hui en Afrique Noire ».

1. et 2. 3.

Ses prix lui ont été remis, corn· me aux autres lauréats, par le président Senghor.

Ed. Anthropo8, 15, r. Racine, 3 vol. atlas ill. 100 F, tirage à 500 exempl. Mouton, éditeur. Plon, éditeur.

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Han Suyin, ou la continuité chinoise Han Suyin L'arbre blessé traduit par Marcelle Sibon Stock éd. Fille d'une patricienne belge et d'un ingénieur chinois, Han Suyin a longtemps cherché sa voie en· tre l'Orient et l'Occident. Son talent, sa sensibilité lui permet. taientde jouer avec facilité le rôle « d'intermédiaire entre deux cultures », de romancer pour un public européen avide d'exotisme les problèmes sociaux ou sentimentaux des communautés mixtes et factices de Hongkong et de Singapour. Mais avec ce livre, elle choisit la Chine. Il ne s'agit que d'une premlere tranche de son autobiographie, puisque l'ouvrage commence trente ans avant sa naissance et s'arrête quand cette petite fille de douze ans s'éveille à la conscience politique, en voyant la police du Kouo-min-tang faire la chasse aux communistes en 19271928. Han Suyin cherche surtout à savoir d'où elle vient, qui sont les siens. Le cadre même de son ouvrage s'oppose aux habitudes d'esprit d'un certain individualisme occidental, et sa quête va de l'individuel au collectif, au social: son clan familial, les Tchau!, sa province, le Sichuan, son pays, la Chine. Toute la première moitié de, l'ouvrage est consacrée à la recherche de ces multiples racines de « l'arbre blessé »; c'est la plus dense, la plus significative sans doute, celle aussi qui a dû coûter le plus à un auteur qui n'était pas historienne de métier. Han Suyin a interrogé de nombreux témoins, et a recueilli maints documents, dont les principaux sont insérés dans son récit: l'autobiographie de son père, rédiJ!ée à la demande des communistes après la libération, le récit que lui a fait de la Révolution de 1911 son ami l'écrivain Li Kiai-jen, et surtout les souvenirs de son « Oncle Troisième », féru d'érudition familiale et nourri de sagesse millénaire. Avec leur aide, elle relate conjointement l'histoire de sa famille et celle de la Chine, à la fin du XIX· siècle et au début du xx· : crise de l'Ancien régime, révolte des Boxers, irruption des puissances étrangères, échec de la révolution républicaine, marasme des « seigneurs de la guerre :t. C'est l'accent mis sur la continuité chinoise, qui frappe à la lecture de cette longue chronique familiale, et ceci, sous la plume d'un 'auteur qui ne cache pas ses sympathies pour la Chine populaire et ses liens avec le régime de ,Pékin. Han Suyin a senti, dit· elle, que la navette du temps va et vient, tiuant les siècles en un tout. Le dessin change, mais c'est le' m.ême métier, le même tissu, un fil ininterrompu: rhistoire d'un peuple (p. 120). Et encore: tout ce que nous sommes appar- , 24

tient aux autres-, ceux qui vinrent avant nous et 'ceux -qui viendront après nous. Et le temps qui. avançant par décennies. franchit à présent d'un saut les siècles. continue de lier la tombe et la matrite et les identifie (p. 88). Ce sens de la continuité est d'autant plus remarquable, qu'il s'agit d'une famille de riches notables conf»céens établis depuis -deux siècles au cœur de la plaine rizicole dp Sichuan. Han Suyin, revendiq»e sans embarras cet arrière grandpère, Tao-hong, personnage assez magnifique. mort' à quatre-vingt- ' douze ans en membre authentique de la classe dirigeante; déVOILés à leur classe. dit-elle de ce dernier et de ses fils, fidèles à leur empereur. ils se battaient contre leurs propres compatriotes et les écrasaient. A cette époque. on pensait qu'ils étaient dignes d'élo: , ges. Aujourd'hui. on les juge autrement. Si je rapporte leurs exploits •• c'est en toute liberté d'esprit. Ils se sont battus du mauvais côté: que l'histoire soit leur juge (p. 50-51). La chaleur sincère et. l'intérêt plein de sympathie que Han Suyin porte à ses ancêtres féodaux. quinze ans après le triomphe de la Révolution communiste, ne sont pas for· tuits; à l'époque où elle écrit, le gouvernement de Pékin est assez fort et assez solide pour dépasser sa légitimité révolutionnaire et revendiquer une légitimité plus profonde, celle de 'la totalité chinoise. Les membres des ancien· nes classes dirigeantes, une fois identifiés, sont intégrés dans le nouveau régime., Oncle Troisième n'avait rien à craindre en racontant comment il avait combattu la Révolution, dit-elle en relatant une conversation récente avec ce dernier, en présence de cadres communistes ; son passé était accepté, de même qu'il acceptait maintenant le présent qu'il avait combattu (p. 277). La seconde partie de l'ouvrage, dans sa facture comme dans son mouvement, est beaucoup plus proche de Multiple Splendeur et de Destination Tchongking. C'est l'histoire d'un échec lamentable et total, celui du couple

T cha u Yen-tung - Marguerite Denis. Les études de Yentung terminées, il a quitté la Belgique et est rentré au ~ichuan, pour ensuite s'installer sur une voie fer· rée belge de Chine du Nord. Les enfants naissent - dont la petite Suyin (Rosalie) et meurent, mais le souvenir des amours bruxelloises s'efface vite, pour laisser place à la lassitude sinon à l'aversion. Le climat « colonial» et raciste des chemins de fer de Chine y fut pour beaucoup; avec toutes les humiliations qu'il réservait à un ingénieur chinois très compétent et muni de diplômes, mais moins bien payé, de beaucoup, qu'un jeune fils de famille venu d'Occident. La vie du mé· nage souffrit aussi de l'obscurantisme des prêtres catholiques de Chine, qui imposèrent littérale,ment à Marguerite de trop nombreuses maternités; Yentung ét~it pourtant tolérant (lai cependant supporté la religion de Marguerite, si courageusement affichée; mais la face douloureuse du Christ, qui pendait au-dessus de mon lit. me faisait penser toujours avec malaise à celle d'un fumeur d'opium). Echec d'autant plus poignant, que les deux victimes étaient parfaitement inconscientes des forces' historiques qui les séparaient et les opposaient; dans la Chine des années 1920, dominée par l'impérialisme et les seigneurs de la guerre, un ménage mixte était condamné à la défaite. C'est pourtant là que grandit Suyin; mais les chocs que ménage toujours à l'enfance innocente le monde incompréhensible des adultes lui furent d'autant plus douloureux (voir 'son indignation, quand elle découvre que le Christ est né en Galilée, et non dans le Shandong comme l'enseignaient les religieuses de son école, pour ne pas trop dépayser les écoliers chinois). L'Arbre blessé est écrit pour le grand public, mais il a aussi la valeur d'un document de première main. Les passages sur la dégradation financière de la famille Tchau à un demi-siècle de distance, à cause des progrès de l'économie moderne, ou l'évoca-

tion des activités des agents financiers belges en Chine à l'époque de Léopold II (avec l'aide des missionnaires flamands de l'ordre de Scheut) rappelleront aux his'; toriens qu'ils connaissent encore bie'll mal la Chine contemporaine. Le livre est également un témoignage sur le patriotisme provincial - complément et non rival du patriotisme chinois à l'époque moderne; de très beaux paragraphes évoquent l'originalité du Sichuan, l'atmosphère précieuse de sa capitale Tcheng tou, l'art de ses canaux d'irrigation, les périls épiques de la navigation à travers les gorges du Yangzi. La place manque, pour allonger la liste de toutes ces notations neu· ves et suggestives. Le frère aîné de Suyin, élevé en Europe et revenu en Chine vers 1925, souffrit profondément lui aussi des contradictions de sa double ascendance; graduellement. il découvrit fimpossibilité d'être chinois; alors rien d'autre ne lui resta, que de s'attacher au petit monde des Eurasiens en Chine que lui proposait Maman... il ne pouvait être européen, il ne pouvait être chinois. Mais sa jeune sœur, après une longue route, a réussi à dépasser cette contradiction. Si elle revendique aujour. d'hui son héritage chinois, si elle choisit la Chine, c'est en pleine connaissance de cause, et après avoir fait la pleine expérience de l'Ouest - expérience dont elle ne devrait sentir aucune gêne à nous parler également un jour. Jean Chesneaux 1. C'est·à-dire Tchéou. La forme Tchau n'est pas utilisée par les sinologues, au système desquels se réfère l'éditeur. D'une façon plus générale, il faut regret. ter qu'un certain nombre d'impropriétés viennent déparer une traduction par ail· leurs très vivante et d'un style très chaud. On dit la c concession:t, non le c comptoir:t international de Changhai, Tchéou En-lai, Banyang, Cheng, Hiuan-houai et Tchau En·lai, Banyang, Cheng Binsouen ; les connaissances du public fran· çais en matière d'histoire contemporaine de Chine sont déjà précaires, et n est préférable de ne pas ajouter il 'ses difficultés. 2. C'est·à-dire leur participation il la ré· pression des grandes révoltes paysannes du xzx" siècle comme .les Tai.ping, dont il vient d'être question. .


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SCIENCES

JEAN-FRANÇOIS STEINER

."• Albert Ducrocq

Cybernétique et Univers T. 2 Le Roman de la Vie Julliard éd.

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beurs de lune. Ceci ne veut pas dire qu'il se contente de notions la révolte d'un camp d'extermination archi-classiques ! Il parle évidemment avec abondance des acides Préface de ribo et désoxyribonucléiques dont la découverte n'est pas si vieille; sur le problème du « code généLe livre le plus atroce, le plus fascinant et, si. tique » par exemple (problème l'on ose dire, étant donné le sujet, le plus pasremis à la mode chez nous depuis sionnant et le plus beau qu'on ait jamais écrit le dernier Nobel en particulier), sur les camps LE NOUVEL OBSERVATEUR. il s'est tenu soigneusement à jour pour nous expliquer comment on • Jean':'François Steiner bouleverse la conscience évolue aujourd'hui de la notion des hommes. PARIS MATCH sommaire de « dictionnaire » à celle qu'il dénomme « verbe généSeul un très grand talent pouvait être capable tique », à la fois "langage et made recréer avec tant d'exactitude le climat "chine active (détruisant lui-même qu'ont subi tes échappés de l'univers concenla belle image - qui avait pourtrationnaire, LE MONDE tant dû le séduire jadis - qui représente les chromosomes comme Les lecteurs de Jean-François Steiner ne sont le programme, en « langage mapas près d'oublier la lande déserte où plus chine », de la reproduction) ; il rien ne subsiste de ce qui fut Treblinka. ' nous rappelle ainsi que, pour faire PARIS PRESSE réellement de la cybernétique, Treblinka se lit comme un roman. C'est là "une bonne imagination et une facilité verbale ne suffisent pas. ce qu'a voulu l'auteur: être lu par le plus grand Le physicien ne pouvait se muer nombre ". FRANCE-SOIR. en zoologiste ; la classification ne Voilà bien le livre le plus bouleversant de l'intéresse pas. Aussi, dans ce li· l'année... il restera à jamais gravé dans notre vre sur l'évolution, ne devionsnous pas nous attendre à trouver esprit ". LE JOURNAL DU DIMANCHE. une description graduée des apparitions de la vie dans, les virus, les unicellulaires, etc. Il est allé directement, quand il avait besoin d'un support concret, à l'homme, qui sera le sujet central de son dernier volume. Pour Ducrocq, la biologie ne se traite pas unique. ment sous le microscope, mais aussi, peut-être même surtout, au tableau noir. Crick et Watson, ou encore Jacques Monod ont montré qu'à côté de l'expérimentation, qui reste le grand maître et rend les verdicts, la réflexion théorique avait un rôle capital à jouer dans me~ta:e l'effort d'intelligence prodigieux qui tente de nous expliquer comment (sinon pourquoi) nous viCHOISISSEZ DANS LA GAMME DES vons. Albert Ducrocq l'a bien compris - cela coïncidait d'ailleurs avec ses vues propres - , et il met un large public à même de le comprendre. Je crois que c'est là un bon service à rendre à la : r---------------..., ,..-----------------, 351 'OURS science. • 45-' eu dépert d. Mer•• llle 36 JOURS eu dépert d. Mer. .lII. Le mépris léger dont on entou0 C AN re les « écrivains scientifiques », : J AP0 N parfois justifiable pour tel individu particulier, n'a pas de raison • :===========================U=========================~ 27 JOURS eu d épert du Hevr. d'être ici. Aux Etats-Unis, un : , 30 JOURS eu dépert du Hnre Einstein (pour ne prendre qu'un AMÉRIQUE exemple frappant) ne dédaignait pas d'écrire « comment il voyait le monde » ou de vulgariser la :=========================~ ~================~ relativité; de grands professeurs : ,:22 JOURS eu dépert de Menellle 8 JOURS eu dépert du Hevre font des cours en première année d'Université. En France trop peu de scientifiques osent prendre la • CEYLAN-NEPAl ~======;:;:===========: ----.J plume pour effriter le mur qui sépare les grands-prêtres du pu- : Vt1MfIUf eft , . " blic éclairé. On ne parlera pas des • =f::':o,co~'t:r ~"'I':"U::"~' ~':t.-::'~: livres d'Albert Ducrocq dans les • cou,,,''' deo Compagnlll IntornollonoloO. séminaires de Sorbonne; pourtant tel futur chercheur y découeJ!EPfT'~ ,"OV~E 'J, vre peut-être aujourd'hui l'ARN et l'ADN. On ne peut que souhaiter à cette série un franc succès qui ne peut cha"griner personne de bonne foi.

.SIMONE DE BEAUVOIR.

Les lecteurs qui découvraient en 1947, dans un livre d'Albert Ducrocq, les mystères de la fuséegigogne, ne se doutaient pas qu'une voix un peu nasillarde hanterait, vingt ans plus tard, leuI:s déjeuners ou leurs dîners en commentant l'envoi de la dernière sonde soviétique ou les ennuis d'un cosmonaute en proie au mal de l'air. C'est aujourd'hui son plus grand titre de célébrité que d'être Tinterprète subtil qui permet à l'homme de la rue de comprendre quelque chose à l'aventure spatiale. On pourrait croire que Ducrocq, dont les enthousiasmes crèvent le micro d'Europe nO l, ne vit plus que pour le jour où un équipage posera le pied sur la Lune ou sur Mars;' C'est en partie exact, mais il serait injuste d'oublier que notre auteur est né avant le premier Spoutnik, et que s'il a joué un rôle de précurseur en littérature scientifique en vulgarisant les premiers projets de Von Braun et d'Obèrth, il a signé vingt livres dont plus de la moitié traitent de tout autre chose que de cosmos. Après la mise au point du renard électronique (que je me souviens fort bien avoir vu fonctionner lors, d'une des tournées de conférences qui permettaient à Albert Ducrocq d'exposer aux publics les plus divers les principes de la cybernétique commençante), il tenta une difficile synthèse structuraliste des processus des systèmes rationnels (domaine délicat dans lequel on peut citer également les noms de Ludwig von Bertallanffy et Ashby, qui s'y consacrent entièrement depuis plus de trente ans). S'il ne continue pas, dans la trilogie qu'il a entreprise sous le nom ambitieux de Cybernétique et Univers, à approfondir ses recherches abstraites, Ducrocq a préféré y exposer les phénomènes fondamentaux qui régissent ces trois entités capitales que sont la matière, la vie et l'homme. Dans un langage simple de vulgarisateur confirmé, il se place aussi sys~ématiquement que possible du point de vue impersonnel de l'homme qui compte « ce qui entr~, ,» et « ce qui sort » de la machine, sans vouloir à tout prix nous décrire l'intérieur de celleci. On sait que dans un domaine aussi controversé que celui de la 'vie, nous sommes encore incapables de cerner avec précision l'élément essentiel, dont certains pensent (et c'est une querelle passionnante) qu'il échappe à la science. Ce n'est sans doute pas l'avis d'Albert Ducrocq, mais il ne nous parle, avec honnêteté, que de , ce qui est admis en général com· me certain, sans loucher vers les synthèses mirobolantes de goLa Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

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Chopin J aroslaw Iwaszkiewicz. Chopin traduit par Georges Lisowski Collection Leurs Figures. Gallimard éd.

: L'un des derniers livres sur • Chopin faisait état d'une préten• due correspondance entre Chopin • et la belle Delphine Potockor, • qu'on venait de découvrir, et qui • eût renouvelé la connaissance du • compositeur devenu homme. Or, : Jaroslaw Iwaszkiewicz est un édi• teur de la correspondance de Cho• pin. Il raconte comment il fut à • .l'origine, par une trop complai• sante défaillance, de ce qui fut ep • somme une imposture. Il ruine la : légende des lettres de DelphiÎ1~. • Cependant la pratique qu'il pos• sède dé l'authentique correspon• dance de Chopin et de ses amis lui • permet d'aller au fond de beau: coup de choses autant qu'il est • possible, de dépoussiérer son su• jet, d'écarter nombre d'idées tou• tes faites.

L'originalité de cette étude est donc la rigueur critique de l'historien. Jaroslaw Iwaszkiewicz n'hésite pas à citer des textes, à les commenter pas à pas. On dirait qu'il a lu la magnifique préface d'Arthur Rubinstein à la biographie de Casimir Wiezynski : Avant r âge de vingt ans, [ Chopin] avait atteint son plein développement spirituel... C'est la personnalité toute entière de Chopin, qui était formée, dès sa jeunesse, . sur et toute· son œuvre s,appule ces premières années qu'il passa en Pologne. L'esprit de la Pologne restera jusqu'à la fin de sa vie la source vivante de. son inspiration, la pierre de touche de tout son être. Rubinstein continue : Tous ceux qui aiment Chopin se sentent frustrés devant la pauvreté des renseignements donnés par la plupart des biographes sur les années de sa formation artistique, et la hâte ave.c laquelle ils abordent cette période de sa vie qui commence avec son départ de Varsome. J aroslaw Iwaszkiewicz a voulu approfondir cette 'époque de l'enfance, qui plus que la jeunesse encore dessine les grandes c:::::: = ~ • lignes d'un destin. Mais on com~----------~ • prend à le lire pourquoi les ren· {DEMANDEZ NOtRE' • seignements sont si rares. On ne • • les a pas recueillis à temps. Aussi Il DOCUMENTATION •• pose-t.il beaucoup de questions, , • sur ses parents, sa mere· qu,on 1NOM 1 • connaît si mal, ses sœurs. Il n'y 1 1 • répond pas toujours, faute de dol PRÉNOM 1 • cuments sérieux. Mais il éclaire 1.• du moins la figure de Zywny, perI. ADRESSE 1 : sonnage « émouvant et ridicule ~. • professeur de piano de Chopin, et 1 - - - - - - - - - - - 1 • celle de Joseph Elner, directeur • 1 • du Conservatoire de Varsovie et 1PROFESSION 1 • professeur compréhensif de com1 . .. 1 • position de Chopin. Un point efl , • .fleuré en général par les biogra~QLI . ' , :phes, et qui mérite mieux, déve- - - - - - - - - - • Joppé . par l'auteur ici, est celui • ,des influences musicales, celles du

CHOIX

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milieu intellectuel, politique, du snobisme aussi, de sa santé, qui ont puissament marqué l'enfant et l'adolescent. Comme nous con· naissons mal l'histoire culturelle de la Pologne! C'est une lacune à combler, qui vaut sûrement d'être comblée. Il manque à ce livre une recherche psychanalytique. Mais il est vrai que cette recherche est aventureuse en ses résultats quand il s'agit d'êtres morts depuis si longtemps. N'importe, il faut la tenter. Elle peut apporter beaucoup sur des personnalités comme celle de Chopin. On trouve au fil des pages nombre de remarques et de considérations qui doivent être relevées. Celle-ci d'abord que Chopin est un Polonais de Varsovie, et que, .élevé à Varsovie, .il possède des traits de Varsovien, notamment le brio et l'esprit. L'amour est re· mis à sa juste place - notamment les idylles avec Constance Gladkowska et Marie W odzinska. Sur George Sand~ l~ récit est un peu insuffisant, cependant. Car George Sand tient une grande place dans la vie de Chopin. Qui avait tort ? Qui avait raison dans cette histoire? demande le biographe. Personne sans doute. Mais les faits furent ce qu'ils furent. Et il ne fait guère de doute que Chopin en fut détruit. Il importe, humainement, de faire état d'une différence' entre Chopin jeune et Chopin vieilli. Du jeune homme enjoué qu'il était..., il est devenu un vieux célibataire aigri et revenu de tout. Ce progrès avançait d'ailleurs lentement, à pe#ts pas feutrés. Mais il se poursuivait constamment. . Une question encore qui nous intéresse c'est de préciser les rapports avec les romantiques. Rapports avec Schumann, avec Liszt, avec les romantiques polonais. Fut-il un romantique? Sans le savoir, sans y consentir même. Mais il le fut, quoique avec une sobriété et une distinction toutes classiques. Enfin, Jaroslaw Iwaszkiewicz .note que Chopin, lors de son dernier concert, du 16 février 1848 à Paris, joua les dernières mesures de sa Berceuse pianissimo au lieu de fortissimo (mais ma propre partition porte l'indication : diminuendo ad fine). Cela en tout cas prouve que pour le maître, il n'y a pas une interprétation unique de son œuvre. Mais plusieurs sont possibles, et meilleures sans doute selon les dispositions du moment de l'auditeur et de l'interprète. C'est l'évidence. Mais une évidence qui est loin d'être admise de tous. Il est bien qu'un tel livre ne se contente pas d'enseigner mais aussi fasse réfléchir.

Maurice Faure

Mahler Marc Vignod Mahler Collection Solfèges Le Seuil éd. C'est un livre qui nous. manquait. Il n'y avait rien qui compte, en langue française, sur Mahler. Et pourtant Mahler pénétre un peu chez nous, bien que les temps peut-être ne s'y prêtent guère. On le confond encore en France avec Brückner, qui lui est antérieur, mais qui lui est semblable par l'importance des dimensions, et pour lequel les Allemands qui eurent quinze ou vingt ans sous Hitler' ont un culte. Mahler est un Juif autrichien. Il eut à souffrir, ou du moins son œuvre, de l'ostracisme nazi. On connaît surtout Mahler pour son Lied de la Terre. On a joué quelques-unel!, de ses symphonies, timidement, sou s le pretexte qu'elles ne convenaient pas au sentiment musical français. Le livre de Marc Vignod est. courageux, puisque c'est le premier. Il est difficile d'aborder Mahler qui est complexe. Or Mah.' 1er a écrit lui-même : « Il est donc utile que, pour commencer, c'est-à-dire tant que mon art restera « étranger », l'auditeur pui~ se disposer de quelques bornes et de quelques poteaux indicateurs :.. C'est vrai d'ailleurs ile tout compositeur mal connu : le public abesoin d'être guidé et ressent ce besoin. Au vrai, les analyses de Marc Vignod ne laissent pas d~être un peu .confuses. Ce n'est pas 8a faute. La diversité, l'arbitraire qu'elles font ressortir se trouvent dans les partitions mêmes. Il !jerait nécessaire de connaître l'œuvre d'avance pour suivre avec clarté le commentaire. Cela viendra peu à peu,. grâce au disque. En fait, le romantisme de Mahler - car c'est un romantique est susceptible de séduire les foules. Il faut, afin de l'écouter, afin de se rendre sensible à la construction très solide de ses symphonies, s:y a ban don n e r d'abord, un peu comme on -lit Proust, en se laissant porter par le rythme. On est vite conquis par l'abondance de la musique, par sa richesse. Ce n'est que plus tard qu'on peut la maîtriser, en voir les divisions. Mais, dès le début, J'énergie saisit, ainsi que ledésespoir, et ce sentiment de solitude et de mort qui fait l'unité de l'œuvre totale, lied et symphonie; et va s'accentuant à mesure qu'on s'approche de la dixième symphonie, inachevée. Un autre intérêt - non le moindre - de Mahler, est de constituer un chaînon de Wagner, chromatique, à la musique atonale de Schonberg qui fut un de ses amis les plus dévoués. Les « tonalités évolutives », la polyphonie, la superposition des tonalités et leur enchaînement, rendront ce passaM.F. ge sensible.


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INFORMATIONS

Les éditeurs préparent Les Editions de Minuit prépârent deux relmpressions de Robert Pinget: Entre Fantoine et Agapa et Graal Flibuste. Elles vont publier le deuxième roman de Didier Coste (La lune avec les dents) : Je demeure en Sylvia. Sous le pseudonyme de Darras, un groupe de sociologues et iféconomistes fera paraître aux mêmes éditions Le partage des bénéfices ou certaines questions concernant féducation, finégalité des revenus et des conditions sont posées pour la première fois en termes précis. Après Claireveillée de prin~ temps, dont nous entretient Claude Couffon dans ce numéro, Migue~Angel Asturias redevi.ent romancier avec la Flaque du mendiant, qui paraît ces joursci chez Albin Michel. La même maison publie un nouveau roman de Vasco Pratolini : la Constance de la ·raison. On annonce chez Gallimard, pour mai, la sortie ifun nouveau recueil de René Char: Retour amont et 'les premiers poèmes publiés en France de Lawrence Durrell. . La Bibliothèque des Sciences humaines s'enrichira ifun nouveau titre: Prophètes, messies et chamans indiens du regretté Alfred Métraux. Marie Dormoy va publier les lettres que lui a adressées Paul Léautaud dans la collection «Lettre ouverte» chez Albin Michel. Robert Laffont va publier un nouveau Cornelius Ryan : La dernière bataille, dans la' collection «Ce jour-là », Eloge de trois kopecks, de Vladimir Socoline dans la collection «Préférences» et un récit de Paul Bodin: Une jeune femme.

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PARIS

Nouvelles de Franee René Char a pris la tête ifun mouvement de protestation contre finstallation de trois usi· nes atomiques et d'une base de fusées dans' la région qu'il habite et qui a inspiré nombre de ses poèmes : le Lubéron et le Ventoux. Il est des sites qu'on se doit de conserver tels qu'ils nous ont été transmis, écrit-il. Et tous ces sites tiennent ici dans u~ seul miroir ! 1 A vec un esprit de suite qui ne se .dément pas, Jean Dubuffet continue de publier ses Cahiers de l'art brut. Le 6" vient de paraître, avec des études 'sur Carlo, Laure, Anaïs, Simone Marye et sur «La robe nuptiale» de Marguerite. La plupart des œuvres de ces peintres font partie des collections de fArt brut. Nous y reviendrons. Dubuffet, qui expose en ce moment chez Jeanne Bucher, inaugure à Londres une exposition qui permet à « l'Observer» de le qualifier de « plus grand peintre fraru;ais vivant ». Sur lui vient de paraitre, en Italie, un ouvrage remarquable de Lorenza Trucchi. « L'Intrus », vaillant hebdomadaire que dirige René Ringeas, se moque avec esprit d'e notre controverse J.-F. Revel Lucette Finas à propos de Roland Barihes et de la «nouvelle critique Profitons-en pour la lecture de ce brûlot du jeudi avec lequel. il nous arrive d'être ifaccord.

».

M. Leo Marx, professeur à Amherst College, Massachusetts, critique et essayiste, parlera de Pastoral design in the works of Frost and Hemingway, mercredi 4 mai à 18 h 30, au Centre cu~ turel américain, 3, rue du Dragon. La Société de. symbolisme organise un colloque sur symbole et langage les samedi 7 et dimanche 8 mai, 60, boulevard de Latour-Maubourg, avec la collaboration ifAndré Guimbretière, Raymond Ruyer, Mme Clémence Ramnoux, . Ferdinand Gonseth, Mme Jeanne Dubouchet, Mich~l Deguy, Henri Ronse et Mme Claire Lejeune. Les séances seront présidées. par Mikel Dufrenne.

Nouvelles de l'étranger David Carver, secrétaire du Pen Club international et Giancarlo Figore.lli, secrétaire général de la Communauté européenne des écrivains - COMES - .ont allés de concert à Moscou afin ify obtenir la grâce de Siniavski et de Daniel. Reçus par les responsables de fUnion des Ecri-

qui partlClpent à la vains COMES et demandaient leur affiliation au PEN - ils ont échoué dans leur tentative de se faire entendre par leurs collègues soviétiques. Sourds à findignation des Occidentaux, bien que sensibles au malaise suscité par cette double condamnation et au trouble qu'elle jette dans les rapports entre intellectuels de ce côté et de fautre du rideau de fer, les dirigeants de fUnion des Ecrivains sont restés officiellement sur leurs positions. Ils en changeraient probablement si le bruit qui court avait quelque fondement: à f occasion des. fêtes ifoctobre, des mesures ifassouplissement seraient prises à f égard des deux anti-confotmistes condamnés. Le Monde du 19 avril a publié les dernières déclarations de Sin i a v ski et de Daniel à leur procès. Non .eulement les deux a'"ccusés ont plaidé non' coupable, mais ils ont· courageusement excipé des droits de f écrivain à une création libre et personnelle, fût-ce au sein d'un régime dont ils approuvent les bases fondamentales. Malheureuse~ent, eux les premiers ont eu affaire à des sourds. On ne tient compte de rien ici, $' est écrié Daniel, ni des jugements des critiques littéraires ni des témoins. Le plus simple, c'est de ne rien entendre. Dans le numéro de mai-juin des Lettres nouvelles, un Roumain parle des répercussion suscitées parmi les écrivains des démocraties populaires par le procès et la condamnation. Nos confrères de New York Review of Books font grand cas ifun de leurs compatriotes historiens qui s'est surtout occupé de la France: Alfred Cob ban. Il vient de publier, chez Braziller, en trois fort volumes, une Histoire de la France moderne (de la mort de Louis XIV ft 1962) qu'on qualifie de' ~ meilleure histoire que nous ayons de ce pays ». Alfred Cobban s'était déjà fait remarquer par une Interprétation sociale de la Révolution française où, reconnaissant sa dette à f égard de Georges Lefebvre et de ses disciples, vantant leur mérite, il pense qu'ils ont trop facilement conclu au caractère « bourgeois» de notre révolution. Il ne dit pas que cette conclusion soit fausse, il affirme qu'ils font insuffisamment établie sur des preuves, victimes de fidée préconçue que la Révolution était en général «une bonne chose », un «jalon essentiel sur la route du progrès ». Cette thèse «révolutionnaire » a suscité quelques remous, parmi les historiens américains. Nous demanderons à des hÏ6toriens français ce qu'ils en pensent, et des travaux ifAlfred Cobban en général.

Peter Weiss L'Instruction traduit de l'allemand par Jean Baudrillard Le Seuil, éd. Il a fallu plus de vingt années écoulées avant qu'on se risque à dire l'indicible, à le porter sur une scène 1, à l'offrir à l'intelligence (plus .qu'à la sensibilité) du spectateur. C'est le grand mérite de Peter Weiss de trancher dans ce silence épouvanté de l'esprit qui tenait Auschwitz hors de notre prise. De nous apprendre que ce réel-là fut nôtre, est donc toujours nôtre, qu'il importe moins de le haïr, que de le connaître - en le haïssant - , car, comme le dit Brecht à la fin d'Arturo Ui: le ventre est encore fécond, tE où a surgi la chose immonde. Mais l'entreprise ne fut POlisible que parce que l'Histoire elle-même s'est chargée de transposer le fait brut, parèe qu'il existe un relais entre l'horreur immédiate d'Auschwitz et notre réalité d'aujourd'hui, et c'est le procès des bourreaux d'Auschwitz de 1965, à Francfort. A l'issue de la guerre, en 1945, Peter Weiss (il a la trentaine alors) découvre Auschwitz ét l'univers concentrationnaire, et découvre en même temps l'impuissance de l'Art à en rendre compte: Où étaient les grandes visions de fArt, écrit-il dans Point de fuite, où étaient pein. tures, sculptures, temples, poèmes et épopées? Tout était pulvérisé. Après de telles images, on ne pourrait jamais plus inventer de nouveaux symboles. Or, vingt ans plus tard, un tribunal rassemble et confronte les acteurs - bourreaux et rescapés - de ce gigantesque cauchemar : du temps a passé, l'herbe a repoussé, tous se sont comme on dit refait une vie. Les juges, pour procéder à l'instruction de l'affaire, ont à remonter. dans l'épaisseur du temps, à solliciter une mémoire des faits. Dans le « jeu » que crée cette distance, le jeu théâh:al peut trouver sa place. Peter Weiss conçoit un vaste projet, celui d'une Divine Comédie de notre temps, et il. commence par flnstruction, oratorio en Il chants, qui' en constituera fEnfer. R~prenant un équilibre arithmétique proche de la structure dantesque, Weiss divise chacun de ces Il chants en trois (fEnfer, le Purgatoire et le Paradis comportant chacun 9 divisions et 33 chants - 34 pour fEnfer) et il nous fait pénétrer de proche en proche des rampes de sélec· tion aux fours crématoires, cœur de l'enfer d'Auschwitz et instrument supérieur de l'industrie de la mort. Le génocide, d'après les plans nazis, d e v ait toucher 30 millions d'individus et le pro-·


Sur les traces de Dante gramme de 1942 prévoyait une première tranche de Il millions, objectif que les méthodes peu à peu mises au point permettaient d'envlsager avec optimisme. Mais Auschwitz, où tous les' pays d'Europe comptèrent des victimes par centaines de mille ,(juifs ou nen), n'était pas nn camp d'extermination pure et simple - comme le furent Treblinka, Belzec et d'autres - mais une sorte d'établissement mixte, mi.bagne, mi·abattoir, où une partie des détenus, en attendant de mourir d'épuisement, servait de main·d'œuvre à l'industrie dt' guerre allemande et se voyait contrainte de participer, à de~ titres divers, à l'avilissement méthodique ou au massacre des autres détenus. Aussi, les tortures, les compromissions de toutes sortes, l'attente, l'espoir, la rage et la ruse de survivre, l'agonie lente y eurent-ils leur place, ainsi que divers modes d'assassinat expérimental où le ,sadisme des bourreaux p~t se donner lihre cours. Les minutes de ce procès qui s'étala sur plus de vingt mois et mit en présence 22 inculpés (l8 dans la pièce) et des centaines de témoins venus de partout (la pièce n'en a gardé que 9 dont 2 à décharge) occupent près de 18.000 feuillets. C'est le matériau que Peter Weiss eut en main et utilisa pour flnstruction à l'exclusion de tout autre. Tout procès est de nature essentiellement dramatique le mot même ne sigQifie-t-il pas marche en avant, développement, progression vers? Inversement, toute pièce de théâtre relève d'un imaginaire procès dont le spectateur est appelé à connaître. De tout temps, mais aujourd'hui plus que jamais, les auteurs ont été tentés de porter sur scène l'appa. reil même du trihunal: accusés, procureur, juges, avocats, témoins, etc. Sans même parler de Brecht dont presque toutes les pièces didactiques sont deR « Jugements », plus près de nous le Dossier Oppenheimer nous fit a8sister, grâce à un habile montage, à la reconstitution d'un procès qui, au-delà du cas Oppenheimer, mettait en cause la responsabilité des savants à l'égard des destructions atomiques. Mai s Weiss a délibérément renoncé à l'aspect proprement dramatique du procès, à son acheminement vers une décision châtiment ou relaxe - qui en marque le sommet et le terme. Il a étalé toutes les pièces du dossier, en a trié un certain nombre qu'il a collées, agencées bout à bout, selon une structure musicale où les aria et les récitatifs alternent avec les duos et les trios. Le but était de recréer non le procès mais la réalité d'Auschwitz, çelle des d~tenus plus encore que celle des accusés qui demeure aujourd'hui encore opaLa Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

L'Instruction

ell

de nlIIure à dértJn6er le lommeil de quelqUel-UlIII.

que, enfermée vingt ans après dans le même réseau infernal de mensonges et de justifications. Cette réalité retrouvée n'a pas de fin, pas même de progression dans l'intensité, elle se tient simplement là, terrifiante et immobile, et ne se clôt sur aucune sen· tence. Celles de Francfort furent, on le sait, d'une scandaleuse hénignité, mais quelles sanctions seraient à la mesure des crimes dont il s'agit? Qu'Eichmann ait été supprimé, ce n'est qu'une salutaire besogne de voierie, ce qui a coinpté dans son procès ce n'est pas la sentence, ce sont les innombrahles témoignages recueillis, puhliés, c'est cet énorme ahcès ouvert, c'est la recon'ltitution d'une réalité que nous n'~vons le droit sous aucun prétexte - et surtout pas celui d'une sensibilité horrifiée d'ignorer ou d'oublier. Peter \V eiss nous prend par la main, comme Virgile fit avec Dante, et il nous montre, il nous apprend Auschwitz, patiemment, un cercle après l'autre: la vie du camp après la rampe de sélection, les tortures après le camp, les fusillades contre « le mur noir », les « expériences » de piqures au phénol, les cellules punitives, le gazage au zyklon B, la crémation dans les fours, avec toujours une attention minutieuse et précise au fonctionnement objectif du système, à ses rouages administratifs, aux principes de son organisation. Nomenclature de l'atroce, dès le début insoutenable, avec les mots mêmes des rescapés et l'on n'en supporterait pas d'autres. Peter Weiss, en outre, a tra· vaillé cette matière hrute, lui a voulu un rythme, cherchant à élahorer par le seul moyen des ruptures, des enjamhements et des césures une sorte de poèmeprocès-verhal. Le procédérappelle très exactement les Lehrstücke de Brecht - on évoquera en particulier 1'« opéra didactique » der Jasager (Celui 'qui dit oui) dont tout l'art (ascétique) tient dans les ruptures de rythme imposées au langage le plus quotidien. Un tel procédé, qui re· pose entièrement sur la sonorité

,du mot allemand, sur sa couleur, sa densité, sa longueur, perd toute valeur à la traduction. Le travail des traducteurs n'est même pas en cause: Baudrillard pour l'édi· tion, relayé par Gisselhrecht pour la scène. Le texte français, quelles que soient les ruptures que Gisselhrecht, en particulier, s'est évertué à rendre évidentes mais qu'il n'a pu justifier pour l'oreille, s'en tient au plat langage du constat, inutilement coupaillé en petits tronçons grêles. Voici un exemple de ce procédé: interrogé sur la mort de Lili Tofler, l'un des témoins réels du procès répond ceci: Les détails. je ne puis pas en parler... Je saÙ seulePlent qu'on fa emmenée. J'ai demandé ce qu'il y avait et on m'a répondu, que l'interrogatoire se. poursuivait. Par la suite, j'ai appris qu'on (wait tué Lili. Ce qui devient chez Weiss (Gisselhrecht) :

Je ne connais pas Les détails. Je me rappelle seulement Qu'on fa emmenée, que j'ai Demandé ce qu'il y avait Et qu'on m'a dit Que l'enquête suivait Son cours. Et plus tard J'ai appris qu'on favait tuée. Il se peut qu'en allemand ce traitement ait un sens, il n'en a guère en français. D'ailleurs les acteurs du Théâtre de la Commune n'ont pas tenu compte, dans l'ensemble, de cet émiettement du rythme. Les meilleurs ont su trou· ver le ton de dignité objective qui sied à leur rôle de simples porteparole. Cela demande un grand art et n'est pas à la portée de tous: êèrtains se voulant dépouillés ne sOnt que monotones. Peut-être Garran s'est-il laissé emporter par les nécessités didactiques .au détriment de l'efficacité théâtrale? C'est que le propos de l'auteur est bien de nous instruire en même temps qu'il instruit le procès, de démonter le système nazi, non de nous tirer des larmes de pitié ou d'indignation. Parlant des accusés, Weiss nous dit: ils '!oe sont que symboles d'un système où bien d'autres se sont rendus coupables, qui n'ont jamais

comparu devant ce tribunal. L'interprétation marxiste du phéno. mène des camps se fait plus précise au 4e chant, celui de « la possibilité de survivre » : Nous connaissons tous la société d'où est sorti le régime - qui a pu produire ces camps... affirme le 3" témoin. Brecht, dans les Cinq difficultés à écrire la vérité, soutenait, en 1934, le même point de vue : Le fascisme ne peut être combattu qu'en tant que capita· lisme, en tant que le capitalisme le plus dépouillé, le plus effronté, le plus oppressif et le plus falla. cieux. Si la crise économique des années 20 à 39 et l'emprise croissante du grand capitalisme réuni· rent bien les conditions favorahIes à la nais8ance du fascisme en Allemagne, il s'en faut de loin qu'elles suffisent à expliquer Auschwitz. Les assassinats systématiques et les camps de concen· tration staliniens ne doivent rien, hélas, au système d'exploitation capitaliste. On le voudrait bien, pour le confort de l'esprit et parce qu'il est moins désespérant de lutter contre un ennemi visi· hIe et identifié que contre la Bête à sept têtes de l'Apocalypse. Les messieurs bien mis : comp· tables, industriels, juristes, com· merçants, etc. qui furent les accu· sés de Francfort, et dont 14 sur 22 étaient en liberté sous caution, 8e retranchent tous derrière la no· tion d'ohéissance aux ordres re· çus. On fait tout ce qu'on veut d'un homme, disait Brecht et il est certain que ceux-ci avaient été admirablement dressés, em· prisonnés dans la logique d'un monde à part où le Juif était naturellement tenu pour un dangereux sous-homme et où la pen· sée de désobéir à un ordre ne serait simplement jamais venue à f esprit de personne, selon les propres termes de Hoess. On nous a déshabitués de penser, dira Stark, au 6e chant, d'autres le fai. saient pour nous. . Dan s l'Allemagne prospère d'aujourd'hui où les organisations néo·nazies se multiplient, où l'antisémitisme demeure vivace, où la prescription des crimes de guerre trouva de chauds partisans, où Mulka, l'adjoint du commandant d'Auschwitz, vient d'être libéré « pour raisons de santé », fIns· truction est de nature à déranger le sommeil de quelques.uns, à houleverser l'apathie d'un grand nombre, mais la menace implicite qu'elle recèle c'est à tous les peu· l'les qu'elle s'adresse: Nous qui vivons encore avec ces images, dit le 3e témoin, savons qu'il est possible que des millions de gens su· bissent encore une fois sans réagir leur anéantissement et que cet anéantissement dépassera de loin en efficacité les vieilles méthodes. Geneviève Serreau 1. En France, la pièce vient d'être montée par Gabriel Garran au Théâtre de la commune d'Aubervilliers, dans des décors d'André Acquart,

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TOUS LES LIVRES

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René Nelli et René Lavaud Jacques Garelli Les troubadours Brèche tome II: l'œuvre poétique Mercure de Franœ, 10,80 F. Desclée de Brouwer, 48 F. Un jeune poète aimé d'Aragon Jacques Petit Léon Bloy Desclée de Brouwer, 4,80 F. Pierrette Micheloud Tant qu'ira le vent Seghers, 9,90 F. Philippe Sellier Pascal et la liturgie Préface de Henri· &aubier P.U.F., 12 F. LITTf:RATURB

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AUTOBIOGRAPR1E8

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Henry de Montherlant Va jouer avec cette poussière (Carnets 1958-1964) Gallimard, 13 F.

André Maurois Au commencement était l'action Plon, 12 F.

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PHILOSOPHIE Gilson, Chenu, Alverny Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen-Age J. Vrin, 39,90 F. Michel R. Hofmann Tolstoï Coll. Vie et Visages Albin Michel éd., 18,50 F. Stanislaus Joyce Le Rardien de mon frère Pri .c· de T .5. Eliot Introduction de R. Ellmann Traduction de Anne Grieve Gallimard, 15 F.

R. Champfleury La science de vivre Debresse, 16,80 F.

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La notion de zéro chez l'enfant J. Vrin, 24 F.

SOCIOLOGIE Communications 7 Radio TV, réflexions et recherches Le Seuil, 10 F. André Armengaud Dénlographie eL société Stock, 15 F.

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Jacques Charpentreau L'homme séparé Benoist-Méchin Justification de l'action Histoire de l'armée culturelle allemande Editions ouvrières, 8,40 F. tome VI : Le défi Albin Michel, 30,85 F. Jean Marabini Les hommes du futur Georges Bordonove Casterman, 19,511 F. Le reman du René Maury L'homme mystifié Gallimard, 13 F. Guy Perrin Sociologie de Pareta P.U.F., 10 F.

P*DAGOGIB Mialeret, Chenon-Tivet. Education nouvelle et monde moderne P.U.F.,9 F. Jacques -Delcourt Investir en hommes (la motricité de l'enseignement) Ed. Vie ouvrière, 25 F. Jean Drévillon L'orientation scolaire et professionnelle P.U.F., 7 F. Gaston Mialaret L'apprentissage de la lecture P.U.F.,7 F.

RELIGIONS Première éditioll oecuménique de la Bible. tome 2 Planète, 73,50 F. Helmut Gollwitzer Athéisme marxiste et foi chrétienne Castermann, 13,50 F.

Jean Conilh Emmanuel Mounier, sa vie, Roger Quesnel son œuvre avec un exposé Chorles de Foucauld Les étapes d'une recherche de sa philosophie P.U.F.,5 F. Mame, 17,70 F. Malebranche Œuvres complètes XI: Traité de morale Edité par M. Adam J. Vrin et C.N.R.S., 39,90 F.

La préhistoire par Leroi-Gourhan Bailloud, Chavaillon, ete. P.U.F.• 22 F.

Mont Saint-Michel Laffont, 27 F. Jacques Chastenet La vie quotidienne en Espagne au temps de Goya Hachette, 14,59 F. Abbé de Choisy Mémoires pour servir à l'histoire de Louis XIV suivis des Mémoires de l'abbé de Choisy habillé en femme Textes présentés, établis et annotés par G. Montgrédien Mercure de France, 19,55 F.

Général Moshé Dayan Journal de la campagne du Sinaï Les grandes études contemporaines Fayard, 15,45 F. Jean Duché Histoire du monde. IV Le Grand tounumt (1815-1914 ) Flammarion, 20 F. Alain Dufour Histoire palitique et psychologie historique Droz, Genève, 25 F. René Gillouin J'étais l'ami du maréchal Pétain Plon, 15 F. A~iral Meyer Entre marins Robert Laffont, 18 F. Rochefort, la Roche~, Royan (194445)

Townsend Millet Reines de Castille Arthaud, 20 F.

SCIENCES

Joseph Majault Shakespeare Albin Michel Coll. Vie et Visages, 18, 50 F.

Mongrédien, Meuvret, Mousnier, Weigert, Maudrou, Adam, Tapié G. Gamow Une planète nommée terre La France au temps de Louis XIV Dunod, 13 F. Hachette, 36 F. André Regnier R.L. Gregory Les infortunes de la raison Gabriel Perreux L'œil et le cerveau Le· Seuil, 9,50 F. La vie quotidienne Hachette, 12,50 F. des civils en France pendant la grande guerre René Lacroze PSYCHOLOGIE Hachette, 15 F. Eléments d'anthropologie Publié avec le conooU1'll Marcel Peyrouton du C.N.R.S. L'année psychologique, 1965 ]. Vrin, 28 F. Histoire Séné1'(Ùe . Publications de l'Université du Maghreb de Princeton PréE. de Jérôme Carcopino P.U.F., 28 F. Albin Michel, 18,50 F. HISTOIRE

Jacques Mercanton' Racine Desclée de Brouwer, 4,80 F.

Pierre Michaud-Quentin La psychologie de l'activité chez Albert· le Grand J. Vrin, 36 F.·

Lanson Essais de méthode et de cr:itique recueillis et présentés par Henri Peyre Hachette, 14 F.

Les découvertes La période 1300-1500 Planète, 64,80 F.

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L'Amérique latine en marche Partisans nO' 26·27 Maspéro, 6 F. Annuaire de l'U.R.S.S.,

1965 C.N.R.S., 65 F.

Dahiel Sarne L'affaire Ben Barka La Table ronde, 13,50 F. L'erreur judicioire

S. Giedeon La naissance de l'art L'éternel Présent, t. 1 Editions de la Connaissance, 135 F.

Vo Nguyen Giap Guerre du peuple, armée du peuple Maspéro, 9,90 F.

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Les torturés d'El Harrach Préface d'Henri Alleg QUESTIONS Introduction de Robert SOCIALES Merle Ed. de Minuit, 4,95 F. Osendé Afana L'économie de l'Ouest africain: perspectives de développement Maspéro, 21,60 F. Roger Barthe Une supernation nécessaire Victor Wiltz, 10 F. Daniel Bernet L'homme blanc est-il condamné? Cent illustrations Hachette, 8 F. Jadish Bhagwati L'économie des pays sous-développés Hachette, 12,50 F. David Caute La gauche en Europe Hachette, 12,50 F.

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Etude internationale à l'initiative de F. Bloch·Lainé et F. Perreux L'entreprise et l'économie au XX' siècle 1. L'entreprise et son environnement P.U.F., 18 F.

Jacques Deslandes Histoire comparée du cinéma T. 1.: de la cinématique au cinématographe (1826.96 ) Casterman, 36 F.

Albert Garand L'entreprise, sa fonction économique France.Empire, 19,50 F.

John Howard Lawson Le cinéma, art du XX' siècle Buchet·Chastel, 40 F.

En mai, fais ce qu'il te plaît. Le précepte est sacré. Le peuplf?s'y conforme. De 1787 à 1931, les hommes (et les femmes) cèdent à de singulières voluptés. « Le printemps, note Mallarmé, pousse l'organisme à des actes qui, en d'autres saisons, lui sont inconnus. » Il donne les femmes l'une à l'autre, pousse les justiciers au meurtre, et jette les ecclésiastiques pantelants, au Bois de Boulogne, sur le délectable gazon. Cependant, M. Gide, dédaigneux' du gazon, se résigne à quelque injec. tion de son propre être: comble du narcissisme.

1" mai 1896 : Surprenant passe· temps d'un Ecclésiastique.

Irwing Shulman lean Harlow Traduit de l'am~ricain par Michel Deutsch ,Stock, 19,50 F.

« Vive, tout à l'heure, dans un endroit peu fréquenté du Bois de Boulogne, ma surprise, quand, sombre agitation basse, je vis, par les· mille interstices d'arbustes bons à ne rien cacher, total et des battements supérieurs du tricorne s'affirmant jusqu'à des souliers affermis par des boucles d'argent, un Ecclésiastique qui, à l'écart de témoins, répondait aux sollicitations du gazon.» Mallarmé. Poèmes en prose.

EXPLORATION TOURISMB

10 mai 1931 : Réflenon spécifique.

URBANISMB Peter Halle Les villes mondiales Hachette, 12,50 F.

Pierre Lavedan et Jeanne Hugueney Histoire de l'urbanisme Archiduc Otto de Habsbourg Antiquité Laurens, 90 F. Europe : champ de 1xJtaille ou grande Frank Lloyd Wright puissance? L'avenir de l'architecture Hachette, 14 F. Gonthier, 15,40 F. David Halberstam En plein bOurbier Buchet.Chastel, 16,05 F. Prix PuUitzer pour le rneüleur -reportage .ur le Viet·nam

Théâtre soviétique contemporain adapté par G. Solovieva Barbisan, H. Valot. Préf. de Victor R. Rosov Denoël, 19,50 F.

CIN:f:MA

André Figueras Mes condamnatiolUl La Librairie française, 1 F. Marcel Loichot La réforme Fernand Grenier pancapitaliste L'U.R.S.S. au rythme Robert Laffont, 10 F. Ile notre temps Editions Sociales, 5 F. Isaac Guelfat La Coopération devant la science économique P.U.F., 13 F.

Raffaello Causa Le XV1I' siècle Le XV Ill' siècle En collaboration avec Jean Cathelin Hachette, le volume 59 F. tomes VIII et IX de Chefsod'œuvre de l'art

Michel Regon Paris, hier aujourd'hui, demain Hachette, 3,70 F.

ART

Deane et David HelIer Le mur de Berlin Préf. de Conrad Adenauer L'a;t de tous les ~mps. France-EDipire, 12 F. Preface de Germam Bazin Sequoia, 77 F. W. Arthur Lewis La chase publique en Cent toblealU célèbres Afriqru. occidenttJle Introduction de S.E.D.I.5.,· 10,30 F. Sir John Rothenstein Ed. du Chêne, 29,25 F. André PlIIIIIelOn De Gmùle. parle Les .dessins du 6"Jftds (1962.1966 ) maîtres Les grandes études Choix de J.E. SchU1er contemporaines Présentation de R. Hanaler Fayard, 20,05 F. Hachette, 65 F.

La Quinzaine littéraire, 2 mai 1966

Les îles Canaries Photographies de Arielli Présentation de Castro Farinas Albin Michel, 49,36 F. Roumanie sous la direction de D. Beran Guides Nagel, 39 F. J. Chargelègue L'Italie, 25 F, par jour Plon, 15 F.

« Les démangeaisons dont je souffrais depuis des mois étant devenues, ces derniers temps, intolérables, surtout la ~uit, je me suis décidé à me soumettre à une cure d'autohémothérapie ; comble du narcissisme. :1) André G ide. Journal. 13 mai 1880.: Echec d'un sensuel.

« Un homme fin,qui me prenait pour un Machiavel parce que j'ar.

rivais d'Italie me dit : Ne voyezvous pas que vous perdez votre temps avec Mme Belloc?... Elle fait l'amour avec M','· Montgolfier (petit monstre horrible avec de beaux yeu"') »Stendhal. Journal. 14 mal 1787 ticier.

Travaux d'un jus-

.« Il rencontre une femme superbe menée dans un palanquin à l'Empereur de Perse, il arr~te le palanquin, en fait sortir la femme et la pend à un arbre. C'était une am· bitieuse, elle allait tourner l'esprit de l'Empereur, et il allait bouleverser l'univers. Il rencontre une femme 'grosse, il l'éventre, arrache le fruit, et l'écrase contre une pierre. Ce malheureux devait en naissant donner la mort à sa mère, et devenir lui-même un scélérat affreux. » Sade. Pro jet de

Séide. Tels sont les événements de la quinzaine. Ils relèvent beaucoup de l'anecdote. Le texte de Sade, cependant, illustre une intéressante thèse morale : l'antériorité de la peine, système où le criminel, par précaution, reçoit le châti· ment avant le crime. Ce principe n'a pas encore été admis en droit privé, mais il est admis en droit international. Il est mis en pratique, en ce moment même, par les U.S.A. qui se livrent, en certain endroit de l'Asie, à un génocide préventif. Et tel bouvier texan qui, à tout propos, invoque la Bi. ble, devrait ajouter Sade à ses références. Mais, vraisemblablement, la littérature n'est paB son fort.

Pierre Bourgeade

Henri Pourrat En Auvergne Arthaud, 45 F.

DIVERS

l'Ebé Bugatti L'épopée Bugatti 264 pages d'illuStration La Table ronde, 22,60 F. Roland Garros Mémoires Présentés par Jacques Quellennec Hachette, 14 F.

Quinzaine littéraire parait le 1- et le 115 de abaque moi•. 31


Hall d"exposition du Collége Expérimental de Sucy-en-Brie.

une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement Le sème Plan prévoit, dans les cinq années à venir, la construction de 1200 CES, 300C E G, 26800 classes primaires et maternelles, que nécessite la scolarisation de 8 millions d'enfants. Une expérience de six ans, un souci constant de perfectionnement technique permettent à GEEP CIC de répondre à ces trois impératifs: Rapidité - Quantité - Originalité. En 1966, GEEP CIC réalise les collèges expérimentaux de Sucy-en-Brie, de.Marlyle-Roi, de Gagny dont l'architecture particulière a été étudiée pour répondre aux besoins pédagogiques nouveaùx : salles de cours transfor>mables, équipées pour l'enseignement audio-visuel, prolongées par des terrasses, "studios" d'équipe, combinant salle d'étude et chambre. Ces trois réalisations de GEEP CIC démontrent que l'assemblage des modules industrialisés ne signifie pas monotonie mais variété, élégance et harmonie.

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